Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 13

Date : le 20 avril 2022

Numéro du dossier : T2207/2917

Entre :

Cecilia Constantinescu

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Introduction

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») décidant d’un abus de procédure occasionné par les comportements de la plaignante, Mme Cecilia Constantinescu, dans l’instruction de sa plainte contre l’intimé, Service correctionnel Canada. Cette procédure, initiée par le Tribunal, a été rendue nécessaire par les agissements et comportements de la plaignante.

[2] Mme Constantinescu a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en octobre 2015, plainte qui a été renvoyée au Tribunal le 31 mai 2017.

[3] Mme Constantinescu allègue avoir été victime de discrimination, de la part de l’intimé, en cours d’emploi au titre de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP ») et avoir également été victime de harcèlement en matière d’emploi, au titre de l’alinéa 14(1)c) de la LCDP, en raison de son sexe ou de son origine nationale ou ethnique.

[4] Depuis juillet 2017, le Tribunal et les parties sont toujours dans le processus de gestion d’instance et plus particulièrement dans le processus de divulgation des documents potentiellement pertinents au litige qui perdure depuis.

[5] Suivant une correspondance ultime de Mme Constantinescu datée du 22 janvier 2021, le Tribunal a jugé qu’il était nécessaire d’examiner la question d’un potentiel abus de procédure dans le dossier, qui pourrait avoir pour conséquence le rejet et la fermeture de la plainte. Le Tribunal a alors demandé que les parties lui fournissent des représentations à ce sujet, ce qu’elles ont fait.

[6] Le Tribunal a reçu les représentations écrites de la plaignante le 23 février 2021 et celles de l’intimé, le 23 mars 2021. Puis, Mme Constantinescu a demandé un premier report de son échéance afin de déposer sa réplique, ce qui lui fut accordé. Par la suite, elle a requis l’assistance d’un avocat, Me Kwadwo D. Yeboah, qui a comparu au dossier du Tribunal le 29 juin 2021. M. Yeboah a demandé le report du dépôt de la réplique de sa cliente afin de lui permettre de prendre connaissance du dossier, ce qui lui a été accordé. La réplique a ainsi été déposée le 30 septembre 2021.

II. Rappel de la procédure

[7] Le Tribunal tient d’abord à souligner qu’il n’est pas possible de lire la présente décision en silo; elle doit forcément se lire à la lumière de toutes les décisions interlocutoires qui l’ont précédée dans le dossier.

[8] Il est impératif de prendre connaissance de ce dossier, de son long et complexe historique, afin de bien saisir les enjeux majeurs dans l’instruction de la plainte, ce qui comprend les décisions interlocutoires suivantes du Tribunal :

  1. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2018 TCDP 8 [2018 TCDP 8];
    • Décision sur la divulgation de documents;
  2. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2018 TCDP 10 [2018 TCDP 10];
    • Décision sur la suspension de la procédure;
  3. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2018 TCDP 17 [2018 TCDP 17];
    • Décision en élargissement de la portée de la plainte;
  4. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2019 TCDP 49 [2019 TCDP 49];
    • Décision sur la modification de 17 décisions interlocutoires déjà rendues ou inexistantes et décision sur l’abus de procédure;
  5. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2020 TCDP 3 [2020 TCDP 3];
    • Décision sur la requête en récusation;
  6. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2020 TCDP 4 [2020 TCDP 4];
    • Décision sur la divulgation de documents combinant 6 requêtes différentes;
  7. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2020 TCDP 8 [2020 TCDP 8];
    • Décision sur la divulgation de documents;
  8. Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2020 TCDP 30 [2020 TCDP 30];
    • Décision sur la divulgation de documents.

[9] À ces décisions s’ajoutent celles que le Tribunal a rendues oralement tout au long de l’instruction durant les téléconférences de gestion d’instance (les « TGI ») en plus de celles contenues dans les correspondances et instructions écrites du Tribunal envoyées parties. S’ajoutent également les mises en garde qu’il a adressées à la plaignante durant les TGI auxquelles celle-ci a participé et dans les correspondances que le Tribunal a échangées avec elle dont certaines seront abordées plus loin dans la présente décision.

III. Décision

[10] Le Tribunal, tenant compte des représentations des parties et après avoir révisé l’entièreté du dossier, son historique et tout son contexte, est maintenant en mesure de rendre sa décision sur la potentielle existence d’un abus de procédure.

[11] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal considère que les allégations répétées et non fondées de partialité de la part de la plaignante à l’encontre du décideur constituent un abus de procédure justifiant le rejet de la plainte.

IV. Questions en litige

[12] Les questions en litige sont les suivantes :

  • 1) Y a-t-il abus de procédure dans l’instruction de la présente plainte?

  • 2) Si oui, quelle est la réparation appropriée dans le présent dossier?

V. Cadre juridique

A. Abus de procédure

[13] Le présent Tribunal s’est déjà penché sur la question de l’abus de procédure à une autre étape de la présente instruction dans sa décision 2019 TCDP 49. Il renvoie le lecteur à l’analyse qu’il en avait faite, aux paragraphes 108 et suivants de cette décision.

[14] Pour rappel, la doctrine de l’abus de procédure fait intervenir le pouvoir inhérent du Tribunal d’empêcher que sa procédure soit utilisée abusivement et d’une manière qui aurait « pour effet de discréditer l’administration de la justice » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P, section locale 79 [Toronto], 2003 CSC 63, au par. 37).

[15] Plus particulièrement, l’abus de procédure consiste en des procédures injustes au point d’être contraires à l’intérêt de la justice et en un traitement abusif. Il peut ainsi y avoir abus de procédure si les procédures sont oppressives ou vexatoires et elles violent les principes fondamentaux de justice sous-jacents au sens de l’équité et de la décence de la société (Toronto, au par. 35).

[16] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a clairement énoncé que les allégations de partialité non fondées peuvent tomber sous le coup de la doctrine de l’abus de procédure. À cet effet, dans Rodney Brass c. Papequash, 2019 CAF 245 [Rodney Brass], cette cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 17 :

[17] La Cour suprême du Canada a récemment rappelé l’existence d’une forte présomption d’impartialité judiciaire (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale)), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282). Les allégations de partialité judiciaire sont extrêmement sérieuses, car elles portent atteinte à l’intégrité de toute l’administration de la justice en général et à la réputation du juge en particulier. Pour ces motifs, les allégations de partialité non fondées peuvent parfois tomber sous le coup de la doctrine de l’abus de procédure (Abi-Mansour c. Canada (Affaires autochtones), 2014 CAF 272, [2014] A.C.F. no 1145 (QL); Joshi c. Banque Canadienne impériale de commerce, 2015 CAF 105).

[Non souligné dans l’original]

[17] Quelques années auparavant, cette même cour écrivait d’ailleurs, dans sa décision Abi-Mansour c. Canada (Affaires Autochtones), 2014 CAF 272 (CanLII) [Abi-Mansour 2014], aux paragraphes 13 à 15, ce qui suit :

[13] Au paragraphe 14 de l'arrêt Coombs c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 222, notre Cour a affirmé que des allégations répétées de partialité constituent une atteinte à l'intégrité « de l'administration de la justice tout entière ». Au paragraphe 32 de l'arrêt McMeekin c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2011 CAF 165, la juge Sharlow a affirmé que les allégations non fondées de conduite répréhensible sont considérées comme un abus de procédure. Cette conduite est visée par la règle de l'abus de procédure qui, comme l'a observé la Cour suprême du Canada au paragraphe 43 de l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, vise à préserver « l'intégrité de la fonction judiciaire ».

[14] Par conséquent, je suis d'avis que les nombreuses allégations de partialité non fondées de M. AbiMansour constituent un abus de procédure. Les personnes qui demandent l'aide de la Cour en sa qualité d'arbitre indépendant et qui ensuite invoquent à maintes reprises la partialité lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à leurs attentes n'utilisent pas le système judiciaire de bonne foi. La Cour est en droit de refuser d'accorder son aide à ces parties.

[15] À l'avenir, M. AbiMansour devrait savoir que des allégations de partialité non fondées l'exposent au rejet de sa demande au motif qu'elles constituent un abus de procédure, soit à la demande de la partie adverse, soit du propre chef de la Cour. Il devrait agir en conséquence.

[Non souligné dans l’original]

[18] Et dans un dossier impliquant le même demandeur, la Cour fédérale écrivait dans sa décision Abi-Mansour c. Canada (Passeport), 2015 CF 363 (CanLII) [Abi-Mansour 2015], aux paragraphes 47 et 48 que :

[47] Le demandeur prétend que des tensions se sont développées entre lui et la protonotaire Tabib dans le dossier T-550-13 et que l’ordonnance est une forme de représailles contre lui. En d’autres termes, il affirme qu’elle a fait preuve de partialité et il insiste même pour que la Cour présume qu’il y a eu mauvaise foi de la part de la protonotaire Tabib.

[48] Il s’agit d’allégations très graves que le demandeur a fait défaut d’établir dans une mesure appréciable. Comme le souligne le défendeur, le demandeur a été averti de ne pas faire d’allégations non fondées contre les membres de la Cour. Dans sa décision datée du 13 novembre 2014, qui confirmait l’ordonnance du juge Roy dont il a été question précédemment, la Cour d’appel fédérale est allée jusqu’à avertir le demandeur que des allégations non fondées de partialité [traduction« l’exposait au rejet de l’instance pour abus de procédure, à la demande de la partie adverse ou sur l’initiative de la Cour elle‑même » et lui a enjoint de [traduction] « se gouverner en conséquence » (Abi-Mansour c. Canada (Affaires autochtones), 2014 CAF 272, au paragraphe 15).

[19] Toujours dans cette décision, la Cour fédérale a, sur la base des avertissements qui avaient été donnés à l’appelant par les juges de la Cour d’appel fédérale de réfréner ses allégations de partialité, rejeté son recours sur la seule base de la formulation d’allégations non fondées et de conduite répréhensible à l’égard d’un protonotaire, puisque le demandeur attaquait encore une fois l’intégrité de la fonction judiciaire.

[20] La Cour fédérale concluait, au paragraphe 50, de la manière suivante :

[50] De toute évidence, le message de la Cour d’appel fédérale n’a pas été entendu par le demandeur. En faisant des allégations non fondées de conduite répréhensible à l’endroit de la protonotaire Tabib, il attaque là encore l’intégrité de la fonction judiciaire. Compte tenu de l’avertissement clair donné par la Cour d’appel fédérale, cela est suffisant en soi pour rejeter l’appel pour abus de procédure.

[Non souligné dans l’original]

[21] Dans la même veine, la Cour d’appel fédérale dans Dove c. Canada, 2016 CAF 231 (CanLII) envoyait aussi un avertissement clair à un appelant, au paragraphe 5 de sa décision, dans des circonstances similaires;

[5] M. Dove et les autres plaideurs devraient savoir que, bien qu’ils aient le droit d’être entendus, ils ne peuvent attribuer leur manque de succès à la mauvaise foi et à la corruption des juges qui instruisent leurs causes et en disposent, et à la collusion entre les avocats qui représentent la Couronne et les juges et protonotaires qui ont instruit leurs causes. De telles allégations entraînent des conséquences, et si M. Dove continue dans cette voie, il en subira les conséquences : voir l’arrêt Abi-Mansour c. Canada (Affaires Autochtones), 2014 CAF 272, [2014] ACF no 1145, aux paragraphes 9 à 15.

[Non souligné dans l’original]

B. Réparations en cas d’abus de procédure

[22] La décision de rejeter une procédure (ou d’ordonner un arrêt des procédures) ne doit pas être prise à la légère, la conséquence étant nécessairement ultime et irréversible; il s’agit de « l’ultime réparation », en ce sens qu’elle est définitive et met fin à toute poursuite du litige (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, 1997 CanLII 322 (CSC), au par. 86 [Tobiass]; R. c. Regan, 2002 CSC 12 (CanLII), au par. 53 [Regan]).

[23] La Cour suprême a toutefois reconnu qu’une telle réparation demeure discrétionnaire et qu’une cour de supervision ne peut intervenir à la légère dans l’exercice de cette discrétion par le décideur (Tobiass, au par. 87; Elsom c. Elsom, 1989 CanLII 100 (CSC), à la page 1375; R. c. Carosella, 1997 CanLII 402 (CSC), au par. 48).

[24] En matière criminelle, la Cour suprême a énoncé que la suspension d’une procédure (autrement dit, l’arrêt des procédures) vise normalement la correction d’une injustice dont est victime un particulier en raison d’une conduite répréhensible de l’État, qui est en fait, dans ce contexte, la partie poursuivante (Tobiass, au par. 89).

[25] Cela étant précisé, il existe une autre catégorie dite « résiduelle » dans les cas où la suspension (autrement dit, l’arrêt ou le rejet) d’une procédure pourrait être justifiée lorsque l’ensemble des circonstances diverses et imprévisibles dans laquelle la procédure est conduite est inéquitable ou vexatoire au point d’enfreindre les notions fondamentales de justice et mine l’intégrité du processus judiciaire (Tobiass, au par. 89).

[26] Dans la présente affaire, c’est davantage cette seconde catégorie qui est pertinente, ce qui sera expliqué ultérieurement dans les motifs du Tribunal.

[27] Cela dit, lorsqu’il y a une telle atteinte à l’intégrité du système de justice, un arrêt des procédures – dans notre cas, il s’agit plutôt du rejet de la plainte et de la fermeture du dossier – n’est approprié que lorsqu’il est satisfait à deux critères :

  • 1) D’une part, le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;

  • 2) D’autre part, aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.

(R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC) [O’Connor], au par. 75; Regan, au par. 54)

[28] La Cour suprême rappelle que le premier critère est important puisqu’il vise plutôt le caractère prospectif de la suspension de la procédure. En effet, il s’agit de l’idée que la réparation ne doit pas uniquement corriger le préjudice déjà causé (le préjudice passé, ou le caractère rétroactif de la réparation), mais aussi empêcher que le préjudice ne se perpétue à l’avenir; faute d’intervention, il continuera à perturber les parties et la société en général (Tobiass, au par. 91; Regan, au par. 54). Il faut donc déterminer si l’abus risque de se poursuivre ou de se produire subséquemment, d’où l’importance d’analyser le caractère prospectif de cette réparation, soit la suspension de la procédure.

[29] La Cour suprême précise que ce n’est que dans des cas rares que la conduite passée reprochée sera si grave que le simple fait de poursuivre le litige serait choquant (Tobiass, au par. 91).

[30] Ce n’est qu’une fois que la cour ou le tribunal conclut que la poursuite du litige minera le processus judiciaire et qu’aucune autre réparation n’est disponible outre l’arrêt de la procédure, que le décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire (Regan, au par. 56). Et s’il subsiste encore un doute après l’analyse de ces deux critères, la Cour suprême nous enseigne que le décideur peut appliquer un troisième critère, à savoir la mise en équilibre des intérêts, qu’elle décrit ainsi :

« il sera approprié de mettre en balance les intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond ». En pareil cas, « une préoccupation publique passagère [ne pourrait] jamais l’emporter sur un acte apparenté à une conduite répréhensible grave [bien que] [. . .] l’intérêt irrésistible de la société à ce qu’il y ait un débat sur le fond [puisse] faire pencher la balance en faveur de la poursuite des procédures ».

[Regan, au par. 57, citant Tobiass, au par. 92]

[31] C’est en gardant ces principes à l’esprit en plus de ceux contenus dans sa décision 2019 TCDP 49 que le Tribunal analysera la question de l’abus de procédure occasionné par la plaignante dans le présent dossier.

VI. Position des parties

[32] Le Tribunal a pris connaissance des représentations de la plaignante et de l’intimé ainsi que des pièces à leur soutien notamment les affidavits de M. Christian Pierre Fradin, de Mme Isabelle Bastien et de M. Éric Tessier.

[33] Le Tribunal se concentrera sur les arguments des parties qui sont nécessaires, essentiels et pertinents aux fins de rendre sa décision (Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, au par. 40).

A. Position de la plaignante

[34] La plaignante estime que les représentations demandées par le Tribunal visent, pour reprendre ses termes, une « potentielle mesure » d’un « caractère exceptionnel » qui est « injuste, démesurée, forcée, et contraire à l’esprit de l’acte de justice, des principes de justice naturelle, de l’intérêt public » et à celui de la LCDP et des règles de procédure.

[35] Elle ajoute avoir cru, à une certaine époque de la procédure, que le membre instructeur manquait tout simplement d’expérience, mais avoir ensuite conclu qu’il était simplement partial dans son dossier, ce qui avait mené au rejet de ses demandes de divulgation de documents et à l’indulgence du membre instructeur quant à certaines anomalies de la part de l’intimé et de ses représentants.

[36] Elle trouve injuste que dans d’autres dossiers devant le Tribunal, des demandes en divulgation et d’autres mesures aient été accordées, alors que cela n’a pas été le cas dans son dossier.

[37] Elle ajoute que de refaire le débat du début pour justifier qu’elle n’a pas abusé de la procédure serait un long exercice. Elle soutient que ce n’est pas à elle de prouver qu’elle n’a pas abusé de la procédure, mais au Tribunal lui-même de démontrer l’existence d’un tel abus.

[38] Mme Constantinescu a également tenté de justifier les propos contenus dans sa communication du 22 janvier 2021. Elle précise en effet que celle-ci a été envoyée dans le contexte où elle avait récemment appris qu’elle avait fait l’objet d’une enquête de la part de l’intimé suivant sa participation aux pratiques de tirs avec M. Ouellet, et ce, sans en avoir été informée. Elle écrit que cet élément aurait dû se retrouver dans le sommaire de la téléconférence du 4 décembre 2020, ce qui n’était pas le cas, ajoutant au passage que la Commission, quant à elle, est absente de l’instruction depuis plus d’une année.

[39] Elle soutient également que le 20 janvier 2021, soit quelques jours avant sa correspondance, l’intimé avait demandé à la Cour fédérale de radier la demande en révision judiciaire de la plaignante de la décision du Tribunal concernant la récusation. Elle estime que la demande de l’intimé faite à la Cour fédérale était déplacée et inquiétante pour l’acte de justice, en demandant à nouveau la radiation de sa demande en révision judiciaire, et ce, bien que la date d’audience fût déjà fixée.

[40] Selon elle, la demande en radiation de l’intimé se fondait sur la sauvegarde des ressources judiciaires. Elle ajoute « qu’une armée d’avocats » du ministère de la Justice est impliquée dans ses divers recours contre Service correctionnel Canada, qui charge et facture des montants « incroyables » au ministère et aux contribuables.

[41] Toujours le 20 janvier 2021, la plaignante aurait, écrit-elle, demandé à l’intimé de lui divulguer des documents concernant un individu en particulier. L’intimé a demandé au Tribunal d’ajouter ce sujet à la liste prévue pour la TGI du 26 janvier 2021.

[42] Elle ajoute qu’elle avait demandé d’interroger au préalable cette même personne, qui est maintenant décédée, et ce, depuis le début de la procédure, mais que le Tribunal n’a jamais traité sa demande. Par ailleurs, elle affirme s’être opposée à la demande de l’intimé qu’il soit discuté de cette demande de divulgation lors de la TGI.

[43] En outre, la plaignante soutient que l’intimé ne s’est pas conformé à une ordonnance du Tribunal en ne fournissant pas certaines informations qui avaient fait l’objet d’une directive du Tribunal avant la TGI. L’intimé n’aurait pas non plus transmis d’excuses à l’avance de la TGI visant à justifier ce retard. Selon la plaignante, il s’agirait de la première fois que l’intimé ne se conformait pas à une ordonnance du Tribunal sans fournir d’explications.

[44] La plaignante affirme aussi que nous aurions dû retrouver dans le sommaire de la TGI du 26 janvier 2021 la mention que l’instruction de la plainte était arrêtée, ce qui ne s’y retrouve pas, sans compter qu’elle aurait reçu ce sommaire une semaine plus tard, soit le 3 février 2021. Elle aurait dû selon elle recevoir le sommaire « immédiatement ».

[45] Enfin, Mme Constantinescu a repris chaque élément de sa correspondance du 22 janvier 2021 et a tenté, pour chaque point, de justifier pourquoi elle a écrit ces lignes. Ces doléances sont les suivantes :

  • · Les sommaires des TGI ne reflètent pas la totalité et intégralement les enjeux du dossier et de son déroulement;

  • · Ces démarches afin de recevoir certains documents notamment les postes occupés par des témoins ou employés de l’intimé ne sont pas appuyées par le membre instructeur;

  • · Elle a fait l’objet d’une enquête par l’intimé en lien avec les pratiques de tirs avec M. Ouellet et que cela est contraire à ses droits garantis par les chartes;

  • · Sa conviction et sa position ferme que le membre instructeur est partial et qu’elle continuera de croire que c’est le cas tant que les instances supérieures ne trancheront pas cette question;

  • · Elle a été forcée de participer à la gestion de son dossier;

  • · Dans un autre dossier du Tribunal (Davis c. l’Agence des services frontaliers du Canada, 2011 TCDP 6), le membre instructeur a préféré se retirer d’un dossier dans lequel une demande de récusation avait été déposée, ce qui n’est pas le cas dans son dossier;

  • · Elle a soulevé la partialité à la première occasion;

  • · Elle a le droit de demander qu’une demande de divulgation soit faite par écrit et que cela est conforme aux règles de pratique.

B. Position de l’intimé

[46] L’intimé se concentre sur deux grands arguments chapeautant ses représentations.

[47] Il estime, d’une part, que les comportements vexatoires de la plaignante, incluant des allégations répétées et non fondées de partialité à l’endroit du membre instructeur, constituent en eux-mêmes un abus de procédure et que, pour ce seul motif, la plainte devrait être rejetée.

[48] Il ajoute, d’autre part, que la plaignante complexifie inutilement sa plainte alors qu’elle n’avait initialement rien de complexe. En conséquence, la plaignante engendre des délais excessifs dans la procédure, ce qui entrave la capacité de son client à répondre à la plainte et cause directement un préjudice à ses témoins tant psychologiquement que relativement à leur réputation.

(i) Argument sur les comportements vexatoires

[49] Tout d’abord, l’intimé est d’avis que la jurisprudence reconnait le pouvoir du Tribunal de rejeter une plainte pour abus de procédure.

[50] Il ajoute que les représentations de la plaignante relatives à la présente décision et les comportements vexatoires qu’elle y adopte appuient l’existence d’un abus de procédure. Selon lui, elle ne saisit pas la portée de ce qui lui est demandé par le Tribunal en ce qui a trait à la civilité minimale nécessaire afin que la procédure se déroule sereinement. De manière plus importante, il argue que la plaignante démontre, en outre, qu’elle n’a pas l’intention de corriger son comportement.

[51] L’intimé ajoute que dès le 13 mars 2018, le Tribunal a rapidement mis en garde la plaignante de corriger ses comportements dans une décision rendue publique (voir 2018 TCDP 8, au paragraphe 32).

[52] Dans une correspondance datée du 3 décembre 2018, l’intimé ajoute que la plaignante a accusé le Tribunal de favoritisme, ce qu’il a dénoncé. Le Tribunal était alors intervenu le 4 décembre 2018 dans une directive dans laquelle il lui demandait de faire preuve de retenue et de réfréner ses allégations de partialité. Le Tribunal avait également soulevé que les comportements irrespectueux de la plaignante à son encontre, son administration et envers les autres parties, perduraient dans le temps.

[53] L’intimé argue que la plaignante s’en était prise encore une fois au Tribunal dans sa correspondance du 28 août 2019. Elle avait également attaqué gratuitement l’intégrité professionnelle des avocats de l’intimé.

[54] Puis, le 15 décembre 2019, soit un an après avoir été informée formellement par le Tribunal, dans sa directive du 4 décembre 2018, qu’elle devait présenter une requête en récusation, la plaignante s’est adressée au Tribunal afin de lui demander les directives permettant un changement de membre instructeur dans les plus brefs délais.

[55] L’intimé ajoute que le 16 décembre 2019, le greffe a transmis une décision du Tribunal (la décision 2019 TCDP 49) dans laquelle celui-ci rejetait la demande de Mme Constantinescu de reconsidérer 17 décisions interlocutoires puisqu’il s’agissait d’un abus de procédure. L’intimé note que la plaignante a alors mentionné que cela confirmait que le membre instructeur avait voulu la punir d’avoir demandé sa récusation le jour précédent.

[56] L’intimé mentionne que le Tribunal, toujours dans la décision 2019 TCDP 49, avait également émis une ordonnance visant à ce que la plaignante corrige ses comportements vexatoires. Le Tribunal avait aussi déterminé que la plaignante manquait de retenue, qu’elle faisait l’usage d’un langage inflammatoire, abusif et parfois difficile à saisir et qu’elle formulait des allégations non fondées. Il avait aussi souligné que ce n’était pas la première fois qu’il lui demandait de corriger ses comportements et que ses propos franchissaient parfois les limites du franchissable. Enfin, l’intimé ajoute que le Tribunal n’en était pas, à ce moment, à rejeter la plainte de Mme Constantinescu pour abus de procédure, mais souligne qu’elle avait de moins en moins de latitude dans la procédure.

[57] L’intimé plaide que malgré ces divers avertissements, la plaignante a continué à exhiber des comportements vexatoires notamment dans ses correspondances du 20 mai 2020 et du 5 juin 2020, dans lesquelles elle a formulé des accusations et des insinuations sans fondement, ce qui était contraire à l’ordonnance du Tribunal (la décision 2019 TCDP 49). L’intimé s’oppose catégoriquement à la prétention de la plaignante selon laquelle ses affirmations sont toujours supportées par des faits et des preuves et il estime que la plaignante fait des accusations et des insinuations gratuites et sans fondement.

[58] De plus, l’intimé affirme que la plaignante, dans sa lettre ouverte du 8 juin 2020, a écrit être obligée de participer contre son gré à l’instruction de sa plainte, même si elle trouvait illégitime de continuer la procédure alors qu’une instance supérieure (la Cour fédérale) devait se prononcer sur la récusation du membre instructeur. Dans la même correspondance, l’intimé précise que la plaignante a, à nouveau, accusé le Tribunal d’avoir rendu une décision partiale.

[59] Dans la même veine, l’intimé mentionne que la plaignante s’en était encore prise à l’intimé et ses représentants dans ses représentations du 27 novembre 2020.

[60] L’intimé argue que le 20 janvier 2021, la plaignante a déposé une demande de divulgation de documents lorsqu’elle a appris la façon dont un individu impliqué dans la plainte était décédé. Dans cette demande, Mme Constantinescu demandait que si cet individu, au moment de son décès, avait laissé une lettre ou tout autre élément de preuve qui parlait d’elle ou faisait référence à son agression ou son intimidation ou qui faisait référence au PFC-5, au bris de sécurité des 4 et 5 octobre 2014, ou à tout autre fait concernant le PFC-5, divulgation lui en soit faite.

[61] L’intimé, en raison du contexte et de la nature de la demande, avait demandé dans une correspondance du 22 janvier 2021 que ce sujet soit ajouté à l’ordre du jour de la TGI prévue pour le 26 janvier 2021. Le même jour, la plaignante s’est opposée à cette demande dans une correspondance qui ultimement aboutira à la présente décision quant à l’abus de procédure de sa part.

[62] L’intimé argue que dans ses représentations relatives à la présente décision, la plaignante s’est contentée de tenter de justifier les commentaires qu’elle avait faits dans sa correspondance du 20 janvier 2021 et a encore une fois soulevé la partialité du membre instructeur. L’intimée affirme que c’est dans ce contexte que le Tribunal a demandé qu’il soit débattu de la question du potentiel abus de procédure.

[63] Il ajoute que les représentations de Mme Constantinescu sont la preuve même de l’abus de la procédure de sa part et rappelle que l’équité procédurale commande que ce soit Mme Constantinescu qui dépose ses représentations en premier contrairement à ce qu’elle affirme (Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, aux par. 27 et 29 à 31).

[64] L’intimé précise également qu’un désaccord avec la décision d’un tribunal ne peut à lui seul appuyer une allégation de partialité de la part du décideur et ajoute qu’une partie ne peut soulever la partialité sans fondement et sans preuve en raison des dommages que cela cause à l’administration de la justice (Dixon c. Groupe Banque TD, 2021 CAF 101, aux par. 9 et 15 [Dixon]).

[65] L’intimé, en reprenant les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans Rodney Brass, affirme que les allégations de partialité sont sérieuses puisqu’elles portent atteinte à l’administration de la justice en général et à la réputation du décideur en particulier. Ainsi, les allégations de partialité peuvent parfois tomber sous le coup de la doctrine de l’abus de procédure. Il estime que les allégations de partialité de Mme Constantinescu contre le Tribunal sont fondées sur l’insatisfaction de celle-ci à l’égard de décisions qui lui sont défavorables ou sur la façon dont le Tribunal gère l’instance, ce qui, à son avis, ne permet pas d’étayer une allégation de partialité (Dixon, précitée).

[66] De plus, l’intimé note que le Tribunal a déjà rejeté les allégations de partialité de la plaignante dans sa décision du 28 février 2020 pour motif de forclusion, mais a tout de même traité de ses autres arguments dans l’intérêt de la justice et conclu qu’il n’existe pas de crainte raisonnable de partialité.

[67] L’intimé rappelle aussi que le 9 mars 2021, le juge Mosley de la Cour fédérale a rejeté l’appel de la plaignante de la décision de la protonotaire Molgat de radier la révision judiciaire de la décision du membre instructeur refusant de se récuser (Constantinescu c. Canada (Procureur général), 2021 CF 213 [Constantinescu 2021 CF 213]).

[68] L’intimé croit que la plaignante, en déposant une demande en contrôle judiciaire à la Cour fédérale alors que la jurisprudence confirme qu’elle ne peut demander un contrôle pour une décision interlocutoire, ne fait que nuire au déroulement serein de l’instruction de la plainte en mettant une pression indue sur le membre instructeur et sur les parties en répétant sans cesse ses allégations non fondées de partialité. Il s’agit là, à son avis, d’un abus de la procédure.

[69] Il ajoute que Mme Constantinescu continue d’abuser de la procédure en utilisant un langage inflammatoire, abusif et parfois difficile à saisir, tant à l’égard du Tribunal que des autres parties. Il allègue que malgré de nombreux avertissements de la part du Tribunal, elle continue ses comportements et réitère sans cesse ses allégations non fondées de partialité. Il argue que la plaignante démontre ainsi qu’elle n’a pas l’intention de corriger ses comportements vexatoires et estime que le Tribunal n’a d’autre choix que de rejeter sa plainte sur ce fondement.

[70] Enfin, l’intimé note que Mme Constantinescu a eu un comportement similaire dans une autre procédure devant la Cour fédérale concernant plutôt l’accès à l’information. L’intimé reproduit les commentaires du juge Pamel concernant les comportements de la plaignante, qui écrivait que la plaignante « aurait pu mieux servir sa cause en se concentrant sur les vrais problèmes plutôt que d’attiser les flammes avec un langage caustique, quelle que soit son sentiment » (Constantinescu c. Canada (Services correctionnels), 2021 CF 229, au par. 139 [Constantinescu 2021 CF 229]).

[71] L’intimé confirme que conséquemment, le juge Pamel n’a pas accordé de dépens à la plaignante puisqu’il s’agissait du seul remède à sa disposition afin de sanctionner ces comportements ce qui, contrairement à la Cour fédérale, n’est pas dans les pouvoirs du Tribunal.

[72] L’intimé se fonde également sur l’affaire Poplawski c. Association accréditée du personnel non enseignant de l’Université McGill, 2012 QCCRT 430 [Poplawski] dans laquelle la Commission des relations de travail du Québec (« CRTQ ») avait rejeté le recours du demandeur, notamment en raison de ses comportements irrespectueux et de son non-respect des instructions de la CRTQ. L’intimé argue que son recours a été rejeté pour des comportements semblables à ceux de la plaignante.

(ii) Argument sur la complexification inutile de la plainte

[73] L’intimé allègue également que la plaignante complexifie inutilement sa plainte devant le Tribunal, ce qui allonge les délais de la procédure, alors que les audiences n’ont toujours pas débuté et que la plainte a été transmise au Tribunal à l’automne 2014. Les délais entachent sa capacité à se défendre pleinement et entièrement et ils causent préjudice à ses témoins, ce qui constitue un abus de procédure.

[74] L’intimé estime que la plaignante utilise la procédure du Tribunal de manière vexatoire et abusive, discréditant l’administration de la justice et déconsidérant le régime de protection des droits de la personne.

[75] L’intimé juge déplacé l’ultime courriel de la plaignante du 22 janvier 2021 dans lequel elle demandait, en apprenant la façon dont était décédé un témoin de l’intimé, la divulgation de documents qui auraient été en sa possession au moment de son décès. Considérant une telle demande, l’intimé avait demandé de traiter de cette question lors d’un appel, ce à quoi s’est opposée la plaignante. Il estime que cette demande démontre jusqu’où la plaignante est prête à aller dans le cadre de la divulgation de documents.

[76] Il ajoute que le dossier de la plaignante n’est pas en soi complexe et se fonde surtout sur des questions de crédibilité. Bien que la plainte soit sensible en raison de certaines allégations, il estime que si la plaignante n’avait pas autant complexifié sa plainte, son instruction aurait pu être terminée depuis longtemps.

[77] L’intimé argue également que la plaignante ne peut utiliser la divulgation de documents afin de tenter de corroborer ses allégations et d’obtenir de nouveaux éléments de preuve pour, après coup, demander au Tribunal d’élargir la portée de sa plainte. À cet effet, il note que la plaignante a déjà annoncé qu’elle déposera une seconde demande en élargissement de sa plainte.

[78] En plus des demandes incessantes de la plaignante en divulgation, cette dernière avait également déposé une demande en suspension de la procédure et elle a admis, dans ses représentations, s’en être servie afin d’en arriver à ses fins (voir 2018 TCDP 10). De plus, elle a déposé une demande en reconsidération de 17 décisions interlocutoires qui a été jugée abusive par le Tribunal.

[79] L’intimée ajoute que Mme Constantinescu a également annoncé qu’elle allait demander de faire passer des tests de polygraphes à certains témoins de l’intimé et qu’elle allait aussi interroger préalablement d’autres témoins. Il juge qu’il s’agit là de demandes inusitées dont l’utilité est incertaine, ce qui requérait le dépôt de requêtes afin de traiter de ces questions. Au sujet des interrogatoires au préalable, l’intimé note qu’ils iraient à l’encontre des principes de célérité et de non-formalisme applicables à l’instruction des plaintes devant le Tribunal. Quant aux tests de polygraphes, l’intimé fait remarquer au passage qu’il est du rôle du Tribunal de juger de la crédibilité des témoins et que l’admissibilité en preuve des résultats serait par le fait même incertaine.

[80] Tout cela, selon l’intimé, aura pour effet de prolonger l’instruction de la plainte, empêchant encore une fois le Tribunal d’entendre la preuve, les témoins, et de juger du bien-fondé de la plainte.

[81] L’intimé ajoute, en se fondant sur la décision 2018 TCDP 8, que le Tribunal avait déjà mis en garde les parties, dans le contexte où la plaignante avait déposé une requête visant des questions qui avaient déjà été tranchées, que la multiplication des requêtes (incluant sur des questions déjà tranchées) pourrait prolonger l’instruction de la plainte et pourrait constituer un abus.

[82] Toujours en se fondant sur une décision du Tribunal (décision 2019 TCDP 49), l’intimé argue que le Tribunal avait aussi prévenu les parties que la multiplication d’arguments impertinents ou inutiles aux questions qui doivent être tranchées empêche de se concentrer sur le fond de l’affaire, l’objectif étant d’en arriver à une audience le plus rapidement que possible. À ce sujet, l’intimé estime que plusieurs demandes de divulgation de Mme Constantinescu de même que la multiplication des requêtes empêchent de se concentrer sur le fond de la plainte et nuit inutilement à l’avancement du dossier, ce qui constitue un abus.

[83] À cela s’ajoutent, écrit l’intimé, tous les recours de la plaignante devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Il cite le juge Mosley, au paragraphe 24 de la décision Constantinescu 2021 CF 213, dans laquelle il écrit :

[24] Le présent appel s’agit de l’une des dix demandes de contrôle judiciaire ou appels que la demanderesse a déposées auprès de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale depuis 2018. Toutes ont exigé l’utilisation de fonds publics et de ressources judiciaires et ont nui à l’instruction de la plainte de la demanderesse.

[84] Selon l’intimé, tous ces éléments permettent de conclure à un usage abusif, par Mme Constantinescu, de la procédure. Une fois cette constatation faite, l’intimé allègue qu’il faut évaluer si le délai excessif entache l’équité de la procédure en compromettant sa capacité à se défendre. Et si le Tribunal juge que le délai excessif n’entache pas l’équité de la procédure, l’intimé allègue qu’il devrait évaluer s’il a causé directement un préjudice psychologique ou à la réputation des témoins, au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne.

[85] Au sujet du délai excessif, l’intimé se fonde notamment sur Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], décision phare de la Cour suprême, ainsi que sur la décision du Tribunal dans Cremasco c. Société canadienne des postes, 2002 CanLII 61852 (TCDP).

[86] L’intimé note que les événements à l’origine de la plainte remontent à l’automne 2014 et que la plainte a été transmise au Tribunal au printemps 2017, ce qu’il juge être un délai « encore acceptable ». Toutefois, considérant l’abus de procédure occasionné par Mme Constantinescu, le délai est devenu excessif et entache sa capacité de se défendre.

[87] De plus, l’intimé affirme que l’un de ses témoins principaux s’est enlevé la vie en février 2020, ce qui compromet aussi sa capacité à se défendre, d’autant que la Commission a transmis la plainte au Tribunal en raison de témoignages irréconciliables. Il note que près de six ans plus tard, Mme Constantinescu n’a pas donné sa version des événements devant le Tribunal que sa crédibilité n’a donc pas été appréciée. Il ajoute que la plaignante a disséminé sa version des faits comme s’ils étaient avérés, non seulement dans le dossier du Tribunal, mais devant les cours fédérales ou encore, auprès de politiciens.

[88] L’intimé affirme que les délais affectent la mémoire de ses témoins et leur capacité à témoigner. Plusieurs témoins (au moins sept) ont d’ailleurs quitté le Service correctionnel Canada pour prendre leur retraite ou d’autres raisons. En conséquence, comme la plaignante réitère sans cesse sa version des faits devant toutes les instances, l’intimé croit qu’elle est la seule à bénéficier du temps qui passe.

[89] L’intimé renvoie à la décision Manoir Archer inc. c. Tribunal des droits de la personne, 2010 QCCS 4410, décision de la Cour supérieure du Québec confirmée en appel (2012 QCCA 343). Il a été décidé qu’il était déraisonnable pour le Tribunal des droits de la personne du Québec de ne pas avoir ordonné l’arrêt des procédures en raison des délais de l’enquête. Le délai était de 65 mois, 2 témoins étaient décédés et plusieurs témoins n’étaient plus à l’emploi de la partie défenderesse. Dans le cas actuel, l’intimé fait valoir qu'un délai de plus de 72 mois est excessif et entache sa capacité à se défendre. De plus, l’un de ses témoins principaux est décédé et la mémoire des autres témoins s’estompe avec le temps.

[90] L’intimé ajoute qu’il est également reconnu dans Blencoe que l’abus de procédure peut englober d’autres cas que celui du délai excessif compromettant l’équité de la procédure. À ce sujet, il argue que le préjudice psychologique occasionné par le délai excessif est l’un de ces cas, notamment quant à des allégations non prouvées de harcèlement ou de discrimination sexuelle qui peuvent « détruire des vies ». Il plaide à ce sujet la décision du Tribunal dans Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29.

[91] Le témoin de l’intimé qui s’est enlevé la vie en février 2020 était visé par de telles allégations de la part de Mme Constantinescu. Selon M. Christian Pierre Fradin, qui connaissait ce témoin, dans son affidavit du 22 mars 2021, ces allégations l’affectaient énormément. L’intimé précise que lorsqu’il a annoncé le décès de ce témoin au Tribunal et à la plaignante lors d’une TGI, il n’a pas divulgué la cause de ce décès. La plaignante a découvert la réelle raison du décès dans un autre litige judiciaire. L’intimé indique qu’elle s’est alors servie de cette nouvelle information pour formuler une nouvelle demande de divulgation devant le Tribunal. L’intimé croit que ce dernier devrait prendre en considération cet élément dans la détermination de l’abus de procédure, puisque Mme Constantinescu a franchi des limites qu’elle n’aurait pas dû franchir.

[92] Un autre témoin de l’intimé, M. Éric Tessier, a aussi affirmé par affidavit être affecté psychologiquement par les allégations de la plaignante. À ce sujet, les allégations de nature sexuelle à son égard l’ont amené à devoir informer sa conjointe de la situation. Plus de six ans plus tard, il n’a toujours pas été en mesure de donner sa version des faits au Tribunal et d’informer sa conjointe de l’issue du dossier, ce qui affecte son état psychologique.

[93] L’intimé juge que les allégations de Mme Constantinescu, qui n’ont pas encore été testées en preuve, nuisent à la réputation de tous ceux qui en sont l’objet. Il note que la plaignante ne se contente pas de soulever ses allégations dans son recours devant le Tribunal, mais les dissémine dans le domaine public, dans de la correspondance adressée à des politiciens, tout comme dans d’autres procédures judiciaires. D’ailleurs, le Procureur général du Canada a dû demander aux tribunaux judiciaires de ne pas tenir compte de ses allégations qui avaient par ailleurs été disséminées par la plaignante.

[94] L’intimé argue que la réputation de ces gens est atteinte par les actions de Mme Constantinescu, et qu’ils sont empêchés de pouvoir offrir leur version des faits au Tribunal, ne permettant pas alors de rétablir leur réputation; elle prend ainsi ces témoins en otage, en les laissant sans possibilité de se défendre.

C. La réplique de la plaignante

[95] Dans sa réplique, la plaignante allègue, d’une part, que sa demande en élargissement de la plainte avait pour but de traiter d’actes discriminatoires que la Commission n’avait pas couverts dans son enquête. Elle ajoute avoir également formulé des demandes en divulgation et que le Tribunal l’a invitée plusieurs fois à déposer des requêtes écrites malgré la procédure non formaliste du Tribunal et alors qu’elle n’était pas familière avec la rédaction juridique. Elle avoue que ces requêtes étaient « prolixes », mais considère qu’elles n’étaient ni abusives ni vexatoires.

[96] Elle souligne également que le membre instructeur a aussi causé des délais dans la procédure en ne traitant certaines de ses requêtes en divulgation qu’en mars 2020.

[97] La plaignante revient, pendant plusieurs pages, sur la demande en récusation qu’elle a déposée en décembre 2019. Elle affirme que sa demande en récusation à l’encontre du membre instructeur n’était ni frivole ni abusive. Elle ajoute que le Tribunal n’a pas abordé, dans sa décision du 16 décembre 2019, le fait qu’elle ait demandé courtoisement, le jour précédent, des directives sur la manière de demander un changement de membre instructeur. Selon elle, il est regrettable que ce désir de collaboration de sa part n’ait pas été inscrit dans cette décision.

[98] Pendant plusieurs autres paragraphes, elle explique les raisons pour lesquelles elle revient, dans sa réplique, sur sa demande en récusation. Son avocat écrit vouloir « recentrer la demande de récusation de Madame dans une perspective en adéquation avec le droit », que cette demande n’était pas vexatoire et que la plaignante l’a déposée à la première occasion, soit le 15 décembre 2019.

[99] La plaignante affirme ensuite que le Tribunal aurait pu, en raison de sa flexibilité et de son non-formalisme et étant un organisme étatique, assigner un autre membre instructeur au dossier afin de « changer la dynamique du dossier ». L’avocat de Mme Constantinescu indique avoir néanmoins l’intention de collaborer dans la procédure avec le présent membre instructeur.

[100] La plaignante indique également que l’intimé, dans ses représentations, ne fait pas non plus référence à de quelconques interventions du Tribunal quant aux comportements vexatoires, affirmations non conformes, accusations ou insinuations gratuites reprochés. Si les récriminations de l’intimé avaient été étayées par le Tribunal, écrit-elle, l’intimé en aurait fait mention. Or, il ne le fait pas.

[101] Mme Constantinescu argue, en ce qui a trait aux délais dans le dossier, que le membre instructeur, en demandant que la question de l’abus de procédure soit tranchée, accentue, lui aussi, les délais occasionnés dans le dossier.

[102] Elle ajoute avoir fait appel à un représentant légal, ce qui permettra selon elle de recadrer les demandes avec les règles de proportionnalité et de décorum devant le Tribunal. Elle estime que le Tribunal avait l’obligation de l’assister puisqu’elle était non représentée, et ce, justement afin d’éviter les débordements, mais soutient que le membre instructeur ne l’a pas fait de façon souhaitable. La Commission aurait également pu assister la plaignante, comme elle le fait dans d’autres circonstances, ce qu’elle n’a pas fait.

[103] Quant à la décision Poplawski invoquée par l’intimé, Mme Constantinescu plaide que les faits de cette affaire sont fort différents de ceux dans son dossier et que les dossiers ne sont donc pas comparables. Elle avoue ne pas être exempte de persistance, mais que toutes ses demandes ont été faites en conformité avec la pratique, qu’elle n’a pas adressé de correspondances à des individus auxquels il lui était interdit d’écrire et que ses craintes de partialité reposent sur des considérations liées au litige.

[104] Se fondant entre autres sur les décisions Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39 (CanLII) et Blencoe, elle allègue que l’arrêt des procédures est une mesure importante à laquelle se rattache un lourd fardeau de preuve étant donné l’intérêt de la société que l’affaire soit entendue sur le fond.

[105] Elle croit que l’abus de procédure, en lui-même, n’est pas suffisant pour arrêter les procédures – l’arrêt des procédures doit être le seul remède disponible, et ce remède ne doit être utilisé que dans les cas les plus graves. Il faut donc envisager les autres remèdes possibles avant celui de l’arrêt de la procédure.

[106] Selon la plaignante, l’intimé n’a pas été en mesure de prouver le lien entre la durée des délais et un préjudice réel chez les individus visés par la plainte d’une ampleur telle que le sens de la justice et la décence du public seraient heurtés. Les arguments de l’intimé sont théoriques et ne sont pas appuyés par un préjudice actuel et documenté.

[107] La plaignante ajoute que l’intimé a lui aussi contribué aux délais en invoquant un privilège lié aux relations de travail à l’égard de plusieurs documents dont elle avait demandé la divulgation. Ces documents n’ont pas été accessibles pendant trois ans après quoi l’intimé a finalement renoncé à son privilège. Elle argue aussi que le Tribunal aurait dû demander une explication pour cette volte-face surprenante.

[108] Mme Constantinescu juge, considérant le sérieux des allégations contenues dans la plainte à l’encontre d’une grande organisation publique tel que le Service correctionnel Canada, que la plainte doit être entendue sur le fond et ne doit pas être rejetée pour abus de procédure. Elle soutient qu’il existe une inégalité des forces entre elle et cette institution et qu’elle réagit fortement à cette inégalité. Maintenant qu’elle est représentée par avocat, affirme-t-elle, ce fossé est réduit.

[109] Enfin, la plaignante croit qu’il serait prématuré de rejeter la plainte, considérant les autres remèdes disponibles, outre le rejet, incluant la venue de son représentant légal dans le dossier, lequel pourra aider respectueusement les parties et le Tribunal à faire avancer le dossier.

VII. Analyse

[110] Trancher la question de savoir s’il a un abus de procédure qui pourrait ultimement mener au rejet d’une plainte est un exercice difficile pour une cour ou un tribunal. Comme le Tribunal l’a mentionné ci-dessus, cette question ne peut être prise à la légère.

[111] Il est vrai, comme le souligne la plaignante dans sa réplique, que de façon générale, la société a intérêt à ce qu’une affaire soit entendue sur le fond. Toutefois, il existe des limites à ce principe, l’une étant l’abus de procédure. Autrement dit, il existe une limite lorsque la procédure est à ce point oppressive ou vexatoire que de la poursuivre violerait les principes fondamentaux de justice sous-jacents au sens de l’équité et de la décence de la société (Toronto, au par. 35).

[112] Le Tribunal s’attardera comme il se doit à rendre une décision raisonnable, fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des faits et du droit pertinents (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 85 et 99; Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15, au par. 31).

A. Abus de procédure

[113] La première question que doit se poser le Tribunal est celle de savoir s’il y a abus de procédure dans le présent dossier.

[114] Le Tribunal rappelle qu’il faut tenir compte aux fins de la présente décision de toutes les autres décisions interlocutoires rendues par le Tribunal dans le présent dossier et qui sont présentées à la section intitulée Rappel de la procédure, ci-dessus. De manière importante, la présente décision doit ainsi se lire à la lumière des décisions suivantes:

· La décision 2019 TCDP 49, tout particulièrement, dans laquelle le Tribunal a déclaré que la requête de la plaignante lui demandant de reconsidérer 17 décisions interlocutoires ayant été prononcées ou devant l’être constituait un abus de procédure. Se fondant sur les enseignements de l’honorable juge Russel de la Cour fédérale, dans Canada c. Nourhaghighi, 2014 CF 254 [Nourhaghighi], le Tribunal a rappelé à la plaignante que ses agissements étaient vexatoires et abusifs, l’a enjointe de ne pas franchir les limites de l’acceptable, de concentrer ses énergies sur l’essentiel de son dossier et l’a avertie qu’elle détenait de moins en moins de latitude dans la procédure et que ces comportements ne seraient plus tolérés. Le Tribunal a émis des ordonnances claires visant à réfréner ces comportements et à s’assurer du bon déroulement de la procédure;

· La décision 2020 TCDP 3, dans laquelle le Tribunal a rejeté la demande en récusation de la plaignante pour cause de partialité. Cette décision met en exergue plusieurs difficultés voire embûches qui existent dans la procédure et qui sont occasionnées par les comportements qu’exhibent la plaignante;

· La décision 2018 TCDP 8, dans laquelle le Tribunal, au tout début de la procédure, a demandé aux parties de faire preuve de retenue, de respect et de courtoisie, et d’éviter de formuler des commentaires sur l’intégrité des intervenants au dossier, incluant leur intégrité professionnelle.

[115] La présente décision doit également se lire en tenant compte des multiples avertissements donnés à la plaignante dans les TGI afin de réfréner ses comportements vexatoires, de faire preuve de retenue dans les représentations et commentaires inflammatoires et caustiques qu’elle fait tant par écrit qu’oralement durant les appels.

[116] Enfin, elle doit se lire à la lumière de plusieurs mises en garde du Tribunal dans ses correspondances et instructions à la plaignante visant à corriger ses comportements et à réfréner ses allégations de partialité, notamment :

· Dans une communication écrite du 4 décembre 2018, le Tribunal est intervenu quant aux allégations de partialité formulées par la plaignante dans un courriel envoyé le 3 décembre 2018 et lui a demandé de déposer une requête en récusation à la première occasion ou d’arrêter de soulever la partialité du membre instructeur;

· Dans une communication écrite du 13 septembre 2019, le Tribunal a rappelé encore une fois à la plaignante de faire preuve de retenue, de respect et de décorum;

· Dans une communication écrite du 9 juin 2020, qui fait suite à une autre allégation de partialité de la part de la plaignante faite le 8 juin 2020, le Tribunal lui a rappelé notamment que la question de la récusation avait déjà été tranchée et l’a sommée de réfréner ses allégations à ce sujet.

[117] Le Tribunal tient également à souligner que la présente décision aboutit après un très long et complexe processus de gestion d’instance, qui a nécessité un nombre important de TGI.

[118] En effet, le Tribunal a tenu pas moins de 26 TGI entre le 9 août 2017 et le 26 janvier 2021, une période d’environ 41 mois, soit approximativement une TGI tous les mois et demi.

[119] Les TGI totalisent près de 27 heures et 30 minutes passées par le Tribunal et les parties à faire avancer la procédure, traiter la divulgation de documents et trancher oralement les multiples demandes faites par la plaignante.

[120] Tout ce temps consacré exclusivement à la gestion de l’instance équivaut à près de cinq jours d’audience du Tribunal, sans pause. Ceci est sans compter le temps alloué aux multiples échanges de courriel entre les parties et le Tribunal, ainsi qu’à toutes les instructions et directives qui ont été émises par le membre instructeur, non plus que le temps qu’a mis le Tribunal à traiter les demandes d’accès à l’information et d’accès à d’autres dossiers du Tribunal faites par Mme Constantinescu.

[121] La multiplicité des demandes de divulgation de la part de la plaignante tant par écrit que durant les TGI est impressionnante et sort indéniablement du cours normal d’une procédure devant le Tribunal. Les décisions orales prises par le Tribunal lors de ces TGI et dans le cadre de directives sont, à toutes fins pratiques, difficilement quantifiables.

[122] Le Tribunal s’est assuré que la gestion d’instance soit abordée sur tous ces fronts, tant oralement que par écrit, simultanément, afin d’accélérer son traitement. Ainsi, parallèlement à toutes les demandes tranchées oralement par le Tribunal lors de TGI, plusieurs autres demandes faites par la plaignante ont été traitées par écrit, d’où le nombre important de décisions sur requête dans ce dossier.

[123] Le Tribunal réitère par ailleurs que contrairement à ce que la plaignante soutient dans sa réplique, à savoir qu’elle aurait soulevé la partialité du membre à la première occasion en décembre 2019, le Tribunal réitère que Mme Constantinescu n’a pas déposé sa demande en récusation à la première occasion.

[124] Le Tribunal s’est déjà penché sur cette question aux paragraphes 4 à 30 de sa décision 2020 TCDP 3 sur la récusation, dans laquelle il a décidé que Mme Constantinescu était forclose de présenter une requête en récusation puisqu’elle ne l’avait pas déposée à la première occasion.

[125] Le Tribunal ne reprendra pas tous les motifs de sa décision, mais il tient à rappeler qu’il est intervenu très rapidement dans la procédure suivant les allégations de partialité soulevées par la plaignante.

[126] En effet, dès le 4 décembre 2018, le Tribunal a émis une directive en réponse aux allégations de partialité de la plaignante soulevées le jour précédent dans laquelle il l’a sommée, se fondant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans 2000 Zündel c. Canada (C.D.P.), 2000 CanLII 16575 (CAF), de déposer une requête en récusation à la première occasion. Le Tribunal l’y a clairement averti qu’à défaut de le faire, elle devait réfréner ses allégations de partialité et faire preuve de retenue. Or, le Tribunal avait assigné le présent dossier au membre instructeur à la fin de l’été 2017. C’est donc dire que la plaignante soulevait déjà des allégations de partialité non fondées à l’endroit du membre instructeur quelques mois à peine après le début du processus de gestion d’instance.

[127] Bien qu’invitée à déposer une requête en récusation, Mme Constantinescu a pris la décision bien informée et en toute connaissance de cause de ne pas déposer une telle requête.

[128] Dans sa décision 2019 TCDP 49 du 16 décembre 2019 dans laquelle il a rejeté la demande de la plaignante de reconsidérer 17 décisions interlocutoires et conclu à un abus de procédure, le Tribunal a de nouveau mis en garde la plaignante de corriger ses comportements vexatoires et frustratoires.

[129] Il y reprenait les motifs de la Cour fédérale dans Nourhaghighi, dans laquelle l’honorable juge Russel a énuméré les comportements qui peuvent mener à une déclaration de plaideur quérulent, de comportements vexatoires et d’abus de procédure. Accuser les décideurs de partialité évidente et de conduite non professionnelle fait partie des comportements pouvant mener à une telle déclaration.

[130] Toujours dans cette décision, Mme Constantinescu a été avertie une fois encore que ce genre d’allégations pouvait mener à un abus de procédure et, ultimement, pouvait emporter le rejet de sa procédure si ces comportements n’étaient pas corrigés. Le Tribunal, à cette époque, a jugé qu’il n’en était pas encore là et a poursuivi sa procédure comme requis par la LCDP.

[131] Néanmoins, le 15 décembre 2019, la plaignante a soulevé une nouvelle fois la partialité du membre instructeur. Elle a demandé au Tribunal des directives sur la procédure à suivre afin que le membre instructeur soit changé. Le Tribunal l’a alors invitée à déposer une requête en récusation, ce qu’elle a fait le 17 janvier 2020.

[132] Le 28 février 2020, le Tribunal a rejeté sa demande en récusation pour forclusion, comme mentionné précédemment (2020 TCDP 3), mais a également décidé de traiter tout de même de toutes les allégations de la plaignante, dans l’intérêt de la justice. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas matière à se récuser et la requête a été rejetée.

[133] La plaignante a déposé une demande en révision judiciaire de cette décision à la Cour fédérale, demande qui a été radiée par le protonotaire Molgat le 12 février 2021. Mme Constantinescu en a appelé de la décision de radier la demande, décision qui a été confirmée en appel par l’honorable juge Mosley de la Cour fédérale le 9 mars 2021 (voir Constantinescu 2021 CF 213).

[134] La décision de l’honorable juge Mosley a été portée en appel par la plaignante à la Cour d’appel fédérale, appel qui a été rejeté le 18 janvier 2022 (Constantinescu c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 9 (CanLII)).

[135] Cela dit, malgré la décision du Tribunal rejetant la demande en récusation de Mme Constantinescu, malgré les décisions du protonotaire Molgat et de l’honorable juge Mosley de la Cour fédérale et en dépit des multiples interventions et avertissements du Tribunal de réfréner ses allégations non fondées de partialité, la plaignante a décidé de poursuivre dans cette voie et a délibérément fait fi de toutes ces mises en garde.

[136] Quelques mois plus tard, le 8 juin 2020, Mme Constantinescu revient à la charge et soulève encore la partialité du membre instructeur. Le Tribunal réintervient, une fois de plus, dans une directive le 9 juin 2020. Il l’informe que la question de la récusation a déjà été tranchée et qu’elle est dans l’obligation de réfréner ses allégations de partialité non fondées.

[137] En dépit de cette ultime mise en garde, la plaignante a rechuté le 22 janvier 2021 dans une autre de ses correspondances dans laquelle elle soulève à nouveau la partialité du membre instructeur. Elle y ajoute être obligée de participer contre son gré à une procédure de laquelle le membre instructeur refuse de se retirer.

[138] C’est cette ultime correspondance qui a mené à l’intervention du Tribunal dans la TGI du 26 janvier 2021. Le membre instructeur, qui est le gardien de sa procédure et qui doit s’assurer que la procédure n’est pas abusive, a jugé qu’il était nécessaire de revoir la question d’un potentiel abus de procédure dans l’instruction de la plainte en raison des agissements de la plaignante.

[139] Les allégations répétées de partialité à l’encontre du membre instructeur et l’impossibilité pour Mme Constantinescu de réfréner ses allégations et de corriger ses comportements, malgré les multiples avertissements du Tribunal tant dans ses directives et instructions que dans ses décisions formelles, constituent un abus de procédure (Rodney Brass, au par. 17).

[140] Pour reprendre les propos de la Cour d’appel fédérale dans Abi-Mansour 2014, au paragraphe 14 précité :

Les personnes qui demandent l'aide de la Cour en sa qualité d'arbitre indépendant et qui ensuite invoquent à maintes reprises la partialité lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à leurs attentes n'utilisent pas le système judiciaire de bonne foi. La Cour est en droit de refuser d'accorder son aide à ces parties.

[141] Selon cette Cour, les allégations répétées de partialité portent atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice tout entière (au paragraphe 13). Le présent Tribunal conclut, comme la Cour l’a fait dans cette affaire (au paragraphe 14), que les allégations répétées de partialité de la plaignante constituent un abus de procédure. Mme Constantinescu était bien au fait, suivant les multiples avertissements du Tribunal, que ces allégations répétées de partialité non fondées l’exposaient à un rejet potentiel de son recours. Le Tribunal lui a offert plusieurs occasions de corriger ses comportements, mais en vain. Le Tribunal avait sans contredit le pouvoir de protéger sa procédure contre un potentiel abus de procédure et de soulever la question de son propre chef (au paragraphe 15).

[142] Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal juge que les allégations répétées de partialité non fondées de Mme Constantinescu sont vexatoires au point d’enfreindre les notions fondamentales de justice, mine l’intégrité du processus judiciaire et constituent un abus de procédure (voir Rodney Brass, au par. 17 et Tobiass, au par. 89).

B. Réparations

[143] Maintenant que le Tribunal a déclaré qu’il y a abus de procédure, il doit décider de la réparation appropriée. Rappelons que la plainte tout entière peut être rejetée si (i) l’abus visé sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement de l’instruction ou par son issue et (ii) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître le préjudice (O’Connor, au par. 75; Regan, au par. 54).

[144] Malgré les avertissements non équivoques du Tribunal sommant la plaignante de stopper ses allégations de partialité non fondées à chaque occasion où elle les a soulevées, malgré les avertissements tant dans ses directives que ses décisions interlocutoires, malgré une décision finale rejetant sa demande en récusation et en dépit des décisions de la Cour fédérale du protonotaire Molgat et de l’honorable juge Mosley, Mme Constantinescu a continué à soulever ses allégations de partialité non fondées à l’égard du membre instructeur.

[145] Mme Constantinescu a démontré et continue de démontrer son incapacité à se conformer aux directives et aux instructions du Tribunal et à réfréner ses allégations de partialité non fondées. Mme Constantinescu n’est pas en mesure de respecter les décisions finales et le principe de la chose jugée. Elle rouvre toujours le même débat et est incapable de concentrer son énergie sur les éléments essentiels de son dossier.

[146] De ce fait, force est de constater qu’il lui est impossible de corriger ses comportements vexatoires et abusifs. Elle a démontré qu’elle est tout à fait en mesure de faire fi de toutes instructions de la part du décideur, de respecter tant ses décisions que celles des tribunaux de supervision.

[147] Tout comme l’a fait la Cour fédérale dans Abi-Mansour 2015, le Tribunal juge que cela est suffisant pour rejeter la plainte de Mme Constantinescu dans son entièreté en raison d’un abus de procédure. Le Tribunal est d’avis que la conduite passée de Mme Constantinescu est à ce point grave que le simple fait de poursuivre le litige sera nécessairement choquant (Tobiass, au par. 91).

[148] Au surplus, les représentations déposées par la plaignante aux fins de la présente décision augurent mal du futur de la procédure. Elles sont particulièrement révélatrices à la page 6, où la plaignante écrit que tant que la dernière instance de ce pays ne tranchera pas la question de la partialité du membre instructeur – et le Tribunal en comprend qu’il s’agit de la Cour suprême – elle n’arrêtera pas d’affirmer que la partialité du membre instructeur est fondée. Ce n’est pas la première fois que la plaignante tient ce genre de discours immodéré.

[149] En conséquence, si la procédure devait se poursuivre, le Tribunal n’est pas convaincu que la plaignante serait en mesure de réfréner ses allégations. Elle poursuivra vraisemblablement dans la même direction tant que la Cour suprême ne l’entendra pas.

[150] De plus, malgré l’arrivée d’un avocat représentant la plaignante, le Tribunal estime qu’il n’existe pas suffisamment de garanties permettant de le convaincre que le préjudice ne sera pas perpétué ou aggravé si la procédure se poursuit. Il estime par ailleurs n’avoir à sa disposition aucune autre réparation qui puisse raisonnablement faire disparaître ce préjudice (Regan, au par. 54).

[151] En effet, même si Mme Constantinescu a été représentée par avocat pour le dépôt de sa réplique, une partie de ses représentations visent à prouver, encore une fois, la partialité du membre instructeur ou du moins, tente de justifier ses agissements. Bien que l’avocat ait affirmé qu’il collaborera avec le Tribunal et n’a pas l’intention de s’attarder sur les allégations de partialité, il revient à la charge, sur plusieurs pages (approximativement le tiers de ses représentations) en ouvrant à nouveau le débat sur la partialité du membre instructeur.

[152] La plaignante estime que sa prétention, c’est-à-dire que le membre instructeur est partial, n’est ni frivole ni abusive. Pour être clair, ce n’est pas la demande en récusation en elle-même qui est abusive, mais bien les répétitions continues de ces allégations de partialité non fondées faites par la plaignante, malgré les multiples avertissements et mises en garde du Tribunal, ses décisions finales et celles des cours fédérales, qui sont abusives. Et bien que l’avocat ait mentionné que la plaignante n’allait pas poursuivre dans cette voie, les représentations dans sa réplique démontrent que la plaignante refuse, malgré qu’elle soit représentée par avocat, de respecter le principe de la chose jugée.

[153] L’avocat de la plaignante, en tant qu’officier de justice, est (ou devrait être) bien au fait du principe de la chose jugée en ce qui a trait à la décision 2019 TCDP 49. Le débat est clos à ce sujet et pourtant, la plaignante ne peut se retenir de rouvrir le débat dans sa réplique. Considérant l’historique du dossier, le Tribunal n’est alors pas convaincu que si la procédure devait se poursuivre, la question ne serait pas, encore une fois, soulevée. Le préjudice causé par l’abus en question serait de la sorte nécessairement perpétué ou aggravé par le déroulement de la procédure ou son issue (Regan, précité).

[154] La plaignante propose une alternative. Elle argue que comme le Tribunal est un organe administratif et que sa procédure devrait être souple et informelle, le Tribunal aurait pu décider de changer tout simplement de membre instructeur afin de changer la dynamique du dossier.

[155] Cette proposition formulée dans la réplique de Mme Constantinescu par son avocat est pour le moins surprenante.

[156] D’une part, il n’appartient ni à la plaignante ni à aucune autre partie dans une instruction menée par le Tribunal de décider du membre instructeur auquel sera assignée la plainte ou de son remplacement. L’assignation d’une plainte à un membre est du ressort du président du Tribunal. Autrement dit, il est de la prérogative du président du Tribunal de désigner un membre instructeur pour l’instruction de la plainte et celle du membre instructeur d’accepter la désignation (paragraphe 49(2) de la LCDP. Voir également Hugie c. T-Lane Transportation and Logistics, 2020 TCDP 25 (CanLII), au par. 33).

[157] Cela étant précisé, le Tribunal ne peut non plus acquiescer à la proposition de la plaignante voulant qu’il ait pu changer de membre instructeur rapidement dans la procédure sans causer préjudice à qui que ce soit.

[158] D’une part, la complexité de ce dossier est indéniable. Le nombre important de TGI, de décisions interlocutoires tant écrites qu’orales et la rigueur nécessaire afin de garder le cap sur les éléments à traiter ne sauraient se prêter à un changement de membre instructeur en cours de procédure.

[159] D’autre part, ce que la plaignante demande correspond, en fait, à faire indirectement ce que le membre instructeur a refusé de faire directement. Autrement dit, il s'agit, en fait, d’une récusation du membre sans cause ou sans fondement, alors que la demande en récusation a fait l’objet d’une décision et que le membre a refusé de se retirer.

[160] Ce que propose la plaignante permet, en fait, d’ouvrir la porte à ce que la Cour suprême s’est opposée avec fermeté, c’est-à-dire cette pratique pour une partie de rechercher un décideur qui pourrait lui être plus favorable. Cette pratique a été décrite comme étant inacceptable et les cours de justice et les tribunaux l’ont surnommée « magasinage de juge » ou en anglais, judge shopping (Regan, au par. 61).

[161] Il s’agit de cette pratique pour l’une des parties au litige d’essayer, en mettant en œuvre différentes tactiques, de faire changer le juge auquel son dossier a été assigné en espérant avoir un juge qui lui est plus favorable. Ces tactiques peuvent prendre la forme, par exemple, d’une demande de changement de décideur, d’une plainte contre lui ou d’une demande en récusation non fondée.

[162] Dans cette veine, la plaignante plaide dans ses représentations que le membre instructeur aurait pu faire la même chose que le membre Bélanger a fait dans un autre dossier (voir Davis c. l'Agence des services frontaliers du Canada [Davis], 2011 TCDP 6). Dans Davis, le membre instructeur a rejeté une demande en récusation, mais a tout de même décidé de se retirer du dossier.

[163] Avec égard pour la décision du membre Bélanger, le soussigné estime qu’il ne s’agit pas là de l’approche à adopter en matière de récusation d’un décideur. Le Tribunal est en parfait accord avec les commentaires faits par l’honorable juge Hudon de la Cour du Québec dans R. c. Hakim, 2013 QCCQ 11052 (CanLII), qui écrivait ce qui suit à ce sujet :

[17] Il serait facile pour tout juge qui fait l’objet d’une requête en récusation de faire droit à celle-ci et de reporter le dossier devant un autre juge.

[18] Toutefois, ce n'est pas l'attitude à prendre devant une telle requête, car ce faisant, ce serait créer une situation qui ouvrirait la porte à de l'abus et à un magasinage du juge par une partie ou par l'autre. Le juge doit éviter de tomber dans la facilité et de se récuser alors qu’il n’est pas obligé.

[164] L’avocat de la plaignante, dans la réplique de celle-ci, revient à la charge : il réitère que le Tribunal aurait tout simplement pu changer de membre instructeur au cours de la procédure.

[165] Les arguments de la plaignante et de son avocat, ce qu’ils demandent, sont dans les faits et de manière à peine voilée une forme de « magasinage de juge ». Aller dans cette voie pourrait mener à des situations non souhaitables dans un processus judiciaire ou quasi judiciaire et nuirait à l’administration de la justice en général. En effet, cette proposition ouvre la porte à de dangereux précédents.

[166] Il suffirait à une partie de formuler des allégations de partialité non fondées de manière répétée, ce qui pourrait créer une pression indue sur le décideur, pour l’amener, éventuellement et tout simplement, à se retirer du dossier et se faire remplacer par un autre juge. Cette situation n’est pas souhaitable dans un processus comme le nôtre.

[167] S’il est vrai que le Tribunal est de nature administrative et qu’il est généralement plus flexible qu’une cour de justice, cela ne change pas la nature de la proposition de la plaignante. Accepter cette proposition atteindrait tout de même l’administration de la justice en général en dépit de la nature administrative du Tribunal et de la flexibilité dont il peut faire preuve.

[168] Le Tribunal est ferme : ce type de manœuvre est inacceptable et vexatoire. Le Tribunal ne peut pour ces motifs considérer qu’il s’agit d’une mesure de rechange ou d’une réparation permettant de corriger le préjudice au sens de Regan, au paragraphe 54.

[169] Cela étant dit, la venue, pour le moins tardive, d’un avocat représentant la plaignante ne constitue pas non plus une réparation de rechange permettant de corriger le préjudice. D’une part, il n’existe aucune garantie que le représentant de Mme Constantinescu va demeurer au dossier jusqu’à la fin de la procédure. Cette décision repose entièrement sur les épaules de la plaignante et le Tribunal ne peut garantir que celui-ci demeurera au dossier. Ainsi, le Tribunal n’est pas convaincu que l’abus de procédure ne se perpétuerait pas si la procédure devait continuer, et ce, même si la cliente est représentée.

[170] Une autre avenue aurait pu être pour le Tribunal de condamner la plaignante à des frais et des dépens, s’il en avait eu le pouvoir. Cependant, comme l’intimé l’a souligné aux paragraphes 49 de ses représentations, le Tribunal ne dispose pas de ce remède pour sanctionner le comportement de la plaignante contrairement à la Cour fédérale. Effectivement, la Cour suprême a confirmé cette absence de compétence dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (CanLII) [Mowat] statuant que le Tribunal ne peut adjuger des dépens au titre des alinéas 53(2)c) et d) de la LCDP.

[171] Le Tribunal tient à mentionner l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, bien que les parties ne l’aient pas soulevé dans leurs représentations. Dans cette affaire, où il s’agissait d’une décision de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral, la Cour d’appel fédérale a jugé que le pouvoir inhérent d’un tribunal de contrôler sa propre procédure comprend le droit d’exiger le remboursement de frais engagés en raison d’une conduite abusive ou de l’obstruction de la partie adverse. Il est à noter que les circonstances de cette affaire, comme le souligne la Cour, étaient hautement inhabituelles.

[172] Même en supposant que le Tribunal puisse avoir une telle compétence – ce qui demeure une hypothèse et ce sur quoi, dans tous les cas, il ne se penchera pas puisque les parties ne le lui ont pas plaidé – le Tribunal n’est pas convaincu, au vu de l’historique du présent dossier, que l’octroi d’une quelconque sanction pécuniaire pourrait raisonnablement faire disparaître le préjudice au sens des arrêts O’Connor et Regan, précités.

[173] En conclusion, le Tribunal estime qu’il y a lieu de rejeter la plainte de Mme Constantinescu sur la seule base des allégations répétées et non fondées de partialité de la part de la plaignante à l’encontre du décideur considérant ce qui précède et les multiples avertissements qu’il a donnés en lien avec ces allégations, l’incidence de ces allégations sur le système judiciaire dans son entièreté et sur la réputation du décideur, et l’incapacité de la plaignante de se conformer aux ordonnances et directives du Tribunal.

[174] Le Tribunal conclut également qu’il n’existe aucun autre moyen dans sa boite à outils, outre le rejet de la procédure, de corriger le préjudice causé par la plaignante en raison de ses agissements. Il n’existe non plus aucun autre moyen lui permettant de prévenir ou de corriger le préjudice qui serait perpétué si la procédure devait se poursuivre.

[175] Il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’analyser le troisième critère, soit celui de la mise en équilibre des intérêts, puisqu’il ne subsiste aucun doute par suite l’analyse du Tribunal au regard des deux premiers critères (Regan, au par. 57; Tobiass, au par. 92).

C. Autres comportements vexatoires et délai excessif

[176] Comme le Tribunal a déjà conclu au rejet de la plainte sur la base des allégations répétées de partialité non fondée et bien qu’il ait pris connaissance de tous les arguments des parties, il juge inutile de se prononcer sur les autres comportements vexatoires de la plaignante.

[177] Le Tribunal ne s’attardera pas non plus au délai excessif qu’aurait engendré la complexification par la plaignante de sa plainte ni au préjudice qui en aurait découlé.

[178] Cela dit, le Tribunal tient cependant à souligner que tout au long de l’instruction, la plaignante a eu des comportements inappropriés et a été invitée à les corriger à de multiples occasions par le Tribunal. Par exemple, dans une multitude de correspondances, lors de TGI ou même dans des observations relatives à des requêtes, elle s’est livrée à des attaques personnelles et professionnelles, a porté des accusations d’irrégularité et de mauvaise foi à l’encontre des intervenants dans ce dossier, et a accusé les intervenants de mentir ou de protéger des menteurs alors que la preuve n’a pas encore été examinée. Elle a fait fi des décisions du Tribunal et de son autorité et elle a manqué de respect envers les représentants des autres parties, tant oralement que par écrit.

[179] Le Tribunal ne peut passer sous silence le fait que tout au long de la procédure, Mme Constantinescu a utilisé en toute connaissance de cause un langage inflammatoire et caustique. Le Tribunal n’est pas le seul à avoir fait cette remarque. Pour reprendre les termes de l’honorable juge Pamel de la Cour fédérale, qui a observé les mêmes comportements dans sa procédure, il écrivait dans Constantinescu 2021 CF 229, au par. 139, ce qui suit :

Dans l’ensemble, il n’y a pas lieu d’accorder des dépens. Bien que je comprenne que Mme Constantinescu se sente flouée par le demandeur, cela ne justifie pas ses attaques personnelles. Mme Constantinescu aurait pu mieux servir sa cause en se concentrant sur les vrais problèmes plutôt que d’attiser les flammes avec un langage caustique, quelle que soit son sentiment.

[180] Il est effectivement malheureux que Mme Constantinescu n’ait pas été en mesure de se concentrer sur l’essentiel de son dossier.

VIII. Ordonnance

[181] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette la plainte de Mme Constantinescu pour abus de procédure et ordonne la fermeture du dossier, effective à la date de cette décision.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 20 avril 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2207/2917

Intitulé de la cause : Cecilia Constantinescu c. Service Correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 20 avril 2022

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Cecilia Constantinescu , pour elle même

Kwadwo D. Yeboah , pour la plaignante

Paul Deschênes et Nadia Hudon , pour l'intimé

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