Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 10

Date : le 31 mars 2022

Numéro du dossier : T2459/1620

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Cathy Woodgate, Richard Perry, Dorothy Williams, Ann Tom, Maurice Joseph et Emma Williams

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête modifiée

Membre : Colleen Harrington

 



I. Introduction

[1] A.B. a déposé le 24 février 2022 une requête en confidentialité au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c 6 (la « LCDP »). Dans le cadre de sa requête, il demande au Tribunal de rendre son nom anonyme et de prononcer une interdiction de publication de tout renseignement qui pourrait permettre de l’identifier et de l’associer, lui ou les membres de sa famille, à la présente instance. Le 17 mars 2022, il a soumis des observations supplémentaires à l’appui de sa demande d’interdiction de publication provisoire de son nom et de tout renseignement qui permettrait de l’identifier et de l’associer à la présente instruction jusqu’à ce que le Tribunal statue sur le sort de sa requête en confidentialité, y compris sur celui de l’interdiction de publication sollicitée en l’espèce.

[2] A.B. n’est pas partie à la présente affaire. Je lui ai plutôt accordé, dans une décision sur requête rendue le 24 janvier 2022, le droit limité d’agir à titre de « partie intéressée » dans la présente instance, et ce, à deux fins : (i) solliciter la prise de toute mesure pour assurer la confidentialité de l’instruction au titre de l’article 52 de la LCDP; et (ii) produire, sur demande, des éléments de preuve pertinents sur la question des documents qui auraient été déposés dans la présente instance et qui étaient l’objet d’un engagement implicite pris envers la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans ma décision sur requête du 24 janvier, j’ai décidé que le dossier public du Tribunal resterait mis sous scellés jusqu’à ce que ces questions soient tranchées.

[3] Suivant une demande de renseignements faite par l’avocat du Réseau de télévision des peuples autochtones (l’« APTN ») sur l’ordonnance de mise sous scellés, j’ai demandé aux parties et à A.B. de produire des observations sur la question de la nécessité de donner avis aux médias sur les demandes d’interdiction de publication. A.B. et les parties conviennent tous de l’opportunité d’un tel avis. Cependant, ils ne s’entendent pas sur l’ampleur de celui-ci et sur le nombre des documents à être transmis aux médias qui souhaitent répondre aux demandes d’interdiction de publication. Leurs observations soulèvent les points litigieux suivants, lesquels sont tranchés par la présente décision sur requête.

II. Questions en litige

[4] Les médias devraient-ils être avisés de la demande de A.B. visant la prise de mesures de confidentialité dans la présente instance, y compris des interdictions de publication sollicitées ?

[5] Le cas échéant, l’avis devrait-il être expédié uniquement à l’APTN ou l’être également à d’autres médias ?

[6] Dans le cas où, à la réception de l’avis, ils se montrent intéressés à répondre aux demandes d’interdiction de publication, les médias devraient-ils recevoir des observations partiellement caviardées, comme le propose A.B. ?

III. Positions des parties et de la personne intéressée

A. A.B.

[7] A.B. affirme que l’avis devrait être expédié uniquement à l’APTN et à aucun autre média, et soutient que tout document fourni aux médias en vue d’une réponse à la présente requête devrait être caviardé.

(i) Avis envoyé uniquement à l’APTN

[8] Dans ses observations du 17 mars 2022, A.B. convient que les intérêts de l’APTN pourraient être directement touchés par toute interdiction de publication prononcée dans le cadre de l’instance, compte tenu de sa demande de diffuser l’audience.

[9] Il soutient que tout avis à un autre média est superflu et ne s’accorde pas aux objectifs du Tribunal d’instruire les affaires de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible.

(ii) Documents caviardés

[10] A.B. suggère qu’une version caviardée des documents à l’appui de sa requête au titre de l’article 52 soit fournie à l’APTN sans les affidavits déposés au soutien de celle-ci. Il propose de ne caviarder que les renseignements hautement confidentiels compris dans les affidavits. Il fait valoir que cette démarche est nécessaire pour protéger son droit à la vie privée, mais donne simultanément assez d’information à l’APTN pour qu’il puisse présenter des observations éclairées sur l’ensemble des interdictions de publication proposées. Le 22 mars 2022, il a communiqué aux parties et au Tribunal un projet de version caviardée, comme le lui avait demandé ce dernier.

[11] Il plaide également que la consultation de ces documents devrait être strictement réservée à l’avocat de l’APTN. Il ajoute que s’il est nécessaire pour le représentant d’un client de prendre connaissance des observations, cette procédure devrait être menée après que le représentant eut pris l’engagement de ne publier aucun renseignement tiré du contenu des observations.

[12] Enfin, si l’APTN demande à participer et à présenter des observations relatives à l’interdiction de publication, il suggère de tenir une audience sur la question afin de permettre à toutes les parties d’être entendues.

B. Commission canadienne des droits de la personne

[13] Dans ses observations du 24 mars 2022, la Commission canadienne des droits de la personne déclare qu’elle ne prend aucun parti quant à l’argument de A.B. selon lequel l’APTN devrait recevoir une version caviardée de ses observations relatives à sa requête présentée au titre de l’article 52.

[14] La Commission convient qu’il est approprié d’aviser le média comme le propose A.B. et souligne l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires, le consentement de A.B. à l’égard d’un avis donné à l’APTN, et le fait que le Tribunal est maître de sa propre procédure.

[15] La Commission fait valoir également que l’affaire pourrait être instruite rapidement grâce à des observations écrites, car il n’est pas nécessaire de tenir une audience.

C. GRC

[16] L’intimée a indiqué qu’elle se rallie également à la proposition de A.B. relativement à la communication d’un avis au média.

D. Plaignants

(i) Avis envoyé uniquement à l’APTN

[17] Les plaignants sont en désaccord avec la proposition de A.B. selon laquelle l’avis ne devrait être envoyé qu’à l’APTN. Ils font plutôt valoir que l’avis concernant les interdictions de publication demandées devrait être communiqué [traduction] « à l’ensemble des médias ».

[18] Les plaignants invoquent l’arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, pour avancer que le Tribunal ne peut pas restreindre l’envoi de l’avis à certains médias seulement.

[19] Ils se fondent également sur la décision British Columbia (Environmental Management Act) v. CNR, 2022 BCSC 135, pour plaider que toute préoccupation quant à un retard dans le déroulement de l’instance n’est pas un motif valable permettant de trancher à l’encontre d’un avis aux médias.

(ii) Documents caviardés

[20] Les plaignants sont en désaccord avec la suggestion voulant que les médias ne reçoivent qu’une version caviardée des observations de A.B. relatives à sa requête présentée au titre de l’article 52. Selon eux, les médias seraient privés de la possibilité de présenter au Tribunal des observations pleinement éclairées, y compris des observations complètes et rigoureuses sur l’intérêt public en réponse à la demande de A.B. de restreindre la publicité des débats judiciaires. Selon les plaignants, [traduction] « [i]l devrait exister une occasion équitable pour que l’ensemble des perspectives du public soient mises dans l’arène afin d’être sondées par le Tribunal ».

[21] Les plaignants ne s’opposent pas au prononcé d’une ordonnance d’interdiction de publication provisoire jusqu’à ce que le Tribunal tranche la requête présentée au titre de l’article 52. Cependant, ils avancent également que les avocats des médias seraient liés par l’ordonnance de mise sous scellés en vigueur et donc que les renseignements personnels de A.B. ne risquent pas d’être rendus publics.

[22] Enfin, les plaignants se dressent contre la proposition de A.B. de tenir une audience pour entendre les observations des médias par crainte d’un possible retard consécutif aux tentatives de fixer une telle audience.

E. Réplique de A.B. aux plaignants

(i) Avis envoyé uniquement à l’APTN

[23] Dans ses observations en réplique du 28 mars 2022, A.B. insiste sur le fait que l’envoi d’un avis aux autres médias n’est pas nécessaire.

[24] Il fait observer qu’il n’existe aucune exigence de common law d’aviser les médias et qu’il n’existe pas de présomption en faveur de la délivrance d’un tel avis (BC (Environmental Management Act) v. CNR, précitée, aux par. 124 et 125). Il fait également remarquer que la LCDP ne prescrit nulle part qu’un avis doive être donné aux médias et que le Tribunal n’a pas non plus fait de déclarations ou encore suivi constamment une procédure qui seraient l’assise d’une attente légitime des médias de recevoir un avis non sollicité sur des demandes d’interdiction de publication (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux par. 94-97).

[25] A.B. soutient que, bien que d’autres médias connaissent l’existence de l’instruction de la présente plainte et qu’ils en aient même fait état, seul l’APTN a signalé au Tribunal son intérêt quant à une couverture médiatique directe de l’audience. A.B. suggère que les médias qui n’ont pas agi d’une telle manière ne devraient pas s’attendre à recevoir l’avis d’une quelconque demande d’interdiction de publication.

[26] A.B. a répertorié les facteurs suivants considérés par les cours afin de décider si un avis sur une demande d’interdiction de publication devrait être envoyé aux médias :

  • le rôle joué par les médias pour appuyer le principe de la publicité des débats judiciaires;
  • le retard possible dans le traitement de la demande;
  • l’existence ou non d’une contestation à la demande d’interdiction de publication par toute partie de sorte qu’un contexte contradictoire risque de se présenter même si les médias ne sont pas avisés;
  • l’importance potentielle du dossier sous-jacent;
  • l’existence ou non d’obstacles logistiques entourant la communication de l’avis aux médias;
  • la possibilité qu’un avis ait un effet préjudiciable sur toute partie (British Columbia (Securities Commission v. BridgeMark Financial Corp., 2020 BCSC 527, au par. 11).

[27] A.B. soutient que d’aviser uniquement l’APTN appuie suffisamment le principe de la publicité des débats judiciaires et permet au média de solliciter la permission de se rallier à la contestation des plaignants sur l’interdiction de publication demandée, ce qui garantit la présence d’un contexte contradictoire et fait en sorte que les intérêts des médias sont représentés.

[28] Selon lui, il existe des obstacles logistiques majeurs au fait d’aviser [traduction] « l’ensemble des médias » comme le demandent les plaignants. Il plaide également qu’il existe une sérieuse possibilité que l’avis ait sur lui un effet préjudiciable parce que davantage de publicité sur le présent dossier risque de porter encore plus atteinte à sa dignité et à sa réputation.

(ii) Documents caviardés

[29] A.B. prétend qu’il est impératif que l’avis aux médias et tous les documents qui leur sont communiqués soient visés par une interdiction de publication et soient caviardés comme il le propose. Selon lui, les renseignements personnels de nature médicale et financière qu’il propose de caviarder, ainsi que la preuve escomptée des plaignants qui n’est pas encore publique, lui sont grandement préjudiciables. Il déclare que, si ces mesures de protection ne sont pas adoptées, [traduction] « il existe un risque réel que l’APTN diffuse le contenu de ces documents et neutralise de ce fait les ordonnances en confidentialité provisoire et de mise sous scellés prononcées le 24 janvier 2022 » par le Tribunal. Il fait valoir que le caviardage est nécessaire pour éviter qu’un préjudice indu ne lui soit causé.

[30] A.B. affirme que l’APTN peut décider s’il convient ou non de participer et de présenter des observations sur la demande d’interdiction de publication malgré le caviardage qu’il propose. Il plaide que les médias participent souvent d’une manière fructueuse aux procédures entourant les demandes d’interdiction de publication sans avoir en main des renseignements confidentiels. Il soutient qu’ils ont seulement besoin de recevoir assez d’information quant aux motifs avancés pour l’ordonnance afin qu’ils puissent présenter des observations utiles sur la nécessité de l’ordonnance et sa portée. Il fait valoir que le caviardage permet aux médias de connaître les [traduction] « trois valeurs sociales primordiales en jeu : la protection des innocents, la protection de la vie privée et de la dignité, et la protection de la réputation ».

IV. Analyse

A. Les médias devraient-ils être avisés de la demande d’interdiction de publication présentée par A.B. dans la présente affaire ?

[31] Je conviens qu’un avis des demandes d’interdiction de publication devrait être communiqué aux médias dans le présent dossier. Bien que les parties et A.B. conviennent de l’opportunité d’un tel avis, à tout le moins à l’APTN, je constate que l’avis aux médias n’est pas obligatoire. Il n’existe aucune exigence d’origine législative ou de common law selon laquelle le Tribunal doit donner aux médias l’occasion de répondre à une requête en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés ou d’interdiction de publication au titre de l’article 52 de la LCDP. Ce choix relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, lequel est maître de sa propre procédure. Chaque dossier est un cas d’espèce. La Cour suprême a confirmé ce principe dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba, 2021 CSC 33 :

51 Soyons clairs, il est possible d’imposer des limites à la publicité des débats judiciaires, par exemple une interdiction de publication, sans avis préalable aux médias. Vu l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et le rôle qu’ont les médias d’informer le public au sujet des activités des tribunaux, il sera généralement opportun de donner avis aux médias, en plus des personnes qui seraient directement touchées par l’interdiction ou l’ordonnance de mise sous scellés, lorsqu’on cherche à limiter la publicité des débats judiciaires (voir Jane Doe c. Manitoba, 2005 MBCA 57, 192 Man. R. (2d) 309, par. 24; M.(A.) c. Toronto Police Service, 2015 ONSC 5684, 127 O.R. (3d) 382 (C.div.), par. 6). Toutefois, la question de savoir si et quand cet avis doit être donné relève en dernier ressort du pouvoir discrétionnaire du tribunal compétent (Dagenais, p. 869; M.(A.), par. 5). Je suis d’accord avec les observations des procureurs généraux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario selon lesquelles les circonstances dans lesquelles les ordonnances limitant la publicité des débats judiciaires sont prononcées varient et que les tribunaux doivent avoir le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour veiller à ce que justice soit rendue dans chaque cas.

[32] En l’espèce, l’APTN a demandé la permission de diffuser l’audience et je conviens que, dans ces circonstances, ses intérêts pourraient être touchés directement par une interdiction de publication. Alors que l’article 52 de la LCDP dispose que le Tribunal doit pondérer l’importance fondamentale du principe de la publicité des débats judiciaires dans tous les cas, je retiens que le Tribunal tirerait profit de l’apport des médias sur l’interdiction de publication proposée, compte tenu de l’intérêt public plus large véhiculé par les médias jusqu’à ce jour dans le présent dossier.

B. L’avis doit-il être envoyé uniquement à l’APTN ou viser également d’autres médias ?

[33] A.B. soutient que seul l’APTN doit recevoir un avis de sa demande d’interdiction de publication, alors que les plaignants affirment que l’avis devrait être expédié [traduction] « à l’ensemble des médias ». Il est manifeste que toute décision concernant la portée de l’avis aux médias relève également du pouvoir discrétionnaire du Tribunal de contrôler sa procédure. Rien dans la jurisprudence invoquée par les parties ne me permet de conclure que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’avis doit être exercé en suivant une approche du tout ou rien. Dans l’affaire Personne désignée c. Vancouver Sun, le juge avait décidé d’envoyer l’avis uniquement aux médias recensés par l’amicus curiae. La Cour suprême a énoncé que « [c]ette pratique ne peut être tolérée puisqu’elle donne à certains membres des médias un avantage injuste et arbitraire fondé sur les opinions du juge » et que « l’avis aux médias, le cas échéant, doit être justifié et doit être rendu public de manière à ce que toutes les parties intéressées y aient accès » (par. 64).

[34] Les plaignants n’ont pas fourni de liste ni suggéré d’approche sur la manière dont le Tribunal devrait envoyer un avis [traduction] « à l’ensemble des médias ». Le Tribunal n’a pas de règles concernant l’avis aux médias et ne tient pas une liste de [traduction] « l’ensemble des médias », car il n’est pas habituel d’expédier un tel avis avant de prendre une décision en application de l’article 52 de la LCDP. Il faut tenir compte de la réalité pratique et de l’obligation légale du Tribunal d’instruire les plaintes « sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique » (art. 48.9(1) de la LCDP). Le greffe du Tribunal ne possède pas les ressources appropriées pour dresser la liste des médias et de leurs coordonnées dans un délai raisonnable, et les étapes à franchir pour publier un avis sur le site internet du Tribunal causeraient encore plus de retard dans la présente instruction et ne permettraient qu’une diffusion restreinte de l’avis.

[35] Bien qu’aucune des parties n’ait proposé de solution intermédiaire, j’estime qu’envoyer un avis aux médias qui ont contacté le Tribunal afin d’obtenir des renseignements sur la présente instruction constitue une manière raisonnable d’agir. Alors que seul l’APTN a soulevé en l’espèce la question de l’avis aux médias, je fais remarquer que The Tyee et la SRC ont tous deux récemment demandé des renseignements sur l’ordonnance de mise sous scellés en vigueur qui les empêche de consulter le dossier du Tribunal. Malgré qu’ils n’aient pas contesté directement cette ordonnance comme l’a fait l’APTN, ils ont exprimé leur intérêt à faire des reportages sur l’audience dans le présent dossier.

[36] A.B. soulève la question du retard dans le déroulement de l’instance comme motif pour restreindre l’envoi de l’avis à l’APTN seulement. Cependant, ce sont les plaignants qui pâtissent le plus des retards survenus dans la présente affaire, et ils font valoir qu’un retard n’est pas un motif adéquat pour priver les médias d’un avis. Leur préoccupation n’est pas seulement de procéder d’une manière expéditive dans le dossier, mais également de faire en sorte que la présente instruction tire profit de la publicité des débats judiciaires et de la transparence. Je juge que d’envoyer un avis aux trois médias qui ont communiqué avec le Tribunal et se sont montrés intéressés par la présente affaire, à savoir l’APTN, The Tyee et la SRC, ne causerait pas de retard injustifié, et est raisonnable en l’espèce.

C. Les médias qui se sont montrés intéressés à répondre à la demande d’interdiction de publication devraient-ils recevoir des observations partiellement caviardées, comme le propose A.B. ?

[37] A.B. avance que les médias doivent recevoir une version caviardée de ses observations relatives à la requête présentée au titre de l’article 52 afin de protéger sa vie privée. Selon lui, les documents caviardés fourniront tout de même suffisamment de renseignements aux médias pour leur permettre de présenter des observations éclairées sur l’ensemble des interdictions de publication proposées.

[38] Je suis d’avis que, si l’un des trois médias avisés se montre intéressé à répondre aux demandes d’interdiction de publication, tant la présente décision sur requête que les documents à l’appui de la requête présentée au titre de l’article 52 devraient leur être acheminés sans caviardage, bien que je convienne qu’il n’est pas nécessaire de divulguer les affidavits déposés avec les observations de A.B..

[39] Si je devais choisir de caviarder les documents à l’appui de la requête comme le propose A.B., cette décision nuirait à la capacité des médias de connaître les arguments présentés au soutien de sa demande visant à restreindre le principe de la publicité des débats judiciaires. Plus précisément, il semble invoquer l’alinéa 52(1)d) de la LCDP dans son ordonnance en confidentialité, où il avance qu’il existe une sérieuse possibilité que sa vie puisse être mise en danger par [traduction] « un risque accru de suicide » si l’interdiction de publication n’est pas prononcée. Les renseignements qu’il propose de caviarder dans les documents à l’appui de sa requête sont associés à cet argument et marquent la nécessité d’une jurisprudence et d’arguments juridiques plus pointus. Caviarder les documents nuirait considérablement à la capacité des médias de comprendre la thèse de A.B. relative à l’article 52 et d’y répondre. Toutefois, je ne crois pas que les médias ont besoin des affidavits, du moins pas au début, pour comprendre la thèse de A.B. dans sa requête en confidentialité. S’ils sont explicitement réclamés plus tard par un avocat, je me pencherai sur la demande à ce moment-là.

[40] Je conviens également que l’accès à l’ensemble des documents fournis aux médias pour leur permettre de répondre à la demande d’interdiction de publication, tout comme l’accès à la présente décision sur requête, devrait être réservé aux avocats.

[41] Dans l’avis donné aux médias relativement aux demandes d’interdiction de publication, le Tribunal informera ceux-ci des conditions imposées pour leur permettre de participer aux débats, ce qui va comprendre l’accès réservé aux avocats et un accord de ne publier aucun renseignement tiré du contenu des observations ou de la présente décision sur requête. Le nom de A.B. sera remplacé par les initiales « A.B. » dans l’avis aux médias. Ces conditions diminueront de beaucoup la publicité entourant A.B.. Je n’ai aucun motif de croire qu’un média violera les conditions imposées pour lui permettre de participer au processus.

[42] Enfin, je fais observer que, bien que A.B. ait fait valoir que les documents à l’appui de sa requête présentée au titre de l’article 52 ont été soumis avec la [traduction] « compréhension explicite qu’ils seraient déposés sous scellés », il a toujours été clair que l’ordonnance de mise sous scellés était provisoire. Il a lui-même soulevé la question de l’interdiction de publication provisoire et de l’interdiction de publication permanente, lesquelles ont la réputation de déclencher l’envoi de l’avis aux médias, tout comme le dépôt d’observations des médias qui se sont montrés intéressés.

V. ORDONNANCE modifiée

[43] Le Tribunal ordonne :

  1. Le nom de la personne intéressée sera provisoirement rendu anonyme par les initiales A.B. dans cette ordonnance, en attendant l’issue de la requête en confidentialité présentée par A.B. le 24 février 2022;
  2. A.B. a sollicité une interdiction de publication provisoire et une interdiction de publication permanente, sur son identité et sur tout renseignement qui permettrait de l’identifier et de l’associer, lui ou les membres de sa famille, à la présente instruction. Pour ce motif, l’ordonnance de mise sous scellés provisoire en vigueur est modifiée par la présente ordonnance. Pour tout le reste, l’ordonnance de mise sous scellés provisoire reste en vigueur;
  3. Le greffe du Tribunal va immédiatement fournir une copie de la présente ordonnance uniquement, sans les motifs de la décision sur requête, à l’APTN, à la SRC et à The Tyee;
  4. Les médias susmentionnés auront jusqu’à 17 h HAE le 6 avril 2022 pour aviser le Tribunal s’ils souhaitent présenter des observations relatives à la requête en confidentialité présentée par A.B. Le cas échéant, les représentants des médias devront inclure le nom et les coordonnées de leur avocat afin de recevoir plus de renseignements sur la requête;
  5. La décision sur requête du Tribunal dont est issue la présente ordonnance et tout document fourni en lien avec la requête en confidentialité du 24 février 2022 de A.B. seront communiqués à chacun des médias susmentionnés qui auront avisé le Tribunal de leur intention de présenter des observations sur la requête en confidentialité et ils ne pourront être consultés que par leurs avocats. Nul ne peut publier, reprendre ou diffuser tout renseignement tiré de la décision sur requête, des observations des parties ou des arguments à l’appui de la requête en confidentialité du 24 février 2022 d’une manière qui pourrait contrecarrer l’objet des interdictions de publication sollicitées;
  6. Quiconque reçoit l’avis sur la demande d’interdiction de publication provisoire et sur la demande d’interdiction de publication permanente par le truchement de la présente ordonnance peut seulement se servir des renseignements qui y sont contenus à la seule fin de décider s’ils veulent présenter des observations sur l’ordonnance en confidentialité du 24 février 2022. Nul ne peut publier, reprendre ou diffuser tout renseignement tiré de la présente ordonnance d’une manière qui pourrait contrecarrer l’objet des interdictions de publication sollicitées;
  7. Pour prévenir d’autres retards dans le déroulement de la présente instruction, toutes les observations relatives à la requête en confidentialité du 24 février 2022 seront faites par écrit.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 31 mars 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2459/1620

Intitulé de la cause : Woodgate et al. c. GRC

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 31 mars 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Karen Bellehumeur et Angeline Bellehumeur , pour les plaignants

Christine Singh et Jessica Walsh , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Whitney Dunn , pour l'intimée

Claire Hunter , pour la partie intéressée

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