Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 23

Date : le 28 juillet 2022

Numéro du dossier : T2610/16720

Entre :

Lisa Cross Guy

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Conseil mohawk de Kahnwà:ke

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la demande

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») tranchant la requête déposée par le Conseil Mohawk de Kahnwà :ke (l’ « intimé » ou le « Conseil ») demandant la divulgation de documents dont Lisa Cross Guy (la « plaignante » ou « Mme Cross Guy » ) revendique un privilège relatif au litige.

[2] Plus spécifiquement, le Conseil demande la divulgation de quatre documents qui se retrouvent dans la liste des documents privilégiés de la plaignante soit COMP.PR001, COMP.PR002, COMP.PR003 et COMP.PR004.

[3] La plaignante s’oppose à cette demande. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), bien qu’elle participe entièrement à l’instruction de la plainte, a informé le Tribunal qu’elle ne prend pas position sur ladite requête et n’a donc soumis aucune représentation à cet effet.

[4] Le 17 décembre 2021, le Tribunal a tenu une téléconférence de gestion d’instance afin de faire avancer la procédure. La requête menant à la présente décision a fait l’objet de discussions. Les parties ont acquiescé à ce que les documents dont le privilège est contesté soient transmis au Tribunal, de manière confidentielle, afin qu’il puisse les consulter et trancher efficacement la question. Le Tribunal a reçu les documents de la part de la plaignante à l’exception de l’affidavit de M. Patton (COMP.PR001).

[5] Le 11 juillet 2022, le Tribunal a tenu une conférence de gestion d’instance afin de traiter certaines difficultés relatives à la requête et plus particulièrement, concernant le document COMP.PR002.

[6] Se basant sur les représentations des parties et la liste des documents privilégiés de la plaignante, COMP.PR002 devrait constituer deux enregistrements de conversations téléphoniques impliquant Mme Cross Guy et Mme Melanie Gilbert. Le Tribunal a demandé à la plaignante de réviser les enregistrements lui ayant été transmis et de se préparer à en discuter lors de la téléconférence de gestion d’instance sans divulguer, bien entendu, le contenu desdits enregistrements.

[7] Durant cette téléconférence, les parties ont réussi à s’entendre et à régler les problèmes relatifs aux enregistrements confirmant, par le fait même, que le Tribunal n’a donc plus besoin de se pencher sur la question. Pour ces motifs, le Tribunal ne traitera pas de la demande relative à COMP.PR002 puisque les parties ont réglé la question sans intervention additionnelle de sa part.

[8] Maintenant, le Tribunal est maintenant en position de rendre sa décision pour les documents COMP.PR001, COMP.PR003 et COMP.PR004.

II. Décision

[9] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la demande de l’intimé pour les documents COMP.PR001, COMP.PR003 et COMP.PR004.

[10] Pour le document COMP.PR002, le Tribunal n’a plus à se pencher sur la question puisqu’elle a été réglée entre les parties.

III. Question en litige

[11] La question en litige est simple :

Est-ce que les documents dont la divulgation est demandée par l’intimé sont effectivement frappés d’un privilège relatif au litige tel que revendiqué par la plaignante?

[12] Cette question comporte évidemment des sous-questions incluant si, pour chaque document, les conditions d’application du privilège relatif au litige sont remplies et, le cas échéant, si l’intimé a été en mesure de renverser la présomption d’immunité de divulgation.

IV. Principes généraux concernant le privilège relatif au litige

[13] Tout d’abord, les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (DORS/2021-137) (les « Règles ») prévoit que les parties doivent inclure dans leur exposé des précisions la liste des documents qu’elles ont en leur possession et qui sont relatifs à un fait, une question de droit ou une ordonnance sollicitée par une partie. Ces documents doivent être communiqués aux autres parties au titre de la Règle 23(1) des Règles.

[14] Quant aux documents pour lesquels un privilège est invoqué, ils doivent eux aussi être listés dans une liste des documents dont un privilège est revendiqué (Règles 18(1)f), 19(1) et 20(1)e) des Règles). La Règle 23(1) des Règles prévoit aussi que la partie qui revendique un privilège doit en indiquer la nature et les justifications qui y sont rattachées.

[15] Le droit entourant le privilège relatif au litige est bien établi en droit canadien et demeure une règle fondamentale dans l’administration de la justice et notre système judiciaire en général (Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52 (CanLII) [Lizotte]) au par. 4). La décision de la Cour suprême dans Lizotte est la décision phare en la matière.

[16] Il existe deux catégories de privilèges en droit canadien (Lizotte, au par. 32) :

1) les privilèges génériques; et

2) les privilèges reconnus au cas par cas.

[17] La première catégorie – les privilèges génériques – comporte une présomption de non-divulgation dès lors que les conditions de son application sont remplies. Ce faisant, il n’existe aucune marge de manœuvre pour les redéfinir selon les circonstances de l’affaire. Il est incontestable que le privilège relatif au litige entre dans cette première catégorie (Lizotte, au par. 33) tout comme celui relatif au règlement ou celui de l’indicateur de police (Lizotte, au par. 34).

[18] La seconde catégorie – les privilèges au cas par cas – trouve application selon les circonstances de chaque affaire. Il s’agit d’une analyse du privilège au cas par cas, non seulement quant à sa portée, mais aussi quant à son existence même. C’est ainsi que les critères de Wigmore deviennent utiles (Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, au par. 2285). Cela dit, il n’est pas nécessaire ici d’en dire plus à ce sujet puisque le seul privilège invoqué par la plaignante est celui du privilège relatif au litige : le Tribunal se concentrera alors son analyse sur ce privilège.

[19] Le privilège relatif au litige s’assure de maintenir l’efficacité du processus contradictoire de notre système de justice. Ce privilège crée une zone protégée permettant de faciliter l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire du litige (Lizotte, au par. 24).

[20] La règle de base est donc la suivante : le privilège relatif au litige est un privilège générique visant à protéger les documents et les communications d’une divulgation forcée ou obligatoire si leur objet principal est la préparation d’un litige, sauf si une exception clairement définie s’applique (Lizotte, aux par. 1, 4,19 et 31).

[21] Le privilège relatif au litige est un concept différent de celui du secret professionnel de l’avocat bien que parfois, ils peuvent tout même coexister. Cela dit, leur portée, leur durée et leur signification ne coïncident pas nécessairement (Lizotte, au par. 22). Par exemple, le privilège relatif au litige s’applique aussi à des parties non représentées, couvre aussi les documents qui ne sont pas confidentiels et ne visent pas uniquement les communications entre un avocat et son client (Lizotte, ibid.). Ce privilège est aussi opposable à tous – aussi à des tiers – et non simplement aux parties impliquées dans le litige (Lizotte, au par. 47).

[22] Comme indiqué précédemment, ce privilège est générique : dès qu’il est établi que l’objet principal du document est la préparation du litige et que ce litige ou un litige connexe est en cours ou est raisonnablement anticipé, une présomption à première vue (ou prima facie) d’inadmissibilité s’applique (Lizotte, au par. 33). Autrement dit, il existe une présomption d’immunité de divulgation dès lors que ses conditions d’application sont remplies (Lizotte, au par. 34 et 37).

[23] Il n’appartient pas à la partie revendiquant ce privilège de démontrer au cas par cas son application compte tenu des circonstances et de l’intérêt public en cause (Lizotte, au par. 37). C’est à la partie qui demande l’admission des documents visés par le privilège de renverser la présomption en démontrant les motifs pour lesquels les communications ou les documents ne devraient pas être assujettis au privilège (Lizotte, au par. 33).

[24] Il est également clair que le privilège relatif au litige n’est ni absolu ni illimité quant à sa durée contrairement au secret professionnel de l’avocat (Lizotte, au par. 23). Il est non seulement reconnu que dans certaines circonstances, il est possible de renoncer au privilège (par exemple voir Lizotte, au par. 49), mais il existe aussi des exceptions à son application.

[25] À cet effet, la Cour suprême rappelle que toutes les exceptions s’appliquant au secret professionnel sont applicables au privilège relatif au litige, ce qui comprend les exceptions relatives à la sécurité publique, à l’innocence de l’accusé et aux communications de nature criminelle (Lizotte, au par. 41). Une autre exception est celle de la divulgation d’éléments de preuve permettant d’établir un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la partie invoquant le privilège (Lizotte, ibid.).

[26] Cela dit, la porte demeure ouverte afin que d’autres exceptions au privilège relatif au litige puissent être reconnues dans le futur par les cours et tribunaux, tout en considérant le caractère exceptionnel et restreint de ces exceptions qui pourraient s’appliquer dans des circonstances bien spécifiques (Lizotte, au par. 42).

[27] C’est en gardant ces principes à l’esprit que le Tribunal analysera la présente demande.

V. Analyse

A. Document COMP.PR001

[28] Le premier document dont le privilège relatif au litige est contesté par l’intimé est le document COMP.PR001. Dans la liste de la plaignante, ce document est décrit de la manière suivante :

DOCID

DATE
(DD/MM/YYY)

AUTHOR(S)

RECIPIENT(S)

TYPE

TITLE

PRIVILEGE

COMP.PR001

15/04/2021

Bobby Patton

Lisa Cross Guy; Ms. Catherine Soucy, counsel for Lisa Cross Guy

Document

Affidavit Bobby Patton

Litigation privilege

[29] Le document est un affidavit de M. Patton qui, selon l’intimé, est l’ancien chef du Conseil Mohawk de Kahnwà:ke. Le Tribunal réitère qu’il n’a pas reçu copie de ce document de la part de la plaignante.

[30] L’intimé argue que M. Patton est nommé comme témoin dans la liste de témoins fournie par la plaignante dans son exposé des précisions. Dans le résumé de son témoignage, il y est indiqué que M. Patton témoignera sur les allégations contenues au sous-paragraphe 6.2 (de l’exposé des précisions de la plaignante) si l’affidavit n’est pas suffisant.

[31] L’intimé argue que puisque l’affidavit en question a été mis de l’avant par la plaignante comme élément dans le sommaire anticipé du témoignage de M. Patton, la plaignante aurait alors renoncé à son privilège et l’affidavit devient alors sujet à l’obligation de divulgation.

[32] La plaignante, quant à elle, plaide que le privilège relatif au litige s’applique au document COMP.PR001. D’une part, elle estime que le document a été créé alors que le litige était raisonnablement anticipé puisque que les parties se sont engagées dans le processus de médiation offert par le Tribunal et dans lequel intimé a déposé un mémoire de médiation. Dans son mémoire, l’intimé contestait toutes les réparations recherchées par la plaignante. Elle argue donc qu’à partir de ce moment-là, il était raisonnable d’anticiper qu’un litige en résulterait.

[33] La plaignante ajoute que le document en question – l’affidavit de M. Patton – est préparé par son avocate et qu’il est en évolution suivant les discussions continues qu’elle a avec son témoin. Les discussions avec ce dernier ont débuté le 6 avril 2021 alors que le litige était raisonnablement anticipé et son objet principal est d’obtenir des informations et de la preuve pour leur utilisation dans le litige ainsi que sa préparation. Il n’a pas été divulgué ni à l’intimé ni au Tribunal puisqu’il s’agit d’un travail en cours.

[34] Enfin, la plaignante estime que le fait de mettre de l’avant la possibilité de fournir un affidavit dans le résumé de témoignage de M. Patton ne constitue pas une renonciation au privilège. Au contraire, cela assite plutôt le Tribunal dans son appréciation quant à sa revendication.

[35] Le Tribunal n’a pas de règles particulières définissant ce qu’est un affidavit. Il vaut le coup de rappeler qu’un affidavit se distingue de la simple déclaration écrite : l’affidavit est aussi une déclaration écrite, volontaire et préparée par un affiant, mais qui est faite sous serment ou affirmation solennelle par une personne autorisée par à la loi à le recevoir (voir par exemple Dirieh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 939 (CanLII), au par. 28).

[36] Dans le cas actuel, et selon les représentations fournies par la plaignante, le Tribunal est prêt à accepter que le document COMP.PR001, bien qu’il ait été décrit comme étant un affidavit dans la liste de documents privilégiés de la plaignante, est toujours en cours de préparation. Toutefois, le Tribunal constate que rien n’indique que cette déclaration ait été assermentée de façon officielle et déposée au dossier du Tribunal afin de constituer un véritable affidavit en bonne et due forme.

[37] À cette étape-ci de la procédure, le Tribunal comprend que ce document, qui est en cours de préparation et qui émane de discussions entre la plaignante, son avocate et M. Patton sur son témoignage possible à l’audience ne constitue donc pas encore un véritable affidavit. Il ne constitue, en fait, que d’une simple déclaration écrite incomplète, en cours de production.

[38] La plaignante plaide qu’elle discute actuellement du litige avec M. Patton, un témoin qu’elle entend appeler à l’audience. Elle explore donc le contenu de son témoignage potentiel, les éléments sur lesquels il témoignera et rassemble de l’information en préparation du litige.

[39] En conséquence, le Tribunal peut conclure que les fins des communications et de la création de cette déclaration écrite, toujours en processus de rédaction, qui ni complète ni finale, a pour objet principal la préparation du litige, ce qui remplit le premier critère de Lizotte.

[40] De plus, la plaignante mentionne également que ces communications avec M. Patton ont débuté le 6 avril 2021, alors que le litige était raisonnablement anticipé. À ce sujet, le Tribunal note que la plainte de Mme Cross Guy a été référée par la Commission pour son instruction le 17 novembre 2020. Le Tribunal a communiqué avec les parties en leur envoyant sa lettre initiale le 30 décembre 2020. Dans cette lettre, il a offert aux parties la possibilité de participer à une séance de médiation.

[41] Entre le 30 décembre 2020 et la lettre du Tribunal datée du 3 août 2021 mentionnant qu’une partie s’est finalement retirée du processus de médiation, il appert que les parties se sont activement engagées dans ce processus offert par le Tribunal. Le soussigné met l’emphase sur le fait qu’il n’a évidemment pas accès aux documents relatifs à la médiation : tout cela est confidentiel, sans préjudice, et ne concerne que les parties et le médiateur assigné au dossier.

[42] Néanmoins, il est suffisant de dire que les parties se sont engagées dans ce processus et que des documents ont été déposés dans le dossier du Tribunal à cette fin notamment des sommaires de médiation. Les sommaires de médiation sont en fait un résumé de la position des parties quant au litige avec comme objectif celui de le résoudre à l’amiable. Les parties prennent donc connaissance, sous la lentille de celle d’un processus de médiation, de la position des autres parties sur le litige.

[43] Il suffit toujours de dire que selon le dossier du Tribunal, il appert que les derniers sommaires de médiation reçus sont ceux de la Commission et de l’intimé et ont été reçus le 6 avril 2021. Cela concorde avec le début des discussions avec M. Patton selon la plaignante. De plus, elle argue qu’en ayant alors la position de l’intimé en main dans son sommaire de médiation et considérant qu’il contestait toutes ses demandes de réparation, le litige était alors raisonnablement anticipé de sa part.

[44] Le Tribunal est convaincu par l’argument de la plaignante. Il estime qu’à partir du 6 avril 2021, il est certain que le litige était raisonnablement anticipé.

[45] Cela dit, il faut aussi ajouter que le Tribunal a acquis sa compétence afin d’instruire la plainte au moment où la Commission l’a renvoyée par lettre officielle le 17 novembre 2020 (voir les paragraphes 44(3), 49(1) et 50(1) de la LCDP. Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, au par. 13; Letnes c. Gendarmerie royale du Canada, 2019 TCDP 41, au par. 7). Autrement dit, nous pourrions considérer que le litige entre les parties devant le Tribunal était à tout le moins déjà existant à partir du 17 novembre 2020, moment où il a acquis sa compétence afin de traiter le litige.

[46] Qu’à cela ne tienne, le Tribunal peut conclure que le litige était à tout le moins déjà en cours ou raisonnablement anticipé au moment où les discussions avec M. Patton ont débuté, remplissant alors le critère au sens de Lizotte.

[47] Comme les deux critères de Lizotte quant au privilège relatif au litige sont satisfaits, le document COMP.PR001 jouit d’une présomption d’immunité de divulgation à moins qu’il existe une exception ; c’est alors à la partie qui demande la divulgation de renverser ce fardeau (Lizotte, au par. 37). À cet effet, le Tribunal n’a pas été convaincu par les arguments de l’intimé et conclut qu’il n’a pas été en mesure de renverser ce fardeau.

[48] Les exceptions prévues au privilège relatif au litige sont la sécurité publique, l’innocence de l’accusé et les communications de nature criminelles. L’autre exception est celle où le privilège relatif au litige ne saurait protéger des éléments de preuve démontrant un abus de procédure ni des éléments concernant la conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui le revendique. L’intimé n’a pas plaidé que l’une de ces exceptions s’applique.

[49] De plus, il plaide que la plaignante a renoncé à son privilège en mentionnant l’affidavit de M. Patton dans le sommaire de son témoignage. L’intimé n’a pas fourni d’amples représentations ni de jurisprudence sur le sujet.

[50] Il est bien établi en droit canadien de la possibilité de renoncer à un privilège. Dans le cas d’une renonciation explicite, la question devient plus évidente. Les cours et tribunaux canadiens ont aussi reconnu l’existence d’une possible renonciation implicite au privilège. Dans ce cas-là, la question est nécessairement moins évidente.

[51] Sur ce dernier élément, la Cour suprême écrivait dans S. & K. Processors Ltd. v. Campbell Ave. Herring Producers Ltd., 1983 CanLII 407 (BC SC), au paragraphe 6 :

[6] Waiver of privilege is ordinarily established where it is shown that the possessor of the privilege: (1) knows of the existence of the privilege; and (2) voluntarily evinces an intention to waive that privilege. However, waiver may also occur in the absence of an intention to waive, where fairness and consistency so require.

[52] Dans la même veine, la Cour fédérale écrivait au paragraphe 10 dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mahjoub, 2011 CF 887 (CanLII) [Mahjoub], ce qui suit au sujet de la renonciation implicite :

[10] La jurisprudence étaye les thèses suivantes à propos de la renonciation implicite au privilège :

a) la renonciation au privilège relatif à une fraction d’une communication sera jugée équivalente à la renonciation à l’égard de l’ensemble de cette communication : S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd (1983), 1983 CanLII 407 (BC SC), 35 CPC 146, 45 BCLR 218 (SC) (S & K);

b) quand une partie se fonde sur un avis juridique en tant qu’élément de sa demande ou de sa défense, le privilège qui se rattacherait par ailleurs à cet avis est perdu (S & K);

c) dans les cas où il a été conclu que l’équité exige une renonciation implicite, il y a toujours une certaine manifestation de la volonté de renoncer au privilège, du moins jusqu’à un certain point. Les règles de droit applicables font alors en sorte que l’équité et la cohérence exigent une renonciation intégrale (S & K);

d) il sera réputé y avoir eu renonciation au privilège dans les cas où les principes de l’équité et de la cohérence l’exigent ou dans les cas où une communication entre un avocat et un client est légitimement mise en cause dans une action : Bank Leu Ag c. Gaming Lottery Corp., [1999] OJ no 3949 (Lexis); (1999), 43 C.P.C. (4th) 73 (C.S. Ont.), au paragraphe 5;

e) le fardeau d’établir la renonciation au privilège incombe à la partie qui l’invoque (S & K, au paragraphe 10).

[53] À cette étape-ci de la procédure, le document COMP.PR001 n’est pas encore, en pratique, un affidavit. Il est tout au plus une déclaration écrite en cours de production, qui est préparée dans le but principal du litige alors que le litige était raisonnablement anticipé et, à tout le moins, en cours.

[54] Il faut aussi dire que la mention de l’affidavit dans le sommaire du témoignage de M. Patton fourni par la plaignante semble avoir été faite au passage. À ce sujet, il est écrit que M. Patton va « Testify (if the affidavit isn’t sufficient) regarding the allegations stated at subparagraph 6.2. ». Et dans l’exposé des précisions de la plaignante, plusieurs allégations sont soulevées à 6.2 dont certaines concernent plus spécifiquement M. Patton. Encore une fois, dans l’exposé des précisions de la plaignante, le document COMP.PR001 y est inscrit.

[55] De tout cela, le Tribunal en comprend que la plaignante envisage le dépôt d’un affidavit de M. Patton afin de valoir témoignage sur ces éléments. Mais nous y revenons toujours : le document n’est ni final ni complet et ne constitue pas encore, à ce stade-ci, un affidavit.

[56] Ainsi, le Tribunal n’est pas convaincu que le fait pour la plaignante d’avoir mentionné ce document dans le sommaire du témoignage de M. Patton ou dans son exposé des précisions constitue une renonciation explicite ou même implicite du privilège relatif au litige à ce document en cours de production.

[57] La seule mention d’un document ou de son existence sans en divulguer son contenu n’équivaut pas automatiquement à une renonciation au privilège (voir par exemple Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Létourneau) et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2021 QCCFP 32 (CanLII), au par. 32).

[58] De plus, il est reconnu que la renonciation doit être volontaire, claire et évidence (Union canadienne (L'), compagnie d'assurances c. St-Pierre, 2012 QCCA 433 (CanLII), au par. 51, se fondant notamment sur Glegg c. Smith & Nephew Inc., 2005 CSC 31, au par. 18).

[59] Le document en question est clairement identifié dans la liste de documents privilégiés de la plaignante et le Tribunal a reçu une description suffisamment détaillée sur le document et le privilège invoqué afin de conclure qu’effectivement, ce document est privilégié et jouit alors d’une immunité de divulgation.

[60] Il faut ajouter que les explications de la plaignante relative à la présente décision éclairent davantage le Tribunal quant au contexte menant à sa création, sa préparation, ainsi que son objet principal, qui est la préparation du présent litige.

[61] L’intimé n’a pas convaincu le Tribunal que la plaignante aurait renoncé implicitement à son privilège (Mahjoub, précité). Comme le rappelle la Cour fédérale dans Mahjoub, au paragraphe 10, « dans les cas où il a été conclu que l’équité exige une renonciation implicite, il y a toujours une certaine manifestation de la volonté de renoncer au privilège, jusqu’à un certain point ». Le Tribunal conclut que ce n’est pas le cas en l’espèce.

[62] Cela dit, il vaut le coup de rappeler que le privilège n’est pas absolu et est limité dans le temps (Lizotte, au par. 23). Ainsi, si le document COMP.PR001 devenait un affidavit officiel, complet et final et que la plaignante demandait à le déposer au dossier du Tribunal pour remplacer partiellement voire entièrement le témoignage de M. Patton, nous pouvons penser qu’à moment-là, l’affidavit devra être divulgué et déposé officiellement.

[63] Comment pourrait-il en être autrement? Le Tribunal devra nécessairement lire l’affidavit de M. Patton et l’intimé ainsi que la Commission devront forcément en connaitre son contenu afin de pouvoir y répondre, ce qui inclut la possibilité de contre-interroger l’affiant sur son affidavit.

[64] Comme mentionné précédemment, la renonciation tacite (ou implicite) peut se produire lorsque l’équité procédurale et la cohérence le commandent (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 27 (CanLII), au par. 12; Jim Shot Both Sides v. Canada, 2021 FC 280 (CanLII), au par. 19; Brass v. Canada, 2012 FC 927 (CanLII), au par. 190). Dans ce cas-ci, nous pourrions penser qu’en raison de l’équité procédurale, si un tel affidavit est officiellement déposé par la plaignante pour valoir témoignage (en tout ou en partie), il y aura nécessairement renonciation tacite au privilège puisque l’équité procédurale en commanderait alors sa divulgation.

[65] La plaignante devra éventuellement faire un choix : renoncer à invoquer l’affidavit et faire témoigner entièrement M. Patton sur les faits dont il a connaissance, ou déposer son affidavit pour valoir témoignage, le divulguer aux parties et le déposer officiellement au dossier du Tribunal.

B. Documents COMP.PR003 et CROMP.PR004

[66] Les deux derniers documents dont l’intimé conteste la revendication du privilège relatif au litige sont les documents COMP.PR003 et COMP.PR004. Ils sont identifiés dans la manière suivante dans la liste de documents de la plaignante :

DOCID

DATE
(DD/MM/YYY)

AUTHOR(S)

RECIPIENT(S)

TYPE

TITLE

PRIVILEGE

COMP.PR003

03/09/2021

Lisa Cross Guy;
Blue Sky

Lisa Cross Guy; Blue Sky

Facebook messages

Facebook messages between Complainant and Cousin

Litigation privilege

COMP.PR004

13/07/2021

Lisa Cross Guy;
Brent D’Ailleboust

Lisa Cross Guy;
Brent D’Ailleboust

Facebook messages

Facebook messages between Complainant and Cousin

Litigation privilege

[67] L’intimé allègue que les documents sont des messages Facebook datant du 9 mars et du 13 juillet 2021 impliquant la plaignante et ses cousines. Il ajoute que l’avocate de la plaignante n’a pas été impliquée dans ces messages et donc, il serait alors difficile de conclure que leur objet principal était alors la préparation du litige.

[68] La plaignante indique que ces messages ont été obtenus sous les instructions et avis juridiques de son avocate datant de fin juin et début juillet 2021. Suivant les discussions entre elles, il a été déterminé que la plaignante devrait communiquer avec ses cousines afin d’obtenir des informations supplémentaires et de les transmettre à son avocate afin de l’aider avec la préparation du litige. Comme les communications ont eu lieu en juillet et septembre 2021, elles ont été faites non seulement suivant les instructions de l’avocate, mais aussi obtenues alors qu’un litige était raisonnablement anticipé. Enfin, la plaignante réitère qu’il n’est pas nécessaire qu’un avocat soit une partie aux informations obtenues par une partie en vue d’un litige et de sa préparation.

[69] Sur ce point, le Tribunal a déjà conclu que Mme Cross Guy, en tant que partie au dossier, peut tout autant bénéficier des protections que confère le privilège relatif au litige indépendamment du fait qu’elle soit représentée ou non par avocate et indépendamment de la participation de son avocate dans les conversations ou communications.

[70] Cela étant dit, selon la plaignante et sa liste de documents, les conversations ou les échanges de messages Facebook sont survenus en juillet et septembre 2021. Cette période concorde avec celle où elle communique avec son avocate afin d’obtenir des instructions et avis juridiques relativement au litige.

[71] À ce sujet, l’intimé semble avoir commis une erreur dans ses représentations en transposant la date 03/09/2021 en 9 mars 2021 alors qu’il aurait dû lire la date du 3 septembre 2021.

[72] Le Tribunal a eu l’occasion de lire le contenu des échanges entre la plaignante et ses cousines, Blue et Brent. Le Tribunal ne peut étayer les détails de ces conversations, mais il peut confirmer qu’il s’agit bien de conversation par messages Facebook, l’une impliquant une personne prénommée Blue et l’autre conversation, avec une personne prénommée Brent.

[73] Le Tribunal constate qu’il n’y a pas de dates précises inscrites sur les échanges des messages Facebook entre Mme Guy et ses cousines. Par contre, l’heure de ces échanges s’y retrouve. Cela dit, la plaignante confirme que les échanges entre elle et ses cousines ont eu lieu en juillet et septembre 2021 et il faut noter que les représentations de la plaignante sont appuyées d’un affidavit de son avocate, Me Soucy. Le Tribunal peut donner foi aux faits contenus dans la réplique de Mme Cross Guy et, à cette étape-ci, les tenir pour avérés.

[74] Comme les échanges ont eu lieu en juillet et septembre 2021, ils surviennent après le 6 avril 2021. Comme conclu précédemment, non seulement le litige était raisonnablement anticipé à cette date, mais le Tribunal juge qu’il était existant, à tout le moins, depuis le 17 novembre 2020.

[75] Sans dévoiler le contenu de ces messages, le Tribunal conclut aussi que l’objet principal des échanges entre la plaignante et ces deux cousines concerne effectivement la préparation du litige et des faits qui y sont relatifs. La plaignante plaide qu’à la demande de son avocate, elle a contacté ses cousines afin d’obtenir plus d’information, information qui est relative à la présente instruction. Le Tribunal constate que c’est effectivement le cas, dans les deux situations.

[76] Ce faisant, les deux critères de Lizotte sont satisfaits quant aux documents COMP.PR003 et COMP.PR004 et sont donc frappés d’une immunité de divulgation.

[77] Finalement, l’intimé n’a présenté aucun argument démontrant l’application d’une exception dans les circonstances ni qu’il y aurait eu une renonciation explicite ou tacite au privilège de la part de la plaignante. Ce faisant, le Tribunal juge qu’il n’a pas été en mesure de renverser son fardeau.

C. Remarques incidentes

[78] Au passage, le Tribunal a constaté que dans son exposé des précisions, la plaignante fait référence à certains documents pour lesquels un privilège est invoqué. À titre d’exemple, au paragraphe 6.2.3 et 6.5, elle fait référence aux documents COMP.PR003 et COMP.PR004, qui sont en jeu dans la présente décision et pour lesquels le Tribunal a conclu qu’il existe bel et bien un privilège relatif au litige.

[79] Selon les règles du Tribunal, il n’est pas nécessaire d’ajouter immédiatement dans l’exposé des précisions les pièces au soutien d’un fait, d’une question de droit ou d’une réparation. Cette façon de faire se rapproche davantage d’une pratique présente devant d’autres tribunaux judiciaires. Le dépôt des pièces se fera plus tard dans la procédure.

[80] Maintenant, le Tribunal rappelle qu’un privilège procure une immunité de divulgation. Ce faisant, la plaignante, à moins de renoncer à son privilège, ne pourra pas invoquer ces documents afin de prouver les éléments à leur soutien. Évidemment, elle pourra le faire en présentant d’autres éléments de preuve.

[81] Il semble alors peu utile pour une partie d’appuyer un élément dans son exposé des précisions à l’aide d’un document qu’elle a en sa possession s’il ne peut pas être divulgué en raison d’un privilège.

[82] La plaignante devra donc, encore une fois, faire un choix puisque nous pouvons penser qu’il serait inéquitable de lui permettre de référer à des documents privilégiés à l’audience afin d’appuyer un fait, une question de droit ou une réparation, sans que les autres parties puissent en connaitre le contenu et se défendre (Mahjoub, au par. 10).

[83] Ces remarques incidentes faites, le Tribunal maintient que dans le cas d’une renonciation tacite au privilège relatif au litige, la Cour fédérale nous rappelle qu’il existe tout de même une certaine manifestation de la volonté de renoncer au privilège jusqu’à un certain point (Mahjoub, au par. 10).

[84] Dans le cas en l’espèce, le Tribunal ne conclut pas qu’il y a eu renonciation implicite à cette étape-ci même si la plaignante fait référence à ces documents dans son exposé des précisions.

VI. Ordonnance

[85] Pour les motifs précédents, le Tribunal rejette la requête du Conseil concernant les documents COMP.PR001, COMP.PR003 et COMP.PR004.

[86] Concernant le document COMP.PR002, il n’est plus nécessaire pour le Tribunal de trancher cette question.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 28 juillet 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2610/16720

Intitulé de la cause : Lisa Cross Guy c. Conseil mohawk de Kahnwà:ke

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 28 juillet 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Catherine Soucy, pour la plaignante

Caroline Carrasco et Christine Singh, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Stephen Ashkenazy et Marylee Armstrong, pour l'intimé

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