Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 6

Date : le 9 février 2023

Numéro du dossier: T2409/6819

Entre :

Joshua Dorais

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l'intimée

Décision sur requête

Membre(s) : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la demande

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») décidant de la requête déposée par le plaignant, M. Joshua Dorais (« M. Dorais »), demandant la réouverture de l’instruction du dossier afin d’y déposer des éléments de preuve additionnels.

[2] Cette preuve additionnelle constitue 25 courriels entre M. Dorais et différentes instances ou officiers des Forces armées canadiennes (« intimée » ou « Forces ») entre le 4 septembre 2012 et le 5 septembre 2016. M. Dorais argue que ces documents sont pertinents relativement aux réparations que pourraient ordonner le Tribunal quant à ses pertes de revenus et pertes d’opportunité d’emplois au sein des Forces.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne (« Commission ») consent à la demande de M. Dorais et a déposé ses représentations le 13 juillet 2022 tandis que les Forces, qui ont déposé les siennes à la même date, s’y opposent fermement. M. Dorais a eu l’opportunité de déposer une réplique, ce qu’il a fait le 20 juillet 2022.

[4] Il est important de noter que dans ce dossier, l’audience est actuellement terminée et la preuve de toutes les parties est maintenant close. À cet effet, le Tribunal a tenu son audience sur une période de 18 jours, incluant 2 jours entièrement réservés pour les arguments finaux des parties. Cette complexe audience s’est déroulée sur une longue période, entre le 6 avril 2021 et le 10 mars 2022.

[5] Ce n’est que le 29 juin 2022, alors que le Tribunal a pris sa décision en délibéré, que le plaignant a formellement demandé la réouverture de l’instruction afin d’y déposer des documents additionnels.

II. Décision

[6] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la demande de M. Dorais.

III. Questions en litige

[7] Afin de déterminer si les éléments de preuve additionnels de M. Dorais peuvent être admis en preuve alors que l’instruction est close, le Tribunal doit répondre aux trois volets suivants :

1) La preuve, si elle était présentée, changerait-elle vraisemblablement le résultat de l’instruction de la plainte?

2) La preuve pouvait-elle être obtenue avant l’instruction de la plainte en exerçant une diligence raisonnable?

3) Existe-t-il des circonstances exceptionnelles justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal afin d’admettre les éléments de preuve additionnels?

IV. Fondements juridiques

[8] Afin de pouvoir répondre à la question en litige, le Tribunal doit d’abord établir les fondements juridiques relatifs à une demande visant la réouverture d’une enquête afin d’y déposer des éléments de preuve additionnels.

[9] Il faut convenir que ni la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (« LCDP »), ni les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (« les Règles ») et ni les anciennes Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (« Anciennes Règles »), ne prévoit la question de la réouverture d’une enquête afin d’admettre de la preuve additionnelle, une fois que la preuve fut déclarée close.

[10] La jurisprudence devient alors utile et pertinente dans les circonstances, puisqu’elle nous guide sur la démarche juridique à suivre et les principes de droit qui sont applicables en pareilles circonstances.

[11] À cet effet, le Tribunal a attiré l’attention des parties sur deux décisions en la matière en tant que point de départ, soit les décisions Micheline Montreuil c. Les Forces canadiennes, 2009 TCDP 15 [« Montreuil »l] et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc, [2001] 2 R.C.S. 983 [« Sagaz »].

[12] Dans Montreuil, le Tribunal a appliqué l’analyse de la Cour suprême du Canada dans Sagaz, qui a confirmé l’analyse à deux volets effectués dans Scott v. Cook, [1970] 2 OR 769. Au paragraphe 20 de Sagaz, la Cour suprême a confirmé l’analyse suivante à deux volets :

  • 1) L’issue du procès aurait-elle vraisemblablement été différente si l’élément de preuve en cause avait été présenté?

  • 2) Aurait-il été possible d’obtenir l’élément de preuve avant le procès en faisant preuve de diligence raisonnable?

[13] Deux distinctions s’imposent entre notre dossier et celui dans Sagas ; d’une part, notre dossier concerne les droits de la personne et relève du droit administratif et, d’autre part, le Tribunal n’a pas encore rendu sa décision finale, qui est en délibéré depuis mars 2022. Dans Sagaz, il s’agissait plutôt d’une décision concernant une demande en réouverture d’enquête en matière criminelle et dans laquelle le juge avait déjà rendu sa décision finale.

[14] Malgré cela, Sagaz demeure une décision clé de la Cour suprême en matière de réouverture d’enquête. Les enseignements de la Cour sont utiles et pertinents dans les circonstances de notre affaire et comme il sera discuté plus tard, cette analyse à deux volets a été adaptée par les différentes cours afin de correspondre aux cas comme le nôtre.

[15] La Commission et les Forces ont attiré l’attention du Tribunal à la décision Marshall c. Membertou First Nation, 2021 TCDP 36 [« Marshall »] de ma collègue membre Raymond. Plus particulièrement, les Forces fondent principalement son raisonnement sur l’analyse qu’a faite membre Raymond dans ce dossier. Le Tribunal abordera cette question de front.

[16] Deux points majeurs permettent de distinguer la décision Marshall, tout comme dans Sagaz, avec notre dossier actuel. Cela diminue grandement la pertinence et le poids à y accorder.

[17] Dans un premier temps, membre Raymond s’est questionnée quant à la réouverture de la preuve du plaignant, alors que la présentation de la preuve de la partie intimée n’avait pas encore débuté. Autrement dit, le dossier n’était pas clos et aucune plaidoirie finale n’avait été entendue (Marshall, au par. 168). Il s’agissait plutôt de rouvrir la preuve du plaignant avant que la partie intimée entame sa propre défense.

[18] Dans un deuxième temps, cette demande en réouverture d’enquête déposée par la partie plaignante s’est faite dans un contexte très spécifique. La demande a été faite en réponse à une requête en non-lieu déposée par la partie intimée. Le Tribunal comprend de la décision Marshall que le plaignant n’a pas du tout témoigné dans sa propre plainte et était aussi, selon le Tribunal, sous-représenté par sa représentante. Membre Raymond avait alors permis la réouverture de sa preuve afin de pallier cette situation, avant que l’intimée ne présente sa propre preuve (Marshall, au par. 176).

[19] La décision dans Marshall se distingue alors grandement de notre situation ; le Tribunal jouissait d’une plus grande marge de manœuvre afin de rouvrir la preuve du plaignant puisque l’instruction n’était pas encore fermée et l’intimée n’avait pas encore débuté la présentation de sa propre preuve.

[20] Le Tribunal est d’avis que la présente situation se rapproche davantage à celle dans Montreuil, dans laquelle le membre instructeur avait, lui aussi, pris sa décision en délibéré et n’avait pas encore rendu sa décision finale.

[21] Avec égard pour l’analyse faite par le membre instructeur dans Marshall, je suis d’avis qu’il ne s’agit pas là du test à appliquer dans les circonstances dans lesquelles nous nous retrouvons dans le dossier de M. Dorais. Le test dans Montreuil est, dans notre cas, la bonne analyse, tel qu’endossé par la Cour fédérale du Canada [« Cour fédérale »]

[22] En 2011, la Cour fédérale s’est penchée une nouvelle fois sur cette question visant la réouverture d’une enquête après la présentation des plaidoiries, mais avant que le jugement final soit rendu ou que les motifs soient prononcés (voir Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2011 CF 467 (CanLII) [« Varco »]).

[23] Dans Varco, la Cour fédérale a été non-équivoque en énonçant que la jurisprudence relative à la réouverture d’une enquête après que les motifs ont été rendus (par exemple dans Sagaz) continue d’être utile et permet de nous orienter.

[24] L’honorable juge Phelan a écrit au paragraphe 15 de Varco que :

Le premier point, le principe primordial, c’est que la réouverture d’un procès relève d’un large pouvoir discrétionnaire, pouvoir qui doit être exercé avec parcimonie et prudence. La finalité d’un procès est un concept essentiel dans notre système de justice; personne ne peut apprécier ce concept davantage que le juge qui préside, qui est confronté à la tâche déplaisante de rouvrir une affaire pour laquelle il a commencé à rédiger ses motifs.

[25] Au paragraphe 17, la Cour fédérale a continué son analyse en faisant état de cette différence importante avec la décision Sagaz, puisque dans Vasco, la Cour n’avait pas encore rendu son jugement final. Il s’agit de la même distinction qu’a faite le Tribunal dans les paragraphes précédents de cette décision.

[26] Ce faisant, l’honorable juge Phelan a reformulé la première question de l’analyse à deux volets dans Sagaz, qui était « l’issue du procès aurait-elle vraisemblablement été différente si l’élément de preuve en cause avait été présenté? ». Il pose plutôt la question suivante : « les éléments de preuve, s’ils avaient été présentés, auraient-ils pu influer sur l’issue de l’affaire? ». Selon la Cour fédérale, cette question commande alors une analyse quant à la pertinence et l’importance des éléments de preuve additionnels visés par la demande (Varco, au par. 17).

[27] En plus de cette analyse modifiée à deux volets, la Cour fédérale a ajouté une autre considération, soit celle de l’existence de circonstances exceptionnelles. À ce sujet, elle affirme que le décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer s’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant l’annulation du critère de la diligence raisonnable, qui est prévu au deuxième volet de l’analyse, ou du moins, d’en diminuer son importance, dans son ensemble (Varco, au par. 20). Elle ajoute que le fait qu’un décideur puisse être induit en erreur peut être un aspect à considérer dans ce volet de l’existence de circonstances exceptionnelles.

[28] Toujours dans Varco, la Cour fédérale précise au paragraphe 21 que plusieurs facteurs tels que la pertinence, la nécessité, la fiabilité, la diligence raisonnable et le préjudice font partie de l’analyse globale faite par le décideur dans le contexte de demande de réouverture d’une enquête afin d’y admettre de la preuve additionnelle (la Cour fédérale s’est fondée sur Sanofi-Aventis Canada Inc. v Apotex Inc., 2009 FC 294).

[29] L’honorable juge Phelan a écrit au paragraphe 22 de Vasco, que :

[…] lorsqu’on regroupe tous les facteurs, critères et points à considérer, l’importance de l’intégrité du procès – la recherche de la vérité au moyen de la preuve – est le point primordial à considérer. Dans une certaine mesure, cette considération est prise en compte quand on se demande si le tribunal pourrait être induit en erreur.

[30] Récemment, l’honorable juge Lafrenière a aussi traité d’une demande en réouverture d’enquête visant le dépôt de nouveaux éléments de preuve après que la preuve des parties fut close, mais avant la présentation des plaidoiries (Rovi Guides, Inc. c. Vidéotron Ltée, 2021 CF 19 (CanLII) [« Rovi Guides »], au par. 16). Encore une fois, la Cour fédérale a adopté l’analyse à deux volets de la Cour suprême dans Sagaz, qui reprenait le test dans Scott, en indiquant qu’elle était tout aussi applicable dans les circonstances dont elle était saisie.

[31] Dans Rovi Guides, la Cour fédérale a ajouté que l’intérêt du public quant au caractère définitif des litiges demeurait une considération importante lors de l’analyse de ce type de demande, en raison de l’injustice potentielle que la réouverture d’une enquête pourrait créer (au paragraphe 18).

[32] Toutefois, le juge Lafrenière a ajouté que le défaut d’exercer une diligence raisonnable par une partie afin d’obtenir la preuve avant le procès n’est pas nécessairement fatal ; le décideur conserve son pouvoir discrétionnaire et résiduel permettant d’admettre de la nouvelle preuve lorsque les intérêts de la justice le justifient, et ce, même si l’analyse à doubles volets n’est pas rencontrée (Rovi Guides, au par. 27. Voir également Brace c. Canada, 2014 CAF 92 (CanLII), au par. 12 [« Brace »]).

[33] Dans Brace, l’honorable juge Stratas rappelait que ce pouvoir discrétionnaire résiduel ne devait être exercé qu’avec beaucoup de soin et que dans les cas les plus clairs. Plus près de nous, dans Montreuil, notre Tribunal reprenait aussi cette même idée ; lorsqu’un tribunal ou une cour utilise son pouvoir discrétionnaire afin de rouvrir l’enquête, il doit nécessairement le faire avec la plus grande prudence et avec modération, afin d’éviter la supercherie et le recours abusif aux tribunaux (Montreuil, au par. 16).

[34] En se fondant sur les enseignements de la Cour suprême et de la Cour fédérale, l’analyse sur la réouverture d’une instruction afin de permettre le dépôt d’éléments de preuve additionnels avant que la décision finale du Tribunal ne soit rendue s’énonce alors de la manière suivante :

1) La preuve, si elle était présentée, changerait-elle vraisemblablement le résultat de l’instruction de la plainte?

2) La preuve pouvait-elle être obtenue avant l’instruction de la plainte en exerçant une diligence raisonnable?

3) Existe-t-il des circonstances exceptionnelles justifiant que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire afin d’admettre les éléments de preuve additionnels?

[35] Au final, tous ces éléments soulèvent fondamentalement une question de préjudice. Lorsque le Tribunal doit soupeser les bénéfices réels que pourrait procurer la preuve additionnelle, il doit nécessairement analyser les inconvénients que cela pourrait aussi créer, en plus de considérer l’un des principes fondamentaux sur lequel s’appuie notre système judiciaire, soit la finalité des débats judiciaires. Il ne s’agit pas simplement de rouvrir l’enquête et d’accorder la possibilité toute simple d’ajouter des éléments de preuve après que le débat judiciaire a été déclaré clos. Il ne s’agit pas non plus de bonifier ou de parfaire la preuve ayant déjà été présentée à l’audience.

[36] Il faut ainsi évaluer les impacts que la réouverture d’enquête comporte par exemple le fait de devoir rappeler des témoins, retenir des dates additionnelles pour entendre les parties, la preuve, les plaidoiries. Il faut aussi considérer le temps, les coûts, les ressources qui seront nécessaires tant pour les parties que le Tribunal afin de compléter ces étapes.

[37] Enfin, les principes de justice naturelle comprennent le droit à une partie de présenter une preuve complète et suffisante, en temps opportun. Corollairement, les principes de justice naturelle commandent aussi l’obligation de ne pas prendre la partie adverse par surprise, une fois que les dés ont été joués.

[38] C’est alors en gardant ces principes juridiques à l’esprit que le Tribunal analysera la présente demande.

V. Remarques préliminaires

[39] Les Forces ont soulevé des inquiétudes quant au fait que M. Dorais ait ajouté à sa requête les 25 courriels visés par sa demande en réouverture d’instruction afin d’y déposer des éléments de preuve additionnels, et ce, sans que le Tribunal l’ait autorisé à le faire. Le Tribunal n’a pas l’intention de s’attarder longuement à cet argument.

[40] D’une part, dans son analyse, le Tribunal doit évaluer notamment l’importance et la pertinence des documents visés par la demande. Pour ce faire, il doit nécessairement consulter la documentation en question afin de pouvoir rendre sa décision. Si M. Dorais n’avait pas joint les courriels visés par la demande, le Tribunal lui aurait inévitablement demandé de les lui transmettre afin qu’il puisse se pencher entièrement sur la question et disposer de la requête.

[41] D’autre part, les Forces demandent au Tribunal de radier l’affidavit de M. Dorais dans son entièreté. Les Forces estiment qu’il s’agit-là d’une manière de fournir du contexte et de la preuve concernant les courriels pour lesquels M. Dorais demande la réouverture d’enquête afin de les déposer en preuve. Pourtant, les Forces se basent sur cet affidavit dans ses propres représentations afin de se défendre. Il semble contre-productif que les Forces demandent la radiation d’un affidavit, alors qu’elles se fondent elles-mêmes sur cet affidavit pour se défendre et produire une réponse.

[42] Cela dit, et contrairement à ce que prétend les Forces, le fait que M. Dorais ait déposé un affidavit dans lequel il fait référence aux 25 courriels n’est certainement pas une façon d’introduire de la preuve de manière non autorisée. L’affidavit et les 25 courriels en question font partie de l’avis de requête et du dossier de requête. L’affidavit ne constitue en aucun cas de la preuve déposée à l’audience et admise par le Tribunal en tant que tel. Les 25 courriels ne peuvent constituer de la preuve que si le Tribunal accorde la requête de M. Dorais et les admet formellement en tant qu’éléments de preuve (voir notamment 50(3)c) de la LCDP).

[43] Enfin, M. Dorais a déjà témoigné sur son processus de recrutement et ses démarches auprès des différents départements dans les Forces concernant sa candidature. Si le Tribunal admet les courriels en question, ils seront évalués au regard du témoignage de M. Dorais à l’audience, sous réserve des plaidoiries additionnelles et de la nécessité de rappeler des témoins.

VI. Analyse

[44] M. Dorais a déposé une requête visant à rouvrir l’enquête du Tribunal afin d’y déposer des éléments de preuve additionnels alors que l’enquête a été déclarée close. Plus spécifiquement, M. Dorais veut déposer 25 courriels présentés chronologiquement entre lui et différentes entités et officiers des Forces, du 4 septembre 2012 au 5 septembre 2016. Il estime que ces documents donneront au Tribunal plus de contexte quant au dépôt de sa candidature dans les Forces. La Commission consent à sa demande alors que les Forces s’y opposent.

[45] Comme le Tribunal l’a déjà soulevé dans ses instructions aux parties concernant la demande de M. Dorais, une demande en réouverture d’instruction afin d’y déposer des éléments de preuve additionnels alors que l’instruction est close est une demande rare et exceptionnelle et pour laquelle le Tribunal doit porter une attention particulière et avoir une approche prudente (Montreuil, au par. 16).

A. La preuve, si elle était présentée, changerait-elle vraisemblablement le résultat de l’instruction de la plainte?

[46] Quant à la première branche du test, M. Dorais estime que les nouveaux éléments de preuve documentaire sont pertinents et utiles pour le Tribunal puisqu’ils mettent en exergue le contexte du dépôt de sa candidature dans les Forces, son engagement, ses efforts et ses objectifs à se joindre à nouveau à cette organisation. Il croit que ces nouveaux éléments exerceront une influence significative sur le résultat du dossier, entre autres puisque la Première Réserve au Edmonton 15 Field Ambulance lui avait confirmé qu’un poste en soins infirmiers était disponible en 2015-2016.

[47] M. Dorais allègue que les Forces ont soulevé des doutes quant à la disponibilité d’un tel poste durant son contre-interrogatoire à l’audience et dans leurs représentations finales. Selon M. Dorais, il a trouvé accidentellement les courriels dans sa boite d’envoi, et non dans sa boite de réception, puisqu’il se souvenait d’avoir eu des interactions avec le caporal-chef Mason et de la possibilité qu’un poste d’agent en soins infirmiers soit disponible pour lui. Il ajoute que la Première Réserve du Edmonton 15 Field Ambulance n’aurait pas transféré sa candidature au centre de recrutement s’il n’y avait pas eu de poste disponible pour lui. Il argue qu’un candidat doit vérifier s’il existe un poste auprès de l’unité de Réserve des Forces qu’il désire joindre avant de se lancer dans le processus de recrutement.

[48] Dans la même veine, la Commission se réfère au témoignage de Mme Eastwood, qui a confirmé qu’il avait probablement un poste d’agent aux soins infirmiers de disponible.

[49] Finalement, M. Dorais estime que ces courriels sont importants puisque durant l’audience, le Tribunal a entendu de la preuve sur ses efforts déployés quant à l’obtention du poste d’agent en soins infirmiers au sein de la Première Réserve au 15 Field Ambulance d’Edmonton en 2015 et 2016 et du processus de recrutement tant dans la Première Réserve que dans les Forces régulières. Selon M. Dorais, les 25 courriels parlent de tout cela, en temps réel, et pourraient influencer la décision du Tribunal sur sa réclamation pour la perte d’emploi et les pertes de salaires afférents.

[50] Il ajoute ne pas se souvenir que les Forces aient soulevé quelconque problème durant la gestion de dossier quant à la disponibilité d’un poste d’agent en soins infirmiers. Il n’avait alors aucune raison de produire des documents à ce sujet. Selon sa compréhension, une fois la preuve à première vue présentée, ce qui était sa priorité, le fardeau était alors aux Forces de présenter [traduction] « toutes les autres choses », pour reprendre ses mots.

[51] La Commission est en accord avec M. Dorais. Elle estime que la preuve documentaire est pertinente puisqu’elle permet d’appuyer, d’une part, la position voulant qu’une recrue doive confirmer l’existence d’un poste avant que sa candidature soit acceptée et, d’autre part, de confirmer l’existence d’un poste d’agent aux soins infirmiers à la Première Réserve au Edmonton 15 Field Ambulance. Ces courriels appuient donc sa demande pour pertes de salaires.

[52] La Commission rappelle que M. Dorais a allégué qu’un poste d’agent aux soins infirmiers était disponible à la Première Réserve au 15 Field Ambulance d’Edmonton. Cela dit, les Forces ont argué que M. Dorais n’avait pas présenté de preuve à ce sujet et qu’il avait choisi de ne pas appeler quelqu’un de cette Réserve pour en témoigner. La Commission estime donc que ces courriels disposent de la question et que cette preuve additionnelle pourrait exercer une influence sur le résultat de cette affaire.

[53] Les Forces, quant à elles, estime que M. Dorais ne s’est pas déchargé de son fardeau visant à démontrer que lesdits documents sont pertinents et convaincants. Les Forces estiment que la pertinence de la preuve additionnelle n’est pas claire en ce que les documents n’abordent pas les questions de la discrimination ou des réparations. Selon elles, rien ne démontre que M. Dorais aurait reçu une offre ou une garantie d’emploi ou que les documents contiennent des informations concernant son rang, ses salaires, un nombre d’heures, ou autres éléments en ce sens. Il n’est pas non plus démontré que les personnes impliquées dans le processus de recrutement de M. Dorais sont les auteurs de ces courriels. Selon les Forces, M. Dorais ne veut apporter que du contexte à son processus de recrutement, ce qu’il aurait pu faire lors de son témoignage en avril 2021. Ce faisant, les Forces estiment que les courriels ne sont pas utiles, ne sont pas pertinents au litige et que leur admission n’aurait pas d’impact significatif sur l’issue de l’affaire.

[54] Tout d’abord, M. Dorais plaide dans sa requête que les documents additionnels dont il demande le dépôt offriront au Tribunal du contexte entourant le dépôt de sa candidature, soulignant son parcours, son engagement, ses objectifs afin de rejoindre à nouveau les Forces. Le Tribunal rappelle qu’il ne s’agit pas là des raisons pour lesquelles une réouverture d’enquête peut être accordée. Il est exceptionnel de permettre à une partie de déposer des éléments de preuve additionnels une fois que sa preuve a été déclarée close et que l’instruction ait été conclue. Il ne s’agit pas de bonifier ou de parfaire sa preuve avec des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui n’ont aucun impact majeur changeant vraisemblablement le résultat de l’instruction de la plainte.

[55] Le Tribunal a consulté les documents de M. Dorais qu’il a noté JB-168 à JB-192. Une simple révision de ces documents montre d’abord que certains courriels sont redondants et se dédoublent. D’autre part, il faut ajouter que la pertinence et l’utilité des courriels dont M. Dorais demande le dépôt sont questionnables.

[56] Rien dans ce qui a été consulté par le Tribunal dans les documents cotés JB-168 à JB-192 n’est une grande surprise. Pour certains documents, il s’agit d’échanges de courriels entre M. Dorais et d’autres officiers au sein des Forces, dans différents départements, alors qu’il tentait de découvrir s’il y avait un poste en soins infirmiers de disponible. D’autres de ces échanges sont simplement des réponses automatisées du système de dépôt de candidature ou des suivis sur la progression de sa candidature au sein des Forces, ce qui en diminue grandement l’utilité et la pertinence.

[57] De plus, il faut noter que M. Dorais a déjà témoigné sur le sujet et a été contre-interrogé sur ces aspects. Aussi, d’autres témoins, dont Mme Eastwood, ont notamment fourni leur compréhension sur la question à savoir si un candidat doit entreprendre des démarches au préalable afin de déterminer s’il y a un poste de disponible avant de déposer sa candidature.

[58] Cela dit, la fiabilité des courriels n’est pas remise en question. Mais force est de constater que la preuve qui a été déposée à l’audience par les différents témoignages a déjà abordé tout cette question.

[59] Il ne s’agit pas alors, dans notre cas, d’éléments de preuves additionnels qui pourraient vraisemblablement changer le résultat de l’instance. Ici, M. Dorais tente plutôt d’appuyer, par des éléments de preuve additionnels et non divulgués, la preuve qui avait été déjà soumise par voie testimoniale durant l’audience.

[60] Les courriels ne constituent pas des documents qui étaient inconnus de tous ; ils ont été identifiés par M. Dorais à travers sa propre boite de courriel. Plutôt, les documents ne font que corroborer son propre témoignage déposé à l’audience.

[61] Ce faisant, le Tribunal est d’avis qu’à la question « la preuve, si elle était présentée, changerait-elle vraisemblablement le résultat » de l’instruction de la plainte, la réponse est non.

B. La preuve pouvait-elle être obtenue avant l’instruction de la plainte en exerçant une diligence raisonnable?

[62] M. Dorais affirme que ces nouveaux éléments de preuve n’ont pu être obtenus avec diligence raisonnable avant les audiences. À cet effet, il affirme que c’est le 9 mai 2022 qu’il a découvert les 25 courriels en question datés entre le 4 septembre 2012 et le 5 septembre 2016, alors qu’il passait le temps dans sa voiture à consulter sa boite de courriels. Il a expliqué que c’est en fouillant dans sa boite d’envoi de courriels qu’il a retrouvé ces éléments et non dans sa boite de réception.

[63] M. Dorais affirme que s’il avait été représenté par avocat, ce dernier aurait pu l’assister également dans la préparation de son dossier.

[64] Il ajoute aussi que lorsque la Commission avait fait une demande de divulgation aux Forces visant le dépôt de sa candidature, notamment des courriels qu’elles auraient pu avoir à ce sujet, les Forces ont répondu que ces courriels ne pouvaient être produits. Plutôt, les Forces l’ont invité à divulguer de tels courriels entre lui et les employés des Forces s’il en avait accès. M. Dorais estime que les efforts des Forces dans la divulgation ont été aussi médiocres que les siens.

[65] Dans la même veine, la Commission allègue que les Forces n’ont effectivement pas divulgué ces courriels entre ses employés et M. Dorais. De plus, le dossier de recrutement de M. Dorais, en version papier, a été détruit par l’intimée en mars 2020. À cet effet, la Commission se réfère au témoignage de Mme Eastwood, qui a expliqué qu’elle n’a pas reçu de demande visant à retenir le dossier de recrutement de M. Dorais afin de préserver la preuve en raison de l’existence d’un litige en cours. Elle a confirmé que le dossier a été détruit par des employés subalternes. La Commission précise cependant que, comme l’a indiqué Mme Eastwood, sous l’ancien système informatique, la politique aurait été d’imprimer les courriels et les ajouter au dossier de recrutement.

[66] Les Forces, quant à elle, arguent que M. Dorais n’a pas fourni d’explications raisonnables concernant le délai marqué relatif à la production de ces éléments de preuves. Comme M. Dorais a mentionné qu’il a trouvé ces courriels le 9 mai 2022 alors qu’il fouillait dans les courriels de son téléphone pour passer le temps, les Forces affirment alors qu’il avait le contrôle et la possession de ces documents à tous moments pertinents en l’instance.

[67] Les Forces ajoutent qu’en avril 2021, durant le contre-interrogatoire de M. Dorais, ce dernier a vu qu’elles ont soulevé des doutes quant à la disponibilité d’un poste d’agent aux soins infirmiers au sein de son organisation. Dans une lettre datée du 23 juin 2021, les Forces avaient affirmé que le litige se concentrait sur les actions et les décisions de l’officier médical ayant pris la décision quant à son recrutement et non sur les processus de mise en candidature du centre de recrutement lui-même. Dans cette correspondance, les Forces avaient invité M. Dorais à déposer les courriels qu’il aurait en sa possession entre lui et les différents employés de l’organisation et dont il estimait pertinents. Les Forces croient que M. Dorais aurait donc dû être avisé de chercher dans ses courriels s’il estimait qu’ils étaient pertinents au litige. Contrairement à ce que prétend M. Dorais en mentionnant que leurs efforts quant à la production des courriels de ses employés ont été médiocres, les Forces affirment avoir distribué les courriels pertinents au litige. Elles n’ont alors pas concédé que les courriels du centre de recrutement étaient, dans les faits, pertinents.

[68] Les Forces plaident également que les anciennes Règles, lesquelles s’appliquent en l’instance, prévoient que les parties ont droit à une preuve pleine et entière ; les éléments de preuve et les arguments doivent être divulgués et présentés de manière efficace et en temps opportun (règle 1 des anciennes Règles).

[69] Elles ajoutent que le paragraphe 50(1) de la LCDP prévoit qu’elles avaient le droit de recevoir un avis, de comparaitre pleinement et entièrement et de présenter ses éléments de preuve et observations. Considérant le délai occasionné par M. Dorais, les Forces arguent qu’il ne serait pas expéditif de lui permettre d’utiliser le processus de cette manière afin de déposer de nouveaux éléments de preuve.

[70] De plus, bien que les Forces jugent que les courriels en question ne soient pas pertinents ni convaincants, elles allèguent que M. Dorais savait qu’il avait l’obligation, selon les Règles de procédure du Tribunal, de divulguer les documents pertinents à son litige (Règles 6(1)d),(4),(5) et 9(3) des anciennes Règles). Si M. Dorais croyait que ces documents étaient pertinents, les Forces estiment qu’il aurait pu les lister dans sa liste de documents et les divulguer. Elles ajoutent que la Règle 9(3) des ancienne Règles empêche une partie de se baser sur des éléments de preuve non divulgués. La seule exception est si cela respecte les objectifs énoncés à la Règle 1(1) des anciennes Règles, et si cela est autorisé par le Tribunal, auquel cas il offrira alors aux autres parties la possibilité d’y répondre.

[71] Les Forces croient que M. Dorais n’a pas fait preuve de diligence raisonnable et avait toute la latitude pour fournir les documents qu’il estimait pertinents. Ainsi, lorsqu’il a divulgué durant l’audience en juillet 2021 des courriels relativement à son processus de recrutement, il aurait dû effectuer une recherche diligente dans sa boite de courriels afin d’y trouver les 25 courriels.

[72] À ce sujet, les Forces attirent l’attention du Tribunal à Whyte, Kasha c. Canadian National Railway, 2010 TCDP 6 (CanLII) [Whyte] en affirmant que le Tribunal, dans cette cause, avait rejeté la demande la partie intimée de rouvrir l’enquête sur le simple fondement que cette dernière avait accès à l’information en question avant et durant l’audience et qu’elle aurait pu l’obtenir en faisant preuve de diligence raisonnable. Elles font aussi référence à Canada (Human Rights Comm.) v. Canadian Broadcasting Corp., 1994 CanLII 18406 (TCDP), dans laquelle le Tribunal a aussi rejeté la demande de réouverture de l’enquête de la partie intimée puisqu’elle aurait pu obtenir les éléments de preuve si elle avait agi avec diligence raisonnable. Tout comme dans ces dossiers, les Forces arguent que le manque de diligence raisonnable de la part de M. Dorais devrait empêcher la réouverture d’enquête.

[73] Au vu des arguments des parties, le Tribunal considère qu’effectivement, la preuve documentaire additionnelle de M. Dorais aurait pu être obtenue bien avant l’instruction, voire durant l’instruction, s’il avait agi avec diligence raisonnable puisque ces courriels se retrouvaient dans sa boite d'envoi ou de réception Outlook.

[74] La manière dont les documents ont été retrouvés par M. Dorais et comment il les a retrouvés – alors qu’il était dans sa voiture, à passer le temps, défilant ses courriels de sa boite Outlook – appuie l’idée que ces échanges de courriels entre lui et différentes entités et officiers des Forces étaient facilement retraçables et auraient pu être divulgués bien avant l’audience, voire durant l’audience. De ce fait, une diligence raisonnable aurait pu lui permettre de divulguer cette documentation aux autres parties.

[75] D’autre part, même si M. Dorais indique qu’il n’avait pas réellement saisi que la question quant à sa recherche préalable d’un poste en soins infirmiers au sein des Forces était un point litigieux, il a tout de même été en mesure de témoigner à ce sujet et d’informer le Tribunal de ses démarches. Il a été en mesure de partager les souvenirs qu’il avait de ses échanges avec différents agents des Forces et de les nommer. M. Dorais avait l’occasion à ce temps de déposer la documentation qui était afférente à son témoignage, ce qu’il n’a pas fait.

[76] Dans ses représentations, il a partagé s'être souvenu que durant son contre-interrogatoire, alors qu’il répondait à des questions concernant la Première Réserve au Edmonton 15 Field Ambulance, la question des courriels relatifs aux recrutements avec la Réserve est venue sur le sujet. Toujours dans ses représentations, M. Dorais a aussi mentionné que durant son contre-interrogatoire, il a pensé qu’il était peut-être trop tard pour déposer certains documents dont il avait possession.

[77] M. Dorais n’a pas demandé au Tribunal l’autorisation de déposer les courriels en question et qui concernent ses démarches préliminaires avec le centre de recrutement et la Première Réserve au Edmonton 15 Field Ambulance. Les seules pièces déposées à cet effet sont JB-136 et JB-137, soit des échanges avec Mme Mason du centre de recrutement.

[78] Cela présuppose que M. Dorais se souvenait que des courriels ont été échangés entre lui et divers officiers des Forces. Cependant, il n’explique pas pourquoi il n’a pas pris les démarches raisonnables afin de les chercher et de les récupérer dans sa propre boite de courriels.

[79] Pourtant, il a bien déposé les pièces JB-136 et JB-137. Ces deux pièces sont des échanges de courriels entre lui et Mme Mason. Ces pièces se situent dans la période où M. Dorais tentait de découvrir s’il y avait un poste en soins infirmiers de disponible. Pourtant, il n’a joint aucun des autres courriels, se situant dans la même période pertinente.

[80] Le Tribunal est surpris que M. Dorais ait aussi inclus les pièces JB-136 et JB-137 dans la présente demande en réouverture d’enquête, mais les a plutôt cotées JB-189 et JB-190. Pourtant, le Tribunal constate qu’il s’agit effectivement des mêmes courriels que ceux qui ont été déposés à l’audience, sous les côtes JB-136 et JB-137.

[81] Le Tribunal se demande alors pourquoi M. Dorais n’a pas distribué l’ensemble des courriels entre lui, les Forces, ses officiers et le centre de recrutement, au même moment où il a déposé les pièces JB-136 et JB-137. Le Tribunal aurait pu traiter une telle demande en temps et lieu, à l’audience.

[82] Ainsi, les éléments de preuve dont M. Dorais demande le dépôt ne sont pas nouveaux et le Tribunal n’est pas convaincu qu’il s’agisse de documents dont M. Dorais ne connaissait pas du tout l’existence. Comme le Tribunal l’a explicité précédemment, M. Dorais était une partie à ces conversations avec les Forces et se souvient de ces échanges avec elles, ses officiers et le centre de recrutement. Tel que mentionné plus haut, il a déjà déposé des documents similaires, dans la même période pertinente. Il était alors de sa responsabilité d’effectuer ses recherches de manière diligente et de retrouver les documents qui appuyait ses prétentions.

[83] Quant à l’argument que M. Dorais n’était pas représenté, il faut noter que bien que non représenté, M. Dorais a été en mesure de mener à terme son dossier. Le Tribunal comprend très bien qu’il n’était pas représenté par avocat dans la procédure et qu’effectivement, les services d’un avocat ou d’un conseiller juridique sont utiles et souhaitables. Toutefois, ce service n’est pas accessible à tous.

[84] Cependant, nous ne pouvons pas prétendre qu’une représentation par avocat de M. Dorais aurait nécessairement engendré la découverte, la distribution ou le dépôt des courriels en question dans le dossier du Tribunal. La présence d’un avocat et ce qui aurait pu se produire demeure spéculative.

[85] De plus, le Tribunal note que tout au long de la procédure, M. Dorais avait démontré qu’il était en mesure de comprendre la procédure du Tribunal et les obligations qu’il avait à rencontrer ; cela inclut entre autres la divulgation des documents potentiellement au dossier.

[86] Il a été en mesure de produire son exposé des précisions, divulguer les documents potentiellement pertinents à son litige, de créer sa liste de pièces pour l’audience, convoquer ses témoins, etc. Bien que non représenté et n’ayant pas de formation juridique, M. Dorais a démontré les habiletés et aptitudes nécessaires et adéquates pour saisir généralement ses droits et obligations dans notre processus quasi judiciaire.

[87] Il faut également faire mention que la Commission a participé à l’audience. Bien qu’elle ne représentât pas M. Dorais, la Commission l’a accompagné tout au long de la procédure, ce qui n’est pas non plus une considération à négliger.

[88] Le Tribunal doit accompagner les parties non représentées dans la procédure afin qu’elles comprennent ce qu’elles doivent accomplir et qu’elles soient en mesure de présenter leur dossier de manière significative (paragraphe 50(1) de la LCDP; voir aussi Conseil canadien de la magistrature, Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat, CCM 2006, à l’adresse https://cjc-ccm.ca/sites/default/files/documents/2020/Final-Enonce-de-principes.pdf, entériné par la Cour suprême dans Pintea c. Johns, 2017 CSC 23).

[89] Toutefois, être non représentée ne donne pas non plus un passe-droit à un fardeau ou une charge de la preuve moins élevée pour la partie sans avocat ou sans conseiller juridique, et ce, au détriment du fardeau qui doit être rencontré par les parties adverses. Cela créerait nécessairement une iniquité dans la procédure si c’était le cas.

[90] Ici, les documents de M. Dorais étaient en sa possession et facilement accessibles avec une simple recherche dans ses courriels. Il semble également qu’il était au courant que des courriels pouvaient exister ; il a, d’ailleurs, déposé des courriels entre lui et Mme Masson sous les côtes JB-136 et JB-137, qui sont repris par les côtes JB-188 et JB-189 relativement à la présente requête. Ces documents auraient pu être distribués avant voire au moins, pendant l’audience (Whyte, précité). Il était de la responsabilité de M. Dorais d’effectuer préalablement ses recherches de manière suffisamment diligente et de communiquer les documents qui étaient potentiellement pertinents au dossier. Le Tribunal conclut donc que la deuxième branche du test n’est pas remplie.

[91] La question à cette étape-ci est de déterminer si la personne qui demande le dépôt d’éléments de preuve après la fermeture de la preuve et de l’instruction a agi avec diligence raisonnable afin d’obtenir la preuve. Le fardeau revient à M. Dorais de convaincre le Tribunal qu’il a agi avec diligence raisonnable afin d’obtenir ladite preuve, ce qu’il n’a pas été en mesure de démontrer.

[92] La question de la destruction du dossier de recrutement de M. Dorais, soulevé par la Commission, sera traitée ci-bas dans la section des circonstances exceptionnelles puisque le Tribunal juge que c’est à ce moment-là que l’analyse de cet élément s’y prête le mieux.

C. Existe-t-il des circonstances exceptionnelles justifiant que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire afin d’admettre les éléments de preuve additionnels?

[93] La Commission estime que le Tribunal détient la discrétion résiduelle de rouvrir l’instruction, même s’il en venait à la conclusion que le critère de la diligence raisonnable n’a pas été respecté. Elle croit que le fait qu’une organisation gouvernementale ne préserve pas la preuve bien après que le litige est débuté constitue des circonstances exceptionnelles justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal afin de rouvrir l’enquête.

[94] La Commission croit que les Forces ont manqué à leur diligence de préserver le dossier papier de recrutement de M. Dorais. Elle affirme que comme l’a confirmé Mme Eastwood, les courriels auraient été versés dans le dossier de recrutement de M. Dorais. Ces courriels auraient aussi pu se retrouver dans les boites courriel des employés en question, mais les Forces n’ont pas présenté de preuve voulant que ses employés aient été contactés afin de vérifier s’ils avaient accès à ces courriels.

[95] La Commission ajoute qu’il n’y aura aucun préjudice pour les Forces si ces courriels sont admis puisque ceux-ci auraient dû être en leur possession. Elle croit que ce faisant, l’intégrité de l’instruction est maintenue, que le délai supplémentaire est mitigé, et que dans les circonstances où la décision finale n’a pas encore été rendue, l’intérêt de la justice et de l’équité procédurale quant à la réouverture de l’instruction l’emporte sur le principe de la finalité.

[96] Les Forces allèguent que la réouverture de l’instruction afin d’y déposer les nouveaux éléments de preuve créera des délais et des coûts supplémentaires. Elles ajoutent que dans le cours normal des procédures, les parties auraient eu l’opportunité de présenter des arguments afin de répondre à la preuve déposée. Ce faisant, la valeur probante des documents de M. Dorais doit être évaluée.

[97] Les Forces ajoutent qu’elles subiront un préjudice avec l’admission de ces documents, car leur défense au dossier se fondait sur l’exposé des précisions de M. Dorais, les documents divulgués et les témoignages présentés. Sans que M. Dorais puisse démontrer la pertinence, l’effet convaincant des documents et leur valeur probante, les Forces plaident qu’il serait contraire à l’intérêt de la justice de les admettre en preuve après la conclusion de l’instruction. Enfin, elles arguent qu’à la lumière des facteurs opposés qui sont significatifs, le principe de la recherche de la vérité ne requiert pas l’admission de ces éléments de preuve afin de confirmer d’autres éléments de preuve.

[98] Dans le cas en l’espèce, existe-t-il des circonstances exceptionnelles justifiant que le Tribunal exerce sa discrétion résiduelle et d’admettre les documents additionnels bien que l’instruction soit close? Le Tribunal répond par la négative.

[99] Considérant que les documents en question ne changeraient vraisemblablement pas le résultat de l’instruction, que leur importance et pertinence sont mitigées, et que M. Dorais aurait pu y avoir accès facilement en consultant sa boite de courriels Outlook, le Tribunal ne croit pas que les circonstances justifient qu’il use de sa discrétion afin d’admettre les documents additionnels.

[100] D’autre part, le fait que le dossier de recruitement de M. Dorais ait été détruit de manière précaire par des agents des Forces alors qu’un litige était en cours ou anticipé n’est pas suffisant, dans le cas en l’espèce, afin de justifier que le Tribunal use de sa discrétion pour admettre ces documents.

[101] D’abord, le Tribunal rappelle que la bonne foi se présume en droit (Robinson c. Forces armées canadiennes, 1991-07-04, T.D. 9/91, à la p. 19; Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP 5, au par. 139; Valenti c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 TCDP 25, para. 26 (tableau); Bhasin v. Hrynew, 2014 SCC 71).

[102] C’est à la partie qui soulève la mauvaise foi d’une autre partie d’en prouver l’existence. Rien dans la preuve, ni dans les représentations de la Commission ou de M. Dorais ne convainquent le Tribunal que les Forces, ou ses officiers, ont détruit le dossier de candidature de M. Dorais de manière intentionnelle ou de mauvaise foi, voire en faisant preuve d’une négligence grossière.

[103] Mme Eastwood est venue témoigner devant le Tribunal de manière ouverte sur la destruction du dossier et a expliqué les circonstances menant à sa destruction. Elle a effectivement reconnu que cela n’aurait pas dû se produire et qu’il existe des lacunes dans la procédure de conservation des dossiers dans le cas d’un litige. Mme Eastwood a admis qu’il y avait des leçons à tirer de la situation et que des corrections s’imposent.

[104] Malgré qu’effectivement, le dossier de candidature de M. Dorais – qui auraient pu potentiellement inclure les courriels en question – ait été détruit, les courriels étaient tout de même en la possession de M. Dorais, et ce, bien avant le début de la procédure du Tribunal. Comme précédemment expliqué, ces documents étaient facilement retraçables et accessibles par ce dernier avec une simple recherche dans sa boite de courriels.

[105] Quant au préjudice, le Tribunal rappelle que le fait d’accorder une demande visant à ajouter des éléments de preuve après que l’enquête a été déclarée close est une mesure exceptionnelle. Il ne s’agit pas de simplement ajouter des éléments après le fait, une fois les dés joués, sans autre formalité. Il est dans l’intérêt de la justice et de la saine administration de la justice qu’une fois que l’enquête est déclarée close, les cours et les tribunaux puissent prendre le dossier en délibéré et rendre une décision avec la preuve déposée à l’audience. Cela respecte le principe de finalité (Varco, au par. 15). La réouverture d’une enquête est, de manière inhérente, une atteinte à ces principes et le Tribunal doit faire preuve d’une grande prudence et n’accorder ce genre de demande que dans des cas rares et clairs.

[106] Dans le présent cas, la recherche de la vérité ne supplante par le principe de la finalité des débats, considérant le préjudice notamment en termes de temps et coûts qui sera causé par la réouverture du débat, que l’importance et la pertinence des documents sont mitigés, que les documents ne changeraient vraisemblablement pas l’issue de l’instruction et que M. Dorais pouvait facilement y avoir accès en agissant avec diligence raisonnable.

VII. Décision

[107] Pour ces motifs, le Tribunal rejette la demande du plaignant.

 

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 9 février 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2409/6819

Intitulé de la cause : Joshua Dorais c. Canadian Armed Forces

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 9 février 2023

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Joshua Dorais , pour le plaignant

Caroline Carrasco et Christine Singh, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Cynthia Lau et Samantha Gergely , pour l'intimé

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