Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Christopher Garnier (le plaignant) a déclaré que le Service correctionnel du Canada (l’intimé) n’avait pas pris des mesures d’adaptation à l’égard de ses problèmes de santé mentale. L’intimé a déposé une requête en radiation de plusieurs paragraphes de l’exposé des précisions de M. Garnier. Le Tribunal a accepté la requête parce qu’il a jugé que certaines parties de l’exposé des précisions de M. Garnier qui traitaient de sa santé physique n’étaient pas liées à sa plainte initiale.

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 32

Date : le 21 août 2023

Numéro du dossier : T2679/5521

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Christopher Garnier

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Paul Singh

 


I. DÉCISION SUR REQUÊTE

[1] Le plaignant, Christopher Garnier, un détenu sous responsabilité fédérale incarcéré dans un établissement géré par l’intimé, Service correctionnel du Canada (« SCC »), soutient que SCC n’a pas pris de mesures d’adaptation liées à sa déficience, ce qui est contraire à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6. (la « LCDP »).

[2] SCC, qui nie avoir agi de manière discriminatoire, a déposé une requête en vue de faire radier des parties de l’exposé des précisions de M. Garnier, et plus particulièrement les paragraphes 8 à 25, 28, 29, 30 et 32 à 40 (les « paragraphes »), au motif que des allégations ne figurant pas dans la plainte que M. Garnier a initialement déposée (la « plainte ») auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») y sont soulevées.

[3] M. Garnier s’oppose à la requête et la Commission ne prend pas position.

[4] Pour les motifs qui suivent, la requête de SCC est accueillie et les paragraphes sont radiés.

II. CONTEXTE

[5] M. Garnier soutient avoir été victime de discrimination fondée sur la déficience de la part de SCC alors qu’il était détenu à l’Établissement de l’Atlantique situé à Renous, au Nouveau-Brunswick, en violation de l’article 5 de la LCDP. Plus précisément, M. Garnier fait les allégations suivantes dans la plainte qu’il a déposée auprès de la Commission en juin 2019 :

  1. SCC lui a refusé l’accès à un traitement de santé mentale adéquat pour le syndrome de stress post-traumatique (le « SSPT ») parce que, selon SCC, sa déficience n’était pas un facteur criminogène;
  2. M. Garnier a reçu une aide psychologique lors de son admission dans un établissement fédéral en septembre 2018, et ce jusqu’en avril 2019; or, les prestataires de soins de l’Établissement de l’Atlantique n’avaient pas [traduction] « les connaissances, les études, la formation ou l’expertise » nécessaire pour traiter le SSPT.

[6] Dans sa plainte, M. Garnier précise qu’il n’a [traduction] « rien à reprocher au personnel et à la direction de [l’Établissement de l’Atlantique]. La plainte vise les politiques et les procédures sur lesquelles reposent les pratiques de l’Établissement ».

[7] La Commission a joint le compte rendu de sa décision daté du 2 juin 2021 à la lettre de renvoi qu’elle a envoyée au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal »). Dans ce compte rendu, la Commission précise qu’il est [traduction] « expressément allégué [dans la plainte] que l’intimé a appliqué une ligne de conduite discriminatoire en ce qui a trait à la prestation de services de traitement et de ressources de santé mentale aux détenus ».

[8] Dans l’exposé des précisions qu’il a déposé auprès du Tribunal en novembre 2022, M. Garnier répète les allégations faites dans sa plainte et présentées ci-dessus. Dans les paragraphes visés par la requête en radiation de SCC, il fait aussi les allégations suivantes :

  1. En juin 2022, M. Garnier a fait le trajet entre l’Établissement de l’Atlantique et un hôpital local — où il devait subir une chirurgie au dos — à bord d’un véhicule de SCC qui ne respectait pas les normes en matière de santé et de sécurité. Après avoir subi la chirurgie, il est retourné à l’Établissement de l’Atlantique et a reçu de la part de SCC des soins et des traitements postopératoires inadéquats qui lui ont causé des souffrances physiques et mentales.
  2. M. Garnier a développé une affection pulmonaire pendant son incarcération à l’Établissement de l’Atlantique et SCC lui a fourni des soins de santé et des traitements inadéquats qui lui ont causé des souffrances physiques et mentales.

III. ANALYSE

[9] Le Tribunal doit s’en tenir à la plainte initialement déposée auprès de la Commission et à la décision que prend cette dernière lorsqu’elle lui renvoie la plainte pour instruction : Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6, au par. 28.

[10] Le Tribunal a le pouvoir de modifier une plainte afin de déterminer les véritables questions en litige entre les parties. Toutefois, une telle modification ne peut pas servir à introduire fondamentalement une nouvelle plainte, étant donné que cela aurait pour effet de contourner le processus de renvoi de la Commission prévu par la LCDP. Lorsque la modification proposée ne s’inscrit pas dans la portée de la plainte renvoyée par la Commission, le Tribunal n’a pas compétence pour l’instruire : MacEachern c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 4, aux par. 9 à 12.

[11] De plus, de façon générale, le Tribunal n’autorise pas une modification s’il est manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient réussir à prouver qu’il y a eu discrimination : Saviye c. Afroglobal Network Inc. et Michael Daramola, 2016 TCDP 18, au par. 15.

[12] Dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique, 2012 CSC 61 (Moore), la Cour suprême du Canada a confirmé les exigences à respecter pour établir l’existence d’une discrimination. La Cour a conclu que les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement à cette caractéristique protégée et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois ces éléments prouvés, il incombe alors à l’intimé de justifier sa conduite. Si la conduite est justifiée, il n’y a pas de discrimination.

[13] En l’espèce, M. Garnier soutient que même si la plainte ne couvre que l’allégation selon laquelle SCC lui aurait administré un traitement inapproprié pour son SSPT, le Tribunal ne devrait pas l’empêcher d’ajouter à son exposé des précisions l’allégation selon laquelle SCC lui aurait ensuite fourni des soins inappropriés pour ses problèmes de santé physique. M. Garnier soutient que [traduction] « la santé mentale et la santé physique sont indiscutablement interreliées » et cite à cet effet l’Organisation mondiale de la Santé et de l’Association canadienne pour la santé mentale puisqu’elles ont affirmé que la santé mentale et la santé physique étaient « fondamentalement liées ».

[14] Nul ne conteste que la santé physique et la santé mentale peuvent être liées, mais cette question n’est pas particulièrement pertinente dans le cadre de l’examen de la requête en radiation déposée par SCC.

[15] Il doit y avoir un lien clair entre les modifications proposées et la plainte ayant fait l’objet d’une enquête et d’un renvoi devant le Tribunal par la Commission. En l’espèce, il n’existe pas un tel lien.

[16] L’allégation selon laquelle SCC aurait administré un traitement inapproprié pour le SSPT de M. Garnier (soulevée dans la plainte) repose sur des faits et des moments tout à fait différents de ceux exposés dans l’allégation selon laquelle SCC aurait amené M. Garnier dans un véhicule inadéquat et aurait fourni des soins inappropriés pour ses problèmes physiques (soulevée dans l’exposé des précisions).

[17] En outre, en ce qui concerne la troisième exigence du critère énoncé dans l’arrêt Moore, il n’est pas allégué que la déficience mentale de M. Garnier, ou toute autre caractéristique protégée, a constitué un facteur dans le transport inadéquat qui lui aurait été réservé ou dans les soins que SCC lui aurait fournis pour traiter ses problèmes de santé physique. M. Garnier affirme que le mode de transport de SCC représente un risque pour [traduction] « tous les détenus » (aucun motif de distinction illicite identifié) et que SCC lui a donné l’impression d’être inférieur aux non-détenus (le statut d’incarcération ne constitue pas un motif de distinction illicite prévu par la LCDP).

[18] Même si M. Garnier a connu une exacerbation de ses problèmes de santé mentale en raison des mauvais traitements que lui aurait fournis SCC, l’exacerbation à elle seule est généralement insuffisante pour établir l’existence d’un traitement préjudiciable ou défavorable fondé sur un motif de distinction illicite, comme il est exigé dans l’arrêt Moore.

[19] M. Garnier présente des observations exhaustives sur le fait que SCC aurait été au courant des préoccupations d’ordre juridique soulevées par le Bureau de l’enquêteur correctionnel (le « BEC ») à propos de la sécurité à bord des véhicules d’escorte des détenus de SCC. Il cite des rapports du BEC faisant état de blessures causées par le transport négligent de détenus pour appuyer sa position selon laquelle SCC a manqué à son obligation de diligence envers les détenus.

[20] La sécurité du transport des détenus est sans aucun doute une question importante. Toutefois, l’information contenue dans les rapports du BEC n’est pas pertinente dans le cadre de la requête en radiation présentée par SCC puisque la question du transport est sans rapport avec l’objet de la plainte de M. Garnier, soit le traitement discriminatoire que lui aurait fourni SCC pour son SSPT.

[21] Enfin, dans les observations que M. Garnier a présentées en réponse à la requête en radiation présentée par SCC, il soulève la possibilité de représailles pour justifier l’élargissement de la portée de la plainte. Plus précisément, il soutient qu’il est possible que SCC ait fourni un transport ou des soins de santé inadéquats en guise de représailles pour la plainte.

[22] Cependant, dans son exposé des précisions, M. Garnier n’allègue pas que SCC lui a fourni un transport ou des soins inadéquats en guise de représailles pour le dépôt de sa plainte. De même, il n’y a aucune allégation selon laquelle SCC a exercé des représailles dans la plainte de M. Garnier ou dans le dossier de renvoi devant le Tribunal de la Commission.

[23] Dans ces circonstances, il ne suffit pas que M. Garnier soulève une simple allégation de représailles, sans aucune précision, dans un argument présenté en réponse à une requête visant à établir un lien entre des situations factuelles distinctes et sans rapport entre elles. Accepter une telle allégation reviendrait à créer une situation inéquitable sur le plan procédural — situation dans laquelle il serait permis de soulever dans l’argumentation des allégations qui ne sont pas autrement liées à la plainte initiale ou à l’exposé des précisions.

IV. CONCLUSION

[24] La requête de SCC est accueillie. Les paragraphes sont radiés de l’exposé des précisions de M. Garnier.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21 août 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2679/5521

Intitulé de la cause : Garnier c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 21 août 2023

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Vince Garnier , pour le plaignant

Aby Diagne , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kelly A. Peck , pour l'intimé

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