Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 34

Date : le 19 octobre 2022

Numéro du dossier : T2570/12720

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Shawna Wilson

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque de Nouvelle-Écosse

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Kathryn A. Raymond, c.r.

 



I. Aperçu des décisions

[1] Le Tribunal rendra ici deux décisions sur requête préliminaires. La première confirme la portée actuelle des allégations contenues dans la plainte; et la seconde exige la divulgation de documents supplémentaires par la Banque de Nouvelle-Écosse.

[2] La Banque de Nouvelle-Écosse cherche à faire radier des parties de l’exposé des précisions ainsi que du résumé du témoignage prévu des témoins de Mme Wilson qui comportent des allégations liées à des faits antérieurs au 24 novembre 2014. La Banque affirme que la plainte qui a été renvoyée au Tribunal par la Commission aux fins d’instruction se limite aux allégations se rapportant à la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015. En effet, elle soutient qu’en 2017, la Commission avait décidé de traiter uniquement les allégations contenues dans la plainte qui concernaient la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015.

[3] Le Tribunal convient que les allégations visées par la plainte se limitent à celles concernant la période de 2014 à 2015. Des éléments de preuve pertinents concernant des faits survenus avant le 24 novembre 2014 pourront éventuellement être utilisés comme renseignements descriptifs, contextuels ou de fond, aux fins de l’examen des allégations liées à la période 2014-2015, et ce, dans la mesure et aux fins prévues dans la présente décision sur requête. Les questions relatives à la pertinence et à l’admissibilité d’éléments de preuve ayant trait à des faits antérieurs au 24 novembre 2014 seront tranchées en fonction du dossier de preuve et des observations présentées à l’audience. L’essentiel est que tout élément de preuve de la sorte qui serait présenté soit pertinent pour l’examen des allégations liées à la période 2014-2015.

[4] Par ailleurs, les renseignements qui sont demandés par Mme Wilson, et que la Banque de Nouvelle-Écosse doit produire, consistent en les coordonnées de témoins potentiels et en certains documents relatifs à l’utilisation du numéro d’employée de la plaignante. Dans le cas de ces documents, la Banque devra effectuer des recherches qui comprendront une recherche de documents électroniques. Le Tribunal a donné des directives préliminaires concernant les paramètres de la documentation à produire et proposé une méthodologie de recherche électronique en vue d’assurer l’efficacité et la proportionnalité de cette recherche.

II. Requête de la Banque concernant la portée de la plainte

A. Questions en litige

  • A) Quelle est la portée de la plainte renvoyée au Tribunal par la Commission?

  • B) Le Tribunal peut-il examiner les allégations relatives à des faits remontant à 2010‑2011 incluses dans l’exposé des précisions et dans le résumé du témoignage prévu de Mme Wilson?

  • C) Dans la mesure où la Commission n’a pas renvoyé les allégations liées à la période 2010-2011 au Tribunal pour instruction, le contenu contesté peut-il tout de même être examiné à d’autres fins, notamment à titre de renseignements descriptifs?

B. Faits

[5] Shawna Wilson a travaillé à la Banque de Nouvelle-Écosse à titre de représentante du service à la clientèle. Selon les allégations de la Banque de Nouvelle-Écosse (la « Banque »), Mme Wilson avait été impliquée dans des irrégularités procédurales contraires au Code d’éthique de la Banque et, par conséquent, avait été congédiée. Pour sa part, Mme Wilson soutient que son congédiement était fondé sur des motifs illicites de discrimination, en particulier sa situation de famille ou son état matrimonial, sa race ou sa couleur, et sa déficience. Dans la présente affaire, le Tribunal devra décider si l’une ou l’autre de ces caractéristiques protégées a été un facteur dans le congédiement de Mme Wilson.

[6] Lorsque les plaignants déposent une plainte auprès de la Commission, ils doivent indiquer la « date de la discrimination présumée ». Mme Wilson a déposé sa plainte à la Commission le 18 janvier 2016. Elle y mentionnait deux périodes : 1) la période d’avril 2010 à avril 2011, qui se rapporte à des allégations de harcèlement fondé sur la race; et 2) la période de novembre 2014 à janvier 2015, qui concerne à la fois une enquête prétendument discriminatoire sur des actes de fraude et un licenciement qui serait fondé sur la race, la déficience, l’état matrimonial et la situation de famille.

[7] Bien que la plainte mentionnait la période d’avril 2010 à avril 2011 comme première période de discrimination présumée, la description détaillée des allégations qui y figurait faisait référence à des dates quelque peu différentes. L’exposé factuel de la plainte décrit également des événements qui se sont produits après que Mme Wilson soit partie en congé d’invalidité en avril 2011. Mme Wilson soutient que, pendant qu’elle était en congé, ses gestionnaires l’avaient harcelée au sujet de son congé de maladie et lui avaient dit qu’elle devrait retourner au travail, faute de quoi elle serait licenciée. Elle affirme que ses gestionnaires avaient dit à l’assureur-invalidité qu’elle simulait son invalidité, ce qui avait entraîné un retard dans la réception des prestations. Mme Wilson dit avoir reçu une lettre de cessation d’emploi en septembre 2011, lettre qui a par la suite été annulée par la Banque après que Mme Wilson a retenu les services d’un avocat. Il semble que cette question ait été résolue en octobre 2011. Mme Wilson affirme ensuite dans sa plainte qu’à son retour au travail en novembre 2014, la Banque l’a accueillie avec une enquête discriminatoire suivie d’un congédiement. Le reste de la plainte traite de ce qui s’est produit après son retour au travail à la suite du congé de maladie.

C. Contexte juridique

[8] La Commission a le pouvoir, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « Loi ») d’écarter une plainte en partie ou en totalité, ce qui comprend le pouvoir d’écarter les plaintes déposées plus d’un an après les actes ou les omissions en cause.

[9] La Commission a décidé, en vertu du paragraphe 41(1), d’écarter la partie de la plainte de Mme Wilson concernant des faits qui auraient eu lieu en 2010-2011. Elle a ainsi rendu une décision selon laquelle, pour les motifs ci-après, elle examinerait seulement les allégations contenues dans la plainte qui se rapportaient à la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015 :

[Traduction]

[…] les allégations qui se rapportent à la période allant de mi-2010 à octobre 2011 reposent sur des actes qui se sont produits plus d’un an avant que la plainte ne soit déposée, et qui sont distincts et indépendants des autres faits allégués; la plaignante n’a d’ailleurs pas fourni d’explication raisonnable pour le retard dans le dépôt.

La Commission a donc tiré les importantes conclusions suivantes : 1) la plainte, qui a été déposée en janvier 2016, ne l’a pas été dans l’année suivant les faits survenus en 2010-2011; 2) il s’est écoulé près de quatre ans et demi entre octobre 2011 et janvier 2016, date du dépôt de la plainte concernant les faits en question, et la plaignante n’a fourni aucune explication raisonnable pour ce dépôt tardif; 3) les faits allégués les plus anciens ont été jugés [traduction] « distincts et indépendants des autres faits allégués »; et 4) la Commission a écarté les allégations se rapportant à la période allant de la mi-2010 à octobre 2011.

[10] La décision de la Commission ci-dessus mentionnée (la « décision fondée sur le paragraphe 41(1) ») a été communiquée aux parties dans une lettre datée du 8 août 2017. Par la suite, la Commission a mené une enquête et a examiné seulement les allégations se rapportant à la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015. Pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer ici, le personnel de la Commission a par la suite préparé un rapport aux fins de décision et un rapport supplémentaire aux fins de décision qui traitaient seulement des allégations de 2014‑2015 (alors que, normalement, un seul rapport serait préparé).

[11] C’est une formation de commissaires de la Commission qui, en définitive, décide des affaires qui seront renvoyées au Tribunal pour instruction. Après avoir examiné les deux rapports, le Conseil a ainsi décidé, le 18 novembre 2020, de renvoyer la plainte au Tribunal (la « décision de renvoi »), puis il a mis à exécution cette décision vertu du pouvoir que lui accorde le paragraphe 44(3) de la Loi.

[12] Cette décision de renvoi a été transmise au Tribunal par une lettre datée du 23 novembre 2020 (la « lettre de renvoi »), à laquelle un [traduction] « Compte rendu de décision » était joint. Celui-ci comprenait trois documents : 1) la décision de renvoi; 2) un formulaire [traduction] « Résumé de la plainte modifié » qui indiquait que la période visée par l’allégation de discrimination allait du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015; 3) le formulaire [traduction] « Résumé de la plainte » original, mentionné ci-dessus, qui indiquait que la prétendue discrimination aurait eu lieu d’avril 2010 à avril 2011, puis de novembre 2014 à janvier 2015.

[13] À la suite du renvoi au Tribunal, les parties étaient tenues de déposer des exposés des précisions dans le cadre du processus de divulgation du Tribunal. Au paragraphe 2 de son exposé des précisions, Mme Wilson fait référence aux allégations de 2010-2011. À ce paragraphe, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Au cours de son emploi, Mme Wilson a été constamment harcelée en raison de sa race par sa gestionnaire, Mme Lamanna. À cause de ce harcèlement, Mme Wilson a pris un congé d’invalidité pour dépression chronique et anxiété en avril 2011 ou autour de cette date. Pendant son congé d’invalidité, Mme Lamanna et le directeur de la succursale (M. Nelson) ont continué de harceler Mme Wilson en l’appelant et en lui disant de revenir au travail, sans quoi elle serait congédiée. Mme Lamanna et M. Nelson ont également signalé à l’assureur que Mme Wilson « feignait » son invalidité, ce qui a entraîné un retard important dans le versement à Mme Wilson de ses prestations d’invalidité.

[14] Au paragraphe 2 du résumé de son témoignage prévu, Mme Wilson indique qu’elle entend présenter des éléments de preuve concernant le harcèlement qu’elle aurait subi en 2010-2011. Elle dit également avoir l’intention de déclarer que le harcèlement qu’elle a subi s’est poursuivi pendant la période de 2011 à 2014, alors qu’elle était en congé d’invalidité.

D. Positions des parties

Position de l’intimée concernant la portée de la plainte

[15] La Banque soutient que la plainte renvoyée par la Commission au Tribunal pour instruction se limite à la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015, suivant la décision, rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1), d’écarter les allégations de 2010-2011 et de tenir compte seulement de la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015. La Banque demande que le contenu du paragraphe 2 de l’exposé des précisions ainsi que du paragraphe 2 du résumé du témoignage prévu de Mme Wilson soit radié afin que ces documents ne traitent que des allégations se rapportant à la période de novembre 2014 au 19 janvier 2015. La Banque laisse entendre que, si cette mesure était accordée, il ne serait pas permis à Mme Wilson de soulever des allégations relatives à des faits antérieurs.

[16] La Banque a déposé une réplique pour préciser qu’elle convient expressément de la pertinence des faits qui sont survenus avant 2014, et qui expliquent ce qui a mené à l’enquête de la Banque et au congédiement de Mme Wilson. Ces faits comprennent, selon la banque, l’accès allégué de Mme Wilson à des renseignements pertinents sur les clients en 2009. L’objection de la Banque a trait à la prise en compte d’allégations selon lesquelles, avant 2014, la Banque aurait fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Wilson ou se serait livrée à du harcèlement à son encontre pour des motifs discriminatoires. Il s’agit notamment des allégations précises relatives à la période de 2010 à 2011 que Mme Wilson a incluses dans sa plainte, son exposé des précisions et le résumé de son témoignage prévu déposés dans le cadre de la présente instance. La Banque s’oppose également à l’ajout de ce qu’elle qualifie de [traduction] « nouvelles » allégations de discrimination de la part de Mme Wilson concernant des faits qui, selon Mme Wilson, se sont produits après octobre 2011, alors qu’elle était en congé d’invalidité, et avant son retour au travail en 2014.

[17] La Banque affirme n’avoir conservé aucune preuve concernant les faits de 2010‑2011 parce que Mme Wilson n’a pas contesté la décision de la Commission d’écarter cette partie de sa plainte. La Banque soutient qu’elle subirait un préjudice si la présentation d’allégations datant de plus de 10 ans était maintenant autorisée, dans les circonstances de l’espèce.

[18] Les observations de la Banque ont été pleinement prises en compte. S’il n’est pas nécessaire de toutes les reprendre ici, le Tribunal en abordera ci‑dessous les points saillants, notamment deux décisions importantes sur lesquelles la Banque s’est appuyée : Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), [2014] C.F. 139 (CanLII) [Murray] et Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22 (CanLII) [Kowalski].

Position de la plaignante en réponse

[19] Mme Wilson présente essentiellement trois arguments à l’appui de sa position selon laquelle la requête de la Banque devrait être rejetée. Le premier est que le Tribunal dispose de [traduction] « vastes pouvoirs pour instruire et modifier les plaintes ». Elle affirme que le Tribunal peut exercer ce pouvoir dans l’intérêt de l’équité procédurale, et qu’il n’est pas lié par une décision de la Commission quant à la période visée par la plainte. Plus précisément, elle fait valoir que le Tribunal n’est pas tenu de suivre une décision de la Commission concernant une question de retard, et elle cite à cet effet la décision Dumont c. Transport Jeannot Gagnon, 2001 CanLII 38314 (TCDP) [Dumont], aux paragraphes 11 à 13. Mme Wilson laisse entendre que le même principe s’appliquerait à la décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1) quant à la période visée par la plainte. Elle avance en outre que le Tribunal a le pouvoir de modifier une plainte après le renvoi et d’instruire des éléments de preuve connexes lorsque l’équité l’exige.

[20] Le deuxième argument de Mme Wilson est que le Tribunal devrait hésiter à radier du contenu de l’exposé des précisions d’une partie, étant donné : 1) qu’il n’a pas encore entendu les témoignages, et 2) que la Loi devrait être interprétée de façon large et en fonction de l’objet visé, afin de donner plein effet au droit des personnes de vivre une vie exempte de discrimination.

[21] Le troisième argument de Mme Wilson est que, comme elle l’allègue dans son exposé des précisions et dans le résumé de son témoignage prévu, la conduite reprochée relevait d’un problème de discrimination systémique à la Banque. Or selon elle, les allégations qui permettent de situer les circonstances et le contexte jouent un rôle important dans les affaires de discrimination systémique. Elle cite le paragraphe 110 de la décision Richards c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 27 (CanLII) [Richards], pour appuyer la proposition selon laquelle le Tribunal est autorisé à examiner des éléments de preuve de nature systémique pour décider si un plaignant a subi de la discrimination. Mme Wilson souligne en outre qu’au paragraphe 107 de la décision Richards, le Tribunal a reconnu que les allégations de discrimination systémique sont « réputées être difficiles à prouver et ont souvent un caractère continu », ce qui rend encore plus évidente l’importance de tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents.

[22] Mme Wilson avance que des allégations de discrimination systémique ne devraient pas être radiées « lorsqu’elles sont suffisamment liées à la trame des plaintes pour se situer dans la portée de l’instruction ». Au paragraphe 5 de ses observations relatives à la requête, Mme Wilson établit comme suit le lien entre les faits de 2010-2011 et la période de 2014‑2015 visée par la plainte :

[Traduction]

5. […] Après que Mme Wilson a été harcelée, puis mise en congé d’invalidité en avril 2011, son interaction directe suivante avec l’intimée au sujet de son emploi a été l’interrogatoire/la cessation d’emploi de novembre 2014. Ces deux événements sont nécessairement liés l’un à l’autre, en raison de la culture qui régnait au sein de l’institution intimée avant 2014 — une culture qui, selon Mme Wilson, se caractérise par une discrimination institutionnalisée. Mme Wilson affirme que son témoignage sur la période antérieure à 2014 influencera la décision du Tribunal en ce qui a trait à la question de savoir s’il y a eu discrimination — et quelle en était la virulence — au cours de la période de 2014 à 2015. C’est une preuve qui doit être instruite.

6. Mme Wilson soutient qu’agir autrement reviendrait à ignorer le mot « systémique » dans l’expression « racisme systémique ». Si un demandeur ne peut pas aborder l’historique des événements pour mettre en contexte des exemples plus récents de discrimination fondée sur des motifs interreliés, alors le concept même de racisme systémique n’est d’aucune utilité réelle pour des demandeurs comme Mme Wilson, et ne signifie rien pour le Tribunal.

[23] Mme Wilson fait valoir que, si le Tribunal n’inclut pas les éléments de preuve et les allégations concernant les faits de 2010-2011 dans son évaluation de la responsabilité, sa décision sera sérieusement viciée relativement aux questions de savoir s’il y a eu discrimination en 2014-2015, et si la discrimination est systémique au sein de la Banque.

[24] En plus des arguments qui précèdent, Mme Wilson souscrit à la partie des observations de la Commission qui porte sur le droit et la reprend à son compte.

Position de la Commission en réponse

[25] La Commission a formulé comme suit les questions à trancher dans la présente requête : 1) compte tenu de la teneur générale de l’exposé des précisions de la plaignante, le contenu contesté devrait-il être radié?; et 2) le contenu en cause tient-il lieu de renseignements sur les circonstances et le contexte, ou s’agit-il d’allégations essentiellement nouvelles? La Commission fait valoir que les dates indiquées dans la plainte n’empêchent pas l’examen d’éléments de preuve concernant des faits antérieurs ou postérieurs à la période expressément mentionnée. Comme Mme Wilson, la Commission fait valoir qu’en l’absence d’un dossier de preuve complet, il est prématuré pour l’intimée de s’opposer à la présentation d’éléments de preuve concernant des faits survenus en dehors de la période visée par la plainte. Aux dires de la Commission, le contenu contesté consiste en des paragraphes d’introduction qui aident à expliquer ce qui a pu conduire aux faits de la période de 2014-2015 qui, à leur tour, ont mené au congédiement prétendument discriminatoire de Mme Wilson. La Commission prie instamment le Tribunal de ne pas lire ce contenu de manière isolée.

[26] En citant en appui les paragraphes 48.9(1) et 48.9(2) et les articles 49 et 50, la Commission plaide en outre que la Loi confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour instruire les plaintes. La Commission invoque à cet égard la décision Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34 (CanLII), au paragraphe 14, citant Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 [Parent], comme fondement du principe selon lequel le Tribunal a le pouvoir de modifier les plaintes.

[27] La Commission accorde également une grande importance à la décision Richards, qui, selon elle, résume les principes clés issus de la jurisprudence. Elle indique ainsi implicitement que les décisions faisant jurisprudence en la matière sont les décisions Carpenter c. La Ligue navale du Canada, 2015 TCDP 8 (CanLII), au paragraphe 40; AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33 (CanLII); Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6 (CanLII); Desmarais c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 5 (CanLII), aux paragraphes 55 et 56; Sugimoto c. Banque Royale du Canada, 2006 TCDP 2 (CanLII); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, aux paragraphes 141 et 142; Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6 (CanLII) [Casler]; Parent, au paragraphe 30; Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7 (CanLII), aux paragraphes 29 et 30; et Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1 (CanLII), au paragraphe 9. Dans ces affaires, le Tribunal a eu pour principe, notamment, de ne pas radier les affirmations de fait pertinentes par rapport à la plainte.

[28] En ce qui a trait à la question de la pertinence, la Commission affirme que la plainte doit présenter un fondement factuel qui établit un lien raisonnable avec le contenu de l’exposé des précisions. Il ne peut s’agir d’une toute nouvelle allégation qui n’a de lien raisonnable avec aucun élément de la plainte, et qui, par conséquent, constitue une nouvelle plainte. Comme il a été énoncé au paragraphe 7 de la décision Casler, le Tribunal doit s’assurer qu’il existe un lien avec les allégations ayant donné lieu à la plainte originale et que cela n’outrepasse pas le mandat conféré à la Commission, en vertu de la Loi, en ce qui a trait au renvoi. Autrement dit, la décision concernant la portée ou les modifications ne peut pas introduire une plainte fondamentalement nouvelle, qui n’a pas été examinée par la Commission.

[29] La Commission soutient par ailleurs que la décision Murray invoquée par la Banque est distincte et ne s’applique pas à la présente requête, car le contenu contesté en l’espèce se veut une preuve descriptive et contextuelle.

E. Analyse et conclusions

Introduction

[30] Pour le Tribunal, les aspects de la plainte qui ne sont pas controversés dans la présente requête sont très pertinents aux fins de la formulation des questions à trancher et de sa décision sur requête concernant la portée de la plainte. Ils sont également pertinents aux fins de décider de l’applicabilité et de l’utilité de la jurisprudence présentée.

Aspects qui ne sont pas controversés

[31] Il n’est pas contesté que la Commission a le pouvoir d’écarter la totalité ou une partie d’une plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi. Il n’est pas contesté non plus que les allégations se rapportant à la période de la mi-2010 à octobre 2011 ont été écartées par la Commission. Le 8 août 2017, la Commission a rendu une décision définitive et exécutoire en ce sens en vertu du paragraphe 41(1). Mme Wilson n’affirme pas le contraire : ses observations ont plutôt trait à l’équité; au pouvoir du Tribunal d’autoriser l’inclusion, dans la plainte, de ce que la Commission a écarté; et à la portée de la preuve requise pour permettre au Tribunal de trancher les questions soulevées dans la plainte, y compris les questions de discrimination systémique.

[32] Il se peut que des requêtes visant à clarifier la portée d’une plainte soient présentées parce que, compte tenu de l’historique de la plainte, il existe une ambiguïté quant aux questions renvoyées au Tribunal. Le Tribunal a déjà statué que, lorsqu’il doit tenir compte de l’historique d’une plainte aux fins d’une requête visant à déterminer la portée de celle-ci, ce sont les décisions officielles et exécutoires de la Commission qui constituent l’historique de la plainte : Jorge c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 25 (CanLII), au paragraphe 225. Les décisions officielles de la Commission comprennent, par exemple, les décisions fondées sur le paragraphe 41(1) et celles concernant les questions renvoyées au Tribunal. Dans la présente affaire, aucune ambiguïté n’a été relevée au sujet du contenu des décisions de la Commission pour ce qui est des questions renvoyées au Tribunal ou d’autres aspects de l’historique de la plainte. Par exemple, dans ses observations, la Commission n’a pas tenté d’établir l’existence de quelque ambiguïté que ce soit au sujet des questions qu’elle a renvoyées au Tribunal.

Répercussions sur les arguments juridiques

[33] Certaines des décisions antérieures invoquées par la Commission et Mme Wilson portaient sur des ambiguïtés ayant été soulevées au sujet de questions renvoyées au Tribunal compte tenu de l’historique de la plainte. Vu qu’aucune ambiguïté n’est alléguée en l’espèce, ces décisions antérieures ont une pertinence limitée. Elles n’ont rien à voir avec les circonstances principales de l’espèce.

[34] La Commission et Mme Wilson invoquent également une jurisprudence selon laquelle il est permis de modifier une plainte si le nouveau contenu proposé entretient un lien avec la plainte et s’inscrit donc dans le cadre de celle-ci. La Commission reconnaît qu’il y a lieu d’établir une distinction entre pareil contenu et des allégations qui, de fait, constituent une nouvelle plainte, ce qui n’est pas permis. Dans ce dernier cas, la jurisprudence établit clairement que les parties ne sont pas autorisées à contourner le processus de renvoi de la Commission.

[35] Exerçant par là son pouvoir discrétionnaire à l’égard des renvois, la Commission a rendu, en vertu du paragraphe 41(1), une décision sur le contenu contesté en l’espèce. Les observations de la Commission sont axées sur l’état du droit relatif aux modifications dans des affaires où il n’existe aucune décision pertinente préexistante par laquelle la Commission se serait expressément prononcée sur le contenu d’une modification proposée. L’affaire Casler avait trait à une décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1). Toutefois, cette décision a été infirmée par la suite à l’issue de contrôles judiciaires, suivis du renvoi par la Commission d’une plainte à la portée plus large. Par conséquent, dans cette affaire, aucune décision exécutoire fondée sur le paragraphe 41(1) n’avait imposé de limite à l’aspect temporel de la plainte. Les observations de la Commission n’expliquent pas : 1) pourquoi Mme Wilson devrait être autorisée à contourner la décision fondée sur le paragraphe 41(1) ainsi que le processus de renvoi de la Commission; ni 2) pourquoi Mme Wilson devrait être autorisée à ressusciter de [traduction] « vieilles » allégations ayant déjà été jugées « distinctes et indépendantes » des allégations relatives à 2014-2015, puis rejetées par la Commission.

Reformulation des questions en litige

[36] En tout respect, la question qui se pose n’est pas celle de savoir si le contenu contesté de l’exposé des précisions de la plaignante devrait être radié compte tenu de la teneur générale de l’exposé des précisions. Une telle approche fait abstraction de l’existence de la décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1).

[37] La question n’est pas non plus, comme le laisse entendre la Commission, celle de savoir si le contenu en cause représente des renseignements descriptifs et contextuels ou s’il s’agit d’allégations essentiellement nouvelles. Il est faux de prétendre que l’on cherche à inclure ce contenu uniquement à des fins contextuelles. Selon la description qu’en fait Mme Wilson, le contenu contesté correspond à [traduction] « [d]es allégations qui permettent de situer les circonstances et le contexte […] dans les affaires de discrimination systémique » (non souligné dans l’original). Mme Wilson soutient que ce contenu se rapporte à un problème de discrimination systémique à la Banque, et qu’il est à ce point important que son omission rendrait la décision du Tribunal sérieusement viciée. Mme Wilson demande donc que la requête présentée par la Banque à l’encontre du contenu contesté soit rejetée dans son intégralité, et qu’il soit ainsi permis de conserver ce dernier et de l’utiliser à toutes fins utiles, notamment pour la détermination de la responsabilité. Le Tribunal en conclut que l’inclusion du contenu en cause est demandée principalement aux fins de l’établissement de la responsabilité. La question n’est pas davantage, comme le prétend la Commission, celle de savoir si le contenu contesté représente des allégations essentiellement nouvelles. La Commission s’est déjà prononcée sur celui-ci dans sa décision fondée sur le paragraphe 41(1).

[38] Seul le contenu faisant référence à la période de transition allant d’octobre 2011 à novembre 2014 peut être considéré comme « nouveau ». Il n’en était pas question dans la plainte de Mme Wilson. Quoi qu’il en soit, dans le résumé du témoignage prévu de celle-ci, cette période est simplement mentionnée, sans aucune précision sur les faits qui se seraient produits ni sur leur pertinence potentielle quant aux allégations liées à la période 2014-2015. À défaut de précisions de la part de Mme Wilson, le Tribunal n’est pas en mesure de conclure que de nouvelles allégations se rapportent à cette période ni d’évaluer leur pertinence par rapport à la plainte existante, telle que renvoyée au Tribunal.

[39] Comme il a été énoncé au début de la présente décision, les questions en litige en l’espèce sont adéquatement reformulées de la manière suivante :

  • 1) Quelle est la portée de la plainte renvoyée au Tribunal par la Commission?

  • 2) Le Tribunal peut-il examiner les allégations contestées relatives à la période 201‑2011?

  • 3) Dans la mesure où les faits de 2010-2011 ne faisaient pas partie de la plainte renvoyée au Tribunal par la Commission, ceux-ci peuvent-ils tout de même être examinés à d’autres fins, notamment à titre de renseignements descriptifs?

La décision Murray est pertinente

[40] Comme il a été mentionné, la Commission et Mme Wilson soutiennent que l’affaire Murray citée par la Banque devrait être distinguée de l’espèce, et qu’elle est inapplicable. Le Tribunal estime au contraire que la décision Murray est plus pertinente que d’autres décisions invoquées dans le cadre de la présente requête.

[41] Dans la décision Murray, la Cour fédérale avait procédé au contrôle judiciaire de la décision de la Commission de rejeter une plainte. La Cour avait décidé, sur la base du consentement des parties à une telle ordonnance, de renvoyer deux questions à la Commission pour une enquête plus approfondie. La Commission avait par la suite renvoyé la plainte au Tribunal en utilisant des termes larges. Le libellé du renvoi ne précisait pas que la plainte avait été restreinte aux deux questions mentionnées ci-dessus. Un différend a donc été soulevé auprès du Tribunal au sujet de la portée de la plainte. À l’issue du contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal sur cette question, la Cour fédérale a conclu que seules les allégations relatives aux deux questions qu’elle avait renvoyées à la Commission pouvaient être renvoyées au Tribunal. Dans la décision Murray, la Cour a déclaré que « la lettre [de renvoi] de la Commission ne peut être dissociée du long historique de la plainte et du contexte dans lequel le Tribunal a été saisi de la plainte de M. Murray ». Le « long historique [et le] contexte » visés renvoyaient à la décision antérieure de la Cour fédérale selon laquelle le Tribunal n’était saisi que de deux questions et, par conséquent, seules deux questions pouvaient lui être renvoyées. Autrement dit, dans l’affaire Murray, l’historique de la plainte était pertinent. Et cet historique pertinent qu’il convenait de prendre en compte était la décision antérieure de la Cour fédérale de renvoyer deux questions à la Commission pour réexamen.

[42] De même, l’historique de la plainte est pertinent en l’espèce. Cet historique est la décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1). L’affaire Murray et la présente affaire ont en commun une précédente décision exécutoire, qui doit être respectée. La décision Murray est utile au Tribunal pour déterminer la portée de la plainte dont il est saisi, car la Cour, dans Murray, avait traité de ce qui ne relevait pas de la compétence de la Commission dans cette affaire.

[43] Dans la jurisprudence à laquelle la Commission et Mme Wilson se reportent, il n’est pas question de décisions antérieures de la Commission de ne pas autoriser l’instruction d’éléments d’une plainte. On n’y trouve aucun précédent où la Commission aurait décidé de ne pas renvoyer au Tribunal une partie du contenu d’une plainte. Cette jurisprudence n’est donc pas particulièrement utile au Tribunal.

Le point essentiel

[44] Le Tribunal croit comprendre que, selon Mme Wilson, le Tribunal dispose du pouvoir discrétionnaire de modifier sa plainte malgré la décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1). Mme Wilson insiste sur le fait que le Tribunal doit examiner les allégations concernant les faits survenus en 2010-2011 afin de constater qu’il y a eu discrimination pendant cette période, pour ensuite conclure également à la responsabilité de l’intimée pour la période 2014-2015, et enfin, pour fonder une décision sur requête selon laquelle il y a eu discrimination systémique dans son cas, comme elle l’a fait valoir dans ses observations.

[45] Toutefois — et c’est là le point essentiel de la présente décision sur requête —, le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier une plainte afin d’y réintroduire du contenu que la Commission a légitimement retiré par une décision officielle rendue dans l’exercice de son pouvoir prévu par la Loi. Pour que le Tribunal ait compétence pour modifier une plainte, toute modification demandée par une partie doit porter sur un contenu que la Commission n’a pas préalablement exclu. Autrement, le Tribunal se livrerait à un contrôle de la décision de la Commission de ne pas statuer sur une partie d’une plainte en vertu du paragraphe 41(1), ce qu’il n’est pas autorisé à faire.

[46] À cet égard, le Tribunal n’est pas d’accord avec Mme Wilson quant à l’interprétation qu’elle fait de la décision Dumont. L’affaire Dumont diffère de l’espèce parce qu’elle traite du pouvoir discrétionnaire que conserve le Tribunal d’examiner une plainte une fois qu’elle lui a été renvoyée pour instruction. Par contraste, Mme Wilson demande au Tribunal de tenir compte d’allégations qui ont été expressément écartées et rejetées par la Commission. Il s’agit d’une décision qui met fin à l’affaire, plutôt que d’une décision de la Commission selon laquelle l’affaire doit aller de l’avant.

[47] Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’examiner la manière dont la Commission choisit d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner la totalité ou une partie d’une plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, que ce soit pour des raisons de retard, d’équité ou pour toute autre raison. En bref, les motifs invoqués par Mme Wilson en faveur de la modification de la plainte pour y réintroduire le contenu que la Commission a écarté ne peuvent être validement pris en compte par le Tribunal. Le Tribunal n’a pas compétence pour modifier ainsi la plainte.

[48] À cet égard, il est très important de noter que Mme Wilson tente maintenant de présenter une nouvelle fois les mêmes arguments que ceux qui figuraient dans sa plainte initiale concernant la période d’avril 2010 à octobre 2011. Les allégations d’actes de harcèlement datant d’avant son retour au travail en 2014 qui étaient contenues dans la plainte initiale sont décrites plus en détail aux paragraphes 7 à 14. Il y est principalement question du présumé harcèlement fondé sur la race dont elle aurait été victime de la part de ses gestionnaires, harcèlement qui aurait donné lieu à une invalidité pour laquelle elle avait dû prendre congé du travail, après quoi il y avait eu ingérence à caractère discriminatoire dans son congé de maladie et à l’égard de ses prestations. Mme Wilson explique aussi plus loin, aux paragraphes 20 à 23 de sa plainte initiale, la pertinence des allégations relatives aux faits antérieurs et la nature continue de ses allégations. Les principaux points qu’elle soulève sont soulignés ci-dessous :

[Traduction]

20. Mme Wilson a été congédiée et « ciblée » par la Banque de Nouvelle‑Écosse pour une série de motifs interreliés, soit son congé d’invalidité, sa race et l’identité de son ancien conjoint de fait, en contravention du paragraphe 3(1) et des alinéas 7a) et 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

21. Premièrement, Mme Wilson a été victime de harcèlement dans le cadre de son emploi en raison de sa race. Ce harcèlement de longue date a été toléré par M. Nelson.

22. Deuxièmement, Mme Wilson a été harcelée pendant son congé d’invalidité. Cette invalidité a été aggravée par le fait que Mme Lamanna et M. Nelson lui ont téléphoné pour lui dire de retourner au travail, faute de quoi elle serait congédiée; par le retard dans le versement de ses prestations d’assurance-invalidité; et par la découverte que ce retard était directement attribuable au fait que Mme Lamanna et M. Nelson avaient déclaré à l’assureur que Mme Wilson « feignait ».

23. Au cours du dernier incident déterminant, la Banque de Nouvelle-Écosse a convoqué Mme Wilson à une réunion pour discuter de son retour au travail, et a profité de cette rencontre pour l’accuser de fraude, sans preuve ni préavis. Ces allégations étaient fondées uniquement sur l’identité du conjoint de fait de Mme Wilson, qui, à l’insu de Mme Wilson, avait été accusé de fraude au criminel.

24. Le désir de la Banque de Nouvelle-Écosse de « se débarrasser » de Mme Wilson avait déjà été clairement établi par la façon dont celle-ci avait été traitée en cours d’emploi et pendant son congé d’invalidité. La Banque de Nouvelle-Écosse s’est servie de ces allégations non fondées de fraude comme prétexte pour mettre fin à son emploi, au lieu de prendre des mesures d’adaptation visant son retour au travail. [Non souligné dans l’original.]

[49] Les allégations concernant des actes de harcèlement qui auraient eu lieu avant et pendant le congé de maladie de Mme Wilson, jusqu’en octobre 2011, ont été écartées par la Commission. L’exposé des précisions et le résumé du témoignage prévu de Mme Wilson ne contiennent rien de vraiment nouveau à cet égard, à l’exception de l’ajout de l’allégation se rapportant à la période d’octobre 2011 à 2014, pour laquelle aucun détail ou renseignement de fond n’est fourni. Le Tribunal n’a pas compétence pour décider s’il convient de retenir ou non des allégations que la Commission a expressément exclues de l’examen de la plainte, dans une décision qui n’a pas été contestée en 2017 et qui est devenue définitive. Il en est ainsi, même à supposer que la Commission ait rendu une décision déraisonnable. Le Tribunal n’a pas compétence pour modifier ce résultat.

Répercussions quant à l’allégation de discrimination systémique

[50] Avant de clore la question de savoir si les allégations de la période 2010‑2011 sont incluses dans la portée de la plainte, il convient de formuler quelques commentaires supplémentaires sur l’affirmation de Mme Wilson selon laquelle il s’agit en l’espèce d’une plainte pour discrimination systémique. Il n’y a aucune mention expresse de discrimination systémique dans la plainte de Mme Wilson, ni dans son exposé des précisions ou le résumé de son témoignage prévu, comme c’est le cas dans les observations qu’elle a déposées aux fins de la présente requête. Toutefois, en ce qui concerne les passages soulignés des paragraphes 20 à 23 tirés de sa plainte initiale, ci-dessus, Mme Wilson a fait valoir des éléments qui pourraient constituer un fondement général à une plainte pour discrimination systémique, ou des aspects de la discrimination systémique. Elle affirme que le désir de la Banque de se débarrasser d’elle a été établi en 2010-2011; que le traitement qu’on lui a réservé au moment de son retour au travail était un [traduction] « incident déterminant »; et que des motifs interreliés sous-tendaient la discrimination qu’elle aurait subie. Le Tribunal tient à préciser qu’il ne rendra aucune décision, dans les présents motifs, au sujet de la discrimination systémique. Il est entendu que Mme Wilson souhaite que le Tribunal tire une conclusion de discrimination systémique continue en se basant sur une combinaison des allégations liées aux périodes de 2010-2011 et de 2014-2015, ou sur l’allégation selon laquelle la discrimination (fondée sur des motifs différents, mais interreliés) se serait poursuivie au cours de la période de 2010 à 2015.

[51] Avant de rendre sa décision fondée sur le paragraphe 41(1), la Commission a eu l’occasion d’enquêter sur les faits. Elle semble en avoir conclu que la discrimination qui aurait été exercée en 2010-2011 avait pris fin en octobre 2011. D’après le dossier dont le Tribunal dispose, cette conclusion s’explique peut-être par le fait que les prétendues mesures discriminatoires que la Banque aurait prises relativement à l’invalidité de Mme Wilson paraissaient avoir cessé, ou avoir été corrigées, en octobre 2011. Il a peut-être semblé à la Commission que Mme Wilson était simplement restée en congé d’invalidité après octobre 2011. Mme Wilson n’a pas déposé de plainte dans le délai prévu par la Loi qui, en l’occurrence, prenait fin en octobre 2012. Dans sa plainte, Mme Wilson n’a pas allégué qu’il y avait eu d’autres interactions à caractère discriminatoire entre elle et la Banque jusqu’au moment de son retour au travail.

[52] La Commission a également eu l’occasion d’examiner les allégations relatives aux faits de 2014-2015 en même temps que celles se rapportant à la période de 2010-2011. C’est là un point important. Comme il a été mentionné, la Commission a conclu, dans sa décision fondée sur le paragraphe 41(1), que les faits allégués les plus anciens étaient [traduction] « distincts et indépendants des autres faits allégués ». Elle est arrivée à cette conclusion après avoir, selon toute probabilité, examiné les deux ensembles d’allégations contenus dans la plainte. La Commission a sans doute cherché à savoir si la discrimination alléguée s’était poursuivie entre 2011 et 2014 — moment du retour au travail de Mme Wilson — et si elle avait continué par la suite, car il s’agit là d’une question de fait fondamentale dans le cas où une plainte peut avoir été déposée hors délai.

[53] Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, la décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1) — qui repose sur sa conclusion selon laquelle les faits allégués les plus anciens sont distincts et indépendants des autres faits ultérieurs allégués — a pour effet concret d’établir que la présente plainte, telle qu’elle a été déposée, avec toutes les allégations de discrimination qui y sont formulées, ne met pas en cause une discrimination systémique qui se serait poursuivie pendant toute la période de 2010 à 2015. Le Tribunal n’est pas libre de décider, aux fins de l’établissement de la responsabilité, que les faits allégués les plus anciens ne sont pas distincts et indépendants des faits allégués relatifs à la période 2014-2015. Car il se trouverait ainsi à conclure que la discrimination alléguée, systémique ou non, avait un caractère connexe et continu, ce qui irait à l’encontre de la décision fondée sur le paragraphe 41(1). Encore une fois, même en supposant qu’elle soit déraisonnable, cette décision est une décision définitive, et le Tribunal n’a pas compétence pour la modifier.

[54] Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune allégation de discrimination systémique ne peut être formulée pour la période qui est définie dans la plainte renvoyée au Tribunal, et qui est ainsi permise. La décision de la Commission a plutôt pour conséquence d’empêcher toute éventuelle déclaration de responsabilité de l’intimée à l’égard d’une discrimination systémique qui se rapporterait à l’entièreté de la période de 2010 à 2015. Car en effet, cette décision oblige le Tribunal à ne pas considérer les allégations concernant les faits de 2010-2011 formulées dans la plainte en tant qu’allégations susceptibles de donner lieu à une responsabilité, que ce soit à elles seules ou en conjonction avec les autres allégations concernant les faits ultérieurs.

[55] Les observations que Mme Wilson a déposées aux fins de la requête font référence à une discrimination systémique, à un profilage racial et à des motifs de discrimination interreliés. Il conviendra de clarifier quelles questions juridiques sont incluses dans la plainte dont le Tribunal est saisi. C’est ce que nous examinerons dans le cadre de la gestion de l’instance.

Le contenu contesté peut-il être utilisé à des fins autres que l’examen de la responsabilité?

[56] Le Tribunal a examiné la question de savoir si le paragraphe 2 de l’exposé des précisions et la partie correspondante du résumé du témoignage prévu de Mme Wilson pouvaient être conservés au dossier à titre de renseignements descriptifs. Dans le présent contexte, le terme « renseignements descriptifs » signifie que le contenu contesté serait maintenu à titre de renseignements contextuels — pour aider le Tribunal à comprendre les événements qui se sont produits et à évaluer les faits et la preuve —, mais qu’il ne pourrait servir de fondement à une conclusion de responsabilité de la Banque relativement à la période de 2010-2011.

[57] Les parties doivent inclure uniquement des renseignements pertinents dans leurs exposés des précisions. La même exigence de pertinence s’applique aux éléments de preuve présentés à l’audience. Dans les instances tenues devant lui, le Tribunal admet régulièrement de tels éléments de preuve descriptifs et contextuels pertinents qui concernent des faits antérieurs à ceux visés par les allégations proprement dites figurant dans la plainte.

[58] Néanmoins, en l’espèce, le Tribunal doit examiner et concilier plusieurs préoccupations liées à la procédure. Tout d’abord, la décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1) doit être respectée. Le Tribunal ne devrait pas envoyer le message qu’il est possible, pour les parties, de « contourner » une décision définitive et exécutoire de la Commission à l’égard d’un contenu en accolant à celui-ci l’étiquette d’éléments descriptifs ou contextuels. Le Tribunal y voit un problème, dans la mesure où les faits particuliers à l’origine des allégations relatives à 2010-2011 figurant dans la plainte seraient probablement invoqués à l’audience.

[59] Ensuite, il peut y avoir une quantité importante de « renseignements contextuels » dans la présente affaire. Le fait d’instruire des éléments de preuve supplémentaires qui pourraient s’avérer ne pas être directement liés à la question de la responsabilité, ou qui seraient susceptibles de soulever d’autres questions, n’augurerait rien de bon pour l’efficacité de l’audience et la délimitation de sa portée. Si les renseignements en cause sont autorisés à titre de renseignements contextuels, la Banque souhaitera probablement y répondre, vu leur teneur. Compte tenu des directives données par le Tribunal aux parties au sujet de la question du préjudice, ci-dessous, il est aussi raisonnable de s’attendre à ce que la Banque, Mme Wilson ou la Commission puissent vouloir traiter de préoccupations à ce sujet à l’audience, ce qui risque d’accroître considérablement la complexité et la durée de celle-ci.

[60] L’autre aspect potentiellement préoccupant, comme il a été souligné, est le fait que le différend lié au contenu en cause va au-delà de l’utilisation de celui-ci à de simples fins contextuelles. Le Tribunal s’est déjà prononcé plus haut sur l’idée de se servir de ce contenu pour établir la responsabilité — notamment quant à la discrimination systémique — à l’égard des allégations correspondant à 2010-2011 : une telle utilisation est interdite. Toutefois, Mme Wilson fait savoir que, si elle n’est pas autorisée à utiliser les allégations relatives à 2010‑2011 pour établir la responsabilité de l’intimée quant à la discrimination, elle souhaite quand même pouvoir s’en servir pour établir cette même responsabilité à l’égard des faits allégués pour la période 2014-2015.

[61] La Banque s’oppose à ce qu’on utilise, même à titre de renseignements descriptifs ou contextuels, les renseignements factuels se rapportant à cette période plus ancienne. Elle s’appuie à ce titre sur les paragraphes 11 et 12 de la décision Kowalski, rendue par le Tribunal dans une affaire où le plaignant avait soutenu qu’il devrait être permis de conserver au dossier, à titre de renseignements généraux, des allégations déjà écartées par la Commission en vertu du paragraphe 41(1). Le membre Hadjis avait conclu que ces allégations formulées dans l’exposé des précisions du plaignant n’avaient pas été incluses simplement à titre de renseignements généraux, mais qu’il s’agissait en fait d’une « tentative de faire instruire des questions que la Commission a[vait] décidé de ne pas renvoyer au Tribunal ». Pareille conclusion peut être tirée lorsqu’une partie intègre, dans un exposé des précisions, du contenu auparavant écarté par une décision de la Commission. Dans la présente affaire, Mme Wilson a insisté pour que le contenu supprimé de la plainte renvoyée soit retenu à titre d’allégations ou de renseignements descriptifs. Or cette position constitue une tentative de faire instruire de nouveau les questions tranchées par la Commission, ce qui n’est pas permis.

[62] Il n’en demeure pas moins qu’il faut analyser la décision de la Commission, ainsi que l’exposé des précisions et le résumé du témoignage prévu de Mme Wilson, de manière à ce que cette dernière soit pleinement autorisée à faire valoir la plainte que la Commission a renvoyée pour instruction. Par conséquent, le Tribunal a examiné la question de savoir si les faits sous-jacents aux allégations liées à la période 2010-2011 pouvaient théoriquement être utilisés pour l’aider à trancher la question de la responsabilité à l’égard de la discrimination visée par les allégations de la période 2014-2015.

[63] Le Tribunal a tenu compte de la nature d’une décision fondée sur le paragraphe 41(1); il en conclut que les faits allégués pour la période 2010-2011 ne peuvent servir à établir la responsabilité à l’égard de cette période plus ancienne, car la plainte s’y rapportant a été déposée hors délai. Toutefois, le Tribunal fait remarquer que, dans cette décision rendue en vertu du paragraphe 41(1), la Commission n’a pas tiré de conclusion sur la preuve en prévision de l’instruction de la plainte qu’elle a finalement renvoyée. La Commission a déclaré que les faits allégués de 2010-2011 étaient distincts et indépendants aux fins d’une plainte, mais n’est pas allée jusqu’à conclure que les faits les plus anciens n’avaient rien à voir avec les faits de la période ultérieure. Non seulement la Commission n’a pas statué que les renseignements se rapportant à la période la plus ancienne ne pouvaient être pris en considération pour une autre fin par le Tribunal dans le cadre de son instruction des allégations liées à 2014-2015, mais elle n’a pas non plus compétence pour rendre une telle décision en matière de preuve à la place du Tribunal.

[64] À cet égard, il est possible que les faits à l’origine des allégations liées à 2010‑2011 soient pertinents à l’égard des questions en litige, si l’on exclut toute responsabilité qu’ils pourraient établir de façon indépendante. Par exemple, il se pourrait que les faits allégués les plus anciens soient pertinents pour l’interprétation que font les témoins des événements de 2014-2015. L’interprétation des événements par un témoin, et ses perceptions, sont souvent influencées par des expériences et interactions passées. L’absence de contexte sous forme d’expérience antérieure vécue par un témoin pourrait fausser l’évaluation, par le Tribunal, des témoignages relatifs aux faits allégués pour la période de 2014-2015, y compris en ce qui a trait au caractère raisonnable, à l’existence d’un lien rationnel et à la crédibilité des témoins.

[65] En l’espèce, la question de la crédibilité sera sans doute importante quant aux raisons de ce qui s’est produit. Bien que l’intention ne soit pas un élément requis pour établir la discrimination, Mme Wilson formule des allégations concernant les motivations des témoins de la Banque pour ce qui est des faits qui seraient survenus en 2014-2015. Au paragraphe 13 de son exposé des précisions, Mme Wilson déclare ce qui suit :

[Traduction]

En fin de compte, la Banque de Nouvelle-Écosse a convoqué Mme Wilson à une réunion, soi-disant pour discuter de son retour au travail, et elle a profité de la réunion pour l’accuser de fraude, sans preuve ni préavis. Ces allégations étaient fondées sur son congé d’invalidité, sa race et l’identité de son ancien conjoint de fait, qui, à l’insu de Mme Wilson, avait été accusé de fraude au criminel. Le désir que la Banque de Nouvelle-Écosse avait déjà, avant l’interrogatoire, de « se débarrasser » de Mme Wilson, ainsi qu’il a été expliqué ici, a influencé la façon dont elle a finalement été interrogée puis congédiée.

[66] Comme il a été souligné, Mme Wilson affirme que la Banque souhaitait [traduction] « se débarrasser » d’elle en tant qu’employée, et que ce fait a été établi au cours de la période de 2010-2011.Or lorsqu’elle a décidé d’écarter les allégations de 2010-2011, la Commission n’a pas élargi cette décision à la question de la motivation et de l’intention liée aux faits de la période de 2014-2015, y compris le congédiement de Mme Wilson.

[67] Si le Tribunal devait juger pertinente la relation qui existait entre Mme Wilson et la Banque avant la réunion d’enquête tenue au retour au travail de celle-ci, dans la mesure où cette relation l’aiderait à comprendre les attitudes et les perceptions des différentes personnes, il serait pertinent, juste et utile, pour les fins de son instruction, que d’obtenir des éléments de preuve contextuels au sujet des interactions antérieures entre les témoins de la Banque et Mme Wilson.

[68] De même, les allégations liées aux faits de 2010-2011 peuvent, en théorie, être utilisées en grande partie aux fins de l’établissement de la responsabilité à l’égard des faits de 2014-2015, si elles sont présentées comme preuve à l’appui des allégations liées à cette dernière période. Par exemple, le fait (s’il est prouvé) qu’un des gestionnaires de Mme Wilson lui ait dit qu’elle serait congédiée si elle ne revenait pas de son congé d’invalidité démontre, en théorie, que ce gestionnaire envisageait de la congédier. C’est là un élément de preuve qui pourrait rendre plus vraisemblable le fait que la Banque ait eu l’intention de congédier Mme Wilson à son retour au travail en 2014. Si tel est le cas, cet élément de preuve est susceptible d’appuyer l’affirmation de Mme Wilson selon laquelle la Banque n’a pas mené d’enquête appropriée en 2014-2015 avant de la congédier. Le Tribunal conclut donc que des éléments de preuve concernant les événements antérieurs à 2014-2015 pourraient jouer un rôle fondamental aux fins de déterminer la responsabilité à l’égard des faits allégués pour cette période.

[69] Par conséquent, il pourrait y avoir des éléments de preuve pertinents concernant la période de 2010-2011, selon ce qui sera présenté à l’audience. À cet égard, la présente affaire diffère de l’affaire Kowalski. Comme il a été expliqué ci-dessus, dans cette affaire, les allégations qui avaient été écartées de la plainte par la Commission n’avaient pas été autorisées à l’audience. Le plaignant avait déclaré qu’il ne prétendait pas que les faits décrits dans ces allégations étaient des actes discriminatoires, et qu’il demandait seulement d’utiliser le contenu à titre de renseignements généraux. Le membre Hadjis avait refusé d’en autoriser l’utilisation à ce titre. Il a conclu que le contenu n’était pas pertinent pour l’examen des autres allégations figurant dans la plainte renvoyée par la Commission. L’affaire Kowalski peut être distinguée de l’espèce, parce que les renseignements généraux que le plaignant demandait à présenter n’étaient pas pertinents par rapport à la plainte. En l’espèce, en fonction du dossier de preuve qui sera présenté à l’audience, les renseignements contestés pourraient être suffisamment pertinents quant à la plainte renvoyée par la Commission, auquel cas des éléments de preuve connexes pourraient être légitimement admis.

[70] Si des éléments de preuve concernant les faits allégués les plus anciens sont admis à l’audience parce que le Tribunal conclut à leur pertinence pour l’examen des allégations liées à 2014-2015, celui-ci peut contrôler la façon dont ces éléments de preuve seront utilisés dans le cadre de son processus décisionnel, et ainsi veiller à ce que la décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1) ne soit pas contrecarrée.

[71] Il est toutefois prématuré de tenter de tracer clairement les limites des renseignements descriptifs autorisés sans avoir pu bénéficier du dossier de preuve présenté à l’audience. Les décisions concernant la pertinence de la preuve seront rendues à l’audience, et non maintenant, dans l’abstrait. Le Tribunal n’est pas prêt, à ce stade‑ci, à rendre une décision sur l’admissibilité d’éléments de preuve relatifs à des questions antérieures à novembre 2014. Il le fera au besoin à l’audience.

Préoccupations au sujet du préjudice

[72] Compte tenu de la décision du Tribunal de ne pas permettre que les allégations de 2010-2011 soient utilisées à ce titre, il n’est pas nécessaire, dans les présents motifs, de rendre une décision au sujet de l’éventuel préjudice causé à la Banque. Toutefois, le Tribunal souhaite commenter cette question du préjudice relativement à la question de savoir si les allégations de 2010-2011 peuvent être utilisées à titre de renseignements descriptifs, ou servir à démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que les faits allégués de 2014-2015 sont véridiques. Ce commentaire s’applique à l’utilisation d’éléments de preuve plus anciens de façon générale.

[73] Le préjudice peut être problématique pour les deux parties à l’audience. L’une ou l’autre peut affirmer qu’elle est incapable de présenter des éléments de preuve en réponse aux allégations concernant les faits antérieurs à 2014-2015. La Banque signale qu’elle souhaite présenter des éléments de preuve remontant à 2009, ce qui pourrait constituer un obstacle pour Mme Wilson.

[74] Quoi qu’il en soit, dans ses observations relatives à la requête, la Banque affirme ne pas avoir conservé les éléments de preuve concernant les incidents allégués de 2010-2011. Cette affirmation factuelle de la Banque aurait dû être étayée par une preuve. Ce n’est pas le cas. En outre, elle n’est accompagnée d’aucun détail. Le Tribunal n’est pas disposé à tirer une conclusion au sujet du préjudice lié aux événements survenus avant 2014 sans preuve ni explication au sujet de la prétendue perte d’éléments de preuve particuliers.

[75] C’est à l’audience que Tribunal examinera, sur la base d’un dossier de preuve pertinent, toute question de préjudice soulevée par une partie concernant la prétendue perte ou destruction d’éléments de preuve.

F. Faits de la période d’octobre 2011 à 2014

[76] Les faits allégués qui auraient eu lieu au cours de la période allant d’octobre 2011 à 2014, selon le résumé du témoignage prévu de Mme Wilson, ne sont précisés ni dans ce document ni dans son exposé des précisions. Il n’y a rien, dans sa réponse à la requête de la Banque, qui fournisse des détails sur ce en quoi consistent les faits allégués pour cette période pendant laquelle, selon ce qu’en comprend le Tribunal, Mme Wilson n’était pas au travail et touchait des prestations d’invalidité en date d’octobre 2011. Il n’est pas évident de savoir quels éléments, à première vue, pourraient être pertinents quant à cette période.

[77] Mme Wilson n’a pas demandé l’autorisation de modifier sa plainte dans le but de permettre la présentation du contenu non précisé concerné, ni de modifier son exposé des précisions pour fournir ces détails au motif qu’ils seraient pertinents pour une plainte connexe concernant la période d’octobre 2011 à novembre 2014.

[78] Le dossier de requête est exempt de tout renseignement sur lequel le Tribunal pourrait se fonder pour décider si le harcèlement que Mme Wilson allègue maintenant avoir subi entre octobre 2011 et novembre 2014 est pertinent pour la plainte existante, et si oui, en quoi il l’est. Il n’y a pas non plus de fondement suffisant pour permettre au Tribunal de déterminer si les renseignements se rapportant à cette période devraient être admis à titre d’allégations ou de renseignements descriptifs ou contextuels. La simple affirmation qu’il existe d’autres allégations ne permet pas d’évaluer quoi que ce soit. Le Tribunal fait remarquer que Mme Wilson connaissait les détails relatifs à cette période lorsqu’elle a déposé sa plainte, et qu’ils auraient dû être inclus dans celle-ci et dans son exposé des précisions. Dans les circonstances, le Tribunal refuse de rendre une ordonnance qui aurait pour effet de permettre la modification de la portée de la plainte aux fins de l’examen de la question de la responsabilité de manière à y inclure la période d’octobre 2011 à 2014.

[79] Si Mme Wilson souhaite produire à l’audience des éléments de preuve concernant des événements survenus entre octobre 2011 et le 24 novembre 2014, elle doit fournir des détails à la Banque, préciser l’objectif général visé par les éléments de preuve et vérifier s’il y a quelque objection. Le cas échéant, le Tribunal fournira des directives supplémentaires.

G. Conclusion concernant les faits allégués de 2010-2011

[80] La Commission a décidé que les faits allégués concernant la période de 2010-2011 étaient distincts et indépendants de ceux liés à la période de 2014-2015. Elle a refusé d’examiner les faits correspondant à la première période, parce qu’aucune plainte n’avait été déposée à leur égard dans l’année qui les avait suivis. Par conséquent, les faits les plus anciens ne font pas partie de la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction. Les allégations liées à la première période ne sauraient être utilisées pour établir la responsabilité de l’intimée à l’égard d’événements antérieurs à ceux visés par la plainte telle qu’elle a été renvoyée. Même à supposer que la Commission soit arrivée à un résultat erroné en rendant sa décision en vertu du paragraphe 41(1), le Tribunal n’a pas compétence pour modifier celle-ci.

[81] Le Tribunal refuse de rendre une décision sur requête visant à radier les parties pertinentes de l’exposé des précisions et du résumé du témoignage prévu de Mme Wilson. Le contenu peut être conservé aux fins de l’examen de toute question pertinente qui pourrait être soulevée lors de l’audience, mais il ne peut servir à établir la responsabilité de la Banque à l’égard des faits allégués de 2010-2011. Le Tribunal rendra à l’audience toutes les décisions sur requête nécessaires concernant l’admission et l’utilisation potentielles des éléments de preuve relatifs à la période de 2010-2011. Mais avant qu’il ne le fasse, les parties auront l’occasion d’aborder la question d’un préjudice qui pourrait découler de l’admission ou du rejet de tels éléments de preuve.

III. Requête en divulgation

A. Renseignements demandés

[82] Mme Wilson demande la production des renseignements suivants :

A) tout document en la possession de la Banque, y compris les courriels ou les notes de service envoyés au personnel de la Banque à la succursale de Mme Wilson au sujet de la pratique consistant à ce que le personnel de la Banque travaille: a) en utilisant le terminal d’un autre membre du personnel; b) en utilisant le numéro d’employé ou le numéro d’identification d’un autre membre du personnel, y compris les mesures prises par la Banque pour réunir ces documents en vue de leur production;

B) tout document de la Banque : 1) indiquant le « numéro d’employée » de Mme Wilson tel qu’il lui a été attribué par la Banque; et 2) démontrant la correspondance entre le numéro d’employé et l’accès aux documents;

C) les dernières coordonnées connues de Sarah Yeboah, d’Agnes Owusu (ou Agnes Nyame-Owusu), d’Imelda Aggabao, de Vera Mijatovic et de Mary Lamanna (ou Mary Anna Atsidakos).

[83] En ce qui concerne les renseignements exigés au paragraphe A ci-dessus, Mme Wilson demande à ce que le Tribunal l’habilite, par voie de décision sur requête, à vérifier qu’une recherche électronique raisonnable a été menée pour trouver les documents pertinents.

B. Questions en litige

[84] À l’étape de la divulgation, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si les documents demandés sont potentiellement pertinents quant aux questions en litige dans la plainte. Pour que sa production soit exigée, il faut qu’un document soit potentiellement pertinent. Le Tribunal n’admet pas ce qui tient d’une « partie de pêche » : Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34 (CanLII), au paragraphe 43. De même, les renseignements permettant de retrouver les coordonnées des témoins devront être produits s’il existe un lien rationnel entre le témoignage de ces témoins et les questions soulevées dans la plainte, ce qui est une autre façon de décrire la « pertinence potentielle ».

[85] En matière de divulgation, le Tribunal a l’obligation de tenir compte des principes de la proportionnalité et de l’équité. Il lui faut établir un équilibre entre le droit des parties d’avoir la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments et son obligation de mener ses procédures de façon équitable et expéditive (voir les par. 48.9(1) et 50(1) et l’al. 50(3)c) de la Loi. Voir aussi Nwabuikwu c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 TCDP 9 (CanLII), au par. 16.)

C. Analyse et conclusions

[86] Comme il a été expliqué plus tôt, Mme Wilson avance que la Banque a profité de son enquête sur une fraude présumée pour la congédier en raison de sa race, de sa déficience, de sa situation de famille ou de son état matrimonial. En bref, elle soutient que l’enquête de la Banque était motivée par une intention discriminatoire et que cette dernière n’a pas établi l’existence de motifs légitimes pour la congédier. Pour sa part, la Banque affirme que Mme Wilson a été congédiée en raison de préoccupations d’ordre sécuritaire et réglementaire soulevées au cours de l’enquête légitimement menée par l’établissement. En particulier, la Banque affirme avoir été inquiète au sujet de documents qu’elle croyait que Mme Wilson avait irrégulièrement retirés de la Banque et fournis à son ancien conjoint. Aux dires de la Banque, ces documents affichaient les renseignements d’identification d’employée de Mme Wilson, ce qui constitue une preuve convaincante de son implication.

[87] Les documents ainsi que les renseignements sur les témoins qui sont demandés dans la requête en divulgation de Mme Wilson seraient soi-disant pertinents parce qu’ils pourraient permettre à Mme Wilson de contester les renseignements utilisés par la Banque pour la relier aux documents mentionnés que son ancien conjoint avait eus en sa possession. Le Tribunal convient que les documents qui répondent à ce critère sont potentiellement pertinents, en ce qu’ils pourraient étayer l’argument de Mme Wilson selon lequel une autre personne à la Banque aurait pu fournir les documents à une tierce partie connaissant son ancien conjoint, ou encore à son conjoint directement. Cet argument est lié à son tour à l’allégation de Mme Wilson selon laquelle l’enquête était biaisée par des perceptions et des hypothèses discriminatoires à son endroit. Par conséquent, le Tribunal conclut que la Banque doit divulguer d’autres renseignements à cet égard, sous réserve des conditions de la pertinence et de la proportionnalité.

[88] La demande de Mme Wilson visant à ce qu’elle soit à même de vérifier la recherche électronique de documents pertinents est en partie attribuable au fait que la Banque a signalé que Mme Lamanna n’avait pas travaillé à la Banque et ne figurait pas dans son système. Or il ressort des courriels produits en preuve par Mme Wilson aux fins de sa requête en réponse qu’une certaine Mme Lamanna a bel et bien travaillé à la Banque avec Mme Wilson, et qu’elle détenait une adresse courriel de l’établissement.

[89] Compte tenu de toutes les circonstances, il n’est pas déraisonnable de procéder d’une manière qui permette la vérification de la méthodologie utilisée pour la recherche électronique, si nécessaire. Il n’est pas rare que, dans les affaires portées devant les tribunaux qui comportent une recherche électronique de documents, les parties communiquent, en tout état de cause, leurs efforts de recherche. Les recherches électroniques peuvent entraîner un travail considérable pour les deux parties en raison de la quantité de communications électroniques entre les employés et de la possibilité qu’un grand nombre de documents non pertinents d’abord repérés par une recherche électronique doivent ensuite être examinés. Les parties sont souvent en mesure de s’entendre sur des étapes réduisant au minimum la quantité de travail pour toutes les personnes concernées. Il est donc raisonnable de procéder de manière à favoriser une entente préalable entre les parties au sujet de l’exécution de la recherche. De plus, la capacité potentielle de toutes les parties d’accéder à des renseignements appropriés et pertinents sur la méthode de recherche de documents électroniques employée accroît l’assurance, pour chacune, que cette recherche a été effectuée de façon raisonnable, advenant que les résultats soient inférieurs ou considérablement supérieurs à ce qui est raisonnablement attendu. L’échange de renseignements sur la méthode de recherche peut permettre d’éviter ou de résoudre rapidement d’autres différends entre les parties concernant le caractère raisonnable de la recherche, et ainsi contribuer à l’efficacité de l’instance.

Travail effectué à l’aide des terminaux ou des numéros d’identification d’autres employés

[90] Les documents suivants doivent être produits :

Travail effectué à l’aide des terminaux ou des numéros d’identification d’autres employés

Tout document en la possession de la Banque, y compris les courriels ou les notes de service envoyés au personnel de la Banque à la succursale de Mme Wilson au sujet de la pratique consistant à ce que le personnel de la Banque travaille: a) en utilisant le terminal d’un autre membre du personnel; b) en utilisant le numéro d’employé ou le numéro d’identification d’un autre membre du personnel, y compris les mesures prises par la Banque pour réunir ces documents en vue de leur production.

[91] L’objectif est de s’assurer que la Banque effectue une recherche permettant raisonnablement de récupérer des documents traitant du sujet du personnel de la Banque qui, dans le cadre de ses fonctions, utilise le terminal ou le numéro d’employé ou d’identification d’un autre employé. Ces documents comprennent ceux qui ont été envoyés à tout membre du personnel de la succursale au cours de la période ou des périodes visées par la plainte.

[92] Dans sa requête, Mme Wilson demande que la recherche comprenne une recherche des documents électroniques la concernant et des documents électroniques concernant tous les autres membres du personnel de la succursale. Selon les renseignements fournis dans le cadre de la requête, cependant, il n’est peut-être pas proportionnel ni nécessaire que la recherche comprenne une recherche des documents électroniques de tous les autres employés de la succursale. Les documents relatifs à la requête mentionnent que la direction de la Banque serait normalement l’auteur de tout courriel ou toute note de service envoyée au personnel de la succursale de Mme Wilson. Il est raisonnable de supposer qu’à tout le moins, même si ces communications avaient été préparées par un employé ne faisant pas partie de la direction, les membres du personnel de la direction qui travaillaient à la succursale de Mme Wilson, ou qui étaient responsables de la gestion de cette succursale, en auraient reçu copie. Le Tribunal présume également qu’un plus grand nombre d’employés que de gestionnaires travaillent à cette succursale ou sont autrement employés au sein de la Banque et sont responsables de la gestion de cette succursale. Il devrait être moins difficile pour la Banque de concentrer sa recherche sur les gestionnaires pertinents plutôt que sur l’ensemble du personnel qui a travaillé à la succursale pendant la période de référence.

[93] Cette directive n’est pas nécessairement une décision sur requête définitive. Elle se veut une approche efficiente, proportionnelle et efficace pour réaliser la recherche demandée dans la requête. Le nombre de gestionnaires ou de membres du personnel à inclure dans la recherche peut faire l’objet de rajustements, qui seront déterminés par le Tribunal, au besoin, dans le cadre de la gestion de l’instance.

[94] Par conséquent, comme directive préliminaire, le Tribunal ordonne à la Banque d’effectuer une recherche des communications et des documents électroniques et imprimés qui étaient destinés à Mme Wilson ou à d’autres membres du personnel, qui ont été rédigés par Mme Lamanna et par tout autre gestionnaire de la succursale ou gestionnaire de la Banque responsable de la succursale, ou que ceux-ci ont reçus en copie conforme, et qui se rapportent au sujet énoncé précédemment, notamment les courriels, les pièces jointes, les notes de service et les autres documents, politiques, fichiers ou dossiers contenant des documents de la succursale (les « documents »).

[95] Par souci de clarté, précisions que la recherche de documents électroniques doit inclure toutes les communications électroniques archivées ou supprimées (les courriels et leurs pièces jointes) qui entrent dans les paramètres applicables, en plus des documents non archivés ou supprimés. L’inclusion de ces documents est nécessaire à une recherche complète.

[96] À titre de directive préliminaire supplémentaire, les paramètres de la recherche doivent se limiter aux périodes visées par la plainte (les « périodes visées »). Il ressort des documents de la requête que ces périodes visées devraient inclure la période du 1er novembre 2010 au 31 décembre 2010 et la période du 1er mars au 31 mars 2011. Toutefois, le Tribunal ne statuera pas de façon définitive sur ces périodes pour l’instant, car il n’a pas nécessairement reçu des observations complètes des parties sur ce point. Le Tribunal attendra de recevoir l’avis des parties en cas de différend à cet égard. Il est également possible, par exemple, que la recherche permette de découvrir d’autres renseignements ayant trait à la période pertinente. Les éventuels différends pourront être résolus dans le cadre de la gestion de l’instance.

[97] Les parties doivent faire de leur mieux pour parvenir à une entente sur la ou les périodes de référence visées dans les 10 jours ouvrables suivant la réception de la présente décision sur requête.

[98] Comme il a été mentionné, Mme Wilson demande un résumé, au besoin, des mesures prises par la Banque pour trouver les documents. La Banque doit donc tenir un registre de ses efforts à cet égard. Si une partie présente une demande de renseignements raisonnable sur la méthode de recherche appliquée, la Banque doit divulguer les mesures qu’elle a prises pour recueillir les renseignements et effectuer la recherche.

[99] Comme il a été précédemment expliqué, les recherches électroniques mènent habituellement à la découverte initiale d’un grand nombre de documents, qu’il faudra ensuite examiner et trier pour en déterminer la pertinence potentielle. Il n’existe pas de règles officielles sur l’exécution des recherches électroniques dans le cadre d’instances devant le Tribunal, comme c’est le cas dans d’autres contextes juridiques. Ce sujet n’est pas abordé dans les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les « Règles »); chaque demande de production de documents électroniques présentée au Tribunal doit plutôt être tranchée au cas par cas, selon le pouvoir discrétionnaire accordé au Tribunal en matière procédurale par l’alinéa 50(3)e) de la Loi.

[100] Afin de gérer et de réduire au minimum le délai anticipé pour l’examen des résultats initiaux de la recherche électronique, le Tribunal présente aux parties les propositions ci-après. Au besoin, il pourra entendre leur opinion et rendre toute décision sur requête exécutoire qui pourrait être nécessaire relativement à la mise en œuvre de la recherche. Les propositions ci-dessous ne sont pas exécutoires, mais elles peuvent être utiles à la mise en œuvre efficace de l’ordonnance du Tribunal :

  • i. Les parties doivent faire de leur mieux pour convenir, dans les 20 jours ouvrables suivant la présente décision sur requête, d’une date limite pour l’exécution, par la Banque, de sa ou ses recherches électroniques initiales visant à trouver des documents qui correspondent aux paramètres en place pour la recherche (la « recherche initiale »), conformément aux directives préliminaires du Tribunal susmentionnées et à l’entente des parties concernant les périodes visées.

  • ii. S’il y a lieu, les doubles des résultats de la recherche initiale doivent être supprimés, et tout contenu manifestement non pertinent qui ne nécessite pas d’examen détaillé doit être retiré des résultats générés par la recherche initiale.

  • iii. La Banque doit informer rapidement les autres parties du nombre de documents qui respectent ou sont susceptibles de respecter les paramètres de la recherche initiale à la suite de la suppression des résultats en double et du contenu manifestement non pertinent.

  • iv. S’il ressort d’un examen préliminaire des résultats que la recherche initiale a permis de repérer un grand nombre de documents non pertinents, malgré les mesures prises pour restreindre le contenu à ce qui est ou pourrait être pertinent, les parties doivent faire de leur mieux pour s’entendre sur les mots clés à utiliser pour effectuer la recherche et limiter les résultats à ce qui est potentiellement pertinent. Les avocats des parties doivent proposer des stratégies raisonnables à cet égard et s’efforcer de collaborer.

[101] Si les documents potentiellement pertinents peuvent raisonnablement être produits à partir des résultats de la recherche initiale dans les 60 jours civils suivant la fin de cette recherche, la Banque doit en informer les autres parties et produire lesdits documents au plus tard à cette date limite; dans le cas contraire, les parties doivent faire de leur mieux pour s’entendre sur un délai raisonnable.

[102] Les parties doivent veiller à tenir le Tribunal au courant de toute date ou entente concernant le délai d’exécution de la recherche.

[103] Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur la nécessité de paramètres de recherche supplémentaires ou sur leur contenu, ou sur d’autres aspects de l’exécution de la recherche, ou si elles ne parviennent pas à s’entendre sur les délais, le Tribunal, à leur demande, traitera de ces questions au moyen du processus de gestion de l’instance et, au besoin, formulera des directives exécutoires après avoir entendu les parties au sujet de toute question litigieuse.

[104] Précisons qu’étant donné que la Banque est tenue de produire tout document en sa possession portant sur le sujet pertinent, la recherche devra inclure les documents papier.

[105] Rien dans la présente décision sur requête ne vise à exiger la production de documents ou de communications qui sont protégés par le privilège. S’il surgit des questions de privilège que les parties ne peuvent pas résoudre entre elles, elles seront examinées dans le cadre de la gestion de l’instance.

Numéro d’employée de Mme Wilson

[106] Mme Wilson demande la production de tous les documents de la Banque indiquant son [traduction] « numéro d’employée » à la Banque. La Banque déclare que, dans sa réponse à la requête de Mme Wilson, elle a produit des documents pour démontrer quels étaient le numéro d’employée de Mme Wilson et son numéro d’opérateur pendant la période de référence visée par la plainte. Elle ajoute avoir fourni ce qu’elle appelle un [traduction] « registre d’identification de l’opérateur » fondé sur son numéro d’employée.

[107] Mme Wilson dit n’avoir aucune connaissance de ce numéro. Elle ne prétend pas que le numéro fourni est inexact ou qu’il a changé, mais seulement qu’elle ne le connaît pas.

[108] Il se peut que Mme Wilson ne connaisse pas le numéro qui lui a été attribué et qui figure sur les documents transmis parce qu’il s’agit d’un numéro utilisé par la Banque à des fins internes. Mme Wilson n’a présenté aucun élément de preuve ou argument pour donner au Tribunal des motifs raisonnables de douter de l’exactitude du numéro fourni par la Banque.

[109] Mme Wilson n’a pas non plus expliqué de façon satisfaisante pourquoi la Banque devrait être tenue de produire chaque document en sa possession qui porte son numéro d’employée. Le Tribunal s’attend à ce que cette tâche soit monumentale et ne serve à rien. Le simple fait d’arborer le numéro d’employé de Mme Wilson ne fait pas en sorte que les documents soient potentiellement pertinents. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’à ce stade‑ci, il devrait ordonner la production d’autres documents pour attester le numéro d’employée attribué à Mme Wilson pendant la période de référence visée par la plainte. Par conséquent, la Banque n’est pas tenue de fournir d’autres documents portant le numéro d’employée de Mme Wilson.

Numéro d’employée et accès aux documents

[110] Le deuxième volet de la demande de Mme Wilson concernant son numéro d’employé a trait à la divulgation de documents en la possession ou sous le contrôle de la Banque qui démontrent la correspondance entre le numéro d’employé et l’accès aux documents à la succursale par les employés de la Banque. Mme Wilson semble présumer qu’il y a des documents qui démontreraient la relation entre le numéro d’employé et l’accès aux documents, ce qui est la prémisse sous-jacente de la position de la Banque. Cependant, Mme Wilson n’a pas présenté de preuve à cet égard, outre une explication expresse, et il n’est pas évident non plus de savoir ce que les documents devraient contenir pour démontrer une correspondance entre le numéro d’employé et l’accès aux documents parmi les dossiers administratifs habituels.

[111] En réponse à une demande antérieure, la Banque affirme qu’elle n’a aucun document indiquant si les employés de la succursale partageaient des terminaux en utilisant le même numéro d’employé. Mme Wilson indique ignorer comment son numéro d’employé pouvait servir à démontrer qu’elle avait accédé aux comptes de l’entreprise.

[112] Il se peut qu’il n’y ait pas de document indiquant expressément que les employés partageaient des numéros d’employé, malgré les souvenirs de Mme Wilson, et qu’il n’y ait pas non plus de document indiquant comment un numéro d’employé est utilisé pour l’accès aux comptes. Le Tribunal reconnaît qu’il peut s’agir davantage d’une demande visant à clarifier l’argument de la Banque ou à obtenir des éléments de preuve de la part de ses témoins, et qu’il ne s’agit peut-être pas à proprement parler d’une demande de documents.

[113] Comme il a été mentionné, la Banque affirme qu’elle n’a aucun document indiquant si les employés de la succursale partageaient des terminaux en utilisant le même numéro d’employé. Cependant, ce n’est pas tout à fait ce que demande Mme Wilson. Elle demande des documents susceptibles d’indiquer comment son numéro d’employée pouvait servir à démontrer qu’elle avait accédé aux comptes de l’entreprise.

[114] La Banque doit préciser si elle dispose de documents indiquant que des numéros d’employé sont utilisés pour l’accès aux documents. Si c’est le cas, ils doivent être produits. Par exemple, s’il existe des documents ou des politiques où l’on demande aux employés d’entrer ou d’appliquer leur numéro d’employé au moment de préparer des documents ou des communications lorsqu’ils travaillent aux terminaux, de manière à enregistrer leur accès aux comptes de l’entreprise, ces documents doivent être produits. Pareilles instructions ou politiques écrites sont clairement pertinentes, en ce qu’elles pourraient étayer la position de la Banque selon laquelle les numéros d’employé sont associés aux documents des clients. S’il y a des documents pertinents pouvant expliquer comment le numéro d’employé de Mme Wilson pouvait servir à consigner ou à démontrer le fait qu’elle ait accédé aux comptes d’entreprise concernés, ils doivent être produits d’ici le 2 décembre 2022. Si la Banque a besoin d’autres directives à cet égard, elle peut solliciter une nouvelle conférence de gestion de l’instance.

[115] S’il existe des documents pertinents, mais que la Banque croit que leur divulgation causerait un préjudice indu à des tiers, comme des clients, en ce qui concerne des questions personnelles ou autres, la Banque peut demander des directives supplémentaires et, au besoin, solliciter une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 52 de la Loi.

Coordonnées des témoins

[116] Mme Wilson demande les dernières coordonnées connues de Sarah Yeboah, d’Agnes Owusu (ou Agnes Nyame-Owusu), d’Imelda Aggabao, de Vera Mijatovic et de Mary Lamanna (ou Mary Anna Atsidakos). Elle souligne que ces personnes étaient des employées de la même succursale qu’elle, et qu’elles seront en mesure de témoigner au sujet de la pratique des employés qui consistait à utiliser les postes de travail ainsi que les renseignements d’identification des autres employés.

[117] Comme il a été mentionné en partie ci-dessus, la Banque a d’abord répondu qu’elle n’avait pas d’employées du nom d’Agnes Owusu ou de Mary Lamanna. Mme Wilson a fourni d’autres noms dans sa réponse.

[118] Le Tribunal fait sien le raisonnement du membre Gaudreault dans la décision Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP 5 (CanLII) [Nur], aux paragraphes 214 à 233, concernant l’approche appropriée à adopter à l’égard des demandes visant la communication de coordonnées de témoins par une partie qui s’oppose à cette communication. Fondamentalement, une telle divulgation doit être exigée lorsque la production de tels renseignements donne à une autre partie une occasion raisonnable de faire valoir ses arguments grâce au témoignage de témoins pertinents. Naturellement, cette exigence est assujettie aux considérations d’efficience et de proportionnalité que le Tribunal applique à toutes ses décisions procédurales.

[119] Chaque demande de divulgation des coordonnées d’un témoin doit être évaluée en fonction des faits qui lui sont propres, et en fonction de sa pertinence potentielle, de son efficacité et de sa proportionnalité. Cela dit, à titre de principe fondamental d’équité, lorsqu’une partie a l’intention d’assigner un témoin parce que son témoignage est potentiellement pertinent, et que l’endroit où il se trouve est inconnu et difficile à déterminer, une autre partie qui est en possession des coordonnées du témoin est tenue de divulguer ces renseignements, sur demande.

[120] Se pose maintenant la question de la pertinence probable du témoignage des témoins en l’espèce. Mme Lamanna est nommée dans l’exposé des précisions. Mme Wilson affirme que son témoignage devrait être pertinent quant à savoir si la direction était au courant de la pratique par laquelle, selon Mme Wilson, les employés utilisaient les numéros d’employé d’autres membres du personnel lorsqu’ils partageaient des postes de travail ou des appareils technologiques, ou si la direction avait pris des mesures à cet égard. Elle affirme que Mme Lamanna avait participé aux communications en milieu de travail à ce sujet. Le témoignage de Mme Lamanna est probablement pertinent.

[121] Mme Wilson indique que les autres personnes nommées dans sa demande travaillaient à la même succursale. Elle s’attend à ce qu’elles déclarent, dans leur témoignage, que ladite pratique alléguée existait dans le milieu de travail, à savoir que les employés partageaient des postes de travail et, par conséquent, des numéros d’employé. Il s’agit là d’un lien suffisant pour établir la pertinence probable. Mme Wilson n’a pas eu l’occasion de confirmer que les témoins proposés fourniraient le témoignage qui, selon elle, pourra être livré. Cependant, tout comme n’importe laquelle des parties, elle a le droit de parler avec ces personnes pour tenter de savoir ce qu’ils déclareront.

[122] À titre d’employeur ou d’ancien employeur de ces témoins éventuels, la Banque devrait détenir leurs coordonnées actuelles ou leurs dernières coordonnées connues. Il est raisonnable de s’attendre à ce que la Banque dispose de renseignements à la succursale ou de renseignements centralisés et repérables sur ses employés actuels et anciens, renseignements qui peuvent être consultés.

[123] Afin de respecter ses obligations en matière de divulgation, la Banque est tenue d’effectuer une recherche raisonnable pour trouver les coordonnées des témoins éventuels nécessaires, car leur témoignage prévu est ou sera potentiellement pertinent pour les questions en litige en l’espèce. Elle doit aussi transmettre ces renseignements à Mme Wilson. Il s’agit notamment, si nécessaire pour les besoins de la recherche, repérer les adresses courriel professionnelles ou personnelles de ces personnes sur les serveurs de la Banque, et utiliser ces renseignements pour trouver leurs coordonnées dans les dossiers de la Banque.

[124] La Banque doit fournir à Mme Wilson le nom complet, la dernière adresse connue et toute adresse courriel disponible de chacune des personnes visées par sa requête d’ici le 17 novembre 2022. Comme il a été ordonné dans l’affaire Nur, le Tribunal ordonne également que les coordonnées fournies ne soient divulguées et utilisées que pour les besoins liés à la présente instance, par exemple s’il y a lieu de signifier une assignation à comparaître. Ces renseignements ne doivent être utilisés à aucune autre fin, conformément à la règle de l’engagement implicite, ni être publiés ou distribués pour quelque raison que ce soit. Dès lors qu’elles sont contactées en tant que témoins éventuels, ces personnes doivent être informées de la présente ordonnance du Tribunal concernant l’utilisation de leurs renseignements personnels.

[125] Si Mme Wilson souhaite que l’un ou l’autre de ces témoins supplémentaires proposés témoigne à l’audience, elle doit modifier la liste existante des témoins afin d’y inclure leurs noms, et ajouter à son exposé des précisions, d’ici le 16 décembre 2022, des résumés supplémentaires de leur témoignage prévu. Si Mme Wilson ne dépose aucun résumé du témoignage prévu d’un témoin mentionné, l’audience ira de l’avant sans que la personne soit citée comme témoin à l’audience, suivant l’article 9 des Règles du Tribunal.

IV. Ordonnances concernant les deux requêtes

[126] Sous réserve des restrictions indiquées ci-dessous, le Tribunal accueille la requête de la Banque visant à ce que, pour ce qui est de l’évaluation de la responsabilité, la portée de la plainte renvoyée au Tribunal pour instruction soit limitée aux allégations de Mme Wilson se rapportant à la période du 24 novembre 2014 au 19 janvier 2015.

[127] Le Tribunal ordonne que les restrictions suivantes s’appliquent :

  • 1. Le contenu concernant la période antérieure au 24 novembre 2014 qui figure au paragraphe 2 de l’exposé des précisions de Mme Wilson, le contenu subséquent dans les paragraphes connexes de son exposé des précisions, et le paragraphe 2 du résumé du témoignage prévu de Mme Wilson peuvent être maintenus dans ces documents, mais sont assujettis à la présente décision sur requête.

  • 2. Les éléments de preuve se rapportant à des faits allégués par Mme Wilson contre la Banque concernant la période antérieure au 24 novembre 2014 ne peuvent être présentés à l’audience aux fins d’établir la responsabilité de la Banque à l’égard des événements survenus au cours de la période de 2010 à octobre 2011.

  • 3. Tout élément de preuve relatif à des questions antérieures au 24 novembre 2014 que Mme Wilson cherchera à présentera à l’audience doit respecter la présente décision sur requête et être pertinent quant aux faits allégués de 2014-2015, sous réserve de toute autre directive ou décision sur requête du Tribunal.

[128] Le Tribunal : accueille, en partie, la requête de Mme Wilson visant la divulgation d’autres documents par la Banque; formule des directives préliminaires (énoncées ci-dessus) et rend les ordonnances suivantes :

  • 4. Sous réserve de toute revendication de privilège, doivent être divulgués tous les documents, y compris les documents électroniques, en la possession de la Banque, notamment les courriels ou les notes de service envoyés au personnel de la Banque à la succursale de Mme Wilson au sujet de la pratique des employés de la Banque consistant à travailler: a) en utilisant le terminal d’un autre membre du personnel; b) en utilisant le numéro d’employé ou le numéro d’identification d’un autre membre du personnel.

  • 5. La Banque doit tenir un registre de ses efforts pour trouver les documents électroniques susmentionnés. Si une partie présente une demande de renseignements raisonnable sur la méthode de recherche appliquée, la Banque doit divulguer les mesures qu’elle a prises pour recueillir les renseignements et effectuer la recherche.

  • 6. Tout document de la Banque indiquant que les numéros d’employé sont utilisés pour accéder aux documents ou pour enregistrer l’accès des employés aux documents doit être divulgué au plus tard le 2 décembre 2022.

  • 7. La Banque doit divulguer à Mme Wilson le nom complet et les coordonnées de Sarah Yeboah, d’Agnes Owusu (ou Agnes Nyame-Owusu), d’Imelda Aggabao, de Vera Mijatovic et de Mary Lamanna (ou Mary Anna Atsidakos) au plus tard le 17 novembre 2022. Ces renseignements doivent être divulgués strictement aux fins de la présente instruction et ne doivent être utilisés à aucune autre fin, ni publiés ou distribués pour quelque raison que ce soit. De plus, dès lors qu’elles sont contactées, les personnes susmentionnées doivent être informées de l’ordonnance du Tribunal et des directives concernant l’utilisation de leurs renseignements personnels.

  • 8. Si Mme Wilson souhaite que l’une ou l’autre des employées mentionnées comme témoins potentiels dans sa requête témoigne à l’audience, elle doit modifier la liste des témoins annexée à son exposé des précisions pour y inclure leurs noms, et déposer des résumés de leurs témoignages prévus d’ici le 16 décembre 2022.

Signée par

Kathryn A. Raymond, c.r.

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 19 octobre 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2570/12720

Intitulé de la cause : Shawna Wilson c. Banque de Nouvelle-Écosse

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 19 octobre 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Mark Donald , pour la plaignante

Giacomo Vigna , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Michelle S. Henry , pour l'intimée

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