Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 42

Date : le 21 décembre 2022

Numéro du dossier : T2665/4121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Keith Leonard

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Canadian American Transportation Inc. et Penner International Inc.

les intimées

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte

[1] Le 14 octobre 2022, les intimées, Canadian American Transportation (« CAT ») et Penner International Inc. (« Penner »), ont présenté une demande visant à empêcher certains des témoins de M. Keith Leonard (le « plaignant ») de témoigner. Plus précisément, les intimées s’opposent au témoignage prévu de trois personnes : M. Adam Wolkin, Mme Sandra Leonard et M. Daniel Goyette.

[2] Le Tribunal a reçu les observations du plaignant le 26 octobre 2022 et la réponse des intimées le 4 novembre 2022. La Commission ne participe pas aux délibérations et n’a déposé aucune observation concernant la présente requête.

II. Décision

[3] Le Tribunal rejette la demande de CAT et de Penner visant à empêcher M. Wolkin, Mme Leonard et M. Goyette de témoigner.

III. Analyse

[4] Le Tribunal est d’avis que les témoignages de M. Adam Wolkin, de Mme Sandra Leonard et de M. Daniel Goyette sont tous potentiellement pertinents au regard d’un fait ou d’une réparation, et M. Leonard est autorisé à appeler ces personnes à témoigner devant le Tribunal.

[5] Les intimées s’appuient sur la décision Dorais c. Forces armées canadiennes, 2021 TCDP 13 [Dorais] et les quatre principes directeurs qui y sont énoncés (pertinence, justice naturelle et équité procédurale, équilibre entre valeur probante et effet préjudiciable, exceptions) pour justifier leur demande.

[6] Le Tribunal souligne que l’affaire Dorais traite d’une question particulière, soit l’admissibilité d’éléments de preuve. Dans cette affaire, l’intimée s’est formellement opposée à l’admissibilité du témoignage de M. Clayton avant même le début de l’audience et, par conséquent, elle a exigé que le Tribunal traite cette question comme une question préliminaire, ce qui est inhabituel. L’admissibilité des témoignages est généralement traitée à l’audience et non en tant que question préliminaire.

[7] Dans la décision Dorais, le Tribunal a écrit que la règle d’or à appliquer concernant les témoignages prévus est la même que pour la divulgation de documents : la règle d’or est la pertinence potentielle (Dorais, au par. 16; Malenfant c. Videotron S.E.N.C., 2017 TCDP 11 (CanLII), aux par. 27 à 29).

[8] Le Tribunal appliquera cette même règle en l’espèce, et il décidera si les témoignages prévus de M. Leonard sont potentiellement pertinents pour la présente affaire. Pour le moment, le Tribunal n’établira pas l’admissibilité de ces témoignages, car c’est à l’audience qu’il le fera.

A. Témoignage de M. Adam Wolkin

[9] Le Tribunal comprend que M. Wolkin non seulement est le nouvel employeur de M. Leonard, mais qu’il a également déjà travaillé chez SLH à la même époque que M. Leonard.

[10] Les intimées soutiennent que le nouvel employeur du plaignant et les conditions d’emploi de ce dernier chez son employeur actuel ne sont pas pertinents pour la présente affaire, et que ces faits sont ultérieurs à la période en cause et dépassent la portée de la plainte.

[11] Le Tribunal n’est pas de cet avis. L’emploi actuel de M. Leonard pourrait être pertinent au regard de certaines questions dans la présente affaire, y compris en ce qui concerne les réparations que M. Leonard pourrait demander et, entre autres choses, pour ce qui est de la somme des dommages-intérêts ou de l’indemnisation pour perte de salaire et l’application de la doctrine de l’atténuation des dommages (Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15 (CanLII), au par. 53). M. Wolkin témoignera également de sa compréhension des conditions de travail de M. Leonard lorsqu’ils travaillaient tous les deux à SLH, ce qui est également pertinent dans la présente affaire.

[12] À l’heure actuelle, le retrait de M. Wolkin de la liste des témoins privera le plaignant de la possibilité pleine et entière de présenter ses arguments au Tribunal (art. 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la « LCDP »]), et le Tribunal n’est pas prêt à radier cette personne de la liste des témoins du plaignant.

[13] Les intimées auront la possibilité pleine et entière de se défendre, de contre-interroger M. Wolkin au sujet de son témoignage et de s’opposer à l’admissibilité de la preuve si, par exemple, elle n’est pas pertinente. Elles auront également l’occasion de faire valoir, dans leurs exposés finaux, le poids que le Tribunal devrait accorder à ce témoignage.

[14] Pour ces motifs, le Tribunal rejette la demande des intimées.

B. Témoignage de Mme Sandra Leonard

[15] Mme Sandra Leonard est l’épouse du plaignant. Les intimées soutiennent que son témoignage est inapproprié, qu’il n’est pas pertinent en l’espèce et que le plaignant peut présenter lui-même la preuve. De plus, elles affirment que son témoignage est préjudiciable au point que sa valeur probante ne l’emporte pas sur l’effet préjudiciable qu’il leur causera.

[16] Le Tribunal n’est pas d’accord avec les intimées. Le Tribunal comprend, d’après la plainte et l’exposé des précisions modifié du plaignant, que Mme Leonard et le plaignant ont pris différents arrangements concernant les soins à apporter à leur fille.

[17] M. Leonard affirme notamment que c’est lui qui prenait soin de sa fille pendant que son épouse travaillait la première moitié de la journée. Ensuite, son épouse prenait la relève pour l’autre moitié de la journée pendant qu’il travaillait à SLH. Mme Leonard sera en mesure de parler de ce que le plaignant et elle avaient convenu pour assumer leurs obligations en tant que parents et des tentatives de trouver des solutions de rechange en réponse aux événements qui ont mené à la présente plainte.

[18] De plus, le Tribunal fait remarquer que les intimées soulèvent également des préoccupations au sujet de la solution de rechange de M. Leonard et de son épouse pour la garde de leur enfant, plus particulièrement aux paragraphes 55 à 61 de leur exposé des précisions modifié. Par exemple, elles soulèvent des préoccupations au sujet des quarts de travail et des heures de travail de Mme Leonard et remettent en question le choix que M. Leonard et elle ont fait simplement pour le côté pratique ou pour une question de préférence, pour reprendre les mots des intimées.

[19] Le Tribunal comprend que Mme Leonard aura une connaissance personnelle de ces faits et, par conséquent, il conclut que son témoignage est approprié et potentiellement pertinent dans la présente affaire. Le plaignant a également le droit de présenter sa preuve complète (art. 50 de la LCDP) et, encore une fois, le Tribunal n’est pas prêt à radier Mme Leonard de la liste des témoins du plaignant.

[20] Enfin, les intimées n’ont présenté aucun motif convaincant pour démontrer que le témoignage de Mme Leonard leur serait préjudiciable d’une manière qui l’emporterait sur sa valeur probante. Les intimées auront une possibilité pleine et entière de contre-interroger Mme Leonard à l’audience, de s’opposer à l’admissibilité de la preuve si, entre autres choses, elle n’est pas pertinente, et de faire valoir dans leurs observations finales le poids que le Tribunal devrait accorder à ce témoignage.

[21] Le Tribunal rejette la demande des intimées.

C. Témoignage de M. Daniel Goyette

[22] Les intimées soutiennent que le témoignage de M. Goyette n’est pas pertinent dans la présente affaire et que celui-ci a peu ou pas de connaissance des faits avancés en l’espèce.

[23] Le Tribunal convient avec le plaignant qu’il semble que le témoignage de M. Goyette soit potentiellement pertinent pour l’affaire, y compris concernant la responsabilité prétendue de CAT et pour établir l’existence de discrimination de la part des intimées, CAT et Penner.

[24] Comme le Tribunal l’a expliqué aux paragraphes 116 à 121 de sa décision Leonard c. Canadian American Transportation Inc. et Penner International Inc., 2022 CHRT 20 (CanLII) [Leonard], il ne peut conclure, sans avoir entendu des éléments de preuve à cet égard, « […] si CAT est, d’une quelconque manière, liée aux allégations de discrimination soulevées par le plaignant, que cela soit directement ou indirectement et dans quelle mesure » (Leonard, au par. 121).

[25] De même, la participation de M. Goyette, qui est président de CAT et un des administrateurs de Penner, n’est pas claire. M. Goyette est le président de l’une des deux intimées qui sont maintenant engagées dans la présente affaire et, entre autres choses, son nom figure dans une lettre qui a été envoyée au plaignant au sujet de son emploi et dans différents dossiers de différentes entités engagées dans la présente affaire.

[26] Encore une fois, le critère est la pertinence potentielle, et le Tribunal croit qu’à l’heure actuelle, le témoignage prévu de M. Goyette pourrait être pertinent pour certaines questions en l’espèce. M. Goyette devra comparaître devant le Tribunal et répondre aux questions qui lui seront posées. Comme tout autre témoin, il donnera ses réponses au mieux de sa connaissance et de ses souvenirs des événements.

[27] En ce qui concerne l’argument des intimées selon lequel M. Goyette n’a toujours pas reçu d’assignation à comparaître comme témoin pour le plaignant, le Tribunal fait remarquer que la signification d’une assignation à comparaître n’a rien à voir avec l’identification des témoins par une partie, comme elle est requise par les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (« Règles de pratique »).

[28] Conformément aux Règles de pratique, les parties doivent désigner leurs témoins, fournir leur nom et un résumé de leur témoignage prévu (alinéas 18(1)e), 19(1)d) et 20(1)d) des Règles de pratique), à défaut de quoi elles ne peuvent faire témoigner ces personnes à l’audience (alinéa 37b) des Règles de pratique).

[29] Dans les circonstances, c’est exactement ce que le plaignant a fait. Il a désigné M. Goyette comme témoin potentiel dans sa liste modifiée de témoins proposés et il a fourni un résumé du témoignage prévu de celui-ci.

[30] Lorsque le Tribunal et les parties seront plus près du début de l’audience, laquelle est prévue pour juin 2023, les parties auront l’occasion de demander au Tribunal de délivrer des assignations à comparaître pour leurs témoins. Elles auront ensuite la responsabilité de signifier les assignations à comparaître à leurs témoins.

[31] Par souci de précision, si le Tribunal reçoit une demande d’assignation à comparaître, la même évaluation que le Tribunal a effectuée dans la présente décision s’appliquera : le principe est l’indispensabilité de délivrer une assignation à comparaître.

[32] En d’autres termes, et comme le prévoit l’alinéa 50(3)a) de la LCDP, le Tribunal peut assigner et contraindre un témoin à comparaître devant lui s’il juge que son témoignage est indispensable à l’examen complet de la plainte.

[33] Voici ce que le Tribunal a écrit dans la décision Dorais, aux paragraphes 21 et 22 :

[21] Comment le membre instructeur peut-il déterminer de l’indispensabilité d’un témoignage? C’est ici que la règle d’or devient importante : il doit y avoir une pertinence, un lien, entre la preuve qu’une partie tente d’obtenir par le témoignage d’un témoin et un fait, une question de droit ou une réparation qui sont liés à la plainte. La pierre angulaire demeure l’existence de cette pertinence, du lien rationnel, entre les témoignages anticipés et la plainte (Schecter, au paragraphe 21).

[22] Il est aussi reconnu que les témoignages, tout comme les documents inclus dans la divulgation, n’ont pas pour buts d’être spéculatifs : il ne s’agit pas d’une « partie de pêche » lors de laquelle une partie peut appeler un nombre illimité de témoins ou présenter des témoignages qui ne sont pas pertinents au litige. Les témoignages ne doivent pas être redondants et ne doivent pas s’éloigner de l’essence du litige (Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2010 TCDP 29 (CanLII), au paragraphe 9).

[34] Par conséquent, si M. Leonard demande une assignation à comparaître pour M. Goyette dans la présente affaire, le Tribunal arrivera nécessairement à la même conclusion qu’il a tirée dans la présente décision, à savoir que le témoignage de M. Goyette pourrait être pertinent pour certaines questions soulevées dans la présente plainte.

[35] Enfin, le fait que les intimées affirment par l’intermédiaire de leur avocat que M. Goyette a [traduction] « peu voire aucune connaissance » des faits avancés dans la présente affaire n’est pas convaincant. Il s’agit d’une évaluation effectuée par les intimées, de leur point de vue qui n’est pas nécessairement celui du plaignant. M. Goyette devra répondre aux questions qui lui seront posées, et le Tribunal décidera en temps opportun du poids à accorder à son témoignage.

[36] Quoi qu’il en soit, le Tribunal estime que le témoignage de M. Goyette est, à l’heure actuelle, potentiellement pertinent pour certaines questions dans la présente affaire et, par conséquent, rejette la demande des intimées.

IV. Modification du résumé du témoignage prévu de M. Leonard

[37] À la lumière des renseignements supplémentaires fournis par le plaignant dans ses observations qui ont mené à la présente décision et étant donné qu’il semble y avoir eu confusion concernant l’identité de M. Wolkin, le Tribunal demande que le plaignant modifie son témoignage prévu et le dépose au plus tard le 13 janvier 2023.

V. Ordonnance

[38] Le Tribunal REJETTE la demande des intimées dans son intégralité et ORDONNE au plaignant de modifier le résumé du témoignage prévu de M. Wolkin et de le déposer au plus tard le 13 janvier 2023.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 21 décembre 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2665/4121

Intitulé de la cause : Keith Leonard c. Canadian American Transportation Inc. and Penner International Inc.

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 21 décembre 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Oleksii Sudarenko , pour le plaignant

Zoya Alam , pour les intimées

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