Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Mme Peters travaillait pour la société UPS. Elle a indiqué que M. Gordon l’avait harcelée sexuellement alors qu’elle était une employée d’UPS. Mme Peters a indiqué qu’il y avait eu également deux événements d’agressions ou d’attouchements sexuels. La plainte de Mme Peters vise M. Gordon et UPS.

Mme Peters a aussi déclaré qu’elle avait une déficience et que la société UPS avait fait preuve de discrimination à son endroit. La société a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de Mme Peters et l’a congédiée à cause de ses absences au travail. Mme Peters a indiqué qu’elle s’était absentée en raison de sa déficience et qu’aucune mesure d’adaptation n’avait été mise en place par UPS.

M. Gordon a nié avoir harcelé et agressé sexuellement Mme Peters. Selon lui, les événements de la plainte ne se sont pas produits tels qu’ils ont été décrits par Mme Peters. M. Gordon a déclaré que Mme Peters avait fait de fausses déclarations parce qu’elle voulait un règlement financier de la part d’UPS.

Le Tribunal a conclu que M. Gordon avait harcelé sexuellement Mme Peters et qu’il était responsable de ses actes. La société UPS est également responsable des actes commis par M. Gordon. Selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’employeur est tenu responsable des actes commis par ses employés. Dans ces cas, l’employeur peut utiliser les moyens de défense prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’employeur doit alors prouver que les actes ont été commis sans sa permission. Il doit aussi prouver que des mesures ont été prises pour empêcher ces actes et pour en minimiser les effets si ces actes étaient commis. La société UPS n’a pas pu utiliser ces moyens de défense, car elle n’a pas démontré que ces exigences avaient été respectées.

Le Tribunal a également conclu que Mme Peters avait une déficience, ce qui était la cause de ces absences au travail. Il a conclu que Mme Peters avait subi un traitement injuste en raison de sa déficience. La société UPS n’a pas démontré avoir pris des mesures d’adaptation raisonnables. Par conséquent, UPS a aussi fait preuve de discrimination fondée sur la déficience.

Le Tribunal rendra une décision distincte sur la question de la réparation.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 25

Date : le 15 août 2022

Numéro du dossier : T2201/2317

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Tesha Peters

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

United Parcel Service Canada Ltd.

l’intimée

- et -

Linden Gordon

l'intimé

Décision

Membre : Kathryn A. Raymond, Q.C.


Table des matières

I. Aperçu 1

II. Approche adoptée aux fins de la préparation des motifs concernant la responsabilité 3

III. Décisions sur requête relatives à des questions de procédure 5

A. Requêtes pour l’obtention d’ordonnances d’anonymisation et de confidentialité 5

B. Ajout d’un témoin à l’audience 12

C. Demande d’ajout de pièces supplémentaires après l’audience 14

IV. Critère juridique applicable en matière de harcèlement sexuel 18

V. Application du fardeau de la preuve en l’espèce 19

VI. Norme de preuve 21

VII. Évaluation de la crédibilité et de la fiabilité de la preuve 22

VIII. Chronologie des événements allégués 23

IX. Actes présumés de harcèlement sexuel 27

A. Allégations 27

B. Aperçu des éléments de preuve disponibles 28

C. Éléments de preuve potentiels qui n’étaient pas disponibles 29

D. La question de la destruction d’éléments de preuve 30

E. Observations préliminaires concernant la preuve prima facie de Mme Peters 33

F. Aperçu de la défense fondée sur la preuve de M. Gordon 34

G. Position d’UPS à l’égard des témoignages de Mme Peters et de M. Gordon 34

H. Comportement 36

(i) Le comportement de M. Gordon 36

(ii) Le comportement de Mme Peters 37

(iii) Conclusions concernant le comportement en l’espèce 37

I. Enregistrements 39

(i) Méthode d’analyse 39

(ii) Explication de M. Gordon concernant les messages enregistrés 40

(iii) Cadre d’évaluation des messages enregistrés 41

(iv) Contenu 41

(v) La prétendue amitié antérieure entre Mme Peters et M. Gordon 45

(vi) Conclusions sur l’étendue de l’amitié jusqu’en novembre 2014 49

(vii) Leur relation entre le 4 novembre 2014 et le 2 décembre 2014 51

(viii) Conclusion quant aux messages enregistrés 53

(ix) Allégation de M. Gordon selon laquelle l’appel de Mme Peters était un coup monté 54

J. M. Gordon a-t-il communiqué de façon harcelante et répétée avec Mme Peters? 55

K. Nécessité soulevée d’exercer une supervision étroite et incident d’attouchement 58

(i) L’attouchement reproché 58

(ii) La nécessité d’exercer une supervision physique étroite 59

(iii) Analyse relative à l’incident d’attouchement reproché 68

L. Allégation d’agression dans le stationnement 69

(i) Aperçu de l’allégation 69

(ii) Témoignage et observations de M. Gordon 70

(iii) Analyse de la position de M. Gordon 71

(iv) Défense fondée sur une incohérence entre les témoignages 73

(v) Analyse relative à la prétendue incohérence entre les témoignages 73

(vi) Observations d’UPS concernant l’agression reprochée 77

(vii) Analyse des observations d’UPS 77

(viii) Équité 80

(ix) Communication par Mme Jeffers de renseignements sur UPS à Mme Peters 82

(x) Analyse relative à la preuve médicale 82

(xi) Conclusion quant à l’agression reprochée 84

(xii) Moment de l’agression 85

X. Résumé des conclusions concernant le harcèlement sexuel exercé par M. Gordon 85

XI. Lien entre l’obligation de signalement et l’article 65 87

A. Aperçu de l’obligation de signalement établie dans Franke 88

B. Limites potentielles de l’obligation de signalement établie dans Franke 90

C. Explication concernant la défense prévue par le paragraphe 65(2) de la Loi 93

D. Aperçu de la défense d’UPS fondée sur le paragraphe 65(2) 95

E. Le lien entre l’obligation de signalement et la responsabilité imposée par la Loi 96

(i) Contexte 96

(ii) Le paragraphe 65(2) comporte-t-il une obligation de signalement? 98

(iii) L’obligation de signalement est-elle pertinente en ce qui concerne le paragraphe 65(2)? 101

(iv) La séquence des questions à trancher dans les affaires de harcèlement sexuel 102

XII. La question de savoir si UPS peut être tenue responsable du harcèlement sexuel 103

A. Les actes commis ont eu lieu sans son consentement 103

(i) Connaissance versus consentement 103

(ii) Politique interdisant le harcèlement sexuel 107

(iii) Conclusions concernant l’absence de consentement 108

B. Signalement du harcèlement 114

C. Quelle obligation le terme « mesures nécessaires » au paragraphe 65(2) impose-t-il à l’employeur? 118

(i) Norme de conduite applicable 119

(ii) L’exception mentionnée dans Laskowska peut-elle être invoquée dans le contexte du paragraphe 65(2)? 122

D. Prévention 124

(i) Positions des parties et contenu de la politique d’UPS 124

(ii) Analyse et conclusions concernant la politique 126

(iii) Positions et preuve des parties concernant la formation 127

(iv) Analyse et conclusions concernant la formation 131

E. Efforts d’enquête et d’atténuation 135

(i) Introduction 135

(ii) Preuve concernant les premières mesures et la première enquête d’UPS 136

(iii) Conclusion d’UPS au terme de la première enquête 139

(iv) Aucune mesure prise pour atténuer les effets du harcèlement sur Mme Peters dans le contexte de la première enquête 140

(v) Application de l’exigence relative aux efforts d’enquête et d’atténuation énoncée au paragraphe 65(2) dans le contexte de la première enquête 141

(vi) Éléments de preuve et analyse concernant la deuxième enquête 150

(vii) Résumé des conclusions relatives aux enquêtes menées par UPS 152

(viii) Atténuer ou annuler les effets du harcèlement au-delà de l’enquête 154

(ix) Conclusion quant à l’obligation d’UPS d’atténuer ou d’annuler les effets du harcèlement sexuel 155

F. Le harcèlement a-t-il été signalé avant mars 2015? 156

(i) Récapitulation et examen de ce qui constitue un signalement 156

(ii) Position d’UPS à l’égard de la rencontre du 15 janvier 2015 157

(iii) Contexte des évaluations relatives à la crédibilité 159

(iv) Témoignage de Mme Peters 160

(v) Le problème allégué quant au signalement 161

(vi) Témoignage de Mme Thompson au sujet de la rencontre de janvier 161

(vii) Témoignage de Mme Thompson sur ce qui s’est passé après la rencontre 168

(viii) Rumeurs de corridor 169

(ix) Communications de Mme Thompson avec M. Gordon 169

(x) Absence de grief 171

(xi) Contexte supplémentaire entourant l’absence de grief 172

(xii) Témoignage de M. Ghanem 173

(xiii) Mme Peters a-t-elle signalé le harcèlement à UPS avant mars 2015? 178

(xiv) Mme Peters était-elle tenue de préciser qu’il s’agissait de harcèlement sexuel? 179

(xv) La question de savoir si Mme Peters a retiré son allégation ou ne souhaitait pas porter plainte 181

(xvi) La ligne d’assistance et les autres mécanismes de signalement 185

XIII. Résumé des conclusions quant à la défense fondée sur le paragraphe 65(2) 186

XIV. Discrimination fondée sur la déficience 186

A. Aperçu 186

B. Critère juridique relatif à la discrimination fondée sur la déficience et norme de preuve 188

C. Arguments relatifs à la responsabilité d’UPS 188

D. Chronologie des événements allégués par Mme Peters 189

E. Chronologie des événements allégués par UPS 192

F. Position d’UPS quant à la preuve prima facie 196

G. ANALYSE 199

(i) Conclusions contextuelles concernant les prétendus problèmes nécessitant des mesures de gestion du rendement 199

(ii) Principales évaluations quant à la crédibilité 200

(iii) Le poids à accorder à la politique sur l’assiduité et la ponctualité d’UPS 203

(iv) Mme Peters avait-elle une déficience? 206

(v) Mme Peters a-t-elle fait l’objet d’un traitement défavorable? 210

(vi) Si tel est le cas, la déficience a-t-elle été un facteur dans le traitement défavorable subi? 215

(vii) UPS a-t-elle pris des mesures d’adaptation à l’endroit de Mme Peters? 216

(viii) Conclusion quant à la preuve prima facie 217

(ix) Résumé des conclusions quant à la discrimination fondée sur la déficience exercée par UPS 217

(x) Conclusion concernant l’article 3.1 de la Loi 217

XV. UPS est-elle responsable de la discrimination fondée sur la déficience? 218

XVI. Conclusion générale quant à la responsabilité 220

XVII. Disjonction 220

 


I. Aperçu

[1] Tesha Peters, la plaignante, allègue avoir été victime de harcèlement sexuel au travail, au sens de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »), de la part de son superviseur, Linden Gordon, le particulier intimé. Elle affirme que le harcèlement s’est produit alors qu’elle travaillait pour United Parcel Service Canada Ltd. ou « UPS », la société intimée. Elle allègue que le harcèlement sexuel a eu lieu aussi bien en milieu de travail qu’à l’extérieur du travail, qu’il s’est poursuivi pendant une période prolongée et qu’il a comporté deux incidents d’attouchements et d’agression sexuelle.

[2] M. Gordon nie avec véhémence avoir harcelé sexuellement la plaignante. Il allègue être victime d’un coup monté de la part de Mme Peters qui aurait fait de fausses allégations dans le but d’obtenir une réparation financière d’UPS en compensation des mesures disciplinaires qui lui avaient été imposées en raison de son historique d’absentéisme inacceptable.

[3] La société intimée, UPS, conteste qu’il y ait eu harcèlement sexuel. Or, la principale défense d’UPS est que, puisqu’elle disposait, à titre d’employeur, d’une politique stricte de lutte contre le harcèlement, Mme Peters avait l’obligation de l’aviser de tout acte de harcèlement afin qu’elle puisse prendre des mesures. UPS soutient que, puisqu’elle n’a pas été avisée, elle ne peut pas être tenue juridiquement responsable du harcèlement sexuel reproché à M. Gordon. UPS affirme que lorsqu’elle a appris l’existence de la plainte pour harcèlement, elle a mené une enquête raisonnable et a pris des mesures appropriées. UPS soutient qu’elle ne devrait pas être tenue responsable s’il est établi qu’il y a eu harcèlement sexuel de la part de M. Gordon et invoque sa conformité aux dispositions du paragraphe 65(2) de la Loi.

[4] À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut que M. Gordon a harcelé sexuellement Mme Peters. Il est responsable de sa conduite. UPS a reçu un avis suffisant de l’existence d’une plainte pour harcèlement sexuel. UPS est responsable à l’égard du harcèlement sexuel exercé par M. Gordon, car elle n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher ou en atténuer les effets, comme l’exige le paragraphe 65(2) de la Loi.

[5] Mme Peters a également déposé contre UPS une plainte pour discrimination fondée sur la déficience au sens de l’article 7 de la Loi, laquelle a été contestée par UPS. Or, les actes des employés d’UPS qui ont joué un rôle dans ce dossier et certaines pratiques d’UPS à l’égard des employés absents ont amené UPS à traiter Mme Peters de façon discriminatoire en raison de sa déficience.

[6] En ce qui concerne les mesures de réparation, Mme Peters a soulevé, par la voie d’une requête préalable à l’audience, une question juridique concernant les pouvoirs de réparation que la Loi confère au Tribunal. L’instruction de la requête a été ajournée parce que le Tribunal a déterminé qu’il n’y aurait lieu de statuer sur les questions soulevées que s’il concluait à la discrimination à l’audience et parce qu’il estimait qu’il était préférable d’attendre que toute la preuve ait été présentée avant de trancher la requête. Ayant conclu qu’il y a eu harcèlement sexuel en l’espèce, le Tribunal examinera la requête de la plaignante.

[7] La question soulevée dans la requête concerne le montant total de « dommages-intérêts généraux » qui pourrait, en théorie, être accordé au titre de la Loi. L’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la Loi fixent à 20 000 $ le montant maximal de dommages-intérêts qui peut être accordé en vertu de chacune de ces dispositions. À quelques exceptions près, les dommages-intérêts pour discrimination accordés par le Tribunal ont toujours été fixés en fonction de la plainte elle-même, dans la mesure où elle était accueillie, indépendamment du nombre d’allégations dont le bien-fondé avait été prouvé. Dans sa requête, Mme Peters soutient que, si la Loi est correctement interprétée, des dommages-intérêts pour « préjudice moral » devraient lui être accordés au titre de l’alinéa 53(2)e) relativement à chacune des allégations fondées d’acte discriminatoire qui sont formulées dans la plainte accueillie par le Tribunal. Dans le même ordre d’idées, Mme Peters demande que des dommages-intérêts lui soient accordés relativement à chacun des actes discriminatoires dont il aura été établi qu’ils ont été posés de façon délibérée ou inconsidérée, au titre de paragraphe 53(3) de la Loi. Mme Peters demande au Tribunal de condamner les intimés à lui verser solidairement un montant total de dommages-intérêts généraux de 420 000 $ relativement aux nombreux actes discriminatoires allégués.

[8] Le Tribunal a décidé de rendre des motifs distincts à l’appui de sa décision concernant les questions relatives aux mesures de réparation, y compris sa décision sur la requête de Mme Peters concernant les dommages-intérêts. Les motifs exposés ici se limitent aux conclusions sur lesquelles le Tribunal fonde sa décision quant au bien-fondé de la plainte. Ils comprennent ses décisions sur requête relatives à des questions de procédure et de preuve ainsi que sa décision concernant la responsabilité à l’égard du harcèlement sexuel, la discrimination fondée sur la déficience et la défense d’UPS fondée sur le paragraphe 65(2) de la Loi.

II. Approche adoptée aux fins de la préparation des motifs concernant la responsabilité

[9] L’audience s’est échelonnée sur 14 jours, de nombreuses pièces et observations écrites ont été présentées et de nombreuses questions ont été soulevées. Le Tribunal a également été appelé à statuer sur diverses requêtes se rapportant au bien-fondé et à des questions de procédure.

[10] L’article 50 de la Loi confère au Tribunal un pouvoir discrétionnaire en matière de procédure que celui-ci peut exercer à l’égard de ses propres processus. Ainsi, le Tribunal peut exercer une discrétion raisonnable dans la préparation de ses motifs, tout en veillant à s’acquitter de l’obligation de transparence envers les parties qui incombe à toute cour de révision, afin de favoriser une meilleure compréhension des droits de la personne au sein du public. Parce que les décisions sur requête et les différentes conclusions en l’espèce nécessitaient de rendre de longs motifs, le Tribunal a exercé, lors de la préparation de ces motifs, son pouvoir discrétionnaire des façons suivantes.

[11] Les éléments de preuve n’ont pas tous été repris ou résumés. À titre d’exemple, le Tribunal n’a pas préparé de résumé des témoignages de chacun des témoins ou de chacun des éléments de preuve concernant les efforts internes de sensibilisation en matière de harcèlement sexuel déployés par UPS. Le fait qu’un élément de preuve donné ne soit pas mentionné ne signifie pas que cet élément n’a pas été pris en considération et soupesé par le Tribunal. Le Tribunal a pris soin de décrire en détail les éléments de preuve sur lesquels il fonde ses conclusions déterminantes. Chaque fois que le Tribunal disposait d’éléments de preuve corroborants directs ou indirects à l’égard d’une question donnée, ces éléments ainsi que les conclusions du Tribunal ont été expliqués en détail. L’analyse présentée dans les présents motifs est également plus approfondie dans les cas où le Tribunal a conclu qu’il était raisonnable de tirer des inférences fondées sur la prépondérance des probabilités quant à ce qui s’est fort probablement produit.

[12] Toutes les observations présentées par les parties ont, de même, été prises en considération. Dans certains cas, les arguments présentés ont été résumés plutôt qu’énoncés un à un et le Tribunal a axé son analyse sur les plus prépondérants ou les plus convaincants d’entre eux. Le Tribunal tient à remercier les parties pour leurs observations, car celles-ci ont été fort utiles.

[13] Une décision sur requête concernant la destruction d’éléments de preuve est abordée dans le contexte du harcèlement sexuel, car l’objection soulevée dans la requête se rapporte à l’évaluation globale de la preuve relative à cette question. D’autres décisions sur requête sont examinées ci-après dans une section distincte consacrée aux décisions sur requête relatives à des questions de procédure.

[14] Le Tribunal examine ensuite les questions relatives au harcèlement sexuel, puis les questions liées à la discrimination fondée sur la déficience. La défense fondée sur le paragraphe 65(2) invoquée par UPS est abordée dans chacun de ces contextes, mais principalement en lien avec le harcèlement sexuel. UPS n’a pas présenté d’observations détaillées relativement à la défense fondée sur le paragraphe 65(2) qu’elle oppose aux allégations liées à la déficience.

[15] Le Tribunal s’abstient de statuer sur deux points. Bien qu’il en soit question dans la plainte, l’affaire n’a pas été présentée comme reposant sur une allégation de traitement défavorable fondé sur le sexe au sens de l’article 7 de la Loi. Les observations finales de Mme Peters et de la Commission font mention d’une discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 7, mais elles n’abordent pas cette question en détail, c’est-à-dire qu’elles n’expliquent pas comment le critère juridique permettant de conclure qu’il a y a eu discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 7 s’appliquait en l’espèce. Cet argument n’ayant pas été présenté adéquatement, il est impossible au Tribunal de parvenir à une conclusion à cet égard.

[16] La plainte comprenait également des allégations selon lesquelles UPS n’avait pas rajusté la rémunération de Mme Peters de façon appropriée après que les fonctions de cette dernière eurent été modifiées et qu’elle n’avait pas non plus corrigé cette erreur après en avoir été avisée. Cette question a été résolue par les parties.

III. Décisions sur requête relatives à des questions de procédure

[17] Comme il a été mentionné, les parties ont soulevé des objections et demandé au Tribunal de statuer sur diverses questions de procédure peu avant, pendant et après l’audience. Les requêtes des parties concernaient l’obtention d’ordonnances d’anonymisation et de confidentialité, le caviardage de certaines parties des pièces, l’ajout d’un témoin à l’audience et le dépôt de pièces supplémentaires après l’audience. Comme il a été mentionné, la question de la destruction d’éléments de preuve a été soulevée dans le contexte du harcèlement sexuel; elle sera donc examinée dans la section des présents motifs qui porte sur le harcèlement sexuel.

A. Requêtes pour l’obtention d’ordonnances d’anonymisation et de confidentialité

[18] Une semaine avant le début de l’audience, Mme Peters a présenté une requête au titre de l’article 52 de la Loi. Elle a demandé au Tribunal d’ordonner que son nom soit anonymisé dans la présente décision ainsi que dans l’ensemble des documents rendus publics dans le cadre de la présente instance. Dans sa requête, elle demandait également qu’une ordonnance de confidentialité soit rendue afin d’empêcher la divulgation publique du dossier de la preuve dans la présente instance, soit en mettant le dossier sous scellé, soit en le caviardant.

[19] M. Gordon a présenté essentiellement la même requête sur le fondement de l’article 52 de la Loi.

[20] Mme Peters et M. Gordon ont tous deux présenté des observations écrites à l’appui de leurs requêtes. Toutes les parties ont consenti à ces requêtes.

[21] Voici un extrait du paragraphe 52(1) :

52. (1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique…

52. (1) An inquiry shall be conducted in public, but the member or panel conducting the inquiry, may, on application, take any necessary measures and make any order that the member or panel considers necessary to ensure the confidentiality of the inquiry if the member or panel is satisfied, during the inquiry or as a result of the inquiry being conducted in public, that

….

(c) there is a real and substantial risk that the disclosure of personal or other matters will cause undue hardship to the persons involved such that the need to prevent disclosure outweighs the societal interest that the inquiry be conducted in public….

[22] Comme il a été mentionné précédemment, la présente affaire porte sur des allégations de harcèlement sexuel, y compris d’agression sexuelle. Mme Peters soutient que ses allégations et les éléments de preuve ne devraient pas être accessibles à ses enfants, à ses amis, aux membres de sa famille et au grand public. Elle affirme que la publication des allégations de harcèlement sexuel lui causerait un préjudice excessif en raison de la nature personnelle de ces dernières.

[23] Mme Peters demande que son identité soit anonymisée dans le cadre de la présente instance. Elle demande que les décisions préliminaires publiées antérieurement par le Tribunal soient rétroactivement rendues anonymes.

[24] Elle soutient que l’ordonnance qu’elle demande au Tribunal ne constituera pas une entorse excessive ou déraisonnable au principe de la publicité des débats judiciaires, parce qu’elle ne demande pas une interdiction totale de publication. Elle demande simplement que son identité soit protégée. Les faits et l’analyse du Tribunal demeureraient accessibles au public.

[25] Mme Peters soutient en outre que le Tribunal devrait ordonner que le dossier de la preuve soit considéré comme confidentiel, car celui-ci contient des renseignements personnels, médicaux et financiers importants, dont la divulgation lui causerait des difficultés. À cet égard, Mme Peters affirme que si le dossier de la preuve est rendu public, son anonymat s’en trouvera compromis. Elle soutient en outre que la divulgation publique de ces renseignements porterait atteinte à sa vie privée au point de lui causer une contrainte excessive.

[26] Plus précisément, Mme Peters a divulgué l’intégralité de ses antécédents médicaux concernant la période visée par sa plainte. Ces dossiers indiquent qu’elle a reçu des traitements pour des problèmes de santé mentale et reproductive. Elle a également fourni des documents financiers, certains contenant des renseignements personnels qui doivent demeurer confidentiels, comme son numéro d’assurance sociale et d’autres renseignements biographiques précis. Elle soutient que le Tribunal devrait rendre, à l’égard du dossier de la preuve dans la présente instance, une ordonnance de confidentialité exigeant que le dossier soit placé sous scellé ou que les renseignements personnels contenus dans les documents soient caviardés.

[27] De façon similaire, M. Gordon demande que l’identité des parties en l’espèce soit anonymisée dans la décision du Tribunal. M. Gordon affirme qu’il existe un risque sérieux que la mention de son nom lors de l’instruction de la plainte ainsi que dans la décision du Tribunal lui cause une contrainte excessive dans le cadre de ses efforts éventuels pour obtenir un emploi.

[28] M. Gordon affirme qu’il présente également cette requête par considération pour les enfants des parties (les siens et ceux de Mme Peters). Il soutient que l’utilisation d’acronymes en remplacement des noms des parties permettrait de réduire considérablement le risque que les enfants des parties soient stigmatisés ou subissent d’autres répercussions une fois que les détails sensibles de la présente affaire auront été rendus publics.

[29] Comme il a été mentionné, toutes les parties conviennent que le Tribunal devrait accorder ces ordonnances.

[30] Lors d’une conférence téléphonique préparatoire, le Tribunal a expliqué aux parties qu’une requête en confidentialité ou en anonymisation n’était pas simplement accordée sur consentement des parties. Le paragraphe 52(1) établit clairement que « [l]’instruction est publique [...] ». Le principe de la publicité des débats judiciaires est donc une exigence législative qui s’applique aux instances dont notre Tribunal est saisi. Les parties ne peuvent pas contourner cette exigence législative par consentement mutuel.

[31] L’article 52 permet au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité, mais les parties doivent d’abord convaincre le Tribunal que la situation satisfait aux critères justifiant de rendre une telle ordonnance qui sont énoncés au paragraphe 52(1). Le Tribunal est tenu de veiller à ce que l’instance soit tenue conformément à la Loi.

[32] Le Tribunal a également expliqué aux parties que l’article 52 de la Loi reconnaît l’important intérêt de la société à ce que la transparence de notre système judiciaire soit préservée, qui est en jeu lorsqu’il est saisi de requêtes visant l’obtention d’ordonnances de confidentialité. Le Tribunal est tenu d’analyser la preuve et les observations présentées à l’appui de toute requête visant à déroger au principe de la publicité des débats judiciaires afin de déterminer s’il y a lieu ou non de déroger à ce principe, que ce soit partiellement ou totalement. En l’espèce, ni l’une ni l’autre des parties requérantes n’ont fourni d’éléments de preuve à l’appui de leurs allégations portant qu’elles subiraient une contrainte excessive. Les parties ont eu la possibilité, en début d’audience, de présenter des observations supplémentaires et de déposer des éléments de preuve à l’appui de leurs requêtes respectives. Mme Peters et M. Gordon ont indiqué qu’ils souhaitaient que le Tribunal examine et tranche leurs requêtes sur le fondement des observations écrites qu’ils avaient déjà déposées. Les parties avaient été informées que les décisions du Tribunal quant à ces requêtes leur seraient communiquées en début d’audience.

[33] À l’ouverture de l’audience, le Tribunal a donc informé les parties que les requêtes en confidentialité et en anonymisation de Mme Peters et de M. Gordon, ainsi que la requête de Mme Peters pour l’obtention d’une ordonnance de mise sous scellé du dossier de la preuve, étaient rejetées. Le Tribunal a donné des directives afin que les documents individuels soient caviardés au cas par cas. Les parties ont été informées que les motifs de ces décisions sur requête seraient inclus dans la décision du Tribunal sur le fond.

[34] Dès qu’une plainte est renvoyée au Tribunal, la plainte et les noms des parties deviennent publics. Le Tribunal commence à constituer son dossier de l’instance. Ce dossier est public.

[35] Le dossier indique que des communications entre les parties et le Tribunal avaient déjà eu lieu. Bien avant que ces requêtes ne soient présentées, le Tribunal a publié, sur son site Web et dans CanLII, des décisions préliminaires relativement à la présente affaire dans lesquelles les noms des parties étaient mentionnés. Le Tribunal publie les dates des audiences à venir et avait rendu public le fait que la présente affaire devait être entendue en citant cette dernière par son nom. Comme il a été expliqué, les requêtes ont été présentées une semaine avant la date prévue du début de l’audience. Elles n’ont pas été présentées en temps opportun. Les noms des parties en cause dans la présente affaire étaient déjà du domaine public. La jurisprudence publiée relativement à la présente affaire était accessible sur Internet.

[36] Les principes applicables aux requêtes de cette nature ont été examinés en détail dans d’autres décisions de notre Tribunal : N.A. c. 1416992 Ontario Ltd. et L.C., 2018 TCDP 33; M. X c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2018 TCDP 11; T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 10; White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2020 TCDP 5; et Woodgate et al. c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 20. De même, dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, la Cour suprême du Canada a passé en revue la jurisprudence concernant les dérogations au principe de la publicité des débats judiciaires.

[37] Ni Mme Peters ni M. Gordon n’ont présenté d’éléments de preuve ou d’observations propres à convaincre le Tribunal que la publication des renseignements qu’ils souhaitent voir caviarder leur causerait à eux ou causerait à leurs enfants une contrainte excessive. Mme Peters a affirmé que son anonymat s’en trouverait compromis. Elle n’a toutefois pas expliqué pourquoi elle aurait droit à l’anonymat ni en quoi la perte de l’anonymat lui causerait une contrainte excessive.

[38] Mme Peters s’est dite préoccupée par le fait que le public puisse avoir accès aux dossiers médicaux confirmant qu’elle a eu des problèmes de santé mentale et reproductive, tout en affirmant être atteinte d’une déficience engendrée par ces mêmes problèmes de santé mentale. Lorsque des parties prétendent avoir une déficience, cette affirmation peut avoir pour effet de mettre en cause leurs antécédents médicaux et, si tel est le cas, tout renseignement contenu dans le dossier médical d’un plaignant peut être considéré comme potentiellement pertinent à l’audience. Mme Peters n’a pas présenté d’élément de preuve établissant qu’une ordonnance de confidentialité ou d’anonymisation serait de mise à cet égard.

[39] Dans les observations, il est certes fait allusion, aux craintes quant aux réactions de leurs enfants et à la prétendue stigmatisation dont ceux-ci pourraient faire l’objet, mais il n’y a aucun argument convaincant quant à la forme que pourrait prendre la contrainte excessive soulevée. Il n’est pas non plus expliqué de quelle façon cette contrainte excessive pourrait se manifester. À titre d’exemple, aucune explication n’a été donnée quant à la façon dont les enfants pourraient en venir à avoir accès à la décision ou au dossier public du Tribunal ou à apprendre ce qui s’est passé de la bouche d’autres personnes. M. Gordon n’a fourni aucun élément de preuve confirmant qu’il cherchait activement un emploi. Ses antécédents indiquent plutôt qu’il a cessé de travailler pour des raisons de santé depuis la survenance des événements à l’origine de la présente plainte.

[40] La « contrainte excessive » va au-delà de la difficulté passagère, de l’embarras ou du stress normal qu’engendre le fait d’être partie à une procédure judiciaire publique. Il comporte en outre une dimension liée à l’obligation de rendre compte, laquelle coïncide avec l’attente selon laquelle notre système juridique public se doit d’agir de façon transparente. La « contrainte excessive » va au-delà de l’inconfort que les parties peuvent ressentir à l’idée que leurs actes et omissions, leurs allégations et les moyens de défense qu’elles invoquent puissent être soumis au jugement de tiers et susciter un intérêt au sein de la société.

[41] L’anonymisation d’une instance n’est permise que lorsqu’une partie démontre qu’il existe un risque sérieux de contrainte excessive. La nécessité d’empêcher la divulgation parce qu’il existe un risque probable ou prévisible qu’un préjudice important soit causé à une personne doit l’emporter sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[42] De plus, le fait que la plainte comprenne des allégations de harcèlement sexuel n’entraîne pas automatiquement ou de façon présomptive une contrainte excessive. Cette situation dépend de la teneur des allégations et des répercussions que la divulgation aura sur les personnes concernées. En l’espèce, une agression sexuelle est alléguée, mais les parties ont déposé des exposés des précisions modifiés dans lesquels elles exposent en détail ces allégations et y répondent. Ces exposés figurent au dossier depuis qu’ils ont été déposés. Les allégations ne sont pas de nature à susciter de l’inquiétude ou des préoccupations préalablement aux témoignages des parties sur ce qui s’est produit. Mme Peters n’a fourni ni éléments de preuve ni renseignements à l’appui de son affirmation selon laquelle elle subirait une contrainte excessive si les détails de ses allégations ou la réponse de M. Gordon à cet égard en venaient à être davantage associés à son nom publiquement à la suite de l’audience ou de la décision du Tribunal – et, M. Gordon non plus.

[43] Sous réserve de l’exception énoncée ci-dessous, les parties n’ont pas convaincu le Tribunal qu’il existe un risque sérieux que la divulgation des noms des parties ou d’autres questions personnelles concernant leur dossier cause, à elles ou à leurs enfants, une contrainte excessive au point que la nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[44] Voici cette exception : le Tribunal a autorisé les parties à caviarder des documents ou des parties de documents sous réserve de restrictions particulières. À cet égard, il se peut que certains des documents produits en preuve contiennent des renseignements personnels non pertinents, y compris des renseignements médicaux ou financiers. Les renseignements non pertinents ne sont évidemment pas requis pour statuer sur la présente affaire. Les parties ont été invitées à discuter entre elles de la question du caviardage des renseignements personnels non pertinents afin de déterminer si elles étaient d’accord pour caviarder des documents ou des parties de documents sur le fondement de la non-pertinence.

[45] Les parties ont eu cette discussion. Au cours du déroulement de l’audience, les parties ont convenu qu’il y avait lieu de caviarder les renseignements personnels privés et non pertinents contenus dans certaines pièces et les pièces caviardées ont été fournies au Tribunal. Le Tribunal a assuré une supervision sur ces questions et est demeuré à disposition pour rendre une décision sur requête dans l’éventualité où les parties ne parvenaient pas à s’entendre sur le caviardage d’un ou de plusieurs documents. Le Tribunal a préparé les présents motifs sans inclure de renseignements personnels, sauf lorsque de tels renseignements étaient nécessaires à la compréhension de sa décision.

B. Ajout d’un témoin à l’audience

[46] Mme Peters a demandé l’autorisation, conformément au paragraphe 9(3) des Règles de procédure sous le régime de la LDCP (les « Règles »), d’ajouter M. Serghei Klimov comme témoin à l’audience. Voici le libellé du paragraphe 9(3) :

9. (3) À défaut d’obtenir l’autorisation du membre instructeur, laquelle doit être accordée à des conditions conformes aux fins énoncées au paragraphe 1(1), et sous réserve du droit d’une partie de présenter des éléments de preuve en réplique,

b) une partie ne peut faire témoigner à l’audience un témoin qu’elle n’a pas identifié conformément à la règle 6 et pour lequel elle n’a pas fourni de résumé du témoignage prévu…

9. (3) Except with leave of the panel, which leave shall be granted on such terms and conditions as accord with the purposes set out in section 1(1), and subject to a party’s right to lead evidence in reply,

(b) a party who does not, under Rule 6, identify a witness or provide a summary of his or her anticipated testimony shall not call that witness at the hearing…

[47] M. Klimov n’avait pas été désigné comme témoin par Mme Peters à l’étape de la divulgation en l’espèce. Mme Peters a demandé que M. Klimov soit ajouté parce que peu des témoins qu’elle entendait citer étaient des collègues en mesure de présenter des observations pertinentes au sujet du harcèlement sexuel allégué en milieu de travail. Elle a précisé que le témoignage de M. Klimov ne porterait pas sur la même période que celle dont parleraient les autres témoins qui étaient ses collègues.

[48] UPS s’est opposée, affirmant qu’elle avait été lésée dans sa capacité à se préparer à interroger ce témoin. UPS a ajouté que ce témoin n’avait pas été interrogé par la Commission à l’étape de l’enquête. UPS a également indiqué qu’elle s’opposait à tout élément de preuve que ce témoin pourrait présenter.

[49] Le Tribunal a tenu compte non seulement du paragraphe 9(3), mais aussi du paragraphe 1(1), comme il est tenu de le faire. Voici le libellé du paragraphe 1(1) :

1. (1) Les présentes règles ont pour objet de permettre

a) que toutes les parties à une instruction aient la possibilité pleine et entière de se faire entendre;

b) que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace;

c) que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible.

1. (1) These Rules are enacted to ensure that

(a) all parties to an inquiry have the full and ample opportunity to be heard;

(b) arguments and evidence be disclosed and presented in a timely and efficient manner; and

(c) all proceedings before the Tribunal be conducted as informally and expeditiously as possible.

[50] Le Tribunal était convaincu que tout préjudice à la capacité d’UPS de se préparer pourrait être redressé en accordant à cette dernière le temps requis pour se préparer à même le calendrier déjà établi de l’audience. Compte tenu de la durée prévue de l’audience, il a été possible d’accorder plus de temps sans qu’il soit nécessaire de modifier le calendrier de l’audience et sans nuire à la rapidité et à l’efficacité de l’audience. Il était déjà prévu que l’audience se déroule sur des périodes de plusieurs jours, séparées par des pauses passablement longues.

[51] Aucune règle n’exige qu’un témoin soit d’abord interrogé à l’étape de l’enquête afin de pouvoir témoigner à l’audience. Les enquêtes de la Commission servent uniquement à recueillir des renseignements qui permettent à la Commission de filtrer les plaintes et de déterminer s’il y a lieu de renvoyer la plainte au Tribunal pour instruction. La Commission ne serait pas en mesure d’enquêter sur autant de plaintes qu’elle le fait s’il lui fallait interroger chaque témoin potentiel. La Commission n’a pas l’obligation d’identifier et d’interroger l’ensemble des témoins à l’étape de l’enquête.

[52] En ce qui concerne les objections potentielles d’UPS au témoignage de ce témoin, le Tribunal était peu disposé à prendre une décision en fonction de la preuve avant que celle-ci n’ait été présentée.

[53] Il était prévu que le témoin comparaisse à un moment qui, de l’avis d’UPS, lui laissait suffisamment de temps pour se préparer. Le Tribunal a ordonné que toute objection au témoignage de ce témoin soit soulevée au moment où le témoignage contesté serait présenté et que les arguments concernant le poids à accorder à l’ensemble ou à une partie de cette preuve, le cas échéant, soient présentés au même moment.

[54] M. Klimov a offert un témoignage très limité. Il a principalement décrit une interaction qu’il a eue avec Mme Peters au travail lors de laquelle celle-ci a affirmé qu’elle était victime de harcèlement et que les Ressources humaines (« les RH ») d’UPS ne prenaient aucune mesure pour faire cesser ce harcèlement. Il a déclaré que Mme Peters était très contrariée et irritée. Il a constaté, peu après, qu’elle n’était plus présente au travail. Aucune autre objection n’a été soulevée par UPS.

C. Demande d’ajout de pièces supplémentaires après l’audience

[55] Une liste des pièces à jour a été fournie aux parties préalablement à la présentation des observations finales. Le Tribunal entendait retirer du cahier de preuve documentaire conjoint fourni pour l’audience tous les documents qui n’avaient pas été déposés comme pièces afin de créer un recueil de pièces à examiner fondé sur la liste des pièces établie à l’audience. Seuls les documents admis en preuve à titre de pièces au moment de l’audience doivent être pris en considération aux fins de la décision du Tribunal. Une liste des documents devant être retirés a été fournie aux parties, qui ont ainsi eu l’occasion de relever toute erreur potentielle quant à ces documents et de reconfirmer l’exactitude du dossier des pièces.

[56] Mme Peters et la Commission ont indiqué qu’elles ne voyaient aucune erreur dans la liste des pièces et que les documents en question avaient été retirés du dossier à juste titre puisqu’ils n’avaient pas été déposés comme pièces à l’audience.

[57] M. Gordon a indiqué qu’il souhaitait ajouter un document à la liste des pièces, soit l’onglet 28 du document 28 contenu dans le cahier de preuve documentaire conjoint. Il a également indiqué qu’une partie d’un document ne figurant pas sur la liste des pièces, à savoir l’onglet 4 du document 125, devait être incluse dans le dossier de l’instance, car celle-ci avait été inscrite comme pièce.

[58] UPS souhaitait ajouter deux autres documents à la liste des pièces, soit les onglets 170 et 172. Elle fondait sa demande sur le fait que ces documents avaient été mentionnés par une ou plusieurs des parties et qu’ils [traduction] « [faisaient] partie du dossier du présent litige, comme l’exigent les Règles du Tribunal ». Les Règles du Tribunal exigent que chaque partie dépose un exposé des précisions comprenant une liste des témoins ainsi qu’un résumé de témoignage anticipé pour chaque témoin. C’est ainsi que procède le Tribunal pour assurer la divulgation, préalablement à l’audience, de tous les renseignements potentiellement pertinents. Les documents en question étaient les résumés de témoignage anticipé de Mme Peters et d’une de ses témoins, Mme Jeffers.

[59] M. Gordon a consenti aux ajouts demandés par UPS.

[60] L’avocate de Mme Peters a convenu que M. Gordon avait raison d’affirmer que l’onglet 4 du document 125 avait été déposé comme pièce et a obligeamment indiqué le moment auquel le dépôt avait eu lieu dans l’enregistrement de l’audience. L’avocate de Mme Peters s’est opposée à l’ajout des documents 170 et 172 à la liste des pièces au motif que ceux-ci n’avaient pas été déposés comme pièces. L’avocate a indiqué avoir passé en revue les notes qu’elle a prises lors des interrogatoires des témoins et de la présentation des observations finales des parties, et n’avoir trouvé aucune mention de ces documents. Elle s’est opposée à l’ajout de ces documents en tant que pièces après la clôture de l’audience. L’avocate de Mme Peters n’a pas pris position quant au désir de M. Gordon que l’onglet 28 du document 28 soit considéré comme pièce.

[61] UPS n’a pas repris l’affirmation de Mme Peters selon laquelle les documents n’avaient été abordés par aucun témoin au cours de l’audience ou de la présentation des observations finales et n’a pas pris position relativement à la demande de M. Gordon.

[62] Le Tribunal a décidé de reporter sa décision quant aux objections soulevées à l’égard de ces documents supplémentaires jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion d’examiner l’affaire dans son ensemble, avec l’intention d’informer les parties du résultat dans sa décision finale.

[63] Le processus qui s’applique habituellement dans le cadre d’une audience devant notre Tribunal est le suivant : les parties produisent, à l’audience, toute la preuve qu’elles souhaitent que le Tribunal prenne en considération dans sa décision et demandent que tous les éléments de preuve documentaire soient versés comme pièces au dossier de l’instance du Tribunal dans le délai fixé pour la tenue de l’audience. Le début et la fin des audiences sont clairement définis et délimitent la période pendant laquelle des éléments de preuve peuvent être présentés. La clôture d’une audience est nécessaire pour assurer la rapidité et l’efficacité de l’instance, et est dans l’intérêt du caractère définitif des décisions. En l’espèce, le Tribunal a rappelé aux parties que tout document non déposé comme pièce qui avait été abordé avec un témoin dans le cadre de son témoignage et qu’elles souhaitaient produire en preuve devait l’être alors que l’audience était en cours. Le Tribunal n’a pas demandé aux parties d’indiquer s’il y avait des documents qu’elles souhaitaient ajouter à la liste des pièces après la clôture de l’audience.

[64] Il est possible dans le cadre d’une procédure judiciaire de demander que des éléments de preuve supplémentaire soient en considération une fois l’audience terminée, mais la requête en ce sens doit être présentée avant que la décision ne soit rendue. Habituellement, les parties qui présentent ce type de requêtes allèguent avoir accès à de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles ou connus au moment de l’audience. La partie qui fait la requête doit alors présenter des observations et fournir par voie d’affidavit un fondement probatoire suffisant pour établir que les éléments de preuve sont véritablement « nouveaux » au sens de la jurisprudence pertinente.

[65] Le plus souvent, lorsque des requêtes pour ajouter des éléments de preuve sont présentées dans le cadre de procédures judiciaires et qu’il appert que les éléments de preuve en question étaient disponibles et auraient pu être présentés en cours d’audience, il n’est pas permis de les ajouter a posteriori. En l’espèce, les documents désignés par UPS et M. Gordon étaient en possession des parties depuis le début.

[66] Ces parties n’avaient soulevé aucune question quant à la possibilité qu’elles aient pu oublier de présenter certains éléments de preuve documentaire. Or, en réponse à la demande du Tribunal de confirmer que les documents devant être retirés du dossier l’étaient à juste titre puisqu’ils n’avaient pas été déposés comme pièces, elles ont demandé que des documents qui n’avaient pas été déposés comme pièces à l’audience soient ajoutés au dossier. L’intention du Tribunal n’était pas de relancer la question de ce qui faisait partie du dossier de preuve du Tribunal.

[67] UPS cherche à produire en preuve des résumés de témoignages anticipés qui ont été déposés conjointement avec l’exposé des précisions initial de Mme Peters conformément à ses obligations en matière de divulgation. Ces documents font partie du dossier de l’instance du Tribunal, mais ils ne font pas partie du dossier de la preuve produite à l’audience. La décision du Tribunal ne peut être fondée que sur les éléments qui ont été produits en preuve à l’audience et versés au dossier de la preuve par le Tribunal.

[68] En outre, Mme Peters et Mme Jeffers n’ont pas été interrogées au sujet du contenu de leur résumé de témoignage anticipé pendant l’audience. Il serait injuste de permettre l’ajout d’éléments de preuve concernant ce qu’un témoin aurait dit dans le cadre d’une déclaration antérieure si ce dernier n’a pas été interrogé au sujet de cette déclaration lors de son témoignage et n’a pas eu l’occasion de confirmer, de nier ou d’expliquer ses dires.

[69] Le Tribunal a examiné toutes les questions relatives aux éléments de preuve supplémentaires proposés et à ce qui constituait des éléments de preuve importants aux fins de la décision du Tribunal en l’espèce. Le Tribunal a conclu que les pièces proposées n’avaient pas d’incidence importante sur les conclusions ou les résultats auxquels il est arrivé en l’espèce, compte tenu de l’ensemble de la preuve. Aucun de ces documents n’a été mentionné dans les observations finales des parties. Par conséquent, leur inclusion en tant que pièces n’est pas requise aux fins de la bonne administration de la justice.

[70] Les autres parties n’ont formulé aucune observation au sujet du document supplémentaire de M. Gordon. Or, le document désigné par M. Gordon est une copie de la [traduction] « Politique sur les relations de travail professionnelles » d’UPS qui a été signée par M. Dambrosio. La politique elle-même fait partie du manuel des politiques d’UPS qui est remis aux nouveaux employés afin qu’ils le signent et qui a, lui, été déposé comme pièce. Il n’y a pas de désaccord quant à ce que dit cette politique ou à la nécessité que la copie signée de cette politique soit déposée comme pièce. La requête de M. Gordon est rejetée.

[71] Les requêtes d’UPS et de M. Gordon pour ajouter au dossier de la preuve produite à l’audience des documents qui n’ont pas été déposés comme pièces pendant l’audience sont rejetées.

IV. Critère juridique applicable en matière de harcèlement sexuel

[72] En 1989, la Cour suprême du Canada a défini le harcèlement sexuel comme « une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement » (Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252, 1989 CanLII 97 (CSC) [« Janzen »], à la p. 1284). Depuis qu’elle a été rendue, cette décision a été confirmée à de nombreuses reprises par les cours de justice, les tribunaux et les arbitres, y compris notre Tribunal.

[73] En 1999, la Cour fédérale a établi dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 CF 653, 1999 CanLII 18902 (CF) [« Franke »] que le critère juridique établi dans l’arrêt Janzen s’appliquait aux décisions de notre Tribunal. La Cour fédérale a repris les éléments existants du critère établi dans la l’arrêt Janzen, à savoir 1) une conduite de nature sexuelle et 2) non sollicitée, mais a précisé que le critère juridique exigeait également 3) soit un comportement persistant, soit un seul incident grave. Dans la décision Franke, la Cour fédérale a également ajouté une quatrième exigence, à savoir que l’employé à l’obligation d’aviser l’employeur du harcèlement sexuel présumé lorsque l’employeur dispose d’un service des ressources humaines, et qu’une politique générale et efficace en matière de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de redressement sont en place.

V. Application du fardeau de la preuve en l’espèce

[74] Dans le cadre de la présente instance, Mme Peters devait prouver qu’elle a été victime de harcèlement sexuel au cours de son emploi. C’est à la partie plaignante qu’incombe le fardeau de prouver qu’il y a eu harcèlement sexuel.

[75] Le fardeau dont devait s’acquitter Mme Peters consistait à établir ce qu’on appelle parfois une preuve prima facie. Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, comme il est écrit dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (SCC), [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28.

[76] Par conséquent, la première question est de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel. Le fardeau de la preuve incombe à Mme Peters, et non à M. Gordon ou à UPS.

[77] Pour parvenir à la conclusion qu’il y a eu harcèlement sexuel, le Tribunal doit conclure que la preuve présentée par Mme Peters satisfait au critère juridique permettant d’établir qu’il y a eu harcèlement sexuel. En d’autres termes, pour prouver que la conduite alléguée a eu lieu, Mme Peters doit établir 1) que la conduite était de nature sexuelle, 2) qu’elle était non sollicitée, 3) qu’elle a pris la forme soit d’un comportement persistant, soit d’un seul incident grave et 4) qu’elle a eu un effet défavorable sur le milieu de travail ou qu’elle a eu pour elle des conséquences préjudiciables en matière d’emploi.

[78] Pour déterminer si Mme Peters s’est acquittée du fardeau d’établir prima facie qu’il y a eu discrimination, le Tribunal a évalué la crédibilité, la fiabilité, la force et la cohérence du témoignage de Mme Peters au regard de la preuve présentée et des circonstances de la plainte dans son ensemble. Toutes les questions ayant trait à la force de persuasion de son témoignage ont été prises en considération. Il s’agit d’un aspect particulièrement important en l’espèce, car il n’y a aucun témoin oculaire des événements les plus importants et de la plupart des communications qui auraient eu lieu entre Mme Peters et M. Gordon.

[79] En outre, le témoignage de Mme Peters n’est pas considéré isolément lorsqu’il s’agit de déterminer si cette dernière s’est acquittée de son fardeau de preuve. En l’espèce, des éléments de preuve ont été présentés par d’autres témoins susceptibles d’être en mesure de corroborer certains aspects de la preuve concernant la question de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel.

[80] Aux fins de l’examen du cas de Mme Peters, le Tribunal doit également tenir compte des éléments de preuve présentés par M. Gordon et déterminer le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux. Le Tribunal doit « prendre en considération la preuve dans son intégralité, y compris celle de l’intimé, pour décider si un plaignant a établi le bien-fondé de ses arguments » (Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23 (CanLII), au par. 61; voir également Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc., 2015 CSC 39 (CanLII), au par. 58; Lally c. Société Telus Communications, 2014 CAF 214 (CanLII), au par. 31). Dans une affaire de harcèlement sexuel, le harceleur présumé a la possibilité de contester le témoignage du plaignant ou de présenter des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de discrimination prima facie. Autrement dit, dans une affaire de harcèlement sexuel, la défense du particulier intimé est une « défense fondée sur la preuve ». Le particulier intimé présente au Tribunal des éléments de preuve que ce dernier doit soupeser dans le cadre de son évaluation de la question de savoir si la partie plaignante a établi qu’il y a eu harcèlement sexuel. Le particulier intimé tentera habituellement de se défendre contre une plainte en présentant des éléments de preuve visant à démontrer qu’il n’y a pas eu d’acte répréhensible, contrairement à ce qui est allégué, ou que son comportement envers la partie plaignante n’était pas importun. En l’espèce, M. Gordon a cherché à démontrer que ses communications soutenues avec Mme Peters n’étaient pas importunes et que les incidents les plus graves allégués ne se sont pas produits.

[81] Dans certains cas, la Loi prévoit un moyen de défense distinct de la défense fondée sur la preuve. Un moyen de défense prévu par la loi est un moyen de défense autorisé par la Loi et inscrit dans celle-ci dont peut se prévaloir un intimé. En l’espèce, UPS peut invoquer un moyen de défense prévu par la Loi, mais pas M. Gordon.

[82] Dans les affaires de harcèlement sexuel, la Loi ne prévoit aucun moyen de défense pour les harceleurs présumés relativement aux actes de harcèlement présumés. Le harcèlement sexuel est illégitime en toutes circonstances. Il existe cependant certains moyens de défense prévus par la Loi dont les sociétés intimées peuvent se prévaloir. Ceux-ci comprennent le fait qu’un employeur ne peut être tenu responsable des actes d’un employé qui a été reconnu coupable de harcèlement s’il peut démontrer qu’il s’est conformé aux exigences du paragraphe 65(2) de la Loi.

[83] Toutefois, comme on pourra le constater, lorsqu’un intimé invoque un moyen de défense prévu par la loi, le fardeau de la preuve est transféré du plaignant à l’intimé lors de l’examen par le Tribunal des différents aspects du moyen de défense prévu par la Loi. En l’espèce, le fardeau de la preuve a été transféré à UPS dans la mesure où celle-ci a tenté de s’appuyer sur le paragraphe 65(2) de la Loi.

[84] Compte tenu du cadre juridique et du fardeau de preuve qui s’appliquent dans les affaires de harcèlement sexuel portées devant le Tribunal, la question la plus centrale en l’espèce est de savoir si Mme Peters a prouvé qu’il y a eu harcèlement sexuel, compte tenu des arguments qu’elle a présentés, des arguments que M. Gordon a présentés en réponse et de tout élément de preuve ou de toute position présentés par UPS. UPS n’a présenté aucun élément de preuve relativement à la question de savoir s’il y a eu ou non harcèlement sexuel, mais elle a pris position à l’égard de la preuve présentée. La plus grande partie de la preuve présentée par UPS visait à permettre à cette dernière d’établir qu’elle satisfait aux exigences lui permettant d’invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la Loi, à savoir qu’elle ne devrait pas être tenue responsable dans l’éventualité où il était établi qu’il y a eu harcèlement sexuel.

VI. Norme de preuve

[85] Mme Peters devait établir l’existence d’une preuve prima facie de harcèlement sexuel selon la prépondérance des probabilités. Cette norme de preuve est différente de la norme de preuve « hors de tout doute raisonnable » qui s’applique en matière criminelle et elle n’exige pas que la preuve présentée soit parfaite. Pour obtenir gain de cause, Mme Peters devait plutôt présenter une preuve suffisante pour permettre au Tribunal de conclure que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris son évaluation de la crédibilité et de la fiabilité de la preuve, les faits allégués par Mme Peters étaient plus susceptibles de s’être produits que de ne pas s’être produits. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, la preuve doit être « suffisamment claire et convaincante » pour faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur d’une conclusion de fait qui appuie, en droit, une conclusion de harcèlement sexuel (F. H. c. McDougall, 2008 CSC 53 (CanLII), au par. 46).

[86] De même, UPS devait établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 65(2) de la Loi pour pouvoir se prévaloir du moyen de défense prévu à ce paragraphe.

VII. Évaluation de la crédibilité et de la fiabilité de la preuve

[87] Il n’est pas rare, dans les affaires de harcèlement sexuel, qu’il n’y ait aucun témoin oculaire du harcèlement allégué. Les tribunaux peuvent ainsi se retrouver confrontés à une situation qui repose entièrement sur les dires de l’un et de l’autre. En l’espèce, les versions des faits présentées par Mme Peters et M. Gordon étaient, pour l’essentiel, extrêmement différentes et, comme indiqué, il n’y avait effectivement aucun témoin oculaire direct des communications et des incidents contestés survenus entre eux. L’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins était une question clé dans la présente affaire.

[88] Le Tribunal s’est inspiré de la décision souvent citée Faryna c. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA), [1952] 2 DLR 354 [« Faryna »], à la p. 357, dans laquelle le juge O’Halloran s’est exprimé ainsi :

[traduction]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de témoignages contradictoires, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances

VIII. Chronologie des événements allégués

[89] Au Canada, UPS est une filiale de United Parcel Service, Inc. et offre des services de livraison partout au pays ainsi qu’à l’étranger. Selon l’estimation d’un ancien gestionnaire, UPS compterait environ 15 000 employés au Canada. Les employés d’UPS comprennent des gestionnaires et des superviseurs à temps plein et à temps partiel. Les superviseurs sont les personnes qui interagissent le plus directement avec les employés.

[90] Mme Peters et M. Gordon se sont rencontrés en 2012 dans le cadre de leur emploi chez UPS alors qu’ils travaillaient tous deux au Centre opérationnel d’UPS à Toronto. M. Gordon était à l’emploi d’UPS depuis 2006 et, à l’époque des faits visés par la plainte, il occupait un poste de superviseur à temps partiel dans un secteur connu sous le nom de « chaînes de tri » relevant du Service de chargement et où se déroulaient les opérations de tri et de chargement des colis. M. Gordon travaillait de nuit à raison de 25 à 30 heures par semaine et supervisait généralement de 15 à 18 employés. Il relevait alors de M. Fred Ghanem, un superviseur à temps plein, qui est également témoin dans la présente affaire.

[91] Mme Peters a commencé à travailler chez UPS en 2012 et a été transférée au Service de lavage des véhicules en 2013. Des problèmes importants et malheureux d’ordre personnel et familial ont alors commencé à surgir dans la vie de Mme Peters. Ces problèmes ont perduré pendant une bonne partie de 2014. Ces événements ont débouché sur un accident de la route, qui est survenu en juillet 2014 alors que Mme Peters se trouvait aux États-Unis pour rendre visite à un membre de sa famille qui était malade et en convalescence prolongée. Mme Peters s’est absentée du travail à diverses reprises au cours de la période 2013-2014 pour des raisons liées à des problèmes familiaux et à ses problèmes de santé personnels. Ses absences se sont poursuivies en 2015. La chronologie des événements liés à sa santé et à ses absences du travail est présentée dans la section des présents motifs qui traite de la discrimination fondée sur la déficience.

[92] À l’été 2014, UPS a conclu que Mme Peters avait renoncé à son poste. Bien que les détails entourant le déroulement des événements aient été contestés, Mme Peters a réintégré son emploi chez UPS en novembre 2014 avec l’aide de son syndicat. On lui a offert un poste de trieuse de colis sur une chaîne de tri au sein du Service de chargement. M. Gordon est alors devenu son supérieur immédiat.

[93] Mme Peters travaillait de 23 h à 4 h, mais était souvent autorisée à partir plus tôt si bien qu’elle finissait fréquemment vers 3 h 30. À l’époque, Mme Peters occupait un deuxième emploi chez Costco et avait de jeunes enfants à sa charge. Selon son témoignage, son quart de travail chez UPS lui permettait de s’acquitter de ses responsabilités familiales.

[94] Mme Peters affirme que M. Gordon a commencé à se livrer à des actes fréquents de harcèlement sexuel. Elle dit que ce harcèlement sexuel a commencé alors qu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules en 2013, mais qu’il s’est intensifié de façon importante après qu’elle eut recommencé à travailler chez UPS en novembre 2014 sous la supervision de M. Gordon.

[95] M. Gordon soutient que Mme Peters et lui étaient simplement des amis et qu’aucun événement fâcheux ne s’est produit.

[96] Le 15 janvier 2015, le gestionnaire de M. Gordon, M. Ghanem, a eu une rencontre avec Mme Peters et sa représentante syndicale, Mme Sophia Thompson. M. Ghanem avait organisé cette rencontre pour discuter des problèmes d’absentéisme présumés de Mme Peters. Mme Peters affirme avoir signalé le harcèlement à M. Ghanem lors de cette rencontre. M. Ghanem conteste que Mme Peters ait abordé la question du harcèlement lors de cette rencontre, et affirme que Mme Peters s’est seulement plainte de la gestion du rendement effectuée par M. Gordon.

[97] Mme Peters affirme également avoir tenté de signaler le harcèlement aux RH et avoir eu recours à une ligne d’assistance parrainée par UPS, mais ne pas avoir été en mesure d’obtenir de l’aide. Elle a témoigné qu’elle avait déjà informé sa représentante syndicale, Mme Thompson, du harcèlement qu’elle subissait de la part de M. Gordon et qu’elle avait montré à cette dernière des passages de messages reçus de M. Gordon qui, selon elle, tenaient du harcèlement. Elle a soutenu que certains collègues étaient au courant des commentaires inappropriés que M. Gordon faisait à son sujet. Elle a allégué que deux incidents concernant des attouchements et une agression de la part de M. Gordon étaient survenus en milieu de travail. Comme indiqué, UPS affirme ne pas avoir été avisée du harcèlement sexuel.

[98] Le 3 février 2015, Mme Peters a amorcé un congé de maladie approuvé par son médecin, parce qu’elle était prétendument incapable de travailler en raison d’un trouble de l’adaptation, du stress et de l’anxiété qu’elle vivait, et d’autres problèmes médicaux apparus à la suite du harcèlement qu’elle avait subi de la part de M. Gordon. Dans son billet daté du 3 février 2015, son médecin a indiqué qu’il la mettait en arrêt de travail [traduction] « en raison des problèmes médicaux actuels liés à sa santé et à la situation qu’elle vit au travail […] jusqu’à la fin de février 2015, le temps que ces problèmes soient résolus ». À la fin de février, Mme Peters a fourni un autre billet de son médecin indiquant que son arrêt de travail avait été prolongé pour une durée indéterminée jusqu’à nouvel ordre en raison des préoccupations et des problèmes médicaux toujours présents dont il assurait le suivi.

[99] Mme Peters a déposé une requête relative aux droits de la personne à l’encontre d’UPS, de M. Gordon, de M. Ghanem et d’un autre gestionnaire, M. Dambrosio, auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (la « plainte provinciale »). La date exacte à laquelle la plainte provinciale a été reçue par les intimés n’est pas mentionnée dans la preuve produite, mais la plainte était en leur possession en date du 23 mars 2015.

[100] En avril 2015, une demande de prestations d’invalidité de courte durée présentée par Mme Peters a été rejetée. Mme Peters affirme qu’elle n’était toujours pas en mesure de travailler chez UPS à ce moment-là. Elle n’a reçu aucun salaire d’UPS après le 3 février 2015.

[101] En juillet 2015, Mme Peters a quitté l’emploi à temps partiel qu’elle occupait chez Costco. Mme Peters attribue son départ à des problèmes de santé découlant du harcèlement qu’elle a subi de la part de M. Gordon chez UPS. Également en juillet 2015, Mme Peters a déposé la présente plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), ayant appris qu’il s’agissait du ressort approprié pour le dépôt de sa plainte.

[102] Mme Peters a, par la suite, déménagé aux États-Unis avec ses enfants. Aux États-Unis, Mme Peters et ses enfants ont été entièrement pris en charge par la sœur de Mme Peters.

[103] Il a été convenu à l’audience que Mme Peters était toujours techniquement une employée d’UPS, son emploi n’ayant pas officiellement pris fin depuis qu’elle a été mise en arrêt de travail en février 2015. Dans ses observations finales, UPS a fait valoir que Mme Peters avait abandonné son poste ou que le contrat de travail était devenu inexécutable. Mme Peters n’a jamais repris un emploi actif chez UPS.

[104] En septembre 2015, UPS a mené une enquête sur la plainte pour harcèlement sexuel déposée par Mme Peters. UPS affirme qu’elle n’a pas interrogé Mme Peters dans le cadre de cette enquête principalement parce que celle-ci avait déposé une plainte en matière de droits de la personne. UPS n’a pas conclu, à l’issue de son enquête, qu’il y avait eu harcèlement sexuel. Elle a cependant conclu qu’en soupant avec Mme Peters, M. Gordon avait enfreint la politique d’UPS relative aux relations professionnelles et lui a adressé une réprimande. Mme Peters n’a pas été informée du résultat de l’enquête.

[105] En 2017, Mme Peters est revenue au Canada et a participé au processus d’enquête de la Commission faisant suite au dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne.

[106] Dans le cadre du traitement de la plainte par la Commission, UPS a obtenu de Mme Peters des éléments de preuve qui comprenaient des enregistrements de messages vocaux que M. Gordon a laissés à Mme Peters les 1er et 2 décembre 2014. UPS a rouvert son enquête. UPS n’a pas conclu, à l’issue de sa deuxième enquête, que Mme Peters avait été harcelée sexuellement par M. Gordon. Cependant, en 2018, UPS a mis fin à l’emploi de M. Gordon soi-disant parce que celui-ci avait manqué d’intégrité en omettant de divulguer l’étendue de ses interactions avec Mme Peters au moment où UPS l’avait questionné au sujet de leur souper en tête-à-tête.

IX. Actes présumés de harcèlement sexuel

A. Allégations

[107] Mme Peters soutient que le harcèlement sexuel prenait la forme de remarques incessantes de la part de M. Gordon sur son lieu de travail, de comportements de traque (y compris essayer de la trouver au travail et, à une occasion, appeler chez Costco pour connaître son horaire), d’appels répétés en dehors du travail, de messages vocaux et de textos. Elle affirme que, à partir d’un certain moment en 2013, M. Gordon aurait commencé à la chercher et à venir lui parler au travail, et que ce comportement se serait poursuivi jusqu’en 2014. Il lui aurait dit à maintes reprises qu’elle lui plaisait et qu’elle était belle, et aurait fait des commentaires à son sujet à d’autres collègues, comme [traduction] « c’est ma chérie ». Il aurait dit qu’elle lui manquait et qu’il voulait [traduction] « la serrer dans ses bras ». Mme Peters a témoigné que lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules, elle tentait d’éviter M. Gordon en se cachant dans l’un des camions quand elle le voyait arriver. Mme Lawes-Newell, une collègue qui travaillait aussi au Service de lavage des véhicules, a témoigné que M. Gordon demandait souvent où se trouvait Mme Peters et qu’il lui a fait ce genre de commentaires au sujet de Mme Peters. Elle a témoigné que Mme Peters n’appréciait pas le comportement de M. Gordon.

[108] Mme Peters a allégué que ce comportement s’était accentué après que M. Gordon fut devenu son superviseur en novembre 2014. Mme Peters a témoigné que M. Gordon lui avait fait des propositions alors qu’elle soupait en sa compagnie — pour des raisons professionnelles, pensait-elle — un soir de novembre 2014. Elle dit avoir rejeté ses avances. Elle a témoigné que M. Gordon a continué de lui envoyer des textos, de lui laisser des messages vocaux à répétition et de lui demander de faire des sorties avec lui.

[109] Mme Peters a soutenu que, dans les semaines qui ont suivi, M. Gordon a commencé à la surveiller de façon excessive et à se plaindre de son travail. Elle a dit qu’il lui arrivait souvent de se tenir trop près d’elle et qu’elle en était mal à l’aise. Elle a allégué qu’à une occasion, il lui a touché les fesses en prétendant superviser son travail sur la chaîne de tri (l’« attouchement reproché »). Elle a également témoigné que M. Gordon l’a suivie à son insu jusqu’à sa voiture dans le stationnement d’UPS et a subitement essayé de l’embrasser de force dans sa voiture (l’« agression reprochée »). Elle a dit ne pas se souvenir des dates ou des heures exactes auxquelles ces incidents présumés se seraient produits.

B. Aperçu des éléments de preuve disponibles

[110] Les témoignages de Mme Peters et de M. Gordon, ainsi que les enregistrements des messages vocaux que M. Gordon a laissés à Mme Peters, constituent la preuve la plus directe dont le Tribunal dispose quant à la question de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel. Voici les autres éléments de preuve qui se rapportent à cette question :

  • 1)le témoignage du médecin de Mme Peters, le Dr MacDonald, et les dossiers médicaux pertinents de Mme Peters; Mme Peters affirme avoir informé le Dr MacDonald du harcèlement; elle affirme que celui-ci lui a prescrit un traitement pour les symptômes médicaux qui en ont découlé et qu’il l’a mise en arrêt de travail; le Dr MacDonald a témoigné relativement à ces questions, et les dossiers médicaux confirment que ces faits se sont produits;

  • 2)le témoignage de Mme Lawes-Newell, qui concerne principalement son souvenir du comportement de M. Gordon envers Mme Peters, y compris les commentaires qu’il a faits au sujet de Mme Peters; elle confirme que Mme Peters se cachait dans les camions en attente d’un lavage lorsque M. Gordon se pointait dans l’aire de lavage des véhicules;

  • 3)le témoignage de Mme Jeffers, une amie de Mme Peters, qui dit qu’elle était au téléphone avec Mme Peters lorsque l’agression reprochée s’est produite dans le stationnement et qu’elle a entendu l’agression reprochée se produire; elle a témoigné au sujet d’autres conversations qu’elle a eues avec Mme Peters relativement au harcèlement allégué et a dit avoir aidé Mme Peters à conserver les enregistrements des messages vocaux laissés par M. Gordon;

  • 4)le témoignage du collègue de Mme Peters, M. Serghei Klimov, au sujet d’une conversation qu’il aurait eue avec Mme Peters après que celle-ci eut été transférée à la chaîne de tri, lors de laquelle elle lui aurait dit qu’elle subissait du harcèlement, sans nommer M. Gordon, et qu’elle s’était adressée aux RH, mais qu’aucune mesure n’avait été prise;

  • 5)le témoignage de Mme Sophia Thompson, la déléguée syndicale, qui a été citée comme témoin par UPS; elle a témoigné sur ce qu’elle savait de ce qui s’était passé entre Mme Peters et M. Gordon et sur l’allégation selon laquelle le harcèlement avait été signalé à UPS;

  • 6)les témoignages des collègues de Mme Peters, soit Mme Carol Blackburn, Mme Cosetta Evans, Mme Cuzanne Bridgeman et Mme Jude Burke, qui ont déclaré que M. Gordon ne les harcelait pas et qu’elles ne l’avaient pas vu harceler Mme Peters.

C. Éléments de preuve potentiels qui n’étaient pas disponibles

[111] Mme Peters a déclaré avoir reçu de nombreux textos et messages de M. Gordon, mais, à l’audience, elle a seulement fourni l’enregistrement des messages vocaux du 1er et du 2 décembre 2014. Mme Peters a témoigné au sujet des raisons pour lesquelles elle n’a pas pu produire davantage d’éléments de preuve sous la forme d’enregistrements.

[112] Mme Peters a expliqué avoir perdu plusieurs des messages vocaux reçus de M. Gordon parce qu’elle avait un forfait de téléphonie cellulaire très limité à l’époque. Les messages vocaux étaient automatiquement supprimés au bout de quatre jours. Elle a déclaré qu’elle ne s’y connaissait pas tellement en matière de technologie. Elle a indiqué qu’elle ne savait pas comment enregistrer les messages reçus sur son téléphone. L’enregistrement des messages vocaux de décembre 2014 qu’elle a produit en preuve a été réalisé avec l’aide de Mme Jeffers et des membres de sa famille qui savaient comment procéder pour réaliser un enregistrement à partir d’un téléphone cellulaire. Elle a confirmé que l’enregistrement des messages des 1er et 2 décembre 2014 est le seul enregistrement de messages vocaux de M. Gordon qui a été réalisé.

[113] Mme Peters a déclaré ne pas avoir pu produire les textos reçus de M. Gordon parce qu’elle a cessé d’avoir accès à son téléphone peu après les événements mentionnés dans sa plainte.

[114] En outre, certains des employés qui ont témoigné, y compris Mme Peters, ont présenté des éléments clairs et non contredits selon lesquels des caméras de sécurité étaient présentes dans les secteurs où les incidents les plus graves se seraient produits, comme le stationnement des employés d’UPS et l’espace occupé par la chaîne de tri à l’intérieur du bâtiment. Il y avait des affiches indiquant qu’une vidéosurveillance était exercée. À l’époque des événements allégués, Mme Peters n’a fait aucune démarche auprès d’UPS pour demander que les vidéos soient examinées ou conservées.

D. La question de la destruction d’éléments de preuve

[115] UPS a fait valoir que, si Mme Peters lui avait signalé les événements à l’époque, elle aurait pu examiner divers éléments de preuve, tels que les enregistrements de vidéosurveillance, les textos et les autres messages vocaux, et interroger d’autres témoins. UPS laisse entendre qu’elle a été lésée dans son enquête et qu’elle est lésée dans sa défense. UPS soutient que le Tribunal devrait tirer une conclusion défavorable à Mme Peters en ce qui concerne les accusations qu’elle a formulées, vu qu’elle n’a pas conservé les messages vocaux et les textos. UPS affirme qu’il y a lieu également de tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Peters n’a pas signalé immédiatement les incidents allégués d’attouchement et d’agression qui seraient survenus en milieu de travail, alors que les enregistrements de vidéosurveillance étaient encore disponibles. UPS invoque le principe juridique de la destruction de la preuve à l’appui de son argument selon lequel le Tribunal devrait tirer une conclusion défavorable à Mme Peters en ce qui a trait aux éléments de preuve manquants. UPS demande au Tribunal de conclure que ces éléments de preuve auraient nui au dossier de Mme Peters ou l’auraient rendu indéfendable.

[116] Le Black’s Law Dictionary définit la destruction de la preuve [« spoliation »] comme [traduction] « la destruction, l’amputation, l’altération ou la dissimulation intentionnelles d’éléments de preuve […] Si elle est avérée, la destruction d’éléments de preuve peut être invoquée pour établir que la preuve était défavorable à la partie qui en est responsable » (Bryan A. Garner, éd., Black’s Law Dictionary, 11e éd. (Thomson Reuters, 2019) sous l’entrée « spoliation »). L’arrêt de principe sur la question de la destruction d’éléments de preuve a été rendu par la Cour d’appel de l’Alberta : McDougall c. Black & Decker Canada Inc., 2008 ABCA 353 (CanLII) [« McDougall CA »]; dans cette affaire, la destruction d’éléments de preuve a été plaidée comme un délit. Or, les concepts principaux demeurent applicables. Au paragraphe 18 de sa décision, la Cour a écrit :

[traduction]

En droit, le délit de destruction d’éléments de preuve ne découle pas du simple fait que des éléments de preuve ont été détruits. Ce délit implique qu’une partie ait détruit intentionnellement des éléments de preuve pertinents à un litige, en cours ou envisagé, dans des circonstances où il est raisonnable de croire que cette destruction visait à influer sur le litige en question. Une fois que le caractère intentionnel a été démontré, il naît une présomption selon laquelle l’élément de preuve détruit aurait nui à la cause de la partie qui l’a détruit. Toutefois, le prétendu destructeur peut réfuter cette présomption en présentant d’autres éléments de preuve pour démontrer que sa conduite, bien qu’intentionnelle, ne visait pas à avoir une incidence sur le litige, ou encore que sa cause est bien fondée ou que celle de son adversaire ne l’est pas.

[117] Le fait que la preuve constituée de textos et de messages vocaux a été détruite en l’espèce n’est pas contesté. La perte des enregistrements de vidéosurveillance est une autre affaire, ainsi qu’il est expliqué ci-après.

[118] La première question est de savoir si le principe de la destruction de la preuve s’applique aux faits en cause. C’était à UPS qu’il appartenait de le démontrer.

[119] UPS devait établir que Mme Peters a intentionnellement détruit des éléments de preuve pertinents à un litige en cours ou envisagé dans le but d’influer sur ce litige. La preuve produite démontre que la perte de messages vocaux était attribuable au forfait de téléphonie cellulaire de Mme Peters et non aux agissements de Mme Peters. On ne saurait reprocher à Mme Peters de ne pas avoir prévu qu’elle aurait besoin d’un forfait lui permettant de conserver ses messages vocaux pendant une plus longue période au cas où quelqu’un commencerait à la harceler en l’appelant à répétition. De même, rien n’indique que la perte de textos et de messages vocaux par Mme Peters ou la perte de son téléphone étaient délibérées de sa part. À cet égard, Mme Peters n’a pas été interrogée pendant son témoignage ni contre-interrogée par UPS sur la façon dont elle a cessé d’avoir accès à son téléphone.

[120] Lors de son témoignage ultérieur, M. Gordon a indiqué être d’avis que le téléphone de Mme Peters avait été détruit par son partenaire de l’époque (d’après une conversation qu’il a laissé entendre avoir eue avec Mme Peters à un certain moment en 2015). Si l’explication de M. Gordon est vraie, cet acte de destruction aurait été indépendant de la volonté de Mme Peters. Aucun autre élément de preuve n’a été présenté en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles Mme Peters a cessé d’avoir accès à son téléphone.

[121] Par conséquent, rien n’indique que Mme Peters a détruit la preuve constituée de textos ou qu’elle a délibérément fait disparaître son téléphone. Elle n’avait pas l’obligation légale de conserver les textos qu’elle recevait. En ce qui concerne les messages vocaux et les textos, la preuve présentée n’est pas suffisante pour permettre au Tribunal de conclure que le principe de la destruction de la preuve pourrait s’appliquer.

[122] En ce qui concerne la prétendue disponibilité d’enregistrements vidéo, un témoin d’UPS a confirmé que les séquences vidéo, dans la mesure où il en existait, n’auraient plus été disponibles. M. Greenaway, un gestionnaire d’UPS, a mentionné que les enregistrements vidéo n’auraient plus été disponibles au bout de 22 jours. C’est là toute l’étendue de la preuve qu’a présentée UPS à l’appui de son objection. UPS n’a présenté aucun élément de preuve pour confirmer que des séquences vidéo auraient effectivement été prises par les caméras pertinentes et qu’elle aurait pu accéder à ces séquences si Mme Peters avait demandé que celles-ci soient récupérées dans les 22 jours. UPS n’a fourni aucune preuve pour confirmer que les caméras pertinentes fonctionnaient à l’époque et que, du fait de leur positionnement, elles auraient enregistré les événements.

[123] Le Tribunal n’est pas en mesure de conclure, à la lumière de la preuve dont il dispose, que des enregistrements vidéo auraient été disponibles pendant une période raisonnable après les événements. La preuve n’est pas suffisante pour permettre au Tribunal de conclure qu’il existait une preuve vidéo. Le Tribunal n’est pas disposé à inférer qu’il existait des séquences vidéo qui auraient pu lui être utiles alors même que le fondement factuel requis n’a pas été établi par UPS.

[124] Qui plus est, le Tribunal n’est pas convaincu que le principe de la destruction de la preuve pourrait s’appliquer aux enregistrements de vidéosurveillance qui auraient pu exister, car il n’y a aucune preuve que Mme Peters aurait détruit ces séquences vidéo ou qu’elle aurait intentionnellement évité de demander que ces séquences vidéo soient examinées sachant qu’elles seraient éventuellement détruites.

[125] Même s’il existait des séquences vidéo de l’incident d’attouchement et de l’incident survenu dans le stationnement, il n’en demeure pas moins que le principe de la destruction de la preuve s’applique uniquement lorsqu’un litige est en cours ou envisagé. Les incidents allégués ont vraisemblablement eu lieu en janvier 2015. Or, Mme Peters n’a pas engagé de procédure judiciaire avant mars 2015 environ, date à laquelle elle a déposé sa plainte provinciale. À cet égard, UPS soutient d’ailleurs que Mme Peters n’a pas signalé le harcèlement sexuel avant le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne. Si tel est le cas, cela signifie qu’aucun litige n’était en cours ni envisagé au moment où la perte des messages vocaux et de toute séquence vidéo serait survenue.

[126] Il n’existe donc pas de fondement probatoire permettant au Tribunal de conclure que Mme Peters a détruit des éléments de preuve (ou délibérément perdu des éléments de preuve de façon à ce qu’ils ne puissent être utilisés) dans le but d’influer sur le litige. Par conséquent, le Tribunal ne tirera pas de conclusion défavorable à Mme Peters.

[127] La perte d’éléments de preuve est un fait avéré en l’espèce. L’allégation connexe d’UPS, selon laquelle elle a été lésée dans son enquête sur la plainte du fait de la perte d’éléments de preuve, demeure une question à examiner. Le Tribunal reviendra sur la question de la destruction ou de la non-disponibilité de certains éléments de preuve dans le contexte des observations d’UPS concernant son enquête sur la plainte. Toutefois, le Tribunal présentera d’abord son évaluation des éléments de preuve qui étaient disponibles relativement à la question de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel.

E. Observations préliminaires concernant la preuve prima facie de Mme Peters

[128] Le témoignage de Mme Peters, s’il est accepté, peut être suffisant pour établir une preuve prima facie de harcèlement sexuel dans la mesure où son contenu factuel satisfait à tous les éléments du critère juridique relatif au harcèlement sexuel établi dans l’arrêt Janzen. Il est entendu qu’à ce stade de l’analyse, le Tribunal n’accepte ni l’intégralité ni une quelconque partie du témoignage de Mme Peters. La pertinence, la crédibilité et la fiabilité du témoignage de Mme Peters et des autres éléments de preuve pertinents qu’elle a présentés restent à évaluer, tout comme le poids qu’il convient de leur accorder. Pour trancher la question de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel en l’espèce, le Tribunal évaluera de même la preuve de M. Gordon ainsi que tout renseignement fourni par UPS.

F. Aperçu de la défense fondée sur la preuve de M. Gordon

[129] La nature sexuelle de la conduite présumée de M. Gordon n’est pas contestée. M. Gordon n’a pas non plus affirmé qu’il entretenait une relation amoureuse ou sexuelle consensuelle avec Mme Peters. À titre d’exemple, il n’allègue pas que les événements les plus importants (comme sa tentative présumée d’embrasser Mme Peters de force) se sont produits, mais qu’ils étaient bienvenus. Il ne laisse pas entendre que Mme Peters et lui ont entretenu une relation sexuelle qui a fini par mal tourner. M. Gordon soutient qu’il entretenait une amitié agréable avec Mme Peters. Selon son témoignage, Mme Peters se confiait à lui au sujet de sa vie personnelle et il leur arrivait de discuter de leur famille, de politique et de problèmes liés au travail. M. Gordon a témoigné ne pas avoir fait de commentaires inappropriés au sujet de Mme Peters et a déclaré que les incidents graves allégués ne se sont simplement jamais produits.

[130] M. Gordon affirme ne pas s’être douté du tout qu’il y avait un problème entre Mme Peters et lui jusqu’à ce qu’il apprenne en mars 2015 qu’elle avait déposé une demande auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, dans laquelle il était désigné comme le présumé harceleur. M. Gordon semble avoir été très blessé par cette accusation et a exprimé une certaine colère envers Mme Peters. Il laisse entendre que Mme Peters cherchait à obtenir une indemnité de la part d’UPS, car les enjeux liés à son emploi avaient atteint un point culminant (en raison de l’absentéisme de Mme Peters et des mesures disciplinaires connexes prises par UPS, lesquelles sont expliquées ci-après). Il soutient que Mme Peters a monté un coup contre lui lorsqu’elle a formulé de façon inattendue des allégations de harcèlement basées sur leur amitié dans l’espoir qu’UPS soit déclarée coupable d’avoir permis que des actes de harcèlement ou des actes discriminatoires se produisent en milieu de travail.

G. Position d’UPS à l’égard des témoignages de Mme Peters et de M. Gordon

[131] UPS a exhorté le Tribunal à conclure que M. Gordon était un témoin parfaitement crédible au vu de son comportement pendant l’audience, soutenant que le témoignage de ce dernier [traduction] « permet de penser qu’il dit la vérité » et est compatible avec la « prépondérance des probabilités ». UPS a indiqué que M. Gordon avait livré un témoignage intrinsèquement cohérent et [traduction] « plausible » et a laissé entendre qu’il avait, en rétrospective, de lui-même admis certains manquements de sa part (UPS n’a pas mentionné dans ses observations quels étaient ces manquements).

[132] UPS a adopté la position selon laquelle Mme Peters, en revanche, n’était pas crédible à bien des égards. UPS a laissé entendre qu’il ne fallait pas croire les propos de Mme Peters, compte tenu du comportement de cette dernière pendant son témoignage. UPS l’a décrite comme s’étant montrée [traduction] « très ferme, voire entêtée, pendant son témoignage » et comme n’ayant « accepté absolument aucune responsabilité vis-à-vis de quoi que ce soit, pas même son défaut de prévenir son employeur de ses absences », et a ajouté qu’elle « a même ri à certains moments de son témoignage alors que le sujet abordé semblait pourtant difficile ». Comme preuve supplémentaire du manque de crédibilité de Mme Peters, UPS a mentionné des incohérences entre la plainte écrite de Mme Peters à la Commission canadienne des droits de la personne et son témoignage de vive voix, ainsi que des contradictions entre son témoignage et ceux de Mme Jeffers et de Mme Thompson.

[133] Dans ses observations, UPS a fourni un exemple de décision dans laquelle le Tribunal avait appliqué l’arrêt Faryna et conclu que le témoignage de certains témoins, y compris la plaignante, n’était pas crédible ou n’était pas fiable. Appliquant l’approche établie dans Faryna, le Tribunal a décidé de ne pas accepter le témoignage de la plaignante « sur des questions importantes contestées à moins d’avoir une forte preuve corroborante », tout en concluant que les témoins de la société intimée étaient crédibles et que leurs témoignages étaient assez fiables (Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29 (CanLII) [« Cassidy »], aux par. 25 à 30). UPS demande au Tribunal de n’accepter le témoignage de Mme Peters sur les questions importantes que s’il est confirmé par de solides éléments de preuve corroborants.

[134] UPS a appuyé la position de M. Gordon selon laquelle Mme Peters avait utilisé M. Gordon ou avait monté un coup contre lui afin de donner plus de poids à ses propres réclamations contre UPS. UPS a soutenu que [traduction] « la croyance de M. Gordon selon laquelle il était un dommage collatéral dans la vendetta de Mme Peters contre UPS Canada avait une apparence de vraisemblance » UPS a laissé entendre que la représentante syndicale, Mme Thompson, avait formulé une plainte similaire à l’endroit de Mme Peters, faisant allusion à son témoignage selon lequel elle avait eu le sentiment d’être utilisée par Mme Peters.

[135] Comme il a été mentionné, lors de sa première enquête sur la plainte relative aux droits de la personne déposée par Mme Peters en 2015, UPS n’a relevé aucun élément de preuve indiquant qu’il y avait eu harcèlement sexuel de la part de M. Gordon. En outre, après que les enregistrements des messages vocaux que M. Gordon avait laissés à Mme Peters lui eurent été communiqués, UPS a mené une deuxième enquête afin de déterminer avec certitude s’il y avait ou non eu harcèlement sexuel. UPS n’a pas conclu, après avoir pris connaissance du contenu de ces messages, qu’il y avait eu harcèlement sexuel de la part de M. Gordon. UPS a mis fin à l’emploi de M. Gordon en janvier 2018 au motif que celui-ci avait omis de lui communiquer certains renseignements lors de la première enquête. À l’audience, UPS a exhorté le Tribunal à accepter les explications de M. Gordon au sujet des événements survenus en milieu de travail, y compris ses explications concernant le contenu et le ton des messages vocaux enregistrés qu’il a laissés à Mme Peters.

H. Comportement

(i) Le comportement de M. Gordon

[136] M. Gordon a nié de façon crédible s’être livré à du harcèlement sexuel. Il est apparu comme une personne professionnelle et sincère, affichant une attitude plutôt solennelle. Il n’a pas donné l’impression d’une personne susceptible d’agir de façon frivole. La preuve concernant la période pendant laquelle il a été à l’emploi d’UPS donne à penser qu’il était un employé responsable et dévoué. Il n’a pas manifesté d’animosité envers UPS, malgré que celle-ci ait mis fin à son emploi et qu’il ait intenté une poursuite contre elle pour congédiement abusif.

[137] Alors qu’il était à l’emploi d’UPS, il assurait, à chaque quart, le transport aller-retour de quatre employés au travail, y compris un employé handicapé qui n’avait aucun moyen de se rendre au travail. Ces employés sont mentionnés dans les paragraphes qui précèdent en tant que témoins de M. Gordon. Ils ont témoigné de la moralité de M. Gordon d’après les interactions qu’ils avaient eues avec lui à titre de collègues.

[138] M. Gordon a assuré au Tribunal, avec véhémence et toutes les apparences de la sincérité, qu’il n’avait pas harcelée sexuellement Mme Peters. Il a maintenu son témoignage à cet égard même après que les enregistrements de ses messages vocaux à Mme Peters eurent été écoutés à l’audience et il n’a pas fléchi lors des contre-interrogatoires menés par la plaignante, la Commission et la société intimée, UPS.

(ii) Le comportement de Mme Peters

[139] À certains moments de son témoignage, Mme Peters s’est montrée plutôt inexpressive, en particulier lorsqu’elle a témoigné avoir été agressée dans le stationnement. À d’autres moments, elle avait tendance à argumenter. À titre d’exemple, il lui est arrivé de répondre à M. Gordon qu’une affirmation de fait que celui-ci lui avait présentée en contre-interrogatoire était un [traduction] « mensonge éhonté ». À un moment, elle a aussi eu un éclat de rire qui pouvait sembler inopportun. Certaines de ses attitudes, en particulier sa tendance à argumenter, pourraient amener le Tribunal à tirer des conclusions défavorables quant à son comportement et, au final, quant à la crédibilité ou à la fiabilité de son témoignage.

(iii) Conclusions concernant le comportement en l’espèce

[140] Après une lecture attentive des observations d’UPS, le Tribunal conclut que les observations d’UPS concernant l’évaluation de la crédibilité reposent de façon importante sur la perception qu’a la société intimée du comportement des témoins. Le comportement des témoins était donc un pilier indirect, mais essentiel de sa défense contre l’allégation de harcèlement sexuel.

[141] Ainsi qu’il est expliqué dans la décision Faryna, le comportement n’offre pas une base suffisamment solide sur laquelle fonder l’évaluation de la crédibilité. Lorsque la crédibilité et la fiabilité occupent, comme en l’espèce, une place centrale, le fait d’accorder une trop grande attention au comportement peut mener à des erreurs judiciaires. Le Tribunal a accordé davantage d’importance à la force de la preuve et à la compatibilité avec la « prépondérance des probabilités » qu’au comportement.

[142] UPS a relevé, dans la façon dont Mme Peters s’est comportée lors de son témoignage, des signes qui, selon elle, permettraient de mesurer sa crédibilité. Le Tribunal est d’avis que, de façon générale, la tendance à argumenter de Mme Peters n’était pas excessive ou déraisonnable. Mme Peters a témoigné pendant quatre jours, soit beaucoup plus longtemps que tout autre témoin. Elle a été contre-interrogée de façon approfondie par M. Gordon, son présumé harceleur, pendant plus de deux jours. Elle a également été contre-interrogée longuement par l’avocat habile et aguerri d’UPS. Il était évident que son expérience à titre de témoin était très éprouvante pour elle et, par moments, exténuante. Il y a eu des moments où elle s’est montrée « irritable » et d’autres où elle a fait preuve de retenue.

[143] À titre d’exemple, en interrogatoire principal, c’est avec beaucoup de retenue qu’elle a fait le compte rendu initial de l’agression qui serait survenue dans le stationnement. Son attitude est devenue particulièrement inexpressive. Son récit des événements allégués était dénué de toute forme de théâtralité. Son témoignage portait sur l’intrusion soudaine et inattendue, dans sa voiture, de son superviseur tentant de l’embrasser de force alors qu’elle était seule dans un endroit sombre du stationnement. Or, Mme Peters a témoigné sans faire de drame ni abuser des superlatifs.

[144] Les pièces d’ordre médical montrent que Mme Peters a vécu des épisodes de dépression et d’anxiété par le passé. Elle a été confrontée à un nombre considérable de difficultés dans sa vie personnelle. À l’audience, elle a dû revenir sur des événements qu’elle a dit avoir vraiment tenté d’oublier. Dans ces circonstances, un éclat de rire semblant quelque peu déplacé de la part d’une personne ayant de tels antécédents ne constitue pas un élément déterminant dans l’évaluation de la crédibilité. Mme Peters n’a pas été un témoin parfait, mais son comportement était fort probablement le reflet de la situation générale dans laquelle elle se trouvait. Il n’y avait rien dans la façon dont elle a présenté son témoignage qui justifierait d’écarter le contenu de ce dernier.

[145] Le Tribunal évaluera séparément la force et la cohérence du témoignage de Mme Peters.

I. Enregistrements

(i) Méthode d’analyse

[146] Compte tenu de l’importance cruciale que revêt la crédibilité dans la présente affaire, le Tribunal a choisi, pour démêler les témoignages contradictoires de M. Gordon et de Mme Peters, d’amorcer son analyse par un examen des enregistrements des messages vocaux de M. Gordon.

[147] L’authenticité des enregistrements n’est pas contestée. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’enregistrements de messages laissés par M. Gordon et que ces messages étaient destinés à Mme Peters. Les enregistrements constituent une preuve corroborante fiable de ce qui s’est passé entre M. Gordon et Mme Peters à un moment très pertinent de la chronologie des événements, c’est-à-dire environ deux semaines après leur souper en tête-à-tête du 14 novembre 2014. Les parties se sont mises d’accord sur la transcription la plus exacte des enregistrements, et cette version a été utilisée par le Tribunal.

[148] Les enregistrements constituaient des éléments de preuve importants quant à la question de la crédibilité générale des témoins, car Mme Peters et M. Gordon ne s’entendaient pas sur l’objet ou la raison de ces messages, même après avoir tous deux écouté de nouveau le contenu de ces messages à l’audience et, sans l’ombre d’un doute, en prévision de l’audience. Leur désaccord sur l’objet véritable de ces messages et la raison pour laquelle ils ont été laissés à Mme Peters remettaient carrément en question la fiabilité et la crédibilité de leurs témoignages respectifs.

[149] Pour ces motifs, les enregistrements sont devenus un moyen pour le Tribunal de déterminer lequel des témoignages de Mme Peters et de M. Gordon était le plus susceptible d’être fiable et crédible au sujet des autres faits contestés, dans la mesure où le Tribunal concluait également que les éléments de preuve en question étaient [traduction] « compatibles avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce » (Faryna, au par. 357).

[150] On pourrait soutenir que les enregistrements ont, à première vue, démontré que M. Gordon a vraisemblablement harcelé Mme Peters sexuellement. De ce point de vue, la preuve concernant la nature de la relation qui s’était instaurée entre M. Gordon et Mme Peters préalablement à ce moment précis aurait pu être considérée comme non pertinente. Or, M. Gordon a exhorté le Tribunal à évaluer les enregistrements dans le contexte de l’amitié que Mme Peters et lui auraient prétendument entretenue. Compte tenu de l’importance potentielle de cette preuve, il n’aurait pas été approprié que le Tribunal adopte la position selon laquelle [traduction] « les enregistrements parlaient d’eux-mêmes ». Le Tribunal a pleinement tenu compte de l’explication de M. Gordon concernant le contenu et le ton des messages enregistrés, ainsi que du contexte potentiellement pertinent fourni par la nature de leur relation existante.

(ii) Explication de M. Gordon concernant les messages enregistrés

[151] M. Gordon a donné une [traduction] « explication en deux volets » en ce qui concerne le contenu et le ton des messages qu’il a laissés à Mme Peters les 1er et 2 décembre 2014. M. Gordon a dit qu’il était fâché contre Mme Peters dans ses messages vocaux des 1er et 2 décembre 2014 parce qu’il croyait que Mme Peters et lui étaient des amis et parce qu’elle lui avait demandé de l’appeler, mais qu’elle ne répondait pas à ses appels ou ne le rappelait pas alors qu’elle lui avait demandé qu’il l’appelle. Il pensait qu’elle l’avait appelé parce qu’elle avait un problème et il était très inquiet. M. Gordon a affirmé qu’il était [traduction] « dégoûté » du comportement de Mme Peters. Le Tribunal a eu l’impression que M. Gordon cherchait à donner à entendre qu’il avait eu le sentiment de s’être [traduction] « fait avoir » ce jour-là.

[152] La position défendue par M. Gordon était que les circonstances entourant les appels fournissaient une explication raisonnable à la colère ou à la frustration qui transpiraient des messages laissés à Mme Peters et qu’elles étaient à l’origine des multiples tentatives qu’il a faites pour la joindre en réponse à sa demande de la rappeler.

(iii) Cadre d’évaluation des messages enregistrés

[153] Le Tribunal estime que l’explication fournie par M. Gordon comporte deux volets, car elle exige deux choses pour être considérée comme véridique : 1) que Mme Peters ait appelé M. Gordon, et non l’inverse, et 2) que M. Gordon et Mme Peters aient entretenu une amitié en dehors du travail, de telle sorte que Mme Peters aurait demandé à M. Gordon de l’appeler chez elle pour discuter d’une affaire personnelle, que Mme Peters aurait souhaité que M. Gordon continue d’essayer de la joindre alors que ses appels demeuraient sans réponse, et que la réaction qu’a eue M. Gordon lorsqu’il a constaté qu’elle ne le rappelait pas aurait été justifiée.

(iv) Contenu

[154] Les messages enregistrés sont au nombre de cinq et forment une chaîne. Quatre d’entre eux ont été laissés le 1er décembre 2014 et le cinquième, le 2 décembre 2014. Le contenu des messages ne donne pas à penser qu’il y avait urgence ou que la situation justifiait de laisser de multiples messages. Ces messages étaient clairement de nature « sociale ».

[155] Le premier message commence ainsi : [traduction] « Tesha Peters, c’est encore Lindell Gordon. Nous sommes le 1er décembre, je t’ai laissé un message plus tôt aujourd’hui, donc mon message est le même. Tu prends soin de toi, que Dieu te bénisse et ah… j’espère avoir de tes nouvelles bientôt. J’espère seulement avoir bientôt de tes nouvelles bientôt, prends soin de toi, bye. »

[156] Rien dans ce message n’indique que M. Gordon répondait à un appel de Mme Peters. Il dit qu’il appelle à nouveau ([traduction] « c’est encore Lindell Gordon »). Il ne dit pas qu’il la rappelle ou qu’il retourne son appel. Il indique qu’il l’a déjà appelée avant cette chaîne de messages. Il confirme qu’il lui a déjà laissé un message. Il laisse le même message. Il n’a pas attendu que Mme Peters le rappelle. Le contenu du premier message n’est pas compatible avec la proposition selon laquelle Mme Peters aurait appelé M. Gordon et lui aurait demandé de l’appeler.

[157] Le contenu du message de M. Gordon indique en outre que le premier message est, en fait, le deuxième message de la journée. Vu les quatre messages qui ont été enregistrés le 1er décembre 2014, il s’ensuit que M. Gordon a laissé au moins cinq messages à Mme Peters ce même jour.

[158] M. Gordon dit qu’il espère avoir bientôt des nouvelles de Mme Peters, et répète tout de suite après : [traduction] « J’espère seulement avoir de tes nouvelles bientôt. » Ces propos sont compatibles avec l’inquiétude que M. Gordon a dit avoir ressentie à l’endroit de Mme Peters parce que celle-ci lui avait mentionné qu’elle avait un problème. Ils sont également compatibles avec la proposition selon laquelle M. Gordon entretenait une relation avec Mme Peters.

[159] Lors de son témoignage, M. Gordon n’a pas fourni de précisions sur le moment où le premier appel de Mme Peters aurait eu lieu ni sur le moment où la chaîne de messages et les communications connexes entre eux auraient débuté ou pris fin. Il est possible que Mme Peters ait appelé M. Gordon avant même qu’il ne laisse le message précédent auquel il fait référence dans le premier de ses messages enregistrés. Toutefois, il est plus probable que Mme Peters ne l’ait pas appelé du tout et que M. Gordon essayait simplement de la joindre. Cette hypothèse est plus plausible, car il n’y a rien dans ce que M. Gordon a dit dans ses messages des 1er et 2 décembre qui indique que Mme Peters avait un problème et que c’était la raison pour laquelle il essayait de la joindre. Au contraire, M. Gordon a demandé à Mme Peters si elle voulait qu’ils [traduction] « se rejoignent » pour souper ou pour prendre un café ou un verre. Voici le deuxième message que M. Gordon a laissé à Mme Peters le 1er décembre 2014 :

[traduction]

Mon nom est Lindell Gordon. Mon numéro est le [il donne son numéro de téléphone]. Je t’ai parlé, je t’ai appelée aujourd’hui, lundi 1er décembre. Je t’ai appelée pour voir si, puisque tu ne travaillais pas chez… euh… Costco aujourd’hui et que tu étais en fait à la maison à faire des choses. Je voulais savoir si tu voulais… hum… quitter le travail tôt ce soir et si tu voulais qu’on se rejoigne tôt ce soir, disons vers 19 h 30 ou 20 h? Ah... Et peut-être qu’on pourrait aller souper quelque part si ça te dit, ou simplement nous asseoir et… et… discuter… euh… autour d’un café ou d’un verre, ou peu importe, c’est toi qui vois. Je voulais simplement savoir si ça pouvait t’intéresser. Rappelle-moi pour me dire. Si je n’ai pas de nouvelles de ta part dans les heures à venir, je vais supposer que tu n’es pas intéressée... Laisse-moi un message. Merci, passe une belle journée, bye.

[160] M. Gordon a demandé à Mme Peters de passer du temps avec lui seul à seul en dehors du travail. Il ne répondait pas à un appel de Mme Peters lui demandant de l’aider avec un problème personnel.

[161] M. Gordon a mentionné que Mme Peters ne travaillait pas chez Costco ce jour-là. Cette affirmation est compatible avec la proposition selon laquelle Mme Peters et M. Gordon étaient suffisamment amis pour que celui-ci connaisse son emploi du temps. Or, d’autres éléments de preuve donnent à penser qu’il pourrait exister une autre explication. Mme Peters a dit ne pas se souvenir à quel moment exactement cela s’est produit, mais elle a témoigné avoir été informée par un collègue chez Costco qu’un homme avait téléphoné pour savoir si elle était au travail. Elle a déclaré que, d’après ce qu’elle a appris, elle croyait bien que cet homme était M. Gordon. Cette affirmation fait partie de son allégation selon laquelle M. Gordon la traquait. Son amie, Mme Jeffers, a témoigné se souvenir que Mme Peters lui avait confié qu’elle croyait que M. Gordon avait appelé chez Costco pour connaître son horaire. Mme Jeffers a toutefois déclaré ne pas se souvenir du moment exact où cela s’était produit. Les allégations de traque sont abordées ci-dessous.

[162] Le contenu du troisième message (le quatrième ce jour-là) que M. Gordon a laissé à Mme Peters confirme, là encore, que M. Gordon n’a pas reçu d’appel de Mme Peters lui demandant de l’appeler. Il commence ainsi :

[traduction]

Oui, Tesha Peters, je t’ai appelée tôt, très tôt aujourd’hui pour te laisser un message…! Je t’ai demandé s’il était possible qu’on se voie plus tard aujourd’hui!

[163] M. Gordon confirme une fois de plus qu’il avait déjà appelé Mme Peters et indique à nouveau la raison de son appel. Sa frustration n’était ni raisonnable ni proportionnelle. Voici le reste de son troisième message enregistré :

[traduction]

JE T’AI DIT DE ME RAPPELER… TU ME RAPPELLES À 20 H 15 EN SOIRÉE POUR ME DIRE QUE TU VIENS JUSTE DE FINIR DE TRAVAILLER! Je ne comprends pas comment il est possible qu’il en soit ainsi, Tesha Peters, je ne comprends tout simplement pas ça… Je pense que tu ne veux tout simplement pas qu’on fasse connaissance! C’est correct, mais que tu m’appelles, que tu m’envoies un message pour me dire que tu viens juste de finir de travailler! Que tu m’appelles et que tu me dises qu’il n’y a pas de réponse. JE NE M’ATTENDS PAS À CE QUE TU ME FASSES SIGNE À 19 H LE SOIR POUR… JE TE L’AI DIT, RENDEZ-VOUS À 19 H 30! TU M’APPELLES À 20 H 15 POUR ME DIRE… JE NE COMPRENDS TOUT SIMPLEMENT PAS ÇA. Je ne comprends vraiment pas ça. Je suis vraiment désolé, mais je ne comprends pas ça! Bref, je regrette de me pas avoir pu prendre ton appel quand tu as appelé… mais ouais… Je suppose que nous pourrons en reparler demain, ou à un autre moment, si tu acceptes d’en parler. Passe une bonne nuit, Dieu te bénisse et prends soin de toi.

[164] Sur l’enregistrement, M. Gordon parle d’une voix forte et colérique, puis il se calme et termine son message par [traduction] « Passe une bonne nuit, que Dieu te bénisse et prends soin de toi ». Les lettres majuscules sont utilisées pour indiquer les passages où M. Gordon a élevé la voix de façon notable. L’attitude de M. Gordon dans ce message enregistré semble très différente du comportement qu’il a adopté à l’audience.

[165] La tentative de M. Gordon de se faire obéir de Mme Peters est mise en évidence par son insistance : [traduction] « JE T’AI DIT DE ME RAPPELER » et « JE TE L’AI DIT, RENDEZ-VOUS À 19 H 30! » L’heure à laquelle Mme Peters l’a rappelé semble l’avoir rendu encore plus furieux parce qu’ils n’avaient plus alors le temps de faire une sortie ensemble.

[166] Bien qu’il ait indiqué à Mme Peters qu’il laissait tomber l’affaire et que le choix de poursuivre ou non cette discussion lui appartenait, M. Gordon a laissé un cinquième message à Mme Peters le 1er décembre 2014 lui demandant de l’appeler immédiatement. Il s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

Peters, je t’ai dit que j’allais te rappeler, j’ai besoin de te parler maintenant. Je te demande de répondre au téléphone. JE NE COMPRENDS PAS pourquoi tu agis ainsi avec moi? Je suppose que tu vois maintenant les choses différemment. Appelle-moi tout de suite, appelle-moi [il donne son numéro de téléphone]. Tu peux m’appeler, j’attends ton appel.

[167] Il semble que M. Gordon et Mme Peters aient effectué le même quart de travail cette nuit-là chez UPS. Le 2 décembre 2014, M. Gordon a laissé le message suivant à Mme Peters :

[traduction]

Oui, bonjour. C’est Lindell Gordon, [il donne son numéro de téléphone], appelle-moi s’il te plaît. J’ai essayé… J’ai essayé de… hum… entrer en contact avec toi… avant de partir, mais… hum… Malheureusement, tu devais sans doute être ailleurs dans le bâtiment, je n’ai donc pas eu l’occasion de te parler, alors ouais… bref, APPELLE-MOI!

[168] Ce message confirme qu’avant de partir du travail, M. Gordon a cherché Mme Peters au travail, fort probablement dans le but de réitérer ses demandes. Ce message confirme également que la réaction de M. Gordon, lorsqu’il a constaté qu’il ne trouvait Mme Peters nulle part au travail, a consisté essentiellement à appeler de nouveau cette dernière chez elle pour lui ordonner de le rappeler.

[169] Le Tribunal conclut, à la lumière du contenu des messages enregistrés, que le témoignage de M. Gordon quant à la raison pour laquelle il a appelé Mme Peters et était en colère n’est pas digne de foi. Il n’est pas vrai non plus que les messages de M. Gordon démontrent qu’il y avait une autre explication raisonnable — sans lien avec le harcèlement — à la colère ou à la frustration que M. Gordon a manifestée envers Mme Peters.

[170] Le Tribunal reprendra son évaluation des éléments de preuve susmentionnés une fois qu’il aura examiné la preuve disponible concernant le contexte de la relation antérieure entre Mme Peters et M. Gordon.

(v) La prétendue amitié antérieure entre Mme Peters et M. Gordon

[171] Du point de vue de la preuve, la question semblait être de savoir s’il existait une preuve convaincante que M. Gordon et Mme Peters entretenaient une relation qui aurait amené M. Gordon à penser qu’il était approprié qu’il ordonne à Mme Peters de l’appeler et qu’il se mette en colère lorsqu’il a constaté qu’elle ne le rappelait pas, ou qui aurait justifié sa colère. Il importait également de déterminer si ces messages vocaux étaient typiques de leur relation et, dans l’affirmative, si Mme Peters acceptait ce genre de comportement.

[172] À l’appui de sa prétention selon laquelle Mme Peters se confiait à lui, M. Gordon a témoigné qu’il savait, en 2013, que Mme Peters avait des problèmes conjugaux et que certains membres de sa famille étaient malades. Il a dit l’avoir appris de Mme Peters à l’époque. Or, le dossier médical de Mme Peters a été déposé comme pièce dans le cadre de la présente instance. Ce dossier contient des renseignements sur ses difficultés conjugales. M. Gordon aurait aussi pu obtenir ces renseignements auprès d’autres collègues. La question de savoir comment M. Gordon a obtenu ces renseignements n’a pas été examinée à fond à l’audience. Le fait que M. Gordon sache que Mme Peters avait des problèmes conjugaux et que des membres de sa famille étaient malades n’est pas un indicateur particulièrement fiable de la nature de leur relation antérieure.

[173] Certains éléments de preuve indiquent que Mme Peters ne considérait pas M. Gordon comme un ami et qu’elle ne souhaitait pas entretenir de relation personnelle avec lui. Comme il a été mentionné, Mme Peters a déclaré que la présence de M. Gordon au travail la mettait mal à l’aise. Elle a témoigné que celui-ci la cherchait au travail et qu’il disait des choses à son sujet qu’elle trouvait embarrassantes. Elle a exprimé son malaise vis-à-vis des commentaires qu’il faisait, notamment qu’elle était [traduction] « sa chérie » et qu’elle était [traduction] « belle ». Selon son témoignage, lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules, elle se cachait dans un camion lorsqu’elle voyait M. Gordon arriver. Il est peu probable que Mme Peters ait discuté de ses difficultés conjugales avec un collègue qu’elle considérait comme harcelant à ce moment-là ou avec une personne qu’elle trouvait « bizarre », ainsi qu’elle a décrit M. Gordon à l’audience.

[174] Mme Lawes-Newell a confirmé que Mme Peters n’appréciait pas le comportement de M. Gordon. Elle a confirmé à la fois la nature des commentaires que faisait M. Gordon et le fait que, lorsque Mme Peters le voyait arriver, elle se cachait dans un camion. Mme Lawes-Newell a affirmé qu’elle disait à M. Gordon que Mme Peters n’était pas là lorsque celui-ci demandait à lui parler. Elle a également déclaré qu’elle répondait à M. Gordon qu’elle ne savait pas où se trouvait Mme Peters, même si en réalité elle le savait, car elle craignait pour la sécurité de Mme Peters. Selon elle, M. Gordon avait le béguin pour Mme Peters. En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Lawes-Newell si elle pensait que Mme Peters avait le béguin pour M. Gordon. Elle a indiqué avoir posé la question à Mme Peters. Mme Peters aurait répondu [traduction] « Je ne sais pas ce que cet homme me veut ». Elle a décrit les interactions entre M. Gordon et Mme Peters comme étant [traduction] « forcées », et non comme étant amicales.

[175] Le témoignage de Mme Peters sur ce point et le témoignage corroborant de Mme Lawes-Newell ne concordent pas avec la proposition selon laquelle M. Gordon entretenait avec Mme Peters, à l’époque où celle-ci travaillait au Service de lavage des véhicules, une amitié cordiale dans le cadre de laquelle ils échangeaient des confidences sur leur vie personnelle.

[176] On a demandé à M. Gordon s’il avait déjà cherché Mme Peters lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules. Il a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne peux pas dire que je ne l’ai jamais cherchée, mais je ne l’ai jamais pourchassée. » Il a nié l’avoir appelée sa [traduction] « chérie » et avoir demandé à Mme Lawes-Newell où elle était. Il a reconnu avoir, à une occasion, envoyé un texto à un superviseur du Service de lavage des véhicules à une date non précisée pour lui indiquer qu’il ne voyait Mme Peters nulle part et qu’il se demandait ce qui se passait.

[177] M. Gordon a admis qu’il se pouvait qu’il ait laissé entendre que Mme Peters était belle. C’est là le seul aveu qu’ait fait M. Gordon en ce qui concerne les déclarations qu’il aurait faites à Mme Peters. Il a expliqué qu’il croyait, d’après certains propos de Mme Peters, qu’en raison des événements survenus dans son mariage, Mme Peters n’avait plus le sentiment d’être belle et en était venue à avoir une perception négative des hommes. M. Gordon a témoigné, avec émotion, avoir dit à Mme Peters qu’il ne la considérait pas comme [traduction] « ayant un problème dans ce domaine ». M. Gordon a laissé entendre qu’il avait tenté de la convaincre du contraire, comme le ferait un ami. Pour que cette explication soit plausible, le Tribunal doit pouvoir conclure que ce commentaire de M. Gordon était dénué de tout intérêt sexuel envers Mme Peters.

[178] Mme Peters a témoigné que M. Gordon lui avait dit qu’il n’était [traduction] « pas comme les autres hommes ». Ce commentaire, dans la mesure où il a bien été formulé, concorde avec le commentaire concernant la beauté de Mme Peters, en ce sens que M. Gordon aurait pu faire ces deux commentaires dans le but de se démarquer avantageusement du conjoint de Mme Peter à une époque où la vie conjugale de Mme Peters battait de l’aile.

[179] M. Gordon a également déclaré que Mme Peters avait proposé qu’ils [traduction] « passent du temps ensemble » en dehors du travail lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules. Il a dit lui avoir répondu, à la fin de son quart de travail, qu’il ne pensait pas que ce serait possible, car il avait alors des problèmes à régler dans sa vie. Mme Peters a nié avoir fait une telle proposition à M. Gordon. Ainsi, ni M. Gordon ni Mme Peters n’ont laissé entendre qu’ils avaient, dans les faits, passé du temps ensemble en dehors du travail.

[180] M. Gordon a dit qu’il avait l’intention de se rendre aux États-Unis pour conduire un enfant dans un camp et en avoir informé Mme Peters. Il a dit que Mme Peters lui avait mentionné qu’elle souhaitait aller aux États-Unis pour rendre visite à un membre de sa famille qui était malade. Il a témoigné que Mme Peters lui avait dit qu’elle n’était pas censée conduire et lui avait demandé si elle pouvait faire la route avec lui jusqu’aux États-Unis. Il a affirmé lui avoir dit qu’il était d’accord, mais qu’elle devait partir en même temps que lui.

[181] Mme Peters a nié avoir eu le désir de se rendre aux États-Unis en compagnie de M. Gordon. Elle a témoigné que M. Gordon lui avait offert de la conduire aux États-Unis, mais qu’elle avait refusé. Il convient de souligner que Mme Peters s’est rendue aux États-Unis à peu près à cette époque, mais sans M. Gordon, ce qui est peut-être encore plus révélateur.

[182] M. Gordon n’a fourni aucune explication à savoir pourquoi Mme Peters n’avait pas fait la route avec lui jusqu’aux États-Unis. Son témoignage ne faisait pas non plus état d’autres détails essentiels, comme la raison pour laquelle ils se seraient tous deux rendus au même endroit aux États-Unis au même moment. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, il semble plus probable que M. Gordon ait offert à Mme Peters de la conduire aux États-Unis parce qu’il espérait pouvoir passer du temps avec elle et que celle-ci ait refusé.

[183] M. Gordon a également témoigné que Mme Peters lui avait fait part de son désir de raviver ses croyances religieuses en sa compagnie et qu’il lui avait offert de l’accompagner dans son désir de fréquenter l’Église. Mme Peters a paru offensée par le témoignage de M. Gordon sur ce point et a nié avoir eu besoin de quelque assistance que ce soit de la part de M. Gordon en ce qui concerne ses croyances religieuses. Mme Peters a qualifié cette affirmation de [traduction] « mensonge éhonté ».

[184] Certains éléments de preuve indiquent que M. Gordon et Mme Peters ont eu des discussions liées au travail. M. Gordon savait que Mme Peters avait eu des difficultés avec son ancien superviseur au Service de lavage des véhicules et qu’elle souhaitait devenir déléguée syndicale. En 2013, Mme Peters et M. Gordon avaient échangé leur numéro de téléphone respectif. Cependant, le fait que M. Gordon ait mentionné son numéro de téléphone à plusieurs reprises dans ses messages des 1er et 2 décembre 2014 indique que Mme Peters n’avait pas son numéro de téléphone au moment où il lui a laissé ces messages.

[185] M. Gordon a témoigné que, à l’époque où Mme Peters a obtenu un poste sur la chaîne de tri, en novembre 2014, il y avait deux superviseurs à temps partiel. Il a déclaré qu’on lui avait dit que Mme Peters était heureuse que M. Gordon soit son superviseur, car il [traduction] « la traiterait de façon équitable ». M. Gordon a laissé entendre que Mme Peters avait indiqué qu’il était son superviseur préféré. Il a fait observer que, si elle avait été d’avis qu’il la harcelait, elle aurait émis des objections et aurait demandé à être supervisée par l’autre superviseur. Mme Peters ne s’est pas opposée à ce que M. Gordon devienne son superviseur.

(vi) Conclusions sur l’étendue de l’amitié jusqu’en novembre 2014

[186] Il est difficile pour le Tribunal de tirer des conclusions de fait quant à l’étendue et à la nature de la relation personnelle qui existait entre M. Gordon et Mme Peters en 2013 et au premier semestre de 2014, sur le seul fondement des témoignages de Mme Peters et de M. Gordon, car peu de détails ont été fournis à cet égard.

[187] Cependant, M. Gordon n’a pas convaincu le Tribunal lorsqu’il a nié avoir pourchassé Mme Peters au travail. Le Tribunal tient également compte du témoignage de Mme Lawes-Newell qui concorde avec celui de Mme Peters au sens que celle-ci cherchait à réduire au minimum ses contacts avec M. Gordon lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules. Selon la prépondérance des probabilités, il ne semble pas que M. Gordon et Mme Peters aient entretenu au travail une amitié sereine réciproque. Ils ne passaient pas de temps ensemble en dehors du travail. Il semble donc peu probable qu’ils aient eu, à l’époque où Mme Peters travaillait au Service de lavage des véhicules, le genre de conversations personnelles soutenues que des amis pourraient entretenir. Le Tribunal conclut qu’il est beaucoup plus probable que Mme Peters n’ait pas partagé de renseignements véritablement personnels avec M. Gordon.

[188] Le fait que M. Gordon ait semblé ne pas savoir ce qu’il était advenu de Mme Peters après qu’elle se fut rendue aux États-Unis, à l’été 2014, pour être au chevet d’un membre de sa famille qui était malade tend à confirmer cette probabilité.

[189] Comme il a été mentionné, Mme Peters a eu un accident de voiture le 3 juillet 2014, alors qu’elle était aux États-Unis. Un différend est par la suite apparu entre Mme Peters et UPS à savoir si elle avait abandonné son emploi alors qu’elle se trouvait aux États-Unis.

[190] M. Gordon ne savait pas que Mme Peters avait eu un accident de voiture, qu’elle avait été blessée, qu’elle n’avait pas pu travailler pendant une longue période, ni même qu’elle était revenue au Canada. M. Gordon n’était pas partie au différend concernant le retour au travail de Mme Peters chez UPS. Si M. Gordon avait eu la moindre idée de ce qui se passait dans la vie de Mme Peters et s’il avait été son ami, il aurait été au courant d’événements aussi importants. Selon son témoignage, M. Gordon n’aurait ensuite été appelé à interagir avec Mme Peters qu’au moment où il lui a expliqué ses nouvelles fonctions sur la chaîne de tri en novembre 2014. Aucun de ces faits n’est compatible avec la proposition selon laquelle M. Gordon et Mme Peters entretenaient une amitié.

[191] En outre, l’affirmation de M. Gordon selon laquelle Mme Peters était contente d’apprendre qu’il était son superviseur a été contredite par Mme Thompson, la déléguée syndicale, qui a joué un rôle dans le retour au travail de Mme Peters. Mme Thompson n’a pas témoigné que Mme Peters se réjouissait à l’idée que M. Gordon soit son superviseur, ni qu’elle avait exprimé une préférence pour M. Gordon entre les deux superviseurs à temps partiel qui étaient affectés à la chaîne de tri. Mme Thompson a témoigné que c’est elle qui avait appuyé le choix de M. Gordon parce qu’elle était d’avis que Mme Peters et l’autre superviseur auraient du mal à travailler ensemble. Mme Peters ne s’est pas opposée à ce que M. Gordon soit son superviseur. Or, sa réintégration dans son emploi était en quelque sorte une faveur que Mme Thompson avait sollicitée auprès de la direction et que celle-ci n’avait accordée qu’à contrecœur. Les heures de travail que Mme Peters pouvait effectuer étaient également limitées. Il est donc compréhensible que, dans ce contexte, Mme Peters n’ait pas émis d’objections, du moins pas au début.

[192] Compte tenu de la preuve, le Tribunal est d’avis que M. Gordon n’a pas établi que Mme Peters et lui entretenaient une relation personnelle soutenue. Il semble peu probable que Mme Peters ait appelé M. Gordon au début de décembre 2014, après que celui-ci fut devenu son superviseur, pour lui demander de la rappeler chez elle parce qu’elle souhaitait discuter d’un problème personnel sans lien avec son travail. Le Tribunal n’est pas non plus convaincu qu’il existait déjà entre eux une relation qui aurait été de nature à expliquer la frustration que M. Gordon a manifestée lorsqu’il a constaté que Mme Peters ne le rappelait pas les 1er et 2 décembre 2014.

(vii) Leur relation entre le 4 novembre 2014 et le 2 décembre 2014

[193] Le Tribunal a également examiné la preuve relative à ce qui s’est produit entre le moment où M. Gordon est devenu le superviseur de Mme Peters, le 4 novembre 2014, et le moment où il a laissé ses messages vocaux les 1er et 2 décembre 2014, afin de vérifier si leur relation avait changé. Les parties n’ont pas contesté que Mme Peters et M. Gordon ont soupé ensemble le 14 novembre 2014. Cet événement aurait pu signaler un changement dans leur relation.

[194] Avant le souper, M. Gordon s’est fait un devoir de dire à Mme Peters qu’il n’entendait pas faire preuve de favoritisme à son égard simplement parce qu’il était maintenant son superviseur et qu’il la connaissait. Elle a dit que cela allait de soi.

[195] M. Gordon et Mme Peters étaient en désaccord sur la question de savoir qui avait invité qui et ce qui s’était passé le soir de ce souper. Mme Peters a témoigné que M. Gordon avait proposé qu’ils se rejoignent pour souper. Elle a déclaré avoir accepté parce qu’elle avait cru comprendre que l’objectif était de discuter du travail et de son nouveau poste sur la chaîne de tri. Elle a témoigné que, à l’époque, elle souhaitait également devenir déléguée syndicale et qu’elle avait compris qu’ils en discuteraient lors de cette rencontre.

[196] Mme Peters a déclaré que leur discussion avait d’abord porté sur le travail, notamment son désir de devenir déléguée syndicale, mais qu’elle avait ensuite pris une autre tournure. Elle a témoigné que M. Gordon s’est approché d’elle, qu’il a tenté de lui toucher la main, et qu’il lui a dit qu’elle était [traduction] « belle » et qu’il voulait entamer une relation avec elle. Elle a déclaré l’avoir remis à sa place et lui avoir rappelé qu’elle était mariée. Elle a dit avoir attiré l’attention du serveur à la fin du repas, lui avoir demandé l’addition et l’avoir payée parce qu’elle ne voulait pas que M. Gordon pense qu’elle lui devait quoi que ce soit. Elle n’a toutefois pas conservé le reçu. Mme Peters a déclaré qu’elle était dégoûtée et bouleversée par la tournure qu’avait prise le souper. Elle a dit avoir été par la suite très mal à l’aise de travailler sous la supervision de M. Gordon.

[197] M. Gordon a témoigné que le souper était l’idée de Mme Peters. Il a déclaré que Mme Peters avait proposé qu’ils se rejoignent quelque part pour échanger sur leur vie respective. Il a reconnu qu’elle avait payé le souper, mais a dit qu’elle lui avait remis le reçu et lui a dit de le garder [traduction] « en souvenir de leur soirée ». Il a gardé le reçu pendant près d’un an. M. Gordon a également indiqué que Mme Peters lui avait proposé d’aller souper parce qu’elle avait eu son anniversaire et qu’elle voulait le célébrer avec lui.

[198] Le Tribunal ne croit pas que Mme Peters avait demandé à M. Gordon de célébrer son anniversaire avec elle. L’anniversaire de Mme Peters avait eu lieu cinq mois plus tôt. Cette affirmation aurait pu être plausible si M. Gordon et Mme Peters avaient été de bons amis et que le souper avait eu lieu à quelques jours de l’anniversaire de Mme Peters. Or, ce n’était pas le cas.

[199] Il est plus probable que le dîner ait été l’idée de M. Gordon, compte tenu des autres éléments de preuve indiquant que M. Gordon cherchait à établir un contact avec Mme Peters. Il est plus probable qu’improbable que M. Gordon ait fait des avances à Mme Peters lors de ce souper, compte tenu des problèmes liés à la crédibilité de son témoignage.

(viii) Conclusion quant aux messages enregistrés

[200] M. Gordon et Mme Peters n’avaient pas antérieurement entretenu une relation d’une nature qui aurait pu expliquer les messages vocaux de M. Gordon, contrairement à ce qu’a laissé entendre M. Gordon. Quelle qu’ait pu être sa nature, leur relation antérieure ne justifiait en rien la façon dont M. Gordon s’est comporté envers Mme Peters les 1er et 2 décembre 2014.

[201] Les injonctions que M. Gordon a adressées à Mme Peters sur un ton colérique étaient une tentative d’exercer une autorité à caractère sexuel sur Mme Peters et, en agissant de la sorte, M. Gordon a abusé du pouvoir que ses fonctions de superviseur lui conféraient sur son employée subalterne. Voyant que Mme Peters n’obtempérait pas, il s’est adressé à elle de façon dégradante en insistant sur le fait qu’elle ne lui avait pas obéi. Ce comportement correspond exactement à la description qu’a donnée la Cour suprême du Canada du harcèlement sexuel dans l’arrêt Janzen, c’est-à-dire 1) que le harcèlement sexuel est un abus de pouvoir et 2) que le harcèlement sexuel est une pratique dégradante. Au paragraphe 33, la Cour a déclaré :

Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

Les messages enregistrés sont une preuve manifeste du harcèlement sexuel que Mme Peters a subi de la part de M. Gordon.

[202] M. Gordon a affirmé qu’il n’aurait pas appelé Mme Peters à de nombreuses reprises s’il avait su que ses interactions avec Mme Peters n’étaient pas les bienvenues. M. Gordon aurait dû savoir que son comportement envers Mme Peters les 1er et 2 décembre 2014 serait importun. Aucune personne raisonnable n’accueillerait favorablement le comportement qu’il a affiché dans ses messages vocaux. Il est impossible pour le Tribunal de conclure que Mme Peters était favorable à ce genre de comportement.

[203] M. Gordon est censé savoir ce qu’il a fait dans le passé. Or, il a laissé entendre qu’il savait ce qu’était le harcèlement sexuel et qu’il était certain de ne pas avoir harcelé Mme Peters. Même dans ses observations finales, M. Gordon a décrit son propre comportement, c’est-à-dire le fait qu’il n’ait pas cessé de harceler Mme Peters pour qu’elle [traduction] « passe du temps » avec lui, comme une tentative de sa part [traduction] « de donner suite à sa demande » de la rappeler, ce qui constitue une présentation inexacte des faits. M. Gordon a déclaré que [traduction] « si [son] comportement constituait du harcèlement sexuel, alors [il ne savait] pas ce qu’était le harcèlement sexuel ». M. Gordon n’a reconnu aucun manquement de sa part. Il ne comprenait peut-être pas ce qu’était le harcèlement sexuel au moment des événements, mais, à l’audience, M. Gordon savait ce qu’était le harcèlement sexuel. Cette question a été examinée à fond préalablement à l’audience, et M. Gordon a correctement cerné la définition du harcèlement sexuel dans ses observations. La seule conclusion raisonnable que le Tribunal puisse tirer de ces faits est que M. Gordon n’était pas disposé à reconnaître ou à assumer la responsabilité de ses actes.

(ix) Allégation de M. Gordon selon laquelle l’appel de Mme Peters était un coup monté

[204] M. Gordon a allégué que l’appel de Mme Peters et le fait qu’elle ait enregistré ses messages étaient un coup montré qui visait à permettre à Mme Peters de déposer une plainte contre lui. Cette allégation fait partie de la défense de M. Gordon selon laquelle Mme Peters l’aurait utilisé dans le but de causer des problèmes juridiques à UPS. Même si elle lui a laissé un message, Mme Peters n’a pas « fait en sorte » que M. Gordon réagisse comme il l’a fait. M. Gordon blâme Mme Peters pour son propre comportement. Son allégation selon laquelle Mme Peters l’aurait [traduction] « piégé » ne repose sur aucune preuve.

J. M. Gordon a-t-il communiqué de façon harcelante et répétée avec Mme Peters?

[205] Le prochain désaccord quant aux faits concerne la question de savoir si M. Gordon a téléphoné ou laissé des messages à répétition à Mme Peters ou tenté autrement d’entrer en contact avec elle à des dates autres que les 1er et 2 décembre 2014. Le Tribunal a conclu que M. Gordon a fait preuve d’une insistance « excessive » en demandant à Mme Peters de sortir avec lui à plusieurs reprises dans six messages téléphoniques laissés les 1er et 2 décembre 2014. Le Tribunal est enclin à croire que les descriptions de comportements similaires de la part de M. Gordon, en particulier celles contenues dans les exposés et résumés de Mme Peters, sont exactes, compte tenu du témoignage de M. Gordon au sujet des messages enregistrés et de la position qu’il a adoptée à leur égard, ainsi que des conclusions connexes du Tribunal.

[206] Après avoir tenté à cinq reprises au cours d’une même journée de joindre Mme Peters par téléphone, M. Gordon a cherché à lui parler en personne alors qu’elle effectuait le quart de travail suivant chez UPS, mais n’a pas pu la trouver. Le fait que M. Gordon ait tenté de trouver Mme Peters afin de lui parler en personne après l’avoir appelée cinq fois dans la journée rend plus probable l’allégation selon laquelle M. Gordon aurait également cherché Mme Peters dans les secteurs du lavage des véhicules et des chaînes de tri à d’autres occasions.

[207] À titre de superviseur des chaînes de tri, M. Gordon était libre d’aller où bon lui semblait dans ces secteurs. Il n’aurait donc pas dû avoir de difficulté à trouver Mme Peters. Les employés ne sont pas autorisés à quitter leur poste sur la chaîne de tri quand bon leur semble. Par souci d’équité envers M. Gordon, le Tribunal précise que Mme Peters, dont la mémoire des dates n’était pas toujours exacte ou précise, n’a pas témoigné s’être cachée de M. Gordon au travail après que celui-ci lui eut laissé les messages qui ont été enregistrés. Le Tribunal conclut néanmoins que Mme Peters s’est bel et bien cachée de M. Gordon à plusieurs reprises dans le secteur du lavage des véhicules. Mme Peters a également témoigné qu’elle quittait le travail aussitôt qu’elle le pouvait à la fin de son quart sur la chaîne de tri afin d’éviter M. Gordon. Le fait que M. Gordon n’ait pas trouvé Mme Peters au travail le 2 décembre 2014 donne à penser que Mme Peters a réussi à éviter M. Gordon après avoir reçu de nombreux messages de sa part. Le fait que M. Gordon n’ait pas trouvé Mme Peters amène le Tribunal à conclure que Mme Peters a préféré risquer de se voir imposer des mesures disciplinaires pour avoir quitté son poste sur la chaîne de tri que de faire face à M. Gordon et/ou qu’elle est partie immédiatement après la fin de son quart de travail afin d’éviter une rencontre avec M. Gordon. Le comportement adopté par Mme Peters s’apparente à une technique d’évitement qui, de l’avis du Tribunal, semble avoir été motivée par un comportement persistant de la part de M. Gordon.

[208] Comme il a été mentionné, Mme Peters a témoigné qu’elle pensait bien que M. Gordon avait appelé chez Costco pour connaître son horaire, car d’autres employés de Costco lui avaient dit qu’un homme avait appelé et posé des questions sur son horaire. Aucun élément de preuve concernant le moment où cet appel a eu lieu n’a été présenté. Étant donné que Mme Peters n’avait pas entendu la voix de l’appelant, sa croyance selon laquelle M. Gordon était la personne qui avait appelé chez Costco pour obtenir des renseignements sur son horaire avait initialement l’apparence d’une pure supposition. Apparemment, Mme Peters ne se souvenait pas que M. Gordon avait fait allusion à Costco dans l’un de ses messages vocaux du 1er décembre 2014, car elle n’a pas mentionné cette information lors de son témoignage. Le message vocal en question confirme que M. Gordon était au courant de l’horaire de Mme Peters chez Costco.

[209] La question de savoir si M. Gordon a appelé chez Costco pour connaître l’horaire de Mme Peters est très importante. S’il l’a fait, il s’agit d’une intrusion dans sa vie privée en dehors de son travail chez UPS. Il s’agit d’un comportement de traque. Ce comportement a certainement alerté la personne qui a pris l’appel chez Costco parce que celle-ci l’a signalé à Mme Peters, même si l’appelant n’avait laissé aucun message.

[210] M. Gordon et Mme Peters n’entretenaient pas, en date du 1er décembre 2014, le genre de relation qui aurait porté Mme Peters à informer M. Gordon de son autre horaire de travail. Lors de son témoignage, M. Gordon n’a pas reconnu avoir mentionné Costco dans un des messages vocaux qu’il a laissés à Mme Peters ce jour-là, bien qu’on l’ait été accusé d’avoir appelé chez Costco pour connaître son horaire. Il n’a fourni aucun élément de preuve indiquant qu’il en serait venu à connaître l’horaire de Mme Peters par l’intermédiaire d’une autre source d’information. Le Tribunal conclut que M. Gordon a fort probablement appelé chez Costco pour obtenir de l’information sur l’horaire de Mme Peters et qu’il l’a fait le 1er décembre 2014.

[211] Le fait que M. Gordon, à titre de superviseur, ait appelé chez Costco constitue une intrusion dans la vie privée de Mme Peters. Connaissant désormais l’horaire de Mme Peters, M. Gordon a signifié à cette dernière, dans un des messages vocaux qu’il lui a laissés, qu’il savait qu’elle n’était pas en train de travailler chez Costco et qu’en principe, elle était disponible pour faire une sortie avec lui. Il s’agissait d’une tentative de la part de M. Gordon d’exercer sur une subordonnée de sexe féminin une autorité en dehors du travail pour des motifs d’ordre sexuel.

[212] Comme mentionné précédemment, Mme Peters a également témoigné avoir reçu des textos harcelants de la part de M. Gordon. Mme Peters a déclaré avoir montré certains de ces textos à des témoins, dont son amie, Mme Jeffers, son médecin et Mme Thompson, environ à l’époque où elle a déposé sa plainte. Mme Jeffers a confirmé que Mme Peters lui avait montré des textos de M. Gordon qui l’avaient troublée. Le Dr MacDonald a dit ne pas se souvenir d’avoir lu des textos, mais a déclaré se rappeler avoir eu des discussions avec Mme Peters lors desquelles celle-ci a allégué être victime de harcèlement sexuel au travail. Mme Thompson n’a pas témoigné avoir vu des textos de M. Gordon, mais elle a confirmé que Mme Peters lui avait fait écouter ses messages vocaux.

[213] Le Tribunal n’examinera pas en détail la preuve relative aux textos que M. Gordon aurait envoyés à Mme Peters, car il a été allégué que les éléments de preuve concernant leur fréquence et leur contenu étaient, de façon similaire, représentatifs des efforts déployés par M. Gordon pour entrer en relation avec Mme Peters. Les textos n’ont pas été conservés comme éléments de preuve, car ils ont été perdus lorsque le téléphone précédent de Mme Peters a, semble-t-il, été détruit. Cependant, l’existence de textos a été corroborée par le témoignage de Mme Jeffers. Le Tribunal conclut qu’il est plus probable qu’improbable que M. Gordon, non seulement téléphonait à Mme Peters, mais lui envoyait aussi des textos.

[214] Compte tenu de la nature du comportement de M. Gordon dans les cas qui ont pu être corroborés, il est plus probable qu’improbable que M. Gordon ait eu, à l’égard de Mme Peters, une conduite de nature sexuelle non sollicitée et persistante. Il semble que cette conduite se soit intensifiée après que M. Gordon fut devenu son superviseur. Il est également plus probable qu’improbable que M. Gordon ait adopté certains comportements que Mme Peters a raisonnablement perçus comme des comportements de traque, notamment le fait d’appeler chez Costco et de chercher Mme Peters au travail de façon répétée.

K. Nécessité soulevée d’exercer une supervision étroite et incident d’attouchement

(i) L’attouchement reproché

[215] Lorsqu’elle travaillait sur la chaîne de tri, Mme Peters utilisait un lecteur de code-barres portatif pour faire le suivi des numéros. Comme indiqué précédemment, le travail sur la chaîne de tri se déroulait à un rythme rapide. Toutes les heures, elle devait trier un grand nombre de colis selon le code postal.

[216] Mme Peters a expliqué qu’une fois un employé formé, il n’est pas nécessaire qu’un superviseur le [traduction] « surveille sans arrêt ». Mme Peters s’est plainte que M. Gordon était souvent envahissant, c’est-à-dire qu’il se tenait trop près d’elle dans son espace de travail.

[217] Mme Peters a dit que, à une occasion, M. Gordon lui a touché les fesses alors qu’elle se penchait pour ramasser un colis. Elle affirme que cet attouchement l’a fait sursauter au point où elle s’est blessée à un doigt. Elle a témoigné que M. Gordon s’était excusé et avait dit qu’il s’agissait d’un accident. Elle a affirmé que, puisqu’un superviseur n’a pas besoin de se tenir à proximité immédiate des employés, ce genre d’attouchement accidentel ne devrait pas se produire. Elle a déclaré que c’est la raison pour laquelle elle a dit [traduction] « au gestionnaire », c’est-à-dire M. Ghanem, que M. Gordon n’avait pas besoin de se tenir si proche d’elle.

[218] Mme Peters a témoigné que cet incident l’avait vraiment troublée. Elle a dit qu’elle savait que l’explication de M. Gordon était un mensonge parce qu’il n’y avait aucune raison qu’il se tienne aussi près d’elle dans son espace de travail. Elle a ajouté que, lorsque M. Gordon s’est excusé, il a dit qu’elle avait un [traduction] « gros derrière » et il a ri.

[219] M. Gordon a témoigné n’avoir rien fait d’autre que superviser Mme Peters sur la chaîne de tri. Il a nié avoir déjà touché les fesses de Mme Peters. Il a nié avoir fait un commentaire sur la grosseur de ses fesses et avoir ri. Il a déclaré qu’il n’était ni drôle ni acceptable pour quiconque de toucher les fesses d’une personne en milieu de travail.

[220] M. Gordon a immédiatement ajouté que de nombreuses caméras étaient présentes sur le lieu de travail afin de prévenir les vols. Il a témoigné que Mme Peters savait pertinemment qu’il y avait des caméras et qu’elle n’était ni timide ni pudique. Selon lui, Mme Peters aurait tout fait pour obtenir la preuve captée par ces caméras si l’incident avait véritablement eu lieu. Il a également indiqué que trois autres employés travaillaient sur la chaîne de tri et que ceux-ci auraient pu être convoqués comme témoins. En contre-interrogatoire, il a précisé que, d’ordinaire, deux ou trois personnes travaillaient sur cette chaîne de tri, et parfois une seule. Quoi qu’il en soit, M. Gordon était d’avis que, si l’incident s’était vraiment produit, Mme Peters aurait dû avoir des éléments de preuve corroborants à présenter au Tribunal, comme des enregistrements vidéo ou des témoignages.

(ii) La nécessité d’exercer une supervision physique étroite

[221] Le Tribunal a examiné les éléments de preuve présentés relativement à la supervision dont Mme Peters aurait eu besoin, et à la nature et à l’étendue de la supervision qui était requise sur la chaîne de tri. Cet examen visait à permettre au Tribunal de mieux évaluer le témoignage de M. Gordon selon lequel il devait se tenir à proximité immédiate de Mme Peters pour la superviser, mais n’a pas touché ses fesses.

a) Témoignage de M. Gordon concernant la nécessité d’exercer une supervision

[222] Le secteur du tri comprenait plusieurs chaînes de tri. En interrogatoire principal, M. Gordon a déclaré qu’il avait entrepris de former Mme Peters sur la chaîne de tri numéro 1 lorsque celle-ci a commencé à travailler au sein de ce service en novembre 2014. Il a également dit avoir transféré Mme Peters sur la chaîne de tri numéro 4 le lendemain soir parce que cette chaîne était surchargée et que l’aide de Mme Peters y était requise. Il a décrit la chaîne de tri numéro 4 comme une chaîne où défilait un grand nombre de lourds colis.

[223] M. Gordon a témoigné que, vers la mi-décembre, il a questionné un autre employé qui était sous sa supervision au sujet de son rendement insuffisant. M. Gordon a affirmé que cet employé lui avait dit qu’il n’atteignait pas les objectifs de production parce que [traduction] « la nouvelle fille ne faisait pas sa part ». Le témoignage de Gordon et les mesures qu’il a prises à l’époque indiquent qu’il a d’emblée accepté cette allégation comme étant exacte et fondée. M. Gordon a également mentionné que [traduction] « les gars disaient qu’elle leur demandait de soulever les colis les plus lourds ». M. Gordon en a conclu que Mme Peters avait besoin d’une formation supplémentaire et d’une supervision plus étroite. M. Gordon n’a pas expliqué pourquoi il avait accepté d’emblée l’accusation formulée par l’autre employé et n’a pas laissé entendre qu’il avait envisagé qu’il pouvait y avoir une autre explication à cette allégation.

[224] La quasi-totalité des quelque 3 000 employés qui travaillaient au Centre opérationnel de Toronto était des hommes. Mme Thompson a témoigné qu’il y avait de 5 à 10 employées de sexe féminin au moment de ces événements. Tous les employés qui travaillaient sur la chaîne de tri avec Mme Peters étaient des hommes. Lorsqu’il a témoigné au sujet de l’allégation formulée par le collègue de Mme Peters, M. Gordon n’a pas hésité à reprendre l’expression qui avait été utilisée pour qualifier Mme Peters, soit [traduction] « la nouvelle fille », malgré le fait que Mme Peters soit une femme mature et qu’elle n’était pas une nouvelle employée d’UPS, seulement nouvellement affectée à la chaîne de tri. L’emploi de l’expression [traduction] « la nouvelle fille » sous-entendait que Mme Peters n’était pas une bonne coéquipière. Cependant, lorsqu’il a été contre-interrogé à ce sujet, M. Gordon a modifié sa description. Il a indiqué que le collègue de Mme Peters avait parlé d’une [traduction] « jeune femme ne faisant pas sa part ». Il semble que M. Gordon ait pris conscience, alors qu’il témoignait pour la deuxième fois sur ce qu’avait dit cet employé, que le fait de décrire Mme Peters comme « une fille » alors qu’elle est une femme mature pourrait ne pas être bien reçu. Il a modifié son choix de mots afin de rendre sa description plus respectueuse. Alors qu’on l’interrogeait sur les propos tenus par une autre personne, M. Gordon a modifié la teneur de son témoignage; rien n’indique qu’il se soit offusqué que Mme Peters soit qualifiée de [traduction] « nouvelle fille » au moment où cette expression a été utilisée. Ce fait n’a en rien amélioré l’image de sa crédibilité.

[225] M. Gordon a également affirmé de façon générale que la cadence de production de Mme Peters était faible, sans renvoyer à une période en particulier. Aucun élément de preuve documentaire n’a été présenté pour corroborer l’affirmation de M. Gordon selon laquelle le rendement de Mme Peters était systématiquement insuffisant à la mi-décembre ou à d’autres périodes. M. Gordon n’a pas indiqué avoir discuté avec le superviseur à temps plein, M. Ghanem, du fait que des mesures de gestion du rendement devaient être prises à l’égard de Mme Peters. Mme Peters n’a pas reçu d’évaluation de rendement négative. Elle n’a pas non plus eu à suivre un plan d’amélioration du rendement et n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires en raison d’un rendement insuffisant.

[226] M. Gordon a témoigné qu’il s’était entretenu avec Mme Peters au sujet de sa cadence de production avant les vacances de décembre. Il a indiqué lui avoir dit qu’il lui montrerait des choses qu’elle pouvait faire pour accélérer sa cadence et scanner plus rapidement un plus grand nombre de colis. Il n’a pas indiqué que cette formation supplémentaire s’étendrait sur une longue période. Or, comme il est expliqué ci-dessous, il semble que cette formation se soit poursuivie sans fin.

[227] Après les vacances de décembre, le volume de colis est demeuré élevé. M. Gordon a témoigné [traduction] « [qu’]ils » voulaient que Mme Peters soit affectée à une autre chaîne de tri. Il a dit s’y être opposé et avoir donné l’assurance qu’elle s’améliorerait rapidement. M. Gordon a modifié son explication concernant la raison pour laquelle une supervision étroite était nécessaire, invoquant d’abord une plainte d’un employé pour ensuite laisser entendre que les collègues de Mme Peters avec lesquels celle-ci travaillait sur la chaîne de tri s’entendaient tous pour dire qu’elle n’était pas une bonne employée. Un tel consensus vise une situation bien différente de celle où un employé se plaignait que Mme Peters avait du mal à suivre. Il s’agit là d’employés de sexe masculin qui se plaignaient qu’elle leur demandait de l’aider à soulever les colis les plus lourds.

[228] M. Gordon a déclaré avoir [traduction] « continué de passer du temps avec elle pour la surveiller » au retour des vacances. En faisant cette déclaration, il a confirmé qu’il avait commencé à exercer une surveillance en décembre et que celle-ci s’était poursuivie en janvier.

[229] Au départ, plusieurs détails importants – comme les noms des employés qui s’étaient plaints du rendement de Mme Peters au travail – étaient absents du témoignage de M. Gordon concernant les raisons pour lesquelles il avait exercé une supervision continue sur Mme Peters à la chaîne de tri. Il a fallu insister auprès de M. Gordon pour qu’il fournisse une explication quant à la nature des problèmes allégués et aux raisons pour lesquelles une supervision étroite était nécessaire.

[230] M. Gordon a évoqué des préoccupations liées à la sécurité en réponse aux questions subséquentes qui lui ont été posées. Il n’a toutefois pas donné d’exemples précis. De même, lorsqu’il a pour la première fois expliqué, en interrogatoire principal, les raisons pour lesquelles une surveillance et une formation supplémentaire étaient requises, il n’a pas mentionné que la sécurité était une préoccupation. Il appert au Tribunal que M. Gordon a ajouté des raisons lorsqu’il a été contraint de fournir une explication plus détaillée.

[231] M. Gordon a également témoigné en contre-interrogatoire que Mme Peters avait commis une erreur. Il arrive que les employés fassent des erreurs. En dehors du témoignage de M. Gordon, il n’y avait cependant aucun élément de preuve indiquant que Mme Peters avait l’habitude de mal faire son travail.

[232] À l’inverse, M. Gordon a également témoigné qu’il n’avait pas [traduction] « fait grand cas » du fait que Mme Peters était souvent absente du travail. Ce n’est pas la réaction à laquelle on s’attendrait de la part d’un superviseur fortement préoccupé par le faible taux de production d’un employé.

[233] Comme il a été mentionné, rien n’indique que M. Gordon avait établi un plan officiel de gestion du rendement ou qu’il avait entrepris d’imposer des mesures disciplinaires progressives à Mme Peters, qui auraient pu confirmer la nécessité qu’il exerce à son égard une supervision étroite et continue pendant une période prolongée. Son explication n’était pas suffisamment détaillée et manquait de clarté. Elle n’a pas convaincu le Tribunal.

[234] M. Gordon a reconnu que Mme Lawes-Newell lui avait un jour dit qu’il devrait traiter Mme Peters comme n’importe quel autre manutentionnaire travaillant sur la chaîne de tri. Il a prétendu ne pas avoir compris ce qu’elle voulait dire. En fait, cette situation donne à penser que Mme Lawes-Newell avait, à tout le moins, l’impression que Mme Peters était supervisée différemment de ses collègues sur la chaîne de tri.

[235] M. Gordon a reconnu que la supervision qu’il exerçait sur Mme Peters impliquait qu’ils travaillent à proximité immédiate l’un de l’autre sur la chaîne de tri. M. Gordon a précisé qu’ils se tenaient tous les deux dans un passage étroit le long de la chaîne de tri. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il arrivait parfois que l’espace les séparant corresponde à l’espace occupé par une seule personne. Il a reconnu qu’ils se trouvaient [traduction] « si près l'un de l'autre [qu'ils pouvaient] se toucher ». Il a cependant nié qu’il [traduction] « ne la lâchait pas d’une semelle ». En contre-interrogatoire, M. Gordon a expliqué que pour enseigner aux gens, il faut se tenir près d’eux. Il a laissé entendre qu’en raison de considérations liées à la confidentialité, il ne pouvait pas commenter le travail d’une personne lorsque d’autres employés se trouvaient à proximité. Des descriptions de la zone et des photographies produites en preuve indiquent qu’en temps normal, aucun autre manutentionnaire ne se serait trouvé à proximité.

[236] Mme Peters a cessé d’être activement à l’emploi d’UPS le 3 février 2015. M. Gordon n’a pas indiqué que la surveillance qu’il exerçait sur Mme Peters et la formation qu’il lui donnait de façon continue avaient pris fin avant que celle-ci ne commence son congé de maladie.

b) Analyse de la nécessité alléguée d’exercer une supervision physique étroite

[237] À la lumière de ces éléments de preuve, le Tribunal conclut que M. Gordon a exercé une supervision directe et régulière sur le travail de Mme Peters les jours où celle-ci était au travail pendant la période allant de la mi-décembre au début de son arrêt de travail le 3 février. Par souci de clarté, le Tribunal précise que personne n’a prétendu que M. Gordon se postait à côté de Mme Peters à tous les quarts de travail qu’elle effectuait et qu’il lui donnait une formation en continu, mais son témoignage indique qu’il a exercé à son égard une surveillance étroite de la mi-décembre à la fin janvier environ.

[238] Aucune mesure corrective visant à améliorer le rendement de Mme Peters n’a été documentée dans le cadre de la supervision et de la surveillance exercées par M. Gordon ou de la formation qu’il a donnée. Comme il a été mentionné, rien n’indique que M. Gordon ait établi un contact avec son supérieur, M. Ghanem, pour discuter de problèmes concernant le rendement de Mme Peters, lui faire un compte rendu de la situation, élaborer un plan d’action ou prendre quelque mesure que ce soit. UPS, elle, a pris des mesures, par l’entremise de M. Ghanem, relativement à l’absentéisme de Mme Peters et à son défaut d’aviser son employeur de ses absences. Elle a consigné des renseignements et a adressé une lettre de réprimande à Mme Peters en janvier 2015. Cependant, UPS n’a pris aucune mesure documentée pour remédier aux problèmes de rendement de Mme Peters, qui selon M. Gordon étaient importants. Le fait qu’il n’existe aucun élément de preuve confirmant la participation de M. Ghanem à la résolution des problèmes de rendement allégués – alors que celui-ci est intervenu dans le cas des problèmes d’absentéisme, conjugué à l’absence de documents concernant l’intervention de M. Gordon à l’égard des problèmes de rendement allégués, donne à penser que M. Gordon a exercé une supervision sur Mme Peters sans avoir à en rendre compte à M. Ghanem. Il n’y a aucune preuve convaincante que M. Ghanem avait connaissance de ce qui arrivait à Mme Peters à cet égard. Il a témoigné que personne ne s’était jamais plaint de son rendement.

[239] Compte tenu de ces circonstances, il semble très peu probable que le rendement de Mme Peters ait été insuffisant au point de justifier une supervision qui comprenait des instructions données à proximité immédiate par son superviseur pendant une aussi longue période. Le Tribunal admet que le volume de colis scannés par Mme Peters peut avoir été inférieur à celui des autres employés. Or, comme il a été mentionné, il n’existe aucun élément de preuve documentaire confirmant que Mme Peters avait des problèmes de rendement ou qu’elle accomplissait son travail sur la chaîne de tri de façon non sécuritaire.

[240] Il est difficile de concevoir, à la lumière de la preuve produite, comment les problèmes allégués liés au rendement de Mme Peters ont pu se traduire par la nécessité pour cette dernière de recevoir de la part de M. Gordon ce qui a toutes les apparences d’une formation individuelle d’une ampleur et d’une durée exceptionnelles. Le travail de Mme Peters consistait à utiliser un lecteur de code-barres pour scanner des numéros et trier des colis de façon appropriée. Il s’agissait d’un travail très répétitif. Ce rôle ne semble pas assez complexe pour justifier une surveillance ou une formation de la nature et de l’ampleur décrites par M. Gordon.

[241] Fait notable, lorsqu’elle est entrée en fonctions en novembre 2014, Mme Peters a été affectée à une chaîne de tri fort occupée par M. Gordon après seulement un quart de travail. Si le problème tenait au fait qu’elle ne savait pas comment effectuer correctement les tâches qu’elle devait accomplir sur la chaîne de tri et qu’elle avait besoin d’une formation supplémentaire, on comprend mal pourquoi M. Gordon l’aurait transférée sur une chaîne aussi occupée et l’aurait laissée là. Le Tribunal infère que, si elle a été transférée sur la chaîne de tri numéro 4, c’est plutôt parce qu’elle a rapidement affiché un niveau de compétence satisfaisant et démontré qu’elle était en mesure de travailler de façon sécuritaire.

[242] Il est entendu que la preuve présentée au sujet du rendement de Mme Peters n’est pas directement liée à la question de savoir si M. Gordon a touché ses fesses accidentellement ou autrement alors qu’il exerçait une surveillance étroite sur son travail à la chaîne de tri numéro 4. Si le Tribunal a évalué l’explication qu’a donnée M. Gordon pour justifier la supervision étroite qu’il a exercée à l’égard de Mme Peters, c’est parce qu’il doit évaluer la crédibilité et la fiabilité de l’affirmation de M. Gordon selon laquelle l’incident d’attouchement reproché n’a jamais eu lieu. Comme il n’y a ni témoin oculaire ni preuve vidéo, les versions des événements de Mme Peters et de M. Gordon sont toutes deux en cause.

[243] Le Tribunal a examiné attentivement la question de savoir si Mme Peters pouvait avoir inventé l’incident d’attouchement et le commentaire de M. Gordon au sujet de ses fesses dans le but de causer des ennuis à M. Gordon, que ce soit ou non dans le cadre d’un plan visant à obtenir une indemnité de la part d’UPS. Le Tribunal doit déterminer ce qui est plus susceptible de s’être produit selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des circonstances pertinentes.

[244] Le Tribunal a également tenu compte de l’affirmation de M. Gordon selon laquelle Mme Peters aurait pu obtenir les enregistrements de vidéosurveillance ou présenter des témoins pour corroborer son témoignage, si l’incident s’était réellement produit. M. Gordon avait en sa possession une copie d’une requête écrite relative aux droits de la personne déposée auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, qui présentait en détail la plainte logée par Mme Peters à la mi-mars 2015, dans laquelle il était personnellement nommé à titre d’intimé. M. Gordon savait également que des caméras vidéo étaient présentes. Rien n’indique qu’il ait lui-même tenté de récupérer des éléments de preuve afin de corroborer sa version des faits. Il n’a pas demandé à la direction de veiller à ce que les séquences vidéo pertinentes soient conservées, et n’a pas expliqué pourquoi il ne l’a pas fait. Autre exemple : à titre de superviseur, il aurait dû être en mesure d’obtenir une copie de l’horaire de travail du mois de janvier afin de savoir qui travaillait sur la chaîne de tri au moment pertinent et qui aurait pu, éventuellement, comparaître comme témoin. Rien n’indique non plus que M. Gordon se soit adressé à UPS lorsqu’il a reçu la plainte afin de donner sa version des faits. Il s’est abstenu de faire quoi que ce soit jusqu’à ce qu’UPS l’interroge dans le cadre de son enquête. L’affirmation de M. Gordon selon laquelle Mme Peters n’a rien fait à l’époque pour corroborer son témoignage semble donc s’appliquer à lui aussi.

[245] Quoi qu’il en soit, il serait inapproprié de conclure que Mme Peters ou M. Gordon, qui sont des profanes, ont fait le choix délibéré de ne pas recueillir de possibles éléments de preuve. De même, il ne serait pas approprié que le Tribunal conclue que Mme Peters a inventé l’allégation selon laquelle M. Gordon a touché ses fesses parce qu’elle n’avait pas pu obtenir d’éléments de preuve corroborants.

[246] Le Tribunal n’accepte pas l’explication qu’a donnée M. Gordon pour justifier sa présence à proximité immédiate de Mme Peters pendant une période prolongée. Des employés qui travaillent dans un espace relativement clos doivent se laisser suffisamment d’espace les uns les autres pour bouger, se tourner, se pencher, etc., et ne pas gêner l’utilisation d’un lecteur de code-barres ou le mouvement des colis sur la chaîne de tri. Il semble déraisonnable et inutile qu’un superviseur se tienne par moments si près d’un autre employé que [traduction] « l’espace les séparant correspondait à l’espace occupé par une seule personne ». Dans un espace clos, où un employé doit utiliser un lecteur de code-barres et déplacer des boîtes pour faire son travail, il aurait été presque inévitable que des contacts physiques se produisent si M. Gordon se tenait à côté de Mme Peters.

[247] Pour justifier cette proximité physique, M. Gordon a invoqué la nécessité de préserver la confidentialité des renseignements échangés avec l’employé pendant la supervision. Dans la mesure où M. Gordon s’employait effectivement à former Mme Peters de façon appropriée, ce besoin de préserver la confidentialité semble exagéré. En outre, s’il avait voulu, il aurait pu lui parler en privé à distance de la chaîne de tri ou ailleurs dans le bâtiment.

[248] M. Gordon a fait des propositions à Mme Peters lors d’un souper malgré que celle-ci n’ait pas manifesté d’intérêt à son égard. Il a harcelé Mme Peters par téléphone et s’est mis en colère lorsqu’il a compris qu’elle ne voulait pas le voir en dehors du travail. Compte tenu de la preuve de ce qui s’est passé lors de ce souper et du contenu des messages vocaux, il est probable que la relation entre eux était tendue. Il aurait été raisonnable que Mme Peters se sente prise au piège par le fait que M. Gordon se tenait si près d’elle sur la chaîne de tri qu’il pouvait la toucher. Il était raisonnable pour Mme Peters de dire que M. Gordon [traduction] « ne la lâchait pas d’une semelle ». M. Gordon aurait dû savoir que cette proximité était importune. Compte tenu des faits de la présente affaire, il semble très probable que la supervision continue, personnelle et probablement injustifiée que M. Gordon exerçait sur Mme Peters à proximité physique immédiate de cette dernière était une forme de harcèlement sexuel.

[249] Il semble également que le harcèlement subi par Mme Peters ait pris une tournure de plus en plus négative. Mme Peters affirme que M. Gordon est devenu très critique à son égard. Elle attribue les critiques constantes de M. Gordon au fait que celui-ci était contrarié qu’elle l’ait rejeté.

[250] En contre-interrogatoire, M. Gordon a dit qu’il n’avait pas réprimandé Mme Peters au sujet de son travail. Il a formulé des critiques objectives. Il a déclaré qu’il agissait ainsi avec tous les employés qui [traduction] « n’appliquaient pas des méthodes de travail sécuritaires ». Comme il a été mentionné, l’explication selon laquelle Mme Peters n’accomplissait pas son travail de façon sécuritaire n’est pas la première raison invoquée par M. Gordon. Le fait qu’il n’ait invoqué cette raison qu’ultérieurement amène le Tribunal à conclure que son explication n’est pas crédible. Il est plus probable qu’improbable que ses critiques à l’endroit de Mme Peters n’aient pas été objectives. Compte de l’ensemble des circonstances, il semble que M. Gordon soit devenu très critique envers Mme Peters parce qu’il était vexé qu’elle n’ait pas voulu entamer une relation avec lui. Le Tribunal conclut que les critiques constantes de M. Gordon au sujet du rendement de Mme Peters étaient un aspect du harcèlement sexuel qui s’est produit dans la présente affaire.

(iii) Analyse relative à l’incident d’attouchement reproché

[251] Cette situation amène le Tribunal à examiner la question de savoir si M. Gordon a touché les fesses de Mme Peters. Il n’existe pas de preuve corroborante directe. Cette question ne peut donc être tranchée qu’en fonction de la crédibilité, de la fiabilité et de la prépondérance de la preuve dans son ensemble. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve pertinents, le Tribunal est d’avis que la version des événements qu’a donnée Mme Peters dans le cadre de son témoignage est plus probable que la version présentée par M. Gordon.

[252] Le témoignage de M. Gordon a semblé motivé par l’intérêt personnel, comme l’illustrent certains des exemples présentés ci-dessus, dont le fait qu’il a modifié des détails au fil de son témoignage. Ces exemples s’ajoutent aux incohérences plus apparentes que comporte le témoignage de M. Gordon. Le Tribunal fait référence ici à l’affirmation de M. Gordon selon laquelle Mme Peters et lui ont entretenu une amitié jusqu’au moment où celle-ci a apparemment disparu du travail le 3 février 2015, sans qu’il ait la moindre idée de ce qui lui était arrivé. La supervision oppressive qu’il a exercée à son égard est également incompatible avec cette prétendue amitié. Le témoignage de M. Gordon au sujet de sa relation avec Mme Peters manque de crédibilité à plusieurs égards clés, ce qui amène le Tribunal à conclure que son récit des événements ne devrait pas être accepté. Dans toutes les circonstances, le Tribunal ne croit pas M. Gordon lorsqu’il affirme ne pas avoir touché les fesses de Mme Peters.

[253] Le Tribunal conclut que l’attouchement n’était vraisemblablement pas un accident. Le Tribunal estime raisonnable de penser que si l’attouchement s’était produit par accident, M. Gordon aurait admis, à l’audience, avoir touché les fesses de Mme Peters et aurait ensuite expliqué qu’il s’agissait d’un accident.

[254] Par conséquent, le Tribunal conclut que M. Gordon a touché les fesses de Mme Peters alors qu’il la supervisait. De plus, le Tribunal ajoute foi au témoignage de Mme Peters selon lequel, à l’époque, M. Gordon a déclaré qu’il ne l’avait pas fait exprès, a présenté ses excuses, puis a attribué cet attouchement à la grosseur du derrière de Mme Peters. Le Tribunal conclut que M. Gordon s’est livré à du harcèlement sexuel en touchant les fesses de Mme Peters et en faisant ce commentaire au sujet de ses fesses.

L. Allégation d’agression dans le stationnement

(i) Aperçu de l’allégation

[255] Là encore, Mme Peters a affirmé ne pas se souvenir de la date ou de l’heure de la présumée agression commise par M. Gordon. Elle a témoigné avoir tout fait pour oublier ces événements. Si c’est bien là l’attitude – par ailleurs compréhensible – qu’elle a adoptée, elle a, ce faisant, complexifié le traitement des questions relatives à cette allégation par le Tribunal et l’ensemble des parties.

[256] En interrogatoire principal, Mme Peters a témoigné que, à la fin de son quart de travail, elle s’est rendue à sa voiture dans le stationnement dans le but de rentrer chez elle. Elle a affirmé que, normalement, à titre de superviseur, M. Gordon ne quittait pas le travail en même temps qu’elle. Or, ce soir-là, selon son témoignage, M. Gordon a franchi la sécurité en même temps qu’elle et d’autres employés. Elle dit que sa voiture se trouvait dans un coin sombre du stationnement et qu’elle était seule. Mme Peters affirme que M. Gordon est entré par la portière et qu’il a tenté de l’embrasser. Elle a témoigné qu’elle lui a dit d’arrêter et qu’il lui a répondu [traduction] « Allez, pourquoi est-ce que je ne te plais pas? » Elle prétend qu’elle essayait alors de fermer la portière. Elle dit avoir réussi à le repousser et à fermer la portière, puis avoir démarré en trombe, paniquée. Elle affirme ne pas avoir signalé l’incident à la police, ce qu’elle dit regretter, et s’être rendue directement chez elle pour retrouver ses enfants. Mme Peters a précisé qu’au moment de l’incident, elle parlait à son amie, Petra Jeffers, sur son téléphone cellulaire.

[257] Si le Tribunal ajoute foi au témoignage de Mme Peters, celui-ci sera suffisant pour que le Tribunal conclue que M. Gordon a sexuellement agressé Mme Peters. Le fait qu’elle ait dû le repousser indique que M. Gordon a fait usage de la force. Embrasser quelqu’un contre son gré constitue une agression.

[258] Il n’y avait aucun témoin oculaire. Mme Jeffers, qui a été citée comme première témoin, a déclaré qu’elle était au téléphone avec Mme Peters lorsque l’incident s’est produit. Elle a témoigné de ce qu’elle allègue avoir entendu alors qu’elle était au téléphone et des discussions qu’elle a eues par la suite avec Mme Peters au sujet de l’agression reprochée.

[259] Mme Peters a déclaré qu’en plus d’en avoir parlé à Mme Jeffers, elle a par la suite signalé l’incident à des membres de sa famille ainsi qu’à sa collègue, Mme Lawes-Newell. Elle en a informé son médecin, le Dr MacDonald. Elle dit en avoir, plus tard, également informé sa déléguée syndicale, Mme Thompson. Rien n’indique que Mme Peters ait signalé l’incident à la direction d’UPS. Mme Peters n’a pas laissé entendre qu’elle l’avait fait.

[260] Le Dr MacDonald a témoigné et a fourni le dossier médical de Mme Peters. Celui-ci contenait des renseignements en rapport avec l’incident. La preuve présentée par le Dr MacDonald confirme que celui-ci a été informé de l’incident à l’époque. Mme Thompson a dit se souvenir d’avoir été informée de l’agression, probablement après la rencontre du 15 janvier 2015. Au cours de son témoignage, Mme Lawes-Newell n’a pas été interrogée à savoir si Mme Peters s’était confiée à elle au sujet de l’agression reprochée.

(ii) Témoignage et observations de M. Gordon

[261] M. Gordon nie qu’un incident soit survenu dans le stationnement. Il a soutenu que la preuve démontrait que l’incident ne s’était pas produit et qu’il n’aurait pas pu se produire. Le Tribunal a également tenu compte de l’allégation générale de M. Gordon selon laquelle il aurait été utilisé par Mme Peters, qui aurait monté un coup contre lui dans le but de contraindre UPS à lui verser une indemnité ou en guise de représailles contre UPS.

[262] D’après le témoignage qu’il a présenté, M. Gordon ne quittait habituellement pas le travail en même temps que Mme Peters. En tant que superviseur, il devait rester sur place jusqu’à la fin du quart de travail. Il restait habituellement jusqu’à 4 h, parfois 5 h du matin. Il a insisté sur le fait que Mme Peters partait habituellement plus tôt que lui, vers 3 h 30 du matin.

[263] M. Gordon a également témoigné que, lorsqu’il se rendait au stationnement, il était accompagné de plusieurs employés, c’est-à-dire les employés dont il assurait le transport aller-retour au travail. Comme indiqué précédemment, M. Gordon a cité ces employés comme témoins. Ils ont confirmé qu’ils se rendaient au travail et en revenaient avec M. Gordon et qu’ils l’attendaient à l’intérieur du bâtiment à la fin de leur quart de travail jusqu’à ce que celui-ci ait terminé et qu’ils puissent tous partir ensemble.

[264] M. Gordon soutient que l’agression ne peut pas s’être produite parce qu’il ne pouvait pas se trouver dans le stationnement lorsque Mme Peters s’est rendue à sa voiture à la fin de son quart de travail. Il affirme également que lorsqu’il se trouvait dans le stationnement, il était accompagné par autres personnes. M. Gordon a également souligné qu’il était généralement pris par son travail et qu’il n’allait pas dehors pendant son quart de travail. En outre, à titre de superviseur, il était responsable de certaines pièces d’équipement qu’il devait rendre à la fin de son quart de travail. Il a laissé entendre qu’il ne pouvait pas se départir de ces pièces d’équipement, qu’elles devaient demeurer en sa possession.

(iii) Analyse de la position de M. Gordon

[265] Le problème que pose la preuve relative à la façon dont les choses se déroulent habituellement tient au fait que ce genre de preuve ne permet pas de tirer de conclusions définitives. En l’espèce, la preuve présentée relativement à la façon dont les choses se déroulaient habituellement n’exclut pas la possibilité que M. Gordon et Mme Peters aient pu finir de travailler en même temps, comme le prétend Mme Peters. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, une telle éventualité aurait pu se produire à l’occasion. Les heures de travail de M. Gordon et de Mme Peters variaient légèrement. Le quart de travail de Mme Peters ne se terminait pas officiellement à 3 h 30 du matin. Il se terminait plus tard, mais elle partait souvent plus tôt. Cependant, il pouvait arriver, à l’occasion, que M. Gordon et Mme Peters finissent de travailler en même temps ou à peu près en même temps.

[266] La preuve concernant la façon dont les choses se déroulaient habituellement n’exclut pas la possibilité que M. Gordon pouvait suivre Mme Peters dans le stationnement s’il le souhaitait. Rien dans la preuve qui a été produite n’indique de façon définitive que M. Gordon ne pouvait absolument pas sortir du bâtiment pour se rendre dans le stationnement extérieur pendant son quart de travail. À titre d’exemple, il aurait pu laisser son équipement en lieu sûr à l’intérieur du bâtiment ou au bureau de la sécurité que les employés devaient traverser chaque fois qu’ils entraient dans le bâtiment ou en sortaient. Si l’agression reprochée a eu lieu, elle n’a pas duré plus de quelques minutes. Étant donné la courte durée de l’événement allégué, il est possible que l’événement et/ou l’absence de M. Gordon à l’intérieur du bâtiment soient passés inaperçus.

[267] Les points soulevés par M. Gordon sont tous des éléments qui influent sur la probabilité que l’agression se soit produite. Le Tribunal convient que ces éléments réduisent cette probabilité. Cependant, ils n’excluent pas la possibilité que l’agression ait eu lieu, contrairement à ce que soutient M. Gordon. L’agression aurait pu se produire si M. Gordon avait quitté le travail à peu près en même temps que Mme Peters et avait momentanément laissé ses collègues à son véhicule ou ailleurs. Elle aurait pu se produire un soir où M. Gordon ne reconduisait pas les autres employés chez eux. Rien n’indique que M. Gordon ait reconduit ces employés chez eux à tous ses quarts de travail. L’agression aurait pu se produire si M. Gordon avait choisi de sortir dans le stationnement pendant quelques minutes lorsque Mme Peters a quitté le travail, puis était ensuite retourné travailler à l’intérieur. La question que soulève la réponse de M. Gordon à l’allégation d’agression est de savoir si la preuve dans son ensemble écarte toute probabilité que l’agression se soit produite.

[268] Comme il a été mentionné précédemment, l’incapacité de Mme Peters à se souvenir du soir exact où l’agression reprochée s’est produite a posé des défis. À titre d’exemple, il n’a pas été possible de confirmer, au moyen des horaires de travail, les heures auxquelles M. Gordon et Mme Peters auraient travaillé pendant le quart de travail pertinent. Or, même si la date du quart de travail pertinent avait pu être confirmée, la possibilité que M. Gordon ait pu sortir du bâtiment en même temps que Mme Peters et se soit approché de sa voiture avant qu’elle ne parte n’en aurait pas été exclue pour autant.

(iv) Défense fondée sur une incohérence entre les témoignages

[269] La défense de M. Gordon était fortement axée sur l’argument voulant qu’il y ait une incohérence importante entre le récit que Mme Peters a fait de l’incident et celui présenté par Mme Jeffers. Il s’appuie sur cette incohérence pour soutenir que l’agression n’a pas eu lieu.

[270] Comme il a été mentionné, Mme Jeffers a témoigné avoir entendu l’agression parce qu’elle était au téléphone avec Mme Peters au moment de l’incident, ce qu’a confirmé Mme Peters. Mme Peters a déclaré que M. Gordon était entré par la portière du conducteur, qu’elle l’avait repoussé et qu’elle avait tiré sur la portière pour la fermer. M. Gordon a souligné que Mme Jeffers n’avait pas mentionné avoir entendu une portière fermer lors de l’altercation qu’elle prétend avoir entendue. M. Gordon affirme que le fait qu’elle n’ait pas entendu une portière fermer constitue une incohérence et que cette incohérence établirait que l’événement ne s’est pas produit. M. Gordon soutient que, compte tenu de cette incohérence, le témoignage de Mme Peters concernant l’agression reprochée devrait être écarté au motif qu’il manque de crédibilité et que le Tribunal devrait ajouter foi à son témoignage selon lequel l’incident n’a pas eu lieu.

(v) Analyse relative à la prétendue incohérence entre les témoignages

[271] M. Gordon souligne à juste titre que Mme Jeffers n’a pas témoigné avoir entendu le claquement d’une portière, alors que Mme Peters a déclaré avoir fermé sa portière. Mme Jeffers a témoigné qu’alors qu’elle était au téléphone, elle a entendu Mme Peters sauter, ce que le Tribunal a interprété comme signifiant que quelque chose avait soudainement « fait sursauter » Mme Peters et qu’elle avait poussé un cri. Mme Jeffers a affirmé avoir ensuite entendu une altercation, Mme Peters crier et Mme Peters et M. Gordon échanger des paroles. En interrogatoire principal, elle a déclaré avoir entendu quelqu’un dire [traduction] « Hé, sexy, tu m’attendais? » Elle a témoigné avoir entendu Mme Peters dire [traduction] « Linden, lâche-moi, arrête, tu ne m’embrasseras pas. » Mme Jeffers a déclaré qu’elle avait alors commencé à hurler dans le téléphone.

[272] M. Gordon a souligné que, si Mme Jeffers avait pu entendre une altercation, elle aurait aussi dû entendre le claquement de la portière que Mme Peters a dit avoir fermé. En fait, Mme Jeffers a indiqué qu’elle croyait que M. Gordon s’était approché de Mme Peters en passant la tête par la fenêtre ouverte de la voiture, ce qui contredit le récit de Mme Peters.

[273] Il semble que M. Gordon ait fait sursauter Mme Peters. Il y a eu une espèce d’altercation entre Mme Peters et M. Gordon au cours de laquelle la communication téléphonique semble avoir été interrompue. Le téléphone a vraisemblablement été échappé ou a été touché, ce qui a eu pour effet de couper la communication. Il est vrai, comme le fait observer M. Gordon, que Mme Jeffers n’a pas déclaré avoir entendu la portière claquer. Si la portière a été fermée avec autant de force que le laisse entendre le témoignage de Mme Peters, on peut penser que Mme Jeffers aurait dû entendre la portière claquer.

[274] Cette situation soulève la question de savoir si Mme Jeffers a entendu l’événement allégué dans son intégralité. Un des faits importants qui est commun au témoignage de Mme Jeffers et à celui de Mme Peters est que la communication téléphonique a été interrompue pendant l’incident. Il s’est écoulé un certain temps avant qu’elles puissent rétablir la communication. Elles ont toutes deux affirmé que, pendant la période où elles n’ont pas été en communication, elles étaient en proie à la panique ou à la peur.

[275] Le Tribunal conclut que Mme Jeffers n’a pas entendu tout ce qui s’est passé dans la voiture parce que la communication téléphonique a été interrompue. Il est tout à fait possible que Mme Peters ait claqué la portière ou que celle-ci se soit autrement refermée après que l’appel eut été interrompu, ce qui expliquerait pourquoi Mme Jeffers ne l’a pas entendue. La possibilité que l’appel ait été interrompu avant que Mme Peters claque la portière concorde avec la déclaration de Mme Jeffers ci-dessus selon laquelle elle a entendu [traduction] « un bruit de froissement, puis la communication a coupé », ce qui donne à penser que Mme Peters n’avait pas encore réussi à repousser M. Gordon et à fermer la portière à ce moment-là.

[276] Pour pouvoir invoquer une incohérence, M. Gordon doit d’abord prouver que cette incohérence existe. Comme il a été expliqué, M. Gordon soutient que le fait que Mme Jeffers n’ait pas mentionné dans son témoignage avoir entendu une portière claquer constitue une incohérence. Pour que ce soit le cas, il aurait fallu que Mme Jeffers entende l’intégralité de l’incident, c’est-à-dire jusqu’à ce que celui-ci prenne fin et que Mme Peters quitte les lieux. Le Tribunal conclut que l’incohérence apparente relevée par M. Gordon n’a pas été établie, car il existe une explication raisonnable et plausible quant à la raison pour laquelle Mme Jeffers n’a pas entendu le claquement d’une portière.

[277] Dans le cadre de l’enquête menée par la Commission, Mme Jeffers a déclaré que M. Gordon avait pénétré à l’intérieur de la voiture par la fenêtre. M. Gordon n’a pas jugé bon de faire valoir que cette déclaration ne concordait pas avec le témoignage de Mme Peters selon lequel il s’était approché d’elle par la portière ouverte, et qu’il s’agissait là d’une autre incohérence donnant à penser que l’événement ne s’était pas produit. Or, le Tribunal a bien relevé cette incohérence et, par souci d’exhaustivité, l’a examinée de plus près.

[278] Dans la déclaration qu’elle a faite à la Commission, Mme Jeffers a indiqué qu’au moment où elle est entrée en communication avec Mme Peters, qui se trouvait dans sa nouvelle voiture, le téléphone de cette dernière était en mode « mains libres » et Mme Peters, qui n’est pas très douée avec la technologie, essayait de connecter l’appel de Mme Jeffers au système audio de sa voiture via Bluetooth. Mme Jeffers a déclaré que M. Gordon avait essayé de passer la tête par la fenêtre pour s’approcher de Mme Peters; elle a déclaré qu’elle n’avait pas entendu de portière s’ouvrir. Voici la déclaration que la Commission a reçue :

[traduction]

Je l’ai entendu dire « je savais que tu m’attendais »... Il a essayé de passer la tête par la fenêtre (je n’ai pas entendu de portière s’ouvrir). Elle a crié. Je l’ai entendue dire « tu ne peux pas m’embrasser ». J’ai entendu un bruit de froissement, puis la communication a coupé. Elle a prononcé son nom. « Lâche-moi, Linden ». J’ai crié « Tesha », mais, bien sûr, elle ne pouvait pas m’entendre. Elle m’a rappelée 5 à 10 minutes après que la communication eut été interrompue. J’avais essayé de la joindre sans arrêt. Je ne savais pas s’il était monté dans la voiture. Elle était complètement affolée.

[279] Mme Jeffers ne pouvait pas voir ce qui se passait. Elle pouvait uniquement entendre les sons qui lui parvenaient par le téléphone. Mme Jeffers n’a pas entendu de portière s’ouvrir, pas plus qu’elle n’a témoigné avoir entendu un son s’apparentant à une fenêtre de voiture qui s’ouvre. Mme Jeffers n’a pas vu comment l’agression reprochée a débuté; elle a seulement entendu la réaction de Mme Peters et les paroles ou le comportement présumés de M. Gordon. Elle n’avait aucun moyen de savoir comment ni à quel moment exactement M. Gordon aurait pénétré à l’intérieur du véhicule. Mme Jeffers a pu supposer que la fenêtre de la voiture de Mme Peters était ouverte et que M. Gordon était entré physiquement en contact avec Mme Peters par la fenêtre du fait qu’elle n’avait pas entendu de portière s’ouvrir ou se fermer lorsqu’elle s’est rendu compte qu’un incident était en train de se produire. Mme Jeffers s’est également souvenue que Mme Peters lui avait dit après l’incident que M. Gordon avait essayé de passer sa tête par la fenêtre pour l’embrasser et qu’il avait tenté d’ouvrir sa portière. Il est peu probable que Mme Peters se soit retrouvée assise dans sa voiture avec la fenêtre ouverte vers la fin du mois de janvier. Il est plus probable que M. Gordon ait ouvert la portière et que le souvenir de Mme Jeffers soit erroné. Quoi qu’il en soit, pour que le Tribunal conclue à l’existence d’une véritable incohérence entre le témoignage de Mme Peters et celui de Mme Jeffers en ce qui concerne la façon dont M. Gordon se serait approché de Mme Peters dans sa voiture, il aurait fallu que Mme Jeffers soit en mesure d’observer quand et comment l’agression a commencé et s’est terminée.

[280] Les différences entre leurs récits respectifs se situent dans l’éventail habituel des divergences que l’on constate lorsque plusieurs personnes ont été témoins d’un même événement perçu comme traumatisant, car chacune l’appréhende d’un point de vue différent. Les différences entre leurs témoignages ne semblent pas être motivées par l’intérêt personnel. De telles incohérences n’aident pas la cause de Mme Peters. Ces différences ne justifient pas toutefois de conclure que l’événement n’a pas eu lieu ou que Mme Peters ou Mme Jeffers ont présenté un récit qui n’était pas fidèle à ce qui s’est produit. Qui plus est, les principaux éléments de la description que Mme Peters a donnée de l’événement ont été corroborés par le témoignage de Mme Jeffers. Le Tribunal n’est pas convaincu que le témoignage de Mme Peters selon lequel elle a été agressée par M. Gordon devrait être rejeté au motif qu’il manque de crédibilité et que le Tribunal devrait considérer comme véridiques les déclarations de M. Gordon et les raisons qui, selon lui, indiquent que l’événement ne s’est pas produit, et leur accorder plus de poids en comparaison.

(vi) Observations d’UPS concernant l’agression reprochée

[281] La question des divergences entre les témoignages présentés relativement à l’agression qu’aurait subie Mme Peters a également été soulevée par UPS. UPS a soutenu que le témoignage de Mme Peters ne concordait pas avec la plainte que celle-ci a déposée à la Commission et que le Tribunal ne devrait pas le considérer comme digne de foi. De même, UPS soutient que le Tribunal ne devrait pas non plus considérer comme dignes de foi les témoignages de Mme Peters et de Mme Jeffers concernant l’agression reprochée compte tenu des différences entre leurs témoignages et les déclarations antérieures qu’elles ont faites devant la Commission dans le cadre de la présente instance. UPS a soutenu qu’il y avait des contradictions entre le témoignage de Mme Jeffers, la déclaration informelle qu’elle a faite pendant l’enquête de la Commission et le récit présenté par Mme Peters.

(vii) Analyse des observations d’UPS

[282] Le Tribunal a examiné attentivement les témoignages de Mme Peters et de Mme Jeffers, ainsi que le formulaire de plainte de Mme Peters, les notes que la Commission a prises lors de l’entrevue qu’elle a menée avec Mme Peters dans le cadre de son enquête, la déclaration informelle de Mme Jeffers qui a été citée dans le rapport d’enquête de la Commission et les déclarations qu’a faites Mme Peters dans son exposé des précisions modifié, lesquels ont tous été déposés comme pièces. Il y a des incohérences. Or, compte tenu du temps qui s’est écoulé en l’espèce, il est normal que le souvenir de certains détails ait pu s’estomper. La plainte à l’origine de la présente instance a été déposée auprès de la Commission en 2015. Il ne serait pas raisonnable d’exiger de Mme Peters et de Mme Jeffers qu’elles satisfassent aux normes élevées en matière de souvenir et de cohérence qui s’appliquent généralement aux témoins expérimentés ou professionnels. En outre, Mme Peters et Mme Jeffers avaient de bonnes raisons (du fait de leur amitié) d’être alignées sur le plan des intérêts et des motivations afin d’éviter des divergences entre leurs témoignages et leurs déclarations antérieures. Il semble plus probable qu’elles n’aient pas passé beaucoup de temps à passer en revue leurs déclarations antérieures avant de témoigner. Une telle situation tend à indiquer qu’elles n’ont pas échafaudé une histoire afin que Mme Peters puisse obtenir une indemnité de la part d’UPS.

[283] Le Tribunal croit également que certaines des différences entre l’exposé des précisions modifié de Mme Peters et son témoignage sont attribuables au fait que son avocate a fait des hypothèses erronées, que Mme Peters n’a pas relevées, pour une raison ou pour une autre, et n’a donc pas fait corriger. À titre d’exemple, dans l’exposé des précisions modifié de Mme Peters, au paragraphe 26, on retrouve une déclaration selon laquelle, à la mi-janvier 2015, M. Gordon réprimandait souvent Mme Peters à propos de son travail et qu’il lui arrivait, pendant de longues périodes, de se tenir tout juste derrière elle à son bureau, à tel point qu’elle pouvait sentir son souffle dans son cou. À l’époque, Mme Peters travaillait sur la chaîne de tri. Mme Peters n’avait pas de bureau. Elle ne travaillait pas dans un bureau.

[284] Autre exemple : au paragraphe 28, l’exposé des précisions modifié indique que [traduction] « Mme Peters a informé M. Ghanem des commentaires constituant du harcèlement sexuel que M. Gordon faisait à son égard ». Une telle chose pourrait signifier que Mme Peters a communiqué à M. Ghanem la teneur des commentaires constituant du harcèlement sexuel que M. Gordon aurait faits. Or, Mme Peters n’a pas indiqué avoir fait cette démarche dans sa déclaration à la Commission et elle n’a pas témoigné en ce sens à l’audience. Dans sa déclaration ainsi qu’à l’audience, elle a affirmé avoir dit à M. Ghanem qu’elle subissait du harcèlement et que, lorsqu’il lui a demandé ce qu’elle voulait dire, elle a répondu [traduction] « au travail et en dehors du travail ».

[285] À titre d’exemple supplémentaire, lors de son contre-interrogatoire par UPS, Mme Peters a été interrogée sur la raison pour laquelle son exposé des précisions modifié ne faisait mention d’aucun harcèlement de la part de M. Gordon avant novembre 2014. Mme Peters a affirmé s’être plainte au sujet de M. Gordon avant que celui-ci ne devienne son superviseur. Lorsqu’on lui a fait remarquer qu’on la questionnait simplement sur ce qui était indiqué dans son exposé des précisions modifié, Mme Peters a mentionné que c’est à ce moment-là qu’elle a obtenu les services d’une avocate et a expliqué que [traduction] « son avocate a commencé à dire les choses de cette façon », ce qui signifie que le document avait vraisemblablement été préparé par son avocate.

[286] La question principale en l’espèce est de savoir si l’agression reprochée a eu lieu ou non. Il s’agit de déterminer si M. Gordon a agressé Mme Peters en la touchant sans son consentement alors qu’elle se trouvait dans sa voiture, et non de savoir si Mme Peters ou l’avocate dont elle a fini par retenir les services ont reproduit à l’identique les détails de son histoire lorsqu’il leur fallut à nouveau mettre l’histoire de Mme Peters par écrit dans le cadre de la présente instance. Si le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’agression a eu lieu, il doit conclure qu’il y a eu agression.

[287] En l’espèce, le Tribunal a axé son analyse sur les probabilités générales entourant ce qui s’est produit. Il n’est pas convaincu que l’une quelconque des incohérences relevées soit suffisamment importante pour faire perdre toute fiabilité au témoignage de Mme Peters ou au témoignage de Mme Jeffers concernant cet événement allégué, ce qui est le résultat recherché par M. Gordon et UPS. Même considérées conjointement, les différences relevées ne sont pas suffisantes pour produire ce résultat, compte tenu de l’ensemble de la preuve en l’espèce.

[288] Le Tribunal s’appuie également sur ce qu’il a observé à l’audience, notamment le fait que, lorsque Mme Peters a abordé l’incident présumé, son attitude est devenue plus effacée et émotivement détachée, comparativement au degré général de vivacité dont Mme Peters a fait preuve pendant les autres parties de son témoignage. Elle semblait avoir de la difficulté à parler de ce qui s’était passé. Elle a donné moins de détails qu’elle ne l’avait fait auparavant dans ses déclarations écrites. Il semble qu’elle ait donné moins de détails parce qu’elle trouvait difficile de témoigner au sujet de cet événement. Le Tribunal est d’avis que cette difficulté à parler de l’événement présumé explique certaines des différences constatées, et qu’il ne s’agit pas d’un manque de crédibilité.

[289] Le Tribunal souligne que le médecin de Mme Peters, le Dr MacDonald, a aussi noté lors d’une consultation que Mme Peters semblait [traduction] « à plat sur le plan émotif avec peu de variations dans l’expression » et lors d’un autre rendez-vous [traduction] « semble un peu à plat sur le plan émotif ». Ces consultations avec son médecin ont impliqué des discussions stressantes en janvier ainsi que le 3 février 2015. Mme Peters a parlé de ce qu’elle vivait au travail, y compris de l’agression reprochée. De l’avis du Tribunal, Mme Peters s’est repliée sur elle pendant les parties difficiles de son témoignage et s’en est tenue au « strict minimum ».

[290] En outre, la preuve ne donne pas à penser que Mme Peters en faisait plus qu’il ne le fallait dans l’espoir de présenter son dossier sous un jour favorable. À titre d’exemple, elle a assisté au témoignage de Mme Jeffers concernant l’appel téléphonique. Toutefois, lorsqu’elle a finalement eu la possibilité de raconter son histoire en interrogatoire principal, elle a axé son témoignage sur l’agression reprochée et la réaction qu’elle a eue, et non sur le fait que Mme Jeffers avait entendu ce qui s’était passé et qu’elle pouvait corroborer son témoignage. Sa description de l’agression était minimale. On ne peut pas reprocher à Mme Peters d’avoir profité de l’audience pour exagérer, approfondir et étoffer ses allégations contre M. Gordon.

[291] Mme Peters a parfois eu du mal à se rappeler, à inclure et à expliquer les détails, mais elle est restée inébranlable dans son témoignage selon lequel l’agression a eu lieu, malgré qu’elle ait été contre-interrogée pendant plusieurs jours. Le Tribunal a jugé que son témoignage était digne de foi, malgré certaines erreurs attribuables au passage du temps.

[292] Ces facteurs ont amené le Tribunal à conclure qu’il y avait lieu d’ajouter foi au témoignage de Mme Peters selon lequel une agression a eu lieu et au témoignage corroborant de Mme Jeffers confirmant que cette agression s’est produite, et que les différences qu’ils présentaient par rapport aux déclarations antérieures de Mme Peters et de Mme Jeffers ne les rendaient pas moins crédibles.

(viii) Équité

[293] Enfin, le Tribunal est d’avis que les observations d’UPS, à savoir que le témoignage de Mme Peters devrait être écarté en raison des incohérences qu’il comporte par rapport à ses déclarations antérieures, doivent être envisagées du point de vue de l’équité dans la présente instance. Mme Peters a fourni beaucoup plus d’information que M. Gordon préalablement à l’audience. M. Gordon n’a pas été interrogé à titre de témoin par la Commission lorsque celle-ci a mené son enquête parce qu’il avait des problèmes de santé. Le processus de la Commission s’est déroulé sans que la Commission interroge M. Gordon et prenne de notes d’entrevue. Hormis qu’il ait été interrogé dans le cadre de l’enquête menée par UPS, M. Gordon n’a pas fait de déclarations antérieures qui auraient pu donner matière à contestation. M. Gordon n’a été ajouté à titre d’intimé à la présente instance qu’après qu’une décision sur requête eut été rendue par un autre membre du Tribunal en mars 2019. M. Gordon n’avait pas fourni suffisamment de détails importants dans son exposé des précisions initial, comme il était pourtant tenu de le faire. Mme Peters a donc présenté une requête en vue d’enjoindre M. Gordon à procéder à une divulgation plus approfondie et plus complète. Le 25 mai 2020, le Tribunal a rendu relativement à cette requête une décision informelle, qui n’a pas été publiée, exigeant que M. Gordon fournisse de plus amples renseignements dans un exposé des précisions modifié. M. Gordon a déposé un exposé des précisions modifié, mais celui-ci n’a remédié qu’à quelques-unes des lacunes constatées. Il contenait des dénégations générales et la mention [traduction] « sans commentaire » à titre de réponse. M. Gordon s’est effectivement abstenu de commentaires à différents égards.

[294] Il serait contraire à l’équité procédurale que le Tribunal décide d’écarter le témoignage de la plaignante en raison d’incohérences concernant des détails non essentiels contenus dans des déclarations antérieures, alors que M. Gordon n’a pas eu à faire de déclarations à la Commission et n’a communiqué que des renseignements limités au Tribunal malgré que celui-ci lui ait ordonné de procéder à une divulgation complète. Le Tribunal s’est plutôt concentré sur les témoignages des témoins à l’audience et sur les incohérences importantes potentielles que ceux-ci pouvaient présenter.

[295] Pour ces motifs, le Tribunal ne statuera pas sur l’allégation d’agression en comparant les détails contenus dans les déclarations antérieures. Sa décision sera plutôt fondée sur la preuve présentée à l’audience, considérée dans son ensemble.

(ix) Communication par Mme Jeffers de renseignements sur UPS à Mme Peters

[296] Il y a une autre question dont il importe de tenir compte dans l’évaluation de la crédibilité du témoignage de Mme Jeffers. Plusieurs années après les événements allégués, la société mère d’UPS aux États-Unis a été condamnée à verser des dommages-intérêts compensatoires substantiels relativement à des allégations de harcèlement sexuel qui se sont avérées fondées. Mme Jeffers a transmis de l’information à Mme Peters au sujet de ces plaintes jugées fondées. Le Tribunal a remarqué qu’à l’audience, Mme Jeffers a témoigné en tant qu’amie de Mme Peters, d’une manière qui traduisait un soutien indéfectible envers Mme Peters. Il était évident qu’elle avait un parti pris en faveur de Mme Peters. Elle était également contrariée que Mme Peters n’ait pas fait de signalement à la police. Peu après l’agression reprochée, elle a communiqué avec un poste de police de façon anonyme afin d’obtenir pour Mme Peters des renseignements généraux sur la façon de procéder pour signaler une agression à la police. Toutefois, Mme Jeffers a également respecté le fait que la décision de signaler l’affaire à la police appartenait à Mme Peters. Elle a donc laissé les choses suivre leur cours tout en offrant un soutien moral.

[297] Le Tribunal a tenu compte de cette partialité apparente. Toutefois, le Tribunal n’est pas prêt à conclure que Mme Jeffers s’est parjurée devant le Tribunal lorsqu’elle a témoigné qu’elle était au téléphone avec Mme Peters au moment de l’agression reprochée. Mme Jeffers a transmis à Mme Peters des renseignements inattendus au sujet d’UPS aux États-Unis, et elle l’a fait en tant qu’amie, vraisemblablement pour encourager Mme Peters à ne pas baisser les bras. Il ne s’en suit pas que Mme Jeffers a présenté un témoignage fabriqué dans le but d’aider son amie. Il s’agit de choses bien distinctes.

(x) Analyse relative à la preuve médicale

[298] Voici ce que le Dr MacDonald a écrit, dans une note datée du 7 janvier 2015 et consignée au dossier médical de Mme Peters :

[traduction]

« a l’impression de perdre la tête »

vit chez sa sœur, dort sur le canapé, maintenant séparée depuis avril 2014

3 enfants… son superviseur la drague, ce qui la met mal à l’aise.

Cette note confirme que, le 7 janvier 2015, Mme Peters a signalé à son médecin qu’elle subissait du harcèlement sexuel au travail.

[299] Une autre note, consignée au dossier médical le 23 janvier 2015, comprend les passages suivants :

[traduction]

éprouve toujours des problèmes avec son superviseur « suggérant la possibilité d’une liaison »

a appelé la Commission du travail – a un rendez-vous la semaine prochaine pour une discussion

son superviseur « la surveille et l’épie »

a le sentiment que le syndicat ne fait rien ++

a tenté de l’embrasser alors qu’elle était assise dans sa voiture.

Cette note confirme que, en date du 23 janvier 2015, Mme Peters avait informé son médecin que M. Gordon avait tenté de l’embrasser dans sa voiture.

[300] Mme Peters a de nouveau consulté son médecin le 3 février 2015 et, à cette occasion, le Dr MacDonald l’a mise en arrêt de travail pour cause de maladie. La note ajoutée au dossier lors de cette consultation comprend les passages suivants :

[traduction]

a rencontré la Commission du travail; situation en cours d’évaluation

affirme que son gestionnaire continue de « la draguer »

croit qu’il sera probablement congédié

la direction n’est pas au courant de l’enquête [vraisemblablement menée par la Commission du travail, puisqu’aucune plainte relative aux droits de la personne n’avait encore été déposée]

a le sentiment d’« être traitée différemment » au travail

son gestionnaire dit qu’il « n’a pas de preuve »

n’a pas fait de signalement à la police

apparemment le gestionnaire a déjà fait l’objet de plaintes dans le passé

il a tenté de l’embrasser.

[301] Les notes du Dr MacDonald sont à l’image des propos subjectifs qu’a tenus Mme Peters lors de ses consultations avec son médecin. Il n’y a aucune raison de conclure que les notes comportent des erreurs, mais elles peuvent ne pas refléter exactement les mots utilisés par Mme Peters. Elles confirment que Mme Peters avait le sentiment que M. Gordon la draguait en janvier 2015. Dans la mesure où leur contenu est véridique, ces notes confirment qu’à un certain moment, probablement entre le 7 et le 23 janvier 2015, M. Gordon a tenté d’embrasser Mme Peters. Il est indéniable que Mme Peters a consulté son médecin et qu’elle lui a dit que son superviseur avait tenté de l’embrasser. En ce sens, les notes du Dr MacDonald confirment que l’agression a eu lieu.

(xi) Conclusion quant à l’agression reprochée

[302] En résumé, le Tribunal a tenu compte des points soulevés par M. Gordon qui, selon lui, réduisent la probabilité que Mme Peters ait été agressée ainsi que des observations d’UPS au sujet des incohérences et des contradictions relevées dans la preuve. Or, la crédibilité du témoignage de Mme Peters, le fait qu’il soit corroboré par le témoignage de Mme Jeffers et par le dossier médical tenu par le Dr MacDonald, et le fait que le Tribunal ait conclu que M. Gordon a harcelé sexuellement Mme Peters à d’autres occasions l’emportent sur les observations de M. Gordon et d’UPS. Le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable qu’improbable que M. Gordon ait agressé Mme Peters dans le stationnement d’UPS.

(xii) Moment de l’agression

[303] Comme il a été expliqué, Mme Peters ne se souvenait pas de la date précise de l’agression. Compte tenu de l’importance de l’allégation, le Tribunal a examiné les éléments de preuve concernant le moment de l’agression.

[304] Ceux-ci comprennent le fait que, comme il a été mentionné précédemment, le 15 janvier 2015, Mme Peters a eu une rencontre avec sa déléguée syndicale et M. Ghanem. Rien n’indique que l’agression survenue dans le stationnement ait été abordée lors de cette rencontre. Le 7 janvier 2015, le Dr MacDonald a noté le harcèlement allégué dans le dossier médical de Mme Peters, mais pas l’agression. Le Tribunal croit que si l’agression avait eu lieu entre le 7 et le 15 janvier 2015, elle aurait fort probablement été abordée lors de cette rencontre, car il s’agit d’un incident majeur.

[305] Mme Peters n’a pas indiqué avoir fait mention de l’agression lors de cette rencontre. La preuve donne à penser que Mme Peters a eu le sentiment que sa crédibilité était mise en doute lors de cette rencontre. On peut raisonnablement penser que, si l’agression reprochée avait déjà eu lieu à ce moment-là, Mme Peters l’aurait mentionnée lors de cette rencontre afin de mieux convaincre ses interlocuteurs. Le Tribunal conclut qu’il est plus probable que l’agression ait eu lieu entre le 16 et le 22 janvier 2015, et plus vraisemblablement entre le 18 et le 21 janvier 2015.

X. Résumé des conclusions concernant le harcèlement sexuel exercé par M. Gordon

[306] M. Gordon a harcelé sexuellement Mme Peters en communiquant avec elle de façon inappropriée à de nombreuses reprises en milieu de travail, c’est-à-dire au Centre opérationnel d’UPS à Toronto, mais également à l’extérieur du travail, comme en témoigne l’enregistrement des messages vocaux que M. Gordon a laissés à Mme Peters les 1er et 2 décembre 2014.

[307] Ces communications ont débuté lorsque M. Gordon a commencé à aller voir Mme Peters alors qu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules, comme l’a confirmé Mme Lawes-Newell, à la fois pour lui parler et pour afficher ses prétentions à son égard en faisant des commentaires à caractère sexuel devant d’autres employés. Ce comportement était suffisamment fréquent et embarrassant pour que Mme Peters en vienne à se cacher de M. Gordon dans les camions qui se trouvaient au Service de lavage des véhicules. En se cachant de la sorte, Mme Peters a pu désamorcer les tentatives répétées de M. Gordon pour lui parler. Elle semble avoir « géré » le comportement de M. Gordon de cette façon ainsi qu’en déclinant ses propositions, notamment son offre de la conduire aux États-Unis ou de l’aider à renouer avec l’Église. Or, à cette époque, Mme Peters ne travaillait pas dans le même service que M. Gordon. Il n’était pas son superviseur et, de ce fait, la possibilité qu’il puisse exercer une autorité sur elle en milieu de travail s’en trouvait réduite.

[308] Le harcèlement sexuel verbal exercé par M. Gordon et le « comportement de sollicitation » de ce dernier ont cessé momentanément lorsque M. Gordon est devenu le superviseur de Mme Peters le 4 novembre 2014. M. Gordon semble avoir alors affiché un professionnalisme de façade envers son « amie » Mme Peters, en assurant à cette dernière qu’il n’entendait pas faire preuve de favoritisme à son égard. Mme Peters s’est dite en accord avec ce principe. Parallèlement et à l’insu de Mme Peters, il a interprété les événements comme signifiant que celle-ci l’avait choisi comme étant son superviseur favori, même si aucun des éléments de preuve produits n’indique qu’il était raisonnable pour lui d’en arriver à cette conclusion. Mme Thompson, qui a recommandé que Mme Peters soit placée sous la supervision de M. Gordon, n’a rien indiqué de tel à M. Gordon.

[309] Mme Peters et M. Gordon ont soupé ensemble le 14 novembre 2014, soi-disant pour que M. Gordon puisse donner des conseils à Mme Peters sur son travail. M. Gordon a vite oublié sa position initiale, selon laquelle ils s’en tiendraient tous deux à des échanges strictement professionnels, puisqu’il a manifesté le désir d’entretenir une relation sexuelle avec Mme Peters.

[310] Mme Peters a fini par lui signifier clairement, soit par ses propos, soit par ses réactions, qu’elle ne souhaitait pas avoir de relation avec lui et que son comportement était importun. Ce fait est confirmé par la conduite que M. Gordon a adoptée à l’égard de Mme Peters à la suite de ce souper, y compris la colère qu’il a manifestée lorsqu’elle n’a pas donné suite à sa proposition de faire une sortie avec lui. Les enregistrements des messages vocaux des 1er et 2 décembre 2014 confirment que M. Gordon s’est mis en colère contre Mme Peters lorsque celle-ci a refusé de le voir, ou n’a pas pu le voir, en dehors du travail, comme il le lui avait demandé.

[311] À la mi-décembre 2014, M. Gordon a commencé à exercer à l’égard de Mme Peters, qui travaillait alors sur la chaîne de tri, ce qui est devenu une supervision inappropriée. Indépendamment de son bien-fondé initial, la supervision exercée par M. Gordon s’est détériorée et en est venue à prendre la forme de commentaires et d’agissements traduisant une surveillance et une « formation » excessives, une hypervigilance et des critiques anticipées au sujet du rendement de Mme Peters. Il lui arrivait de se tenir trop près d’elle à la chaîne de tri et il a touché ses fesses à une occasion. Le Tribunal conclut que cet attouchement était délibéré et qu’il a été suivi d’un commentaire inapproprié au sujet des fesses de Mme Peters.

[312] Le harcèlement sexuel que M. Gordon a fait subir à Mme Peters a atteint son point culminant vers la fin janvier, lorsque M. Gordon a suivi Mme Peters jusqu’à sa voiture dans un secteur du stationnement d’UPS où elle était seule, et lui aussi. Il a tenté de l’embrasser de force, ce qui a mené à une brève altercation physique entre M. Gordon et Mme Peters avant que celle-ci ne parvienne à quitter les lieux en voiture.

[313] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que M. Gordon a harcelé sexuellement Mme Peters, au sens de l’article 14 de la Loi.

XI. Lien entre l’obligation de signalement et l’article 65

[314] Le Tribunal ayant conclu que M. Gordon s’est livré à du harcèlement sexuel, la question suivante est de savoir si cette conclusion s’appliquera à UPS. En théorie, il existe deux sources de responsabilité potentielle pour UPS : la responsabilité découlant du défaut de prendre des mesures à la suite d’un signalement de harcèlement, conformément à la décision Franke de la Cour fédérale, et la responsabilité prévue au paragraphe 65(1) de la Loi.

[315] Face à l’application éventuelle du paragraphe 65(1), UPS a invoqué le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2), lequel est expliqué ci-dessous, mais elle a également fait valoir que la plainte devrait être rejetée au motif que Mme Peters n’a pas signalé le harcèlement, contrairement à l’obligation établie dans la décision Franke. Cette approche a soulevé une question au sujet du lien entre l’obligation de signalement, les dispositions du paragraphe 65(1) et une défense fondée sur le paragraphe 65(2).

A. Aperçu de l’obligation de signalement établie dans Franke

[316] En guise de rappel, dans la décision Franke, aux paragraphes 43 à 46, la Cour fédérale a ajouté un élément au critère juridique permettant d’établir le bien-fondé d’une allégation de harcèlement sexuel à l’égard d’un employeur intimé, qui avait été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Janzen. Ce nouvel élément consiste en l’obligation pour l’employé qui allègue être victime de harcèlement d’en aviser son employeur.

[317] Dans la décision Franke, au paragraphe 43, le signalement et, par le fait même, l’avis à l’employeur sont d’abord présentés comme une obligation du plaignant qui s’applique « si possible ». Ainsi présentée, l’obligation semble à première vue s’appliquer à tous les cas de harcèlement, dans la mesure du possible. Or, la Cour a précisé que cette obligation s’applique « lorsqu’il y a chez l’employeur un service du personnel ainsi qu’une politique générale et efficace en matière de harcèlement sexuel, y compris des mécanismes de redressement appropriés » (au par. 45).

[318] Dans la décision Franke, la Cour a insisté sur le fait que la politique et les mécanismes de redressement de l’employeur doivent être efficaces pour que l’obligation de signalement s’applique. L’obligation de signalement qui incombe au plaignant en common law ne s’applique donc pas dans tous les cas de harcèlement sexuel sans distinction. Elle s’applique uniquement lorsque les exigences énoncées dans Franke sont respectées.

[319] Le Tribunal comprend que ces exigences vont au-delà du simple fait de disposer d’une politique. Une politique doit, d’abord et avant tout, être efficace, exhaustive et appliquée correctement, ou du moins raisonnablement, par les parties concernées. Pour produire les effets escomptés, une politique doit être appliquée avec efficacité. Le Tribunal est d’avis que, pour déterminer si la décision Franke s’applique, il ne suffit pas simplement de confirmer qu’un employeur dispose, par exemple, des politiques requises et d’un service des RH, et de présumer que ces politiques et ce service produisent les effets escomptés. Il se peut que ce ne soit pas le cas. Il importe de tenir compte également de la question de savoir si des mécanismes de redressement appropriés sont en place.

[320] L’obligation de signalement établie dans Franke repose sur le principe de l’équité. Dans la décision Franke, la Cour a souligné que les employeurs ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel en milieu de travail et en atténuer les effets. Elle a conclu qu’un employé qui allègue être victime de harcèlement doit en aviser son employeur lorsque ce dernier a investi dans un service des RH ou dans la formation de personnel, et qu’il a mis en place une gamme complète d’outils et de ressources efficaces pour prévenir le harcèlement sexuel, le faire cesser et en atténuer les effets. En fait, la Cour a indiqué que, du point de vue de l’équité, si un employeur a pris les mesures qu’il est tenu de prendre au titre de la Loi pour prévenir le harcèlement sexuel, il doit avoir la possibilité d’intervenir. La Cour a également mentionné, au paragraphe 46, que l’objectif souhaitable consistait à faire en sorte que les employeurs puissent intervenir rapidement pour faire cesser le harcèlement en milieu de travail.

[321] Ainsi, lorsque l’obligation de signalement établie dans la décision Franke s’applique, le critère juridique permettant d’établir s’il y a eu harcèlement sexuel doit inclure cette obligation de signalement. Par conséquent, le fait d’appliquer la décision Franke dans une affaire relative aux droits de la personne implique notamment que, si un employé agissant pour le compte d’un employeur intimé s’est livré à du harcèlement sexuel en milieu de travail, mais que le plaignant n’a pas signalé le harcèlement sexuel, la plainte de ce dernier contre l’employeur intimé pourrait être rejetée. En ajoutant, dans la décision Franke, une obligation de signalement au critère juridique, la Cour semble avoir conclu qu’un tel résultat est conforme à l’équité.

[322] Compte tenu de l’incidence potentielle de la décision Franke, l’équité s’applique également dans la situation inverse : dans le cas où un employeur ne disposerait pas de politiques exhaustives et efficaces, ni de mécanismes de redressement appropriés, pour lutter contre le harcèlement sexuel, il ne serait pas raisonnable de rejeter une plainte pour harcèlement sexuel contre un employeur simplement parce qu’un plaignant n’a pas signalé le harcèlement sexuel. Dans de telles circonstances, il serait peu probable que le fait de signaler le harcèlement entraîne la prise de mesures de correction et d’atténuation. Ce corollaire est également compatible avec le principe d’équité qui sous-tend le raisonnement derrière l’obligation de signalement établie dans la décision Franke. Ainsi, lorsque la décision Franke s’applique, le résultat dépend fortement de la teneur et de l’efficacité des politiques de l’employeur. La question de savoir si une politique exhaustive et efficace en matière de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de redressement appropriés étaient déjà en place demeure donc à trancher en l’espèce.

B. Limites potentielles de l’obligation de signalement établie dans Franke

[323] La question de savoir si l’employée était tenue d’aviser son employeur du harcèlement ne faisait pas partie des questions directement soumises à l’examen de la Cour fédérale dans la décision Franke. L’obligation de signalement n’est pas mentionnée dans ce que la Cour fédérale a désigné comme le passage pertinent de la décision majoritaire du Tribunal. Dans la décision Franke, au paragraphe 49, la Cour a déclaré qu’à son avis, « le tribunal a appliqué le critère approprié : il a examiné les commentaires pour déterminer s’ils étaient importuns au moment où ils ont été faits et si, étant de nature sexuelle, ils étaient suffisamment graves pour constituer du harcèlement sexuel » (non souligné dans l’original). La Cour a examiné les éléments du critère applicable au harcèlement sexuel établi dans l’arrêt Janzen et a conclu que le Tribunal avait appliqué le critère juridique approprié pour décider, en se fondant sur le critère juridique établi dans l’arrêt Janzen, s’il y avait eu harcèlement sexuel.

[324] L’avocate de l’employeur a fait valoir que l’employeur aurait dû être avisé du harcèlement. Cette question ne faisait toutefois pas partie des questions principales sur lesquelles la Cour fédérale était appelée à se prononcer dans le cadre de ce contrôle judiciaire. La Cour a ajouté l’exigence selon laquelle l’employé était tenu d’aviser l’employeur du harcèlement. Il est permis de penser que l’ajout de l’obligation de signalement par la Cour tenait alors d’une observation incidente. Cependant, l’obligation de signalement a par la suite été traitée comme faisant partie intégrante du critère juridique applicable au harcèlement sexuel dans d’autres affaires.

[325] Il est peu fréquent que le Tribunal ait à se pencher sur l’obligation de signalement dans le cadre des affaires qui lui sont soumises. Il n’empêche que l’obligation de signalement ajoutée dans la décision Franke peut entraîner le rejet de plaintes soumises au Tribunal et faire en sorte qu’un employeur évite toute responsabilité. Dans la décision R. L. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2021 TCDP 33 (CanLII), plusieurs employés ont été accusés de harcèlement. Le Tribunal a conclu que l’employeur n’était pas responsable du harcèlement exercé par un de ses employés, car les actes de harcèlement en question n’avaient pas été signalés.

[326] En somme, différentes circonstances peuvent faire naître l’obligation de signalement. Comme il a été expliqué ci-dessus, l’intention de la Cour dans la décision Franke n’était pas que l’obligation s’applique dans tous les cas. Il ne faut pas présumer de son application.

[327] En outre, comme l’obligation de signaler le harcèlement n’était pas directement soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire, certaines des implications de l’obligation de signalement n’ont pas été entièrement décortiquées dans les motifs de la décision rendue dans la décision Franke. C’est là une raison supplémentaire de faire preuve de prudence dans l’application de cet aspect de l’affaire. Puisqu’il n’avait pas conclu au harcèlement sexuel dans la décision Franke, le Tribunal n’avait, de même, pas conclu à la responsabilité de l’employeur. Il ne s’agissait pas pour la Cour fédérale de décider s’il y avait lieu de rejeter la plainte au motif que la plaignante n’avait pas signalé le harcèlement. La Cour n’avait pas non plus pour tâche d’évaluer l’efficacité des politiques de l’employeur. Elle n’a pas expressément affirmé qu’en l’absence d’un signalement de la part du plaignant, il devenait impossible de conclure à la responsabilité de l’employeur relativement au harcèlement exercé par un autre de ses employés, même si, comme il a été mentionné ci-dessus, c’est clairement ce qui est sous-entendu. Comme il est expliqué ci-dessous, la Cour n’a pas non plus abordé la question de la responsabilité prévue au paragraphe 65(1) de la Loi.

[328] Le rejet d’une plainte, et l’absence consécutive de responsabilité pour l’employeur intimé, peut constituer un résultat sévère lorsque l’employé harceleur n’a pas la capacité financière de verser une indemnité ou n’est pas nommé comme partie. Un tel rejet peut priver le Tribunal des moyens de faire respecter le droit du plaignant d’obtenir le paiement des dommages-intérêts accordés, le cas échéant. Le rejet d’une plainte prive également le Tribunal du pouvoir d’ordonner qu’il soit remédié aux lacunes décelées dans les politiques et les programmes de l’employeur intimé ou d’ordonner toute autre réparation qu’il estime être dans l’intérêt public.

[329] Il convient de souligner également que la décision Franke a été rendue en 1999. Depuis, nous comprenons mieux le préjudice que subissent les victimes de harcèlement sexuel grave, comme les agressions sexuelles et les viols. La difficulté de signaler des actes de harcèlement sexuel grave tire parfois son origine des effets préjudiciables du harcèlement sexuel lui-même ou de la vulnérabilité particulière de la victime. En cas de harcèlement sexuel grave ou de viol, il pourrait être déraisonnable ou injuste que le Tribunal conclue qu’un employeur n’est pas responsable du harcèlement sexuel commis par son employé simplement parce que le plaignant ne l’a pas signalé à l’employeur au moment où il s’est produit. Il serait légitime de soutenir que l’obligation de signaler l’incident peu après qu’il se soit produit ne devrait pas, dans de telles circonstances, servir de fondement au rejet d’une plainte par ailleurs valide contre l’employeur intimé. S’il existait d’autres facteurs pertinents ayant pour effet d’atténuer ou d’annuler de façon convaincante l’obligation de signalement du plaignant, l’équité exigerait que ces facteurs soient pris en compte également.

[330] L’intention du Tribunal, ici, est uniquement d’établir qu’il peut y avoir des exceptions à l’obligation de signalement ajoutée dans la décision Franke. En utilisant cet exemple, le Tribunal n’avait pas l’intention de se pencher plus avant sur ce qui constitue du « harcèlement sexuel grave ». Il n’est pas question d’un viol ou d’une agression sexuelle grave dans la présente affaire. Le Tribunal précise en outre que le rejet d’une plainte relative à des actes répréhensibles qui n’ont pas été signalés par le plaignant peut constituer un résultat juste et approprié dans de nombreux cas. Ce qu’il convient de retenir ici, c’est que, si une approche généralisée était adoptée à l’égard de la question du signalement, l’exigence procédurale selon laquelle l’employeur doit être avisé pourrait se voir accorder davantage d’importance que la nature des actes commis par le collègue harceleur et le préjudice subi par le plaignant. Dans certaines circonstances, le rejet d’une plainte au motif que l’obligation de signalement établie dans la décision Franke n’a pas été respectée pourrait effectivement avoir pour effet de victimiser à nouveau le plaignant. Ce n’est évidemment pas le résultat souhaité pas la Cour dans la décision Franke, qui est d’ailleurs souvent citée pour son avertissement selon lequel « le juge des faits devrait être conscient […] et tenir compte du contexte de la conduite reprochée lorsqu’il détermine la façon dont la personne raisonnable réagirait dans des circonstances similaires » (au par. 37).

[331] Le Tribunal conclut que, lorsqu’il a déterminé que l’obligation de signalement s’applique, et que l’employeur cherche à faire rejeter une plainte ou à être dégagé de sa responsabilité au motif que les actes reprochés non pas été signalés, le Tribunal doit tenir compte de toute preuve de l’existence de circonstances atténuantes ou d’un contexte qui aurait pu raisonnablement entraver la capacité du plaignant à signaler rapidement l’incident à son employeur.

C. Explication concernant la défense prévue par le paragraphe 65(2) de la Loi

[332] Comme il a été mentionné plus haut, UPS s’appuie en premier lieu sur ce qu’il convient d’appeler une « défense fondée sur le paragraphe 65(2) ». Voici les dispositions pertinentes qui interviennent dans l’application d’une défense fondée sur le paragraphe 65(2) :

65 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

Réserve

(2) La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets.

65. (1) Subject to subsection (2), any act or omission committed by an officer, a director, an employee or an agent of any person, association or organization in the course of the employment of the officer, director, employee or agent shall, for the purposes of this Act, be deemed to be an act or omission committed by that person, association or organization.

Exculpation

(2) An act or omission shall not, by virtue of subsection (1), be deemed to be an act or omission committed by a person, association or organization if it is established that the person, association or organization did not consent to the commission of the act or omission and exercised all due diligence to prevent the act or omission from being committed and, subsequently, to mitigate or avoid the effect thereof.

[333] Comme il a été expliqué précédemment, le paragraphe 65(1) s’applique aux actes et aux omissions commis par des employés dans le cadre de leur emploi auprès de l’employeur intimé. Conformément au paragraphe 65(1), les actes contraires à la Loi commis par un employé sont réputés avoir été commis par l’employeur. Le paragraphe 65(1) est essentiellement une version législative de la responsabilité stricte du fait d’autrui. Comme il est expliqué ci-dessous, il s’applique à toutes les affaires dont le Tribunal est saisi.

[334] Le concept de la responsabilité du fait d’autrui est le suivant : dans le contexte de certaines relations, la loi exige que la personne qui emploie d’autres personnes assume la responsabilité des actes répréhensibles commis par ces autres personnes, même si elle n’a pas connaissance des actes répréhensibles au moment où ils sont commis. Bien que le terme « responsabilité du fait d’autrui » n’y figure pas expressément, le paragraphe 65(1) rend les employeurs responsables des actes répréhensibles de leurs employés, qu’ils aient ou non connaissance de ces actes et qu’ils y consentent ou les autorisent ou non.

[335] En l’espèce, M. Gordon agissait dans le cadre de son emploi à l’époque des faits visés par la plainte. Le Tribunal a conclu qu’il s’était livré à du harcèlement sexuel à l’égard d’une employée subalterne, Mme Peters. UPS est réputée avoir commis les mêmes actes que M. Gordon, en application du paragraphe 65(1).

[336] Ce résultat ne relève pas de la discrétion du Tribunal. L’emploi de l’expression « sont réputés » (shall be deemed) au paragraphe 65(1) signale le caractère impératif de cette disposition. Si le paragraphe 65(1) avait eu un caractère discrétionnaire, il aurait été inutile que les rédacteurs de la Loi ajoutent le paragraphe 65(2). Ayant conclu que M. Gordon a commis des actes de harcèlement sexuel, le Tribunal a l’obligation de conclure qu’UPS a, de même, commis des actes de harcèlement sexuel et qu’elle est responsable de ces actes conformément au paragraphe 65(1), à moins qu’UPS n’établisse qu’elle satisfaisait aux conditions lui permettant d’être dégagée de sa responsabilité qui sont énoncées au paragraphe 65(2).

[337] En effet, pour être « disculpé » et, par le fait même, dégagé de la responsabilité du fait d’autrui prévue au paragraphe 65(1), l’employeur intimé doit satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 65(2). Conformément au paragraphe 65(2), pour être dégagé de sa responsabilité, l’employeur intimé doit établir que :

1) le harcèlement a eu lieu sans son consentement;

2) il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher;

3) il a, par la suite, tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets.

D. Aperçu de la défense d’UPS fondée sur le paragraphe 65(2)

[338] Dans ses observations finales, UPS déclare :

[traduction]

[…] Si la société intimée peut démontrer que le harcèlement a eu lieu sans son consentement, qu’elle avait pris « toutes les mesures nécessaires » pour l’empêcher et que, par la suite, elle a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets, la société intimée est dégagée de toute responsabilité.

Dans la pratique, cela signifie qu’un employeur ne peut être tenu responsable de la conduite répréhensible de ses employés s’il met en place des politiques et les applique de façon systématique, et s’il prend des mesures appropriées en réponse aux plaintes de discrimination ou de harcèlement formulées par ses employés.

[339] UPS affirme qu’elle satisfait aux critères énoncés au paragraphe 65(2) de la façon suivante :

1) UPS soutient qu’elle n’a pas pu consentir au harcèlement, en supposant que celui-ci ait eu lieu, puisqu’elle n’en avait pas connaissance;

2) UPS soutient qu’elle avait pris les mesures nécessaires pour empêcher M. Gordon de harceler Mme Peters puisqu’elle avait mis en place des politiques et des formations efficaces en matière de harcèlement sexuel;

3) UPS soutient qu’elle a pris les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sexuel sur Mme Peters en menant une enquête sur le harcèlement allégué et en prenant des mesures correctives par la suite.

[340] Dans le cadre de sa défense fondée sur le paragraphe 65(2), UPS fait valoir qu’elle disposait d’un régime efficace pour composer avec les cas de harcèlement sexuel et que, par conséquent, Mme Peters avait l’obligation de l’aviser de tout acte de harcèlement afin de lui donner la possibilité d’intervenir. UPS soutient qu’elle aurait pris les mesures qui s’imposaient si Mme Peters avait signalé le harcèlement. De même, UPS allègue que, puisqu’elle n’a pas été avisée par Mme Peters, il s’ensuit qu’elle n’a pas consenti au harcèlement sexuel. UPS affirme que le harcèlement sexuel est interdit dans ses lieux de travail. UPS demande que la plainte déposée contre elle soit rejetée au titre du paragraphe 65(2) parce que Mme Peters n’a pas signalé le harcèlement à UPS.

[341] La position d’UPS présuppose que l’existence présumée d’un régime efficace en matière de harcèlement sexuel crée une obligation de signalement pour Mme Peters au titre du paragraphe 65(2). La position d’UPS exige également qu’il existe une interaction ou un recoupement entre la question de son consentement au harcèlement et l’obligation de signalement présumée de Mme Peters.

E. Le lien entre l’obligation de signalement et la responsabilité imposée par la Loi

(i) Contexte

[342] UPS entremêle sa défense fondée sur le paragraphe 65(2) et l’obligation de signalement énoncée dans la décision Franke. Le Tribunal s’est donc penché sur la mesure dans laquelle l’article 65 diffère de l’obligation de signalement énoncée dans Franke, la recoupe, interagit avec elle ou l’emporte sur elle.

[343] Dans la décision Franke, la Cour fédérale n’avait pas pour tâche d’examiner la responsabilité du fait d’autrui au titre du paragraphe 65(1) de la Loi ou en common law. Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal n’avait pas conclu au harcèlement sexuel dans la décision Franke, de sorte que le paragraphe 65(1) ne s’appliquait pas et que la responsabilité de l’employeur n’était pas engagée. Le paragraphe 65(2) n’a pas été pris en considération. Bref, l’article 65 n’intervenait pas dans la décision Franke. Dans cette même décision, la Cour a procédé au contrôle de la décision du Tribunal de rejeter la plainte au motif que la preuve ne permettait pas d’établir qu’il y avait eu harcèlement sexuel.

[344] L’obligation pour un plaignant de signaler le harcèlement a été ajoutée au critère juridique applicable au harcèlement sexuel dans la décision Franke et elle fait depuis partie de la common law. Les autres aspects du critère juridique applicable au harcèlement établi dans l’arrêt Janzen concernent uniquement l’évaluation des actes et des omissions commis par le harceleur présumé.

[345] L’obligation de signalement ajoutée dans la décision Franke ne change en rien les faits liés à la question de savoir si un harceleur présumé a commis des actes de harcèlement. Et, c’est là que l’article 65 et la décision Franke diffèrent de façon importante. Si le Tribunal conclut que le particulier intimé s’est livré à du harcèlement par ses actes ou omissions, l’employeur de l’intimé est tenu responsable de ces actes et omissions au titre du paragraphe 65(1) de la Loi. Par souci de commodité, le Tribunal reproduit ci-dessous le paragraphe 65(1) :

65 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

[346] Il n’y a rien dans le paragraphe 65(1) qui pourrait être considéré comme indiquant qu’un plaignant doit obligatoirement faire un signalement pour qu’un employeur intimé puisse être déclaré responsable. Il n’y a rien dans le libellé du paragraphe 65(1) qui pourrait raisonnablement appuyer une telle interprétation.

[347] Comme indiqué, le paragraphe 65(1) s’applique à toutes les plaintes impliquant un employeur intimé dont le Tribunal est saisi. En raison des dispositions du paragraphe 65(1), les actes commis par M. Gordon sont réputés avoir été commis par UPS.

[348] Le Tribunal conclut que la responsabilité imposée par le paragraphe 65(1) de la Loi l’emporte sur toute obligation de signalement qu’un plaignant pourrait avoir en common law du fait de l’obligation de signalement initialement énoncée dans la décision Franke. En d’autres termes, le défaut d’effectuer un signalement n’annule pas l’application du paragraphe 65(1).

[349] Le paragraphe 65(1) est expressément assujetti au paragraphe 65(2). La question à trancher est de savoir si l’employeur intimé peut se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2). En l’espèce, puisque UPS invoque le paragraphe 65(2) et affirme que Mme Peters avait l’obligation de signaler le harcèlement, sa position soulève la question de savoir si le paragraphe 65(2) comporte une obligation de signalement.

(ii) Le paragraphe 65(2) comporte-t-il une obligation de signalement?

[350] Le paragraphe 65(2) n’indique pas explicitement que le plaignant doit obligatoirement avoir signalé le harcèlement sexuel à l’employeur. En fait, il n’y est pas question de signalement. Le paragraphe 65(2) porte uniquement sur les conditions auxquelles un employeur intimé doit satisfaire pour être dégagé de sa responsabilité. Le Tribunal a toutefois examiné en détail chacune des trois conditions énoncées au paragraphe 65(2) afin de déterminer si une obligation de signalement pouvait être implicitement imposée par l’une de ces conditions ou s’avérer être directement liée à l’analyse de l’une ou l’autre de ces conditions.

[351] La première condition prévue au paragraphe 65(2) veut que l’employeur établisse que le harcèlement a eu lieu sans son consentement. UPS soutient qu’elle n’a pas pu consentir au harcèlement puisque celui-ci n’a pas été signalé par Mme Peters et qu’elle n’en avait donc pas connaissance. UPS assimile la non-connaissance du harcèlement, attribuable au défaut de la plaignante de le signaler, à l’idée que le harcèlement s’est produit sans son consentement. La question de savoir si ce rapprochement est convaincant sera analysée dans une section distincte ci-après, conjointement avec la question de l’interaction potentielle entre l’absence de consentement mentionnée au paragraphe 65(2) et l’obligation de signalement en common law.

[352] Comme il sera expliqué, le Tribunal convient que la question du signalement du harcèlement peut être pertinente au regard de la question du consentement. À titre d’exemple, si des actes de harcèlement sont signalés et que l’employeur n’intervient pas, ce dernier pourrait ne pas être en mesure d’établir que le harcèlement a eu lieu sans son consentement. Mais le fait que la question du signalement puisse être pertinente ne signifie pas que cette partie du paragraphe 65(2) implique une obligation de signalement pour le plaignant. Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal n’est pas convaincu par l’argument juridique d’UPS voulant que l’exigence énoncée au paragraphe 65(2) selon laquelle le harcèlement doit avoir « eu lieu sans [le] consentement » de l’employeur soit nécessairement ou toujours assortie d’une obligation de signalement pour le plaignant. La condition relative à l’absence de consentement de l’employeur énoncée au paragraphe 65(2) n’est pas uniquement subordonnée au signalement du harcèlement par le plaignant. Le Tribunal n’est pas disposé à conclure que la question du consentement implique une obligation de signalement dans tous les cas. La condition relative à l’absence de consentement de l’employeur est indépendante de la question de savoir si le plaignant avait l’obligation de signaler le harcèlement et, le cas échéant, si le plaignant a satisfait à cette obligation.

[353] Comme il a été expliqué, selon la deuxième condition énoncée au paragraphe 65(2), l’employeur doit établir qu’il « avait pris toutes les mesures nécessaires pour [empêcher l’acte ou l’omission] ». Dans le contexte de la prévention, l’expression « toutes les mesures nécessaires » peut comprendre le fait pour un employeur de disposer d’un programme et de politiques efficaces, assortis de formations pertinentes et de mécanismes de redressement, destinés à prévenir le harcèlement sexuel. C’est d’ailleurs ce qu’a exigé la Cour fédérale dans la décision Franke, au paragraphe 45, lorsqu’elle a précisé que les politiques de l’employeur, y compris les mécanismes de redressement visant à réparer le préjudice causé par le harcèlement, devaient être générales et efficaces. [La question de ce qui constitue des mesures nécessaires en matière de prévention dans le contexte du paragraphe 65(2) est également abordée ci-après.] Il y a donc un recoupement apparent entre la condition énoncée au paragraphe 65(2) selon laquelle toutes les mesures nécessaires doivent avoir été prises en matière de prévention et les conditions qui, selon la décision Franke, doivent être remplies pour qu’il existe une obligation de signalement.

[354] Il n’en demeure pas moins que la deuxième condition énoncée au paragraphe 65(2) s’applique uniquement à l’employeur intimé et qu’elle exige une action antérieure uniquement de la part de l’employeur intimé. Il n’y a rien dans le libellé de la deuxième condition qui pourrait être interprété comme impliquant qu’une mesure doit avoir été prise par le plaignant ou comme créant une obligation distincte ou correspondante pour le plaignant. L’obligation de prévenir le harcèlement, énoncée au paragraphe 65(2), ne s’étend pas au-delà de l’employeur. De plus, l’obligation de prévenir le harcèlement s’applique à l’employeur intimé dans tous les cas. La question est de savoir dans quelle mesure. Le Tribunal conclut que, lorsque le paragraphe 65(2) est invoqué, l’obligation de signalement qui incombe au plaignant ne s’applique pas dans le contexte de prévention visé au paragraphe 65(2) de la même façon qu’elle a été appliquée dans la décision Franke.

[355] Le Tribunal est ainsi amené à examiner une autre différence entre le paragraphe 65(2) et l’obligation de signalement énoncée dans la décision Franke. Pour être dégagé de sa responsabilité, l’employeur doit également satisfaire à la troisième condition énoncée au paragraphe 65(2), à savoir qu’il a, après que le harcèlement eut eu lieu, pris les mesures nécessaires pour en atténuer ou en annuler les effets. Là encore, la troisième condition repose sur les mesures antérieures prises par l’employeur intimé. Le libellé de la troisième condition énoncée au paragraphe 65(2) ne comporte aucune obligation de signalement. Rien ne permet raisonnablement de l’interpréter comme créant implicitement une obligation pour le plaignant.

[356] En outre, le paragraphe 65(2) s’applique uniquement lorsqu’un employeur intimé cherche à se prévaloir du moyen de défense qu’il prévoit. Toutefois, une fois que ce moyen de défense a été invoqué, les conditions relatives à la prise de mesures raisonnable en matière de prévention et d’atténuation qui sont énoncées au paragraphe 65(2) deviennent des exigences qui s’appliquent uniquement à l’employeur, aux fins de cet article. Les deux conditions relatives à la prise de « toutes les mesures nécessaires » qui sont imposées à l’employeur ne sont pas subordonnées ou autrement liées à une obligation de signalement pour le plaignant. Le Tribunal conclut qu’on ne saurait raisonnablement soutenir que les deux conditions énoncées au paragraphe 65(2) imposent implicitement une obligation de signalement, car ces conditions concernent expressément les mesures nécessaires qui doivent avoir été prises par l’employeur intimé pour prévenir le harcèlement et, subséquemment, pour en atténuer et en annuler les effets.

[357] Le Tribunal conclut que le paragraphe 65(2) n’implique aucune obligation de signalement pour le plaignant. Or, cette conclusion ne signifie pas que l’obligation de signalement n’est pas pertinente dans le contexte de l’analyse d’une plainte pour harcèlement sexuel.

(iii) L’obligation de signalement est-elle pertinente en ce qui concerne le paragraphe 65(2)?

[358] Le Tribunal est d’avis que c’est lorsqu’il appert que les deux premières conditions du paragraphe 65(2) ont été satisfaites, mais pas la troisième, que l’obligation de signalement qui incombe au plaignant devient pertinente, c’est-à-dire lorsqu’il est établi que 1) le harcèlement a eu lieu sans le consentement de l’employeur et que 2) celui-ci avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher, mais que 3) l’employeur n’a pas, par la suite, pris les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement. C’est là que l’obligation du plaignant de signaler le harcèlement sexuel entre en jeu dans l’analyse de la plainte. Si un employeur intimé ne sait pas que des actes présumés de harcèlement sexuel ont lieu en milieu de travail parce que le plaignant ne les a pas signalés, le plaignant ne peut pas légitimement reprocher à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour faire enquête et atténuer les effets du harcèlement. Le défaut d’un employé de signaler des actes de harcèlement sexuel offre une défense fondée sur la preuve à l’employeur intimé qui n’a pas consenti au harcèlement et qui a pris les mesures nécessaires pour l’empêcher, mais qui ne peut pas être autrement dégagé de sa responsabilité au titre du paragraphe 65(2) parce qu’il n’est pas en mesure d’établir qu’il satisfait à la troisième condition. C’est dans un tel contexte que l’obligation de signalement qui incombe au plaignant revêt le plus de pertinence.

[359] Le Tribunal conclut que le paragraphe 65(2) commande d’adopter, à l’égard de l’obligation de signalement, une approche différente de celle définie dans la décision Franke, où l’obligation de signalement s’applique dans le contexte du critère juridique relatif au harcèlement sexuel. Le Tribunal est d’avis que le critère juridique relatif au harcèlement sexuel doit demeurer axé sur la question de savoir s’il y a eu harcèlement sexuel, comme c’était le cas dans l’arrêt Janzen. Compte tenu de l’importance que revêt le paragraphe 65(2) dans le contexte des procédures engagées en vertu de la Loi, il semble déraisonnable d’imposer une obligation de signalement au plaignant dans le cadre du critère juridique auquel le plaignant doit satisfaire pour établir qu’il y a eu harcèlement sexuel. Si tel était le cas, le plaignant aurait l’obligation de prouver qu’il a signalé le harcèlement sexuel avant qu’il ait été établi que le harcèlement a eu lieu sans le consentement de l’employeur et que celui-ci avait pris les mesures nécessaires pour l’empêcher. Cette situation équivaudrait à imposer une obligation de signalement avant que la viabilité, l’équité et la nécessité de telles mesures aient été évaluées, ce qui serait incompatible avec la séquence des conclusions requises pour statuer sur la responsabilité d’un employeur intimé, qui est établie à l’article 65. L’obligation de signalement ne devrait être prise en compte, dans la mesure où elle est pertinente, qu’une fois qu’il a été établi que l’employeur intimé satisfaisait aux deux premières conditions du paragraphe 65(2), mais qu’il n’a pas satisfait à la troisième condition, c’est-à-dire qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires, à la suite du harcèlement, pour en atténuer ou en annuler les effets.

(iv) La séquence des questions à trancher dans les affaires de harcèlement sexuel

[360] Pour les motifs exposés ci-dessus, le Tribunal conclut que la séquence des questions à trancher au titre de Loi, y compris l’article 65, doit être la suivante :

  • 1)Il faut premièrement déterminer si les actes et les omissions en cause constituent du harcèlement sexuel de la part du harceleur présumé conformément à la définition établie dans l’arrêt Janzen, y compris les éléments évalués dans la décision Franke pour déterminer si le plaignant a été victime de harcèlement sexuel. Si tel est le cas, l’employeur intimé doit être déclaré responsable au titre du paragraphe 65(1), à moins qu’il ne puisse se prévaloir d’une défense fondée sur le paragraphe 65(2).

  • 2)Deuxièmement, l’employeur intimé doit démontrer qu’il satisfait aux trois conditions énoncées au paragraphe 65(2) afin de pouvoir invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2), c’est-à-dire 1) que le harcèlement a eu lieu sans son consentement; 2) qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher; et 3) qu’il a, après que le harcèlement eut eu lieu, pris les mesures nécessaires pour en atténuer ou en annuler les effets.

  • 3)Si l’employeur intimé démontre qu’il satisfaisait aux deux premières conditions, mais qu’il appert qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement, la question de savoir si le plaignant a avisé l’employeur du harcèlement ou si l’employeur avait autrement connaissance ou aurait dû avoir autrement connaissance du harcèlement, constituera un facteur pertinent et important pour déterminer si l’employeur intimé peut néanmoins être dégagé de sa responsabilité au titre du paragraphe 65(2) en établissant qu’il a pris toutes les mesures nécessaires dans les circonstances.

[361] La question de savoir si l’employeur intimé savait ou non ou aurait dû ou non savoir que des actes de harcèlement présumés avaient lieu au travail est incontestablement pertinente pour l’évaluation de la nature et de l’étendue de son obligation de prendre les mesures nécessaires en matière d’atténuation.

XII. La question de savoir si UPS peut être tenue responsable du harcèlement sexuel

A. Les actes commis ont eu lieu sans son consentement

(i) Connaissance versus consentement

[362] UPS affirme qu’elle n’avait aucunement connaissance que M. Gordon harcelait sexuellement Mme Peters. Elle attribue cette non-connaissance au fait que Mme Peters n’a pas signalé le harcèlement. UPS fait valoir qu’elle n’aurait donc pas pu consentir au harcèlement. UPS soutient que le Tribunal devrait conclure que le harcèlement a eu lieu sans le consentement d’UPS et que celle-ci n’est pas responsable au titre du paragraphe 65(2).

[363] Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, le paragraphe 65(1) de la Loi n’exige pas qu’UPS ait eu connaissance de l’acte répréhensible au moment où il a été commis pour en être tenue responsable. Selon les dispositions du paragraphe 65(1), UPS est automatiquement responsable.

[364] Le paragraphe 65(2) ne fait pas usage du mot « connaissance », pas plus qu’il n’indique que l’employeur doit avoir donné son consentement exprès pour être tenu responsable. Aucun employeur raisonnable ne consentirait expressément à des actes de harcèlement sexuel. Il serait très improbable qu’un employeur consente de façon proactive et explicite à ce que l’un de ses employés harcèle sexuellement un autre employé. Si, pour pouvoir conclure à la responsabilité d’un employeur, il fallait d’abord établir que l’employeur a explicitement ou ouvertement consenti à l’acte ou à l’omission en question, peu d’employeurs seraient tenus responsables au titre du paragraphe 65(2), voire aucun.

[365] Non seulement le terme « consentement exprès » n’est pas utilisé au paragraphe 65(2), mais ce dernier n’indique pas que l’employeur doit avoir donné son consentement pour être tenu responsable. Si le paragraphe 65(2) prévoyait une telle chose, les employeurs pourraient garder le silence sur la question du harcèlement sexuel et éviter toute responsabilité sous prétexte qu’ils n’ont pas activement consenti au harcèlement.

[366] Le critère juridique prévu au paragraphe 65(2) exige que l’employeur établisse que « l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement », c’est-à-dire qu’il n’y a pas consenti. Il s’agit d’une exigence plus difficile à satisfaire, car l’employeur doit établir un fait négatif, à savoir qu’il n’a pas consenti au harcèlement ou, en d’autres termes, qu’il n’a pas donné son consentement. Il est donc nécessaire de procéder à une analyse des aspects pertinents au regard de la question du consentement et de ce qu’il en était de ces aspects pendant la période raisonnable qui a précédé le début des actes de harcèlement.

[367] En outre, le fait qu’un employeur n’ait pas eu connaissance du harcèlement ne saurait être assimilé, à lui seul, au fait que le harcèlement « a eu lieu sans son consentement ». La connaissance et le consentement ne sont pas des concepts identiques et ne sont pas interchangeables. Soit on a connaissance d’une chose, soit on n’en a pas connaissance. En revanche, le consentement peut être explicite ou implicite.

[368] Un employeur peut, par inadvertance ou de façon implicite, négliger de signifier que les actes reprochés se sont produits « sans son consentement ». Cette situation peut se produire lorsque l’employeur n’est pas proactif. Souvent, lorsqu’il y a harcèlement sexuel, celui-ci se produit initialement à l’insu de l’employeur. Le signalement a toujours lieu après le fait. Ainsi, pour qu’un incident se soit produit « sans son consentement », l’employeur doit vraisemblablement avoir signifié, préalablement à la conduite visée par la plainte, que la conduite survenait « sans son consentement ». En outre, pour éviter la complication liée au consentement implicite, le « non-consentement » de l’employeur doit être signifié de façon explicite et communiqué efficacement.

[369] À titre d’exemple, un employeur qui n’a pas de politique en matière de harcèlement pourrait donner l’impression, dans les circonstances d’une affaire donnée, de ne pas s’être penché sur la nécessité de signifier clairement à ses employés que le harcèlement sexuel est interdit en milieu de travail ou de ne s’être jamais arrêté à la question. Il est possible que l’employeur n’ait jamais eu l’intention de consentir implicitement à des actes de harcèlement sexuel, mais il ne pourra probablement pas démontrer ou il aura du mal à démontrer que les actes ont eu lieu « sans son consentement », ce qui est précisément ce que l’employeur doit établir selon le paragraphe 65(2). Ainsi, pour établir qu’il n’avait pas donné son consentement, il semble que l’employeur doive démontrer qu’il avait pris certaines mesures ou effectué certaines communications, et qu’il ne s’agissait pas d’une situation où il n’aurait rien fait du tout. Dans cet exemple, l’employeur n’aurait pas signifié aux employés ou à l’auteur du harcèlement que le harcèlement sexuel n’était pas acceptable en milieu de travail. L’absence de communications explicites selon lesquelles le harcèlement n’est pas toléré expose l’employeur au risque que le Tribunal conclue qu’il n’avait pas sensibilisé ses employés à la question du harcèlement sexuel ou qu’il ne s’en souciait pas. Lorsqu’il n’est pas clairement établi que le harcèlement sexuel n’est pas toléré, l’employeur peut ne pas être en mesure de démontrer qu’il n’avait pas donné son consentement ou qu’il existait une interdiction. Or, il semble que ce soit précisément ce qu’exige le paragraphe 65(2), en particulier le passage indiquant que l’acte ou l’omission doit avoir eu lieu sans le consentement de l’employeur.

[370] Un employeur n’est pas tenu de signifier au préalable qu’il « ne consent pas » à la multitude de comportements problématiques qui peuvent survenir en milieu de travail, comme un comportement qui constituerait un motif valable de congédiement. Il y a de nombreux comportements à l’égard desquels les employeurs n’ont aucune obligation légale de prévention; les incidents liés à la santé et à la sécurité faisant, bien sûr, exception. Toutefois, la question que pose le paragraphe 65(2) n’est pas de savoir si l’employeur doit « ne pas avoir consenti » au harcèlement sexuel pour être à même de prendre des mesures et de gérer son milieu de travail. La question est de savoir si l’employeur devrait être dégagé de la responsabilité que lui attribue le paragraphe 65(1) à l’égard du comportement problématique que constitue le harcèlement sexuel. Dans ce contexte, il n’est pas déraisonnable d’exiger de l’employeur qui cherche à être exonéré de sa responsabilité qu’il ait fait preuve d’une certaine proactivité, notamment en communiquant efficacement de l’information selon laquelle le harcèlement sexuel a lieu sans son consentement, de façon à ce qu’il apparaisse clairement qu’un éventuel acte de harcèlement surviendrait sans son consentement. Ce raisonnement concorde avec les autres conditions énoncées au paragraphe 65(2) qui exigent non seulement que l’employeur ait été proactif, mais qu’il ait pris toutes les mesures nécessaires.

[371] Le défaut de signifier son « non-consentement » peut également survenir lorsqu’un employeur qui a connaissance que des actes de harcèlement sont commis permet que ces actes se poursuivent en ne prenant aucune mesure pour les faire cesser. Le fait de fermer les yeux sur des actes de harcèlement est une autre façon de consentir, par l’inaction, au harcèlement sexuel ou de ne pas signifier son non-consentement.

[372] Selon la gravité de la conduite en cause, certains comportements à caractère sexuel doivent survenir de façon répétée pour être considérés comme du harcèlement sexuel au sens de la Loi. Il se peut également qu’un employeur n’ait eu aucune politique écrite au moment où le harcèlement a débuté, mais puisse néanmoins établir qu’il n’a pas consenti à ce que le harcèlement se poursuive. Lorsque l’employeur interpelle directement le possible harceleur après un premier acte de harcèlement mineur et qu’il lui signifie clairement que ce type de comportement ou tout autre comportement similaire est problématique et n’est pas autorisé en milieu de travail et/ou qu’il exige que l’employé suive une formation en matière de harcèlement sexuel, l’employeur pourrait fort bien être en mesure de démontrer qu’il n’a pas consenti au harcèlement si celui-ci se poursuit. Toutefois, si l’incident initial est suffisamment grave pour satisfaire au critère juridique relatif au harcèlement sexuel et qu’il n’y a pas eu de communication préalable indiquant que l’employeur ne consentait pas au harcèlement, l’employeur pourrait ne pas être en mesure de se soustraire à la responsabilité que lui attribue le paragraphe 65(1). Chaque cas doit être évalué en fonction des faits qui lui sont propres.

[373] Mais, il n’en demeure pas moins que le fait de « ne pas savoir » et le fait que des actes se produisent « sans son consentement » sont deux choses différentes. La question du consentement est plus vaste et plus nuancée. Le critère selon lequel les actes de harcèlement doivent avoir eu lieu « sans [le] consentement » ne dépend pas simplement du fait que l’employeur ignorait leur existence.

[374] Pour ces motifs, même en supposant qu’UPS soit en mesure d’établir qu’elle n’avait pas connaissance du harcèlement, le Tribunal n’est pas convaincu par l’argument juridique d’UPS selon lequel elle n’a pas pu consentir au harcèlement, au sens du paragraphe 65(2), puisqu’elle n’avait pas connaissance qu’il se produisait.

(ii) Politique interdisant le harcèlement sexuel

[375] UPS soutient en outre qu’il existait dans ses lieux de travail une politique efficace interdisant le harcèlement sexuel, qui démontre qu’elle n’avait pas consenti au harcèlement. UPS soutient que la preuve présentée à l’audience démontre que tous les employés qui ont témoigné comprenaient que le harcèlement sexuel était strictement interdit en milieu de travail. Le Tribunal laisse de côté pour le moment la question de savoir si UPS disposait d’une politique efficace au regard de l’exigence énoncée au paragraphe 65(2) selon laquelle un employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement. Cette question sera examinée un peu plus loin.

[376] Il est entendu que les politiques en milieu de travail peuvent constituer un moyen efficace pour un employeur de signifier à ses employés qu’il ne consent pas au harcèlement sexuel. Toutefois, l’exigence relative au « non-consentement » de l’employeur s’applique aux actes de harcèlement commis par le harceleur au titre du paragraphe 65(1), et non au milieu de travail en général. Le non-consentement de l’employeur aux actes ou au comportement en cause doit être communiqué à l’auteur de ces actes ou de ce comportement. Des communications peuvent être effectuées en milieu de travail, mais si celles-ci ne sont pas adressées directement au harceleur présumé, elles peuvent ne pas être suffisantes pour établir que l’employeur n’avait pas consenti aux actes ou aux omissions du harceleur.

[377] Qui plus est, l’interdiction de se livrer à du harcèlement sexuel en milieu de travail doit être communiquée au harceleur de façon efficace. L’efficacité de cette communication repose non seulement sur le moyen de communication utilisé, mais sur la teneur du message communiqué. Pour établir qu’il ne consentait pas au harcèlement, un employeur doit démontrer qu’il avait efficacement informé le harceleur de ce qu’est le harcèlement sexuel et du fait que le harcèlement sexuel est interdit.

(iii) Conclusions concernant l’absence de consentement

[378] En l’espèce, UPS a fourni une politique sur « le harcèlement sexuel », datée de 2003, stipulant que toute forme de discrimination, y compris le harcèlement sexuel, est interdite. Cette politique semble avoir évolué pour devenir, en 2006, la [traduction] « Politique sur la conduite professionnelle et la lutte contre le harcèlement ». Des copies signées par M. Ghanem de la politique de 2003 et de la politique de 2006 ont été remises au Tribunal. Il semble qu’une grande partie, mais pas la totalité, de la politique de 2003 ait été reprise dans la politique de 2006. UPS a également fourni des copies de la [traduction] « Politique sur la conduite professionnelle et la lutte contre le harcèlement » (la « politique contre le harcèlement ») signées par M. Gordon en 2006 et par Mme Peters en 2011 et 2014. L’existence de cette politique établit dans une certaine mesure qu’UPS ne consentait pas au harcèlement sexuel en milieu de travail. Elle montre également dans une certaine mesure qu’UPS avait pris les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement. Comme il a été mentionné, cette question est abordée plus en détail dans une section subséquente dans les présents motifs.

[379] Les deux politiques contiennent une définition du harcèlement sexuel qui est tirée du Code canadien du travail. La politique de 2003 sur « le harcèlement sexuel » stipule que le harcèlement fondé sur le sexe est interdit en vertu du Code canadien du travail. Cette politique mentionne également que le harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire aux termes de la Loi. La politique contre le harcèlement qui est entrée en vigueur en 2006 ne fait aucune mention de la Loi. Elle stipule que la discrimination et le harcèlement sont interdits au sein de la communauté d’UPS. Elle n’indique pas de façon explicite que le harcèlement fondé sur le sexe constitue une violation du Code canadien du travail. Là encore, le Tribunal se garde pour le moment d’examiner l’exactitude, l’exhaustivité et l’efficacité potentielle du contenu de la politique à titre de « mesure nécessaire » pour prévenir le harcèlement. En ce qui concerne le consentement, la question est de savoir si la politique a permis d’informer efficacement M. Gordon de ce qu’est le harcèlement sexuel et du fait qu’il est interdit en milieu de travail.

[380] La politique contre le harcèlement indique clairement que le harcèlement est interdit en milieu de travail. En ce qui a trait à la discrimination et au harcèlement, la politique mentionne [traduction] « les insultes, les menaces, les blagues inappropriées et autres remarques désobligeantes » ainsi que les « éléments visuels et les comportements non verbaux inappropriés ». La politique indique que le harcèlement peut prendre différentes formes, notamment :

[traduction]

a) Verbal : insinuations sexuelles répétées, épithètes raciales ou sexuelles, insultes ou remarques désobligeantes, blagues de mauvais goût, propositions, menaces ou sons suggestifs ou insultants;

b) Visuel/non verbal : affiches, caricatures ou dessins désobligeants, images ou objets suggestifs, commentaires explicites, gestes lubriques ou obscènes;

c) Physique : contacts physiques non désirés, y compris le batifolage, les attouchements, le fait de gêner les mouvements normaux d’une personne au travail ou l’agression;

d) Autre : exercer ou menacer d’exercer des représailles en réponse à une réaction négative au harcèlement.

[381] La politique donne le harcèlement sexuel comme exemple de harcèlement et fait mention, dans ce contexte, [traduction] « [d’]avances sexuelles importunes ». Elle indique que, selon le Code canadien du travail, le harcèlement sexuel s’entend de [traduction] « tout comportement, propos, geste ou contact qui, sur le plan sexuel :

a) soit est de nature à offenser ou humilier un employé;

b) soit peut, pour des motifs raisonnables, être interprété par celui-ci comme subordonnant son emploi ou une possibilité de formation ou d’avancement à des conditions à caractère sexuel. »

[382] M. Gordon savait que le harcèlement sexuel était interdit en milieu de travail. On ne sait pas très bien cependant quel rôle, le cas échéant, cette politique a joué dans sa connaissance du fait que le harcèlement sexuel était interdit en milieu de travail ou dans sa compréhension de ce qui constitue du harcèlement sexuel. La politique contre le harcèlement a été communiquée à M. Gordon lorsqu’il a été embauché en 2006. Par « communiquée », le Tribunal entend qu’il a été établi que M. Gordon a lu la politique sur le harcèlement sexuel lorsqu’il a été appelé à prendre connaissance d’un ensemble de politiques au moment de son intégration. Il a témoigné avoir eu de 20 à 30 minutes pour examiner et signer tous les documents contenus dans cet ensemble. Il n’a pas reçu de formation. Lors de son témoignage, il n’a pas été interrogé sur sa connaissance du contenu de la politique. Aucun élément de preuve n’a été présenté en ce qui concerne le souvenir qu’il avait du contenu de la politique à l’époque des événements allégués. On ne peut pas présumer que M. Gordon avait un souvenir précis du contenu de la politique des années plus tard, c’est-à-dire de 2013 à 2015. Il est tout à fait possible que M. Gordon eût su que le harcèlement sexuel était interdit en milieu de travail du simple fait de ses connaissances générales. En outre, le Tribunal n’est pas prêt à conclure qu’à l’époque visée par la plainte dont le Tribunal est saisi, M. Gordon se souvenait des comportements qui sont définis dans la politique comme constituant du harcèlement sexuel.

[383] M. Gordon a témoigné que les superviseurs à temps plein étaient formés à nouveau chaque année, mais pas les superviseurs à temps partiel. Les superviseurs à temps partiel recevaient chaque année des politiques qu’ils devaient signer, mais aucune explication ou démonstration de ces politiques ne leur étaient données. À titre de superviseur à temps partiel, il lui arrivait aussi, à l’occasion, de devoir lire des politiques à voix haute devant les autres employés lors de courtes réunions d’information de cinq minutes appelées [traduction] « réunions d’information préalables au travail » [les « réunions d’information »]. Il a notamment été appelé à lire une politique contre le harcèlement aux employés qui étaient présents.

[384] La question est de savoir si M. Gordon savait ce qu’est le harcèlement sexuel et, donc, s’il comprenait ce qui était interdit par son employeur. Autrement dit, M. Gordon comprenait-il ce à quoi son employeur ne consentait pas au travail? Le Tribunal n’est pas convaincu, après examen de la preuve, que l’employeur avait informé efficacement M. Gordon de ce qu’est le harcèlement sexuel avant les événements allégués. En outre, à titre de superviseur à temps partiel, M. Gordon n’avait aucune expérience de l’application de la politique en milieu de travail. Comme le Tribunal l’a souligné, M. Gordon a déclaré que [traduction] « si [son] comportement constituait du harcèlement sexuel, alors [il ne savait] pas ce qu’était le harcèlement sexuel ». Le Tribunal s’est également penché sur la question de savoir si M. Gordon savait ce qu’était le harcèlement sexuel, mais s’était malgré tout livré à du harcèlement sexuel. Cette question était préoccupante pour le Tribunal vu que celui-ci avait déterminé que certains aspects du témoignage de M. Gordon manquaient de crédibilité. Le Tribunal est d’avis que M. Gordon savait ou aurait dû savoir, du fait de ses connaissances générales, que les deux incidents impliquant un contact physique avec Mme Peters constituaient du harcèlement sexuel.

[385] En ce qui concerne ses autres comportements de harcèlement sexuel, M. Gordon aurait dû savoir, ou éventuellement comprendre, d’après les réactions de Mme Peters que ces comportements étaient importuns. Or, il n’avait pas suffisamment conscience des normes sociales ou n’était pas suffisamment sensible à ces dernières pour faire ce constat. Cette observation est fondée sur certaines parties de son témoignage ainsi que sur le témoignage de certains de ses collègues. M. Gordon n’était pas disposé à admettre que sa conduite était importune.

[386] Même s’il avait reconnu que sa conduite était importune, il n’aurait sans doute pas compris qu’il s’agissait de harcèlement sexuel. Le Tribunal croit M. Gordon lorsqu’il affirme qu’il ne savait pas ce qu’est le harcèlement sexuel. M. Gordon ne semblait pas avoir conscience qu’il ne lui appartenait pas de décider si les comportements qu’il a adoptés constituaient ou non du harcèlement sexuel. Le Tribunal croit que si des exemples d’actes de harcèlement sexuel — objectivement flagrants et désobligeants — commis par d’autres personnes étaient fournis à M. Gordon, celui-ci reconnaîtrait qu’il s’agit là de comportements que personne ne veut subir. Or, il n’était pas en mesure de reconnaître que son propre comportement constituait du harcèlement sexuel. Il ne comprenait pas que l’évaluation subjective qu’il pouvait faire de la question n’y changeait rien. Il ne comprenait pas que, dans la mesure où Mme Peters jugeait que sa conduite avait un caractère sexuel et qu’elle était importune, il s’exposait à de graves ennuis au travail s’il persistait à se comporter comme il le faisait. Il semble plutôt avoir cru que l’évaluation qu’il faisait de ses propres actes et la façon dont il interprétait sa relation avec Mme Peters seraient déterminantes en l’espèce.

[387] Mis à part les incidents d’agression et d’attouchement non désiré qu’a subis Mme Peters en janvier 2015, dont M. Gordon savait ou aurait dû savoir qu’ils constituaient respectivement une agression sexuelle et un contact sexuel non désiré, il semble que M. Gordon considérait son comportement de sollicitation envers Mme Peters et les commentaires qu’il faisait à son sujet au travail comme étant positifs et amicaux. M. Gordon n’a pas fait de remarques ou de commentaires désobligeants, de blagues offensantes, de propositions (un mot qui pourrait être interprété comme renvoyant au fait de proposer sans détour et de façon désobligeante d’avoir un rapport sexuel), de menaces, de sons suggestifs ou insultants, de gestes lubriques ou obscènes ni utilisé d’épithètes sexuelles en milieu de travail. M. Gordon a appelé Mme Peters [traduction] « sa chérie » et a dit qu’il la trouvait [traduction] « belle » et qu’il voulait [traduction] « lui faire un câlin et la serrer dans ses bras ». Ses comportements indiquent qu’il présumait qu’elle apprécierait ses commentaires. Il n’a pas semblé avoir conscience du fait qu’il l’a offensée, embarrassée et humiliée en lui adressant ces commentaires à maintes reprises au travail et en les formulant devant des personnes avec qui elle travaillait. M. Gordon ne savait manifestement pas que le harcèlement sexuel peut englober les commentaires non dénigrants, en apparence élogieux, lorsque ceux-ci sont importuns et expriment un désir de possession sexuelle envers un employé.

[388] La preuve ne permet pas d’établir avec certitude si la compréhension qu’avait M. Gordon de ce qui constitue du harcèlement sexuel découlait de sa lecture de la politique contre le harcèlement d’UPS. Toutefois, si tel était le cas, force est de constater que la politique ne définissait pas adéquatement le harcèlement sexuel dans un contexte où les actes posés n’ont pas un caractère désobligeant. Le harcèlement sexuel comprend tout comportement de nature sexuelle qui est importun et persistant. La politique n’indique pas, et M. Gordon ne comprenait pas, que le fait pour un employé de savoir qu’un collègue parle de lui d’une façon possessive sur le plan sexuel, alors que cet employé ne souhaite pas avoir ce genre de relation, peut s’avérer une expérience profondément troublante et humiliante, selon les circonstances. C’était manifestement le cas pour Mme Peters dans les circonstances de la présente affaire.

[389] À première vue, UPS n’a pas consenti au harcèlement puisqu’elle avait une politique contre le harcèlement sexuel en milieu de travail. Certains des employés qui ont témoigné ont confirmé qu’ils savaient que le harcèlement sexuel était strictement interdit au travail, et M. Gordon a fait aussi une déclaration dans le même sens. Cependant, UPS n’a pas informé efficacement M. Gordon de ce qui constituait du harcèlement sexuel, et cet aspect est particulièrement pertinent. La preuve concernant la façon dont M. Gordon s’est comporté à l’époque démontre que celui-ci n’avait pas une compréhension approfondie de ce qu’est le harcèlement sexuel. Et son témoignage n’a pas atténué cette impression. Le fait que M. Gordon ait déclaré que [traduction] « si [son] comportement constituait du harcèlement sexuel, alors [il ne savait] pas ce qu’était le harcèlement sexuel », confirme l’évaluation globale que le Tribunal fait de la preuve à cet égard.

[390] Bien sûr, la compréhension que M. Gordon avait de la politique est une considération pertinente, mais il ne s’agit pas d’une norme déterminante. Si UPS avait communiqué d’une façon efficace et substantielle une politique expliquant et interdisant le harcèlement sexuel en milieu de travail, y compris auprès de M. Gordon, et que M. Gordon avait été incapable, en raison d’une déficience ou d’une limitation fonctionnelle, de comprendre raisonnablement cette politique et de faire la distinction entre ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas, il serait injuste de tenir UPS responsable. Or, personne n’a laissé entendre qu’une limitation fonctionnelle pouvait être en cause dans la présente affaire.

[391] En l’espèce, la preuve n’est pas suffisante pour permettre au Tribunal de conclure que les politiques ont été communiquées de façon substantielle et efficacement expliquées à M. Gordon. UPS n’a pas établi avoir fourni à M. Gordon une explication suffisante du comportement auquel elle ne consentait pas.

[392] M. Gordon a déclaré qu’après avoir reçu la plainte relative aux droits de la personne en mars 2015, il a pris grand soin d’éviter les communications de nature personnelle avec les autres employés. Le Tribunal croit le témoignage de M. Gordon à cet égard. D’autres éléments de preuve indiquent que M. Gordon faisait preuve de prudence quant aux comportements qu’il adoptait lorsqu’il comprenait les concepts en jeu. M. Gordon avait déjà compris qu’à titre de superviseur, il ne pouvait pas faire preuve de favoritisme envers un ami ou une amie, ce qui aurait été pertinent si la présente affaire avait impliqué des allégations selon lesquelles l’emploi de Mme Peters était subordonné à des conditions de nature sexuelle. M. Gordon comprenait cette règle suffisamment bien, au point de la communiquer à Mme Peters lorsqu’il est devenu son superviseur, et ce, malgré qu’il avait déjà commencé à la harceler sexuellement et qu’il ait continué de le faire par la suite.

[393] M. Gordon n’avait pas une compréhension suffisante de la façon dont sa conduite envers Mme Peters serait jugée. Il ne comprenait pas que le fait d’alléguer une amitié avec Mme Peters ou une relation avec cette dernière en dehors du travail ne constituerait pas une défense contre sa conduite dans la mesure où celle-ci était importune et qu’elle perdurait. Il ne semblait pas comprendre qu’il pouvait y avoir des indices que son comportement était importun en dehors d’une confrontation directe avec Mme Peters.

[394] Certes, UPS interdisait le harcèlement sexuel dans ses lieux de travail et disposait d’une politique contre le harcèlement, mais ces exigences à cet égard n’ont pas été efficacement communiquées à M. Gordon, le harceleur. Sans en avoir délibérément l’intention, UPS a omis de ne pas consentir au harcèlement exercé par le harceleur, M. Gordon, et, pour cette raison, elle ne satisfait pas à la première des trois conditions énoncées au paragraphe 65(2) auxquelles un employeur doit satisfaire pour être dégagé de sa responsabilité.

B. Signalement du harcèlement

[395] Le Tribunal a expliqué pourquoi il ne suffit pas qu’un employeur n’ait pas eu connaissance qu’un employé se sentait harcelé sexuellement au travail pour que l’on puisse considérer que le harcèlement a eu lieu sans son consentement aux fins du paragraphe 65(2). Le Tribunal a ainsi conclu qu’UPS ne satisfaisait pas à l’exigence énoncée au paragraphe 65(2) selon laquelle le harcèlement exercé par M. Gordon devait avoir eu lieu sans son consentement. À cet égard, UPS a avancé plusieurs arguments fondés sur le fait que Mme Peters ne l’avait pas avisée de l’existence d’un problème de harcèlement sexuel au travail. Le Tribunal a en outre conclu que le degré de connaissance de l’employeur peut être pertinent en ce qui concerne le défaut présumé de ce dernier de prendre toutes les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement. À cet égard, la question de savoir si le harcèlement a été signalé est pertinente pour déterminer si l’employeur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une perception de harcèlement au travail. Par conséquent, la question de savoir si UPS savait qu’un problème potentiel de harcèlement était présent dans son milieu de travail exige une conclusion de fait.

[396] L’argument d’UPS quant au signalement, lequel est fondé sur l’obligation de signaler le harcèlement en common law, exige que le Tribunal examine un nombre important d’éléments de preuve contradictoires et procède à plusieurs évaluations de la crédibilité afin de déterminer si Mme Peters a signalé qu’elle était victime de harcèlement sexuel, que ce soit lors de la rencontre qui a lieu en janvier 2015 ou autrement. Le Tribunal doit également tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve se rapportant à l’accessibilité et à la disponibilité des ressources liées aux RH qui étaient offertes au travail en matière de harcèlement sexuel, aux efforts présumés de Mme Peters pour signaler le harcèlement et aux rôles joués par les gestionnaires et la déléguée syndicale dans la présente affaire, entre autres questions. Le Tribunal entend revenir sur les aspects les plus pertinents et les plus importants de ces questions, mais estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si Mme Peters a avisé UPS du harcèlement qu’elle subissait lors de la rencontre de janvier 2015, ce que nie UPS, ou par d’autres moyens. Il en est ainsi parce que, contrairement à ce que soutient UPS, il ne fait aucun doute qu’UPS a été avisée des allégations de Mme Peters. UPS a reçu une description détaillée des allégations, et non simplement un avis selon lequel des actes de harcèlement sexuel étaient allégués.

[397] Comme indiqué, UPS a reçu une copie de la plainte provinciale de Mme Peters au plus tard le 23 mars 2015. Comme indiqué également, UPS et M. Gordon étaient tous deux désignés comme intimés, de même que M. Ghanem, le superviseur à temps plein, et M. Brent Dambrosio, le gestionnaire des opérations de chargement. UPS savait donc que Mme Peters avait déposé une plainte pour harcèlement sexuel contre M. Gordon, les autres gestionnaires concernés qui étaient à l’emploi d’UPS et UPS elle-même. UPS avait cette information en sa possession en date du 23 mars 2015, car elle avait reçu la plainte au plus tard à cette date. Ces faits ne sont pas contestés.

[398] UPS n’a pas laissé entendre que la plainte provinciale et la plainte qui a par la suite été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en juillet 2015 (la « plainte écrite ») différaient à quelque égard important que ce soit. Bien que la plainte provinciale n’ait pas été déposée comme pièce par les parties à l’audience, le Tribunal peut raisonnablement présumer que, s’il y avait eu des différences importantes entre les deux plaintes, susceptibles de compromettre la capacité d’UPS de répondre aux allégations à ce moment-là ou de mener une ou des enquêtes efficaces, UPS en aurait informé le Tribunal. Au lieu de cela, UPS a indiqué à l’audience que la plainte écrite de Mme Peters lui fournissait tous les renseignements dont elle avait besoin. UPS a adopté cette position en réponse aux critiques formulées par la Commission et par Mme Peters relativement au fait qu’elle n’avait pas interrogé Mme Peters afin d’obtenir des renseignements sur sa plainte écrite.

[399] Lorsque UPS a reçu la plainte provinciale de Mme Peters, elle a pu prendre connaissance des aspects importants de celle-ci. Le Tribunal conclut qu’en date du 23 mars 2015, UPS avait été avisée, et suffisamment avisée, des aspects importants de la plainte relative aux droits de la personne déposée par Mme Peters.

[400] UPS n’a pas soutenu qu’elle n’avait pas eu à mener d’enquête parce que Mme Peters avait déposé une plainte auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Le fait qu’elle ait été avisée par l’entremise d’une tierce partie, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, ne change rien au fait qu’UPS a bel et bien été avisée, et le fait que l’information lui soit parvenue dans le contexte d’une procédure judiciaire engagée devant un autre tribunal, non plus. En tout état de cause, UPS n’a pas contesté son obligation d’enquêter. UPS a laissé entendre dans ses observations qu’elle n’avait pas été en mesure d’interroger Mme Peters parce que celle-ci avait des intérêts opposés. Cette question sera examinée plus loin.

[401] Pour souci de clarté, le Tribunal précise que l’introduction d’une procédure judiciaire n’annule pas l’obligation de l’employeur d’enquêter et d’atténuer les effets préjudiciables des actes de harcèlement sexuel qui ont été commis ou qui pourraient se poursuivre en milieu de travail. L’employeur a l’obligation immédiate de faire enquête et, s’il appert qu’il y a eu harcèlement, de corriger la situation. UPS était assujettie à cette obligation et elle a eu l’occasion d’enquêter et de prendre des mesures d’atténuation après avoir été avisée de la plainte en mars 2015. Dans la mesure où le résultat de l’enquête l’aurait justifié, UPS avait l’obligation d’offrir de l’aide à Mme Peters, de veiller à ce qu’aucun autre acte de harcèlement sexuel ne soit commis en milieu de travail et de confirmer qu’aucun autre employé n’était touché. La façon dont UPS a reçu l’information relative aux allégations n’est pas pertinente du point de vue de ses obligations une fois que l’information a été reçue.

[402] L’observation d’UPS selon laquelle Mme Peters n’a pas avisé UPS du harcèlement est axée sur les événements qui sont survenus en milieu de travail avant que Mme Peters ne soit mise en arrêt de travail pour cause de maladie. Les observations d’UPS sous-entendent que le défaut de Mme Peters d’aviser UPS avant son départ en congé de maladie équivaut à une absence totale d’avis. Une telle position laisse entendre que, pour pouvoir donner avis du harcèlement, Mme Peters devait encore occuper activement un emploi chez UPS. La plainte provinciale a été déposée peu après le début de son congé de maladie. À ce moment, Mme Peters était encore une employée d’UPS. Elle n’était pas privée de la possibilité d’aviser son employeur simplement parce qu’elle était en congé de maladie. En fait, son médecin l’a mise en congé de maladie jusqu’à ce que les [traduction] « problèmes liés au travail » soient réglés.

[403] UPS n’a pas abordé directement la question de savoir si Mme Peters était tenue de l’aviser avant le dépôt de sa plainte fédérale. Le Tribunal fait remarquer que, de toute façon, il appert de ces faits que Mme Peters avait bel et bien avisé UPS avant de déposer sa plainte fédérale. UPS a reçu sa plainte provinciale.

[404] Le Tribunal souligne ce qui suit :

  • 1)comme il est expliqué ci-après, UPS a reconnu que la plainte serait réacheminée au tribunal approprié;

  • 2)UPS a fini par mener une enquête sur le fondement des renseignements contenus dans la plainte de Mme Peters, comme elle avait l’obligation de le faire;

  • 3)UPS a mené cette enquête malgré qu’elle n’avait pas été avisée des allégations autrement que dans le contexte d’une procédure judiciaire existante.

Mme Peters a déposé sa plainte à nouveau auprès de la Commission et UPS a enquêté sur celle-ci en septembre 2015.

[405] Le Tribunal conclut qu’UPS a été avisée des allégations de harcèlement sexuel. Les arguments avancés par UPS qui sont fondés sur la prétention qu’UPS n’avait pas été avisée de l’existence d’un problème de harcèlement sexuel au travail et qu’elle ne pouvait donc pas être au courant doivent donc être rejetés, car ils ne reposent sur aucun fondement factuel.

[406] Avant d’en finir avec la question du signalement, il convient de s’attarder un instant au fait que Mme Peters avait été mise en congé de maladie par son médecin jusqu’à ce que [traduction] « les problèmes liés au travail » soient réglés. Le billet de son médecin daté du 3 février 2015 a donné à UPS un avis suffisant du fait qu’il y avait des problèmes au travail qui avaient une incidence sur la santé de Mme Peters. Le billet du médecin n’équivaut pas à un signalement de harcèlement, mais il s’en rapproche beaucoup. Quoi qu’il en soit, UPS aurait dû chercher à savoir quels étaient ces problèmes liés au travail. UPS n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pris aucune mesure à la suite de ce billet du médecin.

C. Quelle obligation le terme « mesures nécessaires » au paragraphe 65(2) impose-t-il à l’employeur?

[407] Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire pour lui permettre de rendre sa décision compte tenu de sa conclusion sur la question du consentement, le Tribunal entreprendra maintenant de déterminer si UPS a établi qu’elle satisfaisait aux deux conditions énoncées au paragraphe 65(2) qui exigent qu’un employeur intimé ait pris toutes les mesures nécessaires. La présente affaire aurait pu être tranchée sur le fondement de l’une ou l’autre des conditions énoncées au paragraphe 65(2) et le Tribunal aurait pu commencer son analyse par l’examen de n’importe laquelle de ces conditions. Toutes ont la même importance sur le plan juridique et toutes méritent la même attention de la part du Tribunal. Il est, de même, approprié que le Tribunal se penche sur chacune des trois conditions énoncées au paragraphe 65(2) pour le cas où sa décision, exposée ci-après, selon laquelle toutes les conditions doivent être satisfaites était infirmée.

(i) Norme de conduite applicable

[408] Il importe en premier lieu de tenir compte de la norme de conduite imposée par le paragraphe 65(2) et de ce qu’implique l’exigence selon laquelle l’employeur doit prendre « toutes les mesures nécessaires » pour prévenir le harcèlement sexuel et en atténuer ses effets.

[409] UPS a fait valoir que l’obligation de prendre « toutes les mesures nécessaires » prévue au paragraphe 65(2) n’exige pas la perfection. UPS soutient que par « mesures nécessaires », il faut entendre des efforts raisonnables. À cet égard, elle s’appuie sur la décision Cassidy dans laquelle le Tribunal a formulé l’observation suivante, au paragraphe 158 :

[…] à mon avis, le qualificatif « toutes » précédant « mesures nécessaires » ne nécessite pas l’application d’une norme de « perfection » dans l’exercice des mesures nécessaires. Au contraire, le qualificatif exige que la société intimée ait toujours exercé les mesures nécessaires raisonnables.

Il était implicite dans les observations d’UPS que celle-ci exhortait le Tribunal à adopter en l’espèce la même approche que dans la décision Cassidy.

[410] Dans la décision Cassidy, le Tribunal a cité la décision qu’il avait rendue en 1988 dans Hinds c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 109 (TCDP), (1988), 10 CHRR D/5683, au paragraphe 41611 [« Hinds »] et dans laquelle il avait appliqué le paragraphe 48(6) de la Loi, qui correspond au paragraphe 65(2) actuel :

Bien que la LCDP n’exige pas que l’employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu’il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu’il sait, ou qu’il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste […] Pour se soustraire à la responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas.

[411] En plus de citer la décision Hinds, le Tribunal, dans la décision Cassidy, a fait sienne l’approche qui avait été adoptée par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans deux affaires : Sutton c. Jarvis Ryan Associates et al., 2010 HRTO 2421 (Can LII), laquelle, elle-même, s’appuyait sur la décision Laskowska c. Marineland of Canada Inc., 2005 HRTO 30 (CanLII) [« Lawkowska »].

[412] La décision Lawkowska fait depuis partie de la jurisprudence du Tribunal et constitue la décision de principe pour ce qui est de la norme de conduite attendue des employeurs. UPS a exhorté le Tribunal à adopter la même approche et a insisté sur certaines des observations formulées dans la décision Laskowska. UPS a cité la partie pertinente de la décision Laskowska dans ses observations de la manière suivante (en soulignant les passages qui appuient ses arguments) :

[traduction]

La jurisprudence du Tribunal a établi que l’obligation de l’employeur d’enquêter s’apprécie suivant la norme du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Dans la décision Laskowska, le Tribunal a énoncé ainsi le critère pertinent dont doit tenir compte l’employeur dans son devoir d’enquêter :

1) Sensibilisation aux questions de discrimination/harcèlement, mécanisme de plainte prévu par la politique et formation : était-on sensibilisé au problème de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail lors de l’incident? Existait-il une politique anti-discrimination/harcèlement appropriée? Existait-il un mécanisme de plainte proprement dit en place? La direction et les employés ont-ils bénéficié d’une formation adéquate?

2) Après la plainte : la gravité de l’incident, la rapidité d’intervention, la prise en charge de son employé, l’enquête et la mesure prise : Après qu’une plainte interne eut été formulée, l’employeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?

3) Règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication : L’employeur a‑t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, l’employeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant?

Dans la décision Laskowska, le Tribunal a aussi déclaré ce qui suit au paragraphe 60 :

[traduction]

Bien que les trois éléments ci-dessus soient de nature générale, leur application doit conserver une certaine souplesse pour tenir compte des faits propres à chaque cas. La norme est celle du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Il y aurait eu plusieurs options – toutes des mesures raisonnables – auxquelles aurait pu recourir l’employeur. Ce dernier n’est pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin d’être considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait l’exception plutôt que la norme. Il faut regarder chaque élément individuellement, puis dans l’ensemble avant de porter un jugement à savoir si l’employeur a agi de manière raisonnable.

En bref, dans la décision Laskowska, le Tribunal a établi trois critères en ce qui concerne la norme de conduite exigée d’un employeur, mais a déterminé que ce dernier n’était pas nécessairement tenu de satisfaire à chacun de ces trois critères.

[413] UPS a insisté sur le point commun de ces deux affaires, à savoir qu’un employeur n’a pas à tout faire pour être considéré comme ayant agi de façon raisonnable. UPS a également attiré l’attention sur le dernier paragraphe de la décision Laskowska, dans lequel le Tribunal a indiqué qu’il n’était pas nécessaire qu’un employeur satisfasse à l’ensemble des trois critères pour qu’on puisse considérer qu’il a agi de façon raisonnable.

[414] Le Tribunal convient qu’un employeur n’est pas tenu à la perfection et qu’il doit plutôt satisfaire à la norme du caractère raisonnable. Le Tribunal reconnaît que la norme du caractère raisonnable confère une certaine latitude dans l’évaluation des mesures prises par les employeurs intimés pour prévenir les plaintes et y répondre.

[415] Dans certaines affaires, la taille et les ressources de l’organisation ont été mises en cause. Mais, la taille d’UPS et les ressources dont elle dispose ne sont pas des facteurs importants en l’espèce.

(ii) L’exception mentionnée dans Laskowska peut-elle être invoquée dans le contexte du paragraphe 65(2)?

[416] Le Tribunal a de la difficulté à accepter l’exception mentionnée dans le passage tiré de la décision Laskowska qui est reproduit ci-dessus, c’est-à-dire : [traduction] « [l’employeur] n’est pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin d’être considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait l’exception plutôt que la norme ». Cette exception semble accorder une trop grande latitude aux employeurs, compte tenu de la pertinence et de l’importance de chacun des éléments. Il est bien établi en droit qu’il n’est pas raisonnable pour un employeur de ne pas faire de prévention, de ne pas enquêter sur une plainte, de ne pas intervenir auprès du harceleur, ou de ne pas faire les efforts raisonnables pour offrir au plaignant un milieu de travail sain. En outre, cette conclusion du Tribunal dans la décision Laskowska soulève la question suivante : dans quelles circonstances exceptionnelles serait-il acceptable qu’un employeur ne satisfasse pas à l’un des éléments, mais puisse néanmoins être considéré comme ayant pris les mesures nécessaires raisonnables dans le contexte des droits de la personne? La réponse n’est pas évidente d’emblée.

[417] Dans tous les cas, en l’espèce, les observations d’UPS exigent que la notion d’« exception » à la norme du caractère raisonnable énoncée dans la décision Laskowska soit analysée dans le contexte de l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires prévue au paragraphe 65(2) de la Loi.

[418] Le Tribunal a tenu compte du degré de chevauchement ou des différences entre la norme adoptée dans la décision Laskowska et celle établie au paragraphe 65(2). Le premier élément énoncé dans la décision Laskowska, [traduction] « sensibilisation aux questions de discrimination/harcèlement, mécanisme de plainte prévu par la politique et formation », renvoie essentiellement à la notion de prévention, c’est-à-dire au fait d’« empêcher » l’acte ou l’omission, comme l’exige le paragraphe 65(2). Le deuxième élément, [traduction] « la prise en charge de son employé, l’enquête et la mesure prise », correspond à l’obligation « [d’]atténuer ou [d’]annuler les effets [du harcèlement] » prévue au paragraphe 65(2). Le troisième élément, [traduction] « règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication », énonce d’autres aspects liés à l’obligation « [d’]atténuer ou [d’]annuler les effets [du harcèlement] » prévue au paragraphe 65(2). Les trois éléments établis dans la décision Laskowska peuvent être résumés ainsi : 1) prévention, 2) traitement de la plainte et 3) atténuation ou annulation des effets du harcèlement. Ainsi résumés, ces éléments concordent avec l’obligation, énoncée au paragraphe 65(2), de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement et en atténuer ou en annuler les effets, cette dernière exigence incluant la tenue d’une enquête.

[419] En guise de défense contre les multiples critiques qui lui ont été adressées relativement à la façon dont elle a géré des « éléments » semblables à ceux pris en compte dans la décision Laskowska, UPS a fait valoir qu’elle avait agi de façon raisonnable dans l’ensemble. UPS s’est fortement appuyée sur l’idée que l’employeur n’est pas tenu à la perfection et qu’il n’a pas à tout faire.

[420] Le Tribunal rappelle que, à la différence de la présente affaire dans laquelle le paragraphe 65(2) de la Loi a été invoqué, la décision Laskowska n’a pas été rendue sur le fondement d’une analyse des dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code de l’Ontario ») relatives à la responsabilité du fait d’autrui. L’affaire Laskowska a été tranchée sur le fondement de l’article 5 du Code de l’Ontario. Celui-ci prévoit que l’obligation de veiller à ce que le milieu de travail soit exempt de harcèlement incombe à « toute personne ». Dans la décision Laskowska, le Tribunal a tenu compte des principes relatifs à la diligence raisonnable que les sociétés sont tenues d’exercer en common law et s’est appuyé sur ces principes pour parvenir à ses conclusions quant au « caractère raisonnable » qui est attendu des mesures prises par les employeurs en lien avec leur obligation de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement. Dans la décision Laskowska, le Tribunal a conclu [traduction] « [qu’i]l faut regarder chaque élément individuellement, puis dans l’ensemble avant de porter un jugement à savoir si l’employeur a agi de manière raisonnable » (voir le par. 60).

[421] Il n’y a rien d’erroné dans l’approche adoptée dans la décision Laskowska. Le Tribunal s’est toutefois demandé s’il devait, de façon similaire, examiner chacun des éléments mentionnés au paragraphe 65(2) individuellement, puis dans leur ensemble avant de décider si UPS a agi de façon raisonnable. À cet égard, il ressort des motifs exposés ci-dessus que le Tribunal a interprété les trois conditions énoncées au paragraphe 65(2) comme constituant des exigences. Le Tribunal s’est donc demandé si chacune des trois exigences énoncées au paragraphe 65(2) devait être satisfaite pour qu’UPS puisse se prévaloir du moyen de défense prévu à ce paragraphe.

[422] Le paragraphe 65(2) exige que l’employeur intimé établisse que « l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets. » Le Tribunal est d’avis que l’emploi de la conjonction de coordination « et » au paragraphe 65(2) n’est pas fortuit. Il a pour but d’unifier les trois exigences en un seul ensemble global d’exigences auquel il doit être satisfait. Il n’y a aucune raison de penser que l’intention du législateur était qu’une ou plusieurs de ces conditions soient facultatives.

[423] Le Tribunal a conclu qu’UPS doit satisfaire à chacune des trois exigences énoncées au paragraphe 65(2). Un employeur qui n’est pas en mesure d’établir qu’il satisfaisait à l’ensemble des conditions préalables énoncées au paragraphe 65(2) ne peut se prévaloir du moyen de défense prévu à ce paragraphe. Toutefois, la norme qui s’applique pour déterminer si l’employeur a satisfait à chacune des exigences relatives à la prise des mesures nécessaires est celle du « caractère raisonnable » et non celle de la perfection.

D. Prévention

(i) Positions des parties et contenu de la politique d’UPS

[424] Comme il a été mentionné, UPS a adopté la position selon laquelle ses politiques interdisaient toute forme de harcèlement sexuel et aucun employé n’était exempté de ses obligations. UPS a soutenu que tous les employés, y compris Mme Peters, M. Gordon et M. Ghanem, ainsi que d’autres employés ayant témoigné, [traduction] « ont confirmé qu’ils connaissaient les politiques et que le harcèlement allégué était absolument interdit par UPS ».

[425] Il est évident qu’UPS croit s’être acquittée de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement sexuel et y répondre grâce à sa politique. Si UPS s’appuie autant sur sa politique contre le harcèlement, c’est parce qu’elle présume que celle-ci est parfaitement adaptée à l’objectif poursuivi.

[426] La Commission soutient que la politique d’UPS est totalement inadéquate. La Commission affirme qu’aucune modification n’a été apportée à la politique d’UPS entre 2006 et la date de l’audience. Elle souligne que, selon la taille de la police utilisée, la politique tient sur une seule page ou sur un peu plus d’une page.

[427] La Commission a présenté en preuve un modèle de politique antiharcèlement ainsi qu’un guide détaillé pour l’élaboration de politiques en la matière, lesquels sont tous deux accessibles sur son site Web. Le guide comprend une liste de contrôle du contenu qui, selon la Commission, devrait être inclus dans les politiques des organisations de moyenne taille et de grande taille. La Commission souligne que son modèle de politique comprend :

[traduction]

des sections établissant qui est responsable de veiller à ce que la politique soit appliquée en temps opportun et de manière cohérente, de déterminer si une plainte est fondée ou non, de déterminer les mesures correctives à prendre et de passer la politique en revue chaque année ou au besoin. Il comprend également une section qui énonce les rôles précis des superviseurs, notamment le fait qu’ils doivent « donner l’exemple en ayant un comportement convenable au travail ». Il décrit également en détail la procédure à suivre pour traiter les plaintes de harcèlement, y compris comment et auprès de qui porter plainte; la personne chargée de communiquer les allégations au harceleur présumé, la possibilité pour les parties d’avoir recours à la médiation; et la façon dont l’enquête sera menée. Il explique en outre les réparations qui peuvent être accordées au plaignant, les mesures correctives qui peuvent être prises à l’endroit du harceleur et les mesures qui sont prises pour protéger la vie privée et préserver la confidentialité.

[428] La Commission soutient que la plupart de ces éléments sont absents de la politique contre le harcèlement d’UPS. La Commission souligne que, à titre d’exemple, la politique d’UPS ne prévoit pas de procédure pour le traitement des plaintes de harcèlement et ne précise pas les responsabilités des superviseurs et des gestionnaires, pas plus qu’elle ne mentionne les réparations auxquelles les plaignants peuvent avoir droit. La Commission soutient que la politique n’est pas suffisante pour permettre à UPS d’établir qu’elle a pris les mesures nécessaires aux fins du paragraphe 65(2) de la Loi.

[429] UPS soutient avoir [traduction] « intentionnellement formulé [sa politique contre le harcèlement en milieu de travail] d’une façon simple et directe, en raison de la diversité des personnes qu’elle emploie et du roulement important de son personnel ». UPS soutient que sa politique constitue un guide efficace pour les employés qui pourraient être victimes de harcèlement en milieu de travail.

(ii) Analyse et conclusions concernant la politique

[430] En un mot, cette politique est insuffisante. Le Tribunal a relevé, plus haut, des problèmes dans la façon dont la politique définit le harcèlement sexuel. Les renseignements que la Commission a désignés comme étant absents de la politique sont nécessaires pour permettre aux employés de comprendre le processus, le rôle et les responsabilités de chacun, les résultats possibles et la façon dont leur vie privée sera protégée, et d’obtenir une certaine assurance que la politique sera appliquée fidèlement et de façon uniforme. Les éléments manquants peuvent être ajoutés et décrits en des termes simples et faciles à comprendre pour les employés.

[431] M. Greenaway, un gestionnaire d’UPS, a indiqué que certains de ces renseignements étaient fournis dans d’autres documents d’UPS. Ces documents sont assurément pertinents et, par conséquent, UPS était légalement tenue de les communiquer. UPS avait l’obligation de fournir ce type de documentation à la Commission. Aucun autre document n’a été produit ou déposé en preuve aux fins d’examen par le Tribunal. Si M. Greenaway a dit vrai, UPS aurait dû s’efforcer de remédier à ces lacunes et veiller à respecter son obligation de divulgation continue, comme l’a reconnu son avocat préalablement à l’audience.

[432] Le Tribunal conclut qu’UPS ne s’est pas acquittée de son obligation de prendre les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement, comme l’exige le paragraphe 65(2), en s’assurant d’avoir en place une politique raisonnable et potentiellement efficace.

(iii) Positions et preuve des parties concernant la formation

[433] Dans le cadre de ses efforts de prévention, UPS affirme avoir donné de la formation sur ses politiques et avoir appliqué ces dernières activement. UPS a produit des documents censés faire état de l’étendue de la formation reçue par ses employés au sujet du harcèlement et du harcèlement sexuel. UPS a affirmé que [traduction] « […] l’entreprise était en droit de croire, en l’absence d’allégations contraires, que ses employés satisfaisaient aux obligations que leur impose la loi ».

[434] UPS soutient que Mme Peters [traduction] « cherche à obtenir d’UPS une indemnité relativement à la l’inconduite présumée de M. Gordon, malgré qu’elle se soit dérobée à sa responsabilité de suivre les politiques et les procédures d’UPS Canada pour obtenir l’aide dont elle prétendait avoir besoin ».

[435] La Commission soutient que la formation d’UPS sur le harcèlement sexuel et le contenu lié au harcèlement sexuel dans ses documents de formation étaient soit inadéquats, soit inexistants. La Commission a déposé des observations détaillées sur les témoignages des employés témoins quant à l’étendue de la formation qu’ils avaient reçue en matière de harcèlement sexuel.

[436] La Commission souligne que seuls les gestionnaires et les superviseurs à temps plein, comme M. Greenaway et M. Ghanem, recevaient une formation sur le harcèlement en milieu de travail. Les employés à salaire horaire et les superviseurs à temps partiel, comme Mme Peters, M. Gordon et d’autres témoins, ne recevaient aucune formation sur le harcèlement en dehors des courts messages qui leur étaient transmis lors des réunions d’information préalables au travail et de leur obligation de prendre connaissance de la politique au moment de leur intégration et, vraisemblablement, lorsqu’on leur demandait de signer la politique à nouveau.

[437] Comme il a été mentionné, UPS compte près de 3 000 employés à Toronto, en Ontario. La majorité d’entre eux sont des employés à salaire horaire.

[438] Mme Peters a témoigné n’avoir reçu aucune formation sur le harcèlement ou sur la politique contre le harcèlement d’UPS ou une autre de ses politiques, comme la [traduction] « Politique sur les relations de travail professionnelles ». M. Gordon a déclaré que pendant la période où il a travaillé comme superviseur à temps partiel chez UPS, soit pendant près de 11 ans, il n’a reçu aucune formation sur le harcèlement sexuel et le harcèlement, ou sur la politique contre le harcèlement ou la [traduction] « Politique sur les relations de travail professionnelles ». Il n’a reçu aucune formation sur les responsabilités qui lui incomberaient à titre de superviseur s’il était appelé à traiter des plaintes de harcèlement.

[439] Comme le Tribunal l’a expliqué plus haut, lors de leur intégration, les nouveaux employés recevaient des politiques qu’ils devaient lire et signer, dont la politique contre le harcèlement sur laquelle s’appuie UPS. Mme Peters et M. Gordon ont tous deux témoigné en ce sens. Comme il a été mentionné, M. Gordon a indiqué qu’on lui avait accordé au plus 30 minutes pour prendre connaissance d’environ 21 politiques et les signer. M. Greenaway, en revanche, a témoigné que les formateurs prenaient d’une heure à une heure et demie pour présenter l’ensemble de ce matériel. Il a toutefois reconnu en contre-interrogatoire que l’exercice pouvait prendre de 20 à 30 minutes selon la taille de la classe et le nombre de questions posées. Il n’y a pas d’éléments de preuve établissant clairement que les [traduction] « formateurs » disposaient de matériel supplémentaire, comme des scénarios ou du contenu portant spécifiquement sur le harcèlement sexuel, en dehors de l’ensemble de politiques à passer en revue avec les employés.

[440] Lors des réunions d’information préalables au travail, un gestionnaire ou un superviseur prenait environ cinq minutes pour lire des documents sur certains sujets à son personnel. Comme il a été mentionné, M. Gordon a témoigné avoir tenu une réunion d’information sur le harcèlement à peu près chaque année. Le matériel fourni comprenait quelques courts paragraphes et des énoncés généraux, présentés sous forme de listes à puce, indiquant que la discrimination et le harcèlement étaient interdits.

[441] En ce qui concerne l’information qui a été lue à voix haute lors des réunions d’information préalables au travail, la Commission a fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Il n’y a pas de renseignements de fond sur ce qui constitue du harcèlement, sur les procédures en place pour le contrer et sur les mesures concrètes qui seront prises par les superviseurs ou les gestionnaires si des actes de harcèlement sont signalés. M. Gordon a confirmé que […] on attendait simplement de lui qu’il lise le texte mot à mot et que c’est ce qu’il faisait. Il a dit qu’il ne s’agissait pas d’une discussion et qu’il n’y avait pas vraiment de temps prévu pour les questions et réponses lors des réunions d’information.

[442] La preuve indique que si un énoncé sur le harcèlement était lu à des employés lors d’une réunion d’information, UPS notait dans le dossier de ces employés qu’ils avaient reçu une formation sur le harcèlement. Certains éléments de preuve révèlent en outre la présence d’erreurs dans le système qu’UPS utilisait pour faire le suivi de la formation sur le harcèlement. À titre d’exemple, le système de suivi d’UPS indiquait que Mme Peters avait assisté à des formations sur le harcèlement de mars 2015 à septembre 2017, alors qu’elle n’était pas au travail. Le système indiquait que M. Gordon avait suivi une formation sur le harcèlement. Ce renseignement figurait dans un [traduction] « rapport de formations » de 2018, lequel a été produit par UPS en prévision de l’audience. M. Gordon a nié avoir suivi une telle formation. En réponse aux insinuations en ce sens, M. Gordon a indiqué n’avoir jamais reçu cette formation, sauf dans la mesure où le fait de lire et de signer une politique était considéré comme une formation. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi les inscriptions en question figuraient à côté du nom de M. Gordon, M. Greenaway a répondu : [traduction] « parce que nous considérons que le fait de signer des politiques et des documents constitue également une formation ».

[443] L’absence d’une formation précise sur le harcèlement sexuel a été confirmée par le témoignage de Mme Evans, qui a dit ne pas se rappeler avoir reçu une formation sur le sujet, pas même lorsqu’elle a été promue superviseure. M. Klimov, Mme Bridgeman et Mme Blackburn ont, de même, indiqué n’avoir aucun souvenir d’une formation sur le harcèlement sexuel. Mme Burke et Mme Thompson, la déléguée syndicale, ont affirmé n’avoir reçu aucune formation.

[444] La Commission a également présenté une analyse de tous les ensembles de documents de formation datant de 2010 à aujourd’hui qui ont été produits par UPS en prévision de l’audience. (UPS n’a pas indiqué qu’il existait d’autres documents de formation ou des versions antérieures des documents qu’elle n’aurait pas été en mesure de produire). La Commission a parcouru les documents de formation à la recherche de contenu portant sur le harcèlement sexuel ou sur la Loi. Les documents fournis étaient destinés aux gestionnaires à temps plein, aux [traduction] « spécialistes » ou à l’équipe de district chargée d’intervenir en cas d’incident. Comme il a été mentionné précédemment, cette formation n’a pas été offerte aux superviseurs à temps partiel et aux employés à salaire horaire.

[445] Certains documents ne renfermaient aucun contenu pertinent. L’un d’entre eux indiquait que le harcèlement sexuel est une forme de violence en milieu de travail, mais ne refermait autrement aucun contenu sur le harcèlement sexuel proprement dit. Certains des documents de formation les plus récents contenaient certains renseignements sur le harcèlement sexuel, mais ils ont été diffusés après que les incidents qui nous occupent en l’espèce furent survenus. À titre d’exemple, un document de formation intitulé « Focus on compliance » [Objectif conformité] datant de mars 2015 contenait de bons exemples de ce qui constitue du harcèlement. La Commission a toutefois souligné que cette formation pouvait être améliorée en :

1) y intégrant un scénario de harcèlement sexuel;

2) y ajoutant du contenu au sujet de la [Loi];

3) y incorporant des renseignements sur ce que les gestionnaires et les superviseurs doivent faire lorsqu’un cas de harcèlement leur est signalé;

4) veillant à ce que la formation soit offerte non seulement aux gestionnaires à temps plein, mais aussi aux superviseurs à temps partiel et aux autres employés.

[446] M. Greenaway a laissé entendre que les superviseurs à temps partiel et les employés à salaire horaire auraient reçu cette formation « Focus on compliance » [Objectif conformité] lors d’une réunion d’information préalable au travail. Or, ces réunions étaient très brèves.

[447] La Commission a attiré l’attention sur un texte datant de février 2015 qu’UPS avait remis à des gestionnaires afin qu’ils le lisent à d’autres gestionnaires lors d’une réunion d’information préalable au travail. Ce texte indiquait [traduction] « que, en 2014, la principale préoccupation des employés qui ont composé le numéro de la ligne d’assistance était le “professionnalisme” et que le “harcèlement” constituait également une préoccupation dans la région ».

[448] Le nouveau programme d’orientation en gestion d’UPS, une formation de quatre jours offerte aux employés qui sont nommés pour la première fois à un poste de superviseur à temps plein, ne fait aucune mention des droits de la personne ou du harcèlement en milieu de travail. À la lumière de ces documents, il semble probable que la formation donnée aux nouveaux superviseurs à temps plein n’aborde pas la question du harcèlement sexuel.

[449] La réponse d’UPS aux préoccupations soulevées par la Commission a été la suivante :

[traduction]

La Commission […] a mis en doute la rigueur du régime de formation d’UPS Canada, mais le fait est qu’il existait des politiques qui interdisaient la conduite en cause et que tous les employés, y compris Mme Peters, M. Gordon et M. Ghanem, ainsi que les différents employés cités comme témoins par les parties, ont confirmé qu’ils connaissaient les politiques et savaient que le harcèlement, tel que celui allégué, était absolument interdit par UPS Canada.

(iv) Analyse et conclusions concernant la formation

[450] UPS a reconnu que la Commission [traduction] « a mis en doute la rigueur » de son régime de formation. Elle fait cependant valoir est que tous ses employés étaient au courant de sa politique contre le harcèlement et savaient que le harcèlement sexuel était absolument interdit en milieu de travail.

[451] UPS insiste sur le fait que ses employés savaient que le harcèlement sexuel était interdit. Or, cet argument repose sur le fait qu’une politique interdisant le harcèlement sexuel était incluse dans les documents d’orientation qui avaient été remis aux employés lors de leur embauche, ce qui, pour bon nombre d’entre eux, remontait à plusieurs années avant les événements à l’origine de la présente plainte. Compte tenu des témoignages de l’ensemble des témoins, il semble très probable que les employés aient disposé de 30 minutes ou moins pour examiner ces documents. Il est raisonnable de conclure, à la lumière de ces témoignages, que les employés se souvenaient uniquement que le harcèlement sexuel était interdit en milieu de travail ou d’autres généralités, comme le fait qu’un employé pouvait s’adresser à la direction ou aux RH pour signaler un cas de harcèlement. UPS n’a pas démontré, sur la foi de la preuve, que ses employés avaient une connaissance suffisante du sujet dont la politique était censée traiter.

[452] Le Tribunal conclut que la preuve ne corrobore pas la prétention d’UPS selon laquelle l’ensemble de ses employés avaient une connaissance effective du contenu de la politique contre le harcèlement. Les témoignages de M. Gordon, de Mme Peters et d’autres témoins sont révélateurs d’un niveau de connaissance sur le harcèlement sexuel qui était totalement inadéquat.

[453] UPS n’a pas abordé en détail les efforts qu’elle a déployés afin de prendre les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement sexuel. Les observations d’UPS laissent entendre qu’il n’y aurait pas lieu, selon elle, de tenir compte des problèmes relatifs à la rigueur de sa formation qui ont été relevés par la Commission, puisque ses employés savaient que le harcèlement sexuel était interdit.

[454] La prévention du harcèlement sexuel passe, bien sûr, par la mise en place de politiques et de formations, mais encore faut-il que celles-ci soient efficaces. La formation sur ce que signifie la politique est tout aussi importante, sinon plus, que la politique elle-même. Les politiques et les formations sont interdépendantes. En l’absence de communications et de formations efficaces, une politique risque de ne pas produire les effets recherchés, voire d’être inutile.

[455] En outre, et il s’agit là d’un point très important, les employés sont moins susceptibles de signaler un cas de harcèlement lorsque l’employeur n’a pas investi de temps ou d’efforts dans la formation, car ils sont alors relativement moins enclins à penser que l’employeur va prendre les mesures qui s’imposent si une plainte est déposée.

[456] UPS contredit également le concept même de l’obligation de prendre les mesures nécessaires que le paragraphe 65(2) impose aux employeurs lorsqu’elle affirme qu’elle « était en droit de croire, en l’absence d’allégations contraires, que ses employés satisfaisaient aux obligations que leur impose la loi » (non souligné dans l’original). Il ne pourrait en être ainsi que si UPS avait, entre autres choses, fourni une formation efficace à ses employés.

[457] On ne peut pas présumer que, dans un milieu de travail réunissant près de 3 000 employés qui ne reçoivent, pour la plupart, aucune formation sur le harcèlement, les employés satisfont à leurs obligations en matière de droits de la personne. En outre, comme il a été mentionné, UPS emploierait environ 15 000 personnes au Canada. M. Greenaway a témoigné que l’approche d’UPS en matière de formation était uniforme dans l’ensemble du Canada. En l’absence d’une formation efficace et continue, la probabilité que certains employés ne comprennent pas les aspects fondamentaux et procéduraux liés aux questions de harcèlement sexuel est élevée. On ne peut pas non plus présumer que l’absence d’allégations signifie que les employés savaient qu’ils devaient signaler les allégations de harcèlement sexuel en milieu de travail, et pourquoi et comment ils devaient le faire, ou qu’ils s’attendaient à ce que toute plainte fasse l’objet d’une enquête approfondie menée avec sensibilité. L’absence de signalement ne signifie pas obligatoirement qu’il n’y avait aucun problème de harcèlement sexuel en milieu de travail.

[458] Le paragraphe 65(2) indique clairement que l’employeur ne peut être dégagé de sa responsabilité en cas de harcèlement sexuel au travail que s’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement. Le libellé ne prête aucunement à une interprétation selon laquelle un employeur serait « en droit » de penser que la simple existence d’une politique lui permet de s’acquitter de son obligation de déployer des efforts de prévention et que, en l’absence de plaintes, une formation efficace devient facultative.

[459] De plus, l’argument d’UPS présuppose qu’aucune allégation n’avait été formulée en milieu de travail. Or, ce n’est pas le cas. UPS a communiqué et fourni des éléments de preuve documentaires concernant la façon dont elle traitait les cas de harcèlement sexuel dans l’ensemble du Canada. Le nombre de cas signalés était plus que suffisant pour permettre à UPS de comprendre qu’elle ne pouvait pas présumer que ses employés se conformaient à ses politiques. L’argument d’UPS fait, de même, abstraction du texte lu lors d’une réunion d’information préalable au travail en février 2015, qui indiquait [traduction] « que, en 2014, la principale préoccupation des employés qui ont composé le numéro de la ligne d’assistance était le “professionnalisme” et que le “harcèlement” constituait également une préoccupation dans la région ». Il est donc faux de dire qu’il n’y avait eu aucune allégation.

[460] En l’espèce, il est clair qu’aucune formation adéquate sur le harcèlement sexuel n’était offerte en milieu de travail. La présente affaire montre combien il est nécessaire de donner une formation pour expliquer la politique et illustre l’importance de prendre des moyens concrets pour rappeler aux employés en quoi consiste la politique. D’autant plus qu’en l’espèce, la politique d’UPS est très générale, prête à interprétation et n’explique pas les démarches qui seront effectuées pour enquêter sur les allégations ou les mesures qui pourraient être prises pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sur le plaignant. Lorsqu’on ne leur fournit pas les renseignements requis, les employés sont susceptibles de tirer des conclusions erronées et de faire des suppositions. C’est ce que certains ont fait en l’espèce. Les employés peuvent également se questionner à savoir si la politique sera appliquée si on ne leur a pas donné l’assurance que des mesures seraient prises ou qu’on ne leur a pas fourni de contexte précis. La formation est l’occasion de donner ces assurances et de fournir une mise en contexte.

[461] Plusieurs suppositions et malentendus quant à la nature du harcèlement sexuel et à ce qu’il englobe ressortent clairement du témoignage de M. Gordon, comme il est expliqué ci-dessus. En outre, Mme Peters et Mme Lawes-Newell ont eu du mal à nommer ou définir le comportement sexualisé importun de M. Gordon et à savoir quelle position adopter par rapport à ce comportement. Même la déléguée syndicale, Mme Thompson, a témoigné qu’elle voyait mal quelle aide elle aurait pu apporter en 2015. Elle a dit qu’elle n’avait aucune expérience antérieure dans le traitement des plaintes de harcèlement sexuel et qu’elle n’avait jamais reçu de formation sur le harcèlement depuis son entrée en fonction chez UPS 12 ans auparavant.

[462] Pendant plusieurs années, la formation a comporté des omissions et des lacunes graves et généralisées. Celles-ci ont contribué à ce que Mme Peters subisse du harcèlement pendant une période prolongée, à ce que le comportement de M. Gordon ne soit signalé que tardivement, à ce que M. Ghanem se comporte avec mépris et à ce que la direction ne reconnaisse pas la nécessité d’agir ou d’enquêter au moment où elle aurait dû le faire. Tout cela témoigne d’une connaissance inadéquate du harcèlement sexuel chez les employés concernés. Le manque de formation sur ce qui constitue du harcèlement sexuel a particulièrement contribué à ce que M. Gordon ne voie pas ou ne parvienne pas éventuellement à comprendre ce qui n’allait pas avec son propre comportement et qu’il ne reconnaisse pas que ses suppositions au sujet de sa relation avec Mme Peters n’étaient justement que des suppositions et qu’elles n’entraient pas en ligne de compte. D’autres employés concernés, notamment Mme Thompson, semblaient ne pas savoir quelle était l’attitude appropriée à adopter dans les circonstances, y compris par rapport à la réaction complexe de Mme Peters. À la lumière de ces faits, le Tribunal ne peut pas conclure qu’UPS avait pris les mesures nécessaires pour empêcher, par le biais de ses efforts de formation, les actes de harcèlement commis par M. Gordon. UPS n’a pas établi qu’elle a pris les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement par le biais de ses efforts de formation, pour l’application du paragraphe 65(2).

E. Efforts d’enquête et d’atténuation

(i) Introduction

[463] UPS soutient qu’elle a pris les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sexuel sur Mme Peters en menant une enquête sur le harcèlement allégué et en prenant des mesures correctives par la suite. UPS prétend donc avoir satisfait à la troisième condition énoncée au paragraphe 65(2). UPS a fortement insisté sur cet élément du paragraphe 65(2).

[464] Le Tribunal commencera par examiner les mesures prises par UPS après que celle-ci eut pris connaissance de la plainte de Mme Peters.

(ii) Preuve concernant les premières mesures et la première enquête d’UPS

[465] Dès que la plainte provinciale de Mme Peters a été reçue par UPS le 23 mars 2015, le directeur juridique, Travail et emploi d’UPS (le « directeur juridique ») a transmis une copie de la plainte à toutes les parties intimées, y compris M. Gordon. Dans un courriel daté du 23 mars 2015, le directeur juridique a informé les parties intimées que des dispositions étaient prises afin de retenir les services d’un avocat-conseil distinct pour les particuliers intimés. Le directeur juridique a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je ne peux pas agir pour le compte des particuliers intimés. Par conséquent, nous avons retenu les services d’une avocate externe […] qui sera chargée de représenter toutes les personnes nommées comme intimées dans cette affaire. [L’avocate externe] en est à préparer des « lettres de mandat conjoint » qui décrivent la portée de son mandat de représentation pour l’ensemble des intimés. Lorsque les lettres seront prêtes, j’en distribuerai des copies aux parties concernées afin qu’elles puissent en prendre connaissance. J’organiserai également une conférence téléphonique pour en discuter, au cours de la semaine du 6 avril.

[466] Le directeur juridique a également informé les parties intimées que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario n’était pas le tribunal approprié et que la plainte aurait dû être déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Le courriel du 23 mars 2015 dit :

[traduction]

[L’avocate externe] préparera une réponse au nom de toutes les personnes concernées dans laquelle elle demandera que la plainte [soit rejetée] à titre préliminaire pour ce motif. Il est donc probable que Mme Peters déposera une nouvelle plainte auprès de la CCDP.

Bien qu’une réponse détaillée sur le bien-fondé de cette plainte ne soit pas requise à ce stade-ci, j’aimerais tout de même commencer à rassembler des renseignements pour ce dossier [non souligné dans l’original].

Le directeur juridique d’UPS s’attendait à ce que Mme Peters en vienne à déposer sa plainte auprès de la Commission.

[467] Ces observations sont suivies de la liste des renseignements et documents demandés par le directeur juridique. Le courriel confirme également qu’une obligation de préservation sera mise en œuvre afin de préserver la preuve, y compris l’ensemble des courriels contenus dans les comptes individuels des intimés.

[468] M. Jerome Greenaway, qui était à l’époque gestionnaire de secteur pour le Centre opérationnel d’UPS à Toronto, a reçu le courriel du 23 mars 2015 du directeur juridique. Il a témoigné avoir donné suite à plusieurs des demandes de renseignements et de documents contenues dans ce courriel.

[469] M. Greenaway a fini par mener une première et une deuxième enquêtes relativement à la plainte de Mme Peters. Il a toutefois indiqué lors de son témoignage qu’il n’avait pas ouvert d’enquête sur la plainte au moment où il l’a reçue, parce que celle-ci était déjà entre les mains [traduction] « des services juridiques ». Il a précisé que chez UPS, [traduction] « nous attendons les directives des services juridiques ». M. Greenaway a ajouté [traduction] « [qu’]ils n’avaient pas ouvert d’enquête sur-le-champ parce que la plainte avait été déposée auprès d’une tierce partie ». Il semble que par « tierce partie », M. Greenaway entendait le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, puis la Commission canadienne des droits de la personne. Il a également indiqué qu’il ne savait pas à quelle étape la plainte en était (le Tribunal a compris qu’il entendait par-là l’étape du processus de la Commission).

[470] M. Greenaway a témoigné avoir commencé à enquêter sur la plainte en septembre 2015, après que les [traduction] « services juridiques » lui eurent demandé de le faire vers la fin du mois d’août 2015. M. Greenaway a terminé son enquête le 15 septembre 2015. Il a préparé un résumé d’enquête reprenant les grandes lignes de son enquête, daté du 16 septembre 2015.

[471] En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Greenaway combien d’enquêtes en matière de harcèlement sexuel il avait menées. Il n’a pas fourni de chiffre. Il a répondu [traduction] « pas beaucoup. » Il a témoigné que les enquêtes sur les cas de harcèlement sexuel étaient habituellement menées par d’autres gestionnaires à temps plein. Il a expliqué qu’il avait été appelé à participer personnellement à l’enquête sur la plainte de Mme Peters parce que celle-ci était passée par les [traduction] « services juridiques ».

[472] M. Greenaway a témoigné qu’UPS disposait d’un guide écrit expliquant comment mener les enquêtes intitulé [traduction] « Lignes directrices d’UPS pour les enquêtes sur les problèmes en milieu de travail », qui avait été remis aux gestionnaires. Il a déclaré que ce document fournissait aux gestionnaires des instructions sur la façon de mener une enquête adéquate et approfondie.

[473] M. Greenaway a déclaré que son enquête avait consisté à interroger neuf employés et à préparer un résumé d’enquête. Il a décidé qui interroger en fonction de la [traduction] « déclaration » de Mme Peters et a lui-même sélectionné deux autres employés. Le Tribunal a compris que, par [traduction] « déclaration », M. Greenaway entendait la plainte écrite que Mme Peters avait déposée auprès de la Commission. M. Greenaway a interrogé M. Gordon, M. Ghanem, M. Dambrosio et Mme Thompson, entre autres personnes.

[474] UPS a indiqué dans ses observations écrites finales que M. Greenaway n’avait pas interrogé Mme Peters parce que celle-ci avait quitté UPS. UPS a ajouté qu’au moment où les interrogatoires ont eu lieu, Mme Peters avait quitté le Canada et se trouvait aux États-Unis. UPS a affirmé qu’elle avait circonscrit les allégations contenues dans le formulaire de plainte en matière de droits de la personne de Mme Peters et que cela lui suffisait.

[475] M. Greenaway a déclaré n’avoir fait aucune tentative pour joindre Mme Peters. Il ne lui a pas envoyé de liste de questions. Il n’a pas demandé à Mme Peters qu’elle lui fournisse de précisions sur les renseignements contenus dans sa plainte ou les noms de témoins supplémentaires. Il a dit que la plainte qu’elle avait soumise à la Commission était suffisamment détaillée. Il a également déclaré avoir présenté chacune des allégations qu’elle avait formulées à toutes les personnes qu’il a interrogées.

[476] Outre son témoignage selon lequel il n’a pas interrogé Mme Peters parce que la plainte était [traduction] « entre les mains des services juridiques », il a indiqué que Mme Peters n’avait pas été interrogée au moment où il a procédé aux interrogatoires parce qu’elle était en congé. M. Greenaway n’a pas indiqué que la raison pour laquelle il n’avait pas interrogé Mme Peters était qu’elle avait abandonné son emploi ou qu’elle avait adopté une position antagoniste en engageant une procédure judiciaire. M. Greenaway a soutenu avoir réglé sa conduite sur le fait que l’affaire était entre les mains des services juridiques et avoir mené l’enquête lorsqu’on lui a demandé de le faire.

[477] La preuve ne permet pas de déterminer avec certitude si le défaut de M. Greenaway de communiquer avec Mme Peters était attribuable à ses propres suppositions, à son interprétation des politiques et des pratiques d’UPS ou à des instructions précises d’UPS selon lesquelles il ne fallait pas communiquer avec Mme Peters. Il est clair cependant que le directeur juridique n’a pas conseillé à M. Greenaway de faire immédiatement des démarches en vue d’interroger Mme Peters ou d’obtenir de cette dernière des renseignements supplémentaires après que la plainte eut été reçue. Le Tribunal croit que si M. Greenaway avait eu pour instruction précise de tenter d’interroger Mme Peters, il l’aurait fait.

[478] Le Tribunal a jugé que M. Greenaway était un témoin crédible.

[479] La Commission a souligné que les [traduction] « Lignes directrices d’UPS pour les enquêtes sur les problèmes en milieu de travail » indiquaient clairement que le plaignant devait être interrogé et qu’il fallait lui demander de fournir les noms des témoins pertinents, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. La Commission a cité d’autres exemples importants du défaut de M. Greenaway de suivre les lignes directrices en matière d’enquête.

[480] Comme indiqué, Mme Peters et la Commission ont critiqué le fait que Mme Peters ait été laissée à l’écart de l’enquête menée par M. Greenaway. UPS a laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de demander des renseignements supplémentaires à Mme Peters parce que la plainte écrite avait été préparée avec une assistance juridique. Le Tribunal comprend que Mme Peters a obtenu l’aide d’une parajuriste dès les premières étapes du processus de traitement de la plainte.

(iii) Conclusion d’UPS au terme de la première enquête

[481] À la suite de la première enquête sur la plainte menée par M. Greenaway, UPS a déterminé, le 13 octobre 2015, que M. Gordon n’était pas coupable de harcèlement sexuel. M. Greenaway a rédigé une lettre d’entente à l’intention de M. Gordon, dans laquelle il a informé ce dernier que l’enquête avait révélé qu’il avait commis un [traduction] « manquement important » et avait eu un « comportement non professionnel » en « soupant avec Tesha Peters pour des raisons autres que professionnelles, en contravention de la [traduction] Politique sur les relations de travail professionnelles ». M. Gordon a été informé que toute autre inconduite de cette nature entraînerait son congédiement.

[482] La lettre d’entente comprenait une déclaration portant que la conduite de M. Gordon, c’est-à-dire le fait qu’il ait soupé avec Mme Peters pour des raisons autres que professionnelles, engageait inutilement la responsabilité d’UPS dans le contexte de la plainte relative aux droits de la personne :

[traduction]

Vos agissements […] constituent des manquements graves à la politique de l’entreprise et au Code de conduite d’UPS. Il appert de cette récente plainte relative aux droits de la personne que, par vos agissements, vous avez exposé UPS Canada à un risque important ainsi qu’à une responsabilité juridique inutile et avez potentiellement compromis notre capacité à défendre notre position en justice.

(iv) Aucune mesure prise pour atténuer les effets du harcèlement sur Mme Peters dans le contexte de la première enquête

[483] UPS n’a pas communiqué avec Mme Peters.

[484] Mme Peters n’a pas été informée que sa plainte faisait l’objet d’une enquête. On ne lui a pas donné l’assurance qu’une enquête serait menée. Mme Peters n’a appris que plus tard, dans le cadre du processus de divulgation de la Commission, qu’une enquête avait été menée.

[485] Mme Peters n’a pas été informée du résultat de l’enquête.

[486] Rien n’indique qu’UPS ait exigé que M. Gordon suive une formation pour s’assurer qu’il comprenait les politiques de l’entreprise. Il semble plutôt que M. Greenaway ait lu les politiques pertinentes à M. Gordon.

[487] Mme Peters n’a pas eu l’occasion de découvrir qu’UPS n’avait pas fait droit à sa plainte. Elle a néanmoins continué de penser qu’UPS n’avait rien fait pour enquêter sur sa plainte lorsqu’elle était en congé de maladie en raison de problèmes liés au travail.

[488] Rien n’indique qu’UPS ait songé à prendre quelques mesures que ce soit pour atténuer les effets que l’inconduite de M. Gordon avait eus sur Mme Peters conformément à sa conclusion, ou autrement à la lumière des problèmes que Mme Peters avait soulevés dans sa plainte ou que son médecin avait mentionnés dans son billet.

[489] Comme indiqué, il a été admis à l’audience que Mme Peters était toujours à l’emploi d’UPS pendant son congé de maladie. Rien n’indique qu’UPS ait fait des efforts pour lui permettre de reprendre le travail dans un environnement sûr et exempt de harcèlement ou pour lui donner l’assurance qu’il en serait ainsi. Rien n’indique non plus qu’UPS ait communiqué avec elle au sujet de sa situation d’emploi ou de son retour éventuel au travail à quelque moment que ce soit avant l’audience.

(v) Application de l’exigence relative aux efforts d’enquête et d’atténuation énoncée au paragraphe 65(2) dans le contexte de la première enquête

a) Approche

[490] En ce qui concerne « l’atténuation ou l’annulation des effets du harcèlement », dans la décision Laskowska, le Tribunal s’est posé les questions suivantes : [traduction] L’employeur a-t-il pris la plainte au sérieux? A-t-il traité l’affaire avec célérité et sensibilité? A-t-il raisonnablement enquêté sur la plainte? Le Tribunal convient que, lorsqu’il s’agit de déterminer si un employeur a pris les mesures nécessaires pour atténuer les effets du harcèlement comme l’exige le paragraphe 65(2), il convient de se demander à la fois s’il a traité la plainte avec sérieux et les parties avec sensibilité, s’il a mené rapidement une enquête efficace, et s’il a pris des mesures pour atténuer les effets du harcèlement sexuel, lorsque celui-ci s’est produit, et empêcher que plus de tort ne soit causé.

b) Conclusions de fait concernant la première enquête

[491] Le Tribunal est parvenu aux conclusions de fait suivantes :

  1. Lorsqu’UPS a reçu la plainte pour harcèlement sexuel en mars 2015 :
    1. Sa réaction a été de retenir les services d’une avocate-conseil pour les personnes ayant des intérêts opposés à ceux de Mme Peters, et de prendre à sa charge les honoraires de cette avocate;
    2. UPS a recueilli auprès de témoins des éléments de preuve documentaire et électroniques susceptibles d’être alignés sur ses intérêts, pour le cas où elle en viendrait à contester la validité de la plainte;
    3. UPS n’a pas demandé à Mme Peters de préserver la preuve et ne l’a pas avisée qu’elle aurait intérêt à le faire pour se protéger et faciliter la tenue d’une enquête par UPS;
    4. bien qu’UPS ait demandé certains renseignements, elle n’a pas directement étendu ses efforts de préservation de la preuve aux cinq témoins nommés dans la plainte de Mme Peters ou aux témoins qui auraient pu être proposés par les intimés; UPS a décidé qu’il n’était pas nécessaire que les personnes nommées dans la plainte lui fournissent des précisions quant au bien-fondé de la plainte au moment où celle-ci a été reçue;
    5. UPS n’a pas demandé à Mme Peters de fournir d’autres détails au sujet de sa plainte;
    6. UPS savait qu’il était probable que la plainte provinciale soit déposée auprès de la Commission; rien dans la preuve n’indique qu’UPS croyait que la plainte de Mme Peters pouvait être abandonnée; au contraire, UPS s’attendait à ce que la plainte soit soumise au tribunal de compétence fédérale approprié.
  2. En outre :
    1. UPS avait en sa possession le billet du médecin de Mme Peters datant de février 2015 qui indiquait que Mme Peters serait en arrêt de travail pour une période indéterminée jusqu’à ce que les problèmes en milieu de travail soient résolus; UPS n’a pas demandé de précisions ou mené d’enquête à ce sujet ni pris d’autres mesures pour donner suite à cette information;
    2. bien qu’UPS ait reçu une copie de la plainte provinciale de Mme Peters quelques semaines plus tard, en mars 2015, rien n’indique qu’UPS se soit questionnée à savoir si Mme Peters était en arrêt de travail en raison du harcèlement qu’elle alléguait avoir subi de la part de M. Gordon; elle a continué à ne faire aucun effort pour déterminer quels étaient les problèmes en milieu de travail qui faisaient en sorte que Mme Peters demeurait en arrêt de travail; elle n’a fait aucune tentative pour résoudre ces problèmes avec Mme Peters.
  3. Cinq mois et demi plus tard, en septembre 2015 :
    1. UPS a ouvert une enquête sur la plainte pour harcèlement;
    2. UPS a choisi de confier l’enquête à un cadre supérieur qui n’avait pas beaucoup d’expérience dans les enquêtes sur les plaintes de harcèlement sexuel, à savoir le gestionnaire de secteur, M. Greenaway; et celui-ci ne semble pas avoir obtenu d’assistance en dehors des lignes directrices d’UPS sur les enquêtes;
    3. UPS n’avait fait aucun effort depuis mars 2015, c’est-à-dire depuis sa dernière communication avec Mme Peters, le 6 mars 2015, au sujet d’un congé de deuil payé, pour entrer en contact avec Mme Peters alors que celle-ci était en congé de maladie; UPS n’a pas demandé à Mme Peters qu’elle fournisse des renseignements à jour sur son état de santé ou sur ses intentions; UPS n’a jamais fait d’efforts pour que Mme Peters puisse retourner au travail;
    4. UPS n’a pas informé Mme Peters qu’elle menait une enquête sur sa plainte pour harcèlement sexuel;
    5. Mme Peters n’a pas été invitée à participer à une entrevue ou à répondre à des questions écrites dans le cadre de l’enquête; et, rien n’indique qu’UPS ait communiqué avec elle ou avec la parajuriste dont elle avait retenu les services afin de déterminer quelles étaient les options en ce qui concerne sa participation;
    6. UPS n’a pas informé Mme Peters de l’achèvement de l’enquête ni du résultat de celle-ci;
    7. UPS n’a pas veillé à ce que M. Gordon reçoive une formation sur ses politiques pertinentes.

c) Le caractère opportun de la première enquête

[492] Le caractère opportun est un aspect clé de la prise des mesures nécessaires. En d’autres termes, pour qu’on puisse considérer qu’un employeur a pris les mesures nécessaires, ses efforts d’atténuation doivent avoir été déployés en temps opportun. Le caractère opportun ne s’apprécie pas selon une norme de perfection. Mais, une enquête doit néanmoins être menée dans un délai raisonnable et, de préférence, le plus tôt possible.

[493] Dans ses observations finales, UPS a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[…] Si UPS avait eu connaissance des allégations de Peters contre Gordon au moment pertinent, elle aurait immédiatement ouvert une enquête interne, conformément à ses politiques et procédures.

Or, Peters n’ayant pas déposé de plainte interne avant d’engager une procédure judiciaire, UPS Canada n’était pas au courant de ses allégations, ce qui lui a porté préjudice, car elle a été privée de la possibilité de mener une enquête au moment pertinent.

[494] Le moment pertinent pour ouvrir une enquête est lorsque l’employeur intimé apprend que des allégations de harcèlement sexuel ont été formulées en milieu de travail. UPS a appris l’existence des allégations le 23 mars 2015. Son obligation d’enquêter ou, à tout le moins d’essayer d’enquêter, a été déclenchée à ce moment-là. Rien dans la preuve n’indique qu’elle ait tenté de mener une enquête à ce moment-là. Rien n’indique non plus que quoi que ce soit ait pu l’empêcher de faire une telle tentative. Comme le Tribunal l’explique ci-dessous, UPS n’a fait aucun effort pour entrer en contact avec Mme Peters. Autrement dit, UPS affirme que, si Mme Peters avait signalé le harcèlement allégué, elle aurait immédiatement ouvert une enquête, comme l’exigent ses politiques et procédures. Or, en date du 23 mars 2015, UPS avait pourtant été avisée des allégations de Mme Peters. UPS n’a pas ouvert d’enquête dans l’immédiat.

[495] La preuve n’indique pas clairement la raison pour laquelle l’enquête a été reportée. Il semble probable que ce report soit en partie attribuable à la volonté d’UPS d’attendre que la plainte ait été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, même si elle s’attendait à ce que cela se produise. Il ne s’agit pas toutefois d’un motif valable de report.

[496] UPS savait qu’elle avait l’obligation d’enquêter, puisqu’elle a fini par mener une enquête. Cependant, comme elle n’a pas ouvert d’enquête au moment où elle a appris l’existence d’allégations de harcèlement sexuel dans son milieu de travail, il s’ensuit qu’elle n’a pas enquêté en temps opportun.

[497] UPS a pris des mesures immédiates pour protéger ses intérêts juridiques et ceux du particulier intimé accusé en faisant appel à son directeur juridique. Elle n’a toutefois pas jugé bon d’intégrer à ces mesures un processus qui lui aurait permis de déterminer la nature des événements liés aux allégations de Mme Peters. À titre d’exemple, UPS aurait dû prendre rapidement des mesures pour obtenir des témoins les comptes rendus les plus exacts, en demandant à ces derniers de faire des déclarations ou en menant des entrevues alors que le souvenir des événements était encore frais dans leur mémoire.

[498] UPS a laissé cette inaction à l’égard de la plainte elle-même perdurer pendant cinq mois et demi. Sans tirer de conclusion à cet égard, il convient de noter l’impression que produit cette inaction. En effet, cette inaction est compatible avec la projection selon laquelle la plainte pour harcèlement sexuel serait jugée non fondée si une enquête était menée.

[499] Le Tribunal est contraint de conclure, compte tenu de la preuve dont il dispose, qu’UPS n’a pas pris les mesures raisonnables nécessaires en ce qui concerne l’ouverture d’une enquête. Il s’agit là d’une conclusion essentielle en l’espèce. UPS n’ayant pas mené d’enquête en temps opportun, elle ne peut pas, compte tenu de ces faits, se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2).

[500] Avant de passer à une autre question, le Tribunal estime utile de revenir sur la requête d’UPS concernant la destruction d’éléments de preuve et sur son argument selon lequel elle a été lésée dans sa capacité à enquêter sur la plainte en raison de la perte d’éléments de preuve qui, avec le passage du temps, ont été détruits ou sont devenus inaccessibles. UPS n’a pas mené une enquête en temps opportun. UPS n’a pas enquêté sur la plainte d’une façon qui lui aurait permis de parvenir à un résultat précis relativement aux allégations de Mme Peters, par exemple, en tentant d’interroger cette dernière afin de déterminer s’il existait des éléments de preuve corroborants. UPS était d’avis qu’elle disposait de suffisamment de renseignements pour faire enquête en se fondant sur le contenu de la plainte qu’elle avait reçue à la mi-mars 2015. UPS n’a fourni aucune preuve de préjudice. Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas disposé à conclure qu’UPS a subi un préjudice dans le cadre de son enquête.

d) Le caractère équitable de la première enquête

[501] Lorsqu’elle a finalement enquêté sur la plainte, UPS a procédé d’une façon qui n’était pas équitable envers Mme Peters. Mme Peters n’a pas été avisée que l’enquête était en cours et aucune information ne lui a été transmise à ce sujet. Elle n’a pas eu la possibilité de fournir des renseignements ou des observations supplémentaires. Habituellement, un employé qui dépose une plainte est ensuite interrogé dans le cadre d’une enquête interne. Il est fréquent également qu’il soit interrogé à nouveau après que des renseignements eurent été recueillis auprès d’autres témoins. L’occasion lui est aussi donnée de commenter les questions ou les points qui ont été désignés comme étant importants dans le cadre de l’enquête.

[502] Il n’est pas suffisant de simplement supposer que, si UPS avait tenté d’entrer en contact avec Mme Peters, celle-ci aurait refusé de collaborer. Il n’y a aucune preuve en ce sens. Aucune demande de renseignements n’a été faite.

[503] Le fait de ne faire aucun effort pour intégrer le plaignant à l’enquête ou informer ce dernier qu’une enquête est en cours ne satisfait pas à l’obligation de prendre les mesures nécessaires dans le contexte du paragraphe 65(2).

e) Le caractère raisonnable de la première enquête

[504] UPS soutient que son enquête était raisonnable en dépit du fait qu’elle n’ait pas interrogé Mme Peters, car cette dernière se trouvait aux États-Unis et n’était pas disponible. Si UPS avait mené une enquête après avoir reçu avis de la plainte en mars 2015, il n’en aurait pas été ainsi. Mme Peters n’a déménagé aux États-Unis qu’à l’été. En outre, rien n’indique qu’UPS ait tenté de la retrouver.

[505] UPS soutient également que Mme Peters n’était pas disponible parce qu’elle était en congé de maladie en raison de problèmes liés au travail. UPS aurait pu demander à Mme Peters d’expliquer, dès que son état de santé le lui aurait permis, quels étaient les problèmes liés au travail qui, selon son médecin, la rendaient malade ou de communiquer avec ce dernier pour savoir s’il estimait qu’elle était assez bien pour expliquer ses préoccupations dans un courriel. UPS n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve ou de raisons pour expliquer le fait qu’elle n’a manifestement pas tenu compte de la possibilité que l’absence de Mme Peters soit due au harcèlement allégué étant donné leur proximité temporelle.

[506] Comme le Tribunal l’a mentionné, UPS a en outre fait valoir qu’elle disposait de suffisamment de renseignements pour mener son enquête parce que la plainte de Mme Peters contenait tous les renseignements nécessaires. Or, comme en témoignent l’exposé des précisions de Mme Peters et la preuve que cette dernière a présentée, y compris les enregistrements de messages vocaux, le formulaire de plainte de Mme Peters ne contenait pas tous les renseignements. Le fait qu’UPS ait dû mener une deuxième enquête après avoir reçu des renseignements supplémentaires dans le cadre du processus de la Commission indique clairement qu’UPS ne détenait pas toute l’information du simple fait qu’elle avait en main le formulaire de plainte de Mme Peters. UPS a également contredit son propre argument à cet égard lorsqu’elle s’est plainte de ne pas avoir eu accès aux enregistrements des messages vocaux et à d’autres éléments de preuve qui, selon ses dires, avaient été détruits au moment où elle a mené sa première enquête.

[507] L’enquête d’UPS n’était pas raisonnable compte tenu des circonstances.

f) Mener une enquête lorsque les parties ont des intérêts opposés

[508] Dans ses observations écrites finales, UPS fait valoir que Mme Peters avait retenu les services d’un avocat et adopté une position antagoniste par rapport à UPS. UPS affirme que, pour cette raison, il n’était pas raisonnable qu’elle interroge Mme Peters. Or, M. Greenaway n’a pas reconnu cet argument lorsque celui-ci a été mentionné lors de son interrogatoire principal. Aucun élément de preuve n’a été fourni à l’appui de cet argument.

[509] Mme Peters a adopté une position antagoniste par rapport à UPS parce qu’elle craignait qu’UPS ne prenne pas les mesures qui s’imposaient et refuse de croire qu’elle était victime de harcèlement sexuel. La suite des événements a démontré que ses inquiétudes étaient fondées.

[510] Mme Peters a retenu les services d’une parajuriste pour l’aider à préparer sa plainte, et non d’un avocat. Quoi qu’il en soit, le fait que Mme Peters ait adopté une position antagoniste ne constituait pas une raison suffisante de ne pas lui demander de fournir des renseignements au sujet de sa plainte. Mme Peters était toujours à l’emploi d’UPS et avait l’obligation de répondre à son employeur. Cette situation d’emploi n’a pas changé lorsque Mme Peters a déposé sa plainte provinciale. Elle n’a pas changé non plus lorsque Mme Peters a déposé la présente plainte. UPS et Mme Peters avaient l’obligation de collaborer aux fins de l’enquête afin de favoriser le règlement de la plainte, dans la mesure du possible.

[511] UPS a supposé que Mme Peters avait des intérêts opposés aux siens, mais elle n’a pas fait ce genre de suppositions au sujet de M. Gordon, qui était pourtant le harceleur présumé. UPS a demandé à M. Gordon de lui fournir des renseignements au sujet de la plainte. Elle l’a rencontré. Il aurait dû être évident que M. Gordon risquait éventuellement d’avoir des intérêts opposés à ceux d’UPS, mais cette perspective ne semble pas avoir eu d’incidence sur l’enquête d’UPS ou l’avoir entravée.

[512] En d’autres termes, un employeur ne devrait pas présumer qu’un plaignant ou un employé accusé de harcèlement à des intérêts opposés aux siens. Le fait qu’il ait ou puisse avoir des intérêts opposés ne constitue pas pour un employeur une raison valable de négliger ou de refuser de demander des renseignements supplémentaires à un employé au sujet d’un problème existant ayant une incidence sur le milieu de travail et sur les relations entre collègues.

[513] UPS n’est pas libérée de son obligation de faire de son mieux pour mener une enquête juste et raisonnable du simple fait que la plaignante ou le harceleur présumé ont ou pourraient avoir des intérêts opposés aux siens.

g) L’enquête ne peut être partiale

[514] UPS avait plusieurs préoccupations liées à la présence de Mme Peters au travail, à son taux d’absentéisme et à son défaut de signaler ses absences conformément aux politiques d’UPS. Les observations d’UPS sont truffées de ses récriminations au sujet de l’absentéisme et des autres problèmes de rendement de Mme Peters. Certains témoins ont été interrogés au sujet de ces problèmes à l’audience. UPS a laissé entendre que Mme Peters n’était pas une témoin crédible ou fiable en raison de son absentéisme présumé et parce qu’elle ne signalait pas toujours ses absences en temps opportun.

[515] Or, l’absentéisme et le harcèlement sexuel ne sont pas nécessairement liés. Le fait que Mme Peters ait pu avoir un problème d’absentéisme, un problème de rendement ou un problème de conformité n’a strictement rien à voir avec la question de savoir si M. Gordon s’est livré de façon persistante à des actes de harcèlement sexuel de nature verbale ou de nature physique envers Mme Peters. Pour cette raison, dans ses motifs concernant la plainte pour harcèlement sexuel déposée par Mme Peters, le Tribunal n’aborde aucune des questions liées au rendement de Mme Peters soulevées par UPS. La preuve présentée à cet égard est non pertinente en ce qui concerne la question du harcèlement sexuel.

[516] À quelques reprises, UPS a semblé recourir à la question de l’absentéisme pour insinuer que Mme Peters avait déposé une plainte pour harcèlement sexuel non fondée ou qu’elle avait déposé une plainte parce que son taux d’absentéisme était inacceptable. UPS a semblé appuyer le point de vue de M. Gordon et l’opinion de Mme Thompson selon lesquels Mme Peters avait inventé une histoire de harcèlement pour éviter que des mesures disciplinaires lui soient imposées en raison de ses problèmes d’absentéisme. Il n’y a aucune preuve de cela et aucune trace d’une affirmation de Mme Peters en ce sens; il ne s’agit que de conjectures.

[517] UPS semble avoir adopté une attitude partiale et négative à l’égard de la plainte de Mme Peters en raison des préoccupations qu’elle entretenait au sujet de son absentéisme. Une enquête ne peut être juste et raisonnable si elle fait preuve de partialité.

(vi) Éléments de preuve et analyse concernant la deuxième enquête

[518] Dans ses observations, UPS a blâmé Mme Peters pour les résultats limités de son enquête de septembre 2015 et lui a implicitement reproché d’être à l’origine de sa conclusion selon laquelle M. Gordon ne l’avait pas harcelée sexuellement. Elle prétend qu’il en est ainsi parce que Mme Peters ne lui a pas fourni les enregistrements des messages vocaux laissés par M. Gordon.

[519] UPS avait en sa possession une copie de la plainte de Mme Peters, dans laquelle il était fait mention de communications harcelantes. UPS n’a pas demandé que des enregistrements ou un compte rendu des communications harcelantes lui soient fournis.

[520] Lorsqu’elle a entendu les enregistrements dans le cadre de l’enquête de la Commission, UPS a décidé de mener une deuxième enquête. Il semble que cette deuxième enquête menée par M. Greenaway ait consisté à interroger M. Gordon de nouveau. UPS a soutenu que cette deuxième enquête portait également sur les allégations de harcèlement sexuel formulées par Mme Peters. Or, il semble qu’elle ait été axée sur la question de savoir si M. Gordon avait été franc lors de sa première entrevue, et non sur la question de savoir s’il avait commis des actes de harcèlement sexuel. À titre d’exemple, même si elle avait dès lors accès aux enregistrements des messages vocaux, UPS n’a pas conclu que ces derniers constituaient une preuve de harcèlement sexuel. Rien n’indique qu’UPS ait réexaminé la plainte de Mme Peters à la lumière des enregistrements des messages vocaux et qu’elle ait reconsidéré les conclusions de sa première enquête, l’approche qu’elle avait adoptée ou ce sur quoi elle avait enquêté. Rien n’indique non plus qu’elle ait cherché à communiquer avec Mme Peters afin d’obtenir de plus amples renseignements sur les messages vocaux.

[521] Lors de sa deuxième enquête, UPS a adopté la position selon laquelle les allégations de harcèlement sexuel n’étaient pas fondées. Elle a mis fin à l’emploi de M. Gordon après sa deuxième enquête, mais pas parce que ce dernier avait commis des actes de harcèlement sexuel. Dans ses observations finales, UPS affirme avoir mis fin à l’emploi de M. Gordon parce que ce dernier [traduction] « n’a pas été suffisamment franc quant à l’étendue de ses communications non liées au travail avec Peters lorsqu’il a été interrogé en septembre 2015 dans le cadre de l’enquête initiale menée par UPS Canada ». Bref, UPS a adopté la position selon laquelle les allégations de harcèlement sexuel n’étaient pas fondées, tant au cours de ces enquêtes que dans le cadre de la présente instance.

[522] Le Tribunal a conclu que les enregistrements des messages vocaux constituaient une preuve de harcèlement sexuel. Il fallait donc que la deuxième enquête d’UPS, à l’instar de la première, soit fondamentalement viciée pour qu’UPS conclue qu’il n’y avait aucune preuve de harcèlement sexuel. UPS a déraisonnablement écarté une preuve claire de harcèlement lorsqu’elle a implicitement conclu que ces messages étaient des « communications avec Mme Peters non liées au travail » inoffensives, plutôt que des communications externes inappropriées. En appelant Mme Peters à répétition, M. Gordon a ni plus ni moins abusé de sa position d’autorité. Qui plus est, UPS a jugé crédibles les raisons données par M. Gordon pour expliquer le contenu des messages vocaux. Parallèlement, UPS a conclu que M. Gordon avait fait preuve d’un tel manque d’intégrité dans ses explications concernant ses communications antérieures avec Mme Peters que son congédiement était justifié.

[523] Comme il a été mentionné, UPS a présenté des observations sur la façon dont sa capacité à enquêter a été entravée par le défaut allégué de Mme Peters de signaler ou de conserver des éléments de preuve. Or, lorsqu’elle a eu en sa possession une preuve du harcèlement sexuel exercé par M. Gordon, à savoir les enregistrements des messages vocaux, elle n’a pas conclu que le comportement de M. Gordon constituait du harcèlement sexuel.

[524] Elle disposait également des notes qu’avait prises M. Greenaway lors des entrevues qu’il avait menées. Certains des renseignements qu’il avait recueillis corroboraient le fait que Mme Peters estimait avoir été harcelée sexuellement. À titre d’exemple, il a noté que Mme Thompson lui avait mentionné que Mme Peters lui avait dit qu’elle se faisait harceler sexuellement lorsqu’elle a commencé à travailler au Service de chargement. Il semble que M. Greenaway ait demandé à Mme Thompson si Mme Peters voulait qu’elle intervienne à cet égard et que Mme Thompson ait répondu que non. Rien n’indique que M. Greenaway ait cherché à en savoir plus. Il semble que M. Greenaway n’ait pas tenu compte de l’information selon laquelle Mme Peters avait dit à sa déléguée syndicale qu’elle se faisait harceler sexuellement par M. Gordon.

[525] L’idée selon laquelle les enquêtes menées par UPS, à l’insu de Mme Peters, ont abouti à un résultat vicié en raison d’un manque de collaboration ou de disponibilité de la part de Mme Peters n’est pas corroborée par la preuve.

(vii) Résumé des conclusions relatives aux enquêtes menées par UPS

[526] Il était approprié qu’UPS mène une enquête, car pour être dégagée de la responsabilité des actes commis par M. Gordon, elle avait l’obligation légale d’enquêter au titre du paragraphe 65(2). Or, qu’on les considère séparément ou conjointement, les enquêtes ont toutes deux été menées avec un retard excessif et étaient toutes deux entachées de vices de procédure. Un délai de cinq mois et demi s’est écoulé avant que la première enquête ne soit menée, ce qui n’est ni opportun ni raisonnable. Les conclusions auxquelles UPS est parvenue à l’issue de ses enquêtes étaient déraisonnables en raison de vices de procédure et d’erreurs dans l’appréciation de la preuve.

[527] Ces erreurs comprennent, sans s’y limiter, le fait qu’elle n’a pas reconnu que les enregistrements des messages vocaux constituaient une preuve de harcèlement sexuel. UPS n’a fait aucune tentative pour obtenir des renseignements supplémentaires de la part de Mme Peters. Aucune des raisons fournies par UPS pour justifier le fait qu’elle n’a pas interrogé Mme Peters ni tenté d’obtenir des renseignements supplémentaires de sa part n’est convaincante. UPS semble avoir agi avec partialité à l’égard de Mme Peters en raison des problèmes d’absentéisme de cette dernière. À l’évidence, si UPS n’a pas posé à M. Gordon toutes les questions qui s’imposaient lors de sa première enquête, c’est parce qu’elle n’a pas recueilli tous les renseignements importants qu’elle aurait pu obtenir de Mme Peters ou parce qu’elle n’a fait aucune tentative raisonnable en ce sens. Elle n’a pas interrogé tous les témoins pertinents ni recueilli tous les renseignements pertinents. À titre d’exemple, UPS n’a pas interrogé Mme Lawes-Newell. Les renseignements fournis par Mme Thompson semblent avoir été écartés par M. Greenaway. La situation exigeait que l’enquête soit menée par un enquêteur qui s’y connaissait en matière de harcèlement sexuel et qui aurait su d’avance quelles questions poser et comment mener ce genre d’enquête de façon générale. UPS n’a pas pris le processus d’enquête suffisamment au sérieux dans la présente affaire et, pour cette raison, elle est arrivée à une conclusion erronée, à savoir que M. Gordon n’avait pas harcelé sexuellement Mme Peters.

[528] Il est entendu qu’UPS n’avait pas à satisfaire à la norme de la décision correcte en ce qui concerne le résultat de son enquête en l’espèce; le Tribunal conclut plutôt que les conclusions auxquelles UPS est arrivée étaient déraisonnables parce qu’UPS a négligé de prendre certaines mesures. Sa conclusion était fondée sur des erreurs juridiques quant à ce qui constitue du harcèlement sexuel, et la preuve dont elle a tenu compte dans le cadre de ses deux enquêtes était incomplète et n’a pas été considérée dans son contexte. Pour ces raisons, les enquêtes d’UPS étaient intrinsèquement viciées et n’auraient pas pu aboutir à des résultats adéquats. Si UPS avait pris les mesures appropriées, qu’elle s’était bien informée, qu’elle avait mené en temps opportun des entrevues approfondies et exhaustives, y compris auprès de Mme Peters et de M. Gordon, elle serait fort probablement arrivée à une conclusion différente. Il était impossible qu’UPS arrive à une conclusion éclairée et dûment motivée en ne menant pas une enquête en bonne et due forme.

[529] UPS n’était pas tenue de mener une enquête parfaite pour s’acquitter de son obligation de prendre les mesures raisonnables pour traiter la plainte. Or, l’enquête qu’a menée UPS était déraisonnable et inéquitable. Elle ne s’inscrivait pas dans les mesures nécessaires qu’UPS était tenue de prendre pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement, conformément aux exigences du paragraphe 65(2). Par conséquent, UPS ne peut invoquer le paragraphe 65(2) pour être dégagée de sa responsabilité à l’égard des actes commis par M. Gordon.

(viii) Atténuer ou annuler les effets du harcèlement au-delà de l’enquête

[530] Le fait de mener une enquête en temps opportun et d’obtenir des résultats concrets permet de protéger tous les employés concernés des effets néfastes de l’enquête elle-même, y compris les affrontements et les conflits qui peuvent en résulter au travail. La rapidité avec laquelle l’enquête est menée peut grandement aider à protéger l’employé qui a été harcelé des effets préjudiciables du harcèlement, notamment en réduisant au minimum les perturbations émotionnelles auxquelles il est exposé. La tenue d’une enquête en temps opportun fait partie de l’obligation de l’employeur de veiller à ce que le milieu de travail soit exempt de harcèlement sexuel afin qu’aucun autre employé ne soit touché. La tenue d’une enquête est également essentielle parce qu’elle offre à l’employeur l’occasion de trouver des solutions, et de prendre des mesures à l’égard des employés qui ont une mauvaise conduite ou qui refusent d’agir de façon raisonnable. Elle permet en outre de blanchir un employé qui aurait été accusé à tort de harcèlement, ce qui est tout aussi important.

[531] À titre d’exemple, le fait de rencontrer, dans le cadre d’une enquête, un employé qui allègue être victime de harcèlement permet à l’employeur de mieux comprendre les effets d’une telle expérience et d’intervenir de façon appropriée. Il est difficile pour un employeur d’atténuer les effets du harcèlement sur un employé si l’employeur ne sait pas quels sont ces effets. Le même principe s’appliquerait dans le cas d’un intimé qui aurait été injustement accusé de harcèlement. UPS ne disposait d’aucun renseignement sur les effets subis par Mme Peters, car elle ne s’en est jamais informée.

[532] Après avoir fourni à UPS un billet de son médecin indiquant qu’elle ne devait pas travailler tant que les problèmes au travail ne seraient pas résolus, Mme Peters a été en congé de maladie pendant une longue période, pendant laquelle elle a franchi les étapes du processus de traitement de la plainte par la Commission. UPS a laissé Mme Peters à elle-même, sans soutien, alors qu’elle se trouvait dans un état d’anxiété — confirmé par son médecin — et était aux prises avec des pensées et des émotions négatives persistantes liées aux problèmes non résolus découlant de son expérience avec M. Gordon.

[533] En ne menant pas rapidement une enquête efficace après avoir pris connaissance de la plainte, UPS a perdu une occasion de prendre les mesures nécessaires pour atténuer les effets du harcèlement comme l’exige le paragraphe 65(2). Elle n’a pas pris la plainte au sérieux. Elle n’a pas traité les parties avec sensibilité. Elle a également laissé M. Gordon sur la touche pendant cinq mois. Mais, à la différence de Mme Peters, ce dernier a obtenu un soutien juridique. Lorsqu’elle a finalement enquêté cinq mois plus tard, UPS est arrivée à un résultat erroné parce que son enquête elle-même était viciée. Même à ce moment-là, UPS n’a pris aucune mesure pour atténuer les effets du harcèlement sexuel qui avait — bel et bien — eu lieu.

[534] UPS n’a fait aucun effort pour permettre à Mme Peters de réintégrer le travail. Elle n’a fait aucun effort pour lui garantir qu’elle n’aurait aucun contact, ou aucun contact seule à seul, avec M. Gordon si elle réintégrait ses fonctions pendant ou après l’enquête. Rien dans la preuve n’indique qu’UPS ait envisagé de fournir à Mme Peters un environnement de travail exempt de discrimination ou qu’elle était disposée à prendre des mesures en ce sens. UPS n’a pas proposé de solution raisonnable à Mme Peters.

(ix) Conclusion quant à l’obligation d’UPS d’atténuer ou d’annuler les effets du harcèlement sexuel

[535] UPS n’a pas mené son enquête d’une façon qui aurait permis de réaliser son objectif principal, soit d’atténuer ou d’annuler les effets du harcèlement sur les employés touchés. UPS n’a pris aucune mesure concrète pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sexuel sur Mme Peters. Il s’ensuit qu’UPS n’a pas pris les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sexuel qui a eu lieu en l’espèce, contrairement aux exigences du paragraphe 65(2).

F. Le harcèlement a-t-il été signalé avant mars 2015?

(i) Récapitulation et examen de ce qui constitue un signalement

[536] Avant de conclure l’examen des questions liées au paragraphe 65(2), le Tribunal estime nécessaire de revenir sur l’obligation éventuelle du plaignant de signaler le harcèlement. Le Tribunal a déterminé que l’obligation de signaler le harcèlement à l’employeur ne devient pertinente aux fins du paragraphe 65(2) que lorsque l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour atténuer et annuler les effets du harcèlement sexuel et qu’il cherche à attribuer son inaction au fait que le plaignant n’aurait pas signalé le harcèlement. UPS a allégué que le défaut de Mme Peters de signaler le harcèlement a eu une incidence sur sa capacité à enquêter. Le Tribunal n’a pas accepté l’argument selon lequel UPS aurait été lésée dans sa capacité à enquêter. Le Tribunal a conclu que, pour diverses raisons, UPS n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur la plainte et qu’elle n’a pas non plus atténué le harcèlement par d’autres moyens.

[537] UPS n’a pas soutenu – et n’aurait pas pu soutenir de façon convaincante – qu’elle devait être excusée de ne pas avoir atténué les effets du harcèlement sur Mme Peters au motif que Mme Peters ne lui avait pas signalé le harcèlement. Compte tenu des faits de l’espèce, Mme Peters n’avait pas l’obligation de signaler le harcèlement à UPS, car UPS n’a absolument pas pris les mesures qui étaient nécessaires pour atténuer ou annuler les effets du harcèlement sur Mme Peters elle-même.

[538] Le Tribunal a conclu qu’en date de mars 2015, UPS avait été avisée des allégations formulées par Mme Peters. La question de savoir si Mme Peters a signalé le harcèlement plus tôt n’est pas déterminante et, par conséquent, il n’est pas nécessaire que le Tribunal statue sur cette question. De toute façon, UPS n’a commencé à enquêter qu’en septembre 2015. Le Tribunal fournira néanmoins des motifs à cet égard afin de donner suite à l’observation de Mme Peters selon laquelle elle a avisé UPS du harcèlement lors de la rencontre du 15 janvier 2015 ainsi qu’aux observations d’UPS selon lesquelles elle ne l’a pas fait. UPS s’est fortement appuyée sur sa position selon laquelle Mme Peters n’avait pas signalé à M. Ghanem qu’elle subissait du harcèlement sexuel de la part de M. Gordon lors de cette rencontre. À cet égard, UPS insiste fortement sur le fait non contesté que Mme Peters n’a vraisemblablement pas utilisé le mot « sexuel » lorsqu’elle a affirmé qu’elle était victime de harcèlement. UPS soutient que Mme Peters avait l’obligation de préciser que le harcèlement était de nature sexuelle. UPS soulève la question de ce qui constitue un effort raisonnable et suffisant de la part d’un plaignant pour signaler des actes de harcèlement sexuel. Le Tribunal a déterminé qu’une conclusion était de mise à cet égard afin d’assurer un examen exhaustif des principales questions liées à la responsabilité soulevées par les parties.

[539] À cet égard, UPS soutient également que, exception faite de la rencontre du 15 janvier 2015, Mme Peters ne s’est pas prévalue des autres moyens dont elle disposait pour demander réparation, comme communiquer avec les RH, appeler la ligne d’assistance d’UPS ou déposer un grief. UPS soutient que Mme Peters disposait de divers moyens pour signaler le harcèlement sexuel. À cet égard, UPS n’a pas admis que la tentative de Mme Peters de signaler le harcèlement sexuel à M. Ghanem avait échoué. UPS a toutefois laissé entendre, dans le cadre de ces efforts pour souligner que Mme Peters avait d’autres options, que celle-ci aurait dû utiliser plus d’un moyen pour signaler le harcèlement.

(ii) Position d’UPS à l’égard de la rencontre du 15 janvier 2015

[540] UPS a présenté les observations suivantes :

[traduction]

À une occasion, à la toute fin d’une rencontre disciplinaire avec son gestionnaire et sa déléguée syndicale qui visait à remédier à ses problèmes d’absentéisme chronique, Peters a prétendu qu’elle se faisait « harceler » par son superviseur, M. Gordon. Comme elle l’a elle-même admis, Peters a refusé de fournir à Ghanem quelque détail que ce soit et a, en réalité, retiré son allégation immédiatement après l’avoir formulée.

[541] Outre le témoignage de M. Ghanem, UPS s’appuie sur le témoignage de la déléguée syndicale, Mme Thompson, qui a assisté à la rencontre disciplinaire du 15 janvier 2015. UPS a cité Mme Thompson comme témoin.

[542] UPS ne conteste pas le fait que Mme Peters a affirmé être victime de harcèlement lors de la rencontre. UPS soutient que M. Ghanem et Mme Thompson ont tous deux indiqué se souvenir d’avoir questionné Mme Peters après qu’elle eut mentionné qu’elle se faisait harceler et que celle-ci avait alors affirmé que M. Gordon [traduction] « ne la lâchait pas d’une semelle », qu’il lui avait dit qu’elle « devait travailler vite », et qu’elle « n’avait pas aimé qu’il l’affecte à un nouveau poste sur la chaîne de tri ». UPS affirme que M. Ghanem a informé Mme Peters que la gestion du rendement n’était pas du harcèlement, mais que si elle estimait que les mesures prises par M. Gordon allaient au-delà de la formation professionnelle, elle devait signaler la situation aux RH parce qu’UPS n’avait [traduction] « aucune tolérance pour ce genre de harcèlement ». UPS soutient que Mme Thompson et Mme Peters ont toutes deux déclaré qu’aucune précision n’avait été fournie quant à la nature sexuelle du harcèlement. UPS soutient que Mme Peters a également admis avoir retiré son allégation.

[543] UPS affirme en outre que Mme Thompson a témoigné que Mme Peters lui avait dit plus tard qu’elle ne voulait pas signaler le harcèlement qu’elle subissait de la part de M. Gordon parce qu’elle ne voulait pas que celui-ci perde son emploi. UPS soutient qu’il s’agit là d’un aveu de la part de Mme Peters indiquant que [traduction] « si elle avait correctement signalé l’inconduite de M. Gordon, comme elle était tenue de le faire, M. Gordon aurait probablement été congédié, dans la mesure où les allégations étaient fondées ».

[544] UPS soutient que M. Ghanem a raisonnablement interprété les propos tenus par Mme Peters lors de la rencontre du 15 janvier 2015 lorsqu’il a conclu que Mme Peters se plaignait du fait que M. Gordon avait pris des mesures de « gestion du rendement » à son égard. UPS laisse également entendre que Mme Peters ne souhaitait pas signaler le harcèlement parce qu’elle ne voulait pas que M. Gordon perde son emploi. En plus de soutenir que Mme Peters n’a fourni aucune précision et qu’elle a retiré son allégation de harcèlement lors de la rencontre du 15 janvier 2015, UPS laisse entendre que Mme Peters n’a pas insisté davantage sur la question du harcèlement après cette rencontre.

[545] UPS soutient en outre que Mme Peters aurait dû signaler le harcèlement parce que les témoignages des employés témoins corroborent le fait que divers mécanismes étaient en place chez UPS pour signaler les actes de harcèlement et que ces témoins ont confirmé qu’UPS aurait traité le harcèlement sexuel avec sérieux.

(iii) Contexte des évaluations relatives à la crédibilité

[546] Les éléments de preuve se rapportant à ce qui a été dit et n’a pas été dit lors de la rencontre du 15 janvier 2015 sont nombreux, mais, surtout, ils manquent de clarté et se contredisent. Ce fait s’explique en partie par le fait qu’il existait un certain nombre de « déclarations » antérieures prétendument contradictoires. Il s’agissait, pour l’essentiel, de notes prises lors d’entrevues dont l’exactitude n’avait pas ensuite été confirmée par le témoin concerné. Il ne s’agissait pas de véritables déclarations de témoin. Au départ, Mme Thompson ne se souvenait pas qu’elle avait été interrogée par la Commission et ne reconnaissait pas les notes prises comme correspondant à ses déclarations. Le Tribunal a accordé davantage de poids aux témoignages présentés à l’audience et aux documents qui existaient au moment où le harcèlement s’est produit.

[547] Les témoignages présentés à l’audience différaient également quant à ce qui a été dit lors de la rencontre. Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, le témoignage de Mme Peters sur ce qui s’est passé lors de la rencontre était crédible, même si son souvenir des détails n’était pas toujours fiable. Il est devenu évident que la fiabilité et la crédibilité des témoignages présentés au Tribunal par Mme Thompson et M. Ghanem quant à ce qui s’était passé posaient problème. Le Tribunal souligne que l’attitude défensive de Mme Thompson et le fait qu’elle n’ait pas reconnu avoir joué un rôle dans ce qui s’est passé l’amènent à ne pas accorder autant de poids à certains aspects de son témoignage qu’il ne l’aurait fait autrement. Elle a également fait montre de partialité à l’encontre de Mme Peters. Les éléments de preuve et les motifs qui sous-tendent ces évaluations sont expliqués ci-après.

(iv) Témoignage de Mme Peters

[548] Comme il a été expliqué, Mme Peters a témoigné avoir signalé à M. Ghanem qu’elle [traduction] « se faisait harceler » lors de la rencontre qui avait été convoquée pour discuter de son absentéisme. À l’époque, elle consultait son médecin afin d’obtenir de l’aide relativement aux problèmes de santé causés par le harcèlement. Elle avait consulté son médecin pas plus tard que le 7 janvier 2015. Les notes du médecin indiquaient, entre autres, qu’elle [traduction] « a l’impression de perdre la tête », « est déprimée », « s’absente du travail », « se sent dépassée », « dit devoir “faire un effort pour se lever et aller travailler” », « a le sentiment que son superviseur “la drague”, ce qui la met mal à l’aise », « pleure au bureau, à plat sur le plan émotif avec peu de variations dans l’expression », « travaille et ne veut pas prendre congé », « possible ICD? ». Le Dr MacDonald ne l’a pas mise en arrêt de travail à ce moment-là.

[549] UPS semble laisser entendre que la question du « harcèlement » a été soulevée de façon incidente par Mme Peters à la fin de la rencontre et que celle-ci s’est ensuite rétractée. Mme Thompson a témoigné qu’elle estimait que Mme Peters avait soulevé la question du harcèlement en réaction aux mesures disciplinaires qui lui étaient imposées du fait de ses absences et parce qu’elle avait reçu une paie d’un montant erroné de la part d’UPS.

[550] Le Tribunal conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que Mme Peters a vraisemblablement tenté d’expliquer à M. Ghanem ce qui était à l’origine de ses absences lorsqu’elle lui a dit, lors de la rencontre, qu’elle était victime de harcèlement. Quoi qu’il en soit, comme il est indiqué ci-après, l’allégation de harcèlement n’a pas été formulée pour la première fois lors de la rencontre, contrairement à ce qu’UPS et Mme Thompson ont laissé entendre.

[551] Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, Mme Peters a témoigné avoir dit à Mme Thompson, avant la rencontre de janvier 2015, qu’elle était victime de harcèlement sexuel de la part de M. Gordon. Mme Peters avait employé les mots « harcèlement sexuel ». En fait, Mme Thompson a fini par confirmer que Mme Peters avait employé ces mots. Elle a de même confirmé que Mme Peters lui avait signalé que M. Gordon avait fait à son sujet le genre de commentaires mentionnés précédemment. Mme Thompson a toutefois totalement minimisé l’importance de ces éléments dans son témoignage.

[552] Mme Peters n’a pas témoigné avoir utilisé le mot « sexuel » lorsqu’elle a parlé à M. Ghanem. Elle a également déclaré ne pas avoir fourni de précisions à M. Ghanem au sujet du harcèlement. Mme Peters n’a pas non plus dit quoi que ce soit qui aurait pu amener M. Ghanem à penser qu’en utilisant le mot « harcèlement » tout court, elle excluait le harcèlement sexuel ou le fait qu’on lui menait la vie dure parce qu’elle était une femme. Le Tribunal accepte le témoignage de Mme Peters selon lequel elle a dit à M. Ghanem que M. Gordon la harcelait [traduction] « au travail et en dehors du travail ». Mme Peters n’a pas non plus laissé entendre de quelque façon que ce soit qu’elle avait insisté auprès de M. Ghanem pour qu’il fasse enquête sur le harcèlement allégué dans le cadre d’une plainte officielle; elle a simplement allégué, lors de la rencontre, qu’elle subissait du harcèlement.

[553] Mme Peters n’a pas cherché à embellir son témoignage à l’audience. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Tribunal préfère son témoignage.

(v) Le problème allégué quant au signalement

[554] La principale question est de savoir si Mme Peters était tenue de préciser qu’il s’agissait de harcèlement sexuel pour que M. Ghanem ait l’obligation d’intervenir comme s’il s’agissait d’un cas de harcèlement sexuel. UPS soutient que Mme Peters devait indiquer à M. Ghanem que le harcèlement était de nature sexuelle afin d’établir qu’elle ne faisait pas référence au fait que son superviseur avait pris des mesures de gestion du rendement à son égard, une expérience courante pour les employés en milieu de travail. UPS affirme que Mme Peters n’a pas établi cette distinction.

(vi) Témoignage de Mme Thompson au sujet de la rencontre de janvier

[555] Contrairement à ce qu’a affirmé UPS, Mme Thompson n’a pas témoigné qu’il avait été question de « harcèlement » tout court lors de la rencontre du 15 janvier 2015. Elle a déclaré ne pas se souvenir si Mme Peters avait utilisé le terme « harcèlement sexuel » devant M. Ghanem.

[556] De plus, contrairement aux dires d’UPS, Mme Thompson n’a pas témoigné qu’elle se souvenait que M. Ghanem avait questionné Mme Peters de la manière évoquée après que celle-ci eut affirmé être victime de harcèlement. Elle n’a pas déclaré que Mme Peters avait affirmé que M. Gordon [traduction] « ne la lâchait pas d’une semelle », qu’il lui avait dit qu’elle [traduction] « devait travailler vite » et qu’elle [traduction] « n’avait pas aimé qu’il l’affecte à un nouveau poste sur la chaîne de tri ». Elle n’a donc pas corroboré le témoignage de M. Ghanem à cet égard. Elle a notamment dit ne pas se souvenir si M. Ghanem avait demandé à Mme Peters ce qu’elle entendait par là exactement.

[557] Mme Thompson a déclaré qu’elle savait ce que Mme Peters voulait dire (c’est-à-dire qu’elle faisait allusion à du harcèlement sexuel) en raison de leurs discussions antérieures et qu’elle n’était pas certaine que M. Ghanem comprenait qu’il s’agissait de harcèlement sexuel. Si Mme Peters avait fait les déclarations décrites par M. Ghanem, il est peu probable que Mme Thompson aurait déclaré à plusieurs reprises, comme elle l’a fait, que M. Ghanem lui avait semblé présumer que le harcèlement était lié à la gestion du rendement. Si Mme Peters avait fait ces déclarations, Mme Thompson n’aurait eu aucune raison de présumer de la façon dont M. Ghanem avait interprété le mot « harcèlement », car celui-ci aurait alors su de quoi il retournait exactement. Le témoignage de Mme Thompson visait clairement à communiquer l’idée que M. Ghanem avait commis une erreur parce que Mme Peters avait utilisé le mot « harcèlement » tout court.

[558] Mme Thompson a également déclaré que la question du harcèlement n’était véritablement devenue un problème pour Mme Peters que lorsque cette dernière a eu à affronter d’autres problèmes avec UPS. Mme Thompson a témoigné que Mme Peters [traduction] « n’en avait pas fait grand cas » jusqu’à ce que la direction lui reproche ses absences. Elle était également d’avis que [traduction] « les choses avaient commencé à dégénérer lorsque Brent [Dambrosio] avait mis le holà et dit qu’il ne la paierait pas ». Mme Thompson a semblé faire cette remarque afin d’indiquer que Mme Peters avait formulé une allégation de harcèlement dans un but malicieux. Si tel est le cas, il s’agissait d’une pure supposition de sa part. Il n’y a aucune preuve convaincante que Mme Peters n’a pas, dès le début, été troublée par le comportement de M. Gordon. Mme Thompson est la seule personne à avoir laissé entendre que Mme Peters n’était pas troublée par les événements après en avoir discuté avec elle. Il est fort probable que Mme Peters ait été troublée, mais qu’elle ne savait pas comment gérer la situation. Quoi qu’il en soit, Mme Thompson a bel et bien laissé entendre que la question du harcèlement n’avait pas été soulevée avant la rencontre du 15 janvier 2015.

[559] En outre, Mme Thompson a initialement refusé d’admettre son implication antérieure et le fait que Mme Peters lui avait fait part de ses allégations de harcèlement sexuel. En interrogatoire principal, lorsqu’on lui a demandé si Mme Peters s’était déjà plainte que M. Gordon l’avait harcelée ou agressée sexuellement avant le 15 janvier 2015, elle a nié que cela s’était produit. Elle a ensuite confirmé, dans le cadre de son témoignage, qu’elle avait connaissance de ce qui se passait. Elle a déclaré à plusieurs reprises que, lorsque Mme Peters avait dit lors de la rencontre qu’elle se faisait harceler, elle savait ce que Mme Peters entendait par là; elle a affirmé qu’elle savait déjà que Mme Peters avait dit être victime de harcèlement sexuel de la part de M. Gordon.

[560] Le Tribunal conclut qu’il n’était pas raisonnable de la part de Mme Thompson de laisser entendre que la question du harcèlement n’avait pas été soulevée par Mme Peters avant la rencontre du 15 janvier 2015. En outre, au début de son témoignage, Mme Thompson n’a pas été franche quant à l’étendue et à la nature de son implication.

[561] Mme Thompson a notamment commencé par dire qu’elle n’était pas au courant de l’agression sexuelle au moment de la rencontre du 15 janvier 2015. Elle a ensuite déclaré qu’elle savait que M. Gordon avait touché Mme Peters alors qu’elle travaillait, avant la rencontre.

[562] Le Tribunal souligne en passant qu’il a déjà déterminé que les incidents plus graves de harcèlement sexuel physique ne s’étaient pas encore produits au moment de la rencontre de janvier. Le souvenir que Mme Thompson avait des différents moments où les événements se sont produits a fluctué au cours de son témoignage. Elle a fini par dire que [traduction] « tout était sorti » après la rencontre du 15 janvier 2015. Le témoignage initial de Mme Thompson quant aux différents moments où les événements se seraient produits n’a pas d’incidence sur l’évaluation que fait le Tribunal des éléments de preuve concernant le moment où l’incident d’attouchement a vraisemblablement eu lieu. Le Tribunal n’est pas convaincu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que Mme Thompson était au courant de l’incident d’attouchement avant la rencontre.

[563] En effet, lors de son témoignage, Mme Thompson a dit croire qu’elle était au courant de l’incident d’attouchement au moment de la rencontre de janvier. Elle croyait à ce moment-là se souvenir que Mme Peters lui avait dit que M. Gordon lui avait touché les fesses pendant qu’elle travaillait sur la chaîne de tri. Il semble qu’il ne soit jamais venu à l’esprit de Mme Thompson qu’elle aurait dû signaler l’incident au syndicat et à la direction lorsqu’elle a appris qu’il s’était produit. Dans la mesure où elle était au courant de l’incident, elle aurait assurément dû en parler lors de la rencontre. Or, Mme Thompson a indiqué n’avoir jamais communiqué à qui que ce soit les renseignements qu’elle avait obtenus au sujet du harcèlement sexuel que M. Gordon faisait subir à Mme Peters.

[564] Le Tribunal conclut que Mme Peters avait informé Mme Thompson de ces préoccupations quant aux communications inappropriées que M. Gordon avait avec elle et aux remarques qu’il faisait à son sujet en milieu de travail avant la rencontre du 15 janvier 2015. La preuve indique que Mme Thompson n’a pris aucune mesure pour informer Mme Peters de la façon dont les plaintes de harcèlement sexuel devaient être traitées ou pour l’aider à signaler la situation. Rien n’indique qu’elle ait fait des démarches afin d’en savoir plus.

[565] Mme Thompson a également décrit la réaction de M. Ghanem d’une façon qui diffère de ce que celui-ci a dit qu’il s’était passé lors de son témoignage. Elle a affirmé que, lorsque Mme Peters avait dit avoir l’impression de se faire harceler par M. Gordon, M. Ghanem avait été [traduction] « contrarié » par l’usage de ce mot. Mme Thompson a dit que M. Ghanem avait répondu [traduction] « c’est un bien grand mot ». En fait, elle a répété à quelques reprises lors de son témoignage que M. Ghanem avait été contrarié par l’usage de ce mot.

[566] Il semble, d’après les différents récits donnés par les personnes qui étaient présentes que Mme Thompson n’ait rien dit d’utile à Mme Peters après que celle-ci eut affirmé qu’elle était victime de harcèlement, même si Mme Peters lui avait déjà signalé qu’elle se faisait harceler sexuellement par M. Gordon. Elle n’a rien dit à M. Ghanem comme [traduction] « ce qu’elle veut dire, c’est que M. Gordon tient des propos inappropriés de nature sexuelle, qu’il la harcèle et qu’il est maintenant très dur avec elle au travail » ou n’a apporté aucune contribution de cette nature à leur discussion.

[567] Mme Thompson a témoigné qu’après que Mme Peters eut dit qu’elle se faisait harceler, elle est [traduction] « sortie avec elle ». Par là, elle entendait qu’elles ont toutes deux quitté la rencontre pour s’entretenir en privé. Elle n’a fourni aucune explication à savoir pourquoi elles étaient sorties de la salle immédiatement après que Mme Peters eut prononcé le mot « harcèlement ».

[568] Mme Thompson a déclaré avoir demandé à Mme Peters si elle [traduction] « avait l’intention de dire quoi que ce soit à ce sujet ». Elle a dit que Mme Peters lui avait répondu que non et qu’elles avaient ensuite regagné la salle où avait lieu la rencontre.

[569] Le Tribunal en déduit que Mme Thompson a demandé à Mme Peters de la suivre à l’extérieur, et non l’inverse. Mme Thompson n’a pas expliqué pourquoi elle avait demandé à Mme Peters si elle avait l’intention de parler du harcèlement sexuel. Mme Peters avait déjà mentionné qu’elle subissait du harcèlement. Si, avant de participer à la rencontre de janvier, Mme Thompson se figurait que Mme Peters ne voulait pas que le harcèlement soit signalé, elle aurait dû se rendre compte que son impression était erronée ou qu’elle n’était plus exacte lorsque Mme Peters a soulevé devant elle la question du harcèlement auprès de M. Ghanem.

[570] Il semble très probable, à la lumière du témoignage de Mme Thompson, que cette dernière ait été très mal à l’aise à l’idée qu’il y ait une plainte pour harcèlement sexuel chez UPS. Il semble qu’elle se soit inquiétée de ce que cela pourrait signifier pour elle à titre de déléguée syndicale et pour M. Gordon personnellement. Certains éléments de preuve indiquent que Mme Thompson et M. Gordon étaient amis au travail, qu’ils [traduction] « se taquinaient l’un l’autre » au travail et qu’ils s’étaient vus à l’occasion en dehors dans le cadre de rencontres amicales.

[571] Dans la mesure où Mme Thompson a questionné Mme Peters à savoir si elle avait l’intention de dire quoi que ce soit [traduction] « à ce sujet », le Tribunal conclut que cette question n’a pas été posée dans le but d’encourager Mme Peters à parler ou à fournir des précisions supplémentaires. Il est plus probable que Mme Thompson ait remis en question la décision de Mme Peters de soulever la question du harcèlement sexuel auprès d’UPS.

[572] En interrogatoire principal, on a demandé à Mme Thompson si Mme Peters avait dit pour quelle raison elle ne voulait pas porter plainte (ce qui ne correspond pas à ce que Mme Thompson avait déclaré plus tôt lors de son témoignage) lorsqu’elles avaient quitté la rencontre pour s’entretenir en privé. Mme Thompson a d’abord dit qu’elle ne s’en souvenait pas. Elle a ensuite affirmé que la raison était peut-être que [traduction] « nous devons faire attention parce que cela pourrait nuire à sa famille ». Mme Thompson a ajouté que Mme Peters [traduction] « ne cessait de répéter qu’elle ne voulait rien dire ».

[573] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que Mme Peters a tenté de signaler à M. Ghanem qu’elle était victime de harcèlement de la part de M. Gordon. Mme Thompson ne voulait pas que cela se produise. Mme Thompson a demandé à Mme Peters de la suivre à l’extérieur. Il semble probable que Mme Thompson ait dit à Mme Peters qu’elle devait être prudente et qu’elle lui ait parlé des conséquences pour M. Gordon et sa famille. Il est fort probable que Mme Thompson ait tenté de faire pression sur Mme Peters afin qu’elle garde le silence; assez pour que Mme Peters lui assure plus d’une fois qu’elle ne dirait rien, même si elle avait déjà dit à M. Ghanem qu’elle avait l’impression de se faire harceler. Mme Thompson a ensuite déclaré devant le Tribunal que Mme Peters ne voulait rien dire.

[574] Le Tribunal est d’avis que l’interprétation que fait Mme Thompson de ce qui s’est passé lors de la rencontre est erronée et témoigne d’un certain parti pris contre Mme Peters. Comme il a déjà été mentionné, Mme Thompson a eu amplement l’occasion d’aider Mme Peters lors de la rencontre et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de malentendu quant à la nature du harcèlement allégué par Mme Peters. Si, comme elle l’a affirmé, M. Ghanem comprenait mal la nature du harcèlement en cause, Mme Thompson aurait pu dissiper ce malentendu. Elle ne l’a pas fait.

[575] Au contraire, Mme Thompson a témoigné que, pendant la rencontre, elle a dit à M. Ghanem quelque chose comme [traduction] « vous ne voulez pas vous lancer là-dedans avec elle ». Elle a confirmé le témoignage de Mme Peters selon lequel M. Gordon avait dit qu’elle avait intérêt à avoir des preuves. Elle a également déclaré l’avoir mentionné à M. Ghanem, mais que celui-ci [traduction] « ne voulait pas en entendre parler ». Les notes que M. Greenaway a prises lors de son entrevue avec Mme Thompson le confirment.

[576] Mme Peters a déclaré qu’on lui avait demandé de quitter la rencontre et d’attendre à l’extérieur pendant que M. Ghanem et Mme Thompson s’entretenaient en privé. Les témoignages quant à la question de savoir si cela s’est produit sont contradictoires.

[577] M. Ghanem a contesté que Mme Peters ait été absente pendant une quelconque partie de la rencontre. Au départ, Mme Thompson semblait penser qu’elle ne s’était pas entretenue en privé avec M. Ghanem. Elle a ensuite admis qu’il lui arrivait souvent de rester pour discuter avec le superviseur après ce genre de rencontres afin d’intervenir au nom de l’employé et que c’est ce qui avait pu se produire. Finalement, les notes que M. Greenaway avait prises lors de son entrevue avec Mme Thompson ont été présentées à cette dernière. Confrontée à ces notes, elle a confirmé qu’elle se rappelait être restée. En soi, cela ne serait pas source de préoccupation quant à la fiabilité du témoignage de Mme Thompson, vu le temps qui s’est écoulé depuis. Toutefois, compte tenu de l’ensemble de la preuve qui a été présentée, il semble que Mme Thompson ait, là encore, substantiellement modifié son témoignage initial afin d’éviter de donner l’impression qu’elle et M. Ghanem avaient eu une discussion en privé lors de la rencontre du 15 janvier 2015.

[578] Comme M. Ghanem a contesté le fait que cette discussion avait eu lieu, il n’a présenté aucun élément de preuve se rapportant à la période pendant laquelle Mme Peters avait été absente de la rencontre. Mme Thompson a laissé entendre que Mme Peters avait tout bonnement quitté la rencontre et que, pendant l’absence de cette dernière, elle avait uniquement défendu Mme Peters relativement à son absentéisme.

[579] Le Tribunal préfère le témoignage de Mme Peters selon lequel elle a attendu à l’extérieur. Rien n’indique que, lorsque Mme Peters a rejoint M. Ghanem et Mme Thompson à la rencontre de janvier, ces derniers aient dit quoi que ce soit à Mme Peters pour donner suite à son commentaire sur le harcèlement. Si Mme Thompson et M. Ghanem ont discuté en privé du harcèlement que Mme Peters subissait de la part de M. Gordon, cette discussion n’a rien changé à la réponse de M. Ghanem ou à la réaction de Mme Thompson. Ils n’ont rien fait, ni l’un ni l’autre. La rencontre a pris fin.

[580] Comme il a été expliqué, le Tribunal ne dispose d’aucun témoignage fiable quant à ce qui a été dit lors de cette conversation privée entre M. Ghanem et Mme Thompson. Il semble peu probable, dans la mesure où elle savait que Mme Peters était victime de harcèlement sexuel, que Mme Thompson n’ait rien dit à M. Ghanem à ce sujet. Le Tribunal n’est cependant pas en mesure de tirer une conclusion de fait quant à ce que Mme Thompson et M. Ghanem se sont dit lors de leur conversation privée du 15 janvier 2015, car la preuve à cet égard est insuffisante. Comme le Tribunal l’a souligné, Mme Thompson a toutefois déclaré de façon imprécise, c’est-à-dire sans spécifier le moment ou l’endroit, qu’elle [traduction] « l’avait mentionné à [M. Ghanem] et qu’elle a eu l’impression qu’il ne voulait pas l’entendre ». Il est possible, voire probable, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que, lors de cette conversation, Mme Thompson ait informé M. Ghanem que le harcèlement que Mme Peters avait affirmé subir de la part de M. Gordon était de nature sexuelle.

(vii) Témoignage de Mme Thompson sur ce qui s’est passé après la rencontre

[581] Mme Thompson n’a pas davantage défendu de Mme Peters après la rencontre. Elle a déclaré avoir ultérieurement écouté les messages vocaux laissés par M. Gordon. Elle savait donc que M. Gordon harcelait Mme Peters en dehors du travail. Elle a convenu que ses messages étaient inappropriés. Mme Thompson n’a pas informé Mme Peters qu’elle avait intérêt à porter ces messages à l’attention d’UPS, pas plus qu’elle ne lui a expliqué que ces messages constituaient des éléments de preuve corroborants de nature à convaincre M. Ghanem. Elle n’a, elle-même, pris aucune mesure en lien avec ces messages.

[582] Lors de son témoignage, Mme Thompson a plutôt affirmé avoir été contrariée que Mme Peters lui demande d’écouter les messages vocaux et l’a mêlée, par le fait même, à l’affaire. Elle a déclaré qu’elle ne comprenait pas pourquoi Mme Peters lui avait demandé de les écouter, alors même qu’elle était sa déléguée syndicale. Elle s’est plainte que Mme Peters n’ait pas transmis les messages directement à la direction sans la mêler à l’affaire.

[583] Comme il a été mentionné, Mme Thompson a par la suite appris que M. Gordon avait touché Mme Peters alors qu’elle travaillait sur la chaîne de tri. Elle a également témoigné avoir appris que Mme Peters alléguait que M. Gordon l’avait agressée sexuellement dans le stationnement. Ces incidents n’ont pas amené Mme Thompson à conclure qu’il y avait lieu de porter l’affaire à l’attention d’une personne en mesure d’ordonner la tenue d’une enquête appropriée. Elle a déclaré qu’elle ne croyait pas que M. Gordon avait agressé Mme Peters dans le stationnement, pour des raisons qui s’apparentaient étroitement à la version des événements donnée par M. Gordon.

(viii) Rumeurs de corridor

[584] Mme Thompson a fait fi des commentaires qu’elle a entendus de la bouche d’employés de sexe masculin qui disaient que M. Gordon ne manquait jamais de parler aux employés de sexe féminin. Elle les a qualifiés de [traduction] « rumeurs de corridor » et a laissé entendre que les employés de sexe masculin avaient toujours eu ce problème lorsqu’il y avait des femmes présentes et que c’était encore le cas. Elle a également déclaré avoir entendu dire qu’une situation impliquant des actes de harcèlement sexuel de la part de M. Gordon avait été portée à l’attention des RH. Elle a dit que rien n’avait été prouvé et que [traduction] « c’était seulement quelque chose [qu’elle avait] entendu », mais que deux hommes avaient signalé un problème. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas mentionner leur nom sans autorisation. Son affirmation n’a pas été contestée.

(ix) Communications de Mme Thompson avec M. Gordon

[585] Le témoignage de Mme Thompson quant à la nature des discussions qu’elle a eues avec M. Gordon pendant cette période a considérablement évolué. Mme Thompson a commencé par déclarer en interrogatoire principal que Mme Peters s’était plainte auprès d’elle de la supervision exercée par M. Gordon. Elle a dit qu’elle avait parlé à M. Gordon et que celui-ci lui avait expliqué que Mme Peters ne faisait pas ce qu’elle était censée faire et que c’était la raison pour laquelle [traduction] « il était dur avec elle ». Mme Thompson a également déclaré que M. Gordon était venu la voir pour discuter de l’éthique de travail de Mme Peters. En présentant les choses ainsi, Mme Thompson a semblé corroborer le témoignage de M. Gordon selon lequel la supervision qu’il exerçait sur Mme Peters était liée aux problèmes de rendement de cette dernière et que c’était là tout ce dont ils avaient discuté.

[586] On a ultérieurement demandé à Mme Thompson si elle avait déjà parlé à M. Gordon des allégations formulées par Mme Peters. Elle a répondu qu’elle avait demandé à M. Gordon s’il supervisait Mme Peters de près à cause de [traduction] « ce qui s’était produit dans le passé » et qu’il lui avait dit que ce n’était pas le cas.

[587] En contre-interrogatoire, Mme Thompson a répété avoir dit à M. Gordon, après la rencontre du 15 janvier 2015, que Mme Peters avait affirmé être victime de harcèlement de sa part du fait de ce qui s’était produit dans le passé. Elle a ensuite confirmé que par [traduction] « ce qui s’était produit dans le passé » elle entendait des actes de harcèlement sexuel.

[588] Mme Thompson ne s’est pas empressée de mentionner que Mme Peters lui avait signalé que M. Gordon avait commencé à la superviser de façon inappropriée après qu’elle eut allégué qu’il la harcelait sexuellement. Le témoignage initial de Mme Thompson a donné l’impression que les discussions qu’elle avait eues avec M. Gordon au sujet de la supervision qu’il exerçait sur Mme Peters n’avaient rien à voir avec du harcèlement sexuel et découlaient uniquement de préoccupations légitimes liées à l’éthique de travail de Mme Peters. Mme Thompson n’a pas mentionné d’emblée qu’elle avait demandé à M. Gordon s’il était plus dur envers Mme Peters en raison des allégations de harcèlement sexuel qu’elle avait formulées.

[589] Lorsqu’elle lui a posé la question, M. Gordon a nié avoir harcelé sexuellement Mme Peters. Mme Thompson a accepté sans réserve la déclaration de M. Gordon. Mme Thompson a semblé avoir un important parti pris en faveur de M. Gordon, car elle a donné l’impression qu’elle était entièrement disposée à accepter sa version des faits, au détriment de celle de Mme Peters, sans enquêter sur ses déclarations.

[590] Mme Thompson a déclaré qu’il ne lui était pas venu à l’esprit, après qu’elle eut appris que des allégations de harcèlement sexuel avaient été formulées, de voir à ce que Mme Peters soit supervisée par quelqu’un d’autre. Un tel changement de superviseur aurait été approprié et aurait constitué aussi bien une mesure de prévention qu’une mesure d’atténuation.

[591] Le Tribunal rappelle que M. Gordon a déclaré qu’il n’avait aucune idée que Mme Peters estimait qu’il la harcelait sexuellement jusqu’à ce qu’il reçoive sa plainte provinciale. Cette déclaration contredit le témoignage de Mme Thompson selon lequel elle avait abordé cette question avec M. Gordon avant que la plainte provinciale ne soit reçue.

(x) Absence de grief

[592] Le Tribunal souligne que Mme Thompson a affirmé qu’elle [traduction] « n’avait pas pensé » à signaler le harcèlement. Elle a déclaré qu’à l’époque, elle ne savait pas qu’elle pouvait déposer un grief au nom de Mme Peters relativement au harcèlement. Elle a attribué cette inaction au fait qu’elle aurait reçu une formation insuffisante de la part d’UPS. Elle a dit qu’elle était maintenant consciente que, si elle prenait connaissance d’un cas de harcèlement sexuel au travail, elle devait dire quelque chose. Elle a affirmé qu’il s’agissait d’une [traduction] « leçon de vie » et non de quelque chose qu’elle avait appris dans le cadre d’une formation, et qu’elle était [traduction] « plus libre de s’exprimer à ce sujet ».

[593] Le Tribunal n’accepte pas le témoignage de Mme Thompson selon lequel il ne lui est pas venu à l’esprit qu’elle devait intervenir face à un cas de harcèlement alors qu’elle était déléguée syndicale. Le Tribunal conclut que Mme Thompson ne voulait tout simplement rien faire au sujet du harcèlement. Elle était très mécontente du simple fait d’avoir été mise au courant, à tel point que, lorsque la Commission a communiqué avec elle pour l’interviewer, elle a refusé de participer. La personne dont elle relevait au sein du syndicat a communiqué avec elle à ce sujet. Elle a dit qu’elle lui avait expliqué qu’elle ne voulait pas être mêlée à l’affaire. Il semble qu’elle ait reçu l’ordre de participer à l’entrevue.

[594] Lorsqu’on l’a questionnée en réinterrogatoire à savoir si elle aurait déposé un grief ou aidé Mme Peters à signaler la situation aux RH si celle-ci le lui avait demandé, Mme Thompson a répondu avec enthousiasme que c’est ce qu’elle aurait fait. Le Tribunal ne croit pas ce témoignage.

[595] Ni Mme Peters ni la Commission n’ont laissé entendre que le fait de signaler le harcèlement à Mme Thompson, à titre de collègue et de représentante syndicale, équivalait pour Mme Peters à s’acquitter de son obligation présumée de signaler le harcèlement à UPS ou pouvait remplacer cette obligation. Par conséquent, le Tribunal ne tire aucune conclusion relativement à cette question.

(xi) Contexte supplémentaire entourant l’absence de grief

[596] Mme Thompson n’a pas fourni un soutien actif ou efficace à Mme Peters relativement à la question du harcèlement sexuel en milieu de travail. Mais, ce n’est pas la seule fois; un autre exemple a fourni au Tribunal un contexte supplémentaire pour l’évaluation de la crédibilité de Mme Thompson. Comme il a été mentionné, lorsque Mme Peters a changé de poste en 2014, UPS lui a versé une rémunération qui ne correspondait pas au taux convenu. Ce problème n’a été résolu que plusieurs années plus tard, après que la plainte relative aux droits de la personne eut été déposée auprès de la Commission. UPS a fini par imposer une sanction disciplinaire à M. Dambrosio, le gestionnaire qui avait pris cette décision. Le Code canadien du travail exige que les employeurs versent à leurs employés la rémunération qui leur est due pour les heures qu’ils ont travaillées. Dans le cas des employés syndiqués, cette exigence fait partie intégrante de la convention collective. Il n’est pas plausible que la convention collective applicable ait expressément permis à l’employeur de subordonner le droit d’un employé de recevoir la bonne rémunération à une condition d’assiduité de 100 %. Rien n’indique que Mme Thompson avait une autre raison valable d’accepter que Mme Peters ne soit pas rémunérée au bon taux pour les heures qu’elle avait travaillées.

[597] Mme Peters a affirmé que, le 23 janvier 2015, soit peu après la rencontre du 15 janvier 2015, Mme Thompson l’avait informé que la direction ne lui verserait le salaire rétroactif qui lui était dû que si elle se présentait au travail pendant trois mois d’affilée sans prendre de congé de maladie. Mme Thompson avait semblé appuyer la décision d’UPS.

[598] Mme Peters a déclaré que Mme Thompson lui avait dit qu’elle ne pouvait pas supporter le stress de cette situation et que Mme Peters pouvait plaider elle-même son grief. Le Tribunal précise qu’un grief avait été déposé relativement à la rémunération de Mme Peters. Rien ne prouve cependant que Mme Thompson ait fait quoi que ce soit de plus pour aider Mme Peters. À l’audience, Mme Thompson a plutôt accusé Mme Peters de [traduction] « l’avoir utilisée » aux fins de sa plainte en lui faisant écouter les messages vocaux de M. Gordon.

[599] Mme Thompson a eu des discussions avec la direction relativement au harcèlement sexuel et au fait qu’UPS ne versait pas la bonne rémunération à Mme Peters, mais en l’absence de Mme Peters. Elle n’a apporté aucune aide à Mme Peters par la suite. Compte tenu des circonstances, il n’est pas surprenant qu’aucun grief n’ait été déposé en ce qui concerne le harcèlement sexuel. Mme Peters n’avait pas le soutien de sa représentante syndicale.

(xii) Témoignage de M. Ghanem

[600] Quoi qu’il en soit, la question de savoir si Mme Thompson a expressément signalé la nature sexuelle du harcèlement à M. Ghanem n’est pas entièrement déterminante quant à celle de savoir si Mme Peters a signalé les actes de harcèlement sexuel commis par M. Gordon. Compte tenu des faits de l’espèce, M. Ghanem aurait dû avoir conscience, puisque Mme Peters avait mentionné être victime de harcèlement de la part de M. Gordon, qu’il devait poser des questions et chercher à en savoir plus. Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal estime qu’il ne l’a pas fait. Il aurait dû savoir que la discrimination peut être un facteur dans toute forme de harcèlement et que le harcèlement, peu importe la forme qu’il prend, exige que des mesures soient prises. En fait, la question qu’il convient de poser est de savoir si, lorsqu’elle a signalé qu’elle était victime de harcèlement, Mme Peters a fourni suffisamment de renseignements à M. Ghanem pour imposer une obligation légale à ce dernier et, par le fait même, à UPS. Le Tribunal conclut que Mme Peters a fourni suffisamment de renseignements, compte tenu de ce que M. Ghanem savait déjà et de ce qu’elle a dit d’autre lors de la rencontre.

[601] Comme il a été mentionné, le Tribunal accepte le témoignage de Mme Peters selon lequel, après avoir déclaré que M. Gordon l’a harcelait, elle a précisé, en réponse à une question de M. Ghanem, que cela se produisait [traduction] « au travail et en dehors du travail ».

[602] UPS avait une politique officielle sur les relations de travail professionnelles, en vertu de laquelle M. Gordon a finalement été sanctionné pour avoir soupé avec Mme Peters en novembre 2014. La politique stipule que les superviseurs et les gestionnaires doivent éviter d’entretenir des relations avec les employés subalternes en dehors du travail et que [traduction] « [s]i une situation préoccupante survient, UPS doit prendre les mesures qui s’imposent relativement à tout comportement et à toute relation préjudiciable ou raisonnablement susceptible d’être préjudiciable aux intérêts de ses employés, de ses clients et de son entreprise ». Lorsque Mme Peters a indiqué que le harcèlement se produisait au travail et en dehors du travail, cela aurait dû éveiller la curiosité ou l’intérêt, voire l’inquiétude, de M. Ghanem à savoir ce qu’elle entendait par là. Mme Peters venait tout juste d’exprimer des préoccupations quant à la façon dont son superviseur se comportait envers elle en dehors du travail, et la politique indiquait que M. Ghanem avait la responsabilité d’intervenir.

[603] M. Ghanem a soutenu tout au long de son témoignage qu’il croyait que Mme Peters faisait uniquement référence à la gestion de son rendement lorsqu’elle a affirmé que M. Gordon la harcelait. M. Gordon ne pouvait pas et n’a vraisemblablement pas appliqué de mesures de gestion du rendement en dehors des heures de travail.

[604] En outre, il ressort clairement du témoignage de M. Ghanem que celui-ci avait fait une supposition erronée quant à ce que le mot « harcèlement » pouvait vouloir dire. Il était d’avis que les employés utilisaient sans cesse le mot « harcèlement » à tort et, plus précisément, qu’ils alléguaient être victimes de harcèlement alors que leur superviseur ou leur gestionnaire tentaient seulement de gérer leur rendement. M. Ghanem a déclaré que s’il devait mener une enquête chaque fois que l’un de ses employés utilisait le mot « harcèlement », il ne ferait que mener des enquêtes sur des allégations de harcèlement.

[605] Il est inconvenant d’affirmer une telle chose. Tout ce que M. Ghanem avait à faire, c’était de s’assurer qu’il avait bien compris ce que chaque employé entendait par « harcèlement » et, s’il était trop occupé, il pouvait transmettre l’information aux RH afin qu’une enquête soit ouverte.

[606] UPS a insisté sur le fait que, lors de son témoignage, M. Ghanem a dit qu’il avait expliqué à Mme Peters que la gestion du rendement et le harcèlement étaient deux choses différentes. Cette déclaration n’est pas crédible. Le Tribunal ne croit pas que M. Ghanem a obtenu des détails de la part de Mme Peters ou qu’il a expressément informé Mme Peters de ce qu’il pensait, à savoir qu’il y avait une autre explication, lors de la rencontre. S’il l’avait fait, Mme Peters aurait apporté des précisions, ce qui aurait alimenté la discussion. Il n’y a aucune preuve que cela s’est produit. De plus, Mme Thompson a maintenu tout au long de son témoignage qu’elle croyait que M. Ghanem avait supposé que le vrai problème était la supervision. Cette affirmation était fondée sur ses observations, et sur ses propres croyances et suppositions. Elle n’a pas témoigné que M. Ghanem avait dit quelque chose comme [traduction] « la gestion du rendement et le harcèlement sont deux choses différentes ». Le Tribunal conclut que, lors de son témoignage, M. Ghanem a affirmé de façon inexacte qu’il avait fait ce commentaire.

[607] M. Ghanem a donné l’impression, lors de son témoignage, qu’il n’était pas ouvert à l’idée d’avoir avec Mme Peters une discussion sérieuse sur ce qu’elle voulait dire exactement. Par ce commentaire et d’autres commentaires qu’il a faits, M. Ghanem a démontré qu’il était très fermé à l’idée d’admettre que ce que Mme Peters disait au sujet du harcèlement exercé par M. Gordon puisse être vrai. Le Tribunal conclut que l’approche et le ton adoptés par M. Ghanem n’exprimaient pas suffisamment de sensibilité pour que Mme Peters se sente à l’aise de lui parler franchement et pense qu’il puisse la croire.

[608] M. Ghanem avait reçu suffisamment d’information à la rencontre du 15 janvier 2015 pour comprendre qu’il devait changer d’optique, c’est-à-dire délaisser son approche disciplinaire, et poser des questions afin de confirmer si ses suppositions quant à ce que Mme Peters entendait par « harcèlement » étaient justes. Il aurait dû également envisager la possibilité que le harcèlement soit à l’origine des absences de Mme Peters et que c’était la raison pour laquelle elle en avait fait mention lors de la rencontre. Une personne raisonnable se serait demandé si les deux problèmes étaient liés.

[609] Qui plus est, certains éléments de preuve concernant ce qui a été dit à la rencontre donnent à penser que M. Ghanem se doutait qu’il était question de harcèlement sexuel ou, du moins, d’une forme assez grave de harcèlement. Le Tribunal renvoie ici à la preuve selon laquelle M. Ghanem a dit à Mme Peters et à Mme Thompson [traduction] « [qu’]elle avait intérêt à avoir des preuves ». Cette affirmation va à l’encontre du témoignage de M. Ghanem selon lequel il croyait que le harcèlement allégué par Mme Peters était uniquement lié à la gestion de son rendement. M. Ghanem n’aurait sans doute pas répondu à Mme Peters qu’il lui fallait des preuves s’il n’avait pas compris qu’elle lui signalait une forme de harcèlement suffisamment grave pour justifier la tenue d’une enquête.

[610] Compte tenu du déséquilibre des pouvoirs entre M. Ghanem, un membre de la direction, et Mme Peters, une employée à temps partiel, il n’était pas réalistement envisageable pour Mme Peters de s’opposer à l’insinuation de M. Ghanem selon laquelle son allégation de harcèlement ne faisait pas le poids et qu’elle ne serait pas en mesure de prouver ce qu’elle avançait. Compte tenu de la réaction de M. Ghanem, il était raisonnable pour Mme Peters de conclure que la direction d’UPS ne ferait rien au sujet du harcèlement. Il semble également probable que M. Ghanem lui ait, en fait, dit qu’elle pouvait signaler son problème aux RH, mais qu’il lui faudrait des preuves. Il est peu probable que M. Ghanem ait tenu des propos rassurants à cet égard.

[611] Le contexte factuel était également insuffisant pour appuyer la supposition de M. Ghanem selon laquelle le comportement de M. Gordon était lié à la gestion du rendement de Mme Peters. M. Ghanem était le superviseur à temps plein et M. Gordon, le superviseur à temps partiel. M. Gordon n’était pas mêlé à la gestion de l’absentéisme de Mme Peters. Cette question relevait de M. Ghanem.

[612] Rien n’indique que M. Ghanem et M. Gordon avaient déjà convenu qu’ils devaient tous deux gérer le rendement de Mme Peters ou veiller à ce qu’elle reçoive une formation supplémentaire, ni même qu’ils en avaient discuté. Si d’autres mesures de gestion du rendement étaient appliquées à ce moment-là, il est raisonnable de penser que les superviseurs en auraient discuté. En outre, lors de la rencontre du 15 janvier 2015, M. Ghanem venait tout juste de commencer à gérer le rendement de Mme Peters relativement à ses absences. Il aurait été raisonnable pour M. Ghanem de chercher à en savoir plus en questionnant M. Gordon sur ce qui justifiait qu’il exerce une supervision étroite sur Mme Peters, en dehors des absences de cette dernière. Rien n’indique qu’il l’ait fait.

[613] Bref, rien n’indique que les deux superviseurs aient échangé des renseignements au sujet de Mme Peters qui auraient amené M. Ghanem à conclure que M. Gordon avait entrepris de gérer le rendement de Mme Peters. Cette dernière avait clairement fait allusion à quelque chose qui allait au-delà de la supervision habituelle exercée par M. Gordon. M. Ghanem aurait dû s’apercevoir que quelque chose n’allait pas ou qu’il se pouvait qu’il y ait un problème.

[614] Rien n’indique que M. Ghanem ait adopté une approche différente par la suite. M. Ghanem a éventuellement reçu le billet du médecin de Mme Peters daté du 3 février 2015. Il aurait dû, à ce moment-là, envisager la possibilité que son absence du travail puisse être liée au stress que lui causait le harcèlement perçu auquel elle avait fait allusion deux semaines auparavant. Rien n’indique que M. Ghanem ait pris quelque mesure que ce soit après avoir reçu ce billet du médecin; on sait seulement qu’il mettait les billets de médecin qu’il recevait dans un tiroir et qu’il les laissait là, comme il l’a affirmé.

[615] Les circonstances donnaient à penser qu’il pouvait se passer, entre Mme Peters et M. Gordon, quelque chose qui allait au-delà de la simple gestion du rendement. M. Ghanem disposait de suffisamment de renseignements et de détails sur le contexte pour déterminer s’il y avait lieu de mener une enquête. Il aurait dû poser les questions appropriées ou signaler aux RH que Mme Peters avait l’impression qu’elle se faisait harceler afin que les RH puissent faire enquête. Par « questions appropriées », le Tribunal entend que, dans la mesure où M. Ghanem avait l’intention d’avoir cette conversation avec Mme Peters, il devait aborder la situation avec sensibilité et en gardant l’esprit ouvert afin de pouvoir aller au fond des choses. Il l’a plutôt dissuadée en lui disant qu’elle devait avoir des preuves.

(xiii) Mme Peters a-t-elle signalé le harcèlement à UPS avant mars 2015?

[616] Le Tribunal conclut que, pour une employée qui n’avait pas reçu de formation sur le harcèlement sexuel ou sur le signalement du harcèlement, Mme Peters a fait une tentative raisonnable, lors de la rencontre du 15 janvier 2015, de signaler le harcèlement sexuel qu’elle subissait de la part de M. Gordon. Elle n’a peut-être pas employé le mot « sexuel », mais elle a clairement indiqué que certains comportements de M. Gordon en dehors du travail étaient en cause. Des questions auraient alors dû lui être posées sur ce qui ce s’était passé au travail et à l’extérieur du travail, et on aurait dû lui demander de donner des exemples précis d’incidents, voire d’expliquer tout ce qui s’était passé.

[617] Même si elle n’a pas dit de quoi il s’agissait exactement, Mme Peters a mentionné qu’elle subissait du harcèlement de la part de M. Gordon, son superviseur. Le Tribunal conclut que Mme Peters a fait un effort suffisant pour signaler le harcèlement sexuel, compte tenu des circonstances. Ces circonstances comprennent le fait que la plupart des employés d’UPS, y compris Mme Peters, M. Gordon et Mme Thompson, n’avaient pas reçu de formation sur ce qu’est le harcèlement sexuel et sur ce qui distinguait ce type de harcèlement des autres formes de harcèlement.

[618] En outre, Mme Peters n’avait pas suffisamment de connaissances juridiques pour comprendre qu’il aurait été utile à son dossier qu’elle précise qu’il s’agissait de harcèlement sexuel. Il serait déraisonnable de penser que Mme Peters était tenue de déterminer seule la nature exacte du harcèlement et d’en informer son employeur de façon explicite, alors qu’UPS n’aurait eu, elle, aucune obligation en ce sens ou n’aurait pas été tenue de clarifier la question.

[619] Sans revenir sur ses conclusions énoncées ci-dessus, lesquelles sont indépendantes de ses autres conclusions, le Tribunal a également tenu compte de l’incidence probable qu’a eue le fait que Mme Thompson ne voulait pas que Mme Peters s’exprime de façon explicite lors de la rencontre du 15 janvier 2015. Mme Thompson n’a pas dit à Mme Peters qu’elle devait fournir davantage de précisions et elle n’a pas elle-même donné d’explications, même si elle savait ce que Mme Peters voulait dire. Mme Thompson a également dit à M. Ghanem [traduction] « vous ne voulez pas vous lancer là-dedans avec elle ». Par cette remarque, elle a signalé à Mme Peters qu’elle ne devait rien dire de plus à M. Ghanem, sans quoi elle allait créer un problème important. Cette remarque peut également avoir dissuadé M. Ghanem de poser plus de questions, car elle laissait entendre que Mme Thompson en savait davantage et qu’elle cherchait à protéger les intérêts de M. Ghanem.

[620] Le Tribunal conclut que ni M. Ghanem ni Mme Thompson ne voulaient reconnaître qu’UPS était aux prises avec une allégation de harcèlement sexuel qui commandait de prendre des mesures et qui allait assurément avoir des conséquences pour un grand nombre de personnes. Mme Peters a tenté de signaler qu’elle était victime de harcèlement sexuel à deux personnes qui ne voulaient pas l’entendre. Son affirmation selon laquelle elle était victime de harcèlement de la part de M. Gordon, son superviseur, constitue donc une tentative suffisante de signaler le harcèlement sexuel dans les circonstances.

(xiv) Mme Peters était-elle tenue de préciser qu’il s’agissait de harcèlement sexuel?

[621] Avant de passer à une autre question, le Tribunal estime utile de revenir sur la position d’UPS selon laquelle Mme Peters avait l’obligation légale de mentionner explicitement qu’elle était victime de harcèlement sexuel, plutôt que de harcèlement tout court. L’obligation de préciser que le harcèlement est de nature sexuelle ou qu’il est fondé sur un autre motif de discrimination n’incombe pas uniquement au plaignant; il s’agit d’une obligation partagée entre le plaignant et l’employeur. Un employeur a l’obligation de prévenir le harcèlement fondé sur la discrimination et toute autre forme de harcèlement. L’obligation de prévenir les actes discriminatoires comprend l’obligation de déployer des efforts raisonnables pour repérer ces actes et en déterminer la nature. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le Tribunal estime que les renseignements fournis par Mme Peters étaient suffisants pour imposer à UPS l’obligation de mener avec sensibilité une enquête suffisamment approfondie, au moins auprès de Mme Peters, pour s’assurer que le harcèlement ne comportait aucune dimension discriminatoire au sens de la Loi. Si Mme Peters et M. Ghanem avaient eu une discussion plus empreinte de sensibilité, plus ouverte et plus approfondie, M. Ghanem aurait rapidement compris que le harcèlement exercé par M. Gordon comportait une dimension sexuelle. En outre, vu que Mme Thompson a dit [traduction] « vous ne voulez pas vous lancer là-dedans », ce qui laissait entendre qu’elle savait que M. Ghanem pourrait découvrir quelque chose de [traduction] « grave », l’enquête initiale aurait dû inclure Mme Thompson.

[622] Qui plus est, la position d’UPS selon laquelle Mme Peters avait l’obligation légale de préciser qu’il s’agissait de harcèlement sexuel ne cadre pas avec le contenu de la Loi. Le harcèlement est un acte discriminatoire lorsqu’il est fondé sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite. [Selon le paragraphe 14(1) de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi.] Il n’est pas nécessaire que le harcèlement soit de nature sexuelle pour que le harceleur contrevienne à la Loi. À titre d’exemple, un employé peut avoir le sentiment d’être victime de harcèlement parce qu’il a une déficience ou en raison de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de la couleur de sa peau, de sa religion, de son âge, de son état matrimonial ou de sa situation de famille, pour ne nommer que les motifs de distinction illicite les plus courants — ce qui est tout à fait différent du harcèlement fondé sur le sexe, l’orientation sexuelle, ou l’identité ou l’expression de genre. Il n’est pas rare que le harcèlement soit en partie fondé sur une ou plusieurs de ces caractéristiques protégées.

[623] Lorsqu’un employé affirme être victime de harcèlement, la question de savoir si le harcèlement est en partie fondé sur une caractéristique protégée est des plus pertinentes. Si M. Ghanem avait reçu une formation adéquate sur les droits de la personne, et le contenu et l’application de la Loi, il aurait peut-être compris qu’il avait l’obligation de recueillir suffisamment de renseignements pour écarter la possibilité, sinon la probabilité, que le harcèlement soit une forme de discrimination fondée sur une ou plusieurs des caractéristiques protégées par la Loi.

[624] Le Tribunal ne croit pas le témoignage de M. Ghanem selon lequel, lorsqu’un employé alléguait être victime de harcèlement, il recueillait toujours les renseignements nécessaires pour déterminer de quel type de harcèlement il s’agissait et s’il y avait lieu de mener une enquête. Le Tribunal a conclu que M. Ghanem n’avait pas posé les questions appropriées à Mme Peters à cet égard. La preuve montre clairement qu’en l’espèce, M. Ghanem ne voulait tout simplement pas savoir si Mme Peters était victime de harcèlement. Le Tribunal estime qu’il n’y a, au vu de la preuve, aucune raison convaincante de conclure que M. Ghanem avait une connaissance adéquate de la Loi et qu’il a abordé ces questions avec ouverture d’esprit.

[625] De plus, les employeurs n’ont pas le droit d’exiger qu’un employé leur indique le motif de discrimination exact qui s’applique avant d’envisager de s’acquitter de l’obligation d’intervenir que leur impose la Loi. À titre d’exemple, un employeur ne peut pas faire fi des obligations que lui impose la loi au motif qu’un employé a déclaré être victime de harcèlement fondé sur son état matrimonial, alors qu’en réalité, le harcèlement est fondé sur sa situation de famille. La question est de savoir si les renseignements dont disposait l’employeur étaient suffisants pour lui imposer une obligation au titre de la Loi.

(xv) La question de savoir si Mme Peters a retiré son allégation ou ne souhaitait pas porter plainte

[626] Comme il a été mentionné, UPS a semé le doute quant à la volonté de Mme Peters de signaler le harcèlement, alléguant que celle-ci ne voulait pas que M. Gordon perde son emploi. UPS soutient que Mme Thompson a affirmé qu’elle avait ultérieurement demandé à Mme Peters pourquoi elle n’avait pas signalé le harcèlement sexuel et que celle-ci avait répondu qu’elle ne voulait pas que M. Gordon perde son emploi. Cette affirmation ne correspond pas au témoignage entendu à l’audience. Mme Thompson n’a pas témoigné avoir ultérieurement posé cette question à Mme Peters, pas plus qu’elle n’a dit que Mme Peters lui avait donné cette réponse. Mme Thompson a dit que Mme Peters ne semblait pas se soucier que M. Gordon perde son emploi.

[627] La preuve sur laquelle UPS s’appuie pour affirmer que Mme Peters a dit cela n’est pas le témoignage de Mme Thompson, mais bien le contenu des « notes d’entrevue » prises par l’agent de la Commission qui a enquêté à l’étape de l’examen préalable. L’agent a interrogé Mme Thompson par téléphone. Comme il a été mentionné, lors de son témoignage, Mme Thompson a commencé par nier que les notes avaient quoi que ce soit à voir avec elle; elle a même affirmé ne pas se souvenir d’avoir été interrogée. Rien n’indique que l’exactitude du contenu des notes ait été confirmée par Mme Thompson à l’époque. Même si Mme Peters a effectivement affirmé à Mme Thompson ce qu’UPS soutient qu’elle a affirmé, et que Mme Thompson a mentionné cette affirmation lors de son entrevue, il n’y avait aucune preuve du moment où cette affirmation a été faite par Mme Peters. Rien n’indique que Mme Peters avait encore cette préoccupation lors de la rencontre du 15 janvier 2015 ou à la fin de janvier, après que les incidents les plus récents et les plus graves de harcèlement physique se furent produits. Quoi qu’il en soit, il est clair pour le Tribunal que c’est Mme Thompson qui ne voulait pas que le harcèlement soit « officiellement » signalé ou qu’une plainte soit déposée, et non Mme Peters.

[628] UPS soutient également que Mme Peters a [traduction] « retiré » son allégation lors de la rencontre du 15 janvier 2015 et affirme que Mme Peters a refusé de donner plus de détails à M. Ghanem. Premièrement, le Tribunal a conclu que M. Ghanem n’avait pas cherché à obtenir de précisions. En ce qui concerne la question du retrait présumé de la plainte de Mme Peters, le Tribunal souligne que M. Ghanem a abordé la rencontre dans une optique disciplinaire. Il semble que M. Ghanem ait rejeté d’emblée l’idée que M. Gordon ait pu harceler Mme Peters et qu’il ait adopté une attitude de mépris et de confrontation.

[629] Mme Peters a mentionné avoir constaté un manque de sensibilité et de soutien lors de cette rencontre. Lorsqu’elle a prononcé le mot « harcèlement », Mme Thompson lui a demandé de la suivre à l’extérieur de la salle, puis elle lui a parlé des conséquences que son allégation aurait sur la famille de M. Gordon. Mme Thompson a témoigné que Mme Peters lui avait confirmé en privé qu’elle n’avait pas l’intention de faire quoi que ce soit à ce sujet. UPS ne s’est pas appuyée directement sur cet élément de preuve pour affirmer que Mme Peters avait retiré sa plainte, car elle a nié que Mme Thompson et Mme Peters avaient quitté la rencontre. Le Tribunal conclut cependant que, si Mme Peters a dit une telle chose à Mme Thompson, c’est parce qu’elle subissait des pressions en ce sens à ce moment-là et que cela ne change rien au fait que M. Ghanem avait la responsabilité d’intervenir de façon appropriée. Mme Peters avait déjà informé M. Ghanem qu’elle était victime de harcèlement. Et, même si Mme Peters a pu affirmer une telle chose à Mme Thompson, elle ne l’a pas affirmée à M. Ghanem.

[630] Il est compréhensible que Mme Peters n’ait pas insisté davantage sur la question du harcèlement lors de la rencontre, compte tenu de ce que Mme Thompson a dit devant M. Ghanem et de ce qu’elle n’a pas dit. Il était également raisonnable de la part de Mme Peters de ne pas insister sur la question du harcèlement pour d’autres raisons.

[631] Si elle l’avait fait, cela aurait sans doute été perçu comme de l’entêtement, voire de l’insubordination de sa part. M. Ghanem tenait pour acquis que M. Gordon était un bon employé qui ne pouvait avoir que de bonnes intentions et que ce n’était pas le cas de Mme Peters. Mme Thompson a témoigné qu’elle était d’avis que les allégations de Mme Peters n’étaient pas fondées. Elle estimait que la question du harcèlement n’était devenue un vrai problème qu’à la suite des problèmes d’absentéisme de Mme Peters et de la décision de M. Dambrosio de retenir la paie de cette dernière. Mme Peters était confrontée à deux personnes qui voulaient qu’elle laisse tomber la question du harcèlement.

[632] Le fait que M. Ghanem avait convoqué cette rencontre avec Mme Peters dans une optique disciplinaire, dans le but probable de déterminer l’importance des mesures disciplinaires devant lui être imposées, est également pertinent. Mme Peters a sans doute voulu éviter d’irriter M. Ghanem davantage. En fait, elle a reçu, plusieurs jours plus tard, un avertissement écrit résumant les questions abordées lors de la rencontre. Il n’est pas surprenant que, compte tenu de la résistance manifestée par M. Ghanem, Mme Peters se soit montrée réticente à discuter de la question plus avant avec lui.

[633] Il aurait été très difficile pour elle de dénoncer les aspects les plus embarrassants du comportement de M. Gordon dans le contexte des croyances favorables que M. Ghanem entretenait à l’égard de M. Gordon et de la vision négative qu’il avait d’elle. Mme Peters n’a pas [traduction] « retiré » son allégation d’une manière qui a mis fin aux obligations d’UPS au titre de la Loi; elle a simplement renoncé à faire valoir la question auprès de M. Ghanem. Il convient de souligner que le peu de soutien que sa déléguée syndicale lui a témoigné lorsqu’elle a affirmé être victime de harcèlement lors de la rencontre a également eu pour effet de minimiser l’importance de ce qu’elle avait vécu et a contribué à ce qu’elle renonce à en parler à M. Ghanem.

[634] Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’argument d’UPS selon lequel, si Mme Peters ne lui a pas signalé la nature sexuelle du harcèlement plus explicitement, c’est parce qu'elle ne voulait pas déposer de plainte contre M. Gordon. Il se peut que Mme Peters ait hésité à déposer une plainte, pour un certain nombre de raisons, mais il n’y a aucun élément de preuve fiable indiquant que Mme Peters avait renoncé à porter plainte dans le but de protéger M. Gordon. En fait, la preuve indique plutôt le contraire.

[635] Peu de temps après, Mme Peters a été victime d’actes de harcèlement sexuel physique de la part de M. Gordon à deux reprises. Son médecin l’a mise en arrêt de travail jusqu’à ce que les [traduction] « problèmes liés au travail » soient résolus. Le fait qu’elle ait fourni à UPS un billet du médecin contenant cette information contredit la prétention d’UPS selon laquelle Mme Peters ne voulait pas que ses problèmes avec M. Gordon soient résolus. Il semble également, d’après les notes consignées par le Dr MacDonald, que Mme Peters avait, à ce moment-là, entrepris des démarches auprès d’une commission du travail.

[636] Le Tribunal n’est pas convaincu que Mme Peters avait renoncé à porter plainte contre M. Gordon. Mme Peters a déposé sa plainte provinciale de harcèlement, dans laquelle M. Gordon était désigné comme l’un des intimés, au début de mars 2015, peu après le début de son congé de maladie. En somme, il n’y a pas de preuve convaincante que Mme Peters avait retiré l’allégation de harcèlement qu’elle avait formulée pour la première fois devant M. Ghanem lors de la rencontre du 15 janvier 2015 ou qu’elle avait l’intention de le faire, et que, de ce fait, UPS n’avait plus d’obligation légale envers elle.

[637] Le témoignage de Mme Peters indique plutôt qu’elle était convaincue qu’UPS ne prendrait aucune mesure contre M. Gordon en lien avec le harcèlement. Cette conviction n’était pas déraisonnable vu que M. Ghanem avait écarté sa plainte pour harcèlement du revers de la main à la rencontre du 15 janvier 2015. Le billet du 3 février 2015 dans lequel son médecin indiquait qu’il la mettait en arrêt de travail pour des raisons qui comprenaient des problèmes au travail n’a suscité aucune réponse de la part d’UPS. Il était raisonnable pour Mme Peters de croire qu’UPS ne prendrait pas les mesures appropriées en réponse à sa plainte.

(xvi) La ligne d’assistance et les autres mécanismes de signalement

[638] Ayant conclu que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, Mme Peters a donné un avis suffisant à UPS lorsqu’elle a signalé à M. Ghanem qu’elle était victime de harcèlement lors de la rencontre du 15 janvier 2015, le Tribunal n’a pas à trancher le différend factuel concernant la question de savoir si Mme Peters a signalé le harcèlement par d’autres moyens, tels que la ligne d’assistance. Elle a dit avoir tenté, entre autres, de communiquer avec les RH; UPS affirme qu’elle ne l’a pas fait. Les raisons pour lesquelles aucun grief n’a été déposé au nom de Mme Peters sont expliquées plus haut.

[639] Mme Thompson n’avait aucun respect pour les ressources qu’UPS mettait à la disposition des employés victimes de harcèlement. Elle a en outre témoigné qu’à l’époque où les événements en cause se sont produits, UPS ne prenait pas le harcèlement sexuel au sérieux.

[640] Le Tribunal a conclu que, dans l’ensemble, la preuve donne à penser que la réaction d’UPS en l’espèce est liée au fait qu’UPS refusait de reconnaître qu’elle était aux prises avec une plainte pour harcèlement sexuel. UPS a tardé à prendre les mesures qui s’imposaient pour faire toute la lumière sur ce qui s’était passé entre Mme Peters et M. Gordon. Elle a évité de conclure que la plainte était fondée, alors qu’il était évident qu’elle l’était. Il n’est donc pas nécessaire que le Tribunal examine la preuve relative aux autres mécanismes de signalement.

[641] Le Tribunal fait observer qu’il est possible qu’il soit plus difficile pour les employés qui travaillent de nuit d’avoir accès aux ressources de l’entreprise. La preuve en l’espèce donne à penser que cette difficulté a été un facteur.

[642] Le Tribunal souhaite également formuler quelques observations sur la proposition implicite d’UPS selon laquelle Mme Peters avait l’obligation de continuer d’essayer de signaler le harcèlement ou de signaler le harcèlement de plus d’une façon. À moins de circonstances exceptionnelles, un employé n’est pas tenu de multiplier les efforts pour signaler une situation de harcèlement à son employeur, s’il a déjà fait un effort raisonnable en ce sens. Quoi qu’il en soit, Mme Peters a signalé le harcèlement de plus d’une façon. Elle a signalé le harcèlement à son syndicat en informant Mme Thompson, sa déléguée syndicale, qu’elle était victime de harcèlement et en lui relatant les deux incidents de harcèlement sexuel physique. Le fait qu’aucun grief n’ait été déposé en son nom et que Mme Thompson n’ait pas informé Mme Peters qu’elle pouvait ou devait déposer un grief n’est pas la faute de Mme Peters.

XIII. Résumé des conclusions quant à la défense fondée sur le paragraphe 65(2)

[643] UPS n’a pas établi que le harcèlement sexuel a eu lieu sans son consentement. UPS n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement sexuel de se produire. Elle ne disposait pas d’une politique raisonnable indiquant, par son contenu, de quelles façons elle était appliquée et n’offrait pas de formation connexe pour expliquer, de façon contextualisée, en quoi consistait le harcèlement sexuel et pour s’assurer que ses superviseurs et ses employés possédaient les connaissances requises à ce sujet. UPS n’a pas enquêté de façon appropriée et n’a pas autrement atténué ou annulé les effets du harcèlement sexuel sur Mme Peters, même si elle avait reçu un avis détaillé des allégations en mars 2015. UPS ne peut donc pas reprocher à Mme Peters de ne pas avoir signalé le harcèlement sexuel plus tôt et elle n’est pas excusée de ne pas avoir atténué ou annulé les effets du harcèlement sexuel. UPS n’a pas non plus assuré de suivi relativement aux renseignements qu’elle avait reçus plus tôt lors de la rencontre du 15 janvier 2015 et de la part du médecin de Mme Peters au début de février 2015. Ces renseignements auraient dû inciter UPS à poser des questions et à faire enquête.

[644] UPS ne satisfait à aucune des conditions qui lui auraient permis de se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) et d’être dégagée de sa responsabilité stricte à l’égard des actes de M. Gordon. UPS est responsable des actes de M. Gordon.

XIV. Discrimination fondée sur la déficience

A. Aperçu

[645] Comme il a été expliqué précédemment, la plainte de Mme Peters comprend une allégation portant qu’elle a été victime de discrimination fondée sur la déficience, au sens de l’article 7 de la Loi.

[646] Voici le libellé de l’article 7 :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[647] Mme Peters allègue qu’UPS n’a pas tenu compte des billets du médecin qu’elle a fournis pour attester que ses absences du travail à cette époque étaient liées à ses problèmes de santé. Elle allègue en outre qu’UPS lui a imposé des mesures disciplinaires relativement à ces absences et qu’elle n’a fait aucune démarche en vue de lui permettre de reprendre le travail pendant son congé prolongé qui a débuté en février 2015. Elle affirme que sa déficience a été un facteur important dans ces décisions.

[648] Mme Peters formule l’observation connexe selon laquelle l’inaction d’UPS relativement à ses allégations de harcèlement sexuel a été exacerbée par le fait qu’UPS estimait que Mme Peters était une employée difficile qui avait un problème d’absentéisme chronique. À cet égard, Mme Peters invoque l’article 3.1 de la Loi, c’est-à-dire la discrimination fondée sur plusieurs motifs de distinction illicite. L’article 3.1 de la Loi prévoit que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur l’effet combiné de plusieurs motifs de distinction illicite. En l’espèce, les motifs de distinction illicite sur lesquels la discrimination serait fondée sont la déficience et le sexe.

[649] Comme il a été mentionné, Mme Peters s’appuie également sur le paragraphe 14(1) de la Loi. Selon le paragraphe 14(1), constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite – comme la déficience ou le sexe, le fait de harceler un individu en matière d’emploi.

B. Critère juridique relatif à la discrimination fondée sur la déficience et norme de preuve

[650] C’est à Mme Peters qu’incombe le fardeau d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience au sens de l’article 7 de la Loi. Mme Peters doit faire la preuve de ce qui suit :

1) elle a une déficience;

2) elle a fait l’objet d’un traitement défavorable de la part d’UPS;

3) sa déficience a été un facteur dans le traitement défavorable qu’elle a subi.

[651] Si, à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée relativement aux questions susmentionnées, Mme Peters a établi l’existence d’une preuve prima facie, UPS aura le fardeau d’établir une défense (en plus de la possibilité de contester la preuve prima facie de Mme Peters). En l’espèce, UPS soutient que Mme Peters n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie. UPS affirme qu’il y a une autre explication à ce qui s’est produit, qui réfute qu’il y ait eu discrimination. À cet égard, UPS soutient que des mesures disciplinaires légitimes ont été imposées à Mme Peters relativement à sa conduite, plus particulièrement son absentéisme chronique et son défaut de signaler ses absences en temps opportun. UPS prétend également s’être acquittée de ses obligations en matière d’adaptation.

[652] La norme civile de la « prépondérance des probabilités » demeure la norme de preuve applicable lorsque les allégations concernent des actes discriminatoires fondés sur la déficience.

C. Arguments relatifs à la responsabilité d’UPS

[653] UPS soutient que, s’il y a eu discrimination, elle ne devrait pas en être tenue responsable, et s’appuie à cet égard sur deux arguments connexes. Comme elle l’a fait valoir relativement aux allégations de harcèlement sexuel, UPS soutient que Mme Peters avait l’obligation de l’informer qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur la déficience et qu’elle ne l’a pas fait. En outre, UPS laisse entendre que, conformément au paragraphe 65(2), elle ne devrait pas être tenue responsable de la conduite inappropriée de ses employés puisqu’elle dispose de politiques qu’elle applique avec constance et qu’elle prend les mesures qui s’imposent chaque fois qu’une plainte pour discrimination est formulée.

D. Chronologie des événements allégués par Mme Peters

[654] À la mi-janvier 2014, le frère de Mme Peters est décédé subitement. En mai 2014, son cousin est également décédé de façon inattendue. En juillet 2014, le père de Mme Peters a reçu un diagnostic de cancer en phase terminale. Le Dr MacDonald a mis Mme Peters en arrêt de travail pour cause de stress du 1er juillet 2014 au 14 juillet 2014 et lui a fourni un billet en attestant.

[655] Mme Peters a déclaré qu’elle avait laissé ce billet de son médecin au bureau de la sécurité d’UPS et qu’elle croyait que celui-ci serait remis aux RH d’UPS. Elle s’est ensuite rendue au chevet de son père malade aux États-Unis.

[656] Le 14 juillet 2014, alors qu’elle était en route pour rentrer au Canada, Mme Peters a eu un accident de voiture. Elle a reçu des soins médicaux pour ses blessures aux États-Unis.

[657] Elle est ensuite rentrée au Canada et a été vue par son médecin de famille le 16 juillet 2014. Le Dr MacDonald a pris la décision de mettre Mme Peters en congé d’invalidité de courte durée. Mme Peters a déclaré avoir alors communiqué avec les RH d’UPS et leur avoir transmis les billets de son médecin.

[658] Lorsqu’elle est rentrée chez elle le 17 juillet 2014, Mme Peters a trouvé ce qu’on appelle chez UPS une [traduction] « lettre de préavis de 72 heures », datée du 3 juillet 2014. Il s’agit d’une lettre type qu’UPS envoie aux employés qui ne se présentent pas au travail et ne justifient pas leur absence. La lettre informait Mme Peters qu’elle devait communiquer avec son gestionnaire dans les 72 heures pour expliquer les raisons de son absence, à défaut de quoi elle serait réputée avoir volontairement quitté son emploi, avec effet immédiat.

[659] Mme Peters a témoigné avoir alors été confuse, car elle avait remis le billet de son médecin à UPS avant de partir aux États-Unis. Elle a interprété la lettre comme signifiant qu’UPS avait mis fin à son emploi parce qu’elle ne s’était pas présentée au travail alors qu’elle était en congé de maladie.

[660] Mme Peters a également découvert une lettre datée du 26 juin 2014. Cette lettre était très élogieuse et félicitait Mme Peters pour son rendement, qui était décrit comme [traduction] « nettement supérieur » aux attentes. Voici un extrait de la lettre :

[traduction]

Il est désormais évident pour nous que vous êtes une employée exemplaire et que, par votre exemple, vous incitez les autres membres de votre équipe à donner le meilleur d’eux-mêmes. Vous accomplissez votre travail quotidien avec fierté et tous sont à même de le constater, aussi bien vos collègues que l’équipe de direction. Le sérieux avec lequel vous vous acquittez de vos responsabilités transparaît dans vos résultats. Vous pouvez être fière de vos accomplissements autant que nous sommes fiers de vous compter parmi nous.

[661] Compte tenu du contenu de cette lettre, Mme Peters estime qu’UPS n’avait aucune préoccupation au sujet de son rendement. Mme Peters conteste la position d’UPS selon laquelle elle était une employée à problèmes.

[662] Mme Peters a témoigné qu’elle avait communiqué avec sa représentante syndicale afin d’obtenir des conseils au sujet de la lettre de préavis de 72 heures, mais qu’elle n’a pas reçu de réponse avant septembre 2014.

[663] En ce qui concerne les allégations d’absentéisme chronique formulées par UPS, Mme Peters a déclaré que, selon sa compréhension, elle pouvait manquer des jours de travail dans la mesure où elle signalait ses absences à UPS. Elle affirme également avoir téléphoné chez UPS pour les informer qu’elle ne rentrerait pas travailler à de nombreuses reprises. UPS affirme, quant à elle, n’avoir trouvé aucune trace de ces nombreux appels.

[664] Comme il a été expliqué précédemment, en novembre 2014, la décision a été prise de transférer Mme Peters au secteur des chaînes de tri et de la placer sous la supervision de M. Gordon, plutôt que de lui attribuer à nouveau un poste au Service de lavage des véhicules où elle avait travaillé auparavant.

[665] Mme Peters soutient qu’elle était atteinte d’une déficience à toutes les époques visées par sa plainte. Elle allègue que le harcèlement sexuel et la supervision oppressante qu’elle a subis de la part de M. Gordon ont entraîné une dégradation de sa santé mentale, qui a été constatée par son médecin. Les dossiers médicaux concernant la période qui a suivi son retour au travail en novembre 2014 confirment que Mme Peters est devenue dépressive, renfermée et anxieuse, et qu’elle a fini par développer un trouble de l’adaptation. En fait, ses dossiers médicaux indiquent qu’elle a commencé à se plaindre à son médecin de problèmes de santé liés au comportement de M. Gordon en avril 2014.

[666] Mme Peters affirme qu’elle ne s’est pas présentée au travail les 5 et 6 janvier 2015 et qu’elle a remis à M. Ghanem, son gestionnaire, un billet de son médecin justifiant son absence. Elle prétend que M. Ghanem en a été contrarié, qu’il a élevé la voix et qu’il a mis en doute la validité du billet du médecin. Elle prétend qu’il lui a fait savoir sans ménagement qu’il était inacceptable qu’elle manque autant de quarts de travail. Mme Peters affirme que M. Ghanem ne lui a pas demandé pourquoi elle était si souvent absente. Il n’a pas cherché à savoir si elle avait des problèmes ni comment se déroulait son travail sous la supervision de M. Gordon.

[667] Comme il a été expliqué précédemment, M. Ghanem a convoqué Mme Peters à une rencontre, le 15 janvier 2015, afin de discuter de ses problèmes d’assiduité. Le 19 janvier 2015, elle a reçu une lettre de réprimande parce qu’elle ne s’était pas présentée au travail le 14 janvier 2015 et n’avait pas signalé son absence.

[668] Ainsi que l’a établi le Tribunal, le harcèlement sexuel s’est poursuivi et s’est aggravé en janvier de cette année-là. Comme il a été mentionné, le Dr MacDonald a déclaré qu’il avait déterminé que Mme Peters n’était pas en mesure de composer avec le harcèlement. Il l’a vue en consultation le 7 et le 23 janvier 2015, puis de nouveau le 3 février 2015, date à laquelle il l’a mise en arrêt de travail jusqu’à la fin de février 2015. Les notes qu’il a consignées dans le dossier médical de Mme Peters le 27 février 2015, lorsqu’il l’a vue à nouveau, indiquent que celle-ci l’a informé qu’elle avait remis à UPS son billet du 3 février 2015 confirmant qu’il la mettait en arrêt de travail, mais qu’elle avait par la suite reçu une lettre recommandée d’UPS et qu’elle était [traduction] « apparemment congédiée ». Mme Peters affirme avoir transmis le billet du Dr MacDonald à UPS le 3 février 2015 et avoir reçu un accusé de réception de la part des RH.

[669] Mme Peters a reçu une autre lettre de préavis de 72 heures d’UPS le 10 février 2015. Elle n’a par la suite reçu aucune communication de la part d’UPS l’informant que la lettre lui avait été envoyée par erreur.

[670] Comme indiqué ci‑dessus, dans la lettre du 3 février 2015, le Dr MacDonald indiquait que Mme Peters devait demeurer en arrêt de travail en raison des problèmes dont il assurait le suivi. Il a par la suite prolongé son congé jusqu’à la fin de février. Mme Peters affirme qu’UPS n’a jamais, à quelque moment que ce soit, demandé qu’on lui fournisse des renseignements médicaux à jour ni tenté de réintégrer Mme Peters dans son poste. Elle souligne également que, dans son exposé des précisions, UPS a déclaré que Mme Peters avait abandonné son emploi ou que la relation d’emploi était rompue. UPS a repris cette position dans ses observations écrites finales. Or, à l’audience, des témoins d’UPS ont reconnu que Mme Peters était en congé et qu’elle est encore une employée d’UPS puisqu’elle n’avait pas été congédiée.

E. Chronologie des événements allégués par UPS

[671] Dans son exposé des précisions, UPS soutient que Mme Peters avait un rendement insatisfaisant lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules. Elle affirme avoir imposé des mesures disciplinaires à Mme Peters parce que celle-ci avait enfreint la [traduction] « Politique sur l’assiduité et la ponctualité ».

[672] UPS a fourni une trousse de 29 pages contenant diverses politiques, dont la [traduction] « Politique sur l’assiduité et la ponctualité », destinée aux employés à temps partiel qui avait été signée par Mme Peters le 25 mars 2011. Cette politique stipule qu’un taux d’assiduité satisfaisant constitue une condition d’emploi. La politique reconnaît qu’il peut arriver qu’un employé ne puisse se présenter au travail en raison d’une maladie ou d’une urgence. La politique exige que les employés avisent UPS au moins une heure avant le début de leur quart de travail lorsqu’ils prévoient être absents. UPS insiste sur le fait que Mme Peters comprenait cette règle, mais qu’elle ne s’y conformait pas.

[673] En ce qui concerne la lettre de préavis de 72 heures qu’elle a envoyée à Mme Peters le 3 juillet 2014, UPS nie qu’un grief ait été déposé au nom de Mme Peters. UPS affirme que Mme Peters a recommencé à travailler chez UPS parce qu’en novembre 2014, Mme Thompson a convaincu M. Dambrosio, le gestionnaire dont relevait M. Ghanem, de lui permettre de revenir. Cette décision était fondée sur le fait que Mme Peters était mère monoparentale et qu’elle avait [traduction] « vécu des épreuves considérables au cours de l’année ». [Mme Thompson a déclaré qu’un grief avait été déposé au nom de Mme Peters au motif qu’elle n’avait pas reçu la lettre de préavis de 72 heures du 3 juillet 2014. ]

[674] Lors de son témoignage, M. Dambrosio a vaguement reconnu que Mme Peters avait affirmé avoir fourni des documents médicaux pour justifier son congé de juillet 2014. Il a déclaré qu’il se rappelait avoir eu vent de certains [traduction] « renseignements contestés » au sujet de la lettre de préavis de 72 heures que Mme Peters avait reçue d’UPS en juillet.

[675] M. Dambrosio a également reconnu avoir envoyé à Mme Peters la lettre très élogieuse du 26 juin 2014 dans laquelle UPS la félicitait pour son rendement. Il a témoigné que la lettre avait été envoyée à plusieurs employés. Il a cependant reconnu en contre-interrogatoire que Mme Peters ne savait pas que d’autres employés avaient également reçu cette lettre.

[676] UPS soutient que, peu après son retour au travail en novembre 2014, Mme Peters a recommencé à s’absenter trop souvent et à ne pas téléphoner en temps opportun pour annuler ses quarts de travail. UPS affirme que cette situation justifiait de prendre des mesures de gestion du rendement à l’endroit de Mme Peters, en plus des sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées.

[677] UPS soutient que ses préoccupations au sujet de l’absentéisme de Mme Peters étaient raisonnables, notamment parce que cette dernière avait donné des raisons suspectes et parfois contradictoires pour justifier ses absences. À cet égard, UPS a présenté en preuve des documents montrant que les 5, 6 et 7 janvier 2015, Mme Peters a envoyé à M. Ghanem des textos indiquant qu’elle ne rentrerait pas travailler, moins d’une heure avant le début de son quart de travail. Aucun de ces trois textos n’indiquait que Mme Peters avait un problème de santé. UPS affirme que Mme Peters a par la suite fourni un billet de son médecin pour justifier ces absences. UPS soutient que le billet du médecin contredit le contenu des textos de Mme Peters.

[678] UPS a invoqué ces problèmes et d’autres prétendus problèmes de rendement à l’appui de sa prétention selon laquelle Mme Peters devait faire l’objet d’une gestion active et continue de sa part. À cet égard, UPS soutient que M. Gordon était la personne responsable de gérer son rendement [traduction] « au quotidien ».

[679] UPS soutient que sa preuve concernant le faible taux d’assiduité de Mme Peters est corroborée par :

[traduction]

[…] le revenu relativement faible qu’elle a gagné dans le cadre de son emploi chez UPS Canada au fil des ans, comme en témoignent ses feuillets T4 annuels :

a) 2011 6 286,20 $

b) 2012 9 705,30 $

c) 2013 5 939,50 $

d) 2014 2 466,01 $

e) 2015 2 321,69 $

[680] UPS explique qu’à titre d’employée à temps partiel, Mme Peters n’avait pas d’horaire de travail fixe. Lorsqu’elle travaillait à la chaîne de tri, ses heures de travail variaient selon la saison et le volume de colis à trier. À titre d’exemple, la preuve indique que la période précédant les vacances de Noël est généralement occupée. UPS soutient que de 15 à 25 heures de travail auraient normalement été attribuées à Mme Peters par semaine. UPS affirme que le taux d’assiduité de Mme Peters était [traduction] « épouvantable ». UPS prétend que Mme Peters n’a travaillé en moyenne que 15,5 heures par semaine de novembre 2014 à janvier 2015.

[681] UPS laisse entendre que le témoignage de Mme Peters selon lequel elle a téléphoné pour signaler ses absences est inexact. UPS prétend que l’affirmation de Mme Peters quant à l’inexactitude des dossiers d’UPS concernant les appels qu’elle avait fait pour la prévenir de ses absences était de nature intéressée.

[682] UPS soutient que tant le témoignage de Mme Thompson que celui de Mme Lawes-Newell, la collègue de Mme Peters, confirment que Mme Peters était [traduction] « une employée qui était sans cesse absente et qui refusait systématiquement de se conformer aux politiques d’UPS Canada en matière d’assiduité […] » UPS affirme que Mme Thompson a reconnu que Mme Peters avait une conduite problématique lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules et a assuré à M. Dambrosio, en novembre 2014, que Mme Peters se conformerait aux politiques de l’entreprise en matière d’assiduité si elle était autorisée à revenir. UPS insiste également sur l’opinion qu’a formulée Mme Lawes-Newell lors de son témoignage, c’est-à-dire que Mme Peters [traduction] « se présentait au travail lorsque cela lui convenait ».

[683] M. Ghanem a témoigné que Mme Peters avait manqué huit jours de travail en janvier 2015. Comme il a été mentionné précédemment, M. Ghanem a convoqué Mme Peters à la rencontre du 15 janvier 2015 pour discuter de son absentéisme excessif. Il lui a par la suite envoyé une lettre de réprimande dans laquelle il lui reprochait de ne pas s’être présentée au travail à l’heure de début prévue le 14 janvier 2015.

[684] M. Ghanem a déclaré qu’en raison de sa situation de famille, Mme Peters avait eu droit à un traitement plus clément que les autres employés lorsqu’il était son gestionnaire. UPS soutient que [traduction] « normalement, ses manquements aux exigences en matière d’assiduité lui auraient valu de faire l’objet de mesures disciplinaires progressives ».

[685] M. Ghanem a également témoigné que, lorsqu’un employé était souvent absent, il s’entretenait avec lui afin de connaître les raisons à l’origine de ses absences.

[686] UPS affirme que Mme Peters ne s’est pas présentée au travail le 3 février 2015 et n’a pas téléphoné. UPS précise que, le 4 février 2015, Mme Peters a transmis aux RH un billet de son médecin par télécopieur qui indiquait [traduction] « [qu’]elle serait absente du travail jusqu’à la fin de février 2015 ».

[687] Les RH n’ont transmis ce billet au service où travaillait Mme Peters que le 9 ou le 10 février 2015. UPS affirme que, le temps que le billet du médecin soit reçu, une lettre de préavis de 72 heures datée du 10 février 2015 avait [traduction] « déjà été générée et envoyée automatiquement à Peters ». UPS soutient que cet événement s’est produit [traduction] « par inadvertance ». En réponse à la position de Mme Peters selon laquelle cette lettre était de nature disciplinaire, UPS souligne qu’elle [traduction] « n’a pris aucune autre mesure relativement à la lettre de préavis de 72 heures du 10 février 2015 ».

F. Position d’UPS quant à la preuve prima facie

[688] Comme il a été mentionné, le premier volet du critère permettant d’établir s’il y a eu discrimination consiste pour Mme Peters à prouver qu’elle était atteinte d’une déficience. UPS soutient [traduction] « [qu’]il n’a nulle part été question dans la preuve ou dans les témoignages présentés à l’audience par Peters ou son médecin de famille d’une déficience sous-jacente qui avait d’une façon ou d’une autre empêché Peters de se conformer à la politique sur l’assiduité d’UPS Canada, qui exigeait qu’elle appelle pour signaler ses absences en temps opportun ».

[689] UPS souligne également que la demande de prestations d’invalidité de courte durée que Mme Peters a présentée après son départ en congé de maladie en février a été refusée. Mme Peters n’a pas interjeté appel de cette décision, qui est par la suite devenue définitive. Dans ses observations finales, UPS affirme que l’absence de Mme Peters [traduction] « n’était pas justifiée à l’époque ». UPS soutient que, par conséquent, Mme Peters [traduction] « ne peut pas maintenant affirmer qu’elle était incapable de continuer à travailler chez UPS Canada […] en raison d’un prétendu problème de santé mentale ».

[690] Comme il a été mentionné précédemment, bien qu’elle conteste l’existence d’une déficience, UPS affirme brièvement dans ses observations finales qu’elle a respecté ses obligations en matière d’adaptation.

[691] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la discrimination, UPS soutient que Mme Peters n’a pas prouvé qu’elle a subi un effet préjudiciable au travail, qu’elle a été traitée différemment ou qu’elle a fait l’objet de mesures disciplinaires relativement à ses absences approuvées. UPS ne conteste pas le fait que Mme Peters a subi des effets préjudiciables des suites de ses absences non approuvées et de son défaut de signaler ces dernières en temps opportun. Cependant, elle soutient qu’il en a été ainsi parce que Mme Peters était une employée à problèmes qui nécessitait des mesures de gestion du rendement et dont le comportement commandait l’imposition de sanctions disciplinaires.

[692] De plus, UPS conteste l’affirmation de Mme Peters selon laquelle les lettres de préavis de 72 heures qu’elle a reçues étaient de nature disciplinaire ou constituaient pour elle un traitement défavorable dans le cadre de son emploi. UPS affirme que ces lettres n’auraient pas pu avoir un effet préjudiciable sur elle. UPS affirme que le but et la signification des lettres de préavis de 72 heures sont mal compris; ces lettres ne sont pas de nature disciplinaire et il ne s’agit pas non plus de lettres de congédiement. UPS affirme qu’il s’agit d’un outil de gestion de l’assiduité qui est utilisé lorsqu’un employé est absent [traduction] « pour des raisons que l’entreprise estime nébuleuses ». UPS explique que ces lettres offrent aux employés l’occasion d’expliquer leur absence [traduction] « dans le but d’éviter une cessation d’emploi ». UPS affirme qu’une lettre de préavis est envoyée lorsqu’un employé a accumulé trois jours d’absence non approuvée, conformément à la convention collective applicable. UPS laisse entendre que Mme Thompson était favorable à l’utilisation de ces lettres.

[693] UPS semble suggérer que la lettre de préavis de 72 heures envoyée à Mme Peters en février 2015 ne devrait pas être considérée comme ayant causé un effet préjudiciable. Comme il a été mentionné, les témoins d’UPS ont reconnu à l’audience que cette lettre de préavis de 72 heures avait été envoyée à Mme Peters par erreur, après qu’elle eut fourni un billet de son médecin justifiant son absence. UPS insiste sur le fait qu’elle n’a pris aucune autre mesure après avoir envoyé cette lettre par erreur et semble laisser entendre que, pour cette raison, l’envoi de cette lettre n’a pas eu d’effet préjudiciable sur Mme Peters.

[694] Mme Peters reproche également à UPS l’inaction dont elle a fait preuve après l’envoi de cette lettre. En réponse, dans son exposé des précisions, UPS dément n’avoir rien fait pour assurer un suivi auprès de Mme Peters relativement à la lettre du 10 février 2015. UPS soutient que, le 9 février 2015, les RH ont envoyé à Mme Peters des formulaires de demande de prestations d’invalidité de courte durée (« ICD ») afin qu’elle les remplisse et les transmette à la compagnie d’assurance-invalidité. UPS soutient que cette preuve documentaire (le fait que des formulaires de demande de prestations d’ICD ont été envoyés) démontre que les documents médicaux de Mme Peters justifiant son absence du travail avaient, en fait, été acceptés par UPS. UPS affirme qu’elle n’a pris contre Mme Peters aucune mesure défavorable qui soit liée à ses problèmes de santé.

[695] UPS n’a pas directement abordé le troisième volet du critère, c’est-à-dire la question de savoir si la déficience de Mme Peters a été un facteur dans le traitement défavorable qu’elle a subi ou les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées, peut-être parce qu’elle refuse d’admettre que Mme Peters avait une déficience ou, à tout le moins, une déficience pertinente. En effet, UPS a fait valoir, à cet égard, qu’il aurait fallu que la déficience de Mme Peters empêche cette dernière de signaler ses absences. UPS semble soutenir que les effets préjudiciables que Mme Peters a subis ne sont pas pertinents parce qu’ils étaient justifiés, compte tenu de sa conduite, et qu’ils n’étaient en rien liés à une prétendue déficience.

[696] UPS affirme que, puisque Mme Peters n’a pas tenté de réintégrer son emploi chez UPS en mars 2015, elle était fondée à penser que la relation d’emploi était rompue ou que Mme Peters y avait renoncé. Autrement dit, UPS nie avoir mis fin à l’emploi de Mme Peters en raison de son absentéisme chronique ou parce qu’elle ne signalait pas ses absences en temps opportun.

[697] S’appuyant sur ces arguments, UPS soutient que Mme Peters n’a pas établi qu’elle était atteinte d’une déficience et qu’elle a subi un effet préjudiciable lié à sa déficience. UPS soutient, par conséquent, que Mme Peters n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience.

G. ANALYSE

(i) Conclusions contextuelles concernant les prétendus problèmes nécessitant des mesures de gestion du rendement

[698] Comme il a été établi précédemment, il y a peu d’éléments de preuve indiquant que M. Gordon appliquait des mesures de gestion du rendement en dehors des comportements dominateurs qu’il adoptait lorsqu’il se trouvait à la chaîne de tri — prétendument pour montrer à Mme Peters comment déplacer les colis, lesquels constituent du harcèlement sexuel, comme l’a conclu le Tribunal. M. Ghanem a pris à l’égard de Mme Peters des mesures de gestion du rendement en lien avec ses absences et son défaut de les signaler. Il l’a rencontrée à deux reprises en janvier 2015 pour discuter de son absentéisme et lui a adressé une lettre de réprimande. Les premières notes qu’il a prises lors de discussions avec elle remontent au 15 janvier 2015. Comme il a été mentionné également, plusieurs lettres de préavis de 72 heures ont été envoyées à Mme Peters au cours de son emploi.

[699] Comme le Tribunal l’a expliqué, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la suggestion d’UPS selon laquelle le rendement de Mme Peters posait des problèmes importants, en dehors de la question de ses absences ou de son défaut d’appeler pour les signaler. Le Tribunal ajoute que trois notes concernant le rendement Mme Peters lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules ont été consignées à son dossier, une en décembre 2012 et deux le même jour en décembre 2013. Ces notes semblent porter sur des problèmes mineurs qui n’étaient pas liés à l’absentéisme ou au défaut de téléphoner pour signaler une absence. Ces problèmes ne se sont pas reproduits et n’ont pas donné lieu à des mesures disciplinaires. Rien n’indique qu’il y ait eu d’autres problèmes de rendement, plus récents, au cours des semaines qui ont précédé son dernier congé de maladie. Ainsi, il appert de la preuve dont dispose le Tribunal que les prétendus problèmes nécessitant la prise de mesures de gestion du rendement se limitaient aux absences trop nombreuses de Mme Peters, à son défaut de téléphoner en temps opportun pour les signaler et au fait qu’elle ne s’est pas présentée pour son quart de travail le 14 janvier 2015.

[700] De façon générale, la preuve donne à penser que les gestionnaires d’UPS n’ont pas jugé crédibles les billets du médecin que Mme Peters leur a remis. Cette attitude était présente dans le témoignage de M. Ghanem lorsque celui-ci a fait des déclarations contradictoires sur la question de savoir s’il pouvait contester les renseignements médicaux fournis par le médecin de Mme Peters. Il est clair que M. Ghanem estimait que les renseignements que le médecin de Mme Peters avait fournis dans son billet de janvier 2015 n’étaient pas valides, mais il a fait marche arrière quant à sa capacité à en juger lorsqu’on l’a questionné à ce sujet. En ce qui a trait aux absences de Mme Peters lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules, M. Dambrosio s’est plaint que Mme Peters lui remettait des billets de médecin qu’elle avait obtenus dans des cliniques sans rendez-vous. Le Tribunal fait observer que le papier à en-tête que le Dr MacDonald utilisait à l’occasion indiquait qu’il travaillait dans une clinique sans rendez-vous.

[701] Les éléments de preuve indiquant que les gestionnaires d’UPS entretenaient des soupçons et faisaient des suppositions sont nombreux. Rien n’indique que qui que ce soit chez UPS ait cherché à obtenir des précisions sur les raisons à l’origine des absences de Mme Peters ou des renseignements médicaux supplémentaires qui auraient pu les expliquer.

(ii) Principales évaluations quant à la crédibilité

[702] L’évaluation que fait le Tribunal des témoignages de M. Ghanem et de M. Dambrosio fournit également des renseignements contextuels importants. M. Ghanem n’a pas donné l’impression d’être un témoin crédible. Son témoignage était contradictoire à plusieurs égards. Il a refusé de reconnaître qu’il avait pu commettre des erreurs.

[703] Sa décision de rejeter d’emblée le billet du médecin du 7 janvier 2015 semble déraisonnable. En contre-interrogatoire, il a nié posséder l’expertise requise pour remettre en question les observations du Dr MacDonald.

[704] Il a déclaré qu’il s’entretenait avec les employés ayant des problèmes d’absentéisme afin de cerner la cause de leurs absences. Cette déclaration est suspecte, car elle semble intéressée. La preuve ne montre pas qu’il a eu ce genre de conversation avec Mme Peters.

[705] Il s’est empressé de conclure que Mme Peters ne pouvait pas vouloir dire que M. Gordon la harcelait sexuellement. De même, il a tout de suite présumé que quoi que M. Gordon ait pu faire, il ne s’agissait pas de harcèlement, simplement de gestion du rendement, et que le problème était Mme Peters. M. Ghanem n’a montré aucune volonté d’assumer quelque responsabilité que ce soit relativement au manque de sensibilité, au mépris ou aux préjugés dont il a fait preuve envers Mme Peters ou au fait qu’il n’a fait aucun effort pour connaître le fond de l’histoire.

[706] De façon similaire, M. Dambrosio s’est avéré un témoin déraisonnable et peu crédible. C’est ce qui est ressorti de la façon dont il a géré, en novembre 2014, le congé de maladie de Mme Peters de juillet 2014. Il s’agissait d’une situation potentiellement grave pour UPS : Une employée, qui affirme avoir avisé son employeur qu’elle serait absente du travail pour des raisons de santé et parce que son père était en fin de vie, était réputée avoir été congédiée par UPS dans une lettre de préavis de 72 heures et laissée sans salaire ni indemnité, y compris sans accès à des prestations d’invalidité de courte durée, après trois jours d’absence – le médecin de l’employée ayant par la suite prolongé son congé de maladie.

[707] Mme Peters a déclaré lors de son témoignage avoir tenté d’aviser UPS de son absence avant de partir en laissant le billet de son médecin au bureau de la sécurité. Le Tribunal a confiance en sa version des faits. [Apparemment, UPS a présumé que Mme Peters n’avait pas laissé de billet du médecin au bureau de la sécurité. Il n’y a aucune preuve qu’UPS a effectué un suivi auprès du bureau de la sécurité pour vérifier si Mme Peters y avait ou non laissé un billet du médecin et, le cas échéant, si ce billet avait été remis à M. Ghanem ou aux Ressources humaines.]

[708] Le médecin de Mme Peters a prolongé son congé de maladie en raison de son accident de voiture. Mme Peters a déclaré que les RH avaient reçu ses renseignements médicaux après la prolongation de son congé. Rien n’indique que qui que ce soit chez UPS ait enquêté sur la situation à ce moment-là. Rien n’indique que qui que ce soit aux RH ait communiqué avec Mme Peters afin d’obtenir des précisions sur ce qui se passait. En outre, Mme Peters aurait peut-être eu droit à des prestations d’ICD au cours de l’été puisque ses problèmes de santé ont persisté pendant plusieurs semaines. Rien ne donne à penser qu’on lui ait fait parvenir des formulaires de demande d’ICD afin qu’elle les remplisse et les envoie à la compagnie d’assurance.

[709] M. Dambrosio a dit qu’aucun grief n’avait été déposé. Mme Thompson a indiqué, à l’inverse, qu’un grief avait été déposé. Même si le témoignage de M. Dambrosio est exact, il ne fait aucun doute que le syndicat a porté la situation de Mme Peters à la connaissance d’UPS. Même dans la mesure où aucun grief n’avait été déposé, cela ne signifiait pas qu’il n’y avait aucune raison que quelqu’un chez UPS se penche sur ce qui s’était passé.

[710] Comme il a été mentionné, M. Dambrosio a déclaré qu’il se rappelait que Mme Peters avait affirmé avoir fourni des documents médicaux à l’appui de son congé en juillet 2014. Il se souvenait d’avoir eu vent de certains [traduction] « renseignements contestés » au sujet de la lettre de préavis de 72 heures que Mme Peters avait reçue d’UPS en juillet.

[711] M. Dambrosio ne semblait pas comprendre qu’il était possible que le congé de maladie qu’avait pris Mme Peters en juillet 2014 ait été géré de façon inadéquate par UPS. Il n’a pas reconnu qu’il aurait été nécessaire d’enquêter afin de déterminer si les renseignements fournis par le syndicat au sujet des problèmes de santé de Mme Peters ou du fait qu’elle avait perdu son emploi étaient fondés. Lors de son témoignage, M. Dambrosio a donné l’impression qu’il estimait alors n’avoir aucune mesure à prendre puisque Mme Peters avait elle-même abandonné son emploi et qu’il lui accordait une faveur considérable en lui permettant de revenir.

[712] M. Dambrosio n’était pas non plus disposé, initialement, à reconnaître les aspects positifs du rendement de Mme Peters. M. Dambrosio a dit qu’il avait également envoyé la lettre de félicitations du 26 juin 2014 à d’autres employés. Il a tout de même choisi d’envoyer la lettre à Mme Peters. Il est très peu probable qu’un gestionnaire enverrait une lettre contenant des propos aussi élogieux que ceux reproduits ci-dessus à une employée aussi problématique qu’UPS l’a allégué à l’audience.

[713] M. Dambrosio était également à l’origine de la décision de ne pas verser à Mme Peters son plein salaire lorsqu’elle occupait un poste sur la chaîne de tri. Il semble qu’il ait convaincu Mme Thompson de ne pas contester sa position selon laquelle Mme Peters devait travailler sans s’absenter pendant une période prolongée avant de pouvoir toucher la rémunération qui lui était due.

[714] M. Dambrosio n’a pas réussi à convaincre le Tribunal de sa crédibilité en tant que témoin ni qu’il avait agi de façon raisonnable à cet égard.

[715] L’évaluation de la crédibilité de M. Dambrosio et de M. Ghanem est particulièrement importante en ce qui concerne l’allégation d’UPS selon laquelle des mesures disciplinaires avaient été imposées à Mme Peters en raison de son absentéisme. Elle comprend l’affirmation selon laquelle Mme Peters avait fait l’objet de mesures disciplinaires pour absentéisme lorsqu’elle travaillait au Service de lavage des véhicules. Aucun élément de preuve documentaire, comme des lettres de réprimande, tiré du dossier personnel de Mme Peters chez UPS n’a été présenté relativement à la période où elle travaillait au Service de lavage des véhicules. M. Ghanem n’est devenu le gestionnaire de Mme Peters qu’en novembre 2014. Comme il a été mentionné, rien n’indique qu’il ait participé à la gestion de son absentéisme et ait considéré celui-ci comme un problème grave avant qu’elle lui remette, le 7 janvier 2015, un billet de son médecin, qui l’aurait prétendument contrarié. Le Tribunal tient également compte de son témoignage quant à la clémence dont il dit avoir fait preuve envers Mme Peters par compassion et du fait qu’UPS a reconnu que [traduction] « normalement, ses manquements aux exigences en matière d’assiduité lui auraient valu de faire l’objet de mesures disciplinaires progressives ». Le Tribunal conclut que Mme Peters n’avait pas de longs antécédents en matière de mesures disciplinaires ou de gestion du rendement.

(iii) Le poids à accorder à la politique sur l’assiduité et la ponctualité d’UPS

[716] UPS s’est fortement appuyée sur l’existence de sa politique écrite qui exige que les employés aient un taux d’assiduité satisfaisant et qu’ils signalent leurs absences en temps opportun. Comme il a été mentionné, cette politique indiquait clairement que les absences imprévues ou trop nombreuses perturbaient la bonne marche du travail et imposaient un fardeau indu aux autres employés. La politique stipule expressément qu’un taux d’assiduité satisfaisant est une condition d’emploi.

[717] Le poids à accorder à une politique écrite devrait être proportionnel à la mesure dans laquelle elle est appliquée et mise en œuvre en milieu de travail. Le Tribunal accorde plus de poids au témoignage de Mme Peters selon lequel elle croyait pouvoir annuler un quart de travail si elle téléphonait pour signaler son absence. Comme UPS l’a souligné, son témoignage à cet égard va à l’encontre de la politique. Or, les agissements d’UPS sont également en contradiction avec la politique. Les dossiers relatifs à l’assiduité produits par UPS montrent que Mme Peters a téléphoné à son employeur pour le prévenir lorsqu’elle n’était pas en mesure d’effectuer un quart de travail prévu à son horaire, et ce du moment de son embauche en 2011 jusqu’à la fin de son emploi actif chez UPS. La fréquence à laquelle elle l’a fait a varié au fil du temps, mais elle a régulièrement téléphoné pour annuler des quarts de travail. Le fait qu’UPS ait permis que cela se poursuive concorde avec le témoignage de Mme Peters selon lequel elle pouvait appeler et annuler son quart de travail. On lui a peut-être parlé de la nécessité qu’elle se présente au travail avec plus de régularité. Cependant, UPS n’a produit aucun dossier disciplinaire en dehors de la lettre de réprimande de janvier 2015 et de quelques lettres de préavis de 72 heures qui ont été envoyées après qu’UPS eut acquis la conviction que Mme Peters n’avait pas appelé ou avait omis de se présenter au travail pendant plusieurs jours sans fournir d’explications. Si la présence au travail était véritablement une condition d’emploi, comme le stipule la politique, il semble qu’UPS ait fermé les yeux sur l’habitude qu’avait prise Mme Peters d’appeler pour annuler des quarts de travail. Compte tenu de l’inaction d’UPS et du fait qu’aucune mesure disciplinaire n’a été prise en réponse à ce comportement, le Tribunal n’est pas convaincu par l’observation d’UPS selon laquelle le contenu du témoignage de Mme Peters ne correspond pas aux attentes normales en matière de relations de travail.

[718] Le Tribunal est arrivé à une conclusion similaire en ce qui concerne l’attente habituelle en milieu de travail selon laquelle les employés sont censés téléphoner à leur employeur pour le prévenir lorsqu’ils ne sont pas en mesure de se présenter au travail. Le Tribunal a obtenu des documents qui montrent que des codes étaient attribués, aux fins de la paie, à chacun des quarts de travail prévu à l’horaire de Mme Peters. Ces codes offraient la possibilité d’indiquer [traduction] « a appelé » ou « n’a pas appelé ». Le dossier d’emploi de Mme Peters comporte plusieurs mentions [traduction] « n’a pas appelé ». Bien que le fait de ne pas se présenter au travail ou de ne pas appeler pour signaler son absence soit généralement suffisant pour entraîner des mesures disciplinaires, UPS n’a présenté aucune preuve documentaire indiquant que Mme Peters avait fait l’objet de mesure disciplinaire, avant la lettre de réprimande de janvier 2015, parce qu’elle ne s’était pas présentée au travail ou avait signalé une absence avec moins d’une heure de préavis.

[719] À l’inverse, même si UPS a contesté le fait que les lettres de préavis de 72 heures étaient de nature disciplinaire, Mme Peters a reçu plusieurs de ces lettres au fil des ans. Le Tribunal croit que ces lettres avaient une portée disciplinaire potentielle. Ces incidents auraient pu être considérés comme justifiant la prise de mesures disciplinaires supplémentaires, puisqu’ils ont continué de se produire. Or, Mme Peters n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires ou n’a pas été avisée par écrit que ce comportement pouvait lui valoir d’être congédiée. Cette inaction va à l’encontre de l’idée selon laquelle les employés d’UPS ont l’obligation stricte de maintenir un taux d’assiduité satisfaisant et de signaler leurs absences en temps opportun.

[720] Comme il a été mentionné, UPS n’a pas non plus fourni de documents pour confirmer les témoignages de ses témoins indiquant que Mme Peters faisait l’objet de mesures de gestion du rendement. Il n’y a de même aucune preuve documentaire confirmant que Mme Peters était assujettie à un programme ou à un plan officiel visant à gérer son absentéisme chronique.

[721] Mme Peters affirme qu’elle avisait UPS lorsqu’elle savait ne pas pouvoir se présenter au travail et que les dossiers d’UPS indiquant [traduction] « n’a pas appelé » sont inexacts. Certains éléments de preuve donnent à penser que les dossiers d’UPS relatifs à l’assiduité n’étaient pas toujours fiables. À titre d’exemple, ils indiquent que Mme Peters a suivi une formation au cours d’une période où elle n’était pas au travail. M. Ghanem déposait dans un tiroir les billets du médecin que lui remettaient les employés et ne leur prêtait plus ensuite aucune attention. Compte tenu de la preuve dont le Tribunal dispose, il n’est pas possible de déterminer avec certitude si Mme Peters a signalé chacune de ses absences en temps opportun. Mais, il ne s’agit pas d’une question de première importance. Les incohérences entre la politique et les agissements d’UPS revêtent davantage d’importance. UPS n’a présenté aucune preuve documentaire confirmant que des mesures disciplinaires ou de gestion du rendement avaient été prises relativement à l’absentéisme chronique de Mme Peters. Par conséquent, le Tribunal accorde peu de poids à la politique d’UPS et celle-ci n’est pas déterminante quant aux questions relatives à l’absentéisme de Mme Peters et à son défaut de signaler ses absences en temps opportun dans la présente affaire.

(iv) Mme Peters avait-elle une déficience?

[722] Comme indiqué, UPS conteste que Mme Peters était atteinte d’une déficience. UPS soutient que la demande de prestations d’ICD de Mme Peters n’a pas été approuvée par l’assureur parce que son congé de maladie n’était pas [traduction] « justifié ». UPS laisse entendre que l’absence de Mme Peters n’était pas une absence valide et emploie l’expression [traduction] « prétendu problème de santé mentale » pour désigner sa « déficience » malgré les dossiers médicaux qui ont été déposés en preuve et le témoignage du Dr MacDonald. En ce qui concerne la question de savoir si Mme Peters avait une déficience, UPS semble s’en remettre à la conclusion de l’assureur selon laquelle le congé de maladie de Mme Peters n’était pas justifié sur le plan médical.

[723] Un examen de la documentation provenant du fournisseur de prestations d’ICD révèle que la position d’UPS, à savoir que l’assureur d’ICD a conclu que le congé de maladie de Mme Peters n’était pas [traduction] « justifié », n’est pas entièrement exacte sur le plan factuel. L’assureur d’ICD a posé à Mme Peters des questions sur la cause de sa déficience liée à sa santé mentale. Mme Peters a signalé à l’assureur qu’elle était victime de harcèlement au travail et que ce harcèlement était à l’origine de ses problèmes de santé. L’assureur a adopté la position selon laquelle l’état de santé de Mme Peters découlait du stress qu’elle vivait au travail. L’assureur a indiqué qu’il n’offrait pas de protection pour ce genre de situation. Les documents dans lesquels l’assureur a communiqué sa décision à Mme Peters indiquaient également que celui-ci avait conclu que sa demande de prestations n’était pas justifiée. Or, un examen des documents contenu dans le dossier de l’assureur révèle que la principale raison pour laquelle sa demande de prestations a été rejetée est que l’assureur d’ICD a conclu qu’elle avait subi un préjudice psychologique qui n’était prétendument pas couvert par la police d’assurance.

[724] La conclusion de l’assureur d’ICD selon laquelle le problème de santé de Mme Peters n’était pas confirmé ne semble pas elle-même justifiée au regard des documents contenus au dossier qui ont été fournis. Mme Peters a fourni des renseignements médicaux provenant du Dr MacDonald à l’appui de sa demande. L’assureur n’a obtenu aucune autre preuve d’ordre médical démentant ces renseignements.

[725] De plus, il semble très probable que la raison pour laquelle l’assureur d’ICD a conclu que le problème de santé de Mme Peters n’était pas confirmé soit en partie attribuable aux renseignements qu’UPS a communiqués à celui-ci. L’assureur a demandé à plusieurs reprises à UPS si Mme Peters estimait avoir été victime de harcèlement au travail. UPS avait la plainte provinciale de Mme Peters en sa possession lorsque ces questions lui ont été posées. UPS savait donc que Mme Peters alléguait avoir été victime de harcèlement sexuel puisqu’elle avait accès aux détails de ses allégations. UPS aurait dû simplement répondre « oui » à la question de l’assureur. Or, elle a plutôt dépeint Mme Peters comme une employée à problèmes. Il semble probable que les renseignements communiqués par UPS au sujet de la cause des problèmes de santé mentale de Mme Peters aient amené l’assureur à croire que l’explication de Mme Peters n’était pas sincère. Ainsi, il semble que l’assureur n’ait pas cru l’allégation de Mme Peters selon laquelle sa déficience avait été causée par le harcèlement qu’elle subissait au travail, alors même qu’il a refusé de lui verser des prestations sur ce fondement. En outre, l’existence même de sa déficience liée à sa santé mentale semble avoir été remise en question, ce qui a entraîné le rejet de sa demande de prestations d’invalidité.

[726] Le Tribunal n’est pas tenu d’accepter la conclusion de l’assureur d’ICD selon laquelle le congé de maladie de Mme Peters n’était pas justifié sur le plan médical et elle ne l’accepte pas. Le Tribunal accorde peu de poids à cette conclusion compte tenu de ses préoccupations quant à la justesse de la décision de l’assureur.

[727] De plus, UPS semble être d’avis qu’il aurait fallu que la demande de prestations d’ICD de Mme Peters soit approuvée par l’assureur en 2015 pour qu’elle ait l’obligation de considérer son absence pour raisons de santé comme étant valide. De même, UPS semble soutenir qu’il aurait fallu que l’assureur d’ICD approuve le congé de maladie de Mme Peters pour qu’elle soit tenue de conclure que cette dernière avait une déficience.

[728] UPS avait l’obligation légale de déterminer elle-même si le congé de maladie de son employé était valide et si cette dernière était atteinte d’une déficience aux fins de la Loi. Il s’agit d’une question tout à fait distincte de la question de savoir si un assureur d’invalidité a l’obligation de verser des prestations d’invalidité aux termes d’une police d’assurance.

[729] Le certificat médical qu’UPS a reçu du Dr MacDonald en février 2015 établissait que Mme Peters avait un problème de santé qui nécessitait qu’elle s’absente du travail pendant un mois. Cette situation suffisait pour accroître la probabilité que Mme Peters soit atteinte d’un trouble médical correspondant à la définition de « déficience » énoncée dans la Loi. Dans la mesure où elle avait besoin de plus amples renseignements pour déterminer si Mme Peters avait une déficience ou dans la mesure où elle contestait la possibilité que Mme Peters soit atteinte d’une déficience, UPS avait, au minimum, l’obligation de poser les questions appropriées et de demander que des renseignements médicaux supplémentaires lui soient fournis.

[730] UPS avait également l’obligation de prendre des décisions raisonnables fondées sur une expertise médicale éclairée. Or, il semble que M. Ghanem était libre de décider d’accepter ou non le billet de son médecin que Mme Peters lui a remis en janvier 2015. Il semble qu’il n’en ait pas du tout tenu compte.

[731] Il est admis que certains des textos que Mme Peters a envoyés avant de fournir un billet de son médecin semblaient contradictoires. Le premier texto, qui a été envoyé le 5 janvier 2015, semble contradictoire parce que Mme Peters indique qu’elle se trouve dans un poste de police. Or, il se peut que les raisons qu’elle a données aient été en réalité motivées par des problèmes de santé sous-jacents. Quoi qu’il en soit, les textos étaient vagues en ce sens qu’ils n’indiquaient pas clairement les raisons de son absence. Le 6 janvier 2015, elle a texté ce qui suit à M. Ghanem : [traduction] « Je ne peux pas rentrer ce soir… Il se passe tellement de choses en ce moment que je suis incapable de travailler ». Le 7 janvier 2015, Mme Peters a envoyé un texto dans lequel elle disait : [traduction] « Encore une fois désolée, mais je ne pourrai pas être là. » Son dossier médical confirme toutefois qu’elle avait ce jour-là une consultation avec le Dr MacDonald et qu’elle a signalé les symptômes liés au harcèlement. Lorsque Mme Peters a fourni un billet de son médecin indiquant qu’elle avait manqué les trois jours de travail précédents parce qu’elle était malade, M. Ghanem aurait dû poser des questions pour éclaircir ces prétendues contradictions, et non faire abstraction du billet du médecin.

[732] Il appert de la preuve et des arguments présentés par UPS que cette dernière a remis en question le bien-fondé des congés de maladie de Mme Peters et qu’elle n’a pris aucune mesure pour déterminer si une déficience pouvait être en cause, même si elle avait été avisée le 15 janvier 2015 que Mme Peters avait mentionné subir du harcèlement au travail. Cette inaction a perduré malgré qu’UPS ait reçu d’autres billets du Dr MacDonald en février. UPS semble s’être entêtée à ne voir qu’un problème d’assiduité.

[733] En revanche, UPS a fait valoir qu’il fallait comprendre qu’elle avait accepté le congé de maladie de Mme Peters en février puisque les RH lui avaient fait parvenir des formulaires de demande de prestations d’ICD. UPS n’a pas expliqué comment elle pouvait conclure que le congé de maladie que Mme Peters avait pris en 2015 était valide, mais ne pas reconnaître à l’audience que Mme Peters avait une déficience.

[734] UPS soutient également qu’il aurait fallu que Mme Peters ait une déficience sous-jacente l’empêchant d’une façon ou d’une autre de se conformer à la politique d’assiduité d’UPS, qui exigeait qu’elle appelle pour signaler ses absences en temps opportun. La question n’est pas là. Mme Peters n’a pas allégué dans sa plainte qu’elle avait une déficience qui l’empêchait de signaler ses absences en temps opportun. Mme Peters allègue qu’UPS n’a pas respecté les obligations qu’elle avait envers elle à titre d’employée atteinte d’une déficience, y compris pendant la période où elle était en congé de maladie (approuvé par son médecin) en raison d’une déficience. À cet égard, Mme Peters allègue qu’UPS n’a fait aucun suivi au sujet de son état de santé, ou pour lui proposer des mesures d’adaptation, faciliter son retour au travail ou prendre autrement de ses nouvelles à la suite de son départ en congé de maladie en 2015.

[735] Comme il a été mentionné précédemment, UPS a laissé entendre qu’elle avait respecté ses obligations en matière d’adaptation. Elle n’a pas précisé quelles étaient les mesures d’adaptation qu’elle prétend avoir prises. Or, l’employeur n’a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation que si le plaignant est atteint d’une déficience. UPS affirme qu’il n’y a aucune preuve que Mme Peters était atteinte d’une déficience pertinente. Le reste des arguments d’UPS porte que celle-ci n’avait pas l’obligation de prendre des mesures d’adaptation puisque Mme Peters n’avait pas de déficience. L’argument d’UPS selon lequel elle s’est acquittée de son obligation de prendre des mesures d’adaptation ne convainc pas le Tribunal.

[736] À cette étape du critère juridique, Mme Peters doit prouver qu’elle était atteinte d’une déficience à l’époque pertinente. Le Tribunal conclut qu’elle a fait cette preuve. La preuve médicale indique clairement qu’elle était atteinte d’une déficience liée à sa santé mentale. Il est clair également qu’UPS savait ou aurait dû savoir que Mme Peters avait une déficience. UPS avait l’obligation de lui proposer des mesures d’adaptation. Rien n’indique qu’elle l’a fait.

(v) Mme Peters a-t-elle fait l’objet d’un traitement défavorable?

[737] UPS affirme qu’elle n’a rien fait qui aurait pu avoir un effet préjudiciable sur Mme Peters en ce qui concerne les absences approuvées de cette dernière. Cet argument n’est pas convaincant pour plusieurs raisons.

[738] On ne se serait pas attendu à ce que Mme Peters fasse l’objet d’un traitement défavorable en raison d’absences approuvées. La question est de savoir si elle a subi un traitement défavorable en lien avec des absences non approuvées et si sa déficience a été un facteur dans ce traitement.

[739] La position que défend UPS exige que celle-ci ait fait une distinction entre les absences approuvées et les absences non approuvées et qu’elle les ait ensuite traitées différemment. UPS n’a pas fourni de preuve convaincante qu’elle a assuré un suivi des absences approuvées et des absences non approuvées, et qu’elle a établi une distinction entre elles. Rien n’indique qu’UPS disposait d’un système fiable et cohérent pour décider quelles absences étaient approuvées ou non. L’évaluation personnelle que M. Ghanem a faite du billet du Dr MacDonald en 2015 tend à le confirmer. De même, le témoignage de M. Ghanem portant qu’il déposait les billets de médecin qu’il recevait dans un tiroir et que ceux-ci ne faisaient ensuite l’objet d’aucun suivi électronique indique qu’il n’y avait pas de système de consignation. Le Tribunal en déduit qu’il n’existait pas de système permettant de suivre et de consigner avec exactitude les absences approuvées et non approuvées. Aucun système permettant de distinguer les deux types d’absences n’était en place.

[740] Compte tenu de la position d’UPS selon laquelle elle faisait une distinction entre les absences approuvées et les absences non approuvées de Mme Peters, on se serait attendu à ce qu’UPS ait des politiques sur l’absentéisme chronique qui font la distinction entre les absences pour raison de santé et les absences liées à des problèmes de rendement. L’ensemble de politiques qui était remis aux nouveaux employés, et qu’a reçu Mme Peters lorsqu’elle a repris le travail en novembre 2014, n’incluait aucune politique pertinente du type de celles auxquelles on se serait attendu de la part d’un employeur ayant établi un programme pour contrer l’absentéisme chronique chez ses employés. L’ensemble de politiques destiné aux nouveaux employés ne comprend aucune politique indiquant la marche à suivre aux employés qui doivent prendre un congé de maladie ou expliquant dans quelles circonstances ils ont l’obligation de fournir un billet du médecin pour justifier leurs absences. Il y avait seulement une politique portant sur les accidents du travail et les mesures d’adaptation. Il n’y a pas non plus de preuve qu’UPS informait systématiquement ses employés à savoir si leurs absences étaient approuvées ou non.

[741] Quoi qu’il en soit, rien n’indique qu’UPS ait classé chacune des absences de Mme Peters comme étant approuvée ou non approuvée ou qu’elle lui ait fait part de ce classement. En outre, à l’audience, UPS n’a présenté aucun élément de preuve clair quant aux absences qui, selon elle, avaient été approuvées ou ne l’avaient pas été. Compte tenu de ces faits et du peu d’information fourni, le Tribunal ne peut admettre qu’UPS disposait d’un système fiable et cohérent pour décider quelles absences étaient approuvées ou non et qu’elle se soit livrée à pareil exercice de différenciation dans le cas de Mme Peters.

[742] UPS prétend que Mme Peters n’a pas fait l’objet d’un traitement défavorable relativement à ses absences approuvées. Or, il semble qu’aucune des absences de Mme Peters à partir de juillet 2014 n’ait été approuvée par UPS, à quelque moment que ce soit. Par conséquent, il semble peu probable qu’il y ait eu des absences approuvées relativement auxquelles Mme Peters n’a subi aucun traitement défavorable.

[743] UPS a décidé que l’emploi de Mme Peters était réputé avoir été « unilatéralement » abandonné par Mme Peters en juillet 2014. De toute évidence, cette absence n’avait pas été approuvée. Il n’y a aucun élément de preuve documentaire indiquant que Mme Peters a pris des congés approuvés entre le 14 novembre 2014 et le 31 décembre 2014. Il est fait référence à ce qui semble être une absence non approuvée d’une journée en décembre. On ne sait pas très bien si les absences de Mme Peters les 5, 6 et 7 janvier 2015 avaient été approuvées ou non. On ignore si M. Ghanem répondait aux textos de Mme Peters et, le cas échéant, de quelle façon. Si les absences de Mme Peters avaient été approuvées au moment où elle a envoyé ses textos, il semble qu’elles aient été rétroactivement désapprouvées, car il est clair que M. Ghanem a mis en doute la validité du billet du médecin qu’elle lui a remis le 7 janvier 2015 pour justifier son absence ces jours-là. Mme Peters s’est également absentée sans autorisation le 14 janvier 2015 et a reçu une lettre de réprimande à cet égard. Son absence suivante a eu lieu le 3 février 2015, lorsque le Dr MacDonald l’a mise en arrêt de travail. UPS lui a envoyé une lettre de préavis de 72 heures le 10 février 2015, ce qui signifie qu’elle avait alors traité son absence du début de février comme une absence non approuvée.

[744] Comme il a été mentionné, il n’y a aucune preuve claire indiquant quelles absences, le cas échéant, avaient été approuvées. L’affirmation d’UPS selon laquelle Mme Peters n’a pas subi aucun effet préjudiciable relativement à ses absences approuvées n’est pas pertinente et ne repose sur aucun fondement factuel.

[745] Il y a amplement d’éléments de preuve indiquant que Mme Peters a subi des effets préjudiciables relativement à des absences prétendument non approuvées. Le Tribunal conclut que Mme Peters a subi des effets indésirables et un traitement défavorable relativement à ces absences qui, non seulement étaient justifiées sur le plan médical ou approuvées par son médecin, mais qui, ultimement, découlaient du harcèlement sexuel qu’elle avait subi et/ou de sa déficience. Ce traitement défavorable incluait, sans s’y limiter, le fait d’être considérée comme une employée à problèmes en raison de son absentéisme.

[746] À cet égard, il est clair que les lettres de préavis de 72 heures que Mme Peters a reçues faisaient partie d’une stratégie disciplinaire qu’UPS appliquait à l’égard des employés qui ne s’étaient pas présentés au travail et ne l’avaient pas prévenue de leur absence. Les lettres indiquaient ce qui suit :

[traduction]

Le fait que vous n’avisiez pas vos gestionnaires de votre absence impose un fardeau indu à vos collègues de travail et à l’équipe de gestion, et nuit au bon déroulement des opérations au centre de Scarborough. Ce comportement est inacceptable et ne sera pas toléré.

Nous vous avisons par la présente que vous disposez d’un délai de 72 heures à compter de la réception de la présente lettre pour communiquer avec votre superviseur au sujet de votre emploi chez UPS Canada. Si vous négligez de le faire, nous considérerons que vous avez volontairement quitté votre emploi chez UPS Canada, avec effet immédiat.

[747] La lettre indique que l’absence est inacceptable et ne sera pas tolérée. Elle n’informe pas les employés qu’ils seront réputés avoir quitté leur emploi conformément à la convention collective. La lettre ne prévoit aucune exception et n’admet pas la possibilité qu’une raison valable puisse empêcher un employé de donner suite à la lettre dans les 72 heures. À titre d’exemple, un employé hospitalisé pourrait ne pas être en mesure de répondre dans les 72 heures. Le Tribunal conclut que les lettres de préavis de 72 heures avaient un caractère unilatéral et une dimension disciplinaire.

[748] En outre, la lettre de préavis de 72 heures qu’UPS a envoyée à Mme Peters en février 2015 a l’apparence d’une tentative de la part d’UPS visant à mettre fin à la relation d’emploi par un moyen autre que le processus disciplinaire officiel. Le Tribunal accorde peu de poids, voire aucun, à la preuve qu’UPS a présentée à l’audience selon laquelle la lettre de préavis de 72 heures du 10 février 2015 avait été envoyée par erreur. Si tel avait été le cas, Mme Peters en aurait été informée à l’époque. L’argument d’UPS à cet égard laisse entendre que l’absence de Mme Peters avait été approuvée alors que ce n’était pas le cas. La lettre de février 2015 a peut-être été envoyée à tort, mais elle n’a pas été envoyée par inadvertance et la situation n’a pas été corrigée.

[749] UPS n’a pas subséquemment communiqué avec Mme Peters afin d’obtenir des renseignements médicaux ou en savoir plus sur ses intentions. UPS s’est comportée comme si elle espérait ne plus avoir de nouvelles de Mme Peters et, ce faisant, lui a fait subir un traitement défavorable préjudiciable.

[750] Comme il a été mentionné, UPS laisse entendre que, puisque la lettre de préavis de 72 heures de février 2015 a été envoyée par erreur, le Tribunal ne devrait pas considérer qu’elle a eu un effet préjudiciable sur Mme Peters. Or, la preuve indique clairement que la lettre a eu un effet préjudiciable sur Mme Peters, puisqu’elle celle-ci l’a reçue alors qu’elle était en arrêt de travail en raison de sa déficience et qu’on peut raisonnablement penser qu’elle en a été bouleversée.

[751] UPS a également adopté, dans le cadre de la présente instance, des positions contradictoires en ce qui concerne la signification de la lettre de préavis de 72 heures. Lorsqu’elle a laissé entendre que Mme Peters avait abandonné son poste lors de son arrêt de travail en février 2015, UPS a semblé tentée d’invoquer la lettre de préavis de 72 heures qui informait Mme Peters qu’elle serait réputée avoir quitté son emploi si elle ne répondait pas dans le délai imparti. UPS a maintenu cette position dans ses observations finales, même si ses témoins avaient reconnu à l’audience que Mme Peters était encore une employée d’UPS et/ou qu’elle n’avait pas été congédiée. Les positions d’UPS concernant cet aspect de l’affaire étaient incohérentes et contradictoires, et n’ont pas convaincu le Tribunal. Le fait que Mme Peters ait reçu une lettre de préavis de 72 heures et qu’elle ait été traitée comme si elle avait abandonné son poste – et ce, jusqu’à la tenue de l’audience, constitue un traitement défavorable.

[752] Il est clair également que le traitement défavorable et préjudiciable qu’a subi Mme Peters ne s’arrête pas là; la lettre de réprimande qu’elle a reçue en janvier 2015 en fait partie également. La question de savoir si Mme Peters a subi un traitement défavorable parce qu’aucune mesure d’adaptation n’a été prise à son endroit est abordée ci-après.

[753] Le Tribunal conclut que Mme Peters a subi un traitement défavorable et préjudiciable au travail relativement à ses absences non approuvées.

(vi) Si tel est le cas, la déficience a-t-elle été un facteur dans le traitement défavorable subi?

[754] UPS conteste que Mme Peters avait une déficience pertinente. UPS n’aborde pas expressément ou directement la question de savoir si la déficience de Mme Peters a été un facteur dans les effets préjudiciables qu’elle a subis en lien avec ses absences du travail. UPS se contente d’affirmer que Mme Peters était une employée problématique en raison d’un taux d’absentéisme excessif.

[755] Les raisons à l’origine des absences de Mme Peters ont varié au cours de son emploi, comme c’est souvent le cas. Mme Peters avait des antécédents qui comprenaient une tendance à travailler moins d’heures chaque semaine pour des raisons qui n’étaient pas liées à une déficience. À différentes périodes, Mme Peters a eu des problèmes de santé qui constituaient une déficience aux fins de la Loi et qui l’ont amenée à annuler des quarts de travail qui étaient prévus à son horaire. Elle a eu des problèmes de santé personnels et familiaux qui ont eu une incidence sur sa santé et son assiduité. Il ressort aussi clairement de la preuve médicale que le harcèlement qu’elle a subi de la part de M. Gordon a eu un effet préjudiciable important sur sa santé mentale.

[756] Il est probable que la plupart de ses absences à la fin de 2014 et en 2015 étaient attribuables aux effets du harcèlement et à sa déficience liée à sa santé mentale. La preuve médicale démontre l’existence d’une corrélation directe entre le harcèlement et le maintien ou l’exacerbation des symptômes et des limitations fonctionnelles que Mme Peters a éprouvés en lien avec sa déficience. Les actes de harcèlement sexuel physique, qui se sont ajoutés au harcèlement verbal, ont fini par rendre nécessaire un arrêt de travail prolongé en février 2015. Il semble donc probable que la plupart des absences de Mme Peters à la fin de 2014 et au début de 2015 aient été liées, du moins en partie, à une déficience.

[757] UPS a considéré que la plupart, voire la totalité, des absences de 2015 qui ont précédé la mise en arrêt de travail de Mme Peters en février et l’arrêt de travail lui-même constituaient de l’absentéisme chronique inacceptable et les a traitées comme des problèmes de rendement ou des problèmes de nature disciplinaire. Il est clair que la déficience de Mme Peters est devenue un facteur dans le traitement défavorable qu’elle a subi à la suite de ces absences.

(vii) UPS a-t-elle pris des mesures d’adaptation à l’endroit de Mme Peters?

[758] UPS allègue avoir tenté de prendre des mesures d’adaptation. Or, la seule mesure à laquelle UPS a fait allusion dans le cadre de la présente instance a consisté à faire parvenir des formulaires de demande de prestations d’invalidité à Mme Peters, comme elle l’a indiqué dans son exposé des précisions. UPS avait l’obligation d’envoyer ces formulaires à Mme Peters, car celle-ci avait droit aux prestations d’ICD. Cette obligation n’équivaut pas à l’obligation d’UPS d’offrir des mesures d’adaptation à Mme Peters.

[759] UPS avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit de Mme Peters tant en ce qui concerne ses absences attribuables à sa déficience (elle n’a présenté aucune preuve indiquant qu’elle l’a fait) qu’en ce qui concerne son retour au travail (elle n’a fait aucune tentative à cet égard). La preuve présentée à l’audience a démontré que :

1) UPS n’a pas tenté de faire un suivi auprès de Mme Peters relativement à son arrêt de travail;

2) UPS n’a pas cherché à obtenir de renseignements médicaux supplémentaires en dehors de ceux que Mme Peters avait fournis;

3) UPS ne s’est pas renseignée sur les mesures d’adaptation dont Mme Peters aurait pu avoir besoin;

4) UPS n’a posé aucune question ou n’a fait aucun effort en vue de permettre à Mme Peters de reprendre le travail avec ou sans mesure d’adaptation.

[760] Le Tribunal conclut qu’UPS n’a fait aucun effort pour offrir des mesures d’adaptation à Mme Peters, et qu’elle a ainsi enfreint la Loi. Mme Peters n’avait aucun moyen de réintégrer son poste sans la coopération active d’UPS. Pour UPS, ne prendre aucune mesure équivalait donc à prendre la décision de mettre fin à la relation d’emploi sans communiquer cette décision à Mme Peters. À cet égard également, Mme Peters a subi un traitement défavorable et préjudiciable lié à sa déficience dans le cadre de son emploi.

(viii) Conclusion quant à la preuve prima facie

[761] Le Tribunal conclut que Mme Peters avait une déficience liée à sa santé mentale. Elle a subi un traitement défavorable et préjudiciable de la part d’UPS dans le cadre de son emploi. Ce traitement défavorable s’est manifesté sous la forme de mesures de gestion du rendement et de mesures disciplinaires liées à son absentéisme, lequel était attribuable à sa déficience, et par l’envoi, en février 2015, d’une lettre de préavis de 72 heures qui semblait mettre fin, d’une façon injuste et déraisonnable, à sa relation d’emploi, ainsi que dans la façon dont UPS s’est comportée envers elle par la suite, notamment en ne lui offrant aucune mesure d’adaptation. Il est clair que sa déficience a été un facteur dans le traitement préjudiciable qu’elle a subi. Le Tribunal conclut que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, Mme Peters a établi une preuve prima facie de discrimination.

(ix) Résumé des conclusions quant à la discrimination fondée sur la déficience exercée par UPS

[762] Étant donné que Mme Peters s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination et qu’UPS n’a présenté aucune défense valable pour justifier cette discrimination, le Tribunal conclut qu’UPS a commis à l’égard de Mme Peters un acte discriminatoire fondé sur la déficience au sens de l’article 7 de la Loi.

[763] Le Tribunal ayant établi qu’UPS a fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Peters au sens de l’article 7, il n’est pas nécessaire qu’il parvienne à une conclusion à savoir si UPS s’est livrée à du harcèlement fondé sur la déficience, au sens de l’article 14 de la Loi puisque les mêmes actes et omissions d’UPS sont en cause.

(x) Conclusion concernant l’article 3.1 de la Loi

[764] Il semble très probable que l’inaction d’UPS à l’égard des allégations de harcèlement sexuel formulées par Mme Peters ait été exacerbée par le fait qu’UPS percevait Mme Peters comme une employée difficile ayant un problème d’absentéisme chronique. Il ressort clairement de la preuve que, dans son évaluation des problèmes survenus sur ses lieux de travail, UPS n’a pas fait de distinction entre la question de la déficience et de l’absentéisme chronique et la question de savoir si Mme Peters avait été victime de harcèlement sexuel. Par conséquent, le Tribunal conclut que les actes discriminatoires commis par UPS comprennent des actes fondés sur l’effet combiné de plusieurs motifs de distinction illicite, c’est-à-dire la déficience et le sexe, au sens de l’article 3.1 de la Loi.

XV. UPS est-elle responsable de la discrimination fondée sur la déficience?

[765] UPS invoque le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) en réponse à la conclusion du Tribunal selon laquelle ses employés ont fait preuve à l’égard de Mme Peters de discrimination fondée sur la déficience. UPS prétend également que Mme Peters avait l’obligation légale de l’aviser qu’elle estimait être victime de discrimination fondée sur la déficience.

[766] UPS affirme qu’elle n’avait aucunement connaissance que Mme Peters était victime de discrimination. Elle attribue cette non-connaissance au fait que Mme Peters n’a pas signalé qu’elle faisait l’objet de discrimination.

[767] L’obligation de signaler le harcèlement sexuel est née dans le contexte précis de la décision Franke, qui porte sur le harcèlement sexuel, pour les raisons mentionnées par la Cour, lesquelles ont été exposées précédemment. UPS n’a pas présenté de jurisprudence à l’appui de son argument voulant que les employés aient l’obligation de mentionner qu’ils sont victimes de discrimination lorsque celle-ci est fondée sur d’autres motifs de distinction illicite, et n’a pas autrement expliqué sur quoi elle fondait cet argument.

[768] UPS soutient que, puisqu’elle n’avait connaissance d’aucune discrimination, elle n’a pas pu consentir à la discrimination, et que le Tribunal devrait par conséquent conclure que la discrimination a eu lieu sans son consentement. En fait, l’argument d’UPS illustre l’importance de faire la distinction entre la connaissance et l’absence de consentement dans le contexte du paragraphe 65(2) de la Loi. Si un employeur pouvait être dégagé de sa responsabilité à l’égard des violations des droits de la personne commise par ses employés au motif que les gestionnaires supérieurs n’avaient pas connaissance de ce que faisaient les gestionnaires de niveau inférieur, les plaignants n’auraient guère de recours contre les employeurs intimés aux termes de la Loi.

[769] Comme il a été mentionné précédemment, UPS est responsable en application du paragraphe 65(1). Le paragraphe 65(1) de la Loi n’exige pas qu’UPS ait eu connaissance de l’acte répréhensible au moment où il a été commis pour en être tenue responsable. Quoi qu’il en soit, UPS avait connaissance des actes répréhensibles, car les gestionnaires en cause savaient ce qu’ils faisaient ou ne faisaient pas. UPS est réputée, en droit, avoir connaissance des actes et des omissions de ses gestionnaires. En l’espèce, cette situation comprend le fait que des confirmations médicales ont été fournies à ses gestionnaires à différents moments. Ils auraient dû comprendre que Mme Peters avait une déficience. La nécessité que Mme Peters soit mise en arrêt de travail pour cause de maladie pendant une période prolongée a été confirmée aux gestionnaires le 3 février 2015, tout comme la nécessité qu’elle reçoive des prestations d’invalidité de courte durée en juillet 2014 et après son départ en congé de maladie en février 2015.

[770] Pour qu’UPS puisse se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2), il aurait fallu qu’elle présente des éléments convaincants établissant que la discrimination a eu lieu sans son consentement. Les gestionnaires et les superviseurs en cause ont agi en son nom.

[771] UPS n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve ou d’arguments à l’appui de la proposition implicite contenue dans ses observations selon laquelle elle avait également pris toutes les mesures nécessaires à la fois pour empêcher que des actes discriminatoires soient commis sur ses lieux de travail et pour atténuer les effets de ces actes, comme l’exige le paragraphe 65(2).

[772] Les arguments qu’UPS a présentés dans le but d’être dégagée de sa responsabilité à l’égard de la discrimination fondée sur la déficience ne sont pas convaincants, Le Tribunal est d’avis que ses motifs et ses conclusions quant à l’interprétation du paragraphe 65(2) et à ce qu’il faut entendre par « mesures nécessaires » dans un contexte de harcèlement sexuel s’appliquent également aux allégations de discrimination fondée sur la déficience, sous réserve de toute adaptation qui pourrait être justifiée en raison d’un contexte différent. UPS n’a pas établi de défense valable au titre du paragraphe 65(2).

[773] Cette conclusion commande toutefois une mise en garde. Les motifs et les conclusions exposés précédemment en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 65(2) dans le contexte du harcèlement sexuel portent sur l’obligation de signaler le harcèlement sexuel dans le cadre de l’analyse de cet article. L’intention du Tribunal n’est pas de laisser entendre que les plaignants ont l’obligation de signaler à un employeur intimé qu’ils font l’objet de discrimination fondée sur la déficience avant d’avoir pu constituer une plainte valable; le Tribunal n’entend pas non plus créer en l’espèce un nouveau moyen de défense fondé sur une obligation de signalement qu’un employeur intimé pourrait invoquer dans la mesure où il a satisfait aux conditions relatives aux mesures nécessaires énoncées au paragraphe 65(2). Les employés ne sont pas tenus de déclarer expressément à leur employeur qu’ils estiment être victimes de discrimination avant de pouvoir déposer une plainte.

XVI. Conclusion générale quant à la responsabilité

[774] Pour les motifs exposés précédemment, le Tribunal conclut que M. Gordon a harcelé sexuellement Mme Peters, au sens du paragraphe 14(2) de la Loi. De plus, UPS a fait preuve à l’égard de Mme Peters de discrimination fondée sur la déficience, au sens des articles 7 et 3.1 de la Loi. UPS est responsable des actes et omissions de ses employés, conformément à ce que prévoit le paragraphe 65(1) de la Loi.

XVII. Disjonction

[775] Comme indiqué dans la section « Aperçu », le Tribunal a déterminé qu’il était approprié de disjoindre les questions relatives à la responsabilité de celles concernant les mesures de réparation. Une décision distincte sera rendue relativement aux questions restant à trancher en ce qui concerne les mesures de réparation.

[776] La « décision relative aux mesures de réparation » comprendra la décision du Tribunal sur la requête de Mme Peters concernant la question de savoir si le Tribunal a le pouvoir, au titre de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la Loi, d’accorder, dans le cadre d’une même plainte, des dommages-intérêts allant jusqu’à 20 000 $ pour chacun des actes discriminatoires qui, selon ses conclusions, ont été commis.

Signée par

Kathryn A. Raymond, Q.C.

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 15 août 2022


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2201/2317

Intitulé de la cause : Tesha Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Linden Gordon

Date de la décision du Tribunal : Le 15 août 2022

Date et lieu de l’audience : Du 8 au 11 septembre, les 14 et 15 septembre, du 2 au 5 novembre, les 12 et 13 novembre 2020; les 26 et 27 janvier et les 17 et 18 février 2021

Par vidéoconférence

Comparutions :

Laura Lepine, David Baker et Claire Budziak, pour la plaignante

Sasha Hart et Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Seann McAleese, pour United Parcel Service Canada Ltd.

Linden Gordon, pour son propre compte

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