Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

M. Amir Attaran est né aux États-Unis de parents immigrants iraniens. Il a déménagé au Canada alors qu’il était adulte. En 2009, il a présenté une demande de parrainage pour que ses parents viennent au Canada. À l’époque, le gouvernement canadien prenait beaucoup plus de temps pour traiter les demandes d’immigration relatives aux « parents et grands-parents » que pour traiter celles dans les autres groupes de la catégorie du regroupement familial, tels que les époux et les enfants. Dans sa plainte, M. Attaran a allégué qu’il s’agissait d’une discrimination fondée sur l’âge, la situation de famille, la race et l’origine nationale ou ethnique.
Bien que la demande de M. Attaran pour le parrainage de ses parents ait finalement été approuvée et que le processus relatif au parrainage de parents et grands-parents ait changé depuis 2009, sa plainte demeurait non résolue. Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») a d’abord confirmé que les parents de M. Attaran possédaient des caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), notamment la race, l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille et l’âge. Ensuite, le Tribunal a examiné si les mesures gouvernementales particulières ayant contribué à allonger les délais de traitement pour la catégorie des parents et grands-parents constituaient un « service » en vertu de la LCDP.
M. Attaran a contesté la manière dont Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a mis en œuvre les « plans de niveaux ». Ces plans sont des projections du nombre de personnes qui seront accueillies au Canada chaque année, ventilées par catégorie d’immigrants.
M. Attaran a également contesté les instructions ministérielles. Le Tribunal a conclu que les instructions ministérielles ne pouvaient pas être considérées comme un service en vertu de la LCDP.
L’autre allégation concernait le fait que le ministre n’avait pas exercé son pouvoir d’exempter de tout règlement en matière d’immigration les répondants et les demandeurs de la catégorie des parents et grands-parents, ce qui pourrait être considéré comme un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite en vertu de la LCDP. Le Tribunal a estimé que cette allégation constituait essentiellement une attaque contre les règlements en cause. M. Attaran et la Commission canadienne des droits de la personne n’ont pas démontré que l’élaboration de règlements est un service et ont expressément suggéré au Tribunal de ne pas se prononcer sur cette question.
La plainte a été rejetée parce que M. Attaran n’a pas réussi à prouver les éléments essentiels de l’affaire. Il a démontré que le traitement était différent et que les demandes relatives aux parents et grands-parents étaient traitées plus lentement que celles des autres catégories, mais il n’a pas prouvé qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada s’était livré à une pratique discriminatoire. Pour chaque allégation mentionnée ci-dessus, soit aucun traitement défavorable n’a été prouvé, soit le traitement défavorable allégué s’expliquait par une raison qui n’a pas été prouvée comme étant un « service » en vertu de l’article 5 de la LCDP.

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms - Description : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien
des droits de la personne

Citation : 2023 TCDP 27

Date d’entrée en vigueur : Le 4 juillet 2023

Numéro de dossier : T2163/3716

Entre :

Amir Attaran

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (anciennement Citoyenneté et Immigration Canada)

l’intimé

- et -

Chinese and South Asian Law Clinic

la partie intéressée

Décision sur le fond

Membre : David L. Thomas


Table des matières

I. L’ENQUÊTE 1

II. DISPOSITION 3

III. LES PARTIES 3

IV. LA PLAINTE 4

V. CONTEXTE LÉGISLATIF 6

VI. CONTEXTE HISTORIQUE DE LA PLAINTE 8

VII. L’EXPÉRIENCE DE M. ATTARAN ET SES PARENTS 11

VIII. TERMINOLOGIE 13

IX. TÉMOINS 14

X. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 21

A. LA PLAINTE EST-ELLE THÉORIQUE ? 21

B. LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE A-T-ELLE TIRÉ DES CONCLUSIONS DANS L’AFFAIRE ATTARAN-FCA SUR LES ÉLÉMENTS DU TEST PRIMA FACIE QUI LIENT LE TRIBUNAL DANS CETTE ENQUÊTE? 23

XI. LÉGISLATION SUR LA DISCRIMINATION ET FARDEAU DU PLAIGNANT 27

XII. TEST MOORE, PARTIE 1 : LE PLAIGNANT A ÉTABLI QU’IL PRÉSENTE UNE OU PLUSIEURS CARACTÉRISTIQUES PROTÉGÉES PAR LA LCDP 28

A. Race et origine nationale ou ethnique 28

B. Situation familiale 29

C. L’âge 31

XIII. TEST MOORE, PARTIE 2 : LE PLAIGNANT A-T-IL ÉTABLI UNE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT DÉFAVORABLE DANS LA FOURNITURE D’UN SERVICE PAR L’INTIMÉ? 31

A. LE(S) SERVICE(S) ALLÉGUÉ(S) EN CAUSE ET NON EN CAUSE 32

B. L’INTIMÉ N’A PAS RECONNU QUE SES ACTIONS DANS LE CADRE DU TRAITEMENT DE LA DEMANDE DE M. ATTARAN CONSTITUENT UN « SERVICE » AU SENS DE LA LCDP. 34

C. LÉGISLATION CONCERNANT LES « SERVICES » 36

D. LA LIPR ET LE RÈGLEMENT DE LA LIPR NE SONT PAS CENSÉS ÊTRE DES SERVICES 41

E. L’IMPORTANCE DES PLANS DE NIVEAUX DANS CETTE ENQUÊTE 42

a) Les plans de niveaux sont-ils contraignants? 51

F. INSTRUCTIONS MINISTÉRIELLES 56

a) L’utilisation d’instructions ministérielles par l’IRCC impliquait-elle la fourniture d’un service? 56

b) Non-déploiement des instructions ministérielles de 2008 à 2011 pour contrôler l’arrivée des demandes afin de prévenir l’augmentation de l’arriéré 62

c) Des instructions ministérielles agressives (par exemple, des plafonds, des moratoires et des loteries) sont utilisées pour les PGP, mais non pour les conjoints et les enfants. 64

d) Non-utilisation et utilisation des instructions ministérielles par le ministre après 2008 : analyse du traitement défavorable alléguée 66

XIV. Le fait que le ministre n’ait pas fait usage du pouvoir que lui confère du paragraphe 25.2(1) de la LIPR d’exempter les demandeurs de PGP de certaines exigences financières énoncées dans le règlement constitue-t-il un traitement défavorable dans la prestation d’un service? 68

XV. IRCC s’est-il livré aux autres pratiques discriminatoires alléguées lors du traitement des demandes dans la catégorie des PGP? 78

A. Dépôt simultané des demandes de parrainage et des demandes de résidence permanente 80

B. Délai plus favorable pour les demandes d’examens médicaux pour les FC1 82

C. Donner la priorité à d’autres membres de la famille (wild card relatives) 86

D. Normes de service 88

E. Le traitement des demandes de parrainage de PGP au CTD-Mississauga a été suspendu de mai 2004 à septembre 2005. 90

F. Déplacement délibéré des ressources au détriment des PGP avec l’initiative de refonte de la catégorie familiale en 2002-2004, qui a conduit au « traitement prioritaire » des FC1. 92

G. La manière dont IRCC a communiqué au public les délais de traitement des demandes de PGP constituait-elle une différence de traitement défavorable dans le cadre de la prestation d’un service? 94

H. Un nombre disproportionné de PGP ont été admis au Canada en tant que résidents permanents entre 2007 et 2019 96

XVI. CONCLUSION SUR LA PREUVE PRIMA FACIE 98

XVII. Décisions sur requête 100

A. Décisions sur la confidentialité 100

B. La requête de divulgation du privilège du cabinet et les différends qui s’ensuivent 102

XVIII. ADDENDUM L’allégation de partialité 98

 


I. L’ENQUÊTE

[1] Il s’agit de la décision sur le fond d’une enquête devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal » ou TCDP) relativement à une plainte déposée il y a plus de dix ans. Le Tribunal a été saisi de l’affaire pendant plus de six ans, l’audience a duré 22 jours et les observations écrites approfondies ont été présentées sur une période de 13 mois en 2021 et 2022.

[2] Cette enquête concernait la plainte de M. Amir Attaran (le « plaignant ») contre Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC, anciennement Citoyenneté et Immigration Canada ou CIC) déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP ou la « Commission ») le 28 juillet 2010. Le plaignant allègue que des pratiques discriminatoires de la part de l’intimé ont contribué au retard important dans le traitement de sa demande de parrainage de ses parents en vue de leur immigration, ainsi qu’au retard dans le traitement des demandes d’autres demandeurs similaires, par rapport à d’autres catégories d’immigration dans la catégorie du regroupement familial (au sens du règlement d’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]), en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP ou la « Loi »).

[3] Les motifs de discrimination illicites allégués à l’origine étaient l’âge et la situation de famille. À la suite d’une requête écrite, j’ai également autorisé M. Attaran à modifier sa plainte pour y ajouter la race et l’origine nationale ou ethnique en tant que motifs de discrimination illicites (voir 2017 CHRT 21).

[4] Dans un premier temps, la Commission a refusé de renvoyer la plainte de M. Attaran au Tribunal pour enquête. La Commission a rejeté la plainte de M. Attaran au motif que, bien qu’il semblait qu’IRCC avait traité les demandes pour les parents et les grands-parents différemment des demandes de parrainage pour les époux et les enfants à charge, elle était convaincue qu’il s’agissait du résultat de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel et que le plaignant n’avait pas directement contesté le pouvoir du ministre d’exercer un tel pouvoir discrétionnaire.

[5] M. Attaran a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond de la Commission. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Attaran. M. Attaran a fait appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale qui, dans sa décision datée du 3 février 2015, a annulé la conclusion de la Cour fédérale et a renvoyé l’affaire à la Commission (2015 CAF 37).

[6] La Commission a finalement renvoyé la plainte de M. Attaran au Tribunal, qui l’a reçue le 7 septembre 2016. La gestion de l’affaire devant le Tribunal a duré longtemps. De nombreuses questions ont été soulevées concernant la communication de documents. Plusieurs milliers de documents ont finalement été communiqués par IRCC à M. Attaran dans le cadre du processus de communication. Au cours de la période précédant l’audience, 15 conférences téléphoniques préparatoires (CTP) ont eu lieu et j’ai rédigé quatre décisions sur requête en réponse à des requêtes interlocutoires écrites.

[7] En août 2017, la Chinese and South Asian Law Clinic (CSALC) de Toronto a déposé une requête pour être ajoutée en tant que partie intéressée à cette plainte. La CSALC est un organisme à but non lucratif constitué en vertu des lois de l’Ontario. Elle fournit des services juridiques gratuits aux membres des communautés chinoise, vietnamienne, cambodgienne et laotienne vivant en Ontario qui ne parlent pas l’anglais et dont les revenus sont faibles, et elle agit en tant que groupe de défense des intérêts de ces personnes. La CSALC est également impliquée dans la réforme du droit et a comparu devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration du Parlement pour présenter des observations sur divers sujets, notamment le regroupement familial et les demandes de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial. La CSALC participe également de temps à autre à des litiges portant sur des cas types. J’ai conclu que le CSALC possédait une expertise susceptible d’aider le Tribunal dans cette affaire. Son acceptation en tant que partie intéressée a été limitée conformément aux souhaits exprimés par le plaignant (voir 2018 CHRT 6).

[8] Malheureusement, la pandémie de COVID-19 a retardé le début de l’audience, qui devait initialement commencer en personne à Ottawa en avril 2020. Finalement, l’audience a commencé en ligne en février 2021, au moyen de la plateforme de téléconférence Zoom. Il y a eu deux interruptions imprévues de l’audience (dont il est question ci-dessous), ce qui a entraîné la reprogrammation des jours d’audience en avril et en septembre 2021. Les plaidoiries finales devaient être entendues au début de l’année 2022. Cependant, le plaignant a demandé l’annulation de l’audition pour des raisons personnelles, et j’ai approuvé cette demande après consultation des autres parties. Au total, il y a eu 22 jours d’audience, en plus des arguments finaux écrits, puis d’autres observations écrites à la place des arguments finaux oraux.

II. DISPOSITION

[9] Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu que la plainte du plaignant et de la Commission n’était pas fondée. Ils n’ont pas réussi à établir une preuve prima facie qui démontre un traitement défavorable dans la fourniture d’un service par l’intimé.

III. LES PARTIES

[10] Le plaignant, M. Amir Attaran, a déclaré être né et avoir grandi en Californie, seul enfant de parents ayant immigré d’Iran. Il est titulaire d’un baccalauréat en neurosciences de l’Université de Californie à Berkeley et d’une maîtrise ès sciences en biologie du California Institute of Technology (Caltech) à Pasadena. M. Attaran a ensuite obtenu un doctorat dans une discipline liée à la biologie de l’Université d’Oxford, en Angleterre, et un baccalauréat en droit de l’Université de Colombie-Britannique. Avant de devenir professeur à l’Université d’Ottawa, M. Attaran a occupé des postes universitaires à l’Université de Harvard et à l’Université de Yale, à la faculté de droit et à la faculté de médecine.

[11] Les avocats de la Commission ont changé au cours de la longue période de gestion du dossier. Maître Daniel Poulin, avocat de longue date de la CCDP, a pris sa retraite avant la tenue de l’audience. Il a été remplacé par Mme Caroline Carrasco, qui était basée à l’étranger pour les premières parties de l’audience. Au même moment, le plaignant se trouvait en Californie avec ses parents, ce qui a créé un décalage horaire de dix heures parmi toutes les parties. Malgré la grande distance, la plateforme en ligne nous a permis de terminer de nombreux jours d’audience et le Tribunal remercie Mme Carrasco d’avoir tenu des horaires aussi tardifs pendant cette phase. La Commission a également été habilement représentée par Mme Sasha Hart tout au long des parties préliminaires et des preuves de l’enquête.

[12] L’intimé a également changé d’avocats au cours de la phase préparatoire à l’audience. Korinda McLaine et Abigail Martinez, du ministère de la Justice, représentaient initialement l’intimé. Au cours de la phase de gestion d’instance précédant l’audience, elles ont finalement été remplacées par leurs collègues, Sean Stynes et Kelly Keenan, qui étaient également appuyés par une autre avocate, Susan Wladysiuk, et une assistante juridique, Courtney Hughes.

[13] La partie intéressée, la Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, était représentée par Jin Chien et Ada Chan.

IV. LA PLAINTE

[14] Selon son formulaire de plainte original, M. Attaran a déposé la première partie de sa demande (la « partie 1 ») pour parrainer ses parents aux fins d’immigration en juillet 2009. Lorsqu’il a déposé sa plainte auprès de la CCDP, il a noté que le site Web de l’intimé indiquait qu’IRCC achevait le traitement des demandes de parrainage de parents et de grands-parents (PGP) de la partie 1 environ 37 mois après leur réception. En revanche, le même site Web indiquait qu’IRCC traitait les demandes de parrainage présentées en vertu de la partie 1 pour les époux, les conjoints de fait ou les partenaires conjugaux, les enfants à charge et certains autres parents (FC1) en environ 42 jours (voir pièce 1).

[15] IRCC a finalement approuvé la demande de M. Attaran et ses parents sont arrivés au Canada en tant que résidents permanents il y a environ dix ans. M. Attaran allègue toutefois de multiples pratiques discriminatoires impliquant une discrimination systémique, au nom de tous les parrains et de leurs parents ou grands-parents, dans la catégorie du regroupement familial qui sont [Traduction] « dans une situation similaire » à celle dans laquelle il se trouvait lorsqu’il a parrainé ses parents (mémoire du plaignant aux paragraphes 3 et 5). À ce titre, il demande des réparations systémiques et personnelles pour la discrimination qu’il allègue.

[16] Il convient de noter que depuis le dépôt de sa plainte, le régime de parrainage des parents et des grands-parents a subi des changements considérables, dont certains ont été abordés par les parties au cours de la présente enquête. Par conséquent, certaines allégations concernent des politiques qui ne sont plus en vigueur et, dans certains cas, M. Attaran a parlé d’actes d’IRCC et d’effets négatifs qui ne s’appliquaient pas à sa propre demande de parrainage (partie 1 du processus de demande de parrainage) et aux demandes de résidence permanente de ses parents (partie 2 du processus de demande). Les autres allégations seront abordées dans les présents motifs, mais la plainte mettait principalement l’accent sur le délai long et disproportionné subi par la famille Attaran et d’autres personnes qui souhaitaient parrainer un parent ou un grand-parent pour immigrer au Canada à l’époque.

[17] Le temps qui s’est écoulé entre la réception de la demande de résidence permanente des parents de M. Attaran et l’approbation finale par IRCC et le fait que ce temps ait été plus long que pour les demandes de l’autre catégorie principale de la famille (FC1) au cours de la même période ne sont pas contestés.

[18] Au contraire, l’élément essentiel de la position de l’intimé est que les facteurs qui ont contribué aux délais de traitement plus longs ne découlent pas des services fournis par IRCC ou le ministre responsable. En 2019, l’intimé a obtenu une modification de son exposé des précisions afin de mettre en cause le fait que les pratiques discriminatoires alléguées se sont produites dans le cadre de la fourniture d’un « service » (2019 TCDP 12). L’intimé admet que, d’une manière générale, le traitement des demandes est un service qu’il fournit. Cependant, l’intimé insiste sur le fait que chaque aspect des pratiques de traitement qui sont alléguées comme étant discriminatoires par le plaignant et la Commission découle d’une action gouvernementale qui n’est pas un service au sens de l’article 5 de la LCDP et que, par conséquent, la plainte devrait être rejetée au stade de la preuve prima facie.

[19] Dans leur plaidoyer final, le plaignant et la Commission ont souligné qu’ils ne s’attaquaient pas aux actions du gouvernement consistant à légiférer sur la LIPR, à adopter des règlements ou à approuver les fourchettes cibles du nombre de personnes pouvant être admises comme résidents permanents chaque année. Au contraire, le plaignant et la Commission ont spécifiquement demandé au Tribunal d’évaluer si IRCC s’est livré à une pratique discriminatoire lorsqu’elle a traité la demande du plaignant de parrainer ses parents et la demande de statut de résident permanent de ses parents. Le plaignant et la Commission allèguent que les décisions discrétionnaires prises par l’intimé, les décisions discrétionnaires prises par le ministre lorsqu’il accorde des dispenses en vertu du paragraphe 25.2(1) de la LIPR et l’émission par le ministre d’instructions ministérielles en vertu de l’article 87.3 de la LIPR font partie des actes qui constituent des pratiques discriminatoires pendant le traitement des demandes.

V. CONTEXTE LÉGISLATIF

[20] Pour bien situer la plainte dans son contexte, il est nécessaire de décrire les régimes législatifs, réglementaires et politiques qui affectent les demandes de la catégorie du regroupement familial, comme celle de M. Attaran. En vertu de la LIPR, il existe trois catégories principales d’immigration : regroupement familial, immigration économique et réfugiés. Au sein de chaque grand groupe, il existe des sous-groupes d’immigrants pour lesquels les règles et les exigences d’admission au Canada sont différentes.

[21] L’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [le « règlement d’application de la LIPR ») définit les étrangers susceptibles de faire partie de la catégorie du regroupement familial et de pouvoir être parrainés pour immigrer au Canada. L’admissibilité de l’étranger dépend du lien de parenté avec le membre de leur famille, qui doit être un citoyen canadien ou un résident permanent et qui peut donc les parrainer. Bien qu’il existe plusieurs types de membres potentiels dans la catégorie du regroupement familial, la grande majorité des demandes reçues chaque année concerne deux catégories seulement : a) les FC1 (principalement les époux, les partenaires et les enfants à charge); et b) les PGP (parents et grands-parents), parfois également appelés FC4.

[22] La plainte de M. Attaran décrit le processus en deux étapes pour parrainer un membre de la catégorie du regroupement familial. Tout d’abord, le parrain potentiel au Canada doit remplir la partie 1 de la demande de parrainage à son sujet, ce qui aide l’intimé à déterminer l’admissibilité du demandeur au parrainage. Un certain nombre de facteurs sont pris en compte, notamment le niveau de revenu du demandeur et sa capacité à subvenir aux besoins du ou des membres de la famille immigrée parrainée. La deuxième partie de la procédure est la demande des membres de la famille parrainés (partie 2), qui contient des informations à leur sujet. La procédure de demande comprend également la vérification des antécédents et des résultats d’un examen médical afin de s’assurer que les exigences législatives applicables à tous les immigrants au Canada sont respectées. Pour ces raisons, les parties 1 et 2 forment ensemble la « demande » de la famille Attaran, tandis que la partie 1 peut également être désignée comme la demande de parrainage et la partie 2 comme la demande de résidence permanente.

[23] L’article 94 de la LIPR exige que le ministre responsable dépose devant le Parlement un rapport annuel sur l’application de la LIPR au cours de l’année civile précédente. En vertu de l’alinéa 94(2)b) de la LIPR, ce rapport annuel doit également inclure une description du nombre d’étrangers qui sont devenus résidents permanents et du nombre de ceux qui devraient devenir résidents permanents au Canada au cours de l’année suivante. Les parties ont décrit le plan annuel de projection des nouveaux immigrants comme le [Traduction] « plan des niveaux ». Bien que le paragraphe 94(1) stipule qu’il incombe au ministre de présenter le rapport annuel au Parlement, la manière dont le plan des niveaux est élaboré n’est pas prescrite par le régime législatif. Le caractère et l’importance des plans des niveaux sont examinés plus loin.

[24] D’une manière générale, la LIPR est une loi qui définit le cadre du régime d’immigration. Elle ne donne qu’un aperçu de la structure principale du programme. Elle aborde des questions telles que les objectifs généraux du programme d’immigration, les conditions générales d’immigration (telles que des vérifications claires des antécédents et des examens médicaux), les détails concernant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et l’application de la loi.

[25] Les détails concernant les personnes qui entrent au Canada et celles qui n’y entrent pas sont subordonnés au règlement d’application de la LIPR. Ce règlement définit les exigences détaillées pour chaque sous-catégorie d’immigration. Le régime d’évaluation des points pour les catégories économiques est décrit en détail. Les exigences relatives aux catégories du regroupement familial et des réfugiés sont également énoncées dans le règlement d’application de la LIPR.

[26] Outre la LIPR, le règlement d’application de la LIPR et les plans des niveaux, le traitement des demandes d’immigration est également affecté par les instructions ministérielles. En 2008, la LIPR a été modifiée par l’ajout de l’article 87.3, qui autorise le ministre à établir des instructions ministérielles pour atteindre les objectifs du gouvernement en matière d’immigration. Les instructions ministérielles et l’article 87 sont examinés en détail plus loin dans les présents motifs.

[27] Un autre type de mesure prise par le ministre et qui est en cause dans cette affaire est la délivrance de dispenses à tout critère ou toute obligation applicable en vertu de la LIPR pour un étranger qui est interdit de territoire ou qui ne remplit pas les conditions normales d’immigration. Le ministre est habilité à accorder des dispenses pour des raisons d’intérêt public en vertu du paragraphe 25.2(1) de la LIPR.

[28] Outre ce qui précède, le traitement des demandes d’immigration est également fondé sur les décisions sur la politique d’IRCC. Il s’agit généralement de décisions administratives d’IRCC ordonnant à ses agents de traiter les demandes d’une manière particulière.

VI. CONTEXTE HISTORIQUE DE LA PLAINTE

[29] Lorsque l’on examine les délais de traitement plus longs des PGP à l’époque de la demande de M. Attaran, il est utile de replacer cette période dans un contexte plus large. D’un point de vue historique, jusqu’à la fin des années 1980, la politique d’immigration canadienne a alterné entre des périodes d’afflux importants visant des objectifs économiques spécifiques et des périodes de quasi-fermeture de l’immigration face aux mauvaises conditions du marché du travail national. Alors que le niveau d’immigration n’était que de 83 402 en 1985, il est passé à près de 250 000 en 1993 et les niveaux d’immigration sont restés élevés depuis lors, atteignant actuellement environ 400 000 à 500 000 nouveaux immigrants par an. La notion de réduction de l’immigration en période de chômage élevé a été abandonnée dans les années 1990 au profit d’objectifs à long terme visant à maintenir un niveau élevé de nouveaux immigrants. [Voir « The Economic Goals of Canada’s Immigration Policy: Past and Present » par Alan G. Green (Université Queen’s) et David A. Green (Université de la Colombie-Britannique) présenté avec l’argument écrit final du plaignant, que j’appellerai le « mémoire » du plaignant].

[30] Ce changement historique, la décision de maintenir constamment l’immigration à un niveau élevé, qui a commencé au début des années 1990, a eu un effet important sur cette plainte et sur le traitement de toutes les demandes de parrainage de PGP. Pour pouvoir parrainer l’immigration de ses parents ou grands-parents, il faut d’abord être citoyen canadien ou résident permanent. Deuxièmement, les parents ou les grands-parents ne doivent pas déjà se trouver au Canada en tant que résidents permanents ou citoyens. Par conséquent, le groupe de parrains potentiels est principalement composé de nouveaux immigrants au Canada. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, la taille de ce groupe a considérablement augmenté, tout comme la demande de parrainage de PGP.

[31] Au cours de l’audience, M. Attaran a remis un document à M. Glen Tetford, le témoin de l’intimé responsable du traitement des demandes de parrainage en vertu de la partie 1 au Centre de traitement des demandes d’IRCC à Mississauga, en Ontario (CTD‑Mississauga ou CTD-M). M. Tetford a confirmé l’apparente véracité de ce document, qui a été admis comme pièce 84. Il s’agit d’un document d’IRCC intitulé « PGP Diagnostique » de 2017, qui décrit l’historique suivant de la réception par IRCC des demandes de parrainage de PGP :

[Traduction]

Jusqu’au début des années 2000, le ministère a été en mesure de suivre le rythme de réception des demandes, en traitant les demandes de PGP avec un retard minime. Il n’y avait pas de limite numérique au nombre de demandes et le traitement suivait largement le rythme des demandes, bien que dans certains cas, les demandes de résidence permanente des PGP aient été traitées dans des délais légèrement plus longs que celles des conjoints et partenaires.

Toutefois, en 2001, il est devenu évident que le nombre de demandes de PGP reçues commençait à dépasser la capacité du ministère à traiter ces demandes, ce qui entraînait des arriérés de réserve et des temps d’attente de plus en plus longs [...]

La demande accrue à l’égard de l’ensemble du programme et la réponse du ministère sous la forme d’une gestion délibérée et stratégique des niveaux ont eu pour effet de limiter le nombre de dossiers de PGP à traiter chaque année. Pour la première fois, en 2002, il y a eu un arriéré de dossiers de PGP et, en l’espace de quelques mois, les délais de traitement des PGP se sont considérablement allongés. En 2003, le nombre de demandes de parrainage pour les PGP a atteint 50 000, tandis que le nombre de plans des niveaux et d’atterrissages avoisinait les 20 000. En raison d’un nombre de demandes bien supérieur aux objectifs fixés, les réserves ont continué à augmenter jusqu’en 2011, date à laquelle elles ont atteint plus de 168 000 demandeurs de PGP et des temps d’attente prévus de 6 à 11 ans pour ceux qui sont dans la file d’attente.

[32] En 2002, le gouvernement a mis en œuvre une révision majeure de son cadre d’immigration avec l’introduction d’une nouvelle loi sur l’immigration, l’IRPA, puis du règlement d’application de l’IRPA.

[33] Dans une déclaration sous serment de 2006 présentée par M. Attaran (pièce 16), un cadre supérieur de l’intimé, David Manicom, déclare aux paragraphes 28 et 29 :

[Traduction]

28. À ma connaissance, au cours des années précédant 2001, il n’y a eu que peu ou pas de différence entre les « fourchettes cibles » définies dans les rapports annuels au Parlement et le nombre réel de demandes de parrainage de visas d’immigrant émanant de membres de la catégorie du regroupement familial.

29. Il n’y a pas eu d’accumulation significative de cas en réserve parce que le nombre de parents et de grands-parents présentant une demande d’immigration parrainée correspondait environ au nombre de parents et de grands-parents que le Canada souhaitait admettre sur son territoire chaque année.

[34] En 2009, lorsque M. Attaran a demandé à parrainer ses parents, la limite supérieure de la fourchette prévue dans le plan des niveaux pour le nombre de PGP à admettre en tant que résidents permanents cette année-là était de 19 000. Cependant, en 2009, il y avait 95 597 demandes en attente dans la réserve pour la catégorie des PGP. Afin de ne pas dépasser les objectifs du plan des niveaux chaque année, l’intimé a expliqué qu’il ne traitait qu’un nombre limité de ces demandes dans la file d’attente de la réserve.

VII. L’EXPÉRIENCE DE M. ATTARAN ET SES PARENTS

[35] M. Tetford a examiné les pièces 2, 3 et 82 relatives à la demande du plaignant. M. Tetford a confirmé que la demande de parrainage en vertu de la partie 1 avait été reçue par le CTD-Mississauga le 14 juillet 2009. Il a également expliqué une lettre de l’intimé à la page 52 de la pièce 3. Cette lettre d’IRCC à M. Attaran est datée du 30 mars 2012. La lettre indique ce qui suit : [Traduction] « Nous sommes maintenant prêts à commencer le traitement de votre demande de parrainage et nous avons besoin d’informations supplémentaires ». La lettre contient une liste de contrôle des documents requis et demande au répondant de les renvoyer dans un délai de 90 jours.

[36] M. Tetford a expliqué que cette lettre indique que la demande de M. Attaran, soumise en juillet 2009, était en cours de traitement en mars 2012, soit 32 mois plus tard. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il était advenu de la demande de parrainage de M. Attaran entre juillet 2009 et mai 2012, M. Tetford a répondu qu’elle était essentiellement restée [Traduction] « dormante sur une tablette » à attendre son tour d’être traitée (examen en chef de M. Tetford le 8 février 2021).

[37] Selon la preuve présentée à la pièce 3, les documents supplémentaires demandés dans la lettre du 30 mars 2012 ont été reçus par le CTD-M le 9 mai 2012. M. Tetford a examiné d’autres parties du dossier et a confirmé qu’après que M. Attaran a fourni les documents à jour, la demande de parrainage en vertu de la partie 1 a été approuvée le 28 mai 2012, soit 19 jours seulement après la réception des documents demandés. L’ensemble de la demande a été finalisé le 13 décembre 2012, lorsque les visas de résident permanent ont été délivrés aux parents de M. Attaran.

[38] Il est évident que, sur le temps total écoulé entre le moment où IRCC a reçu la demande de parrainage de M. Attaran et celui où les visas de résidence permanente de ses parents ont été délivrés, la demande a passé la majeure partie de son temps dans la file d’attente de l’arriéré. Le temps de traitement actif a été relativement court. Après que la demande a été [Traduction] « retirée de la tablette » en mars 2012, le temps de traitement total d’IRCC pour le regroupement familial des Attaran a été inférieur à neuf mois.

[39] Le plaignant et son père, M. Kazem Attaran, ont tous deux témoigné devant le Tribunal de leur expérience et des difficultés causées par la longue attente pour le traitement de la demande.

[40] Le plaignant a souligné à quel point il était important pour ses enfants d’avoir une relation étroite avec leurs grands-parents. Il a déclaré être né et avoir grandi en Californie. Cependant, comme ses parents avaient immigré d’Iran aux États-Unis, il n’avait pas beaucoup de relations avec ses propres grands-parents qui étaient restés en Iran. Le plaignant a également déclaré que lorsqu’il a demandé de parrainer ses parents, sa femme et lui prévoyaient avoir des enfants. Il espérait que ses parents pourraient être au Canada en tant que résidents permanents pour l’aider lui et sa femme lorsque les enfants arriveraient. Il a déclaré que lorsque son premier enfant est né en 2012, ses parents se sont occupés de la garde des enfants, ont cuisiné pour la famille et les ont aidés, lui et son épouse, à poursuivre leur carrière.

[41] Le plaignant a également déclaré que jusqu’à ce que ses parents deviennent résidents permanents au début de l’année 2013, il ne leur était pas possible d’obtenir une couverture médicale provinciale ou d’accéder aux services bancaires et autres services canadiens. Après avoir obtenu la résidence permanente, ses parents ont acheté une maison à environ un pâté de maisons de la sienne à Ottawa. Une fois qu’ils sont devenus résidents permanents, M. Attaran a déclaré que ses parents ne craignaient plus de se voir refuser l’entrée au Canada et qu’ils pouvaient commencer à vivre la vie qu’ils souhaitaient au Canada.

[42] M. Kazem Attaran a déclaré que son fils, le plaignant, était leur seul enfant. Avant de devenir résident permanent, M. Kazem Attaran rendait habituellement visite à son fils et à sa famille pendant deux à trois semaines au maximum. Après avoir obtenu la résidence permanente, ils ont acheté une maison à Ottawa et (avant la pandémie de 2020) y sont restés entre 1,5 et 2 mois chaque fois qu’ils sont venus au Canada. Lors du contre-interrogatoire, le père du plaignant a déclaré que lui et sa femme ont passé environ 50 % de leur temps au Canada entre 2013 et 2020. Il a expliqué qu’il possédait trois propriétés en Californie, dont sa résidence principale située sur un terrain de deux acres. Si elle reste inoccupée pendant plus de 30 jours, il a un problème avec l’assurance. Il a également déclaré que sa femme et lui bénéficiaient d’une couverture médicale en Californie, où il perçoit une pension en tant que fonctionnaire retraité. M. Kazem Attaran a également déclaré qu’il n’avait jamais eu de problèmes pour entrer au Canada en tant que visiteur avant d’obtenir son statut de résident permanent.

VIII. TERMINOLOGIE

[43] Tout au long de l’audience et dans les observations écrites, les parties ont utilisé une certaine terminologie pour décrire le processus et les facteurs qui ont donné lieu à cette plainte. Malheureusement, cette terminologie n’était pas toujours cohérente, ce qui a entraîné une certaine confusion. Il est important de distinguer les différentes parties de la procédure de demande, de la réception par IRCC à la décision finale, et d’utiliser une terminologie cohérente pour cela, afin de mettre en évidence les pratiques discriminatoires présumées. Pour éclairer les présents motifs, je précise ci-dessous la signification de la terminologie utilisée.

[44] La réserve correspond au nombre de demandes non tranchées en la possession d’IRCC à tout moment. M. Tetford a expliqué que pour atteindre les objectifs de traitement pour chaque sous-catégorie de types d’immigrants dans le plan des niveaux, il faut qu’il y ait une certaine [Traduction] « réserve » de demandes en attente dans chaque sous-catégorie à partir de laquelle IRCC peut puiser pour tenter d’atteindre les objectifs de traitement. Le fait de ne pas disposer d’un nombre suffisant de demandes en attente dans la réserve constituerait un problème pour atteindre les objectifs.

[45] L’arriéré désigne le nombre de demandes en la possession d’IRCC qui dépasse ce qui serait raisonnablement nécessaire pour qu’IRCC atteigne ses objectifs de traitement dans cette catégorie au cours d’une année donnée. M. Tetford a témoigné que le fait d’avoir trop de demandes en attente dans la réserve entraînerait des arriérés, car IRCC visait généralement à ne pas dépasser la fourchette supérieure des objectifs fixés dans le plan des niveaux.

[46] Le délai de traitement correspond à la durée globale d’attente d’un demandeur, à partir du moment où la demande est reçue par IRCC jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise. Le témoin de l’intimé, M. Simon Cardinal, a déclaré qu’IRCC désigne le « délai de traitement » comme la combinaison des délais d’attente de l’arriéré et des délais d’attente de l’examen de la demande. (Examen direct de Simon Cardinal le 20 septembre 2021 à 02:19:50, mémoire de l’intimé, par. 119.)

[47] Le temps d’attente de l’arriéré désigne la période qui s’étend de la réception d’une demande par un centre de traitement des demandes, et qui compte le temps passé en attente, jusqu’à la prise en charge du dossier par un agent d’IRCC.

[48] Le temps d’attente pour lexamen de la demande correspond au temps qu’un agent d’IRCC consacre à l’examen de la demande en vue d’une décision finale.

IX. TÉMOINS

[49] Le plaignant et l’intimé ont appelé des témoins à l’audience. La Commission et le CSALC n’ont cité aucun témoin.

[50] Le plaignant a témoigné à l’audience, comparaissant en son nom propre. Son interrogatoire principal a été mené par l’avocat de la CCDP. M. Attaran s’exprime très bien et a répondu franchement à la plupart des questions. Il s’est montré réticent à donner des indications sur le temps que ses parents ont passé au Canada depuis qu’ils sont devenus résidents permanents en 2013. Il a offert de faire le suivi de cette information s’il pouvait trouver les demandes de renouvellement des cartes de résidence permanente de ses parents, mais si l’information a été fournie à l’intimé, elle n’a pas été présentée au Tribunal. Le contre-interrogatoire du plaignant par l’intimé a duré moins de 10 minutes.

[51] Le deuxième témoin du plaignant était son père, M. Kazem Attaran. M. Kazem s’est également exprimé très clairement et a répondu aux questions de manière franche et détaillée.

[52] Le dernier témoin du plaignant était la professeure Susan Chuang, qui a comparu devant le Tribunal en tant que témoin expert. Mme Chuang est professeure agrégée au département des relations familiales et de la nutrition appliquée de l’Université de Guelph. Mme Chuang a été reconnue en tant qu’experte en développement humain et en études familiales, et a mené des recherches portant sur l’immigration et l’établissement dans le contexte socioculturel diversifié du Canada. Elle a préparé un rapport de 21 pages daté du 11 septembre 2019 pour le Tribunal. Le professeur Chuang a de l’expérience à titre de témoin expert. La qualification de la professeure Chuang en tant qu’experte et la remise de son rapport d’expertise, dont les contre-interrogatoires, ont été réalisées au cours d’une journée d’audience.

[53] L’intimé a appelé à la barre trois témoins profanes et un témoin expert.

[54] Le premier témoin de l’intimé est M. Glen Tetford, directeur adjoint du bureau des affaires humanitaires et de la migration d’IRCC à Mississauga (CTD-Mississauga). Il a été appelé à témoigner du point de vue des opérations. De 2009 à 2017, M. Tetford a occupé divers postes au CTD-Mississauga liés au traitement des demandes de parrainage de la catégorie du regroupement familial. Son témoignage a été très utile au Tribunal pour établir le contexte dans lequel la demande du plaignant a été traitée par l’intimé.

[55] Le deuxième témoin de l’intimé a été appelé à témoigner sur la politique d’IRCC. M. Glen Bornais travaille pour l’intimé depuis 2006. Au moment de sa déposition, il était conseiller principal du directeur général de la Direction générale de la politique et de la planification stratégiques de l’intimé. Jusqu’en 2018, il a été analyste principal puis directeur adjoint au sein de cette même direction. Ses principales fonctions consistaient à assister la direction générale dans l’exercice annuel des niveaux afin de préparer des recommandations à soumettre au Cabinet pour examen, ainsi qu’à s’occuper des stratégies d’élimination de l’arriéré.

[56] M. Attaran soutient que M. Bornais n’était pas un témoin crédible et recommande fortement au Tribunal de ne pas se fier à son témoignage. M. Bornais a témoigné à cette audience pendant trois jours et demi et a été contre-interrogé par M. Attaran pendant un jour et demi. M. Attaran a terminé son contre-interrogatoire de M. Bornais, qui devait ensuite être contre-interrogé par la Commission lors de la reprise de l’audience une semaine plus tard. (M. Attaran s’est réservé le droit de rappeler M. Bornais pour le contre-interrogatoire, car son témoignage faisait référence à certains documents qui n’avaient pas été communiqués. M. Attaran a par la suite déposé une requête écrite demandant la communication de ces documents).

[57] Toutefois, avant la reprise de l’audience, les avocats de l’intimé ont informé le Tribunal que M. Bornais avait un problème de santé qui l’empêcherait de retourner à la barre des témoins à n’importe quel moment de l’instance.

[58] Le plaignant et la Commission ont tous deux exprimé leur inquiétude quant au fait d’excuser un témoin important lorsque son témoignage est incomplet. J’ai demandé aux avocats de l’intimé de présenter une lettre médicale confirmant l’état de santé du témoin et son incapacité à revenir à la barre à tout moment. J’ai assuré aux avocats de l’intimé que la lettre serait soumise à une ordonnance de confidentialité. Lorsque la première lettre médicale a été soumise, M. Attaran et la Commission se sont inquiétés du fait qu’elle était inadéquate, rédigée par un médecin qui ne reconnaissait pas avoir une bonne connaissance de l’état de santé du patient, et qu’elle ne fournissait aucun diagnostic clinique d’une quelconque maladie. J’ai souscrit à leurs préoccupations et j’ai demandé par écrit aux avocats de l’intimé de fournir une lettre médicale plus complète afin de répondre aux préoccupations des autres parties.

[59] La seconde lettre était modérément meilleure que la première, bien qu’elle ait été rédigée par le même médecin d’une clinique d’Ottawa. Au paragraphe 205 de son mémoire, M. Attaran allègue que la deuxième lettre porte plusieurs marques de falsification possible. Il affirme que le refus de l’intimé de faire témoigner ce médecin est suspect. M. Attaran fait observer dans son mémoire en réponse (paragraphes 31 à 35) que l’intimé a choisi de ne déposer aucune preuve susceptible d’authentifier la lettre du médecin. En outre, M. Attaran note que, en vertu de l’article 31.1 de la Loi sur la preuve au Canada sur les documents sous forme électronique (la lettre du médecin est un fichier PDF), il incombe à l’intimé de prouver l’authenticité. Lorsqu’il n’y a pas d’apparence d’inauthenticité, l’authenticité est simplement présumée et n’est pas contestée. Lorsque l’authenticité est contestée, M. Attaran affirme qu’une preuve doit être apportée pour établir que le document est ce qu’il prétend être.

[60] M. Attaran conclut que le Tribunal doit tirer une conclusion défavorable du fait que l’intimé n’a pas déposé de preuve de maladie (au paragraphe 214 de son mémoire).

[61] M. Attaran attaque également la crédibilité de M. Bornais sur la base de la manière dont il a répondu aux questions lors du contre-interrogatoire. Il y a eu de nombreuses et longues pauses après que les questions ont été posées et M. Attaran a décrit le témoin comme étant évasif (au paragraphe 207 du mémoire du plaignant).

[62] L’intimé explique que les longues pauses de son témoin sont attribuables aux [Traduction] « questions répréhensibles relatives aux confidences du Cabinet » (au paragraphe 50 du mémoire de l’intimé). Il qualifie également de non fondée l’allégation de falsification (paragraphe 54 du mémoire de l’intimé). L’intimé affirme que l’attaque contre la crédibilité de M. Bornais est à la fois inutile et injustifiée. Il fait également observer que toutes les parties se sont appuyées dans leurs arguments finaux sur le témoignage de M. Bornais et sur les pièces dont il a parlé.

[63] Il est regrettable que M. Bornais n’ait pas pu terminer son témoignage. L’allégation de falsification est intervenue tardivement dans la procédure et l’intimé n’a fait que répondre à l’allégation comme étant sans fondement. Si l’allégation de falsification avait été formulée plus tôt au cours de l’audience, des preuves corroborantes auraient peut-être pu être présentées. Je ne vais donc pas spéculer sur le fait que l’absence de M. Bornais à la barre des témoins était due à autre chose qu’à ce qui a été présenté. Cependant, je suis d’accord avec M. Attaran pour dire que M. Bornais n’a pas été un témoin spontané et franc lors du contre-interrogatoire. Il y a eu de nombreuses et longues pauses silencieuses, même après que j’ai essayé de l’aider en reformulant certaines questions litigieuses qui lui ont été posées.

[64] Bien que les circonstances du témoignage de M. Bornais aient été loin d’être idéales, il a fourni un témoignage précieux sur lequel toutes les parties se sont appuyées. Sa réticence au cours de certaines parties de son contre-interrogatoire concernait la création du plan des niveaux par le Cabinet et ce qui s’est passé au cours de ce processus. Cependant, je n’ai pas trouvé de raison de douter de la véracité des preuves fournies par M. Bornais. Je pense qu’il a été sincère lorsqu’il a répondu aux questions. Il a déclaré que sa réticence était liée à ce qu’il considérait comme ses obligations de confidentialité concernant le privilège du Cabinet.

[65] Le dernier témoin profane de la partie défenderesse était M. Simon Cardinal. M. Cardinal a travaillé pour IRCC pendant 13 ans. Son témoignage s’appuie principalement sur son expérience en tant que directeur de la Direction générale de la planification et du rendement des opérations, qui, selon lui, a joué un rôle dans la réalisation des objectifs fixés dans le plan des niveaux. M. Cardinal a été à la barre des témoins pendant cinq des jours d’audience, dont quatre jours de contre-interrogatoire. M. Cardinal a généralement été un témoin utile, mais il a parfois hésité à répondre à des questions qui, selon lui, pouvaient entrer en conflit avec ses obligations professionnelles.

[66] En réponse au témoin expert du plaignant, l’intimé a commandé son propre rapport d’expert, rédigé par le professeur Michael Haan, professeur agrégé à la faculté de sociologie de l’Université Western Ontario. M. Haan était titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la migration et les relations ethniques et de la Chaire de recherche du Canada sur la population et la politique sociale. Lors de l’audience, le professeur Haan a été qualifié d’expert dans les domaines de l’immigration, de la démographie, des marchés du travail canadiens, du développement des données, de l’infrastructure des données et des choix résidentiels des nouveaux arrivants au Canada.

[67] M. Attaran et la Commission ont vigoureusement contesté les qualifications du professeur Haan en tant qu’expert et se sont opposés à l’introduction de son rapport. En conséquence, il a été contre-interrogé sur son expertise pendant la majeure partie de deux jours d’audience. Un après-midi entier a été consacré à la question de savoir si le Tribunal devait ou non accepter le professeur Haan en tant qu’expert. M. Attaran et la Commission ont tous deux soutenu que je devrais suivre les tests décrits dans l’affaire White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co. (2015 CSC 23) (White Burgess). Ils ont fait valoir que le professeur Haan ne devrait pas être accepté comme témoin expert pour plusieurs raisons. Ils ont également fait valoir que les quatre principes énoncés dans l’arrêt R. c. Mohan, (1994 2 SCR 9 (Mohan), à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et qualification suffisante de l’expert, devraient être appliqués.

[68] Les tests de Mohan et de White Burgess avaient été rigoureusement appliqués dans une décision précédente rendue par un autre membre de ce Tribunal dans l’affaire Christoforou c. John Grant Haulage Ltd. (2016 TCDP 14) (Christoforou.) Dans cette affaire, membre Bryan a fait une application stricte de ces tests dans sa décision sur requête et le rapport et le témoignage de l’expert de l’intimé ont été exclus. M. Attaran et la Commission ont longuement argumenté que je devrais suivre la décision sur Christoforou en faisant une application stricte des tests de Mohan et de White Burgess. Selon eux, le professeur Haan n’était pas suffisamment qualifié pour aborder le large éventail de sujets abordés dans son rapport d’expert, qui était en leur possession depuis plus d’un an au moment où il a témoigné. M. Attaran a qualifié le professeur Haan de [Traduction] « couteau suisse des experts », car, selon lui, le rapport d’expertise du professeur Haan traitait de sujets dont il n’était pas vraiment expert.

[69] Dans ses observations, l’avocat de l’intimé, Me Stynes, a fait remarquer que dans la décision sur requête Christoforou, l’avocat principal de longue date de la Commission, Daniel Poulin, avait soutenu exactement le contraire. En tant que partie représentant l’intérêt public, Maître Poulin a pris la position que le Tribunal devrait être plus libéral dans son approche, en utilisant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 50(3)(c) pour accepter la preuve. Certains de ses arguments ont été notés dans les paragraphes suivants de Christoforou :

[34] La Commission a soutenu par ailleurs :

[Traduction]

Rejeter le ou les rapports, comme le demande le plaignant, imposerait de strictes obligations aux parties qui comparaîtraient plus tard devant le Tribunal et sur-judiciariserait le processus suivi devant ce dernier. En fin de compte, cette mesure serait incompatible avec la souplesse que doivent comporter les procédures du Tribunal et elle créerait ultérieurement des obstacles pour les plaignants non représentés.

[41] Aux dires de la Commission, on ne peut pas accueillir la requête du plaignant sans permettre au juge des faits de soupeser les éléments de preuve que fourniront les témoins, et elle cite à cet effet la décision SSEFPN. Comme elle l’indique : [traduction] « les Règles ne contiennent pas de disposition portant sur l’exclusion d’un rapport d’expert, et le Tribunal se doit de prendre garde de ne pas recourir à une mesure extraordinaire, comme radier une large tranche de la preuve d’une partie ».

[70] À la lumière de ces observations dans l’affaire Christoforou et du devoir d’intérêt public d’aider le Tribunal, M. Stynes a déclaré qu’il trouvait [traduction] « inconcevable » que la Commission adopte une position complètement opposée dans cette affaire. (enregistrement de l’audience à 01:57 le 28 avril 2021)

[71] Après avoir autorisé de longues plaidoiries sur la recevabilité du professeur Haan et de son rapport d’expertise, j’ai pris ma décision à la fin de la journée d’audience. Le matin du 29 avril 2021, j’ai rendu ma décision et j’ai indiqué que je fournirais des motifs plus complets dans la présente décision sur le fond.

[72] J’ai informé oralement les parties que j’accepterais le professeur Haan et son rapport en vertu du large pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’alinéa 50(3)c) de la LCDP, qui est libellé comme suit :

50 (3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir :

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire;

[73] Je suis davantage convaincu par l’argument de la Commission dans l’affaire Christoforou selon lequel le Tribunal doit rester flexible et ne pas judiciariser excessivement la procédure, en particulier compte tenu du nombre de plaignants non représentés qui comparaissent devant lui.

[74] Les décisions sur requête d’un membre du Tribunal ne sont pas contraignantes pour les affaires ultérieures devant le TCDP. À mon avis, la décision sur la requête de Christoforou était un cas particulier. En revanche, le Tribunal a généralement tendance à admettre des éléments de preuve en vertu du large pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 50(3)c).

[75] J’ai informé oralement le plaignant et la Commission que leurs arguments étaient bien notés et qu’ils auraient l’occasion de contester ultérieurement le poids et la pertinence du rapport.

[76] Le professeur Haan a été contre-interrogé pendant huit jours d’audience. Les questions de M. Attaran ont mis en lumière un certain nombre de lacunes dans le rapport d’expertise, qui ont été bien notées. En fin de compte, cependant, il y a peu d’éléments dans le rapport du professeur Haan, ou dans son témoignage, sur lesquels je m’appuie dans la présente décision sur le fond.

X. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[77] Les parties ont soulevé deux questions importantes qu’il convient d’aborder en premier lieu. L’intimé soutient que la plainte est théorique. Le plaignant fait valoir que la Cour d’appel fédérale a tiré des conclusions dans l’affaire Attaran c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 37 (Attaran-CAF) sur les éléments du test prima facie qui lient le Tribunal dans le cadre de la présente enquête.

A. LA PLAINTE EST-ELLE THÉORIQUE ?

[78] L’intimé soutient que cette plainte est théorique et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de l’entendre. Selon lui, il n’y a pas de controverse vivante entre les parties puisque la plainte concerne des événements qui se sont produits entre 2009 et 2012. Les parents de M. Attaran sont des résidents permanents du Canada depuis 2013 et, par conséquent, M. Attaran n’a plus d’intérêt personnel dans le parrainage du PGP. En outre, depuis que M. Attaran a présenté sa demande, des changements radicaux ont été apportés au programme du PGP et les longs retards qui l’ont affecté, lui et sa famille, n’existent plus.

[79] Le plaignant fait valoir que la plainte n’est pas théorique. Il cite la décision sur la Cour fédérale dans sa demande de contrôle judiciaire (2013 CF 1132) qui a conclu que la plainte n’était pas théorique (au paragraphe 47) en raison des allégations de discrimination systémique et du fait que les délais de traitement demeuraient élevés à l’époque. M. Attaran soutient en outre que la Cour d’appel fédérale n’aurait pas rendu de décision en sa faveur si la plainte était effectivement théorique. Selon lui, cette question a déjà été tranchée par la Cour fédérale, elle est revêtue de l’autorité de la chose jugée (res judicata) et ne peut faire l’objet d’un nouveau litige.

[80] La Commission soutient que la plainte n’est pas théorique. Elle soutient que le Tribunal devrait procéder à la détermination de la responsabilité et accorder les réparations appropriées s’il est établi qu’il y a eu violation de la LCDP. Elle affirme qu’il existe des preuves de discrimination systémique et que la plainte vise à réparer les transgressions passées de M. Attaran et d’autres personnes comme lui.

[81] L’intimé cite l’arrêt Borowski c. Canada (1989 1 RCS 342) de la Cour suprême du Canada et suggère que l’analyse du caractère théorique du litige devrait se dérouler en deux étapes. La première question est de savoir s’il subsiste une controverse réelle qui affecte ou peut affecter les droits des parties. Une décision qui n’aura aucun effet pratique sur les parties est théorique. Si la procédure est théorique, une deuxième question se pose : le tribunal doit-il néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour l’entendre et la trancher? La Cour suprême met en garde contre l’audition de décisions qui pourraient être théoriques. L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit tenir compte de la persistance d’un litige entre les parties, des principes d’économie judiciaire et de la question de savoir si l’examen d’un argument théorique conduira à un précédent inutile, impliquant un abandon du rôle juridictionnel au profit du domaine législatif.

[82] Il n’y a pas de controverse vivante concernant la finalisation du parrainage de M. Attaran (partie 1) ou la demande d’immigration de ses parents (partie 2). La plainte n’a jamais porté sur la question de savoir si ses parents obtiendraient la résidence permanente, mais plutôt sur le temps qu’il a fallu pour traiter les demandes. Ses parents ont obtenu le statut de résident permanent bien avant que sa plainte ne soit soumise à ce Tribunal. La question est de savoir si M. Attaran et ses parents ont été victimes d’une discrimination interdite en vertu de la LCDP, y compris si sa plainte établit une discrimination systémique et, dans l’affirmative, quelles sont les réparations appropriées.

[83] La LCDP est une loi du Parlement qui vise à rétablir les victimes de discrimination dans la situation où elles se trouveraient s’il n’y avait pas eu de discrimination. Les pouvoirs de réparation accordés au Tribunal en vertu de la LCDP sont vastes, y compris la possibilité d’ordonner la mise à disposition des droits, des opportunités ou des privilèges qui ont été refusés, et l’indemnisation de certaines dépenses. En outre, de manière tout à fait symbolique, les victimes peuvent se voir accorder des dommages-intérêts pour la douleur et la souffrance causées par le comportement discriminatoire. En outre, le paragraphe 53(3) autorise l’octroi de dommages-intérêts spéciaux dans les cas où le comportement fautif de l’intimé a été jugé imprudent ou délibéré.

[84] La plainte déposée devant le Tribunal porte sur la manière dont M. Attaran et ses parents ont été traités, ainsi que sur la manière dont des candidats similaires de la catégorie PGP ont été traités, et non sur le résultat final de ces demandes. Il a toujours été possible que la différence de traitement préjudiciable alléguée puisse conduire à une conclusion de responsabilité qui pourrait impliquer à juste titre des recours individuels et/ou d’intérêt public. La plainte n’est pas théorique.

B. LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE A-T-ELLE TIRÉ DES CONCLUSIONS DANS L’AFFAIRE ATTARAN-FCA SUR LES ÉLÉMENTS DU TEST PRIMA FACIE QUI LIENT LE TRIBUNAL DANS CETTE ENQUÊTE?

[85] M. Attaran affirme que plusieurs questions ont déjà été tranchées par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale (CAF) dans sa demande de contrôle judiciaire. En plus du point sur le caractère théorique précité, M. Attaran affirme que le fait que l’intimé ait procédé à une différence de traitement défavorable fondée sur la situation de famille a l'autorité de la chose jugée (res judicata) dans l’affaire Attaran-CAF. Selon lui, les mains du Tribunal sont liées par ces conclusions et le Tribunal commettrait une erreur de droit s’il en décidait autrement (par. 10 à 12 du mémoire du plaignant).

[86] Comme mentionné ci-dessus, la Commission a initialement rejeté la plainte de M. Attaran en juillet 2011, car elle estimait qu’une enquête du Tribunal n’était pas justifiée. Lorsque la demande de contrôle judiciaire de M. Attaran a été rejetée par la Cour fédérale, il en a fait appel auprès de la CAF. Dans l’affaire Attaran-CAF, la CAF s’est prononcée à deux contre un en sa faveur, les juges Webb et Stratas s’étant ralliés au résultat pour dire que la décision sur le fond de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal était déraisonnable. En arrivant à cette conclusion, les juges Webb et Stratas ont fait des commentaires sur l’interprétation de la plainte par la Commission.

[87] Le juge Webb a rédigé les motifs de l’arrêt de la majorité, après avoir observé, lors de l’audience de l’appel, que les deux parties s’étaient concentrées sur la question de savoir si la différence de traitement était justifiée de bonne foi :

[8] La juge de la Cour fédérale a conclu que le fondement de la décision de la CCDP de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal reposait sur la question de l’existence d’un motif justifiable à l’acte de CIC. Bien que les deux parties, en présentant leurs observations dans le présent appel, soient parties de l’hypothèse que la CCDP avait bien fondé sa décision sur cette question, il est loin d’être clair qu’il en a vraiment été ainsi, tel qu’on le verra plus loin. (ibid. paragraphe 8)

[88] Au paragraphe 31 de ses motifs, le juge Webb revient sur la décision sur le fond de la CCDP :

[31] Alors qu’elle déclare que [traduction] « [CIC] ne semble pas avoir réservé au plaignant un traitement différent et préjudiciable fondé sur l’âge », la CCDP ne fait aucune allusion à la question de savoir si CIC a accordé au plaignant un traitement différent fondé sur la situation de famille. La CCDP fait aussi état d’une explication raisonnable pour le traitement différent des demandes de parrainage touchant les parents et les grandsparents, mais elle ne mentionne dans sa lettre ni la question du motif justifiable ni celle des contraintes excessives.

[89] Au paragraphe 19 de la décision, le juge Webb déclare que la Commission a implicitement accepté que la question de savoir si une personne est un parent établisse le motif de la situation familiale :

[19] La situation de famille figure parmi les motifs de distinction illicite énoncés à l’article 3 de la LCDP. La CCDP a implicitement admis qu’un traitement différencié en fonction du fait qu’une personne est soit un parent, soit un époux (ou un enfant), serait une différence de traitement fondée sur la situation de famille. Le Procureur général n’a aucunement mis en question cette interprétation de la notion de situation de famille.

[90] Le juge Webb a noté que la Commission semblait accepter l’existence d’une pratique discriminatoire et semblait avoir conclu que le pouvoir discrétionnaire du ministre constituait une justification. Cependant, en vertu de la LCDP, si une pratique discriminatoire est constatée, les justifications possibles se limitent aux moyens de défense prévus par la loi. Le juge Webb a souligné que le pouvoir discrétionnaire du ministre n’est pas une justification légale en vertu de la LCDP au paragraphe 35 :

[35] En mentionnant dans sa décision que l’explication donnée est [traduction] « raisonnable et ne relève pas du prétexte », la CCDP laisse supposer que cette explication permettrait de conclure que CIC n’a pas commis d’acte discriminatoire au sens des articles 5 à 14.1 de la LCDP. Dans la partie de sa décision qu’on a reproduite, la CCDP semble toutefois reconnaître que l’acte est discriminatoire, quoique justifié par l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel. Cependant, le pouvoir discrétionnaire ministériel n’est pas l’une des exceptions reconnues dans la LCDP. Puisqu’il faut démontrer l’existence d’une contrainte excessive « en matière de coûts, de santé et de sécurité » (paragraphe 15(2) de la LCDP), l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel, à lui seul, ne permettrait pas de conclure que CIC subirait une contrainte excessive s’il lui fallait traiter plus rapidement les demandes de parrainage touchant les parents.

[91] Dans ses motifs concordants au paragraphe 52(1), le juge Stratas donne différentes raisons de juger déraisonnable la décision sur le fond de la Commission. Le juge Stratas examine l’affirmation de CIC selon laquelle ses ressources étaient limitées et devaient donc être réparties en fonction des différents niveaux de dépendance des deux groupes de membres de la famille à l’égard de leurs répondants canadiens. Non seulement il considère qu’il s’agit d’une déclaration générale fondée sur des stéréotypes, mais le juge Stratas estime que l’explication souligne que, dans ce cas, « CIC a établi des distinctions fondées sur la situation de famille ».

[92] L’avocat de l’intimé n’est pas d’accord avec l’argument selon lequel ces déclarations dans l’affaire Attaran-CAF lient cette formation dans la présente décision sur la question de savoir si certains ou tous les éléments du critère prima facie ont été établis. Bien que les décisions de la CAF soient généralement contraignantes pour le Tribunal, dans l’affaire Attaran-CAF, la CAF exerçait un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de rejeter la plainte et de ne pas la renvoyer devant le Tribunal. Dans ce contexte, les déclarations de la CAF relatives aux éléments du test prima facie ne lient pas le Tribunal.

[93] Je suis d’accord avec l’intimé sur ce point. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la CAF a évalué le caractère raisonnable de la décision sur le fond de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal. Selon le régime de la LCDP, la Commission ne décide pas du bien-fondé d’une plainte. C’est le rôle du Tribunal.

[94] La Cour suprême du Canada a décrit la nature de la décision sur le fond d’une Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse de renvoyer une plainte au Tribunal dans l’affaire Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission) (2012 CSC 10) (Halifax) au para. 19 :

[…] Lorsqu’elle décide de confier l’examen d’une plainte à une commission d’enquête, la Commission ne conclut pas que la plainte tombe sous le coup de la Loi. Suivant le régime législatif, la Commission est plutôt appelée à exercer des fonctions d’examen préalable et d’administration. Elle peut notamment renvoyer la plainte à une commission d’enquête pour que cette dernière tranche une question de compétence.

[95] Cela est conforme à la structure de la procédure de plainte en vertu de la LCDP et au fait que le Tribunal entend la preuve des témoins et enregistre les pièces documentaires. Le Tribunal tire des conclusions de fait, détermine la crédibilité et décide en fin de compte du bien-fondé de la plainte sur la base du dossier dont il dispose. La Commission ne fait rien de tout cela.

[96] Il serait contraire au régime de la LCDP et préjudiciable aux parties de considérer que la décision de renvoi (et tout examen de cette décision) peut lier ou autrement entraver le pouvoir discrétionnaire du Tribunal de trancher sur le bien-fondé de la plainte. Le dossier présenté au Tribunal n’est pas le même que celui présenté à la Commission, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[97] En outre, certaines questions importantes soulevées devant cette formation n’ont pas été abordées par la Cour fédérale ou la CAF. La question la plus notable est celle de savoir si la plainte concerne un service.

[98] Pour les raisons qui précèdent, je considère que les conclusions du contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et les commentaires de la CAF sur les éléments du test prima facie, dont M. Attaran affirme qu’ils lient le Tribunal, ne lient pas le Tribunal maintenant qu’il examine le bien-fondé de la plainte.

XI. LÉGISLATION SUR LA DISCRIMINATION ET FARDEAU DU PLAIGNANT

[99] L’objectif de la LCDP est de garantir le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur des motifs de discrimination illicites (article 2 de la LCDP).

[100] Il est bien établi qu’un plaignant doit s’acquitter du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités afin d’établir une preuve suffisante (prima facie), qui « jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ». (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558).

[101] Pour établir une preuve prima facie de discrimination en l’espèce, le plaignant est tenu de démontrer :

  1. qu’il possédait une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDP;
  2. qu’il a subi un effet préjudiciable dans le cadre de la prestation d’un service par l’intimé;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61 (Moore), par. 33.).

[102] Un intimé peut soit présenter des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de discrimination prima facie, ce qui signifie qu’aucune pratique discriminatoire n’est établie, soit présenter un moyen de défense justifiant la pratique discriminatoire, soit faire les deux (voir Québec (C.D.P.D.J.) c. Bombardier Inc. (Aéronautique Bombardier Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 64). Lorsque l’intimé réfute l’allégation, son explication doit être raisonnable. Il ne peut s’agir d’un prétexte pour dissimuler la discrimination (Khiamal c. Canada, 2009 CF 495, par. 58).

XII. TEST MOORE, PARTIE 1 : LE PLAIGNANT A ÉTABLI QU’IL PRÉSENTE UNE OU PLUSIEURS CARACTÉRISTIQUES PROTÉGÉES PAR LA LCDP

[103] La plainte de M. Attaran allègue une discrimination fondée sur la situation de famille, l’âge (de ses parents), la race et l’origine nationale ou ethnique (paragraphe 2 du mémoire du plaignant). Les arguments écrits de M. Attaran se sont concentrés sur l’âge et la situation de famille, tandis que les arguments du CSALC se sont concentrés sur la race et l’origine nationale et ethnique. La Commission a approuvé les arguments avancés par ces deux parties (mémoire de la Commission, paragraphe 58).

[104] Les parties ne contestent pas le fait que M. Attaran a établi qu’il possède des caractéristiques protégées par la LCDP.

[105] La situation de famille et l’âge étaient les motifs de distinction illicite mentionnés dans la plainte initiale. À la suite d’une requête écrite, j’ai autorisé M. Attaran à ajouter les motifs de distinction illicite de la race et de l’origine nationale ou ethnique (voir 2017 TCDP 21). Après avoir rendu cette décision sur requête, j’ai demandé aux parties de soumettre des exposés des précisions modifiés au début de 2019 pour refléter cette décision et une autre décision en faveur de l’intimé. Bien qu’il ait modifié certaines parties, M. Attaran n’a pas modifié son exposé des précisions pour inclure les deux motifs illicites supplémentaires autorisés dans ma décision sur requête. Normalement, le fait de ne pas exposer un argument proposé dans un exposé des précisions pourrait empêcher une partie de présenter cet argument lors de l’audience ou dans les conclusions finales. Toutefois, l’intimé n’a pas adopté cette position en l’espèce et, en fait, l’erreur était si évidente que je considère qu’il s’agit d’un oubli de procédure. En conséquence, j’aborderai ci-dessous chacun des quatre motifs illicites allégués.

A. Race et origine nationale ou ethnique

[106] Les preuves ont établi que M. Attaran est né à San Diego, en Californie, et il a déclaré qu’il s’identifiait comme une minorité visible d’origine iranienne et d’ethnie persane. La preuve que ses parents, M. Kazem Attaran et Mme Nasrin Attaran, sont nés en Iran et sont devenus citoyens des États-Unis d’Amérique après s’y être installés en 1962 pour poursuivre leurs études, n’a pas été contestée. Je suis convaincu que M. Attaran présente les caractéristiques protégées de la race et de l’origine nationale et ethnique.

B. Situation familiale

[107] Le plaignant a déclaré avoir deux enfants. Sa relation familiale avec ses parents et le fait qu’il est parent et que ses parents sont âgés sont au cœur de cette plainte. La LCDP ne définit pas le motif de la « situation de famille », mais il est bien établi que la jurisprudence lui a donné une interprétation inclusive (voir le mémoire de la Commission, par. 60; B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66). La Commission consacre de longs arguments écrits pour expliquer pourquoi la situation familiale comprend la relation parent-enfant (et parent et grand-parent). Ce point n’a pas été contesté par l’intimé.

[108] La situation de famille a fait l’objet d’une interprétation large dans la jurisprudence de référence. Dans une décision sur le fond concernant la situation familiale, Johnstone c. l’Agence des services frontaliers du Canada (2010 TCDP 20), le membre du Tribunal Findlay expose les raisons pour lesquelles les responsabilités de garde d’enfants, du type et de la durée de celles vécues par Mme Johnstone, sont incluses dans la notion de situation de famille.

[109] Un plus petit nombre d’affaires portées devant le TCDP ont demandé l’inclusion de la relation entre un enfant adulte et un parent dans le cadre du motif de distinction illicite lié à la situation de famille. La question a été examinée par le membre Johnson dans l’affaire Waddle c. Chemin de fer Canadien Pacifique et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (2017 TCDP 24) (Waddle). En fin de compte, le membre Johnson n’a pas jugé que le plaignant dans cette affaire avait apporté suffisamment de preuves pour étayer la plainte sur la base de ses obligations en matière de soins aux personnes âgées envers ses parents. Toutefois, il a tenu compte de la décision antérieure du TCDP dans l’affaire Hicks c. Ressources humaines et Développement des compétences Canada (2013 TCDP 20) (Hicks). Dans Hicks, le membre du Tribunal a clairement indiqué que les obligations d’un enfant envers un parent âgé pouvaient également être reconnues dans le contexte d’une réclamation relative à la situation familiale (Hicks, par. 44). La conclusion du Tribunal sur ce point a été confirmée lors d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (voir Canada (Procureur général) c. Hicks, 2015 CF 599 au par. 66).

[110] La Commission cite l’affaire B. c. Ontario (citée précédemment) à l’appui d’une interprétation large de l’expression « situation de famille ». En outre, la Commission demande au Tribunal de prendre en considération plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de la personne concernant la famille. L’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, entre autres, stipule que « [l]a famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ».

[111] L’article 10(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels stipule que « [la] protection et [l’]assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu'elle a la responsabilité de l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge ».

[112] La Commission cite également le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui reprend ces principes fondamentaux en stipulant que « [l]a famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État".

[113] Outre l’égalité des sexes, la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes vise en grande partie à assurer l’équilibre entre le travail et la famille. À cet effet, les articles 5, 11 et 16 visent à permettre aux parents de combiner leurs obligations familiales avec leurs responsabilités professionnelles et leur participation à la vie publique.

[114] Enfin, la Commission fait valoir que l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération primordiale ». La Convention exige également que le Canada fournisse l’assistance appropriée aux parents et aux tuteurs pour qu’ils puissent s’acquitter de leurs responsabilités en matière d’éducation des enfants, y compris toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que les enfants dont les parents travaillent aient le droit de bénéficier des services et établissements de garde d’enfants auxquels ils peuvent prétendre. Par conséquent, le fait de compter sur les parents et les grands-parents pour la garde des enfants est une considération pertinente selon la Commission.

[115] Comme indiqué, l’argument final de l’intimé ne conteste pas le fait que le motif de la situation de famille est invoqué. Je suis persuadé que le plaignant a établi la caractéristique protégée de la « situation de famille » en vertu de l’article 3 de la LCDP.

C. L’âge

[116] M. Attaran fait également référence à « l’âge (de ses parents) » dans ses observations. Les parents de M. Attaran ne sont pas parties à la présente plainte. Toutefois, pour cette première étape du test prima facie, le plaignant n’a qu’à montrer qu’il possède la caractéristique. Il est un adulte d’âge mûr, dont les parents sont nécessairement plus âgés que lui. (Malheureusement, la mère de M. Attaran est décédée alors que les présents motifs étaient en réserve.)

[117] J’ai conclu que M. Attaran avait établi ces caractéristiques, qui sont des motifs de distinction illicites, selon la prépondérance des probabilités (article 3 de la LCDP) : la race, l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille et l’âge. La question de savoir si un ou plusieurs de ces motifs interdits ont joué un rôle dans une pratique discriminatoire présumée relève des étapes suivantes du test prima facie.

XIII. TEST MOORE, PARTIE 2 : LE PLAIGNANT A-T-IL ÉTABLI UNE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT DÉFAVORABLE DANS LA FOURNITURE D’UN SERVICE PAR L’INTIMÉ?

[118] Pour appliquer l’article 5 de la LCDP, il faut déterminer si les actes reprochés ont eu lieu « [dans le cadre de la fourniture] de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement » (voir Watkin c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 170 (Watkin) au par. 31.)

[119] L’article 5 de la LCDP est libellé comme suit

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[120] Une question clé est donc de savoir si le traitement défavorable, le cas échéant, s’est produit dans le cadre de la fourniture d’un service par l’intimé. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’identifier les actions gouvernementales qui sont censées être le service. S’il est établi qu’une différence de traitement défavorable a eu lieu dans le cadre de la fourniture d’un service, il convient de déterminer si un motif illicite a joué un rôle dans ce traitement défavorable.

[121] Le Tribunal doit déterminer la caractérisation correcte du ou des services en question. Dans certaines affaires antérieures, le Tribunal a pu traiter cette question à titre préliminaire. Cela serait utile lorsque le fait de traiter la question de manière préliminaire pourrait éliminer complètement la plainte. Dans le cadre de la plainte, le plaignant et la Commission attaquent de nombreuses actions d’IRCC, dont du ministre, et invoquent des effets négatifs généraux et composites, notamment des délais trop longs et un nombre disproportionné de PGP approuvés par rapport au nombre total de personnes qui demandent la résidence permanente au Canada. Le plaignant et la Commission ont également demandé expressément au Tribunal de ne pas évaluer certains types d’actions gouvernementales qui influencent le traitement des demandes. La décision sur le fond doit donc examiner attentivement les mesures gouvernementales contestées et identifier correctement le ou les services que le plaignant et la Commission ont mis en cause.

A. LE(S) SERVICE(S) ALLÉGUÉ(S) EN CAUSE ET NON EN CAUSE

[122] Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, l’intimé a admis que, d’une manière générale, le traitement des demandes d’immigration par IRCC est un service rendu au public. Toutefois, l’intimé n’est pas d’accord avec ce que le plaignant et la Commission ont inclus dans l’expression « traitement des demandes ». Le plaignant et la Commission ont allégué que des actions présentant diverses caractéristiques constituaient des pratiques discriminatoires. Les parties n’étaient pas d’accord pour dire que toutes les occurrences de traitement défavorable allégué s’étaient produites pendant le traitement des demandes de parrainage par IRCC ou découlaient de ce traitement.

[123] Lorsque l’on compare le traitement d’une catégorie de demandes d’immigration à une autre, il est nécessaire d’examiner de plus près les différentes étapes du traitement, et ce qui guide et contraint ces étapes à mesure que les demandes progressent dans le système jusqu’à leur finalisation. Par conséquent, il est nécessaire d’identifier les principaux types de mesures gouvernementales qui ont été prises, de déterminer si elles sont considérées comme des services par le plaignant et la Commission et, dans l’affirmative, si elles correspondent à la définition de « service » de l’article 5 de la LCDP.

[124] Dans le cas des demandes de PGP, quatre évaluations de base doivent être effectuées : l’admissibilité du répondant (partie 1 de la demande); l’admissibilité des membres de la famille parrainés (partie 2 de la demande); les examens médicaux pour déterminer l’admissibilité; et les vérifications des antécédents pour déterminer l’admissibilité. Ces quatre évaluations sont régies par des lois et des règlements qui, comme nous le verrons plus loin, n’ont pas été contestés par le plaignant et la Commission.

[125] Le traitement des demandes est également guidé et limité par d’autres facteurs, dont les plans des niveaux et les instructions ministérielles. Le plaignant et la Commission ont demandé au Tribunal d’examiner le pouvoir discrétionnaire accordé à l’intimé dans le cadre du régime d’immigration lors du traitement des demandes, en tenant compte des dispositions de la LIPR et de son règlement d’application, ainsi que des fourchettes cibles précisées chaque année par le Cabinet dans le plan des niveaux. L’importance du plan des niveaux a été fortement contestée dans le cadre de cette enquête, comme nous le verrons plus loin.

[126] Les parties font également des allégations concernant les instructions ministérielles, qui sont également examinées plus loin.

[127] En outre, le plaignant allègue que le ministre aurait dû utiliser les pouvoirs d’exemption prévus par la loi pour éliminer les disparités liées à un motif de distinction illicite.

[128] Il est important de déterminer ce qui relevait de l’autorité d’IRCC et ce qui a été imposé par d’autres actions gouvernementales qui n’ont pas été considérées comme des « services » par le plaignant et la Commission, à qui incombe le fardeau de la preuve à ce stade. En l’espèce, il serait trop large et superficiel d’affirmer que, parce qu’IRCC traite les demandes, tout effet préjudiciable sur un groupe de demandeurs lié à un motif illicite doit découler d’une pratique discriminatoire mise en œuvre par IRCC.

[129] Les sections suivantes évaluent ces différents éléments et leur impact sur le traitement global des demandes. L’examen minutieux de tous ces facteurs est nécessaire pour résoudre cette plainte.

B. L’INTIMÉ N’A PAS RECONNU QUE SES ACTIONS DANS LE CADRE DU TRAITEMENT DE LA DEMANDE DE M. ATTARAN CONSTITUENT UN « SERVICE » AU SENS DE LA LCDP.

[130] La question du « service » ne peut pas être rejetée dans son intégralité comme ayant été [Traduction] « reconnue » par l’intimé, comme M. Attaran a exhorté le Tribunal à le faire. M. Attaran a fait valoir que les parties s’entendent pour dire que le traitement des demandes par IRCC est un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP. (mémoire du plaignant, par. 13 et 14; mémoire de réponse du plaignant, par. 73) Dans les deux mémoires, M. Attaran affirme que l’avocat de l’intimé l’a reconnu dans l’échange suivant :

[Traduction]

Président Thomas, le problème ici est que, bien sûr, le Tribunal est saisi d’une question juridique sur ce qui est un service et ce qui ne l’est pas. C’est donc la portée de la question. Je tiens à préciser que nous ne contestons pas le fait que le traitement d’une demande est un service, en effet. Mais vous savez, ce n’est pas ce que nous, ce qui est en cause. (M. Stynes sur l’enregistrement de l’audience, le 9 février 2021 à 02:36:25.)

[131] Le plaignant soutient que, puisque toutes les parties conviennent que le traitement des demandes est un service, le Tribunal n’a pas besoin de se pencher davantage sur la question et devrait trancher l’affaire sur cette base (voir le mémoire de réponse du plaignant, paragraphe 73).

[132] L’argument de la Commission est étroitement lié à celui selon lequel la terminologie utilisée par IRCC reconnaît que le traitement est un service. Elle souligne les éléments de preuve où figurent des expressions telles que « unité du service à la clientèle », « clients » et « services d’immigration », lesquelles indiqueraient que le traitement des demandes par IRCC doit être un service au sens de l’article 5 de la LCDP.

[133] À ce sujet, le plaignant ajoute que dans l’obiter du juge Noël dans l’affaire Watkin au par. 31, il a été écrit qu’« Immigration Canada fournit un service » en ce qui concerne l’acquisition de la résidence permanente (mémoire de réponse du plaignant, par. 76). Il ajoute qu’en prenant cela au pied de la lettre, les « services d’immigration » sont un service.

[134] Je considère que l’argument initial du plaignant selon lequel l’avocat de l’intimé avait reconnu que le traitement est un service n’est pas convaincant. Dans son contexte, l’intimé n’a pas reconnu une telle chose. L’intimé a reconnu que l’examen des demandes de parrainage par un agent d’IRCC peut être un « service », mais il soutient que le plaignant et la Commission n’ont pas établi qu’IRCC s’est livrée à une pratique discriminatoire en fournissant le service de traitement des demandes. En outre, l’intimé a particulièrement fait valoir que les instructions ministérielles et les plans des niveaux ne sont pas un service. La reconnaissance par l’intimé du fait que IRCC fournit un service lors du traitement des demandes n’incluait pas l’émission par le ministre d’instructions ministérielles ou l’approbation par le Cabinet des plans de niveaux comme des sous-composantes du « traitement ».

[135] Parmi l’ensemble des mesures discriminatoires qu’IRCC aurait prises, l’intimé a fait valoir que la véritable source des retards dans le traitement des demandes dans le cadre de cette plainte était les plans des niveaux, qui étaient à l’origine du temps d’attente de l’arriéré. L’intimé a également fait valoir que les instructions ministérielles ne sont pas un service et que le plaignant et la Commission ont attaqué indirectement le règlement d’application de la LIPR, qui, selon l’intimé, n’est pas un « service ». Il serait malavisé de ne pas tenir compte des arguments de fond de l’intimé sur une question d’une importance capitale pour la présente affaire, en se fondant sur une mauvaise interprétation de ce qu’il a reconnu.

[136] De même, je n’accepte pas que des termes génériques figurant dans des documents internes ou publics tels que « traitement », « services aux clients » et « services d’immigration » permettent de conclure à l’existence d’un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP. Un argument sémantique ne peut pas remplacer une analyse sobre nécessaire basée sur les faits et le contexte particuliers de l’affaire.

[137] J’ajouterai, en ce qui concerne la référence du plaignant dans l’obiter du juge Noël dans l’affaire Watkin, que la citation complète est la suivante : « Immigration Canada fournit un service lorsqu’elle informe les immigrants sur la procédure à suivre pour devenir un résident canadien ». (Watkin, paragraphe 28, soulignement ajouté). L’exemple du juge Noël était conditionnel à la spécificité de son énoncé « lorsque » qui renvoyait aux conseils offerts au public. Cette brève déclaration en obiter ne devrait pas être gonflée au point de lier le Tribunal dans toute enquête ultérieure sur tout ce qui a trait à la prestation de services par IRCC.

[138] L’intimé a présenté une requête avant l’audience en novembre 2018 visant à modifier son exposé des précisions pour ajouter un argument juridique, qui n’avait pas été soulevé auparavant, selon lequel la présente plainte n’implique pas un « service » en vertu de l’article 5 de la LCDP. Nonobstant les huit contre-arguments avancés par M. Attaran (la Commission n’a pas pris position), j’ai accepté la requête (voir 2019 TCDP 12.) Il s’agit clairement d’un argument fondamental que l’intimé souhaite soulever et il ne serait pas approprié de le rejeter sur une base superficielle.

[139] Par conséquent, pour déterminer si le plaignant s’est acquitté de la charge d’établir une discrimination prima facie, les présents motifs doivent déterminer si l’un des actes discriminatoires allégués s’est produit dans le cadre de la prestation d’un service par l’intimé, au sens de l’article 5 de la LCDP.

C. LÉGISLATION CONCERNANT LES « SERVICES »

[140] La Cour suprême du Canada a examiné le terme « services » dans l’affaire Gould c. Yukon Order of Pioneers (1996 1 R.C.S. 571) (Gould). Cette affaire concernait le refus d’admettre Mme Gould dans l’ordre fraternel Yukon Order of Pioneers. La question principale dans l’affaire Gould était de savoir si l’adhésion à l’ordre fraternel était offerte au « public ». La Cour a estimé qu’« [u]ne relation publique est donc requise entre le fournisseur du service et le bénéficiaire de ce service dans la mesure où le public doit se voir accorder l’accès ou l’admission, ou offrir le service par le fournisseur » (voir le paragraphe 55 de l’arrêt Gould).

[141] La Cour suprême du Canada a également noté dans l’affaire Gould qu’il existe une « connotation transitive » à la conclusion d’un service, dans laquelle un avantage doit être offert au public. « [C]e n’est qu’une fois que le service, le logement, l'installation, etc., passe par le fournisseur et qu’il est mis à la disposition du public qu’il est visé par l'interdiction de la discrimination » (paragraphe 55 de l’arrêt Gould).

[142] Avant l’arrêt Watkin, un courant jurisprudentiel soutenait que pratiquement tout ce qui était fait par le gouvernement était un « service » (Watkin, par. 24 à 31). Dans l’affaire Watkin, la CAF a clairement « désavoué » cette notion et a apporté plus de précision à l’interprétation du mot « services » à l’article 5 de la LCDP (Ibid., par. 32). La CAF a précisé que le fait que les mesures gouvernementales soient prises dans l’intérêt public et pour le bien public n’en fait pas des « services » (paragraphes 22 et 33).

[143] Des éclaircissements supplémentaires ont été apportés dans la décision de 2018 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, (Matson/Andrews), lorsque la Cour suprême a confirmé deux décisions du TCDP et la jurisprudence sur l’article 5 applicable à ce contexte. À la suite de l’arrêt Matson/Andrews, il existe une jurisprudence claire qui lie le Tribunal (en plus de l’arrêt Watkin) : Forward et Forward c. Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TCDP 5 (Forward), Alliance de la fonction publique du Canada et autres c. Agence du revenu du Canada et autres, 2012 CAF 7, demande d’autorisation d’appel refusée, (CSC) 2012 CanLII 68761 (Murphy) et l’arrêt Matson/Andrews. Je traiterai de chacune d’elles à tour de rôle ainsi que des affaires Andrews et autres c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21 (Andrews) et Matson et autres c. Affaires indiennes et du Nord Canada, (2013 TCDP 13 (Matson).

[144] Dans l’affaire Forward, deux frères se sont vu refuser la citoyenneté et les plaignants et la Commission ont fait valoir que le service en cause était l’examen des demandes de citoyenneté. L’ancien président du Tribunal, Grant Sinclair, n’a pas accepté cette qualification de la plainte. Il a estimé que les preuves et les arguments ne portaient pas sur la conduite des fonctionnaires ministériels, l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire ou la mise en œuvre des politiques et pratiques ministérielles. Le Tribunal a décidé sur requête que la seule source de la discrimination alléguée était le langage législatif de la Loi sur la citoyenneté de 1977. (Forward, aux paragraphes 36 à 38.) La législation en elle-même ne relève pas de la LCDP. Cette conclusion a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Murphy.

[145] Dans la décision sur le fond rendue par le Tribunal dans l’affaire Murphy, 2010 TCDP 9, le plaignant et la Commission ont fait valoir que lorsque l’Agence du revenu du Canada (ARC) établit une cotisation pour les impôts à payer, elle fournit un service. Ils ont apporté la preuve que les contribuables sont appelés « clients » et ont également examiné les actions que le personnel de l’ARC accomplit pour fournir des conseils qui peuvent bénéficier à un contribuable. Le plaignant a fait valoir que des actions telles que l’introduction de données dans un système d’information et la sélection des candidats entraient dans la définition d’un « service destiné au public » (paragraphes 45 et 46). La Commission a estimé que l’évaluation de l’impôt sur le revenu était un service parce que l’assistance aux contribuables est un avantage offert au grand public (paragraphe 49).

[146] Une fois de plus, cette caractérisation a été rejetée par le Tribunal. Le vice-président Hadjis a décidé que « [m]ême si les tâches entreprises par l’ARC lors du traitement de demandes pour l’application du mécanisme de PFRA constituent un service, elles ne sont pas le fondement de la différence de traitement alléguée dans la plainte. La pratique discriminatoire alléguée a comme seule origine le libellé ». La législation contestée était la Loi de l’impôt sur le revenu (Ibid. au paragraphe 54).

[147] La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision sur le fond, estimant que les plaintes visant la législation, et rien d’autre, n’entrent pas dans le champ d’application de la LCDP. Le recours approprié est une contestation constitutionnelle.

[148] Puis vint l’arrêt Matson/Andrews. Puisque la Cour suprême du Canada a concentré son analyse sur le principe de déférence et la norme de contrôle, il est nécessaire de revoir le raisonnement sur les dispositions de l’article 5 dans les décisions de première instance.

[149] Dans l’affaire Matson, le Tribunal a commencé son analyse de l’article 5 en caractérisant les actions gouvernementales contestées. Le Tribunal a déterminé si la contestation portait véritablement sur le traitement de la demande d’enregistrement du plaignant en vertu de la Loi sur les Indiens ou sur autre chose. Le membre Lustig a jugé que le traitement n’était pas véritablement contesté. Au contraire, « [l]’unique source de la discrimination alléguée en l’espèce est le libellé de l’article 6 de la Loi sur les Indiens.» (Matson, par. 59). Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal s’est appuyé sur l’arrêt Watkin : « (...) la première étape à franchir lorsqu’on applique l’article 5 consiste à déterminer si les actes reprochés constituent des ‘’services’’ » (voir Gould, précité, par le juge La Forest, par. 60).

[150] Dans l’affaire Matson, l’intimé a fait valoir que la contestation portait véritablement sur la législation et rien d’autre. Les parties étant en désaccord sur la nature de l’affaire, le Tribunal a choisi de préciser les actions comme point de départ.

[151] Le juge Lustig a reconnu la proposition générale de l’arrêt Watkin selon laquelle les « [...] ‘’services’’ s’entendent de quelque chose d’avantageux qui est ‘’offert’’ ou ‘’mis à la disposition’’ du public » (Watkin, par. 31). Toutefois, le membre Lustig a conclu que ce n’était pas le ministère intimé qui offrait au public l’avantage du droit à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens. C’est la Loi sur les Indiens qui offre cet avantage : « [c]e que ce dernier peut offrir en tant qu’avantage ou service au public est le traitement des demandes d’inscription en vue de déterminer si une personne doit être ajoutée au registre des Indiens, conformément à la Loi sur les Indiens » (Matson, par. 58). Dans ce cas, le traitement d’une demande par un agent du registre, décrit comme l’examen des demandes, aurait pu être un service, mais le statut qui en résulte ou l’absence de statut n’était pas le service offert par le ministère effectuant le traitement conformément aux exigences de la Loi sur les Indiens, et l’acte consistant à légiférer sur ces exigences n’était pas non plus un service.

[152] Dans l’affaire Andrews, la Commission et la partie plaignante ont de nouveau soutenu que le traitement de l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens était un service. Elle a d’abord fait valoir que Service Canada présentait l’inscription comme un service sur son site Web (Andrews, par. 43). Ensuite, la Commission a analysé les avantages que procure l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens pour faire valoir qu’il s’agit d’un service.

[153] Dans cette affaire, la Commission a fait valoir que l’enregistrement en vertu de la Loi sur les Indiens répondait à tous les critères utilisés pour déterminer si une activité gouvernementale pouvait être qualifiée de service. Ces indices comprennent des avantages tangibles et intangibles, des avantages offerts à un public admissible et des personnes qui soumettent des demandes au registre des Indiens pour que ces avantages soient conférés (Andrews, paragraphe 45).

[154] Cependant, l’intimé ne considère pas le droit à l’enregistrement en vertu de la Loi sur les Indiens comme un « service ». L’intimé a admis que le traitement d’une demande d’enregistrement pouvait constituer un « service », mais il a fait valoir que les critères établis par le législateur pour déterminer qui est éligible ne constituaient pas un service. En d’autres termes, si la demande avait été traitée de manière à établir une distinction sur la base d’un motif illicite d’une manière qui s’écarte des critères législatifs, il aurait pu s’agir d’une pratique discriminatoire, mais le simple fait d’appliquer les critères législatifs ne l’était pas.

[155] Le Tribunal a conclu que le statut d’Indien conférait des avantages tangibles et intangibles au public. Toutefois, bien que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada (comme il s’appelait à l’époque) puisse être un prestataire de services, fournissant un service au public, les services fournis par le ministère n’étaient pas, en fin de compte, l’objet de la plainte. Le Tribunal a qualifié la véritable contestation de contestation de la Loi sur les Indiens elle-même.

[156] Dans ce cas, il serait trop large et superficiel d’affirmer que les délais de traitement ou les services d’immigration en général sont un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP. Compte tenu de l’arrêt Matson/Andrews et de la jurisprudence qui a précédé ces décisions, l’approche appropriée consiste à analyser si les mesures gouvernementales spécifiques qui ont contribué à allonger les délais de traitement pour la catégorie des PGP sont visées par l’alinéa 5b) de la LCDP.

D. LA LIPR ET LE RÈGLEMENT DE LA LIPR NE SONT PAS CENSÉS ÊTRE DES SERVICES

[157] Dans la présente plainte, il n’est pas allégué que l’adoption de lois par le Parlement constitue une pratique discriminatoire, pas plus que l’adoption de règlements par le Cabinet ne constitue une pratique discriminatoire. Le plaignant et la Commission, à qui il incombe d’établir la preuve prima facie, ont expressément demandé au Tribunal de ne pas déterminer si l’adoption des règlements et les approbations finales des plans sont des « services » au sens de la LCDP et de se concentrer plutôt sur le traitement par IRCC en tant que service contesté. Aucune partie n’a attaqué directement la LIPR (conformément à l’arrêt Matson/Andrews) et aucune partie n’a attaqué directement le règlement d’application de la LIPR. Le plaignant a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

La question de savoir si le ratio dans les arrêts Matson et Andrews immunise contre le contrôle du Tribunal la législation subordonnée telle que le règlement d’application de la LIPR, par opposition aux lois du Parlement telle que la LIPR elle-même, reste ouverte. Cette question juridique n’a pas besoin d’être tranchée en l’espèce et ne devrait pas l’être c’est pourquoi le plaignant ne prend pas actuellement position à ce sujet. (mémoire du plaignant, paragraphe 171, souligné dans la version originale).

[158] La Commission a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

La plainte de M. Attaran ne vise pas la législation. Sa plainte n’indique pas qu’un texte de loi est discriminatoire, mais plutôt que la façon dont l’intimé traite les dossiers des conjoints et des enfants à un rythme beaucoup plus rapide que ceux des parents et des grands-parents est discriminatoire. (mémoire de la Commission, paragraphe 55).

[159] Dans la mesure où la LIPR et son règlement d’application imposent à IRCC un traitement défavorable fondé sur des motifs illicites entre différents types de demandeurs, ce type de traitement défavorable n’a pas été poursuivi en tant qu’acte discriminatoire en vertu de la LCDP par le plaignant et la Commission. Au lieu de cela, le plaignant et la CCDP ont demandé au Tribunal d’examiner de très près les procédures, les processus et les résultats d’IRCC, y compris le pouvoir discrétionnaire du ministre de donner des instructions ministérielles qui orientent le traitement des demandes par les fonctionnaires d’IRCC, la mise en œuvre des plans des niveaux et l’octroi aux demandeurs de dérogations à « tout ou partie des critères et obligations applicables » (paragraphe 25.2(1) de la LIPR).

[160] Par conséquent, si le Tribunal détermine que les éléments contraignants et obligatoires de la LIPR et de son règlement d’application sont les causes inévitables du traitement défavorable attribué par le plaignant ou la Commission à IRCC, le plaignant et la Commission ne se seront pas acquittés de la charge qui leur incombe d’établir l’existence d’un acte discriminatoire de la part d’IRCC dans le cadre du traitement des demandes. Pour les mêmes raisons, la question de savoir si la réglementation est un service ne sera pas tranchée dans les présents motifs. Ces questions ne sont pas à proprement parler devant le Tribunal, comme le soutiennent le plaignant et la Commission. La question clé devant le Tribunal est plutôt de savoir si, à la lumière de la portée des actions gouvernementales laissées à IRCC, dans un régime qui comprend la LIPR et le règlement de la LIPR, IRCC s’est livrée à une pratique discriminatoire.

[161] Par conséquent, dans la présente décision sur la LIPR, le règlement d’application de la LIPR est considéré comme faisant partie du cadre législatif et réglementaire dans lequel l’intimé traite les demandes.

E. L’IMPORTANCE DES PLANS DE NIVEAUX DANS CETTE ENQUÊTE

[162] Les parties ont adopté des points de vue divergents sur l’importance des plans de niveaux et ont présenté des observations détaillées à ce sujet. De nombreux éléments de preuve ont également été présentés au Tribunal lors de l’audience sur la manière dont les plans de niveaux sont déterminés et sur la question de savoir si c’est l’intimé ou le Cabinet qui décide des nombres figurant dans les plans de niveaux chaque année.

[163] Tout au long de l’enquête, l’intimé a expliqué que le long délai de traitement pour le sous-groupe des PGP, subi par la famille Attaran, était le résultat direct du fait que les plans des niveaux avaient des fourchettes d’objectifs d’admission pour les PGP qui étaient constamment trop basses pour empêcher l’apparition d’arriérés. Selon l’intimé, la source de la discrimination alléguée ne se trouve pas dans l’évaluation de la demande de parrainage, mais plutôt dans le nombre de places de résidents permanents disponibles dans le cadre du plan des niveaux par rapport à la demande, année après année (mémoire de l’intimé aux paragraphes 2 et 3). Ils ont expliqué que le plan des niveaux fixait le nombre d’admissions pour les PGP chaque année et qu’une fois ce nombre atteint, les demandes de parrainage restantes restaient en attente jusqu’à ce qu’une place se libère l’année suivante. IRCC ne pouvait pas approuver beaucoup plus de demandes de PGP parce que le plan des niveaux ne lui en donnait pas le pouvoir. (Voir l’exposé des précisions de l’intimé aux paragraphes 38 et 39.)

[164] Avant le début de l’audience, M. Attaran a critiqué le plan des niveaux et son incidence sur le temps de traitement de sa demande. Le paragraphe 4 de son exposé des précisions se lit comme suit :

[Traduction]

La cause du problème est assez simple : les gouvernements successifs ont, environ une fois par an, publié des « plans de niveaux » de l’immigration qui relèguent les demandes de la catégorie familiale pour les parents et les grands-parents à la fin de la file d’attente. Le ministère intimé, s’exprimant au nom du ministre de l’Immigration, affirme qu’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de classer les demandes par ordre de priorité, ce qui est vrai, mais il néglige le fait que lorsque le Parlement a accordé ce pouvoir discrétionnaire, il a stipulé dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) qu’il ne devait jamais être utilisé à des fins discriminatoires ce qui est le cas.

[165] Bien que M. Attaran ait souligné l’influence des plans de niveaux sur la réduction du nombre de places d’admission pour les PGP et, par conséquent, sur l’allongement des délais de traitement, son objectif était et reste les pouvoirs discrétionnaires du ministre. À la fin de l’audience, M. Attaran affirme que son affaire n’a jamais porté sur la discrimination dans la manière dont le Cabinet établit son plan de niveaux et qu’il n’a jamais exigé du Cabinet qu’il augmente ou diminue ses chiffres : [Traduction] « Mais nulle part dans les preuves orales ou écrites le plaignant n’a demandé au Cabinet d’augmenter le niveau d’admission des PGP, et nulle part dans les plaidoiries le plaignant n’a allégué que le Cabinet avait fait preuve de discrimination en ne le faisant pas ». Il déclare également que : [Traduction] « [...] en plaidant comme si l’établissement du plan des niveaux était le ‘’service’’ discriminatoire allégué, l’avocat de l’intimé se trouve dans une galaxie très, très lointaine ». (par. 114 à 117 du mémoire du plaignant, souligné dans l’original.)

[166] L’intimé fait valoir que M. Attaran a modifié son argumentation :

[Traduction]

Après avoir affirmé dans son exposé des précisions que la « cause du problème est [...] les ‘’plans de niveaux’’ », le plaignant a maintenant changé de position et affirme dans ses conclusions finales que la source de la discrimination alléguée est l’absence alléguée de réformes législatives et politiques visant à contrôler plus tôt la demande de parrainage de PGP. (Mémoire de l’intimé, paragraphe 7)

[167] Comme il ressort de ces échanges, les parties sont fondamentalement en désaccord sur la question de savoir si les plans de niveaux déterminent les temps d’attente et imposent une différenciation défavorable entre les demandeurs pour des motifs interdits, ou si le ministre aurait pu améliorer le traitement réservé par l’intimé aux demandeurs de la catégorie PGP grâce aux pouvoirs discrétionnaires prévus par la LIPR, de sorte que les demandeurs de la catégorie PGP auraient été sur un pied d’égalité avec d’autres catégories de demandeurs, tels que les FC1.

[168] L’intimé a souligné qu’il était essentiel de trouver la cause des retards subis par les demandeurs de PGP :

[Traduction]

Le problème dans cette affaire était le temps d’attente avant que sa demande puisse être évaluée par un agent d’immigration. La tâche essentielle du Tribunal en l’espèce est de déterminer la cause de ce temps d’attente. (Mémoire de l’intimé, paragraphe 6)

[169] Pour étayer davantage l’opinion selon laquelle le service ou les services sur lesquels le plaignant demande au Tribunal de statuer ne comprennent pas l’approbation des plans de niveaux par le Cabinet, les mesures correctives demandées dans le mémoire de M. Attaran ne portent pas sur les plans de niveaux. Les cinq principales mesures correctives non pécuniaires demandées par M. Attaran sont les suivantes : réforme prospective des normes de service; transparence statistique; égalité opérationnelle; responsabilité publique; et inclusion d’un mécanisme de sécurité pour les situations d’urgence où l’égalité opérationnelle ne peut être respectée. Toutes ces mesures concernent le délai d’attente pour l’examen des demandes lorsque le dossier est activement traité par un agent d’IRCC. Les mesures correctives demandées ne concernent pas les fourchettes d’objectifs des plans de niveaux, l’élaboration des plans de niveaux ou le problème des demandes qui « restent dormantes sur une tablette » pendant de longues périodes. (Les preuves présentées au Tribunal ont montré qu’au cours des dernières années, après la finalisation de la demande de la famille Attaran, le problème des demandes « en attente » pendant de longues périodes a disparu en raison des contrôles stricts de réception des demandes). Cela confirme le point de vue selon lequel le plaignant conteste le traitement des demandes par l’intimé et les pouvoirs discrétionnaires du ministre que le plaignant considère comme faisant partie de ce traitement, et non pas les plans de niveaux.

[170] La Commission n’a pas non plus allégué que l’approbation des plans de niveaux par le Cabinet était un service. La position de la Commission sur les plans de niveaux est difficile à suivre. Selon la Commission, [Traduction] « le plan de classement et le traitement de la demande sont inextricablement liés l’un à l’autre. Le plan de niveaux constitue la fourniture du service et fait donc partie intégrante de la chaîne d’approvisionnement pour la fourniture du service ». Cependant, la Commission déclare également que les plans de niveaux ne sont pas « pertinents » et que la source de la pénurie d’approvisionnement n’a pas d’importance, soulignant à nouveau que cette plainte attaque le traitement en aval des demandes, et non les plans de niveaux (paragraphe 47 du mémoire de la Commission).

[171] Nonobstant les arguments finaux de la plaignante et de la Commission qui n’attaquent pas les plans de niveaux, une grande partie des preuves présentées à l’audience et une grande partie de la plaidoirie finale ont été consacrées au processus d’établissement des plans de niveaux, à leur importance et au pouvoir discrétionnaire qui existe, le cas échéant, autour de leur mise en œuvre. Ainsi, pour conclure si IRCC s’est livrée à des pratiques discriminatoires, il faut procéder à un examen détaillé des plans de niveaux dans le cadre du régime d’immigration.

[172] Comme indiqué ci-dessus, le paragraphe 94(1) de la LIPR exige que le ministre dépose devant le Parlement un rapport annuel sur l’application de la LIPR. Les détails du rapport annuel sont énoncés au paragraphe 94(2), dont l’alinéa 94(2)b) qui demande une description du nombre d’étrangers qui sont devenus des résidents permanents et du nombre de ceux qui devraient le devenir au cours de l’année suivante. Cette description au titre de l’alinéa 94(2)b), qui fait partie du rapport annuel au Parlement, est un rapport au Parlement sur le plan des niveaux, dont dépendent beaucoup de choses. Bien que, comme le souligne M. Attaran, les mots « plan de niveaux » n’apparaissent pas dans la législation.

[173] Il est exact que ni la LIPR ni le règlement d’application de la LIPR n’utilisent l’expression « plan des niveaux », ce qui est intéressant, étant donné que l’intimé s’appuie apparemment sur le plan des niveaux pour expliquer comment les ressources sont allouées par IRCC afin d’atteindre les objectifs du gouvernement en matière d’immigration. Les preuves documentaires présentées à l’audience ont également montré que le gouvernement n’était pas cohérent dans la manière dont le plan des niveaux était présenté dans les différents rapports annuels. Tous les rapports annuels au Parlement pour les années 2008 à 2020 ont été présentés comme preuves lors de l’audience. Seuls les rapports de 2009 et 2010 fixent les fourchettes d’objectifs pour les différentes sous-catégories d’immigrants, dont les PGP. À partir de 2011, les rapports annuels n’ont pas ventilé les fourchettes d’objectifs prospectifs pour les sous-catégories telles que les PGP et les FC1. La plupart du temps, une fourchette cible était indiquée pour toutes les sélections approuvées par le gouvernement fédéral, dont les catégories économiques, toutes les catégories familiales et les réfugiés. Les immigrants devant être sélectionnés dans le cadre du programme d’immigration unique du Québec étaient généralement présentés séparément, une fourchette cible globale étant donnée pour tous les immigrants de l’année à venir.

[174] Au cours du contre-interrogatoire de M. Attaran, M. Bornais a déclaré que même si les fourchettes cibles n’étaient pas ventilées en sous-catégories d’immigrants dans les rapports annuels à partir de 2011, les fourchettes cibles pour chaque groupe, comme les FC1 et les PGP, étaient affichées sur le site Web d’IRCC chaque année. M. Bornais n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le rapport au Parlement a changé, n’incluant plus les fourchettes d’objectifs pour les différentes sous-catégories.

[175] Au cours de ce contre-interrogatoire, le plaignant a qualifié la ventilation des fourchettes d’objectifs pour les différentes sous-catégories d’assortiment. Il a interrogé M. Bornais sur les derniers rapports au Parlement qui ne détaillaient pas la combinaison, mais qui, au lieu de cela, établissaient des fourchettes d’objectifs globaux pour tous les immigrants des catégories économique, familiale et de réfugiés, tous regroupés ensemble. M. Attaran a demandé si, du fait que seuls les objectifs globaux sont communiqués au Parlement, cela signifiait qu’IRCC avait la possibilité de décider de la composition des différentes sous-catégories dans le cadre des objectifs globaux. M. Bornais a répondu par la négative.

[176] Lorsque M. Attaran a posé une question de suivi et a demandé pourquoi il y avait eu une objection de l’avocat de l’intimé selon laquelle la question portait sur des sujets confidentiels du Cabinet. Le témoin a été exclu et il y a eu de longues discussions entre les avocats sur la question et sur le fait de savoir si elle concernait le Cabinet ou seulement IRCC. Lorsque le témoin est revenu, j’ai reformulé la question. J’ai demandé à M. Bornais pourquoi le ministère ne considérait pas que le plan des niveaux, tel qu’il avait été présenté au Parlement sans aucune indication sur le mélange, signifiait qu’il n’y avait pas de mélange. Il y a eu une très longue pause après ma question et M. Bornais a simplement répondu que le ministère avait entrepris de mettre en œuvre le plan des niveaux approuvé par le Cabinet. Une deuxième reformulation de la question a donné lieu à une autre longue pause et à la même réponse. (contre-interrogatoire de M. Bornais le 12 février 2021 à 03:41:50.) La raison pour laquelle M. Bornais évitait de répondre à la question n’était pas claire, puisqu’elle ne semblait pas impliquer un sujet confidentiel du Cabinet.

[177] Après l’exclusion du témoin, j’ai fait remarquer que tous les rapports annuels examinés comprenaient une ventilation rétroactive des fourchettes cibles pour chacune des sous-catégories d’immigration. Lorsqu’il fait état des admissions effectives de l’année précédente, chaque rapport annuel présente une ventilation pour chaque sous-catégorie, y compris les PGP et les FC1, et compare la fourchette d’objectifs du plan de niveaux de l’année précédente pour chaque sous-catégorie au nombre réel d’admissions dans chacune d’entre elles.

[178] M. Attaran a soulevé la question de savoir comment nous sommes censés savoir s’il s’agit des fourchettes initiales du Cabinet ou des fourchettes cibles fixées par IRCC pour s’inscrire dans les chiffres globaux indiqués dans les rapports au Parlement.

[179] D’autres éléments de preuve présentés au Tribunal suggèrent que, pour toutes les années, le Cabinet a établi des fourchettes d’objectifs spécifiques pour chaque sous-catégorie, même si elles ne figurent pas dans le rapport annuel au Parlement. Par exemple, la pièce 32 était un tableau comparatif pluriannuel qui examinait les objectifs passés et les fourchettes futures. (Ce document indiquait également que certaines catégories d’immigrants avaient été transférées dans des catégories différentes certaines années, ce qui expliquerait l’apparence de sous-déclaration. Toutefois, cela n’a pas eu d’incidence sur la déclaration des objectifs et des admissions du PGP).

[180] Au cours d’une autre exclusion du témoin, il a été suggéré par l’avocat de la Commission que le Tribunal pourrait s’appuyer sur le témoignage oral de M. Bornais selon lequel la combinaison du plan des niveaux était affichée sur le site Web d’IRCC chaque année, indiquant les fourchettes cibles pour chaque sous-catégorie. Mme Carrasco a également suggéré que ces documents du site Web soient présentés comme preuves. Toutefois, le plaignant s’est opposé à leur introduction pour des raisons d’équité procédurale, de sorte qu’ils n’ont pas été admis comme éléments de preuve.

[181] M. Attaran soutient également qu’IRCC et non le Cabinet est l’auteur original des niveaux d’admission dans le plan des niveaux, et que [Traduction] « le Cabinet ne fait que choisir dans le menu d’options d’IRCC » (paragraphe 126 du mémoire du plaignant).

[182] Sur la base des éléments de preuve précités, j’estime que les plans de niveaux de ces dernières années ont été approuvés par le Cabinet et qu’ils comprenaient une ventilation des fourchettes d’objectifs pour les sous-catégories chaque année, ce qui a guidé le ministère de la même manière que les années précédentes, lorsque la composition était présentée dans les rapports annuels.

[183] En ce qui concerne le rôle d’IRCC dans l’établissement des niveaux proposés, il n’est ni choquant ni déterminant que les propositions et les avis ministériels sur le plan des niveaux parviennent d’abord au Cabinet (mémoire de la plaignante, par. 135). IRCC peut avoir préparé des options, des mémoires et même des recommandations pour le ministre et le Cabinet. Toutefois, quel que soit le degré d’assistance fourni par IRCC, je n’accepte pas la position du plaignant selon laquelle les plans de niveaux sont autre chose qu’un document du Cabinet. Le Cabinet est responsable de son contenu devant le Parlement et le public canadien.

[184] L’intimé appelle le plan des niveaux la [Traduction] « source de la discrimination », une expression utilisée dans les affaires Forward et Matson. Dans le contexte de cette affaire, il soutient qu’une plainte contre le temps d’attente de l’arriéré est en réalité une plainte contre les allocations du plan des niveaux fixées par le Cabinet (c.-à-d. le côté de l’offre). En d’autres termes, l’établissement de fourchettes cibles dans le plan des niveaux est l’action qui a donné lieu au retard prétendument discriminatoire.

[185] L’intimé a fait valoir que [Traduction] « lorsque le Cabinet approuve le plan des niveaux et que le ministre en fait rapport au Parlement en vertu de l’article 94 de la LIPR, il ne fournit pas un service ». Les décisions du Cabinet sont analogues aux décisions du Parlement; elles se produisent aux plus hauts niveaux du gouvernement. En outre, l’intimé ajoute que le plan des niveaux ne répond pas aux principes de base permettant de le qualifier de service : les membres du public n’effectuent pas une transaction [Traduction] « dans le cadre de la prestation d’un service » lorsque le plan des niveaux est établi par le Cabinet. (Mémoire de l’intimé, paragraphes 196 à 200.)

[186] Le principal argument de la Commission, abordé plus loin, est que diverses pratiques discriminatoires ont eu lieu dans la mise en œuvre du plan des niveaux par IRCC. Elle affirme qu’en raison du large pouvoir discrétionnaire d’IRCC, le plan de classement mentionné à l’article 94 de la LIPR est différent des critères statutaires clairs dont disposaient les plaignants dans les affaires Forward, Murphy, Matson et Andrews. En conséquence, ils soutiennent que le ratio de Matson/Andrews n’est pas le bon cadre à suivre. Le point de départ approprié est Watkin, comme décrit précédemment. Si la source de la discrimination devait avoir de l’importance, ils notent que le plan des niveaux n’est pas un texte législatif parlementaire et n’est donc pas immunisé contre l’examen de la LCDP. Cependant, la Commission affirme que la source n’a pas d’importance : [Traduction] « Il serait onéreux de suggérer que les parties et le Tribunal aillent derrière le service visé par la plainte chaque fois qu’un service gouvernemental est en cause » (mémoire de la Commission, paragraphe 47). En d’autres termes, la Commission n’a pas soutenu que les décisions sur les plans de niveaux prises par le Cabinet constituaient des pratiques discriminatoires; elle a plutôt soutenu que ces décisions n’étaient pas pertinentes.

[187] Bien que le plaignant n’ait pas allégué que les plans de niveaux constituaient une pratique discriminatoire, il a déclaré que même si le Cabinet fixe le plan des niveaux, il n’est pas immunisé contre l’examen de la LCDP :

[Traduction]

L’intimé se trompe tout au long de son mémoire avec ferveur et lassitude en affirmant qu’il y a quelque chose de spécial en l’espèce dans le fait que le Cabinet a établi le plan des niveaux. Non seulement cela est contraire à la jurisprudence (Vaziri), mais cela suppose une prérogative royale inexistante et non révisable, et ne tient pas compte du fait que la loi du Parlement est suprême, y compris la LCDP. De l’objection record de M. Stynes, « Cabinet confidence! », lors du contre-interrogatoire de M. Bornais, à son mémoire actuel, l’intimé lance le mot « Cabinet » comme s’il s’agissait d’un sort magique permettant de jeter du sable dans les yeux du Tribunal et d’élever le gouvernement au-dessus de l’examen des droits de la personne. C’est un non-sens total, voire totalitaire. Même les décisions sur le Cabinet peuvent faire l’objet d’un contrôle juridique point final, sans exception. [...] si une décision sur le fond du Cabinet peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la common law, comment pourrait-elle être à l’abri d’un contrôle du Tribunal en vertu de la loi quasi constitutionnelle qu’est la LCDP? (Mémoire de réponse du plaignant, par. 8 et 9, gras dans l’original)

[188] Bien que les observations ci-dessus ressemblent à une contestation de l’établissement du plan de niveaux par le Cabinet, j’accepte les observations antérieures du plaignant selon lesquelles l’établissement du plan de niveaux n’est pas contesté en tant que service en vertu de la LCDP.

a) Les plans de niveaux sont-ils contraignants?

[189] Conformément à son approche consistant à mettre l’accent sur le pouvoir discrétionnaire du ministre et d’IRCC, M. Attaran fait valoir longuement que les plans de niveaux ne sont pas juridiquement contraignants et que les fonctionnaires ne sont pas tenus de les suivre (par. 43 du mémoire de réponse). Ses conclusions finales citent également de nombreuses preuves que les plans de niveaux n’ont pas été suivis à la lettre et qu’il y a eu de nombreuses occasions où les fourchettes cibles fixées dans les plans de niveaux n’ont pas été respectées. (mémoire du plaignant, paragraphes 51 à 57.) Il conclut que cela prouve que le pouvoir discrétionnaire d’admettre plus que le plan des niveaux a toujours existé. Il conclut ainsi :

[Traduction]

En résumé, la façon dont l’intimé présente cette affaire comme s’il s’agissait d’une contestation juridique du plan des niveaux du Cabinet, et comme si le plan des niveaux liait et bridait totalement IRCC, conduisant inexorablement à des arriérés de PGP et à de longs délais d’attente est un non-sens richement brodé. (paragraphe 135 du mémoire du plaignant)

[190] La Commission admet que le plan des niveaux est l’un des contrôles utilisés pour gérer les admissions et concède que le plan des niveaux comporte de nombreuses parties mobiles (mémoire de réponse de la Commission, paragraphe 27). Elle soutient que la mise en œuvre du plan de niveaux est un domaine où le pouvoir discrétionnaire est utilisé et, par conséquent, où le TCDP est compétent (paragraphe 6 du mémoire de la Commission). Elles soutiennent qu’IRCC dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour manipuler les fourchettes cibles tout au long de l’année et qu’elle peut effectivement réécrire les programmes ou en créer de nouveaux (mémoire de la Commission, paragraphe 6). Selon la Commission, [Traduction] « IRCC peut, entre autres, emprunter, échanger, recalibrer, dépasser et manquer » (mémoire de la Commission, paragraphe 37).

[191] Les preuves fournies par les témoignages ont montré que la direction de la planification et de la performance des opérations d’IRCC, qui gère la mise en œuvre du plan des niveaux, utilise les fourchettes qui y sont définies comme des objectifs à atteindre sur une base annuelle. Comme l’a déclaré M. Tetford, son bureau rend compte chaque semaine des progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs annuels. Les bureaux à l’étranger se sont également vu attribuer des objectifs à atteindre (contre-interrogatoire de M. Tetford le 9 février 2021 à 03:28:45). La Commission ne conteste pas, sur la base de la preuve documentaire, qu’IRCC respecte généralement les fourchettes d’objectifs fixées (mémoire de la Commission, paragraphe 37). Toutefois, son argument met en évidence les années où IRCC n’a pas atteint ou dépassé les fourchettes cibles, en particulier dans la catégorie PGP (mémoire de la Commission, paragraphe 39).

[192] Les éléments de preuve présentés lors de l’audience ont clairement montré que, toutes les années, les objectifs d’admission pour les PGP ont été fixés dans les plans de niveaux à des niveaux bien inférieurs à la demande réelle (la demande étant le nombre de personnes cherchant à parrainer un parent ou un grand-parent). En revanche, les objectifs d’admission pour les conjoints et les enfants mineurs ont été fixés à un niveau suffisamment élevé dans l’intention d’absorber toutes les demandes présentées afin d’éviter l’accumulation d’un arriéré. En ce qui concerne les demandes FC1, M. Bornais a déclaré que [Traduction] « les niveaux ont été fixés pour correspondre autant que possible à la demande prévue, contrairement à la plupart des programmes dans lesquels le ministère essaie d’établir la demande d’admission en fonction de l’offre dans l’espace réservé aux niveaux » (examen direct du 10 février 2021 à 48:45).

[193] M. Tetford a expliqué qu’entre juillet 2009 et le printemps 2012, la demande de parrainage de M. Attaran était essentiellement « dormante sur une tablette » dans la file d’attente en attente d’être traitée. M. Tetford a déclaré que, chaque année, il recevait l’objectif fixé dans le plan de niveaux et qu’il affectait les ressources en conséquence pour tenter d’atteindre cet objectif. Les demandes comme celle de M. Attaran restaient dormante sur une tablette en tant que réserve jusqu’à ce qu’il soit temps de les traiter afin d’atteindre l’objectif fixé dans le plan des niveaux. Les demandes étaient traitées dans l’ordre chronologique de leur réception, selon le principe du « premier entré - premier sorti ». M. Tetford a déclaré que les demandes des demandeurs visant à « accélérer » le traitement, comme celle formulée par M. Kazem Attaran dans sa lettre datée du 8 mai 2012 (pièce 3, page 51), n’auraient probablement que peu d’impact. Il a déclaré que la plupart des personnes avaient une raison de vouloir que leur demande soit traitée plus rapidement. S’ils répondaient à toutes les demandes, ce ne serait pas juste. C’est pourquoi ils adhèrent au principe du premier arrivé - premier sorti (contre-interrogatoire de M. Tetford par la Commission le 9 février 2021, à partir de 03:31).

[194] Si l’on considère l’ensemble des éléments de preuve, des explications raisonnables ont été fournies pour expliquer les écarts par rapport aux fourchettes cibles du plan de niveaux. M. Cardinal a précisé que l’atteinte des fourchettes cibles n’était pas une science exacte. Il a expliqué les nombreux défis rencontrés lors de l’exécution et de la mise en œuvre du plan de niveaux. Les demandes de résidence permanente sont traitées et les visas délivrés dans de nombreux bureaux au Canada et dans le monde entier. Les défis opérationnels comprennent des variables qui échappent au contrôle d’IRCC, à savoir le gaspillage de visas (lorsqu’une personne ne choisit pas d’utiliser le visa qui lui a été délivré), le décalage d’établissement (établissement au cours de l’année civile suivant la délivrance du visa), la saisonnalité et le fait de voyager avec des enfants à charge qui peuvent devoir attendre la fin de l’année scolaire avant de voyager (mémoire de l’intimé, paragraphe 94).

[195] L’ampleur de ces écarts a été soulignée dans le rapport annuel 2008 du ministre au Parlement (pièce 21), à la page 5. En 2007, l’objectif global pour les nouveaux immigrants était de 240 000 à 265 000. Plus de 250 000 visas ont été délivrés, mais il n’y a eu que 236 758 admissions cette année-là. En d’autres termes, plus de 13 000 visas de résident permanent délivrés, représentant plus de 5 % du total, n’ont pas été utilisés au cours de cette année civile.

[196] L’affectation de ressources appropriées constitue également un défi. Les mêmes employés d’IRCC qui traitent les demandes de PGP à l’étranger doivent également faire face aux demandes saisonnières de pointe pour le traitement des visas de visiteur et d’étudiant (contre-interrogatoire de M. Cardinal le 23 septembre 2021 à 01:03:50). M. Bornais a témoigné que des écarts se produisent en raison de ces multiples parties mobiles, mais qu’IRCC fait néanmoins tous les efforts possibles pour atteindre la fourchette cible dans le plan des niveaux. En d’autres termes, il existe des réalités pratiques qui font qu’il est difficile d’atteindre les fourchettes cibles (mémoire de l’intimé, par. 99; contre-interrogatoire de Glen Bornais le 12 février à 01:57:20). J’accepte les témoignages de M. Cardinal et de M. Bornais sur ces points comme étant crédibles et convaincants.

[197] En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel les plans de niveaux n’étaient pas vraiment contraignants et qu’il était possible de s’en écarter, je suis guidé par le témoignage de M. Tetford qui a parlé de la pièce 18, le document de politique rédigé par Tracey Bender. À la page 18, l’auteure donne un aperçu du nombre de demandes arrivant au CTD-M à une époque où l’intimé ne pouvait pas refuser d’accepter les demandes qui lui parvenaient, indiquant que la modification des niveaux aurait dû être extrême pour répondre à la demande, dans une mesure qui n’est pas compatible avec les objectifs concurrents en matière d’immigration qu’IRCC a pour tâche de mettre en œuvre :

[Traduction]

La gestion des niveaux n’aurait jamais pu empêcher les réserves de
s’accumuler tant au Canada qu’à l’étranger. En 2002, plus de 22 000 parents et grands-parents ont obtenu le statut de résident permanent. Cette même année, la réserve s’élevait à 48 460 personnes, ce qui signifie que le délai de traitement était légèrement supérieur à deux ans. En 2003, cependant, le nombre de PGP acceptés en tant que résidents permanents est resté relativement constant (19 394), mais la réserve a augmenté de plus de 25 000 personnes, pour un nouveau total d’environ 73 649 demandes de personnes en attente de traitement. Depuis 2004, la réserve est supérieure à 100 000 personnes.

Pour maintenir la réserve au niveau de 2002, soit 48 460 personnes, il faudrait que plus de 44 000 personnes (soit 25 000 personnes supplémentaires) soient devenues des résidents permanents en 2003, plus de 69 000 personnes (soit 56 000 personnes supplémentaires) en 2004, plus de 71 000 (soit 59 000 personnes supplémentaires) en 2005 et plus de 79 000 personnes (soit plus de 59 000 personnes supplémentaires) en 2006, simplement pour maintenir la réserve de 2002!

Ce qui ressort clairement de ce graphique (non illustré), c’est qu’il n’aurait pas été possible d’empêcher l’accumulation de la réserve en ajustant la répartition 60/40 et en augmentant simplement le nombre de parents et de grands-parents qui sont devenus des résidents permanents. Étant donné que le niveau d’admission des demandes (en nombre de personnes) chaque année depuis 2002 était presque aussi élevé que le niveau de la réserve de 2002 (48 460), il n’aurait jamais été possible d’empêcher l’accumulation de la réserve par la seule gestion des niveaux.

[198] La répartition 60/40 faisait référence à l’objectif global du gouvernement d’admettre environ 60 % du total des immigrants dans les catégories économiques, les 40 % restants devant être admis en tant que réfugiés et membres de la catégorie familiale (voir le paragraphe 86 de l’affidavit de David Manicom, pièce 16).

[199] M. Cardinal a fourni des preuves qui confirment l’ampleur du problème. Il a déclaré qu’en 2011, même si les fourchettes cibles pour les admissions de PGP étaient augmentées de 4 000 à 5 000 places par an, cela n’aurait aucun effet sur le délai de traitement estimé à 40 mois à l’époque (Examen de redirection de M. Cardinal le 24 septembre 2021 à 03:08:40).

[200] Comme l’a fait remarquer l’intimé, l’arriéré des PGP en 2011 était si important que les délais de traitement n’auraient pu être résolus qu’en apportant au plan des niveaux des changements si radicaux qu’ils auraient perturbé l’équilibre des autres flux d’immigration (tels que les classes économiques et les classes de réfugiés), comme l’avait décidé le Cabinet. Il aurait fallu tripler ou quadrupler les niveaux d’admission des PGP pour réduire l’inventaire en l’espace de deux ou trois ans. (Voir le mémoire de l’intimé au paragraphe 276.)

[201] Rien ne prouve qu’IRCC avait le pouvoir de réécrire, d’échanger ou de créer unilatéralement de nouveaux programmes. Bien que les éléments de preuve aient montré que les objectifs du plan des niveaux ont souvent été manqués pour les raisons précitées, il a également été prouvé qu’ils ont été dépassés en raison d’engagements ministériels périodiques (contre-interrogatoire de Simon Cardinal le 23 septembre 2021 à 01:01:54). Par exemple, en 2015, le nombre de personnes protégées et de réfugiés a dépassé la fourchette cible de plus de 6 000 en raison de l’engagement du nouveau gouvernement à réinstaller un grand nombre de réfugiés syriens (voir la pièce 28 et le mémoire de l’intimé au paragraphe 105).

[202] Rien ne permet de penser qu’IRCC avait la possibilité d’augmenter le nombre de PGP de son propre chef, et certainement pas de manière aussi massive. La demande réelle de places pour les PGP a toujours été très élevée, et permettre à IRCC de dépasser suffisamment les objectifs pour répondre à toute la demande aurait entraîné un nombre massif d’admissions de PGP, ce qui aurait vidé de leur sens les plans de niveaux.

[203] J’ai constaté que le Cabinet établit le plan des niveaux. Aucune partie n’a indiqué au Tribunal que la LIPR ou son règlement d’application autorisait explicitement IRCC à s’écarter du plan des niveaux d’une manière qui irait à l’encontre de l’intention et de l’objet de ce plan. Le régime contient des éléments de discrétion qui sont conçus pour aider le ministre à réaliser le plan des niveaux et à mettre en œuvre la LIPR, compte tenu de l’éventail des circonstances et des exigences qui peuvent survenir. Ces éléments discrétionnaires ne signifient pas que le ministre ou IRCC doit ignorer les instructions du Cabinet.

[204] En ce qui concerne l’argument du plaignant selon lequel les décisions du Cabinet ne sont pas à l’abri d’un examen au titre de la LCDP, ou que le Parlement est suprême et que les décisions du Cabinet peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, il ne s’agit pas de la question en l’espèce. La question est de savoir si IRCC avait le pouvoir discrétionnaire, en vertu de la LIPR, de traiter les demandes d’une manière qui annulerait la différence de traitement des PGP exprimée dans les plans de niveaux.

[205] Le fait que le Cabinet ait choisi de limiter les places d’admission pour les PGP et de ne pas fixer d’objectifs correspondant à la demande réelle (comme c’est le cas pour les conjoints et les enfants) est une décision qui lui appartient.

[206] IRCC doit mettre en œuvre les décisions du Cabinet. La flexibilité limitée qui existait, ou le fait que les fourchettes d’objectifs n’étaient parfois pas atteintes, ne doit pas être confondue avec un large pouvoir discrétionnaire permettant à IRCC d’ignorer les objectifs du plan des niveaux et d’admettre un nombre massif de PGP pour parvenir à la parité avec les conjoints et les enfants.

F. INSTRUCTIONS MINISTÉRIELLES

a) L’utilisation d’instructions ministérielles par l’IRCC impliquait-elle la fourniture d’un service?

[207] Outre la LIPR, son règlement d’application et les plans de niveau, les instructions ministérielles guident les fonctionnaires d’IRCC dans la réception et le traitement des demandes de parrainage de PGP. Le plaignant et la Commission allèguent que la non-utilisation et l’utilisation, respectivement, des instructions ministérielles par le ministre constituent des pratiques discriminatoires. En réponse, l’intimé affirme que les instructions ministérielles ne sont pas un service.

[208] La plaignante et la Commission affirment que le pouvoir d’utiliser des instructions ministérielles est un outil discrétionnaire de prise de décision et devrait être considéré comme un élément de la prestation de service d’IRCC dans le traitement des demandes. L’intimé soutient que les instructions ministérielles ne répondent pas à la définition du service dans l’affaire Watkin. La création d’une instruction ministérielle par le ministre constitue-t-elle un service ou ne présente-t-elle pas les caractéristiques d’un service?

[209] Il convient d’examiner le libellé de l’article 87.3 de la LIPR qui autorise le ministre à créer des instructions ministérielles :

Application

(1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

Atteinte des objectifs d’immigration

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

Instructions

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions : a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions; a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci;

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe; c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

Application

(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet.

Précision (3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro.Respect des instructions

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.Précision (5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visa ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables.Publication

(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada.

Précision (7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi.

[210] L’introduction des instructions ministérielles a été expliquée par l’expert juridique Mario Bellissimo dans un document auquel la Commission fait référence dans son mémoire, au paragraphe 40 :

[Traduction]

En 2008, le programme fédéral canadien des travailleurs qualifiés (TQF) était confronté à un énorme arriéré. Le nombre de demandeurs dépassait largement la capacité du programme et, en 2008, plus de 600 000 demandeurs étaient en attente de traitement alors que ce nombre continuait d’augmenter. Cet arriéré a entraîné un délai extrême entre le moment de la demande et le moment du traitement. Les demandeurs ont mis leur vie en suspens pendant des années dans l’attente d’une décision, et il est devenu de plus en plus difficile de faire correspondre les compétences des demandeurs aux besoins actuels du marché du travail canadien. Malgré d’énormes retards, l’arriéré a continué à augmenter.

En réponse, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) a été modifiée et l’article 87.3 a été créé. Cette disposition confère au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (actuellement le ministre Jason Kenney) de larges pouvoirs pour fixer des quotas de traitement et des priorités pour différentes catégories de demandes au cours d’une année donnée par le biais d’« instructions ministérielles », et pour éliminer sommairement les demandes qui ne répondent pas à ces critères. (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, article 87.3(3) [en vigueur du 18 juin 2008 au 28 juin 2012], article 3). Cette disposition prévoit également que toute mesure prise en application de ces instructions ministérielles « ne constitue pas une décision de ne pas délivrer le visa ou autre document, ou d’accorder le statut ou la dispense » (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, paragraphe 87.3(5)), tentant ainsi de mettre ces décisions à l’abri d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada. (soulignement ajouté)

[211] Selon M. Bellissimo, les instructions ministérielles sont le nouvel outil utilisé pour effectuer des actions qui ne seraient pas attaquées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, comme une décision sur le refus d’un visa ou d’un document ou l’octroi d’un statut ou d’une exemption.

[212] En outre, le paragraphe 5(2) de la LIPR exige que le ministre dépose devant chaque chambre du Parlement, pour renvoi à la commission compétente de chaque chambre, tout projet de règlement affectant les sections les plus importantes pour l’admission au Canada. Le recours aux instructions ministérielles par le ministre, pour imposer des conditions et des limites importantes aux critères d’immigration, permet d’éviter l’examen par les commissions des Chambres du Parlement qui était auparavant nécessaire lorsque des modifications étaient apportées par voie réglementaire.

[213] La toute première instruction ministérielle, déposée en preuve comme pièce 93, se concentre sur l’arriéré des demandes de travailleurs qualifiés (fédéral). Elle introduit de nouveaux critères pour les demandes de TQF reçues après le 29 février 2008, qui seraient [Traduction] « mises en traitement dès leur réception ». Les demandes de TQF reçues avant cette date ont donc été classées sans priorité. Cette mesure a marqué l’abandon de la règle du « premier entré - premier sorti », qui consistait à trancher sur une requête selon l’ordre de réception. Il s’agit d’un changement important qui a affecté des centaines de milliers de personnes dans la file d’attente des TQF qui ont perdu leur priorité dans cette file d’attente. Ces personnes, qui ont déposé leur demande avant le 27 février 2008, ont vu leur demande languir jusqu’à ce qu’elle soit « rejetée » par les modifications apportées à la LIPR en 2012. La nouvelle modification, le paragraphe 87(4) de la LIPR, incluait le paragraphe (3) considérant que la résiliation ne constituait pas une décision sur la délivrance d’un visa de résident permanent (isolation du contrôle judiciaire selon M. Bellissimo) et le paragraphe (5) excluant tout droit de recours ou d’indemnisation contre le gouvernement pour la résiliation de leurs demandes, qui à ce moment-là languissaient depuis au moins quatre ans, mais dans la majorité des cas, depuis bien plus longtemps.

[214] Les instructions ministérielles ultérieures présentées comme preuves ont révélé qu’elles ont été utilisées à diverses fins pour affiner les critères de sélection et imposer des limites au nombre de demandes reçues dans diverses catégories, y compris les PGP. Elles prévoyaient également des dispositions pour les demandes de certaines catégories qui ne seraient tout simplement « pas traitées » (voir l’exemple de la pièce 93).

[215] Huit instructions ministérielles ayant une incidence sur les demandes de parrainage de PGP ont été présentées en preuve. Seule l’instruction ministérielle n° 4 a été émise pendant la période couverte par la demande de M. Attaran. Publiée fin 2011, elle a imposé un moratoire temporaire sur la réception de nouvelles demandes de parrainage, mais cela n’a pas affecté le plaignant. Les instructions ministérielles ultérieures, publiées de 2014 à 2020, ont imposé des plafonds d’admission pour les parrainages et différentes méthodes de sélection pour ces demandes. Certaines années, le délai de soumission des demandes était court. D’autres années, la sélection se faisait de manière aléatoire. Ces instructions ministérielles ultérieures n’ont pas eu d’incidence sur le plaignant ou d’autres personnes comme lui qui cherchaient à parrainer des parents ou des grands-parents à l’époque.

[216] La Commission décrit les instructions ministérielles comme une forme innovante d’élaboration de la loi qui laisse une grande marge de manœuvre pour réorganiser la politique et les critères (Mémoire de la CCDP, paragraphes 40 et 45).

[217] La position de l’intimé est que les mesures politiques nécessaires pour permettre le contrôle de l’admission ne peuvent être qualifiées de « service » parce qu’elles n’ont pas la connotation transitive requise pour un service, comme l’a décrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gould. En outre, les instructions ministérielles ne ressemblent pas à des « biens... des installations ou de moyens d’hébergements ». Il n’y a pas d’interface publique avec le fournisseur de services présumé. Il n’y a pas de capacité ni d’obligation d’« accommoder » les circonstances individuelles (mémoire de l’intimé, paragraphes 208 et 194.)

[218] Il est clair que les instructions ministérielles ne sont pas des décisions du Cabinet. Les instructions ministérielles se distinguent des décisions du Cabinet, car elles résultent de l’opinion du ministre. Le paragraphe 87.3(2) de la LIPR indique clairement qu’en accordant au ministre le pouvoir de donner des instructions ministérielles, ce pouvoir doit être exercé d’une manière particulière : « Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral ». Cet article n’autorise pas le ministre à fixer des objectifs d’immigration contraires à ceux fixés par le Parlement et le Cabinet.

[219] La prépondérance de la preuve dans cette affaire est que le ministre, en donnant des instructions ministérielles, tentait de mettre en œuvre « des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral », comme l’exige le paragraphe 87.3(2) de la LIPR. La combinaison d’une forte demande de parrainage de PGP et de fourchettes cibles relativement basses dans les plans de niveaux signifiait qu’IRCC avait, d’une part, de grandes difficultés avec les arriérés et, d’autre part, l’insatisfaction des demandeurs potentiels qui étaient exclus par les contrôles d’admission.

[220] Lorsque les instructions ministérielles ont finalement été mises en œuvre en 2011 pour traiter les PGP, le ministre a traité les demandeurs de PGP différemment des autres catégories, mais cela était inévitable pour mettre en œuvre les objectifs des plans de niveaux, de la LIPR et du règlement d’application de la LIPR. À l’exception de l’instruction ministérielle n° 4, les instructions ministérielles ultérieures sont très éloignées du cadre temporel de la plainte de M. Attaran et n’ont pas eu d’incidence sur lui ou sur d’autres personnes comme lui qui présentaient des demandes à l’époque.

[221] À mon avis, les instructions ministérielles ne constituent pas un service au sens de la LCDP. Elles n’ont pas la connotation transitive requise. Il n’y a pas d’interface entre le public et le ministre (Gould, précité, paragraphe 55). Toutes les actions du gouvernement ne sont pas des services (Watkin, précité, paragraphe 33).

[222] Après cette conclusion, j’aborde maintenant les arguments spécifiques du plaignant et de la Commission.

b) Non-déploiement des instructions ministérielles de 2008 à 2011 pour contrôler l’arrivée des demandes afin de prévenir l’augmentation de l’arriéré

[223] M. Attaran allègue que le non-déploiement des instructions ministérielles de 2008 à 2011 pour contrôler la réception des demandes de PGP constitue un traitement défavorable, car, selon lui, cela aurait permis de réduire la croissance de l’arriéré de demandes au cours de cette période.

[224] Au moment où M. Attaran a présenté sa demande de parrainage, le CTD‑Mississauga ne pouvait puiser dans le répertoire, selon le principe du premier entré - premier sorti, qu’un nombre limité de demandes suffisantes pour combler les places prévues dans le plan des niveaux pour le sous-groupe des PGP cette année-là. Cependant, en même temps, il n’y a pas eu de contrôle de l’admission. Le nombre de nouvelles candidatures arrivant chaque année dépassait de loin le nombre de places allouées dans le plan de niveaux. L’arriéré de dossiers a donc augmenté.

[225] IRCC n’a pas mis en œuvre de contrôles de réception des demandes avant que la modification de la LIPR en 2008 ne confère au ministre le pouvoir d’émettre des instructions ministérielles. Comme l’a déclaré M. Cardinal, le ministre a d’abord utilisé les instructions ministérielles pour contrôler l’admission et éliminer l’arriéré dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en 2008.

[226] Le ministre n’a pas invoqué ce pouvoir en ce qui concerne les demandes de PGP avant 2011, lorsque l’instruction ministérielle n° 4 a été mise en œuvre pour interrompre l’acceptation des nouvelles demandes de parrainage de PGP de novembre 2011 à la fin de l’année 2013. Comme indiqué ci-dessus, au cours des années suivantes, un certain nombre d’instructions ministérielles ont été utilisées pour contrôler la réception des nouvelles demandes de parrainage de PGP, y compris par le biais d’une loterie.

[227] M. Attaran soutient que l’intimé aurait pu plus tôt : (i) suspendre l’admission de nouvelles demandes; (ii) imposer une limite ou un « plafond » au nombre de demandes qu’il accepte d’admettre; (iii) émettre un nombre limité d’invitations à présenter une demande; et/ou (iv) procéder à une sélection aléatoire ou à une loterie pour sélectionner un groupe de demandes. M. Attaran a cité la pièce 65 pour montrer que ces options avaient été envisagées par l’intimé.

[228] M. Attaran reconnaît que l’intimé a fini par mettre en œuvre une pause et les autres méthodes suggérées pour contrôler le nombre de demandes. Toutefois, ces mesures n’ont été prises qu’après qu’il eut présenté sa demande de parrainage de ses parents et que celle-ci eut rejoint la file d’attente existante au CTD-Mississauga.

[229] M. Attaran allègue que l’intimé aurait dû utiliser ces mesures de contrôle de l’admission plus tôt afin de réduire le temps total de traitement de sa demande, et qu’en ne le faisant pas, lui et sa famille ont été soumis à un traitement défavorable par rapport aux conjoints et partenaires (pour lesquels la demande et l’offre étaient raisonnablement adéquates) et à d’autres catégories d’immigrants qui ont fait l’objet de contrôles de l’admission plus tôt (par exemple, les travailleurs qualifiés étrangers en 2008) (par. 122 et 143 du mémoire du plaignant).

[230] M. Attaran n’a pas suggéré quelle instruction ministérielle en particulier aurait pu être mise en œuvre en 2008, ce qui lui aurait été bénéfique et n’aurait pas été en soi discriminatoire. Il est vrai que les instructions ministérielles relatives aux PGP auraient pu être mises en œuvre plus tôt, dès 2008. Toutefois, s’il y avait eu un contrôle plus précoce de l’admission à son profit, il semblerait que cela se soit fait au détriment de l’exclusion d’autres candidats potentiels.

[231] L’intimé souligne que si les instructions ministérielles avaient été mises en œuvre en 2008 pour le contrôle de l’admission des demandeurs de PGP, M. Attaran aurait pu être confronté à des mesures telles qu’un moratoire et ne pas être en mesure de soumettre une demande de parrainage. (M. Attaran qualifie cet argument de fabrication factuelle et suggère que l’intimé [Traduction] « spécule de manière exagérée » en l’avançant sans citer aucune preuve. (voir le paragraphe 80 du mémoire en réponse du plaignant).

[232] Les preuves ont montré que la première instruction ministérielle concernant l’admission des PGP, l’instruction ministérielle n° 4 du 5 novembre 2011, a mis en place un moratoire sur l’admission des nouvelles demandes de parrainage de PGP qui a duré 26 mois. Si des contrôles d’admission avaient été mis en place plus tôt, ils auraient empêché certaines des personnes cherchant à déposer une demande entre 2008 et 2011 de le faire. C’est le sens et l’objectif du « contrôle de l’admission », et c’est ce qui s’est produit après 2011. L’argument de M. Attaran suppose que sa demande aurait néanmoins été l’une de celles qui auraient été acceptées et ajoutées dans la réserve.

[233] L’argument en faveur d’un contrôle plus précoce de l’admission au moyen d’instructions ministérielles ne tient pas non plus compte de l’« éléphant dans la pièce ». Toute forme de contrôle de l’admission, comparée à l’admission à la demande des membres de la catégorie de la famille FC1, représente un traitement défavorable des PGP.

c) Des instructions ministérielles agressives (par exemple, des plafonds, des moratoires et des loteries) sont utilisées pour les PGP, mais non pour les conjoints et les enfants.

[234] La Commission a allégué une deuxième forme d’utilisation inappropriée des instructions ministérielles. Alors que M. Attaran a fait valoir que l’intimé aurait pu mettre en œuvre les instructions ministérielles plus tôt pour limiter le nombre de demandes de parrainage de PGP, la Commission a soutenu que l’utilisation agressive des instructions ministérielles par le ministre pour contrôler le nombre de demandes de PGP constituait un traitement défavorable.

[235] Depuis novembre 2011, plusieurs instructions ministérielles prévoient des plafonds, des moratoires et même des loteries pour les demandeurs de PGP, mais pas pour les conjoints et les enfants. Par exemple, l’instruction ministérielle n° 4 a introduit le moratoire de 26 mois sur l’admission en 2011. L’instruction ministérielle n° 9 a fixé à 5 000 le nombre maximal de demandes de parrainage de PGP en 2014. L’instruction ministérielle n° 21 a fixé un plafond d’admission pour 2017 à 10 000. L’instruction ministérielle n° 25 a introduit un système de sélection aléatoire et fixé le plafond pour 2018 à 10 000. L’instruction ministérielle n° 43 a introduit une courte période en 2020 pendant laquelle les parrains potentiels peuvent soumettre un intérêt à parrainer, qui, s’il est sélectionné, conduira à une invitation à soumettre une demande. Elle a également fixé le plafond d’admission pour 2021 à 10 000.

[236] La Commission observe que plusieurs mémorandums adressés au ministre d’IRCC et présentés lors de l’audience suggèrent l’utilisation de certains outils pour recalibrer le nombre de demandes en attente par rapport à l’offre de places d’admission dans les plans de niveau pour les demandes de PGP. Les mémorandums font référence à des outils tels que les pauses temporaires, l’admission par ordre d’arrivée avec une ouverture limitée dans le temps, les sélections aléatoires, les moratoires et les plafonds. Cependant, la Commission note que le dossier ne montre nulle part que l’intimé a utilisé de tels « outils agressifs » pour calibrer les numéros de demande pour les conjoints et les enfants mineurs (mémoire de la Commission, paragraphe 91). Elle renvoie au témoignage de M. Cardinal qui a confirmé que les FC1 n’ont pas été soumis à ces outils pour le contrôle de l’admission des demandes parce que les niveaux de demande d’admission ont été constamment alignés sur le plan des niveaux (par. 91 du mémoire de la Commission). Comme indiqué ci-dessus, le Cabinet a fixé les fourchettes cibles du plan des niveaux pour les admissions de résidents permanents dans le sous-groupe FC1 d’une manière qui s’aligne systématiquement sur le nombre de personnes cherchant effectivement à être parrainées. Ainsi, les arriérés n’étaient pas un problème pour les FC1.

[237] La Commission suggère que l’utilisation des instructions ministérielles pour gérer la réception des demandes est une [Traduction] « solution capricieuse » pour les arriérés des parents et des grands-parents qui suggèrent un traitement défavorable. La Commission soutient qu’il n’y a pas de preuves qui soutiennent une explication raisonnable pour le traitement défavorable des PGP causé par l’utilisation des instructions ministérielles, mais non pour les FC1. Elle affirme que les instructions ministérielles marginalisent davantage la catégorie des PGP.

[238] Faisant écho à ces arguments de la Commission, M. Attaran observe qu’aucun autre membre de la catégorie familiale que les PGP [Traduction] « n’a subi l’indignité d’une loterie » (mémoire du plaignant, paragraphe 160).

[239] Pour la Commission, le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre en vertu de l’article 87.3 de la LIPR se distingue encore une fois de l’arrêt Matson/Andrews, où le service de traitement n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’interpréter différemment les critères d’admissibilité. En utilisant les instructions ministérielles, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre des politiques et des pratiques relatives à l’exécution du programme d’immigration (paragraphe 20 du mémoire de réponse de la Commission).

[240] Le plaignant et la Commission ont fait valoir que l’émission d’instructions ministérielles s’apparente aux faits de l’affaire Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2014 TCDP 1 (Beattie). Dans l’affaire Beattie, l’intimé, qui traitait une demande de statut d’Indien, disposait d’une interprétation qui n’établissait pas de distinction en fonction d’un motif illicite.

[241] Dans l’affaire Beattie, l’option non discriminatoire relevant du pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire avait été identifiée. L’interprétation de la Loi sur les Indiens par le fonctionnaire a contribué au traitement défavorable subi par le plaignant, alors que dans l’arrêt Matson/Andrews, le fonctionnaire n’avait pas le choix, car la source du traitement défavorable était entièrement imputable aux critères d’éligibilité de la Loi sur les Indiens.

[242] Dans l’affaire Beattie, le Tribunal a estimé qu’un représentant du gouvernement n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière conforme à la LCDP. Dans cette plainte, l’allégation est que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, dans l’exercice de son opinion sur la meilleure façon de réaliser les objectifs du Cabinet au moyen d’instructions ministérielles, d’une manière conforme à la LCDP.

d) Non-utilisation et utilisation des instructions ministérielles par le ministre après 2008 : analyse du traitement défavorable alléguée

[243] En commençant par la position de l’intimé sur l’utilisation inappropriée présumée des instructions ministérielles et l’absence de mise en œuvre de contrôles de l’admission avant 2008, l’intimé fait valoir qu’avant la modification de 2008 à la LIPR autorisant les instructions ministérielles, le ministre n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’arrêter ou de limiter l’admission de nouvelles demandes sans l’intervention du Parlement ou du Cabinet.

[244] Le plaignant rétorque que l’argument de l’intimé [Traduction] « est un mensonge éhonté » et que la version originale de la LIPR adoptée en 2001 au paragraphe 14(2) permettait aux règlements de régir le nombre de demandes au cours d’une année (mémoire de réponse du plaignant, paragraphes 51-52). Il soutient que les modifications réglementaires auraient pu mettre en œuvre des mesures de contrôle de l’admission telles que des loteries, des moratoires et des plafonds. L’intimé précise dans sa contre-réplique (au paragraphe 12) que les modifications apportées à la LIPR en 2008 ont donné au ministre le pouvoir, pour la première fois, de contrôler le nombre de demandes.

[245] Les parties ne soutiennent pas le même point ici. Les éléments de preuve ont montré que le gouvernement a effectivement eu recours à la réglementation pour réduire le nombre de demandes de PGP en 2014 en appliquant la division 133(1)j)(i)(B) du règlement d’application de la LIPR afin d’augmenter de 30 % le revenu minimum requis pour le parrain. M. Attaran a raison de dire que le paragraphe 14(2) de la LIPR prévoit que le règlement d’application de la LIPR peut contenir des dispositions relatives au nombre de demandes pouvant être traitées ou approuvées au cours d’une année. Toutefois, l’intimé soutient qu’en l’absence de dispositions dans la LIPR ou dans un règlement, IRCC n’avait pas le pouvoir de refuser d’accepter des demandes de parrainage au point d’accueil jusqu’à ce que les instructions ministérielles entrent en jeu en 2008. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’élaboration de règlements n’est pas le service dont le Tribunal est saisi dans le cadre de cette plainte. L’accent doit rester mis sur les pouvoirs dont disposait le ministre en vertu de l’article 87.3 de la LIPR et sur la question de savoir si ces pouvoirs ont été exercés de manière appropriée.

[246] Les instructions ministérielles impliquent la mise en œuvre de processus permettant d’atteindre au mieux les objectifs du Canada en matière d’immigration, qui sont exprimés dans la LIPR, le règlement d’application de la LIPR et les plans de niveaux établis par le Cabinet. Le libellé de la loi (article 87.3) indique clairement que le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la manière la plus efficace d’administrer la LIPR (paragraphe (7)). Le paragraphe (2) précise que les instructions ministérielles reflètent l’opinion du ministre sur la façon de soutenir les objectifs du gouvernement en matière d’immigration, qui comprennent les objectifs énoncés dans la LIPR, le règlement d’application de la LIPR et les décisions sur les fourchettes cibles pour les catégories de demandeurs, telles qu’elles sont exprimées dans les plans d’immigration.

[247] Toutefois, l’existence d’un pouvoir discrétionnaire n’implique pas nécessairement l’existence d’un service. Pour les raisons susmentionnées, j’ai conclu que les instructions ministérielles ne constituent pas un service. M. Attaran n’a pas présenté d’argument convaincant pour démontrer comment une utilisation plus précoce des contrôles d’admission au moyen des instructions ministérielles aurait été bénéfique pour lui ou pour d’autres personnes comme lui cherchant à parrainer des parents et des grands-parents.

[248] Les instructions ministérielles postérieures à 2011 que la Commission cherche à contester ne peuvent pas être incluses dans cette plainte. Les contrôles ultérieurs n’ont eu aucune incidence sur la demande de M. Attaran ou des autres personnes qui ont déposé leur demande en même temps que lui. Bien que leur présentation en tant que preuve ait donné un contexte et un aperçu de l’utilisation des instructions ministérielles, les instructions ministérielles postérieures à 2011 ont eu un effet sur les personnes qui ont été soumises à un nouveau régime de traitement des demandes de PGP. Ce nouveau régime comprenait des contrôles stricts de la réception des demandes, ce qui a permis d’éliminer l’arriéré des demandes de PGP et de traiter beaucoup plus rapidement les dossiers acceptés.

[249] En conclusion, les instructions ministérielles ne sont pas des services. En outre, le plaignant et la Commission n’ont pas convaincu le Tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que leur utilisation antérieure aurait amélioré le temps d’attente subi par M. Attaran et sa famille. Par conséquent, ces allégations sont rejetées.

XIV. Le fait que le ministre n’ait pas fait usage du pouvoir que lui confère du paragraphe 25.2(1) de la LIPR d’exempter les demandeurs de PGP de certaines exigences financières énoncées dans le règlement constitue-t-il un traitement défavorable dans la prestation d’un service?

[250] Le plaignant et la Commission ont fait valoir que les parrains de PGP sont soumis à des exigences financières plus onéreuses que les parrains d’autres membres de la catégorie familiale. M. Attaran soutient que les seuils financiers plus élevés pour le parrainage de PGP constituent un traitement défavorable pour ceux qui souhaitent parrainer des parents et des grands-parents parce qu’ils rendent plus difficile l’éligibilité au parrainage. Il allègue ensuite que le ministre aurait dû utiliser le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25.2(1) de la LIPR, dont il est question ci-dessous, pour éliminer cette différence de traitement. Le fait que le ministre n’ait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de cette manière constitue, selon M. Attaran, une pratique discriminatoire.

[251] Premièrement, le Tribunal a entendu la preuve que chaque répondant de la catégorie du regroupement familial doit présenter un engagement d’aide dans le cadre de sa demande de parrainage. Selon le paragraphe 132(1) de la LIPR, « le répondant s’engage à rembourser à Sa Majesté du chef du Canada ou de la province en cause les prestations fournies à titre d’assistance sociale à l’étranger parrainé, ou pour son compte, ou aux membres de la famille de celui-ci ».

[252] La durée de l’engagement d’assistance du répondant est définie aux alinéas 132(1)a) et b) du règlement de la LIPR et varie en fonction du type de demandeur. La date de début de l’engagement est définie à l’alinéa 132(1)a) comme la date à laquelle le parent parrainé arrive au Canada avec un permis de séjour temporaire, obtient un permis de séjour temporaire pendant son séjour au Canada ou devient résident permanent. Les dates limites varient considérablement en fonction de la sous-catégorie d’immigrant. Alors que les répondants FC1 sont généralement tenus de respecter leur engagement pendant trois ans (alinéa 132(1)b)(i) de la LIPR), les répondants PGP sont tenus de respecter leur engagement pendant beaucoup plus longtemps. À l’époque où M. Attaran a parrainé ses parents, l’engagement d’assistance qu’il a signé l’engageait pour dix ans après l’arrivée de ses parents. Toutefois, le règlement d’application de la LIPR a depuis été modifié pour exiger que les répondants des PGP signent des engagements valables pendant 20 ans après l’arrivée de leurs parents au Canada : sous-alinéa 132(1)b)(iv) du règlement d’application de la LIPR. La durée de l’engagement pour les parrains FC1 n’a pas changé.

[253] Les parrains des parents et des grands-parents sont également soumis à une autre exigence financière, plus rigoureuse que celle imposée aux parrains des autres membres de la catégorie « regroupement familial ». Pour toutes les demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial, le répondant doit fournir des renseignements financiers pour démontrer qu’il est financièrement capable de s’acquitter de ses obligations en vertu de l’engagement d’aide. Selon la province de résidence envisagée, le répondant doit démontrer qu’il (et son conjoint, le cas échéant) a un revenu qui atteint ou dépasse le seuil de faible revenu (SFR) pour la taille de la famille dans cette région.

[254] Dans la présentation du Comité exécutif de CIC de 2011, datée du 30 juin 2011 (pièce 160), diverses options ont été étudiées pour faire face à l’augmentation du nombre de demandes de PGP. L’une des options stratégiques envisagées consistait à augmenter le montant du SFR pour les répondants. Les données préliminaires suggèrent que l’augmentation de l’exigence de revenu à 25 % au-dessus du SFR actuel entraînerait une réduction de 43 % du nombre de demandes reçues. L’augmentation de l’exigence à 40 % au-dessus du SFR entraînerait une réduction de 57 % des demandes de PGP.

[255] En 2014, le règlement sur la LIPR a été modifié de façon à ce que la division 133(1)j)(i)(B) du règlement d’application de la LIPR exige que les répondants PGP aient le revenu minimum nécessaire du SFR existant plus 30 % afin d’être admissibles. En revanche, en vertu de la division 133(1)j)(i)(A) du règlement d’application de la LIPR, les répondants FC1 sont seulement tenus de démontrer qu’ils ont le revenu minimum nécessaire au niveau du SFR existant.

[256] La source de l’augmentation de la condition de revenu est clairement le règlement modifié de la LIPR qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014. La source de l’engagement financier plus lourd est également le règlement d’application de la LIPR. La modification portant l’engagement des promoteurs de PGP de 10 à 20 ans est également entrée en vigueur le 1er janvier 2014.

[257] L’intimé fait valoir que les modifications réglementaires n’ont pas affecté M. Attaran et que les preuves montrent qu’il n’a eu aucune difficulté à démontrer qu’il disposait du revenu minimum nécessaire. Les modifications apportées au règlement d’application de la LIPR sont entrées en vigueur après que les parents de M. Attaran eurent obtenu le statut de résident permanent au Canada.

[258] L’intimé fait également valoir que l’exposé des précisions de M. Attaran sur la durée des engagements n’est mentionné nulle part dans son exposé des précisions, pas plus que la contestation des exigences relatives au revenu minimum. De plus, il soutient que les changements n’ont pas eu d’effet sur les temps d’attente et qu’ils ne sont pas concernés par les faits de cette affaire (par. 214 du mémoire de l’intimé).

[259] Il est vrai que ces mesures réglementaires ont des effets négatifs et différentiels sur les promoteurs de PGP. L’engagement supplémentaire de 7 à 17 ans constitue un risque financier plus important pour le parrain et, en tant que tel, il est défavorable. Cela pourrait également avoir pour effet de décourager certaines personnes de devenir parrains.

[260] De même, l’exigence de revenu minimum pour les parrains de PGP est plus contraignante. L’exigence supplémentaire de 30 % éliminera sans aucun doute les chances de certains Canadiens qui souhaitent parrainer des membres de leur famille qui sont PGP.

[261] Ces exigences réglementaires sont sans ambiguïté. Les nouvelles exigences financières rendent le parrainage plus difficile pour certains parrains potentiels. Toutefois, le plaignant et la Commission n’ont pas établi en quoi l’adoption de ces règlements concernait « […] le fournisseur … de services […] », comme l’exige l’article 5 de la LCDP. Le plaignant et la Commission ont déclaré que l’élaboration de règlements n’est pas le service contesté dans cette plainte. Par conséquent, les présents motifs ne permettent pas de déterminer si la création ou la modification du règlement d’application de la LIPR constitue en soi un service.

[262] La pratique discriminatoire alléguée par M. Attaran est plutôt le fait que le ministre n’a pas utilisé le pouvoir que lui confère le paragraphe 25.2(1) d’exempter les demandeurs de PGP des exigences financières énoncées dans ces règlements.

[263] Mettant de côté pour un moment l’objection de l’intimé concernant la pertinence de la demande du plaignant, le plaignant et la Commission ont mis en cause deux règlements spécifiques concernant les exigences financières et affirment que le fait que le ministre n’ait pas exempté tous les demandeurs de PGP de ces exigences constitue une discrimination systémique. Bien qu’elles ne soient pas liées à la demande du plaignant, ces allégations se rapportent à l’expérience d’autres demandeurs de PGP avec IRCC.

[264] L’article 14 de la LIPR stipule que le règlement d’application de la LIPR peut prescrire et régir toute question relative aux catégories de résidents permanents ou d’étrangers. L’alinéa 14(2)c) stipule que le règlement d’application de la LIPR peut contenir des dispositions concernant :

« le nombre de demandes à traiter et dont il peut être disposé et celui de visas ou autres documents à accorder par an, ainsi que les mesures à prendre en cas de dépassement ».

[265] Le plaignant soutient que, lorsque le règlement d’application de la LIPR établit une distinction fondée sur un motif de distinction illicite, le ministre responsable a l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire, conformément au paragraphe 25.2(1), pour dispenser les demandeurs. Le plaignant affirme que la LCDP l’exige.

[266] La jurisprudence du Tribunal dans l’affaire Beattie stipule que lorsque les acteurs gouvernementaux ont le pouvoir discrétionnaire d’interpréter la législation de manière à éviter un traitement défavorable fondé sur un motif illicite, la LCDP exige qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire d’une manière qui va dans ce sens. Dans l’affaire Beattie, un fonctionnaire a choisi d’établir des distinctions entre les enfants biologiques et les enfants adoptés selon la coutume lorsqu’il a interprété les dispositions de la Loi sur les Indiens (Beattie, par. 50). Au para. 102 de sa décision, membre Lustig a conclu que « [l]orsque le libellé d’une disposition légale comporte quelque ambiguïté susceptible de plus d’une interprétation, le ministère responsable de son application est tenu, selon la LCDP, de retenir l’interprétation la plus compatible avec les principes en matière de droits de la personne ».

[267] Le plaignant s’appuie sur ce principe pour soutenir que le ministre n’est pas strictement lié par les articles 132 et 133 du règlement d’application de la LIPR parce que du paragraphe 25.2(1) de la LIPR donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de déroger aux exigences du règlement d’application de la LIPR (mémoire du plaignant, par. 176).

[268] Le paragraphe 25.2(1) de la LIPR est libellé comme suit :

Séjour dans l’intérêt public

25.2(1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.

[269] Le plaignant précise ce point en deux arguments. Premièrement, l’application par IRCC des exigences relatives à l’engagement financier et au SFR dans le règlement d’application de la LIPR aux demandeurs PGP n’est pas soumise au ratio de Matson/Andrews parce que le ministre peut utiliser l’article 25.2(1) pour faire des exemptions qui, étant des actes discrétionnaires, sont nécessairement un « service » en vertu de la LCDP. Deuxièmement, le ministre doit utiliser son pouvoir discrétionnaire pour déroger aux exigences du règlement d’application de la LIPR qui entraînent un traitement défavorable pour la catégorie des PGP, car la LCDP a préséance sur le règlement d’application de la LIPR. Le plaignant soutient cet argument en affirmant que la LCDP est la volonté du Parlement et qu’elle a donc préséance sur le règlement d’application de la LIPR pour guider le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[270] Le plaignant soutient que le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de la LIPR pour accorder des dispenses et, de cette façon, rendre le règlement d’application de la LIPR conforme à ce qu’il perçoit comme étant la LCDP. En fait, le plaignant soutient que le ministre devrait utiliser le paragraphe 25.2(1) de la LIPR pour exempter tous les demandeurs de PGP de tout traitement défavorable au sein de la catégorie de la famille qui est enracinée dans le règlement d’application de la LIPR et qui entraîne une discrimination systémique, et admettre les demandeurs PGP d’une manière qui reflète une priorité égale à celle des autres demandeurs de la catégorie de la famille. (mémoire du plaignant, paragraphe 177). Autrement, le règlement d’application de la LIPR n’est pas véritablement contraignant comme la plupart des autres lois parce que le Parlement a accordé au ministre le pouvoir discrétionnaire ultime, au paragraphe 25.2(1) de la LIPR, de déroger aux exigences du règlement pour des raisons d’intérêt public (mémoire du plaignant, paragraphe 172).

[271] Pour étayer sa position, le plaignant a présenté des éléments de preuve datant de 2021, selon lesquels le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 25.2(1) pour exempter temporairement les répondants PGP des exigences en matière de revenu élevé prévues par le règlement d’application sur la LIPR (mémoire du plaignant, paragraphe 175). (Ce changement de politique était une réponse aux difficultés rencontrées pour atteindre les niveaux cibles en raison de la pandémie de COVID-19. Ce changement de politique n’a pas été entrepris pour dépasser les objectifs de niveaux fixés par le Cabinet.)

[272] L’utilisation par le ministre du paragraphe 25.2(1) pour exempter l’ensemble des parrains de PGP des exigences habituelles en matière de revenu semble s’écarter de l’utilisation habituelle de ce règlement pour accorder des exemptions à des particuliers. Si l’on s’en tient à sa simple lecture, il n’est pas évident que l’article 25.2(1) ait été conçu pour se passer du règlement d’application de la LIPR contraignant, en particulier d’une manière qui impliquerait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre pour annuler les règlements concernant des catégories entières de personnes ou les plans de niveaux et leur classement par ordre de priorité des catégories d’immigrants. Voici la partie pertinente :

25.2(1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations.[…] (soulignement ajouté)

[273] Néanmoins, il a été prouvé que le ministre s’est appuyé sur cette disposition discrétionnaire en 2021 pour exempter toute une catégorie de personnes de l’obligation de revenu prévue par le règlement d’application de la LIPR, et le plaignant suggère maintenant qu’elle aurait pu être utilisée de la même manière dans le passé pour mettre tout règlement en infraction en conformité avec la LCDP.

[274] Tout en soutenant que le Tribunal devrait conclure à l’existence d’effets différentiels préjudiciables en raison du fait que le ministre n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25.2(1) d’annuler le règlement, il importe de rappeler que le plaignant a également fait valoir que le Tribunal [Traduction] « n’a pas à décider et ne devrait pas décider » si le règlement d’application de la LIPR est immunisé en vertu de l’arrêt Matson/Andrews (mémoire du plaignant, par. 171, soulignement dans l’original).

[275] En ce qui concerne le règlement d’application de la LIPR, l’intimé fait valoir que les contestations du règlement d’application de la LIPR ne constituent pas un service. Au-delà des arguments déjà évoqués, l’intimé s’appuie sur les conclusions de l’affaire Murphy CAF, dans laquelle les contestations de la Loi sur l’assurance-emploi et du Règlement sur l’assurance-emploi ont été jugées hors du champ d’application de la LCDP. En bref, il soutient que les règlements sont des lois subordonnées qui attirent le ratio de l’arrêt Matson/Andrews. Dans l’affaire Matson/Andrews, la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les règlements sont soumis à un examen en vertu de la LCDP. Comme nous l’avons déjà indiqué dans les présents motifs, les règlements ne constituent pas le service sur lequel le plaignant et la Commission ont demandé au Tribunal d’enquêter, et ils n’ont pas présenté d’arguments selon lesquels les règlements constituent un service.

[276] Dans son contexte, le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre en vertu du paragraphe 25.2(1) vise à lui permettre de faire des exceptions, de temps à autre, pour permettre l’admission de personnes qui peuvent être interdites de territoire ou qui ne satisfont pas aux exigences normales en matière d’immigration. Comme l’a démontré le plaignant, en 2021, ce pouvoir discrétionnaire a également été utilisé pour exempter tous les parrains potentiels de PGP de la réglementation sur les revenus afin de permettre à IRCC d’atteindre les fourchettes cibles des plans de niveaux. Il serait inapproprié d’interpréter cette utilisation de l’exemption comme une raison de conclure que le paragraphe 25.2(1) donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre inopérant tout règlement qui crée un effet défavorable dans lequel un motif illicite est un facteur. Il s’agit d’une attaque déguisée contre le pouvoir du gouvernement d’adopter des règlements ayant ce type d’effet. Étant donné que le plaignant et la Commission n’ont pas demandé au Tribunal de trancher sur la question de savoir si l’élaboration de règlements est un service, et qu’ils n’ont pas présenté d’arguments et de preuves concernant ce service, je refuse de trancher cette question.

[277] Le champ d’application du pouvoir discrétionnaire du ministre est plus étroit. Le ministre peut, à titre exceptionnel, accorder des dérogations et il l’a fait, sur la base de preuves. Mais le pouvoir discrétionnaire d’accorder des dérogations est limité par le régime législatif et réglementaire, y compris les plans de niveaux. Dans la mesure où les arguments du plaignant et de la Commission annuleraient implicitement les règlements ou les gammes des plans de niveaux, ils constituent une attaque déguisée contre ces activités gouvernementales, dont le plaignant et la Commission n’ont pas allégué ni démontré qu’elles constituaient des services en vertu de la LCDP.

[278] Le fait que la LIPR et le règlement d’application de la LIPR établissent des distinctions sur la base de motifs illicites a été noté et confirmé à maintes reprises dans le droit canadien. Le droit de l’immigration est, de par sa nature même, un droit d’exclusion (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 SCC 61 au para. 14.) Il dicte qui est autorisé ou non à entrer dans notre pays, que ce soit de façon permanente ou temporaire.

[279] Comme décrit ci-dessus, le cadre de la LIPR est tel que la loi n’est qu’un aperçu de la structure principale du programme. Les détails concernant les personnes admises au Canada en tant que résidents permanents sont subordonnés au règlement d’application de la LIPR.

[280] Depuis le début, le règlement d’application de la LIPR prévoit que certains immigrants potentiels sont évalués en fonction de leur âge. L’article 81 de la LIPR définit les différents points attribués aux demandeurs de statut de travailleur qualifié en fonction de leur âge. Les différents points attribués en fonction de l’âge aux demandeurs immigrants indépendants sont énoncés dans l’article 102.1 du règlement d’application de la LIPR. L’âge est un motif de discrimination illicite en vertu du paragraphe 3(1) de la LCDP.

[281] Le paragraphe 7(1) du règlement d’application de la LIPR stipule qu’un étranger ne peut pas entrer au Canada pour y séjourner temporairement sans avoir obtenu au préalable un visa de résidence temporaire. Cependant, il existe une exemption pour certaines personnes, basée sur leur citoyenneté (qui dans la plupart des cas implique l’origine nationale) énoncée dans le paragraphe 190(1) du règlement d’application de la LIPR. Les étrangers qui sont citoyens des pays énumérés dans ce règlement ou dans l’annexe 1.1 du règlement d’application de la LIPR sont dispensés de l’obligation d’obtenir un visa de résident temporaire pour visiter le Canada. L’origine nationale est un motif de discrimination illicite en vertu de l’article 3(1) de la LCDP.

[282] Le ministre n’a pas choisi d’utiliser le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25.2(1) de la LIPR pour supprimer les distinctions fondées sur des motifs illicites, en général, dans le règlement d’application de la LIPR. Si le Tribunal devait conclure qu’en ne recourant pas à une dérogation ministérielle pour rendre non pertinents le paragraphe 132(1) de la LIPR (concernant la durée des engagements) et la division 133(1)j)(i)(B) de la LIPR (augmentation du SFR), il a enfreint la LCDP, ce résultat semblerait suggérer que le ministre serait également obligé d’accorder des dérogations catégoriques concernant les articles 81 et 102.1 et le paragraphe 190(1) de la LIPR, et peut-être d’autres encore. Cela n’aurait certainement pas pu être l’intention du Parlement depuis le début de la rédaction de la LIPR et de son règlement d’application, en séparant le cadre des exigences détaillées. La loi sur l’immigration est par nature excluante et la LIPR et son règlement d’application établissent des distinctions parfois fondées sur des motifs illicites.

[283] Par conséquent, l’argument du plaignant selon lequel le ministre aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 25.2(1) de la LIPR pour rendre les règlements « conformes » à la LCDP doit être rejeté en tant qu’attaque contre les règlements. Le plaignant et la Commission n’ont pas établi que l’élaboration de règlements est un service et n’ont pas demandé au Tribunal de trancher cette question.

[284] De plus, je suis d’accord avec l’intimé pour dire que l’exposé des précisions de M. Attaran sur ce règlement de la LIPR n’est mentionné nulle part. Cela ne l’a pas empêché de présenter une demande et la différence n’était pas liée aux temps d’attente qu’il a subis. La question n’est pas soulevée par les faits de son cas.

[285] Cette allégation de pratique discriminatoire est rejetée.

XV. IRCC s’est-il livré aux autres pratiques discriminatoires alléguées lors du traitement des demandes dans la catégorie des PGP?

[286] Comme nous l’avons vu plus haut, dans sa plainte initiale auprès de la Commission (pièce 1), M. Attaran a décrit le [Traduction] « problème fondamental » comme étant le temps nécessaire à CIC pour traiter la partie canadienne de la demande de parrainage pour les PGP. Il a comparé les estimations des délais de traitement figurant sur le site Web de l’intimé à l’époque : Enfants adoptés / orphelins - quotidiennement ; PGP - 37 mois; et époux, partenaires et enfants à charge (FC1) - 42 jours.

[287] Le mémoire de la CCDP affirme que la différence de traitement défavorable est [Traduction] « la pratique d’IRCC consistant à traiter les demandes de résidence permanente des parents et des grands-parents à un rythme beaucoup plus lent... » (au paragraphe 7). [Traduction] « Cette plainte porte sur le traitement défavorable subi par M. Attaran et ses parents en raison des longs délais de traitement lorsque M. Attaran a demandé à parrainer ses parents... » (Ibid., paragraphe 33). La Commission affirme que le service offert par IRCC était le [Traduction] « traitement de la demande » qui a commencé lorsque la famille Attaran y a [Traduction] « accédé » en soumettant sa demande en 2009. Ils ont ensuite attendu [Traduction] « pendant plus de trois ans qu’IRCC leur accorde l’avantage » (par. 26 de la contre-réplique supplémentaire de la CCDP).

[288] Comme il est indiqué ci-dessus, après que les documents de demande à jour ont été fournis au CTD-M, la partie 1 de la demande de parrainage de M. Attaran a été approuvée le 28 mai 2012, soit seulement 19 jours plus tard. L’ensemble de la demande a été finalisé le 13 décembre 2012, lorsque les visas de résidence permanente ont été délivrés aux parents de M. Attaran. Le plaignant souligne au paragraphe 38 de son mémoire que le délai d’attente de 9 mois pour l’examen de la demande était inférieur à la norme de service actuelle d’IRCC (12 mois) pour les époux, les partenaires et les enfants à charge.

[289] Ces faits soutiennent l’interprétation selon laquelle la plainte de M. Attaran doit porter sur l’ensemble du temps nécessaire au traitement de sa plainte, depuis sa réception par IRCC le 8 juillet 2009 jusqu’au 13 décembre 2012 (date à laquelle les visas ont été délivrés). C’est moins de la moitié du délai de traitement déclaré (42 jours) pour les demandes FC1, auxquelles M. Attaran a comparé sa propre demande. Si la plainte ne porte que sur le temps nécessaire à l’évaluation active des parties 1 et 2, entre le 30 mars 2012 et le 13 décembre 2012 (y compris le temps nécessaire au M. Attaran et à ses parents pour soumettre d’autres documents, les résultats des examens médicaux et les certificats de police), il s’est écoulé moins de neuf mois. Dans les deux cas, il n’y aurait pas eu de traitement défavorable démontrable sur la base duquel la Commission aurait estimé que la plainte justifiait un renvoi devant le Tribunal.

[290] Il est important de noter cette distinction parce que certains des arguments finaux du plaignant et de la Commission ne font pas la distinction appropriée entre le « délai de traitement » et le « délai d’attente pour l’examen de la demande », tels que ces termes sont définis ci-dessus. Une distinction claire permet de déterminer quels éléments des retards subis par les demandeurs de PGP peuvent être attribués aux effets combinés de la LIPR, du règlement d’application de la LIPR, des plans de niveaux, des instructions ministérielles et, à leur tour, du traitement des demandes par IRCC conformément à la LIPR, au règlement d’application de la LIPR, aux plans de classement et aux instructions ministérielles.

[291] Le délai de traitement comprend la période d’attente des demandes dans l’arriéré. L’allégation de traitement différentiel défavorable concernant le traitement plus lent des demandes de PGP doit inclure cette période, car, en son absence, le temps d’attente pour l’examen des demandes subi par le plaignant ne s’est pas traduit par des temps d’attente plus longs.

[292] Le plaignant et la Commission ont fait valoir que diverses actions et inactions ont contribué à allonger les délais de traitement, notamment le regroupement et la priorisation d’autres catégories de demandeurs par la présentation simultanée de demandes de parrainage et de résidence permanente, des délais plus favorables pour les demandes d’examen médical, la priorité accordée à d’autres membres de la famille (wild-card relatives), l’utilisation de normes de service pour certaines catégories, mais pas pour les PGP, la suspension des demandes de parrainage de PGP au CTD-M en 2004-2005, et le transfert délibéré de ressources des PGP vers les FC1. Chacune de ces questions sera examinée ci-dessous.

A. Dépôt simultané des demandes de parrainage et des demandes de résidence permanente

[293] Dans le cadre de l’Initiative de restructuration de la catégorie du regroupement familial de 2003-2004, les membres du groupe FC1 ont été autorisés à présenter la partie 2 de leur demande en même temps que la demande des répondants de la partie 1. Les témoignages recueillis lors de l’audience ont permis de conclure que, lors des tests effectués par CIC, le fait de soumettre les deux parties de la demande dès le début a permis de réduire de plus de 50 % les délais de traitement des demandes du groupe FC1 pour les cas courants. La trousse de demande conjointe pour les FC1 a été introduite le 28 juin 2002 (voir pièce 63, page 4).

[294] M. Attaran allègue que cette différence de traitement a entraîné des délais de traitement plus longs pour les demandeurs de PGP (FC4) comme ses parents. Leur demande au titre de la partie 2 n’a pas été autorisée à être présentée en même temps que la demande de parrainage au titre de la partie 1. Au moment où il a déposé sa demande, ses parents devaient attendre l’approbation de la partie 1 de la demande avant d’être invités à soumettre la partie 2. (Toutefois, cette politique a été modifiée peu de temps avant que la demande d’Attaran ne soit retirée de la liste d’attente.)

[295] Le traitement simplifié, qui permettait aux FC1 de soumettre les parties 1 et 2 de leur demande en même temps, n’était pas autorisé à l’origine pour le sous-groupe des PGP. Toutefois, immédiatement après l’instruction ministérielle no 4 qui a instauré le moratoire sur les demandes de PGP, IRCC a publié le bulletin opérationnel no 353 le 7 novembre 2011 (pièce no 81). Ce document confirme qu’à compter du 18 juillet 2011, les demandeurs de PGP ont été invités à inclure les parties 1 et 2 de leur demande, reflétant ainsi le processus plus rationalisé disponible pour les FC1. Le bulletin opérationnel 353 indique également que les parrains qui ont déposé leur demande avant le 18 juillet 2011, comme M. Attaran, doivent être contactés et priés d’envoyer la partie 2 de la demande, accompagnée des documents justificatifs, dans un délai de 90 jours.

[296] M. Tetford a confirmé que la lettre de CIC datée du 30 mars 2012, demandant au M. Attaran de soumettre la partie 2 de la demande (pièce 3), a été créée conformément au bulletin d’exploitation 353 et a découlé de celui-ci. Le bulletin d’exploitation 353 indique également que les demandeurs qui ont déjà soumis la partie 2 de la demande peuvent être invités à une date ultérieure à fournir des formulaires à jour. Cela laisse supposer que, si la demande mettait trop de temps à être finalisée, les formulaires de la partie 2 pourraient être considérés comme périmés et non à jour, et devraient être refaits. (Ce n’était pas le cas pour la famille Attaran).

[297] Comme indiqué plus haut, le Cabinet fixe les fourchettes d’objectifs dans le plan de niveaux pour les FC1 à un niveau suffisamment élevé pour absorber toute la demande prévue au cours de l’année à venir. L’intention est de ne pas soumettre les FC1 à des arriérés et à des temps d’attente prolongés. Pour les membres de la catégorie du regroupement familial FC1, il est raisonnable de conclure que leurs demandes au titre de la partie 2 ne deviendront pas périmées si elles restent en suspens pendant une période prolongée. Ainsi, IRCC peut demander la soumission simultanée des demandes de la partie 1 et de la partie 2 afin d’éviter les retards dus à une procédure de demande en deux étapes.

[298] La Commission et l’intimé ne présentent pas d’observations portant spécifiquement sur cette allégation. Toutefois, l’intimé souligne au paragraphe 88 de son mémoire que l’admissibilité de tous les immigrants au Canada doit être évaluée en fonction des critères de sécurité, de criminalité, de santé et de finances. Les demandes de résidence permanente présentées en vertu de la partie 2 contiennent des renseignements biographiques détaillés, y compris les adresses et les pays de résidence depuis le 18e anniversaire du demandeur, ainsi qu’une liste de tous les pays où le demandeur a résidé pendant plus de six mois. Les informations contenues dans la partie 2 de la demande sont nécessaires à IRCC pour déterminer de quels pays les demandeurs doivent fournir des certificats de police. C’est pourquoi il est important que les formulaires de demande de la partie 2 soient à jour. Les certificats de police sont nécessaires pour déterminer l’interdiction de territoire potentielle pour cause de criminalité en vertu de l’article 36 de la LIPR. Le plaignant n’a pas contesté l’article 36 de la LIPR.

[299] Lorsque les demandes FC1 sont traitées dans un délai très court, la demande de la partie 2 n’est pas périmée. Cependant, l’efficacité d’une soumission simultanée des parties 1 et 2 n’était pas disponible au moment de la demande de M. Attaran. Si la demande de résidence permanente en vertu de la partie 2 avait été présentée en même temps que la demande de parrainage en vertu de la partie 1 du PGP en 2009, elle serait certainement périmée puisque la demande serait restée en suspens pendant deux ans ou plus. Le demandeur devrait soumettre à nouveau une demande actualisée au titre de la partie 2 au moment où elle serait prête à être examinée par un agent, ce qui représenterait un fardeau supplémentaire pour les demandeurs et un surcroît d’administration pour IRCC.

[300] À la lumière de ce qui précède, M. Attaran n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le fait de soumettre la demande de la partie 2 simultanément pour les PGP aurait eu un impact sur l’accélération du temps de traitement global de sa demande ou des demandes relatives aux PGP en général. En outre, cette allégation n’a pas été invoquée dans les exposés des précisions du plaignant ou de la Commission et n’a pas eu d’incidence démontrable sur le traitement de sa demande. Même si j’estimais qu’elle avait eu un effet négatif sur la demande de M. Attaran, ce qui n’est pas le cas, il serait préjudiciable à l’intimé d’accepter cet argument à ce stade tardif. Par conséquent, cette allégation est rejetée.

B. Délai plus favorable pour les demandes d’examens médicaux pour les FC1

[301] Cette allégation de traitement défavorable est liée à l’allégation ci-dessus concernant l’autorisation pour les FC1 de soumettre simultanément les deux parties de leur demande à l’avance. Le Tribunal a entendu la preuve que, dans le cadre de chaque demande d’immigration, dans toutes les catégories, les demandeurs doivent subir un examen médical. Les preuves ont montré que les examens médicaux préalables pour les FC1 amélioraient l’efficacité de la soumission simultanée des parties 1 et 2 de la demande. Dans le contexte des examens médicaux préalables autorisés pour les FC1, le site Web de l’intimé indique ce qui est important : [Traduction] « Lorsque CIC a testé le processus de demande conjointe et d’examen médical préalable, les délais de traitement ont été réduits de plus de 50 % pour les cas courants » (pièce 63, page 4).

[302] M. Tetford a expliqué au Tribunal que dans le cadre de l’initiative de refonte de la catégorie familiale de 2002-2004, il avait été décidé que les demandeurs de la catégorie FC1 pourraient passer leur examen médical à l’avance, avant la présentation de la demande par leur parrain. Les raisons étaient doubles. Premièrement, les parrains FC1 pouvaient soumettre les parties 1 et 2 de la demande en même temps. Deuxièmement, étant donné que les objectifs du plan des niveaux visent à absorber toute la demande, il y avait une présomption que les demandes seraient examinées rapidement. La partie 2 de la demande serait examinée immédiatement après l’approbation de la partie 1, ce qui, à l’époque, prenait en moyenne 42 jours dans la plupart des cas. Ainsi, l’examen médical et l’examen des résultats par IRCC pouvaient avoir lieu simultanément.

[303] Les résultats de l’examen médical ne sont valables que pendant 12 mois (voir le paragraphe 30(3) de la LIPR). Étant donné que le temps de traitement de la partie 1 de la demande pour les FC1 a été achevé en quelques semaines, il était peu probable que les résultats de l’examen médical expirent avant que le traitement de la partie 2 de la demande ne soit achevé et que les visas de résident permanent ne puissent être délivrés. Le fait d’autoriser les examens médicaux préalables pour les FC1 a permis d’éviter d’éventuels retards si les examens médicaux n’avaient été demandés qu’à un stade ultérieur de la procédure.

[304] La pièce 3 (la partie 2 de la demande du plaignant) contient une lettre de l’intimé au père de M. Attaran datée du 23 juillet 2012. Cette lettre comprend ce qui semble être un contenu standard, dont une partie se lit comme suit :

[Traduction]

Tous les demandeurs qui souhaitent obtenir la résidence permanente au Canada doivent satisfaire aux critères d’inadmissibilité médicale du Canada. Afin de déterminer votre admissibilité médicale au Canada, vous et votre conjoint devez subir un examen médical. Cet examen est nécessaire, que votre conjoint vous accompagne ou non au Canada.

Veuillez remettre cette lettre et le formulaire de rapport médical IMM1017 ci-joint pour vous-même et votre conjoint au médecin qui effectue l’examen. Vous et votre conjoint devez être examinés par le même médecin.

NOTE : Les examens médicaux effectués avant cette demande ne sont pas acceptables aux fins d’immigration au Canada.

(soulignement et gras dans l’original)

[305] Le fait que les FC1 aient été autorisés à passer leurs examens médicaux à l’avance, sans attendre une demande de l’intimé, est considéré comme une différence de traitement défavorable relativement au groupe des PGP, y compris aux parents de M. Attaran. M. Attaran soutient également que les demandeurs d’immigration plus âgés sont plus susceptibles de développer des problèmes de santé liés à l’âge qui pourraient les rendre inadmissibles. Ainsi, le fait de retarder leur examen médical les rend plus vulnérables à ce risque. Au para. 155 de son mémoire, M. Attaran affirme qu’un examen médical initial [Traduction] « garantit un certificat de bonne santé » et que les PGP ne craindraient pas les conséquences d’une maladie pendant qu’ils attendent leur tour dans l’arriéré d’IRCC.

[306] La Commission n’a pas présenté d’observations sur cette allégation de différence de traitement défavorable. Dans le cadre des exigences générales applicables à tous les immigrants, l’intimé a fait observer que le paragraphe 30(3) du règlement d’application de la LIPR exige que l’examen médical ait eu lieu au plus tard douze mois avant la date à laquelle une personne vient au Canada pour y obtenir le statut de résident permanent (par. 89 du mémoire de l’intimé).

[307] Le fait que les demandeurs de PGP n’aient pas accès aux examens médicaux initiaux est une conséquence logique du sous-alinéa 72(1)e)(iii) du règlement d’application de la LIPR et du fait que les fourchettes du plan de niveaux des PGP ne répondent pas à la demande. Ce paragraphe du règlement de la LIPR exige que tous les étrangers, au moment où ils arrivent au Canada avec leur visa de résident permanent, afin d’obtenir le droit d’établissement et de devenir résident permanent à ce moment-là, soient en possession d’un certificat médical fondé sur un examen médical qui a eu lieu au cours des 12 mois précédents. M. Tetford a déclaré que les examens médicaux préalables n’étaient pas autorisés en 2009 parce qu’ils savaient que la finalisation de la partie 2 des demandes de PGP dans les 12 mois était prévisible et impossible (examen direct du 8 février 2021 à 02:11:30.)

[308] Si les parents de M. Attaran avaient été autorisés à passer leurs examens médicaux dès le départ, en juillet 2009, ces résultats médicaux auraient expiré depuis longtemps avant que leurs visas de résident permanent ne soient prêts à être délivrés en décembre 2012. Ils auraient dû subir de nouveaux examens médicaux dans un délai qui aurait donné à l’intimé le temps de finaliser leur demande, de délivrer leurs visas et de donner aux Attaran le temps d’arriver physiquement au Canada pour « atterrir » avec les visas avant le délai de 12 mois (par. 89 du mémoire de l’intimé).

[309] En fait, cette allégation est une attaque déguisée contre les règlements de la LIPR et/ou les plans des niveaux. Le fait que les examens médicaux préalables n’aient pas été autorisés pour les PGP était le résultat d’autres facteurs, comme le délai d’attente de l’arriéré, qui ont fait que le délai de traitement a duré plus de 12 mois. Au vu du paragraphe 30(3) et du sous-alinéa 72(1)e)(iii) du règlement d’application de la LIPR, il est clair que le fait d’autoriser les examens médicaux préalables pour les demandeurs de PGP n’aurait pas accéléré les délais de traitement des demandes et n’aurait pas non plus « verrouillé » l’état de santé d’un demandeur au moment de sa demande initiale. Ils auraient toujours dû passer ces examens médicaux vers la fin du traitement de leur demande pour s’assurer qu’ils étaient dans les 12 mois avant l’obtention de leur visa.

[310] Le plaignant n’a donc pas réussi à démontrer que les actions de l’intimé relatives au calendrier des examens médicaux ont contribué à allonger les délais de traitement des PGP ou qu’elles ont été préjudiciables à d’autres égards. L’expiration de 12 mois prévue par le règlement d’application de la LIPR a empêché de « bloquer » un résultat médical précoce. Compte tenu des contraintes imposées par le plan des niveaux qui ont empêché un traitement à la demande similaire à celui des FC1, cette allégation est, en fait, une attaque déguisée contre les règlements et les plans des niveaux. En outre, cette allégation n’a pas été plaidée dans les exposés des précisions du plaignant ou de la Commission. Même si j’estimais qu’elle avait eu un effet négatif sur la demande de M. Attaran, ce qui n’est pas le cas, il serait préjudiciable à l’intimé d’accepter cet argument à ce stade tardif. Par conséquent, cette allégation est rejetée.

C. Donner la priorité à d’autres membres de la famille (wild card relatives)

[311] En vertu de l’alinéa 117(1)h) du règlement de la LIPR, il existe une catégorie de membres de famille qui peuvent être parrainés pour l’immigration si certaines conditions sont remplies. Ces membres de la famille comprennent les cousins, les neveux, les tantes et d’autres personnes qui, normalement, ne seraient pas admissibles à l’immigration dans la catégorie du regroupement familial. Les conditions d’admissibilité sont que le répondant canadien ne doit pas avoir de parents proches au Canada et qu’il ne peut parrainer personne dans les sous-groupes FC1 ou PGP. IRCC appelle ce groupe les autres membres de la famille (wild card relatives).

[312] Compte tenu des conditions d’admissibilité, le nombre de parrains canadiens potentiels est assez restreint. M. Attaran a cité la pièce 64 pour citer le sous-ministre de l’époque, M. Yeates, qui a déclaré : [Traduction] « Peu de demandes de ce type sont reçues et, en raison des circonstances uniques de ces relations, elles bénéficient d’une plus grande priorité de traitement ». En contre-interrogatoire, M. Tetford a déclaré que les autres membres de la famille au sens de l’alinéa 117(1)h) étaient traités en même temps que les demandeurs FC1 dans le cadre du processus de traitement accéléré. Il a admis que ces parents pouvaient être plus éloignés qu’un parent ou un grand-parent, comme un cousin. Toutefois, ces demandes ont été traitées beaucoup plus rapidement que les demandes de parrainage de PGP. Rien ne permet d’expliquer pourquoi les demandes concernant d’autres membres de la famille ont été traitées plus rapidement, si ce n’est qu’elles étaient très peu nombreuses.

[313] La pièce 65, une lettre de la sous-ministre Marta Morgan à la Commission datée du 7 juillet 2016 sur la plainte de M. Attaran, confirme que le nombre de demandes de parrainage concernant d’autres membres de la famille reçues en 2010 était de 1002. En comparaison, le nombre de demandes de parrainage de PGP reçues cette année-là était de 39 886 personnes.

[314] Dans ses observations, M. Attaran fait remarquer que les autres membres de la famille ne font pas partie de la famille nucléaire et comprennent des parents plus éloignés que les parents ou les grands-parents. Cependant, ils sont traités par l’intimé comme s’ils faisaient partie de la famille nucléaire. M. Attaran soutient qu’au sein même de la famille élargie, les autres membres de la famille bénéficient d’un traitement plus rapide que le sous-groupe des PGP, ce qui constitue une différence de traitement défavorable.

[315] La Commission n’a pas présenté d’observations sur cette allégation concernant le traitement des demandes concernant d’autres membres de la famille. L’intimé s’est contenté d’observer les éléments de preuve (au paragraphe 103 du mémoire de l’intimé) selon lesquels le nombre d’immigrants faisant partie des autres membres de la famille n’a pas dépassé 500 au cours de chacune des cinq dernières années.

[316] La source de cette différence de traitement entre les autres membres de la famille et les PGP semble être la politique interne de l’intimé. Le règlement d’application de la LIPR ne précise pas de quelle manière les demandes concernant d’autres membres de la famille doivent être traitées. Leur séparation dans le flux de traitement plus rapide était en place avant la création des instructions ministérielles. Ils ne sont pas identifiés comme un sous-groupe distinct dans le plan des niveaux.

[317] Le règlement de la LIPR décrit les PGP aux alinéas 117(1)c) et d). Ils sont exclus de la définition d’autres membres de la famille à l’alinéa 117(1)h). Les autres membres de la famille ne sont pas soumis aux limites prévues par les plans de niveaux qui s’appliquent aux PGP. Il n’y a donc pas d’obstacle à ce qu’ils soient traités sur demande. M. Attaran a allégué un traitement plus favorable des autres membres de la famille, relativement peu nombreux, lors du traitement. Toutefois, étant donné que les PGP ne pouvaient pas être traités de la même manière, compte tenu d’une définition réglementaire distincte et de l’application des plans de niveaux qui s’appliquent aux PGP, l’intimé ne s’est pas livré à une pratique discriminatoire en traitant différemment les autres membres de la famille.

[318] En outre, cette allégation n’a pas été plaidée dans les exposés des précisions du plaignant ou de la Commission. Même si j’estimais qu’elle avait eu un effet négatif sur la demande de M. Attaran, ce qui n’est pas le cas, il serait préjudiciable à l’intimé d’accepter cet argument à ce stade tardif. Par conséquent, cette allégation est rejetée.

D. Normes de service

[319] M. Attaran allègue que les demandeurs de PGP, dont ses parents, ont fait l’objet d’un traitement défavorable parce qu’aucune « norme de service » n’a été établie pour ce sous-groupe de la catégorie du « regroupement familial ». En revanche, l’initiative de refonte du regroupement familial 2002-2003 a établi une norme de service pour le traitement des demandes FC1.

[320] M. Cardinal a déclaré que les normes de service sont demandées par le Conseil du Trésor pour donner aux gens une idée raisonnable du temps qu’il faudra aux divers organismes gouvernementaux pour fournir leurs services. IRCC a articulé ses normes de service en indiquant le pourcentage de demandes qu’il s’attendait à traiter dans un certain délai. Au moment de la refonte, une norme de service officielle a été créée pour les demandes FC1 et d’autres types de demandes d’immigration, mais non pour les PGP. M. Cardinal a déclaré qu’il pensait que des normes de service étaient en place pour plus de 50 % des sous-catégories d’immigration.

[321] M. Tetford a confirmé lors du contre-interrogatoire qu’à l’époque où M. Attaran a présenté sa demande de parrainage, il n’existait pas encore de norme de service pour les PGP. D’après les souvenirs de M. Tetford, la norme de service en vigueur à l’époque pour les demandes FC1 consistait à traiter la demande de parrainage au titre de la partie 1 en 30 à 40 jours.

[322] Dans ses conclusions finales, la Commission fait référence à la pièce 174, qui est un rapport d’IRCC pour 2019-2020 décrivant les normes de service pour diverses sous-catégories d’immigrants. Dans ce document, également disponible sur le site Web d’IRCC, l’intimé annonce des normes de service pour les époux, les conjoints de fait et les enfants à charge de la catégorie de la famille à l’étranger, mais ne mentionne aucune norme de service pour les parents et les grands-parents. Le document poursuit en indiquant les normes de service de l’intimé pour d’autres catégories d’immigrants, telles que la catégorie de l’expérience canadienne, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), les demandeurs du programme des candidats des provinces, les travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec et le programme des métiers.

[323] Au cours de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire par la Commission, on a demandé à M. Cardinal pourquoi aucune norme de service n’avait jamais été établie pour le sous-groupe PGP. M. Cardinal a déclaré que le programme PGP n’était pas « stable » en raison des nombreux changements qui ont été mis en œuvre, d’une année à l’autre, et qui ont modifié la façon dont le programme était administré. Les changements apportés à la manière dont la réserve est réduite et les changements apportés à la manière dont la réception des demandes est gérée sont des facteurs qui ont fait qu’IRCC n’a pas mis en œuvre des normes de service pour le sous-groupe PGP. En revanche, la pièce 174 montre une norme de service pour les FC1 de 12 mois pour le traitement de 80 % des demandes, qui est en place depuis 2010.

[324] M. Attaran et la Commission soutiennent que l’absence de normes de service pour les PGP, alors qu’elles existent pour d’autres membres de la catégorie familiale, constitue une différence de traitement défavorable qui se traduit par des délais de traitement plus longs.

[325] L’intimé soutient que les normes de service sont utilisées par IRCC pour donner aux gens [Traduction] « une idée fiable du temps qu’ils devront attendre pour recevoir un service ». Il oppose cela au délai de traitement, qui est basé sur des données mesurant le temps qu’il faut effectivement à IRCC pour traiter une demande (voir paragraphe 143 du mémoire de l’intimé).

[326] Selon le témoignage de M. Cardinal, l’obligation de créer des normes de service était une demande du Conseil du Trésor. Toutefois, IRCC avait le pouvoir discrétionnaire de créer ou non une norme de service pour diverses catégories de demandes d’immigration. J’accepte l’explication de M. Cardinal selon laquelle les normes de service pour les PGP n’ont pas été établies parce que le programme était soumis à des changements fréquents, en particulier au moyen de différentes instructions ministérielles.

[327] Les données ont montré que les normes de service associées à la durée de traitement varient selon les catégories de demandes d’immigration. Cet écart s’explique par des priorités différentes, par le plan des niveaux et par d’autres facteurs externes. Les normes de service en vigueur sont ambitieuses par nature, mais soumises aux facteurs susmentionnés.

[328] La Commission demande que l’on remédie aux normes de service pour les PGP [Traduction] « en parité avec les autres catégories de familles » (paragraphe 127 du mémoire de la Commission), mais cette demande ignore les facteurs externes qui dicteront ce qui est même possible. Comme l’a déclaré M. Cardinal, les demandes de PGP, de par leur nature, prennent généralement plus de temps à traiter. Les examens médicaux doivent plus souvent être approfondis ou refaits, et il faut souvent plus de temps pour obtenir des certificats de naissance, de mariage et de divorce plus anciens. Les PGP mettent plus de temps à renvoyer les documents demandés. (Examen direct de M. Cardinal le 20 septembre 2021 à 03:48:42. Voir également la pièce 127, note de service au ministre à l’annexe B,page 4.)

[329] M. Attaran et la Commission n’ont pas prouvé que l’absence de normes de service était un facteur qui, plus probablement qu’autrement, ralentissait le traitement des demandes dans la sous-catégorie des PGP. Dans le cas du plaignant, la preuve a démontré que le temps d’attente pour l’examen de sa demande de parrainage en vertu de la partie 1 était de 19 jours. Ce délai était inférieur à la moitié de l’estimation de 42 jours figurant sur le site Web d’IRCC pour le traitement des demandes de la partie 1 de la catégorie FC1 à l’époque. Bien que l’absence de normes de service pour les PGP constitue une différence de traitement, le plaignant n’a pas réussi à établir qu’il s’agissait d’une différence de traitement défavorable. Cette allégation est rejetée.

E. Le traitement des demandes de parrainage de PGP au CTD-Mississauga a été suspendu de mai 2004 à septembre 2005.

[330] Dans son mémoire, M. Attaran a créé un graphique au paragraphe 69 pour illustrer la façon dont les délais de traitement des PGP ont rapidement divergé des délais de traitement des FC1 au fil du temps. Jusqu’en 2003, les délais de traitement étaient très proches les uns des autres. Au para. 145 de son mémoire, il allègue que l’intimé a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour suspendre le traitement des demandes de PGP au CTD-M pendant 16 mois, ce qui a grandement contribué à l’augmentation.

[331] Au cours de son contre-interrogatoire par M. Attaran, M. Tetford a parlé de la suspension du traitement des demandes FC4 (PGP) de mai 2004 à septembre 2005 et a reconnu que c’était l’une des raisons pour lesquelles les délais de traitement des demandes de parrainage PGP ont augmenté de manière aussi spectaculaire, comme l’illustre le tableau de M. Attaran.

[332] Le Tribunal a de nouveau pris connaissance de la pièce 18, le document de politique du CIC de juin 2007, qui se lit comme suit au deuxième paragraphe de la page 15 :

[Traduction]

Troisièmement, le traitement des demandes de parrainage de parents et de grands-parents au CTD-M a été suspendu entre mai 2004 et septembre 2005. Cette mesure a été prise afin de consacrer les ressources opérationnelles au traitement des demandes des conjoints et des personnes à charge. Alors que la réserve des demandes FC4 au CTD-M en 2002-2003 était de 3 347 et que le délai de traitement n’était que de 38 jours, lorsque le traitement a repris en septembre 2005, la réserve des demandes FC4 était passée à 81 593 et le délai de traitement était de 2,3 ans.

[333] M. Attaran a demandé à M. Tetford si, pendant cette période ou pendant le moratoire de 2011 à 2014, d’autres sous-catégories de la catégorie du regroupement familial ont également été suspendues. M. Tetford répond par la négative et précise qu’en 2004-2005, le CTD-M a suspendu le traitement des demandes déjà inscrites dans la réserve et de celles qui continuaient d’arriver. Pendant le moratoire de 2011 à 2014, IRCC n’a pas accepté de nouvelles demandes de parrainage de PGP.

[334] La Commission n’a pas présenté d’observations sur cette allégation. Dans son dernier argument, l’intimé affirme qu’IRCC a cessé de traiter les demandes de parrainage au CTD-M en 2004-2005 parce que, sinon, elle aurait inutilement déplacé l’arriéré vers les bureaux à l’étranger qui traitent les demandes de résidence permanente en vertu de la partie 2. Il y avait déjà une réserve accumulée dans ces bureaux à l’étranger, de sorte que le fait de continuer à traiter les cas au CTD-M pendant cette période n’aurait pas permis d’alléger l’arriéré. L’intimé soutient également qu’il n’était pas possible pour le CTD-M de simplement cesser d’accepter de nouvelles demandes de parrainage sans l’intervention du Parlement ou du Cabinet (par. 116 du mémoire de l’intimé).

[335] Je suis d’accord avec l’intimé. Si certaines mesures avaient pu être prises pour réduire la demande, je n’ai vu aucune preuve qu’IRCC avait le pouvoir de refuser catégoriquement l’acceptation de nouvelles demandes jusqu’à l’introduction des instructions ministérielles en 2008.

[336] À mon avis, la suspension du traitement des demandes de PGP de mai 2004 à septembre 2005 a constitué une différence de traitement. Toutefois, il n’y a pas suffisamment de preuves pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la suspension d’IRCC a contribué au temps total de traitement d’une demande de PGP jusqu’à la délivrance d’un visa. À l’époque, en 2004-2005, il y avait déjà suffisamment de dossiers en réserve dans les bureaux à l’étranger pour atteindre les objectifs de traitement. La suspension du traitement au CTD-M n’a fait que maintenir les dossiers en attente au Canada plutôt que dans les bureaux à l’étranger. Les mesures prises par le CTD-M pour suspendre le traitement ont été prises en réponse aux objectifs d’admission des PGP fixés par le plan des niveaux, qui ont été considérablement réduits pour 2004 et 2005. La source de cette action était le plan des niveaux. De plus, j’estime que l’affirmation selon laquelle cette politique était préjudiciable est trop éloignée de la date de la plainte de M. Attaran. L’impact que la suspension aurait pu avoir sur les délais de traitement des demandes de PGP quatre ans plus tard est trop spéculatif pour être examiné davantage.

F. Déplacement délibéré des ressources au détriment des PGP avec l’initiative de refonte de la catégorie familiale en 2002-2004, qui a conduit au « traitement prioritaire » des FC1.

[337] Il cite un autre passage de la pièce 18, le document de CIC de 2007 intitulé « Policy Approaches for the Future of the Parents and Grandparents Category » rédigé par Tracey Bender de la Division de la politique sociale et des programmes, Direction générale de l’immigration. Le premier paragraphe de la page 15 de ce document se lit comme suit :

[Traduction]

Deuxièmement, en avril 2003, un traitement prioritaire dans les six mois a été mis en place pour les conjoints et les enfants à charge. Il a également été décidé de réduire les fourchettes d’objectifs pour les parents et les grands-parents en 2004 et 2005 afin de transférer les ressources opérationnelles vers le traitement des conjoints et des enfants. En conséquence, le nombre de parents et de grands-parents admis en 2004 et 2005 a été le plus bas depuis 11 ans (12 732 et 12 471 respectivement).

[338] M. Attaran a également évoqué la manière dont IRCC a [Traduction] « sous-estimé » les fourchettes des plans de niveaux pour les PGP de 2007 à 2010. M. Attaran allègue que ce transfert délibéré de ressources opérationnelles, du traitement des demandes de PGP à celui des conjoints et des enfants, équivaut à une différence de traitement défavorable.

[339] Je reconnais que le transfert de ressources a entraîné une différence de traitement du sous-groupe des PGP. Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, le service contesté est le traitement des demandes par IRCC, qui implique la mise en œuvre des fourchettes des plans de niveaux fixées par le Cabinet. Les plans de niveaux sont-ils à l’origine de la différence de traitement défavorable? IRCC a-t-il simplement mis en œuvre les priorités inhérentes aux fourchettes cibles fixées pour les FC1 par rapport aux PGP, tout en faisant face à une forte demande de parrainage de PGP?

[340] En 2002, l’objectif supérieur pour les PGP dans le plan des niveaux était de 21 000. En 2004, il a été ramené à 13 500. Pour 2005, le plan des niveaux des admissions de PGP prévoyait une fourchette de 5 500 à 6 800. En 2005, il y a eu un tollé général et les niveaux ont été portés à 17 500-18 800. (Voir pièce 160, présentation du comité exécutif de CIC datée du 30 juin 2011, annexe C et notes.)

[341] Comme le souligne à juste titre Mme Bender, le plan des niveaux pour 2004 et 2005 a considérablement réduit les fourchettes cibles pour les PGP. IRCC a traité les demandes au cours de ces années de manière à se situer dans les fourchettes cibles du plan des niveaux. Par conséquent, cette réorientation des ressources opérationnelles, qui a conduit au traitement prioritaire des FC1, découle des objectifs fixés dans le plan de niveaux. Par conséquent, cette allégation est en réalité une attaque contre le plan des niveaux pour ces années. En outre, ce changement est largement antérieur à la demande de la famille Attaran. Je ne pense pas que le plaignant et la Commission aient établi une pratique discriminatoire selon la prépondérance des probabilités. Cette pratique discriminatoire alléguée ne sera pas examinée davantage.

[342] En ce qui concerne l’allégation de dépassement des objectifs en 2007-2010, les données mentionnées par le plaignant n’établissent pas l’existence d’une pratique discriminatoire. En 2010, IRCC a en fait obtenu 334 PGP de plus que l’objectif minimum de 15 000. Au cours des années 2007, 2008 et 2009, l’objectif minimum pour les PGP n’a pas été atteint, mais seulement par une moyenne de 8,2 % en dessous de l’objectif. Le plaignant a fourni des données pour certaines autres catégories au cours de ces années où les débarquements réels ont dépassé l’objectif maximal. Toutefois, après un examen plus approfondi, le dépassement moyen pour ces 3 ou 4 catégories différentes citées pour ces années n’est que de 11,3 %. J’estime que cela est cohérent avec la preuve que le respect de la fourchette cible n’a pas toujours été atteint malgré tous les efforts déployés. Le degré de sous-dépassement ou de dépassement semble se situer dans une marge d’erreur raisonnable. (Les diverses autres catégories non citées par M. Attaran se situaient en dessous ou à l’intérieur des fourchettes cibles). Les variations citées ne sont pas grossièrement incompatibles avec le plan des niveaux. D’autre part, pour admettre les PGP au Canada sur demande, au même titre que les FC1, il aurait fallu dépasser les fourchettes cibles par des marges énormes, ce qui, je l’ai constaté (plus haut), n’est pas une option qui s’offre à l’intimé dans le cadre du régime imposé par la LIPR, le règlement d’application de la LIPR et les plans des niveaux.

G. La manière dont IRCC a communiqué au public les délais de traitement des demandes de PGP constituait-elle une différence de traitement défavorable dans le cadre de la prestation d’un service?

[343] Au cours de l’audience, le Tribunal a entendu des témoignages sur les différentes façons dont l’intimé rend compte au public des délais de traitement pour les divers sous-groupes de demandes d’immigration. Certains rapports sont basés sur la durée réelle du traitement. Par exemple, le rapport peut indiquer que [Traduction] « les demandes approuvées aujourd’hui ont été soumises à la date X ». Il s’agit d’un rapport rétrospectif sur les délais réels. Il ne s’agit pas nécessairement d’un bon indicateur du temps qu’il faudrait pour traiter un nouveau dossier soumis aujourd’hui, car l’effet de facteurs tels que les contrôles à l’entrée n’est pas nécessairement apparent. Dans d’autres cas, l’intimé donne une estimation prospective du temps nécessaire pour traiter un certain type de demande.

[344] Cette allégation a été soulevée dans le mémoire de réponse de M. Attaran, qui cite un aveu au paragraphe 133 du mémoire de l’intimé, selon lequel IRCC a modifié sa façon de calculer les délais de traitement des PGP. Selon les observations de l’intimé, après la mise en œuvre des contrôles à l’arrivée pour les PGP, le CTD-Mississauga a commencé à vérifier de manière plus approfondie si les demandes étaient complètes dès leur réception. Si IRCC constatait qu’il manquait des documents, il les demandait au demandeur. Toutefois, le délai de traitement de la demande n’est calculé qu’à partir de la date à laquelle tous les documents requis ont été reçus par IRCC, plutôt qu’à partir de la date à laquelle la demande incomplète a été reçue. Ainsi, le temps passé par IRCC à attendre que le demandeur fournisse les documents manquants ne serait pas inclus dans les délais de traitement déclarés.

[345] M. Attaran affirme que le fait de retarder le début du délai jusqu’à ce que les demandes de PGP soient complètes, plutôt que d’utiliser la date de réception des demandes incomplètes (comme c’est le cas pour les demandes de FC1), signifie que les délais de traitement des demandes de parrainage d’IRCC pour les demandes de PGP sont sous-évalués. [Traduction] « En d’autres termes, IRCC falsifie ses délais d’attente afin de rendre moins flagrante la différence avec les époux, les partenaires et les enfants » (mémoire en réponse du plaignant, paragraphe 55).

[346] Je reconnais que les méthodes d’établissement des rapports étaient différentes pour les PGP et pour le sous-groupe FC1. Toutefois, je ne suis pas persuadé que les méthodes d’établissement des rapports aient eu un effet défavorable sur le délai de traitement des demandes de PGP, ce qui est l’essence même de cette plainte. Cela dit, la transparence dans la communication des délais de traitement des demandes de PGP est évidemment importante pour les candidats potentiels qui envisagent de présenter une demande et pour lesquels le temps d’attente peut être un facteur très important dans leur décision. Toutefois, le plaignant et la Commission n’ont pas démontré que cette différence de traitement alléguée a eu un effet sur les délais d’attente ou sur la demande du plaignant. De plus, cette allégation n’a pas été soulevée dans l’exposé des précisions de M. Attaran, mais seulement dans son mémoire en réponse, ce qui a nui à la capacité de l’intimé d’y répondre. En conséquence, cette allégation de différence de traitement défavorable est rejetée.

H. Un nombre disproportionné de PGP ont été admis au Canada en tant que résidents permanents entre 2007 et 2019

[347] M. Attaran n’a pas formulé d’allégations spécifiques concernant une différence de traitement défavorable pour ces motifs. Cet argument a été soulevé par la Commission. Il ne s’agit pas d’une allégation distincte concernant une politique ou une procédure particulière, mais plutôt d’une observation sur les effets cumulatifs des pratiques discriminatoires alléguées et de l’intentionnalité alléguée de la part de l’intimé. L’intimé n’a pas non plus répondu à ces allégations de marginalisation intentionnelle.

[348] La Commission a compilé des statistiques dans son mémoire (au paragraphe 86) pour montrer le faible nombre de PGP par rapport au nombre total d’immigrants admis entre 2007 et 2019. Selon leurs calculs approximatifs, les PGP représentaient 26 % de la catégorie familiale et seulement 6,79 % du nombre total d’immigrants admis au cours de cette période.

[349] La Commission allègue que la pression exercée pour accorder le plus d’espace possible à la classe économique peut contribuer à expliquer la marginalisation du groupe des PGP. Elle se réfère à la déposition de Glen Bornais, témoin d’IRCC, qui a parlé de la tension qui existe parfois entre deux principes des objectifs de la LIPR : une économie canadienne prospère et la réunification des familles. M. Bornais a parlé des consultations continues avec les provinces et les territoires au cours de son mandat, de 2007 à 2018 environ. Il a déclaré qu’il y avait un consensus général pour maintenir les niveaux d’immigration stables, ou même les augmenter, mais qu’il y avait [Traduction] « une nette préférence pour, pour favoriser ou prioriser les programmes économiques » (enregistrement de l’audience du 10 février 2021, interrogatoire direct de M. Bornais).

[350] La Commission allègue que la partie intimée a intentionnellement marginalisé les PGP en raison de ses outils agressifs de gestion du programme et de ses règlements, dans le but d’atténuer d’éventuels effets économiques négatifs sur le pays. Elle cite l’imposition d’un revenu minimum nécessaire pour les parrains et les longs engagements financiers que ces derniers sont tenus de signer. Étant donné que les exigences imposées aux parrains des PGP sont plus lourdes que celles imposées aux parrains du groupe FC1, la Commission suggère que cela est basé sur une certaine perception qu’a IRCC des parents et des grands-parents et [Traduction] « démontre un souci de gérer l’effet du groupe sur le trésor public canadien » (paragraphe 95 du mémoire de la CCDP).

[351] La Commission allègue en outre la marginalisation du groupe PGP en limitant le parrainage à ceux qui peuvent se le permettre :

[Traduction]

Notamment, cela suggère également que le regroupement familial, en ce qui concerne les parents et les grands-parents, peut être réservé aux nouveaux Canadiens et aux Canadiens établis qui peuvent se le permettre. Cet aspect constitue un indice supplémentaire de la marginalisation de ce groupe. Ils doivent dépendre de leurs répondants pendant une longue période, manifestement en corrélation avec leur espérance de vie, afin de minimiser leur fardeau sur l’économie canadienne. (paragraphe 95 du mémoire de la CCDP)

[352] Le fait que les PGP n’aient représenté que 6,7 % du total des immigrants au cours de la période 2007-2019 s’explique par de nombreux facteurs. Les revenus plus élevés exigés et les engagements plus longs peuvent avoir contribué à ce résultat. Toutefois, ces facteurs sont traités séparément ci-dessus et sont considérés comme résultant de la réglementation, qui n’est pas contestée dans la présente plainte. Le nombre inférieur de PGP dans l’ensemble est le résultat direct des nombres constamment bas alloués aux admissions de PGP dans les plans de niveaux, qui ne sont pas non plus remis en cause dans cette plainte.

[353] L’intimé a suggéré que la baisse du nombre d’admissions était due à la préoccupation du gouvernement concernant l’effet financier négatif sur les ressources du Canada. Il est tout à fait possible que le Cabinet ait eu l’intention de limiter le nombre d’immigrants PGP afin d’atténuer les répercussions négatives sur les systèmes de prestation de soins de santé et sur d’autres ressources limitées. Dans la mesure où ces décisions sont régies par le régime de la LIPR, le règlement d’application de la LIPR, les plans de niveaux et les instructions ministérielles, elles dépassent le cadre de la présente enquête pour les raisons susmentionnées.

[354] Pour obtenir gain de cause, la Commission devrait démontrer que les actions d’IRCC, dans le cadre de son autorité, ont exacerbé le nombre inférieur d’admissions de PGP. Les raisons susmentionnées expliquent pourquoi la Commission n’a pas réussi à s’acquitter de cette charge de la preuve. Même dans le cas des années où IRCC n’a pas atteint les fourchettes cibles pour les PGP, le Tribunal accepte le témoignage de M. Cardinal selon lequel les écarts étaient le résultat de facteurs échappant à son contrôle, tels que les retards dans les bureaux à l’étranger, le décalage de l’atterrissage et le gaspillage de visas.

[355] Par conséquent, je ne considère pas que le nombre globalement disproportionné d’admissions dans la catégorie PGP reflète une différence de traitement défavorable dans la prestation d’un service par l’intimé.

XVI. CONCLUSION SUR LA PREUVE PRIMA FACIE

[356] Comme indiqué ci-dessus, le plaignant a établi la première partie du test de Moore, à savoir qu’il présente des caractéristiques interdites de discrimination en vertu de la LCDP.

[357] À ce stade de l’analyse, je dois examiner si la deuxième partie du critère de l’arrêt Moore a été respectée : le plaignant doit démontrer qu’il a subi un effet négatif en ce qui concerne un service qui lui a été fourni par l’intimé. À cet égard, le plaignant et la Commission ont échoué et la preuve prima facie n’a pas été établie.

[358] Compte tenu des raisons susmentionnées, il n’y avait pas suffisamment de preuves pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que les actions contestées suivantes ont entraîné une différence de traitement défavorable dans la fourniture d’un service par l’intimé :

  • A)Ne pas autoriser le traitement simplifié (soumission simultanée des parties 1 et 2 des demandes) pour les demandeurs PGP;

  • B)Le refus des examens médicaux préalables pour les demandeurs PGP;

  • C)Permettre aux autres membres de la famille d’être traités plus rapidement comme les conjoints et les enfants;

  • D)L’absence de normes de service en matière de traitement pour le sous-groupe PGP;

  • E)La suspension des demandes de parrainage relatives aux PGP au CTD-Mississauga en 2004 et 2005;

  • F)Le transfert des ressources vers les demandes FC1;

  • G)La manière dont l’intimé indique les délais de traitement des demandes de PGP;

  • H)La marginalisation intentionnelle présumée des demandeurs PGP.

[359] Le plaignant et la Commission ont également contesté la manière dont IRCC a mis en œuvre les plans de niveaux. J’ai conclu ci-dessus que l’établissement et l’application des plans de niveaux ne constituent pas un service au sens de la LCDP et qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire permettant à IRCC d’ignorer ou de contourner les plans de niveaux.

[360] La série suivante d’actions contestées se fonde sur les instructions ministérielles. J’ai estimé que les instructions ministérielles ne pouvaient pas être considérées comme un service au sens de la LCDP.

[361] L’autre allégation concerne le fait que le ministre n’a pas exercé son autorité en vertu du paragraphe 25.2(1) de la LIPR pour exempter les parrains et les demandeurs du sous-groupe PGP de tout règlement de la LIPR qui pourrait être considéré comme discriminatoire pour un motif illicite en vertu de la LCDP. Cette allégation était, par essence, une attaque contre les règlements mis en cause. Le plaignant et la Commission ont la charge de la preuve et n’ont pas établi que l’élaboration de règlements est un service, et ont spécifiquement suggéré au Tribunal de ne pas trancher cette question.

[362] La plainte est rejetée parce que le plaignant et la Commission n’ont pas réussi à établir une preuve prima facie. Bien qu’ils aient démontré des différences et des façons dont les demandes de PGP ont été traitées plus lentement que les autres catégories, le plaignant et la Commission ne se sont pas acquittés de la charge qui leur incombait de démontrer que l’intimé s’était livré à une pratique discriminatoire. Pour chaque allégation discutée ci-dessus, soit aucune différence de traitement défavorable n’a été établie, soit la différence de traitement défavorable alléguée a été expliquée par un élément qui n’a pas été prouvé comme étant un « service » en vertu de l’article 5 de la LCDP.

XVII. Décisions sur requête

A. Décisions sur la confidentialité

[363] Une enquête devant le TCDP est toujours menée en public, à quelques exceptions près. En vertu de l’article 52 de la LCDP, une formation du TCDP peut rendre une ordonnance de confidentialité si elle l’estime nécessaire pour un motif énoncé dans cet article. Dans l’affaire qui m’occupe, j’ai rendu des ordonnances de confidentialité pour deux séries d’informations à la demande des parties.

[364] Le premier jour de l’audience, M. Attaran a demandé la confidentialité des informations personnelles contenues dans deux séries de documents admis comme pièces 2 et 3. Les pièces 2 et 3 sont les formulaires de demande et les documents à l’appui que M. Attaran et ses parents ont soumis à l’intimé pour commencer la demande de parrainage de l’immigration pour ses parents. Les pièces contiennent de nombreux renseignements personnels, notamment l’avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada du M. Attaran, une lettre de son employeur et des copies de documents d’identité. Bien que cette demande soit au cœur des faits de la présente plainte, les renseignements contenus dans ces formulaires et les documents à l’appui qui font partie des pièces 2 et 3 n’ont rien à voir avec les questions dont le Tribunal est saisi. Il y a un risque substantiel que la divulgation de ces informations personnelles cause un préjudice injustifié au plaignant et à sa famille. Les termes utilisés dans les formulaires eux-mêmes et certains termes passe-partout dans les lettres types de l’intimé ont une certaine pertinence. En conséquence, les informations contenues dans les formulaires et les documents à l’appui qui font partie des pièces 2 et 3 sont soumises à la confidentialité en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la Loi. Les réponses aux formulaires, les informations personnelles contenues dans les lettres et les documents d’appui doivent être caviardées afin de préserver la confidentialité des informations personnelles.

[365] J’ai également fait référence aux dates des échanges de correspondance dans la pièce 3, qui sont également mentionnées dans la pièce 82, l’imprimé du système de gestion cas global de l’intimé pour le dossier de M. Attaran. Étant donné que la pièce 82 contient également des informations personnelles de nature délicate, j’ordonne par la présente que les informations personnelles de la pièce 82 soient caviardées, mais pas les dates de correspondance qu’elle contient.

[366] La deuxième série d’informations pour lesquelles j’ai accordé la confidentialité concerne les informations médicales relatives à M. Bornais, le témoin de l’intimé. Comme mentionné ci-dessus, M. Bornais n’a pas été en mesure de compléter son témoignage devant le Tribunal pour des raisons médicales. J’ai accepté d’accorder une ordonnance de confidentialité pour les deux lettres médicales que le Tribunal a reçues au sujet de son état. Une lettre d’instructions, un enregistrement d’une CTP et certaines parties de l’enregistrement officiel de l’audience ont également été soumis à cette ordonnance de confidentialité en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la Loi.

[367] La deuxième ordonnance de confidentialité est devenue litigieuse lorsque les parties ont présenté leurs arguments finaux par écrit. Le plaignant a inclus dans son mémoire des citations réelles des lettres confidentielles et a fait d’autres références à la nature de la maladie qui faisait l’objet de l’ordonnance de confidentialité. Cela a incité les avocats de l’intimé à m’écrire le 14 février 2022 pour clarifier ce qui avait été jugé confidentiel et pour prendre note de certaines parties des observations écrites du plaignant qui, selon lui, tombaient sous le coup de l’ordonnance de confidentialité. Le plaignant a également mentionné une partie de l’enregistrement de l’audience du matin du 30 avril 2021 qui devait faire l’objet de l’ordonnance de confidentialité.

[368] Le 3 mars 2022, j’ai adressé une lettre d’instructions aux parties afin de clarifier la portée de mon ordonnance de confidentialité initiale. Bien qu’elle ne soit pas aussi large que l’affirment les avocats de l’intimé, j’ai précisé que les paragraphes 203, 204 et 211 du mémoire du plaignant daté du 3 décembre 2021 devaient être caviardés. Les paragraphes 203 et 211 contenaient des citations textuelles (entre guillemets) des lettres dont j’avais ordonné la confidentialité. Le paragraphe 204 contenait cinq références à la nature de l’état de santé du témoin qui faisait l’objet de l’ordonnance de confidentialité et, à mon avis, contrevenait à l’esprit et à l’intention de l’ordonnance.

[369] En ce qui concerne une partie de l’enregistrement audio du 30 avril 2021, M. Attaran a fait une référence verbale à l’état de santé du témoin au cours d’un échange entre les avocats. Quelques minutes plus tard, M. Stynes a indiqué que la discussion s’était aventurée dans le domaine soumis à l’ordonnance de confidentialité existante. M. Attaran a reconnu son erreur et s’est excusé. Il a également déclaré qu’il n’avait aucune objection et qu’il consentait à ce que cette partie de l’enregistrement audio soit retirée du dossier public.

B. La requête de divulgation du privilège du cabinet et les différends qui s’ensuivent

[370] M. Attaran a présenté une demande de divulgation de documents supplémentaires après le neuvième jour de l’audience. L’intimé s’étant opposé à la divulgation en invoquant le secret professionnel, j’ai demandé que les observations soient présentées par écrit. Afin de préserver la prochaine série de dates d’audience prévues, j’ai rendu une brève décision provisoire sur la requête dans une lettre aux parties datée du 26 mars 2021. La lettre indiquait que je donnerais des motifs plus complets dans la décision finale sur le fond, qui sont maintenant exposés dans la présente section.

[371] Le deuxième témoin de la partie intimée, M. Bornais, avait travaillé comme conseiller auprès de hauts fonctionnaires d’IRCC. Son travail se situait à un niveau très élevé et était parfois lié aux plans de niveaux décidés par le Cabinet en vertu de l’article 94 de la LIPR. Lors de son contre-interrogatoire par M. Attaran, le témoignage de M. Bornais a porté sur l’existence de certains documents qui n’avaient pas été divulgués auparavant par IRCC. Au cours du contre-interrogatoire, le conseil de l’intimé a soulevé plusieurs objections aux questions posées au témoin par M. Attaran. La question du privilège du Cabinet, autrement dit un document confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada, a été soulevée et M. Bornais a invoqué ce privilège pour expliquer sa réticence à répondre à certaines questions. (Comme mentionné ci-dessus, M. Bornais n’a pas pu terminer son témoignage pour des raisons médicales).

[372] Comme M. Bornais a fait référence à certains documents qui n’avaient pas été divulgués auparavant, M. Attaran a demandé qu’ils soient divulgués. Comme l’intimé avait invoqué le privilège en réponse, il n’était pas prudent de prendre une décision sur requête depuis l’estrade. En conséquence, j’ai demandé aux parties de présenter des observations écrites sur la demande de divulgation des documents mentionnés dans le témoignage de M. Bornais. Comme l’audience devait reprendre en avril 2021, j’ai donné aux parties seulement quatre semaines pour présenter des observations écrites.

[373] M. Attaran et la Commission ont présenté une requête conjointe pour la divulgation. Les demandes ont d’abord été échangées par courrier électronique directement entre les parties. Cependant, la requête écrite a répété les documents demandés, de 2008 à aujourd’hui, comme suit :

[Traduction]

Tous les mémorandums et documents d’information destinés au ministre (à l’exclusion de ceux envoyés au cabinet pour l’informer) et tous les documents de consultation FPT liés à l’élaboration des plans annuels de niveaux, et qui : (1) contiennent ou commentent les scénarios préparés par le ministère, ou (2) font partie de la vérification des signaux qui a eu lieu avec le cabinet du ministre. En outre, et en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le plan des niveaux est une décision du Cabinet et non une décision ministérielle discrétionnaire, et : (3) tout décret contenant la décision sur le fond du Cabinet sur le plan des niveaux, étant donné qu’il s’agit d’un document public et non d’un document confidentiel du Cabinet.

[374] La requête soutenait que le témoignage de M. Bornais révélait qu’avant que les plans de niveaux annuels ne soient établis par le Cabinet, IRCC effectuait un important travail préparatoire dans le cadre d’un exercice continu d’évaluation des compromis dans les priorités et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du personnel d’IRCC et du ministre. Ce travail préparatoire comprend la création de mémorandums et de documents de consultation FPT (fédéral-provincial-territorial).

[375] À l’appui de la pertinence de ces documents, la requête souligne que plusieurs documents similaires ont déjà été divulgués.

[376] Les principaux arguments de l’intimé étaient que les documents n’étaient pas pertinents et que, s’ils l’étaient, ils relevaient du secret professionnel. En ce qui concerne l’argument de la pertinence, le conseil de l’intimé a présenté la question devant le Tribunal comme portant sur le temps de traitement réel de la demande de parrainage de M. Attaran. L’affaire ne porte pas, selon eux, sur la question de savoir si le temps de traitement aurait pu être différent si des plans de niveaux différents avaient été établis; les plans de niveaux étaient ce qu’ils étaient au moment de la demande en 2009.

[377] L’avocat de l’intimé a accusé le plaignant et la Commission d’avoir modifié leur argumentation au milieu de l’audience pour alléguer que le plan des niveaux était le service offert. Selon eux, une question d’équité procédurale se posait, car ils estimaient que le plaignant et la Commission n’avaient pas plaidé leur cause en affirmant que les plans de niveaux étaient le service offert.

[378] L’intimé a également prévenu que si le Tribunal concluait que les documents demandés étaient pertinents, il serait contraint de déposer une demande auprès du greffier du Conseil privé en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC) afin de demander une attestation pour les documents considérés comme relevant du secret du Cabinet. Cette demande pourrait prendre jusqu’à six mois, ont-ils averti.

[379] M. Attaran a souligné que l’article 39 de la LPC permettait également à un ministre de la Couronne d’accorder la certification pour le privilège du Cabinet, auquel cas cela pourrait prendre beaucoup moins de six mois. En réponse, M. Stynes a fait valoir qu’il existait une [Traduction] « convention constitutionnelle » qui ne permettait pas à un ministre d’accorder une certification pour des documents protégés par le secret du cabinet qui provenaient d’un autre gouvernement. Dans ce cas, cela reviendrait à demander à un ministre du gouvernement libéral de prendre une décision sur des documents datant d’une période antérieure à 2015, qui étaient du ressort de l’ancien gouvernement conservateur.

[380] L’avocat de l’intimé a suggéré que le bien-fondé de la demande doit être mis en balance avec le risque de retard, et a cité ma décision sur Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28 (Brickner) aux paragraphes 7 et 8 :

[7] [...] dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence probable des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte (voir Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8407 (CF), au paragraphe 13; voir également l’article 48.9(1) de la Loi).

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 4; Seeley, au paragraphe 7; voir aussi R. c. Seaboyer [1991] 2 R.C.S. 577, aux pages 609 à 611). [souligné par l’avocat de l’intimé].

[381] Étant donné que l’audience ne devait pas reprendre avant plusieurs semaines, j’ai estimé que l’ordonnance de divulgation ne retarderait pas indûment la fin de l’audience et, au fil des événements, cela s’est avéré exact.

[382] Le Tribunal a également établi qu’aux fins de l’analyse de la pertinence défendable des documents, la plainte, la théorie de l’affaire contenue dans l’exposé des précisions de chaque partie et l’ensemble de l’exposé des précisions de chaque partie servent tous de guides. Comme il est indiqué dans l’affaire Syndicat des communications de Radio-Canada c. Société Radio-Canada:

Aux fins de divulgation, la plainte, la théorie de la cause incluse dans l'exposé des précisions ainsi que l’ensemble de ce dernier servent de guides afin d’identifier la pertinence potentielle des documents. Cette pertinence potentielle sera analysée autant du point de vue de la partie plaignante que de celui de la partie intimée ou de celui représentant l’intérêt public en l’occurrence, la Commission. Autrement dit, les documents à divulguer ne sont pas seulement ceux qui appuient la position d’une seule partie, mais bien de toutes les parties. [Soulignement ajouté par l’avocat] Syndicat des communications de Radio-Canada c. Société Radio-Canada, 2017 TCDP 5, au para. 36.

[383] En examinant les exposés des précisions des parties, j’ai conclu qu’il existait un lien suffisant avec les plans de niveaux. La Commission et l’intimé, en particulier, ont présenté des arguments relatifs aux plans de niveaux et à leur rôle dans la détermination du nombre d’admissions de PGP et des priorités appliquées. J’ai donc conclu que les documents demandés dans le cadre de la requête étaient à tout le moins vraisemblablement pertinents.

[384] Le paragraphe 50(1) de la LCDP prévoit que toutes les parties comparaissant devant le Tribunal doivent avoir « la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations ». Les anciennes Règles de procédure pour les instances antérieures au 11 juillet 2021 du Tribunal qui s’appliquaient à cette affaire (les « Règles »), stipulent des obligations de divulgation documentaire visant à s’assurer que les parties se voient accorder cette possibilité.

[385] L’alinéa 6(1)d) et le paragraphe 6(4) des Règles exigent des parties qu’elles déposent une liste des documents non privilégiés qui se rapportent à des faits, des questions ou des formes de réparation déterminés par les parties à l’affaire, et qu’elles divulguent des copies de tous ces documents aux autres parties. L’alinéa 6(1)e) des Règles exige des parties qu’elles fournissent une liste de tous les documents pour lesquels un privilège est revendiqué. (Toutefois, les parties ne sont pas tenues de divulguer des copies de ces documents privilégiés). La décision sur requête stipule également que l’obligation de divulgation des parties est permanente. Le paragraphe 6(5) des Règles stipule qu’une partie doit fournir des informations supplémentaires soit lorsque de nouveaux faits, questions ou recours sont identifiés, soit lorsque la partie découvre que ses obligations de divulgation sont inexactes ou incomplètes.

[386] Avant de rendre ma décision du 26 mars 2021, l’avocat de l’intimé a estimé que le nombre de documents découlant de la requête de la partie plaignante pourrait être compris entre 50 et 100. Certains d’entre eux pourraient être divulgués immédiatement conformément aux Règles. Toutefois, mon ordonnance stipulait que si l’un des documents était revendiqué comme étant soumis au privilège du Cabinet, il était ordonné à l’intimé d’énumérer ces documents conformément à l’alinéa 6(1)e) des Règles et de préciser sur cette liste les raisons pour lesquelles le paragraphe 39(4) de la LPC ne s’appliquait pas à ces documents. J’ai en outre ordonné que, pour les documents prétendument soumis au secret professionnel, l’intimé obtienne un certificat d’un ministre de la Couronne ou du greffier du Conseil privé, conformément à l’article 39 de la LPC. J’ai donné à l’intimé un délai jusqu’au 30 avril 2021, mais j’ai également indiqué que j’examinerais une demande de prolongation, si nécessaire. (J’ai par la suite accordé une prolongation jusqu’au 30 juillet 2021).

[387] Un certain nombre de documents ont été divulgués à la suite de ma décision sur requête et n’ont pas fait l’objet d’une revendication de privilège. Toutefois, le plaignant n’était pas satisfait et a insisté pour attendre une décision sur requête du greffier du Conseil privé concernant la détermination du reste des documents. J’espérais que l’intimé demanderait une décision au ministre responsable, car cela aurait pu prendre moins de temps que de demander une certification au greffier du Conseil privé. Cependant, l’intimé a insisté sur le fait que la [Traduction] « convention constitutionnelle » empêchait cette approche, bien qu’il y ait très peu de preuves de l’existence d’une telle convention. En outre, l’intimé n’a pas répondu à ma demande de préciser dans sa liste de documents les raisons pour lesquelles le paragraphe 39(4) de la LPC, qui énumère les exceptions au privilège du Cabinet, ne s’appliquait pas.

[388] Néanmoins, lorsque l’audience a repris à la fin du mois d’avril 2021, l’avocat de l’intimé a demandé une nouvelle prolongation de délai pour recevoir la certification du greffier du Conseil privé. J’ai accordé la requête de prolongation et la certification du greffier intérimaire, qui excluait 31 documents de la divulgation, a été accordée le 14 juillet 2021.

[389] La certification du greffier intérimaire a été transmise aux autres parties et l’avocat de l’intimé a fourni des copies partiellement caviardées de certains documents ainsi qu’une liste d’autres documents susceptibles de faire l’objet de réclamations en vertu de l’article 38 de la LPC et un avis concernant un autre document protégé en vertu de l’article 37 de la LPC.

[390] L’ordonnance de divulgation a suscité des inquiétudes de la part de l’intimé quant au fait que les dispositions relatives à la notification avaient été déclenchées en vertu du paragraphe38.01(1) de la LPC. Le 5 novembre 2021, le Groupe de la sécurité nationale du ministère de la Justice a déposé une demande ex parte auprès de la Cour fédérale concernant certains documents qui avaient été divulgués précédemment. Le 9 novembre 2021, le juge Kane a ordonné que M. Attaran soit désigné comme défendeur/intimé dans la demande et que l’affaire, déposée en vertu du paragraphe 38.04(2) de la LPC, soit rendue publique.

[391] Lorsque M. Attaran a reçu l’avis de demande modifié daté du 9 novembre 2021, il en a transmis une copie au Tribunal et l’a informé qu’il ne serait plus en mesure de respecter le délai fixé pour la présentation des arguments finaux.

[392] Lors d’une CTP ultérieure, M. Stynes a indiqué que la demande concernait des documents qui avaient été divulgués le 16 septembre 2021. Deux de ces divulgations ont été présentées comme pièces 191 et 192 au cours de l’audience. Les parties caviardées de ces documents portaient sur des questions qui n’étaient pas importantes pour les questions soumises au Tribunal.

[393] Néanmoins, le recours devant la Cour fédérale a été une distraction inopportune pour les parties et les délais pour les plaidoiries finales écrites ont dû être à nouveau retardés.

[394] M. Attaran a ensuite déposé une demande en vue d’obtenir les dépens dans cette affaire, qui a été rejetée par le juge Kane le 16 mars 2022 (voir Canada (Procureur général) c. Attaran 2022 FC 353).

Signé par

David L. Thomas

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 4 juillet 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2163/3716

Intitulé de l’affaire : Amir Attaran c. Citoyenneté et Immigration Canada

Date de la décision sur le fond du Tribunal : Le 4 juillet 2023

Avec la participation de :

Amir Attaran, pour lui-même, le plaignant

Caroline Carrasco et Sasha Hart, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Stynes, Kelly Keenan, Susan Wladysiuk, pour l’intimé

Jin Chien et Ada Chan, pour la partie intéressée


XVIII. ADDENDUM L’allégation de partialité

[395] Toute allégation de partialité à l’encontre d’un décideur est une affaire très sérieuse. Malheureusement, cette allégation a été faite au cours de l’audience. Cette décision sur le fond serait incomplète si je n’abordais pas l’incident et si je ne donnais pas les raisons pour lesquelles j’ai poursuivi l’enquête après que l’allégation a été formulée. L’allégation n’a en rien affecté mon analyse dans cette décision sur le fond.

[396] Pour donner brièvement le contexte, lorsque l’audience a repris le 29 avril 2021, elle a commencé par ma décision sur l’admission du témoin expert de l’intimé, le professeur Michael Haan, et de son rapport d’expertise. Comme il est indiqué ci-dessus, cette décision faisait suite à près de deux jours de contre-interrogatoire du professeur Haan sur son expertise et à un après-midi entier d’argumentation sur la question de savoir si je devais ou non l’accepter en tant qu’expert.

[397] Il m’a semblé que M. Attaran n’était pas satisfait de ma décision. Au cours de l’interrogatoire direct de M. Stynes sur le rapport d’expertise du professeur Haan, le docteur Attaran a formulé deux objections lorsqu’il a été fait référence à des ensembles de données concernant les coûts de la santé. M. Attaran a objecté que le professeur Haan n’était pas qualifié en tant qu’expert en matière de santé. Lorsque j’ai rejeté la deuxième objection, M. Attaran a fait la première de plusieurs insinuations selon lesquelles j’accordais un traitement préférentiel au témoin parce qu’il partageait les mêmes caractéristiques que moi en termes de sexe et de race. M. Attaran a déclaré : [Traduction] « Il doit y avoir une limite, président... Il y a une propension à penser que tout professeur qui est un homme blanc est un expert en tout » (enregistrement de l’audience à 02:49 le 29 avril 2021).

[398] Le lendemain matin, M. Attaran a fait une insinuation similaire. Il m’a accusé d’avoir été incohérent dans une décision relativement à l’interrogatoire de son témoin expert. Il a déclaré : [Traduction] « La première fois que cela s’est produit, le professeur était asiatique et de sexe féminin, et cette fois-ci, le professeur est blanc et de sexe masculin. Je vais laisser cela dans le dossier » (enregistrement de l’audience à 02:10 le 30 avril 2021). Au cours de ces deux jours, j’ai compté plusieurs occasions où M. Attaran a insinué que je traitais le professeur Haan avec une certaine préférence parce que, comme le témoin, je suis également blanc et de sexe masculin.

[399] Dans une audience administrative comme celle-ci, l’arbitre a différents rôles à jouer. Tout d’abord, il doit être impartial et ne doit pas être en conflit d’intérêts avec les parties, que ce conflit soit réel ou perçu. L’arbitre siège à l’audience pour recevoir des informations, des témoignages et des arguments juridiques. Les parties ont le droit de tester les preuves de l’autre afin de s’assurer que l’arbitre dispose des meilleures informations pour fonder sa décision.

[400] Cette audience n’a ressemblé à aucune autre que j’ai jugée auparavant en termes de nombre d’objections et de requêtes sur lesquelles j’ai dû me prononcer. J’ai également été contraint, à plusieurs reprises, de demander aux parties de respecter le décorum et de s’abstenir de faire des commentaires mesquins et de s’insulter mutuellement. J’ai également demandé aux parties de s’abstenir de suggérer que d’autres ne respectent pas leurs obligations en vertu du Code de déontologie du Barreau de l’Ontario. J’ai dû rendre toutes sortes de décisions sur requête au cours de cette enquête. Je soupçonne toutes les parties d’avoir été parfois mécontentes de certaines de mes décisions.

[401] M. Attaran a formulé son allégation de partialité après le retour d’une pause de 20 minutes pendant son contre-interrogatoire du professeur Haan. Avant la pause, l’avocat de l’intimé, M. Stynes, avait soulevé une objection aux questions posées à son témoin. Il a déclaré que M. Attaran tentait d’intimider son témoin en s’en prenant à son intégrité académique. M. Attaran a commencé à poser des questions au témoin sur ses possibles violations de l’éthique et ses fautes professionnelles.

[402] L’échange concernant l’interrogation sur les violations de l’éthique et les fautes professionnelles a été houleux, ce qui m’a finalement amené à demander une pause de 20 minutes. Le professeur Haan avait été exclu de la salle d’audience après l’objection de M. Stynes pendant que les avocats discutaient de la ligne d’interrogation. J’ai dit au M. Attaran que je ne voulais pas que les témoins soient malmenés, menacés ou intimidés. J’ai réitéré qu’en tant qu’arbitre, [Traduction] « j’essaie de maintenir un certain décorum ici, et je vous demande donc de coopérer à cet égard, et juste dans les manières, et il y a de petites choses, M. Attaran, que vous dites et que vous faites, et les expressions que vous faites, mais elles sont intimidantes pour les gens. Et je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour nous, afin de passer à travers les preuves qui permettront à ce Tribunal de prendre une décision sur les questions qui sont devant lui ».

[403] Rétrospectivement, ce ne sont pas les meilleurs mots que j’aurais pu choisir. J’essayais d’éviter les propos incendiaires, mais je pensais que toutes les parties et les membres de la tribune avaient bien compris ce que je voulais dire lorsque j’ai fait référence aux « manières » et aux choses que M. Attaran a faites au cours de l’audience. J’ai utilisé le mot « manières », mais il aurait été plus juste de parler des « gestes théâtraux » que M. Attaran a faits pendant que d’autres parlaient, comme rouler la tête en arrière, se moquer et se jeter le visage dans les mains.

[404] Néanmoins, M. Attaran a déclaré qu’il n’avait jamais été critiqué à l’égard de ses « manières » par un arbitre et a suggéré que ce que je venais de dire avait quelque chose à voir avec le fait qu’il faisait partie d’une minorité visible. M. Attaran a ensuite de nouveau laissé entendre que j’avais des préjugés raciaux et que mon comportement était sexiste. Mon commentaire n’avait rien à voir avec l’appartenance ethnique de M. Attaran. C’est à ce moment-là que j’ai décidé qu’il était temps de faire une pause de 20 minutes.

[405] J’avais décidé de remettre de l’ordre dans la salle d’audience et d’accorder au M. Attaran la plus grande latitude possible pour poser les questions qu’il souhaitait pour le reste de son contre-interrogatoire. Cependant, avant que je ne dise quoi que ce soit à notre retour, M. Attaran a fait une déclaration sur sa perception de ma partialité :

[Traduction]

Mais je pense que la manière dont vous m’avez critiqué, pour ma façon de parler ou mes manières, en disant que je n’en étais peut-être même pas conscient, est irrespectueuse. Je ne pense pas que vous auriez dû faire cela. Et je pense honnêtement que cela donne lieu à une appréhension relative à des préjugés inconscients. J’ai passé toute ma vie professionnelle, en tant que membre d’une minorité, à me faire dire que je devais parler différemment, que je devais me comporter différemment, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie. Je suis malheureux que cela se soit produit ici et de la part d’une personne que je respecte, tout comme vous. La jurisprudence m’oblige à faire état d’une crainte de partialité dans le procès-verbal lorsqu’elle se produit. Je le fais donc sans acrimonie (enregistrement de l’audience à 02:12 le 30 avril 2021).

[406] J’ai immédiatement demandé au M. Attaran s’il me demandait de me récuser. Il m’a répondu qu’il me demandait de réfléchir à la question de savoir si je devais ou si j’aurais dû faire la déclaration qui a été faite.

[407] L’avocat de l’intimé a été surpris par cette allégation et a demandé si M. Attaran avait l’intention de déposer une requête en récusation. M. Attaran a répondu qu’il n’avait pas l’intention de déposer une telle requête et qu’il était [traduction] « heureux de procéder » au contre-interrogatoire du professeur Haan.

[408] L’avocat de l’intimé a demandé une longue suspension de séance pour effectuer des recherches sur la question, ce que j’ai accordé. M. Attaran s’est entretenu avec l’avocat de la Commission. J’ai pensé qu’au cours de la pause, les parties pourraient absorber l’ampleur de ce qui venait de se passer.

[409] Au retour de la suspension d’audience, l’avocat de l’intimé a présenté la jurisprudence concernant la gravité d’une allégation de partialité à l’encontre d’un décideur, en particulier au milieu de l’audience. Il a suggéré que M. Attaran présente une requête en récusation ou retire complètement son allégation de partialité avant que l’audience ne se poursuive.

[410] M. Attaran a réprimandé M. Stynes pour avoir suggéré qu’on lui indique ce qu’il devrait faire. M. Attaran m’a ensuite reproché mon commentaire sur ses manières et sa façon de parler. Il a répété que cela lui semblait être le résultat de mes préjugés raciaux inconscients. M. Attaran a dit que je regrettais probablement de l’avoir dit et a laissé entendre que je voulais probablement m’excuser de l’avoir dit. C’était la cinquième fois que M. Attaran insinuait ou déclarait que j’avais des préjugés raciaux à son encontre.

[411] M. Attaran et la Commission ont tous deux déclaré qu’ils étaient prêts à poursuivre l’audience ce jour-là. M. Attaran souhaitait mettre de côté son allégation de partialité et poursuivre son contre-interrogatoire du professeur Haan. L’audience devait également se poursuivre la semaine suivante avec la déposition d’un autre témoin.

[412] Une allégation de partialité à l’encontre d’un décideur, en particulier au milieu d’une audience, est une question qui doit être traitée. J’ai déterminé que j’aurais besoin de plus de temps pour réfléchir et examiner la jurisprudence avant de prendre une décision. J’ai donc mis fin à l’audience ce jour-là et nous avons libéré les jours d’audience pour la semaine suivante.

[413] Avant de décrire la manière dont l’affaire a été résolue, je ressens le besoin de m’exprimer d’un point de vue personnel. Les allégations de préjugés raciaux sont très toxiques dans le monde d’aujourd’hui. La simple allégation d’une telle irrégularité entraîne une stigmatisation importante et il est souvent très difficile pour l’accusé d’obtenir la rédemption, car l’allégation, bien que difficile à prouver, est également très difficile à réfuter. Ma réputation personnelle a été mise en cause par l’allégation de M. Attaran, et je souhaite donc répondre pour me défendre. Tout d’abord, je n’observe pas que M. Attaran parle avec un accent ou différemment de quiconque en Amérique du Nord. Il est né et a grandi en Californie et a fait ses études et travaillé dans certaines des universités les plus prestigieuses du monde anglophone. Je n’ai jamais rencontré M. Attaran en personne. Je ne l’ai vu que sur un écran vidéo. Il ne m’apparaît même pas comme une minorité visible. La situation pourrait peut-être être différente en personne. Je doute aussi fortement d’avoir un préjugé inconscient à l’encontre des personnes d’origine ethnique persane. Certains de mes amis les plus proches sont originaires d’Iran, notamment mon camarade de chambre à l’université, qui est resté un ami de toujours et qui a participé à mon mariage en tant que garçon d’honneur. En l’absence d’une demande de récusation, je n’ai pas considéré l’allégation comme sérieuse. Je l’ai plutôt perçue comme une tentative d’intimidation, ce qui n’a pas eu le résultat escompté.

[414] Au moment d’un litige, il est possible que les esprits s’échauffent et que le jugement soit altéré. Dans le cadre d’une audience d’un tribunal des droits de la personne, les allégations de discrimination sont toujours présentes à l’esprit, ce qui peut peut-être influencer les perceptions.

[415] Le Tribunal est sensible au fait que M. Attaran se représentait lui-même et qu’il était préoccupé par la nécessité de présenter des objections en temps opportun pour préserver ses droits lorsqu’il estimait qu’ils n’avaient pas été respectés. Toutefois, il convient d’établir une distinction entre, d’une part, le fait de s’opposer à une ligne de conduite adoptée ou même à une décision sur requête par le Tribunal et, d’autre part, le fait de mettre en cause l’impartialité et l’intégrité du Tribunal. Cette dernière ne doit pas être invoquée en dehors d’une demande de récusation.

[416] Il est bien établi que dans certains contextes, une partie doit présenter une objection opportune sur une allégation de partialité afin d’empêcher l’affirmation d’une renonciation. Toutefois, la renonciation ne peut s’appliquer dans les cas où l’allégation de partialité est liée à ce qui est dit ou fait au cours du processus décisionnel (Rothesay Residents Association Inc. c. Rothesay Heritage Preservation & Review Board et al, 2006 NBCA 61 (CanLII), au paragraphe 14).

[417] La partialité est une question sérieuse. Dans l’affaire Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 FCA 223, au paragraphe 8, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’une allégation de partialité à l’encontre d’un tribunal est une allégation sérieuse qui ne peut être faite à la légère. Lorsqu’elles sont utilisées pendant l’audience comme un simple outil de plaidoyer, les allégations de partialité minent l’atmosphère respectueuse qui est nécessaire au fonctionnement du processus quasi judiciaire. Elles enflamment la procédure et détournent l’attention des questions à trancher. Parce qu’elles ne visent pas à obtenir une décision sur la récusation du membre, de telles allégations érodent la confiance dans l’administration de la justice puisqu’elles n’offrent aucun moyen de les corroborer ou de les rejeter.

[418] M. Stynes a décrit l’allégation de partialité de M. Attaran sans requête de récusation comme une « épée de Damoclès » suspendue au-dessus de la procédure. Selon M. Stynes, à moins d’être entièrement retirée, une allégation de partialité servirait de « carte maîtresse » au M. Attaran pour jouer en faveur d’une révision judiciaire si la décision sur le fond n’étayait pas sa plainte (enregistrement de l’audience à 020:34 le 30 avril 2021).

[419] Le problème inhérent à toute allégation de préjugé inconscient est qu’il est pratiquement impossible de prouver ce qui se passe dans l’esprit d’une autre personne, en particulier lorsque l’argument est que la personne n’en est même pas consciente. Les préjugés inconscients trouvent leur origine dans le test des préjugés implicites mis au point par un groupe de chercheurs américains en psychologie sociale il y a une trentaine d’années. Bien que ce test ait été largement utilisé pour la formation sur le lieu de travail, il a été controversé au sein de la communauté scientifique en raison de son incapacité à répondre à la norme acceptée de résultats de test cohérents, suggérant pour beaucoup que les implications, dans la mesure où les résultats du test peuvent être liés à une propension à la discrimination, ne sont pas justifiables. Une simple allégation de partialité inconsciente faite devant un membre du Tribunal doit être accueillie avec prudence et mesure. Si le plaignant peut faire valoir que l’intimé est discriminatoire en raison de préjugés inconscients invisibles, l’intimé est tout aussi susceptible de faire valoir que le plaignant est dans l’illusion et qu’il voit de la discrimination là où elle n’existe pas. Aucun de ces arguments n’est utile à l’arbitre.

[420] L’audience ayant été suspendue pour une durée indéterminée, j’ai pris le temps de réfléchir à la manière dont l’affaire pouvait se poursuivre. Toutes les parties avaient investi des années de préparation dans cette enquête et nous avions déjà terminé 14 jours d’audience. Ce serait un énorme revers si un nouvel arbitre devait être nommé pour reprendre l’enquête.

[421] Après réflexion, j’ai adressé aux parties une lettre concernant le décorum le 20 mai 2021, qui décrivait mes attentes concernant le décorum de l’audience et le bon ordre nécessaire pour mener à bien l’enquête. Les parties ont fait référence à ces directives sous le nom de « Directives sur le décorum » pour le reste de l’audience. Plusieurs allégations ont été faites selon lesquelles les parties ne respectaient pas les directives sur le décorum à la fin de l’audience en septembre. Toutefois, je n’ai considéré aucune violation comme étant suffisamment préjudiciable pour justifier une nouvelle suspension de la procédure. L’enquête était allée si loin et approchait de la fin. Elle devait arriver à sa conclusion.

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