Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 11

Date : Le 20 mars 2023

Numéros des dossiers : T2311/6618, HR-DP-2878-22

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Tracy Mercier

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I. Plaintes de Mme Mercier

[1] La plaignante, Tracy Mercier, a déposé deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne à l’encontre de son employeur, le Service correctionnel du Canada (l’« intimé » ou le « SCC ») dans lesquelles elle allègue avoir été victime de discrimination et de harcèlement fondés sur le sexe, la race, l’origine nationale ou ethnique et la déficience. Dans ses plaintes, elle prétend avoir été victime de discrimination individuelle et systémique de la part du SCC.

[2] Dans sa première plainte, Mme Mercier allègue que le SCC ne l’a pas protégée et a manqué de lui procurer un lieu de travail exempt de harcèlement à la suite d’agressions sexuelles qui auraient été commises par un collègue agent correctionnel dans un établissement correctionnel fédéral de la Colombie-Britannique. La première plainte a été renvoyée au Tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en juin 2018, dans le cadre d’un groupe de plaintes portées par des employées contre le SCC. À l’exception de la plainte de Mme Mercier, toutes les plaintes visaient également divers intimés, dont plusieurs autres personnes. On a tenté de recourir à la médiation pour ce groupe de plaintes, mais Mme Mercier a décidé de ne plus participer au processus. Sa plainte a ensuite été mise en attente par le Tribunal jusqu’à ce qu’elle soit scindée des autres plaintes, à sa demande, en juin 2022. Cette scission a fait en sorte que la plainte de Mme Mercier a pu être instruite séparément.

[3] Dans sa deuxième plainte, Mme Mercier allègue que, à son retour au travail, le SCC a refusé de mettre en œuvre les mesures d’adaptation recommandées par son médecin concernant le trouble de stress post-traumatique dont elle souffre. Elle affirme que son trouble de stress post-traumatique a été causé par les faits à l’origine de sa première plainte. Cette plainte a été renvoyée au Tribunal par la Commission le 27 septembre 2022.

[4] L’intimé reconnaît que Mme Mercier a été harcelée sexuellement par son collègue à deux reprises et que ce dernier a fait des commentaires offensants et inappropriés sur ses déficiences. Cependant, le SCC ne reconnaît pas avoir fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Mercier quant à la façon dont il a répondu à sa plainte de harcèlement ou aux efforts qu’il a déployés pour qu’elle revienne au travail.

[5] Lors d’une conférence téléphonique préparatoire dans cette affaire qui s’est tenue le 15 novembre 2022, Mme Mercier a informé le Tribunal que sa deuxième plainte avait récemment été renvoyée au Tribunal et qu’elle souhaitait joindre les deux plaintes afin qu’elles puissent être instruites conjointement. Les parties ont convenu de s’entretenir après la conférence téléphonique préparatoire pour déterminer si elles consentaient à joindre les plaintes et pour connaître en quoi cette instruction conjointe influerait sur le processus de gestion de l’instance. Le 24 novembre 2022, les plaintes ont été jointes par une ordonnance du Tribunal, avec le consentement de toutes les parties. Les parties ont déposé des exposés des précisions pour inclure la deuxième plainte.

II. Conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022

[6] Lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022, plusieurs autres éléments liés à la gestion de l’instance ont également été examinés, notamment : les exigences liées à la divulgation de documents de l’intimé; la nécessité d’adopter une approche tenant compte des traumatismes dans le cadre de la plainte; et la planification des dates d’audience.

[7] En ce qui concerne la divulgation des documents, je fais remarquer que la discussion tenue lors de la conférence téléphonique préparatoire n’a porté que sur la première plainte de Mme Mercier, car cette dernière n’a évoqué sa deuxième plainte qu’à la fin de la réunion. L’intimé a affirmé qu’il prévoyait fournir les documents du dossier personnel de Mme Mercier (concernant l’aspect individuel de sa plainte) d’ici le 5 décembre 2022. La Commission avait déjà demandé à l’intimé de fournir des documents concernant les allégations de discrimination systémique. L’intimé n’a pas été en mesure de dire quand exactement ces documents seraient divulgués aux autres parties; il a toutefois expliqué le processus assez lourd qu’il doit suivre pour produire des documents dans le cadre d’un litige.

[8] L’intimé a indiqué qu’il lui faudrait au moins quatre à cinq mois pour produire les nombreux documents requis par la Commission. La Commission a demandé au Tribunal d’ordonner à l’intimé de fournir tous ses documents avant la fin de décembre 2022. Elle a également demandé au Tribunal de rendre ce délai impératif, de sorte que le non-respect du délai par le SCC pourrait entraîner des conséquences, y compris le risque que le Tribunal tire des conclusions défavorables à son égard lors de l’audience.

[9] L’intimé a affirmé que la proposition de la Commission n’était pas réaliste et qu’une demande visant à rendre le délai impératif devrait faire l’objet d’une requête plutôt qu’être tranchée lors d’une conférence téléphonique préparatoire. L’avocate de la Commission s’est fermement opposée à l’idée de procéder par voie de requête, étant donné qu’il était entendu que l’instruction de la présente plainte devait se faire de façon expéditive.

[10] Le Tribunal et les parties se sont engagés à instruire la plainte de façon expéditive après que la Commission leur a demandé, en juillet 2022, de respecter tous les délais fixés sans demander de prorogation ni présenter de requêtes inutiles, et de raccourcir les délais pour toutes les étapes du litige, y compris l’audience. J’ai convenu que la Commission avait demandé au Tribunal de formuler une directive pour veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises le plus tôt possible dans le processus de gestion de l’instance afin de réduire les délais. J’ai également convenu que la présente plainte devait être instruite de façon expéditive, compte tenu du temps qui s’est écoulé l’étape de la médiation.

[11] Au cours de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre, la Commission a également réitéré l’importance d’adopter une approche tenant compte des traumatismes dans la gestion de la présente plainte, car Mme Mercier est une personne autochtone qui a été victime d’une agression sexuelle sur son lieu de travail. La Commission a indiqué que le temps qui s’est écoulé depuis le dépôt de la plainte a nui à la santé mentale et physique de Mme Mercier et à sa capacité à retourner au travail.

[12] Mme Mercier a expliqué comment le processus de plainte l’avait affectée. Elle a convenu qu’elle aurait la certitude que le processus de plainte progresse si des dates d’audience étaient fixées. La Commission a indiqué qu’elle était en voie de nommer un expert en matière de pratiques tenant compte des traumatismes et qu’elle collaborerait ensuite avec les parties pour obtenir leur consentement pour la mise en place d’un plan permettant d’appliquer une approche sensible aux traumatismes. Les parties et le Tribunal ont convenu de suivre pareille approche et ont accepté la proposition de la Commission.

[13] Lors de la conférence téléphonique préparatoire, j’ai donné des directives aux parties pour que la plainte soit traitée de la façon la plus expéditive possible. Ces directives étaient informelles et n’ont pas pris la forme d’une ordonnance, ce qui a permis aux parties de collaborer, dans la mesure du possible, pour établir un processus et un calendrier destiné à faire progresser la plainte. Mme Mercier a accepté la proposition de la Commission de fixer les dates d’audience à l’automne 2023. Après la conférence téléphonique préparatoire, les parties devaient indiquer leurs disponibilités pour cette période afin de fixer les dates pour les deux ou trois premières semaines de l’audience. Une fois la date de début d’audience fixée, la Commission devait proposer un délai pour la divulgation des documents de l’intimé concernant les allégations de discrimination systémique. J’ai indiqué que si les parties ne parvenaient pas à s’accorder sur les délais, je pourrais être appelée à les fixer moi-même.

III. Requête de la Commission

[14] Le 18 novembre 2022, la Commission a déposé une requête plutôt que de suivre les directives du Tribunal. Dans sa requête, la Commission demande au Tribunal de rendre plusieurs ordonnances relatives aux questions qui ont été examinées lors de la conférence téléphonique préparatoire. Cette initiative était surprenante puisque la Commission considérait que les parties devraient s’abstenir de déposer des requêtes sauf en cas de nécessité absolue.

[15] Dans sa requête du 18 novembre 2022, la Commission sollicite l’ordonnance suivante :

  1. que la plainte soit instruite et que toutes les décisions connexes soient rendues selon une démarche qui tient compte de la culture et des traumatismes;
  2. que le calendrier proposé par la Commission pour les étapes du litige, dont l’audience fait partie, et qui l’incluent, soit accepté;
  3. que les délais du SCC deviennent impératifs;
  4. que la personne qui a agressé sexuellement Mme Mercier sur son lieu de travail ne soit pas avisée de la présente procédure devant le Tribunal; q
  5. que les deux plaintes de Mme Mercier soient jointes.

IV. Analyse

[16] Les cinq questions soulevées dans la requête de la Commission ont été examinées lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022; les parties se sont entendues sur certaines d’entre elles et le Tribunal a donné des directives pour les autres. La manière dont ces questions ont été traitées dans le cadre du processus de gestion de l’instance était conforme à l’entente conclue entre les parties et le Tribunal en vue de l’instruction expéditive. Elle était également conforme à l’exigence prévue par la loi selon laquelle le Tribunal doit instruire les plaintes « sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique » (paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, c. H-6 [la « LCDP »]).

[17] Les requêtes ne doivent être déposées que lorsqu’une question de procédure ou de fond ne peut être résolue entre les parties ou lorsqu’il est nécessaire que le Tribunal rende une ordonnance à l’égard d’une question litigieuse. Dans la présente affaire, ces questions ont été examinées dans le cadre d’une procédure informelle et une marche à suivre a été établie. Le dépôt de cette requête n’était donc pas nécessaire et a entraîné des délais supplémentaires inutiles.

[18] J’ai donné une directive distincte contenant les délais relatifs à l’instruction de la présente plainte, y compris la date du début de l’audience et les délais pour la divulgation et la préparation des rapports d’experts. J’examinerai plus loin chacune des questions soulevées par la Commission dans sa requête, à l’exception de la question de la jonction des deux plaintes de Mme Mercier. Comme je l’ai indiqué précédemment, le Tribunal a rapidement réglé cette dernière question à la suite de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022 en rendant une ordonnance.

A. Instruction tenant compte de la culture et des traumatismes

[19] Dans sa requête, la Commission demande au Tribunal de ne pas attendre qu’elle nomme un expert pour veiller à ce que la plainte soit instruite selon une approche qui tient compte de la culture et des traumatismes. Elle propose diverses mesures préalables à l’audience et des mesures de protection que le Tribunal peut immédiatement mettre en place pour éviter que Mme Mercier ne subisse de nouveaux préjudices. Elle affirme que ces mesures sont proposées dans le but de créer des processus qui reconnaissent les expériences des peuples autochtones et qui s’en inspirent.

[20] Les mesures proposées sont les suivantes : demander l’avis de Mme Mercier à tous les stades, y compris en ce qui concerne les cérémonies spéciales ou l’orientation culturelle; veiller à ce que des mesures d’adaptation lui soient offertes; fournir un environnement prévisible, fiable et transparent afin que Mme Mercier sache ce à quoi s’attendre dans le cadre du processus et qu’elle soit assurée du respect des délais; veiller à ce qu’il y ait des conséquences si les délais ne sont pas respectés; veiller à ce que Mme Mercier puisse, sans crainte, dire au cours du processus si elle se sent victime d’un traumatisme; chercher à simplifier et à accélérer l’instruction autant que possible; et interagir avec civisme, intégrité et humilité.

[21] Dans ses observations, Mme Mercier fait remarquer qu’elle n’a pas demandé de soutien en lien avec la sensibilité culturelle ou les traumatismes dans le cadre de l’instance, mais qu’elle souscrit à la proposition de la Commission.

[22] L’intimé affirme qu’il a accepté que la procédure tienne compte des traumatismes dès la première fois où la question a été soulevée, et qu’il souscrit aux recommandations de la Commission. Il ne pense pas que les parties et le Tribunal aient besoin de l’assistance d’un expert.

[23] Dans ses observations en réplique, la Commission affirme qu’elle a déposé cette requête [traduction] « pour faire part de ses préoccupations et pour s’assurer que la présente instance se déroule de façon expéditive et équitable et d’une manière qui tienne compte de la culture et des traumatismes. La Commission est d’avis que cet objectif ne peut être atteint de manière informelle sans l’intervention du Tribunal, compte tenu de la lenteur de la procédure et des délais non respectés. »

[24] La Commission indique également qu’à sa connaissance, c’est la première fois que le Tribunal met en place des mesures similaires pour une partie autochtone qui agit pour son propre compte après avoir survécu à une agression sexuelle et qui s’identifie comme étant une personne ayant subi un traumatisme. Les directives du Tribunal, établies avec l’aide d’un expert, contribueront à assurer l’équité dans la présente affaire et dans les affaires ultérieures.

[25] Je fais remarquer que les requêtes n’ont pas pour but de permettre aux parties de consigner leurs préoccupations au dossier. Les parties peuvent le faire au cours des conférences téléphoniques préparatoires et en communiquant avec le Tribunal, ainsi que dans leurs exposés des précisions. Tous ces éléments font partie du dossier officiel du Tribunal. Dans la mesure où la Commission a estimé qu’il restait des détails à régler à la suite de la conférence téléphonique préparatoire, elle aurait pu les traiter de manière moins formelle, par exemple en envoyant un courriel ou une lettre afin d’obtenir des instructions ou des éclaircissements.

[26] Le Tribunal veille régulièrement à ce que les parties qui comparaissent devant lui bénéficient de mesures d’adaptation. Plutôt que de s’appuyer sur un « précédent » décrivant le traitement à adopter à l’égard d’un participant donné, le Tribunal agit conformément aux principes des droits de la personne en traitant tout participant à une instance comme ayant des besoins uniques. Dans la mesure où le Tribunal veille à ce que tous les participants qui comparaissent devant lui soient traités avec équité, il peut modifier la procédure, si nécessaire, pour que toute personne ayant subi un traumatisme se sente en sécurité, respectée et à l’aise pendant l’instruction. Cette latitude vise notamment le processus de gestion de l’instance. Les participants ne devraient pas hésiter à indiquer les mesures d’adaptation qu’elles souhaiteraient que le Tribunal prenne, au besoin. Parallèlement, les parties doivent s’assurer qu’elles disposent de toutes les ressources nécessaires pour les aider à mesure que progressent leurs plaintes pour atteinte aux droits de la personne tout au long du processus d’audience.

[27] Comme le Tribunal doit veiller à ce que l’instruction d’une plainte soit culturellement adaptée, il est réceptif aux demandes visant à faire en sorte que les parties, dont bon nombre d’entre elles sont des Autochtones, se sentent entendues et respectées au cours de l’instance. Le Tribunal prend les mesures d’adaptation nécessaires pour répondre aux demandes des parties autochtones relatives à la tenue de cérémonies ou encore en vue de s’assurer que l’instance se déroule d’une manière culturellement respectueuse et appropriée. Mme Mercier devrait se sentir à l’aise d’indiquer au Tribunal comment il peut s’assurer que la procédure, y compris l’audience, respecte sa culture autochtone.

[28] Toutes les parties et le Tribunal ont accepté d’adopter une approche qui tient compte des traumatismes. Le Tribunal a lu et entendu les préoccupations de Mme Mercier et continuera à le faire. Mme Mercier fait un travail admirable en tant que plaignante qui agit pour son propre compte; elle respecte les délais et veille à ce que ses positions soient clairement communiquées au Tribunal et aux parties. Je n’ai aucune raison de douter qu’elle continuera de communiquer ses besoins.

[29] Le Tribunal adhère aux recommandations de la Commission et est d’avis que la plupart d’entre elles seraient suivies dans le cadre d’une instance normale, plus particulièrement lorsqu’une partie agit pour son compte. Le Tribunal veillera à ce que les recommandations énoncées dans la requête de la Commission soient mises en œuvre, au besoin, au cours du processus de gestion de l’instance.

[30] Comme le Tribunal et les parties se sont engagés à procéder d’une manière qui tienne compte des traumatismes, les avocats doivent être conscients de leur propre comportement et tâcher d’éviter que les réunions de gestion de l’instance ne soient plus conflictuelles que nécessaire, car nous collaborons tous pendant ces réunions afin que l’instruction se fasse de la façon la plus expéditive possible.

[31] Il aurait été plus rapide, plus respectueux de l’utilisation du temps et des ressources du Tribunal et des parties et globalement plus conforme à une démarche sensible aux traumatismes de suivre un processus moins formel que de recourir à un moyen contentieux tel qu’une requête.

B. Calendrier proposé par la Commission

[32] La Commission propose un calendrier pour que certaines étapes se déroulent avant l’audience, lequel comprend notamment des délais pour le dépôt de résumés de témoignages anticipés des experts de la Commission, pour la divulgation par le SCC et pour le dépôt de rapports d’experts ainsi que des dates d’audience sur une période de six semaines.

[33] La Commission affirme que le Tribunal devrait accepter ce calendrier conformément à l’entente sur l’instruction expéditive. Elle affirme qu’il n’est pas conforme à un processus tenant compte des traumatismes de faire traîner les étapes préalables à l’audience plus longtemps.

[34] Mme Mercier est du même avis que la Commission. Elle a joint une « déclaration de la victime » à ses observations pour expliquer comment elle a été affectée par ce qu’elle a vécu pendant qu’elle travaillait au SCC et après le dépôt des plaintes, y compris tout au long de la procédure du Tribunal.

[35] Le SCC affirme qu’en ce qui concerne les délais, il est généralement guidé par la volonté de Mme Mercier, qui a expressément fait savoir qu’elle souhaitait que la date d’audience soit fixée dès que possible. Il dit avoir accepté que l’audience débute en septembre 2023, suivant les dates proposées par la Commission. Le SCC affirme que pour que les parties soient prêtes pour l’audience à ce moment, et que cette dernière soit ciblée, les parties devraient envisager de simplifier la procédure en fonction des besoins de Mme Mercier. Le SCC propose de poursuivre la discussion avec Mme Mercier et la Commission sur la simplification du processus d’audience, soit dans le cadre d’une conférence téléphonique préparatoire, soit dans le cadre d’un autre processus. Il affirme qu’après l’élaboration d’un plan tenant compte du point de vue de Mme Mercier, il lui serait plus facile de savoir quels documents doivent être produits et il pourrait commencer à les déposer. La Commission rejette la proposition du SCC de simplifier le processus d’audience et la qualifie [traduction] « attaque incidente irrégulière » sur la portée de la plainte.

[36] Le SCC soutient que toutes les parties tâchent de faire progresser la présente affaire en vue de son instruction ou de son règlement et que les affirmations qui polarisent davantage les parties nuisent à ce processus. Il propose un processus de production de documents en continu, qui comprendrait une nouvelle liste toutes les six semaines jusqu’à six semaines avant l’audience. Il soutient que ce processus permettra aux parties de recevoir leurs documents en continu jusqu’à ce que la production soit complète, plutôt qu’en une seule fois. Le SCC affirme que les parties auront ainsi plus de temps pour examiner ses documents et que s’il est en mesure de produire ceux-ci plus tôt, il ne manquera pas de le faire. Le SCC propose également son propre calendrier pour les rapports d’experts et les cahiers de documents.

[37] Dans ses observations en réplique, la Commission affirme qu’une partie ne peut refuser de communiquer des documents et décider de les produire selon son bon vouloir; or, c’est justement ce que le SCC propose avec la divulgation en continu. La Commission fait remarquer que le SCC, comme toutes les parties, a l’obligation permanente de produire les documents et pièces pertinents qui ont été créés ou qui sont entrés en sa possession après la divulgation initiale. Elle soutient que l’autorisation de la divulgation en continu créerait un précédent problématique qui engendrerait des délais et favoriserait l’inégalité entre les parties. Elle affirme que la divulgation en continu porterait également atteinte au caractère équitable de la procédure, car les autres parties risqueraient de ne pas être en mesure de préparer leur thèse ou de répondre à celle de la partie adverse adéquatement.

[38] La Commission soutient que le Tribunal devrait tirer une conclusion défavorable du fait que le SCC ne s’est pas penché sur les dix points qu’elle a énoncés dans sa demande voulant que le calendrier qu’elle avait proposé soit suivi. Elle soutient également que le Tribunal devrait tirer une inférence défavorable du refus du SCC de [traduction] « remédier au préjudice important énoncé par Mme Mercier, résultant du report continu de l’instruction et du manque de mesures ou de conséquences pour gérer ce préjudice ». Elle affirme que le Tribunal doit remédier au préjudice et mettre en place des mesures pour faire en sorte que toutes les parties soient sur un pied d’égalité.

[39] Lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022, j’ai demandé aux parties de me faire part de leurs disponibilités pour fixer le début de l’audience à l’automne 2023, après quoi j’ai demandé à la Commission de proposer un délai pour la divulgation de l’intimé en partant à rebours à partir de la date d’audience. Si la Commission avait fait pareille proposition, et que celle-ci avait suscité un désaccord, la question aurait pu être traitée de manière moins formelle, et j’aurais donné des directives ou rendu une ordonnance concernant le délai de divulgation de l’intimé. La Commission a plutôt décidé de déposer la présente requête.

[40] Je n’ai pas l’intention de tirer d’inférences défavorables du fait que l’intimé n’a pas examiné les dix points énoncés par la Commission dans sa requête. L’intimé a choisi de présenter des observations concises et de se concentrer sur la date à laquelle il divulguera ses documents, ce qui est conforme à l’objectif d’une instruction expéditive. Si la Commission et Mme Mercier souhaitent faire valoir que le Tribunal devrait tirer des inférences défavorables concernant la conduite de l’intimé, elles peuvent le faire dans leurs observations après l’audition de la preuve.

[41] Cependant, je ne souscris pas à la proposition de l’intimé selon laquelle la divulgation en continu jusqu’à six semaines avant le début de l’audience est acceptable. Pareil processus ne serait pas équitable pour la Commission ou pour Mme Mercier, qui ont droit à une divulgation en temps opportun afin de se préparer à l’audience. La Commission a l’intention de convoquer trois experts, qui doivent examiner la divulgation relative aux allégations de discrimination systémique avant de préparer leurs rapports.

[42] La Commission ne semble pas partager le point de vue de l’intimé selon lequel l’audience peut être simplifiée ou circonscrite grâce aux discussions entre les parties, en dépit du fait qu’elle a formulé cette recommandation pour que la procédure tienne compte des traumatismes afin [traduction] « de simplifier et d’instruire la plainte de façon aussi expéditive que possible et d’encourager les parties à circonscrire les questions en litige à l’aide d’une entente ». En tout état de cause, ces circonstances ne devraient pas retarder la divulgation des documents par l’intimé.

[43] J’ai établi un calendrier, qui comprend les dates d’ouverture de l’audience et les délais pour la divulgation et la production des rapports d’experts, dans une lettre de directives à l’intention des parties qui sera envoyée après le prononcé de la présente décision.

C. Demande visant à rendre les délais impératifs

[44] C’est la troisième fois que la Commission demande au Tribunal de rendre les délais du SCC impératifs. La Commission a présenté sa première demande en juillet 2022, dans laquelle elle demandait également que l’instruction soit menée de façon expéditive, ce qui a été accepté par toutes les parties et le Tribunal. J’ai estimé qu’il n’était pas nécessaire de rendre les délais de l’intimé impératifs à ce moment puisque la Commission demandait à toutes les parties de s’engager à respecter leurs échéances et à ne pas demander de nouvelles prolongations de délais. J’ai indiqué que si la longueur des délais semblait porter atteinte à la gestion de l’instance et au processus d’instruction, les parties pourraient en faire part au Tribunal et d’autres mesures pourraient être prises au besoin.

[45] La Commission a renouvelé sa demande de délais impératifs lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai plutôt demandé aux parties de collaborer pour établir des délais en partant à rebours à partir des dates d’audience, qui seraient fixées à l’automne 2023.

[46] Dans sa requête, la Commission demande que les délais de l’intimé deviennent impératifs parce qu’elle est [traduction] « profondément préoccupée par le temps que prend le SCC en l’espèce ». Dans ses observations, elle a aussi établi la chronologie des mesures prises depuis le renvoi de la plainte devant le Tribunal.

[47] Selon la Commission, le non-respect des délais impératifs pourrait notamment entraîner les conséquences suivantes : l’interdiction de déposer des documents qui n’ont pas été produits jusqu’à présent; la formulation de conclusions défavorables par le Tribunal; la condamnation du SCC aux dépens; toute autre mesure que le Tribunal peut ordonner en vertu des articles 9 ou 10 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne, 2021, DORS/2021-137 [les « Règles de pratique »].

[48] La plaignante est du même avis que la Commission sur cette question.

[49] L’intimé dit qu’il comprend les préoccupations de la Commission quant à la nécessité que la présente affaire soit réglée ou instruite dans les meilleurs délais et qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour respecter ses échéances. Il affirme qu’il ne prend pas la question du respect de ses délais à la légère et est conscient du fait que le Tribunal a le devoir d’instruire la plainte de façon expéditive.

[50] L’intimé affirme qu’étant donné que l’article 9 des Règles de pratique du Tribunal rend effectivement obligatoires les délais imposés par le Tribunal, sous peine d’une ordonnance corrective ou d’autres conséquences, il n’est pas nécessaire d’ordonner que ses délais soient considérés comme impératifs.

[51] Je conviens avec l’intimé que l’article 9 rend effectivement obligatoires les délais imposés par le Tribunal. Rien dans l’évolution chronologique de l’instruction présentée par la Commission ne montre que, depuis ma décision de juillet 2022, l’intimé aurait régulièrement omis de respecter les délais imposés par le Tribunal ou qu’il se serait comporté d’une manière telle qu’une ordonnance visant à rendre les délais impératifs s’impose. Toutefois, si l’intimé ne respecte pas les délais fixés pour sa divulgation, le Tribunal s’interrogera sur la manière de procéder et sur les conséquences qui pourraient être appropriées le moment venu.

D. Avis à l’agresseur

[52] Pendant la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022, l’intimé a soulevé la question de savoir si, par souci d’équité procédurale, la personne qui a harcelé sexuellement Mme Mercier devrait être informée de la présente instruction. L’intimé voulait savoir si le Tribunal ou la Commission avait mis en place un processus pour gérer de telles situations. Mme Mercier a indiqué qu’elle s’y opposait, car la simple mention du nom de cette personne la bouleverse. Les parties ont été invitées à réfléchir à cette question; elle pourrait, au besoin, faire l’objet d’une discussion lors de la prochaine conférence téléphonique préparatoire.

[53] Dans sa requête, la Commission affirme que ni le Tribunal ni elle-même n’a l’obligation d’informer l’agresseur de la présente procédure, et elle demande au Tribunal de rendre sa décision en adoptant une démarche qui tient compte des traumatismes.

[54] Dans ses observations sur la requête de la Commission, Mme Mercier affirme que l’intimé tente de l’intimider en utilisant le nom de l’agresseur dans son exposé des précisions et en soulevant la question concernant la possibilité de l’informer durant la conférence téléphonique préparatoire.

[55] L’intimé affirme qu’il n’a pas proposé, durant la conférence téléphonique préparatoire, d’informer l’agresseur. Il a plutôt simplement demandé si la Commission ou le Tribunal disposait d’une procédure pour aviser l’agresseur ou d’autres personnes dans sa situation. Il affirme qu’il est convaincu d’avoir soulevé la question du point de vue de l’équité procédurale et il ajoute qu’il n’informera pas l’agresseur.

[56] La requête présentée par la Commission n’était pas un moyen approprié pour formuler sa demande. Le Tribunal n’a pas de décision à rendre.

[57] Je ne souscris pas à l’hypothèse selon laquelle l’avocate de l’intimé a soulevé cette question dans le cadre d’une tactique d’intimidation, comme l’allègue Mme Mercier. Elle a simplement posé une question sur l’équité procédurale. Le fait que l’instruction suive une démarche tenant compte des traumatismes n’empêche pas l’intimé de poser des questions et ne permet pas au Tribunal d’agir inéquitablement à l’égard de l’une ou l’autre partie. Toutefois, tous peuvent collaborer pour veiller à ce que les questions soient soulevées avec tact.

[58] Je fais remarquer que l’intimé continue d’inclure le nom de l’agresseur dans sa correspondance avec le Tribunal et les parties. Étant donné que Mme Mercier a exprimé à quel point elle se sentait bouleversée à la simple mention de ce nom, j’exhorte l’intimé à cesser de l’inclure dans sa correspondance avec les parties, d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire de le faire et que cela est susceptible de causer davantage de stress et d’inconfort à Mme Mercier. Je souligne toutefois que l’intimé a commencé à prévenir Mme Mercier lorsque le nom de l’agresseur figure dans les documents qu’il lui communique, ce qui est utile.

[59] Le Tribunal examinera certainement des propositions visant à faire en sorte que la présente affaire se déroule de manière à ce que Mme Mercier ne soit pas ébranlée en raison de l’utilisation du nom de cette personne. Cette question pourra être étudiée lors de la prochaine réunion de gestion de l’instance ou par écrit. C’est en tout cas ce qui a été décidé lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022.

V. Conclusion

[60] La Commission affirme dans ses observations que le fait de veiller à ce que le processus soit prévisible et à ce qu’il se déroule dans les meilleurs délais est une façon d’adopter une démarche qui est sensible aux traumatismes. Je suis du même avis. Un processus qui est prévisible et qui se déroule dans les meilleurs délais peut être élaboré de manière informelle au cours d’une conférence téléphonique préparatoire ou grâce à une directive du Tribunal. Il ne doit pas nécessairement découler d’une requête. En l’espèce, le dépôt d’une requête a eu pour effet de prolonger la procédure.

[61] Bien que la Commission ait affirmé que le Tribunal pourrait se prononcer sur cette requête lors d’une conférence téléphonique préparatoire, je fais remarquer que j’ai donné des directives concernant les questions soulevées dans ladite requête lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 novembre 2022. Pourtant, la Commission est tout de même allée de l’avant avec le dépôt de sa requête. La Commission a également fait valoir que le Tribunal doit se prononcer sur cette requête dans un délai beaucoup plus court que celui prévu par les Règles de pratique du Tribunal, car il s’agit d’une instruction expéditive.

[62] Une instruction expéditive ne signifie pas que le Tribunal doive toujours donner la priorité à l’affaire en question, au détriment de ses autres dossiers. Ce serait injuste pour les autres parties qui attendent des jugements, des décisions ou des directives. Le Tribunal ne dispose pas d’un temps infini et de ressources illimitées. Toutes les plaintes dont il est saisi sont importantes et il a l’obligation légale de les trancher rapidement.

[63] Dans la décision Letnes c. Gendarmerie royale du Canada, 2022 TCDP 32, le Tribunal a réitéré l’importance de procéder promptement et efficacement, tout en reconnaissant la nécessité de préserver ses ressources limitées en ne « tran[chant pas] toutes les questions qui sont susceptibles d’être soulevées dans le cadre d’une plainte » :

[20] Dans un arrêt récent, Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, la Cour suprême du Canada souligne au paragraphe 46 de ses motifs qu’il est nécessaire que les décideurs administratifs rendent leurs décisions promptement et efficacement. Elle ajoute que l’existence de délais excessifs dans les procédures administratives va à l’encontre des intérêts de la société et compromet la réalisation d’un objectif fondamental de la délégation de pouvoirs décisionnels à ces organismes — un processus décisionnel rapide et efficient.

[21] Dans la décision Chen v. Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal, 2020 ONSC 6287, au paragraphe 12, la Cour divisionnaire de l’Ontario mentionne les retards inévitables découlant de la présentation de requêtes de nature procédurale supplémentaires et de l’incapacité des avocats à s’entendre pour régler certains problèmes.

[22] Le présent Tribunal ajoute que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique, conformément au paragraphe 48.9(1) de la [LCDP]. Les [Règles de pratique du Tribunal] font également référence aux principes applicables aux plaintes, à savoir qu’elles doivent être tranchées de façon équitable, informelle et rapide.

[23] Le Tribunal ne dispose pas de ressources illimitées pour trancher toutes les questions qui sont susceptibles d’être soulevées dans le cadre d’une plainte. Les règles de justice naturelle et d’équité procédurale prévaudront toujours, mais le Tribunal doit tenir compte du principe de proportionnalité et de ses ressources limitées.

[64] Les parties doivent être conscientes que le dépôt de requêtes non nécessaires pour des questions qui pourraient être résolues de manière moins formelle dans le cadre du processus de gestion de l’instance peut entraîner des retards non seulement dans l’affaire en cours, mais aussi dans d’autres dossiers dont le Tribunal est saisi. Le fait de s’engager dans un processus plus contentieux, comme le dépôt d’une requête, n’est pas conforme à une approche tenant compte des traumatismes et devrait être évité à l’avenir, à moins que cela ne soit absolument nécessaire.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 20 mars 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2311/6618, HR-DP-2878-22

Intitulé de la cause : Mercier c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 20 mars 2023

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Anshumala Juyal, Julie Hudson et Brittany Tovee, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Tracy Mercier, pour elle-même

Lisa Riddle , pour l’intimé

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