Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 20

Date : le 13 juin 2022

Numéro du dossier : T2665/4121

 

Entre :

Keith Leonard

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la commission

- et -

Canadian American Transportation Inc.

l’intimée

- et -

Penner International Inc.

l’intimée

éventuelle

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la demande

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») traitant d’une requête déposée par M. Keith Leonard (« plaignant ») dans laquelle il demande l’ajout de Penner International Inc. (« Penner International » ou « intimée éventuelle ») comme partie intimée à l’instruction.

[2] Actuellement, le Tribunal est saisi de la plainte de M. Leonard au titre de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (« LCDP ») alléguant avoir été victime de discrimination en cours d’emploi de la part de Canadian American Transportation Inc. (« intimée » ou « CAT »), et ce, en raison de sa situation familiale.

[3] Le 27 septembre 2021, le plaignant a déposé un avis de requête dans laquelle il demandait l’ajout de Penner International comme partie intimée. Le 26 octobre 2021, une téléconférence de gestion d’instance a eu lieu entre le Tribunal et les avocats du plaignant, de CAT et de la Commission canadienne des droits de la personne (« Commission ») afin de discuter de cette requête.

[4] Il a été décidé que la requête serait traitée par écrit et le Tribunal a donc émis différentes directives notamment la signification de la requête à la partie intimée éventuelle en plus des délais afin de recevoir les représentations écrites. Toutes ces directives ont été circonscrites dans le sommaire de la téléconférence et distribuées aux parties le 29 octobre 2021.

[5] Comme requis, le 5 novembre 2021, le Tribunal a reçu les représentations écrites du plaignant et les pièces à l’appui de sa demande. La Commission, qui ne participe pas à l’audience, mais qui participe à la gestion d’instance, a soumis de brèves représentations écrites le 9 décembre 2021.

[6] À la même date, CAT a déposé conjointement avec l’intimée éventuelle, Penner International, mais aussi avec SLH Transport Inc. (« SLH »), des représentations écrites. Enfin, le 15 décembre 2021, le plaignant a déposé une brève réplique.

[7] Le Tribunal a pris connaissance des représentations des parties et a constaté que l’intimée, l’intimée éventuelle et SLH ont déposé des représentations qui dépassaient l’étendue des conclusions recherchées par le plaignant.

[8] Dans leurs représentations, elles ont indiqué consentir à l’ajout de Penner International en tant que partie intimée, mais ont demandé par le fait même le retrait de CAT comme intimée à l’instruction. Elles se sont aussi formellement opposées à l’ajout de SLH comme partie intimée.

[9] À la suite de ces ajouts non envisagés, le Tribunal a écrit aux parties afin d’obtenir des soumissions additionnelles à ce sujet. Les instructions du Tribunal ont été transmises aux parties le 27 janvier 2022 et sont consignées dans son dossier officiel.

[10] Il suffit de dire que le Tribunal avait pour objectif de résoudre, une bonne fois pour toutes, les questions relatives à l’identification du ou des bonnes parties intimées sans avoir à transiger par des requêtes additionnelles et futures sur cette même question. Il était alors beaucoup plus efficace de traiter de la question comme un tout (paragraphe 48.9(1) de la LCDP).

[11] Malgré la demande du Tribunal, CAT, Penner International et SLH n’ont pas soumis de représentations additionnelles. Le plaignant, quant à lui, a décidé de soumettre des observations additionnelles, ce qu’il a fait le 24 février 2022. CAT, Penner International et SLH ont déposé une brève réplique le 3 mars 2022.

II. Décision du Tribunal

[12] Ayant toutes les représentations des parties et les documents à leurs appuis, le Tribunal est maintenant en mesure de rendre sa décision.

[13] Pour les raisons suivantes, le Tribunal ajoute Penner International comme partie intimée et refuse de retirer CAT comme partie intimée à l’instruction de la plainte.

III. Questions en litige

[14] Les deux questions en litige sont les suivantes :

1) Dans un premier temps, est-ce que le Tribunal devrait ajouter Penner International comme partie intimée à l’instruction ?

2) D’autre part, est-ce que le Tribunal devrait retirer CAT comme partie intimée à l’instruction?

IV. Position des parties

A. Plaignant

[15] Le plaignant demande que Penner International soit ajouté comme partie intimée. Penner international est la dénomination corporative actuelle de SLH, l’ancien employeur de M. Leonard.

[16] Au soutien de sa demande, le plaignant affirme avoir déposé sa plainte à la Commission contre deux parties intimées différentes soit CAT et SLH, cette dernière étant une entreprise fédérale et subsidiaire de CAT. Il affirme que c’est avec SLH qu’il avait un contrat de travail : SLH était son employeur immédiat et c’est elle qui lui versait ses salaires.

[17] M. Leonard précise que la Commission a retiré de son propre chef SLH de sa plainte, sans préavis ni motif valable. Ainsi, il estime que n’eût été cette erreur, SLH aurait bel et bien été partie intimée dans l’instruction du Tribunal.

[18] Il ajoute qu’un avocat de la Commission aurait offert certaines clarifications à ce sujet; puisque SLH était détenue par Sears Department Stores, entreprise qui a fait faillite, il s’agirait peut-être là de la raison pour laquelle SLH aurai été retirée comme partie intimée durant le processus d’enquête. Le plaignant réplique qu’il ne peut être le cas puisqu’au moment de l’enquête de la Commission, SLH était détenue par CAT.

[19] Le plaignant ajoute qu’à ce moment-ci, SLH demeure une entreprise inactive qui a été fusionnée à Penner International qui, elle, assume alors tous les droits et responsabilités de SLH.

[20] Dans sa réplique, M. Leonard fait la remarque que CAT, Penner International et SLH ne se sont pas expressément opposées à l’adjonction de Penner International comme partie intimée et ont plutôt consentie à son ajout.

[21] Il profite également de l’occasion pour revenir sur la jurisprudence et les principes de droit en matière d’adjonction d’une partie devant le Tribunal. Il n’est pas nécessaire de les reprendre à ce stade-ci puisqu’ils sont conformes aux principes que le Tribunal adopte dans sa section V – Cadre juridique.

[22] Le plaignant affirme qu’à lecture même des exposés des précisions, il est clair que SLH était son employeur et que c’est elle qui aurait commis les actes discriminatoires reprochés. Il ajoute qu’il n’a pas à assumer l’erreur de la Commission et qu’il serait injuste de lui demander de déposer une nouvelle plainte contre SLH à la Commission. Non seulement il devra transiger à nouveau par un processus d’enquête, mais il soutient que le délai de prescription d’un an prévu à la LCDP est expiré. M. Leonard estime également que le préjudice causé à SLH peut être atténué en lui offrant l’occasion de déposer son propre exposé des précisions.

[23] Enfin, il note que SLH et Penner International sont maintenant la même entité opérant sous le nom de cette dernière. Bien qu’il estime que rien n’indique que le nom de l’entreprise SLH n’est plus valide ou a cessé d’être un nom enregistré, il affirme qu’il serait approprié d’ajouter, à l’instruction de la plainte, l’entreprise sous sa bonne dénomination soit Penner International Inc.

B. CAT, Penner International et SLH

[24] CAT, Penner International et SLH ont offert des observations communes soumises par la même firme d’avocats. Bien que le Tribunal n’ait pas spécifiquement invité SLH à offrir des représentations, elle l’a fait de concert avec les autres entreprises.

[25] CAT, Penner International et SLH consentent à ce que Penner International soit ajoutée comme partie intimée à l’instruction. En revanche, elles demandent que le statut de partie intimée soit retiré à CAT et s’opposent formellement à l’ajout de SLH en tant qu’intimée.

[26] Elles allèguent que seules les parties ayant eu une relation d’emploi avec M. Leonard devraient être incluses en tant que parties intimées à l’instruction. Selon elles, il suffit de suivre l’historique corporatif des entreprises impliquées afin de déterminer l’identité de la bonne partie répondante à la plainte.

[27] Elles précisent qu’avant 2017, le plaignant était l’emploi de SLH, qui était un subsidiaire de Sears. Cette dernière ayant fait faillite, l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc. a donc acheté les actifs de SLH. En 2018, l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc. a décidé de changer de nom pour prendre celui de SLH.

[28] Elles allèguent que durant toute la durée de son emploi, le plaignant a toujours été employé de SLH, payé par cette dernière et son contrat de travail n’a jamais été transféré à CAT. Ainsi, elles estiment que le plaignant n’a pas eu de lien d’emploi avec CAT justifiant alors son retrait en tant que partie intimée.

[29] CAT, Penner International et SLH précisent que le 31 janvier 2020, cette dernière a été fusionnée à Penner International. Ainsi, elles consentent à l’adjonction de Penner International comme partie intimée à l’instruction du Tribunal. Cependant, comme SLH a cessé d’exister comme entreprise en raison de la fusion, elle ne peut alors être ajoutée comme partie intimée.

C. Commission

[30] La Commission n’a pas spécifiquement pris position sur la demande de M. Leonard. Il faut également rappeler qu’elle ne participera pas à l’audience du Tribunal et limite sa participation à la gestion d’instance.

[31] Elle a néanmoins offert certaines observations sur le droit applicable quant à la demande de M. Leonard, en vue d’assister le Tribunal. Il n’est pas nécessaire de les reprendre puisque ses observations sont conformes au droit qui sera appliqué par le Tribunal dans la section V – Cadre juridique de sa décision.

[32] Enfin, la Commission n’a pas non plus soumis d’observations à la demande du Tribunal sur la demande de retrait de CAT en tant que partie intimée.

D. Représentations additionnelles du plaignant

[33] Comme mentionné antérieurement, le Tribunal a demandé des observations additionnelles de la part des parties quant à la demande de retrait de CAT comme partie intimée à l’instruction.

[34] Bien que CAT, Penner International et SLH aient pris la décision de ne pas fournir d’observations additionnelles à la demande du Tribunal, le plaignant, quant à lui, a déposé des représentations supplémentaires.

[35] M. Leonard estime que la demande de retirer CAT comme partie intimée est prématurée. Il affirme ne pas avoir demandé que Penner International remplace CAT comme partie intimée, mais bien de l’ajouter comme une nouvelle intimée, comme il l’a initialement fait au moment du dépôt de sa plainte devant la Commission.

[36] Il ajoute qu’il n’est pas suffisant de simplement analyser l’historique corporatif des entreprises impliquées, comme le prétend CAT, Penner International et SLH. Selon lui, il faut plutôt se demander si CAT était son « employeur » et, si tel est le cas, s’il a commis un acte discriminatoire au titre de l’article 7 de la LCDP, en raison d’un motif de distinction illicite prévu à la LCDP. À ce sujet, le plaignant se fonde sur la définition d’« employeur » prévue au paragraphe 40.1(1) de la LCDP et de l’article 5 de la Loi sur l'équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44. Il tente ainsi de démontrer que CAT était dans les faits un employeur au sens de la LCDP. De façon importante, M. Leonard allègue que SLH était un subsidiaire de CAT et que les décisions de politiques étaient prises par CAT, ce qui est nécessairement pertinent à la plainte.

[37] Il ajoute que CAT a pris la décision de le réembaucher alors qu’elle était en cours d’acquisition de l’entreprise SLH. Il lui a été assuré par M. Daniel Goyette de CAT via ses subsidiaires que son emploi n’allait pas être affecté par cette acquisition. De plus, il précise que CAT a également décidé de cesser les opérations de SLH et de fusionner ses employés avec un autre établissement.

E. Réplique additionnelle de CAT, Penner International et SLH

[38] L’intimée, l’intimée éventuelle et SLH nient que M. Leonard ait été à l’emploi de CAT et argue que c’est l’entreprise 8507597 Canada Inc. qui détenait plutôt les responsabilités d’employeur à son égard. Ainsi, elles arguent que c’est avec elle qu’il avait une relation d’emploi et non CAT.

[39] Elles rappellent que ce n’est pas CAT qui a acheté les actifs de SLH, mais bien l’entreprise 8507597 Canada Inc. qui, ultérieurement, a changé de nom pour prendre celui de SLH.

[40] De plus, CAT, Penner International et SLH estime que M. Leonard n’applique pas la bonne définition d’« employeur » au sens de la LCDP et nient également que CAT était au courant de ses besoins d’accommodement ou de sa situation personnelle nécessitant certains accommodements.

[41] Finalement, elles allèguent que l’offre d’emploi faite au plaignant et datée du 19 octobre 2017 démontre bien le lien d’emploi entre lui et SLH. Cette offre, qui a été signée par les présidents de SLH et de l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc., confirme que SLH sera l’employeur de M. Leonard après la transaction d’acquisition entre les deux entreprises.

V. Cadre juridique

[42] Le Tribunal détient la compétence afin d’adjoindre ou retirer une partie à son instruction, ce qui n’est pas contesté par les parties (Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Linden Gordon, 2019 TCDP 15 (CanLII), aux par. 31 à 36 [Peters]).

[43] Cette éventualité était déjà prévue dans les anciennes Règles de procédure du Tribunal (03-05-04), à la Règle 8(3), qui a maintenant été remplacée avec l’adoption des nouvelles règles de procédure du Tribunal en juillet 2021 (Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne, DORS/2021-137 « les Règles »).

[44] Il faut noter que les parties sont liées par les nouvelles règles de procédure du Tribunal, ce qui a été confirmé lors de la téléconférence de gestion d’instance du 26 octobre 2021.

[45] La Règle 29 des Règles prévoit la procédure à suivre afin d’adjoindre une partie à l’instruction du Tribunal. Elle stipule ce qui suit :

La partie désirant qu’une personne obtienne la qualité de partie à l’instruction signifie et dépose un avis de requête visant à obtenir une ordonnance à cet égard, après l’avoir signifié à la partie éventuelle. Cette dernière peut présenter des observations au sujet de la requête.

[46] Concernant spécifiquement l’ajout d’une partie intimée à l’instruction, le Tribunal écrivait au paragraphe 39 de Peters que :

Le Tribunal fait généralement preuve de circonspection lorsqu’il s’agit d’ordonner l’adjonction d’un intimé, puisque l’ajout d’une partie à l’étape de l’instruction est susceptible de priver cette partie de la fonction de contrôle effectué par la Commission en application des articles 41 et 44 de la Loi. Le Tribunal s’assure de tenir compte des risques et préjudices pouvant découler d’une telle décision (voir Gervais c. Canada (Ministère de l’Agriculture), 7 C.H.R.R. D/3624, et Coupal c. Canada (Agence des services frontaliers), 2008 TCDP 24 (Coupal), paragraphe 20).

[47] L’adjonction d’une partie à l’instruction n’est pas une décision sans conséquence. Il faut noter que la LCDP prévoit un mécanisme bien spécifique quant au traitement des plaintes et leur renvoi au Tribunal pour instruction. À cet effet, la présence de la Commission est majeure en ce qu’elle a, entre autres choses, un rôle de filtrage ou de gardienne des plaintes. Pour une description plus détaillée de ce mécanisme, le Tribunal réfère le lecteur à la décision Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2 (CanLII) aux paragraphes 12 à 18, dans laquelle il a résumé le mécanisme de renvoie de la plainte.

[48] Comme l’écrivait le Tribunal au paragraphe 41 de la décision Première Nation des Mississaugas de Credit c. Procureur général du Canada, 2021 TCDP 31 (CanLII) [PNMC]), et sur la présence de la Commission :

[41] […] Priver certains intimés des protections garanties par ce processus en ne leur offrant pas l’occasion de répondre aux allégations, au cours d’une enquête menée par la Commission avant le renvoi, équivaudrait à les priver de l’équité procédurale et de la justice naturelle auxquelles ils ont droit en tant que participants de plein droit au processus de la Commission.

[49] Le Tribunal écrivait aussi aux paragraphes 46 à 48 dans Brown c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2003 TCDP 43 (CanLII) [Brown], une décision citée dans PNMC, ce qui suit :

[46] Le dernier argument soulevé par le ministère des Travaux publics est celui du préjudice. Il repose essentiellement sur le fait que le ministère a été privé des avantages dont jouit habituellement la partie intimée au cours du processus d'enquête. Il s'agit là d'une importante considération qui est contrebalancée par le fait que ce sera habituellement le cas si une partie intimée est ajoutée après le renvoi de la plainte au Tribunal en vertu de la Loi.

[47] En réalité, M. Brown pourrait déposer demain une nouvelle plainte pour laquelle le ministère des Travaux publics serait la partie intimée. La Commission pourrait ensuite renvoyer ladite plainte au Tribunal aux termes du paragraphe 49(1) de la Loi, qu'il y ait eu enquête ou non. À mon avis, il ne serait pas souhaitable de recourir à des manœuvres[sic] aussi formelles pour amener le ministère des Travaux publics devant le Tribunal.

[48] L'idée que le plaignant doit déposer une deuxième plainte pour composer avec les problèmes susceptibles de se présenter du côté du ministère des Travaux publics est contraire à l'esprit de la Loi. Cela ne ferait que retarder la satisfaction des droits dont le plaignant devrait peut-être bénéficier; de plus, il en résulterait un gaspillage des ressources rares dont dispose le système de justice. Si le ministère des Travaux publics est à bon droit partie à l'instance, il doit être constitué comme telle le plus rapidement possible afin que toutes les questions découlant de la plainte dont je suis saisi puissent être étudiées facilement. Je ne vois aucune raison pour lesquelles l'on ne pourrait suppléer aux lacunes du processus en donnant à l'avocat du ministère des Travaux publics le temps nécessaire pour préparer son argumentation.

[Emphases non présentes dans l’original]

[50] Cela étant dit, le Tribunal a traditionnellement appliqué la même analyse lorsqu’il décide de l’adjonction d’une partie à la plainte. La décision Syndicat des employés d’exécution de Québec-Téléphone, section locale 5044 du SCFP c. Telus Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31 (CanLII) [Telus] est la décision phare en la matière.

[51] Cette décision a été reprise dans Harrison c. Première Nation de Curve Lake, 2018 TCDP 7 (CanLII) [Harrison], dans laquelle le Tribunal a bien résumé les trois facteurs qui sont généralement pris en considération dans le traitement d’une demande d’adjonction d’une partie :

1) Est-ce que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour trancher la plaint?

2) Est-ce qu’il était raisonnablement prévisible, une fois la plainte déposée auprès de la Commission, que l’adjonction d’un nouvel intimé serait nécessaire pour trancher la plainte?

3) Est-ce que l’adjonction d’une nouvelle partie occasionnera un préjudice grave à la partie adverse?

(Voir également Coupal et Milinkovich c. Agence des services frontaliers du Canada, 2008 TCDP 24 (CanLII)).

[52] Bien que le Tribunal ait historiquement suivi l’analyse effectuée dans la décision Telus, membre Mercer avait soulevé certaines réserves relativement à cette analyse dans la décision Peters.

[53] Dans cette décision, elle écrivait aux paragraphes 47, ce qui suit :

[47] Enfin, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément qui fonde ma décision sur la requête, je mentionne que les facteurs énoncés dans Telus diffèrent considérablement de ceux qui sont pris en compte par les tribunaux des droits de la personne dans d’autres ressorts canadiens. […]

[54] Elle ajoutait aux paragraphes 44 et 45 de sa décision que :

[44] Bien que les facteurs énoncés dans Telus aient été indirectement confirmés par la Cour fédérale dans la décision Canada c. Brown, 2008 CF 734 (Brown), puis appliqués de manière assez constante par le Tribunal depuis 2003, on ne saurait affirmer que le membre instructeur dans Telus, Pierre Deschamps, a cherché à établir une liste exhaustive de facteurs à analyser ou une règle rigide en ce qui concerne l’ajout d’une partie dans le cadre d’une instruction. La décision Brown ainsi que les décisions subséquentes du Tribunal ne sauraient non plus étayer une telle approche.

[45] Une approche aussi rigide irait vraisemblablement à l’encontre de l’obligation légale du Tribunal d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive tout en respectant les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[55] Le soussigné partage la même réserve effectuée par sa collègue membre Mercer en 2019, en ce qu’il n’est pas certain que les facteurs historiquement considérés par le Tribunal sont à ce point rigides et inflexibles qu’il ne lui serait pas possible de considérer d’autres facteurs pertinents lorsqu’il traite une demande d’adjonction d’une partie. Il est également intéressant de noter que l’analyse effectuée par les tribunaux provinciaux des droits de la personne s’éloigne de l’analyse faite par notre Tribunal (voir par exemple au Manitoba, Webb v LHS Holdings Inc., 2020 MBHR 5; en Alberta, Pujji v 1819010 Alberta Ltd o/a Liquor King Spruce Grove, 2022 AHRC 14; dans les Territoires du Nord-Ouest, Portman v Government of the Northwest Territories and Sun Life Assurance Company of Canada, 2020 CanLII 19009 (NT HRAP); en Ontario, SR v. Ontario (Education), 2021 HRTO 535 et Smyth v. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 1513 [Smyth]; en Colombie-Britannique, MacGillivary v. Parkland Fuel Corporation, 2021 BCHRT 86). Enfin, il faut noter que dans Harrison, le Tribunal semble aussi combiner les critères de la prévisibilité et du préjudice, ce qui soulève certaines réserves sur l’approche traditionnellement appliquée par le Tribunal (Harrison, aux par. 34 et 35, citant beachesboy@aol.com c. Heather Fleming et Ronald Fleming, 2007 TCDP 52, au par. 21).

[56] Malgré ces remarques, et au bout du compte, les parties n’ont pas soumis de représentations spécifiques à ce propos. Ce faisant, le Tribunal se limitera donc à appliquer l’analyse historiquement faite et, de toute manière, cette analyse lui permet de logiquement et raisonnablement disposer de la question en litige sans avoir nécessairement à considérer d’autres facteurs additionnels.

VI. Analyse

A. Ajout de Penner International comme partie intimée

[57] Dans un premier temps, le Tribunal note que CAT, Penner International et SLH ne s’opposent pas à ce que Penner International soit ajoutée comme partie intimée. Toutefois, elles s’opposent formellement à ce que SLH le soit.

[58] Il faut préciser que le plaignant ne demande pas que SLH soit ajoutée comme partie intimée à l’instruction et la demande ne vise que Penner International. C’est alors sur ce seul élément que le Tribunal concentrera son analyse.

[59] Le Tribunal veut aussi s’assurer d’avoir la bonne la partie intimée devant lui, sous la bonne dénomination sociale. Selon les observations fournies par les parties, il appert que Penner International et SLH ont été fusionnées. Le Tribunal comprend alors que suivant cette fusion, l’entreprise mène dorénavant ses opérations sous le nom Penner International.

[60] Cela étant dit, M Leonard affirme que la Commission a retiré de son propre chef SLH comme partie intimée à la plainte, sans préavis et sans motif. Il ajoute que la Commission n’aurait pas dû le faire alors qu’il avait sciemment nommé SLH comme une partie intimée dans les formulaires qu’il a remplis.

[61] À ce sujet, il est impératif de rappeler que le Tribunal n’est pas compétent afin de réviser les décisions de la Commission (Williams c. Banque de NouvelleÉcosse, 2021 TCDP 24, au par. 32). Dans la même veine, ma collègue membre Harrington écrivait au paragraphe 34 de la décision Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2019 TCDP 35, que :

[34] Le Tribunal acquiert sa compétence à l’égard des plaintes liées aux droits de la personne quand la Commission demande au président du Tribunal d’instruire la plainte. Lorsque la Commission formule une requête à cette fin, le rôle du Tribunal consiste à statuer sur la plainte, et non à examiner de manière incidente le processus décisionnel de la Commission :

[…] le Tribunal n’a pas compétence relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission aux termes du paragraphe 44(3) (rejet ou renvoi d’une plainte) […] de la LCDP. Un contrôle judiciaire de la Cour fédérale est la voie qu’il convient de suivre pour contester une décision de la Commission touchant de telles décisions.

[Voir également Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (CanLII), au par. 56]

[62] Bien que le Tribunal comprenne l’argument de M. Leonard, il est clair qu’il ne peut réviser le processus décisionnel de la Commission et qu'il ne peut corriger quelconque atteinte à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle qui auraient pu s’y produire. Ce rôle est nécessairement dévolu à la Cour fédérale ; la voie du contrôle judiciaire devant cette cour aurait été l’avenue de choix pour M. Leonard. Pourtant, à la connaissance du Tribunal, ce dernier n’a pas déposé un tel recours devant cette cour compétente.

[63] Néanmoins et comme il l’a été mentionné précédemment, il est incontesté que le Tribunal a compétence d’adjoindre une partie dans son instruction, et ce, indépendamment de ce qui aurait pu se produire devant la Commission.

[64] Les observations fournies par le plaignant à ce sujet demeurent utiles et pertinentes en ce qu’elles permettent tout de même d’éclairer le Tribunal dans son analyse sur l’adjonction de Penner International en tant que partie intimée. Comme rappelé dans les décisions Telus, Peters et Harrison, l’un des facteurs devant être considérés est le suivant : l’adjonction de la partie potentielle n’était pas raisonnablement prévisible par le plaignant au moment du dépôt de sa plainte à la Commission.

[65] Lorsqu’il analyse ce facteur, quelles sont les informations recherchées par le Tribunal? Inévitablement, le Tribunal s’interroge sur ce qui s’est produit au stade du dépôt de la plainte au stade la Commission et il doit nécessairement recevoir de l’information à ce sujet. Le Tribunal se demande alors si le plaignant aurait pu raisonnablement envisager l’ajout de la partie intimée en question à cette étape-là du processus puisque sa présence était nécessaire afin de trancher le litige.

[66] Si cela était raisonnablement prévisible et que le plaignant n’a pas ajouté la partie intimée, cela milite en la faveur du rejet de la demande. Si cela n’était pas raisonnablement prévisible pour le plaignant de l’ajouter, cela milite en la faveur de l’adjonction de la partie intimée. Dans notre cas, la situation est, disons-le, inusuelle.

[67] Le plaignant plaide qu’il a réellement ajouté SLH comme partie intimée dans sa plainte au moment de son dépôt à la Commission. Le Tribunal a reçu de la part du plaignant la documentation pertinente à sa plainte incluant les documents et formulaires relatifs à son dépôt au stade de la Commission.

[68] Notons que les autres parties n’ont pas contesté la validité de ces documents, de ces formulaires, et n’ont soumis aucun élément permettant au Tribunal de remettre en question leur validité, leur intégrité.

[69] Le Tribunal constate à la première page du sommaire de la plainte émanant de la Commission que le plaignant a déposé sa plainte le 9 août 2018. Sur cette page couverture, la partie intimée mentionnée est CAT.

[70] Sur la deuxième page de ce même sommaire soit celle contenant les informations du plaignant, la partie intimée mentionnée n’est pas CAT, mais bien SLH Transport Inc., ayant sa place d’affaires à Kingston, Ontario.

[71] Quelques pages plus loin, dans la trousse de la Commission au plaignant à la page 4, à la question « [traduction] Avec qui traitiez-vous? », le plaignant a répondu « SLH Transport Inc. », toujours sied à Kingston, Ontario.

[72] Le Tribunal constate donc que M. Leonard a indiqué, dans ses formulaires, deux intimés – CAT et SLH Transport Inc. – mais à des endroits différents et sur des pages différentes.

[73] Il est bien établi que les formulaires ont été remplis par le plaignant lui-même. Il est également catégorique voulant qu’il ait déposé une plainte contre les deux intimés.

[74] Évidemment, le Tribunal ne peut présumer de ce qui aurait pu se produire au stade de la réception de la plainte à la Commission ainsi qu’à toute étape ultérieure de son traitement. Par la voix de son avocate, la Commission est restée muette à ce sujet et n’a offert aucune explication sur ce qui aurait pu se produire.

[75] Le Tribunal ne détient pas non plus d’information sur la procédure à suivre lorsque des plaignants, comme M. Leonard, désirent déposer une plainte contre deux parties intimées différentes. Doivent-ils remplir un formulaire pour les deux parties intimées ou deux formulaires distincts? Est-ce que la Commission les invite à déposer une deuxième plainte distincte? L’a-t-elle fait dans le cas de M. Leonard? Existe-t-il des instructions spécifiques et claires pour les plaignants désirant déposer une plainte contre deux parties intimées? Le Tribunal est sans réponse à ces interrogations. Il ne sait pas ce qui aurait pu se produire dans le dossier de M. Leonard.

[76] Maintenant, la preuve prépondérante devant le Tribunal démontre que M. Leonard n’avait pas seulement l’intention d’inclure deux intimés distincts à sa plainte, mais il l’a effectivement fait. Seulement, il l’a fait à deux endroits différents dans ses formulaires. Malheureusement, nous pouvons penser que cela n’était peut-être pas la bonne procédure à suivre.

[77] Cela étant dit, dans notre cas, lorsque le Tribunal analyse ce qui s’est produit au moment du dépôt de la plainte, la preuve prépondérante démontre que M. Leonard avait identifié SLH comme partie intimée à sa plainte et il est clair qu’il prévoyait alors que SLH soit inclut dans sa plainte puisqu’elle était une partie intimée essentielle afin de trancher le litige. Ce faisant, il n’en faut pas plus au Tribunal pour conclure que le premier facteur de l’analyse de Telus est rencontré.

[78] Le Tribunal est aussi d’avis que la présence de Penner International (anciennement SLH) est nécessaire afin de trancher le litige.

[79] À cet effet, le Tribunal a eu l’occasion de consulter non seulement les observations relatives à cette décision, mais aussi les exposés des précisions de M. Leonard et de CAT ainsi que la plainte initiale et les formulaires de la plainte émanant de la Commission.

[80] Dans l’historique de sa plainte devant la Commission, ce qui fait partie intégrante de son formulaire, M. Leonard allègue avoir travaillé pour SLH, son employeur, pendant 9 années et demie et avec laquelle il avait un arrangement afin de répondre aux besoins de garde de son enfant. Il travaillait alors les après-midis afin de couvrir les besoins de garde en matinée.

[81] En mai 2018, il a temporairement été licencié par son employeur. En juillet, il allègue avoir été rappelé par son employeur afin de travailler de jour dans un autre atelier plus éloigné que son endroit de travail d’origine. Comme son horaire de travail avait changé, M. Leonard affirme avoir informé son employeur de la situation concernant la garde de son enfant et qu’il ne pouvait retourner travailler aux heures requises. Il allègue avoir reçu le 26 juillet 2018 une lettre de fin d’emploi.

[82] L’information se retrouvant dans cet historique au stade de la Commission est essentiellement reprise par le plaignant dans son exposé des précisions déposé dans le dossier du Tribunal.

[83] Le Tribunal a aussi eu la chance de réviser plusieurs documents corporatifs déposés par les parties relativement à cette décision. Y sont inclus notamment des documents corporatifs des différentes entreprises impliquées dans ce dossier, des fiches d’information émanant de recherches dans le registre des entreprises fédérales, des certifications de fusion, pour ne nommer que ceux-ci.

[84] Le Tribunal comprend des observations de CAT, Penner International et SLH que le plaignant travaillait pour SLH qui, par le passé, était un subsidiaire de la compagnie Sears Canada. Elles allèguent que Sears Canada a fait faillite en 2017, a fermé tous ses magasins au Canada et c’est alors que l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc. a acheté les actifs de SLH.

[85] Le Tribunal constate que cette entreprise a fait affaire sous cette dénomination sociale – 8507597 Canada Inc. – entre 2013 et 2018. Comme l’indique CAT, SLH et Penner, il appert que le 4 juin 2018, l’entreprise a effectivement changé de nom pour prendre celui de SLH. Ces changements surviennent dans la période précise où le plaignant a été temporairement licencié soit vers le mois mai 2018. Quelques semaines plus tard, en juillet 2018, M. Leonard aurait été rappelé par son employeur afin de retourner travailler.

[86] Il est important de souligner que le Tribunal n’en est pas à trancher le litige sur le fond. Néanmoins, il faut dire qu’il ne lui en faut pas plus afin de le convaincre qu’à sa face même, SLH a un rôle à jouer dans les allégations soulevées par le plaignant.

[87] Dans les circonstances, la présence de SLH devient importante en tant que partie puisque les actes discriminatoires allégués par M. Leonard soulèvent sa potentielle responsabilité en tant qu’employeur. Sa présence est donc nécessaire afin de disposer du litige, ce qui constitue le deuxième facteur de Telus.

[88] Maintenant, le Tribunal comprend des représentations de CAT, SLH et Penner International que le 31 janvier 2020, SLH a finalement été fusionnée à Penner International. Cela semble clair des documents consultés par le Tribunal notamment le certificat de fusion de Penner International déposé par le plaignant ainsi que la fiche d’information de la compagnie à numéro 850759 Canada Inc. (et qui a changé de nom pour SLH le 4 juin 2018) fournie par CAT, SLH et Penner International.

[89] C’est à ce moment-ci que la question de la « bonne » dénomination sociale se pose. Comme SLH a été fusionnée par Penner International, il semble logique de nommer Penner International en tant que partie intimée à la plainte.

[90] Cela dit, il faut comprendre que Penner International est nommée en raison de cette fusion, mais nous comprenons bien que les actes discriminatoires allégués du plaignant concernent la responsabilité potentielle de son ancien employeur, SLH. Le Tribunal juge qu’il faut demeurer pratique et qu’il s’agit là d’une formalité qui ne devrait pas l’empêcher de remplir son mandat et de disposer de la plainte de M. Leonard. L’objectif clair du Tribunal est nécessairement d’avoir la bonne entité devant lui et non une entreprise coquille, vide, ou qui n’existe plus.

[91] Enfin, le dernier facteur de Telus est celui du préjudice qui serait occasionné à la partie adverse en cas d’adjonction à l’instruction. Le Tribunal note que dans leurs représentations, CAT, Penner International et SLH n’ont pas présenté d’éléments permettant de conclure à un quelconque préjudice si Penner International était ajoutée comme partie intimée. Le Tribunal conclut également que le préjudice qui pourrait être causé à Penner International en raison de son adjonction à l’instruction – si préjudice il y avait – peut grandement être diminué à cette étape-ci de la procédure.

[92] En effet, le Tribunal souligne que l’instruction n’en est qu’à ses débuts ; seuls les exposés des précisions, les listes de documents pertinents au litige et les listes de témoins et leur sommaire de témoignage ont été déposés dans le dossier du Tribunal. Les parties n’ont participé qu’à une seule téléconférence de gestion d’instance, dans le but de traiter de la requête menant à la présente décision.

[93] Bien que le Tribunal soit conscient que Penner International ne pourra bénéficier du processus de contrôle et d’enquête de la Commission (voir notamment articles 41 et 44 de la LCDP; Peters, au par. 39) et n’aura pas non plus l’occasion de se pourvoir d’un contrôle judiciaire de la décision qu’aurait pu rendre la Commission, le Tribunal doit tout même demeurer pratique et non-formaliste.

[94] C’est exactement ce à quoi fait référence le membre Dr. Paul Groarke de notre Tribunal aux paragraphes 47 et 48 de la décision Brown. Il ne serait pas pratique ni logique de demander à M. Leonard de déposer une nouvelle plainte formelle contre SLH (maintenant Penner International) alors que le Tribunal a, sans contredit, l’autorité afin de l’ajouter comme partie intimée.

[95] Cet excès de formalisme, en plus des délais additionnels qui seraient occasionnés par une telle manœuvre, seraient contraire à l’esprit de la LCDP et ses objectifs de célérité et de flexibilité (article 48.9(1) de la LCDP) menant nécessairement à un gaspillage des ressources dont dispose le Tribunal et la Commission, mais aussi celles de M. Leonard, de Penner International et de CAT qui, à cette étape-ci, demeure toujours une partie intimée à l’instruction.

[96] Il est également logique et raisonnable que le Tribunal ait devant lui toutes les parties qui sont nécessaires afin de disposer du litige de manière efficace. Ce faisant, nous pouvons envisager que de demander à M. Leonard de déposer devant la Commission une nouvelle plainte contre Penner International affectera l’instruction de la plainte. Le Tribunal veut éviter que la procédure ne soit retardée inutilement, non seulement dans l’intérêt de l’administration de la justice, mais aussi dans l’intérêt de toutes parties impliquées à l’instruction.

[97] Le Tribunal est clair : Penner International, en tant que nouvelle partie intimée, aura les mêmes droits que toutes les autres parties. Elle aura l’occasion de pleinement et entièrement comparaître à l’instruction et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, ses éléments de preuve et ses observations en lien avec le litige (paragraphe 50(1) de la LCDP).

[98] À cet effet, elle aura le droit de déposer son propre exposé des précisions et pourra préparer ses listes de documents potentiellement pertinents au litige et de témoins. Elle pourra également bénéficier, comme toutes les autres parties, de la divulgation au préalable des documents pertinents au litige.

[99] En résumé, Penner International aura les mêmes droits et les mêmes obligations que toutes les autres parties et la procédure devra être adaptée afin de tenir compte de cette nouvelle adjonction. En conséquence, le Tribunal permettra aux autres parties d’amender leurs exposés des précisions (si elles désirent le faire), ordonnera de nouveaux délais de dépôts (le cas échéant) et Penner International sera inclus dans ces nouvelles étapes afin de lui permettre de déposer sa propre défense.

[100] Enfin, bien que Penner International n’ait pas la possibilité de porter en contrôle judiciaire la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal, elle conserve tout de même son recours devant la Cour fédérale à l’égard de la présente décision de la joindre comme partie intimée. Elle conserve également de tous ses recours à l’égard des décisions futures de notre Tribunal incluant évidemment sa décision finale. Soyons clairs : le Tribunal n’en est pas, à ce stade-ci, à trancher le litige sur le fond, mais il demeure néanmoins utile de rappeler que Penner International pourra toujours se prévaloir des mécanismes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[101] Pour tous les motifs précédents, le Tribunal juge que Penner International doit être ajoutée comme partie intimée à l’instruction de la plainte de M. Leonard.

B. Retrait de CAT comme partie intimée

[102] Dans leur réponse à la requête du plaignant, CAT, SLH et Penner International ont demandé au Tribunal de retirer CAT comme partie intimée à l’instruction de la plainte. Le plaignant s’oppose à une telle demande. Le Tribunal rappelle qu’il a demandé des représentations additionnelles à cet effet afin de trancher définitivement la question.

[103] Maintenant, est-ce que le Tribunal devrait retirer CAT en tant que partie intimée à l’instruction de la plainte? Non. Le Tribunal n’est pas prêt, à cette étape-ci de la procédure, de retirer CAT comme partie intimée à la plainte puisque son implication dans le litige, dans les allégations d’actes discriminatoires soulevées par le plaignant, n’est ni évidente ni manifeste.

[104] Lorsque le Tribunal évalue la possibilité de retirer une partie à l’instruction de la plainte, il doit demeurer prudent ; ce n’est certainement pas une décision à prendre à la légère puisqu’elle aura nécessairement des répercussions importantes non seulement sur l’instruction, mais aussi sur les parties impliquées.

[105] Les demandes de retrait d’une partie intimée à l’instruction d’une plainte du Tribunal sont peu communes. Il suffit de consulter la jurisprudence du Tribunal pour en conclure ainsi. Visiblement, le Tribunal n’a pas de courant jurisprudentiel bien établi à ce sujet. En conséquence, il semble que le Tribunal n’ait pas développé d’analyse spécifique applicable dans ce genre situation et les parties ne l’ont pas non plus attiré son attention sur des décisions pertinentes d’autres tribunaux ou cour de justice sur le sujet.

[106] Cela étant dit, nous pouvons penser que ce type de demande (le retrait d’une partie intimée) pourrait être envisagée sous deux approches :

1) La première considérerait la demande de retrait d’une partie intimée comme étant un rejet sommaire la plainte contre la partie intimée qui demande son retrait;

2) La deuxième, quant à elle, constituerait une analyse plus dirigée, plus spécifique, sur la question du retrait d’une partie.

[107] Comme il en sera question dans les prochains paragraphes, que le Tribunal applique l’une ou l’autre de ces approches, il arrive tout même, finalement, au même résultat.

(i) Rejet sommaire de la plainte

[108] La première approche serait celle d’un rejet sommaire de la plainte contre la partie intimée qui demande son retrait à la plainte.

[109] Vu sous cet angle, nous pouvons envisager que la demande de CAT, Penner International et de SLH de retirer CAT comme partie intimée constitue, en pratique, à demander au Tribunal d’évaluer, à une étape préliminaire de la procédure, son rôle, son implication, sa responsabilité quant aux actes discriminatoires reprochés par le plaignant. À cette étape-ci, cette demande préliminaire survient évidemment sans instruction complète de la plainte.

[110] Pour être on ne peut plus claire, une telle demande consiste finalement en une forme de rejet sommaire de la plainte à l’encontre de CAT ; le Tribunal doit trancher de façon sommaire, préliminaire, au préalable, que CAT n’a rien à voir dans le litige de quelconque manière. Par exemple, le Tribunal pourrait penser à une situation où la partie intimée nommée dans le litige n’est clairement et manifestement pas la bonne partie au litige.

[111] Toutefois, cela présuppose que le Tribunal devrait alors prendre cette décision (de retirer la partie intimée) sans avoir entendu de preuve extensive à ce sujet et sans permettre aux autres parties de présenter des éléments de preuve à ce sujet lors d’une audience. Autrement dit, aucun élément de preuve supplémentaire ne pourrait alors assister le Tribunal afin de trancher le litige, menant alors au rejet sommaire de la plainte.

[112] Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445 (CanLII) [Canada (Procureur général)], l’honorable juge MacTavish a rappelé que le Tribunal détient le pouvoir de trancher un litige sans mener d’enquête. Cela dit, elle a également été claire que le Tribunal doit faire preuve d’une grande prudence lorsqu’il traite ce genre de demandes (de rejet sommaire d’une plainte) et ne devrait les accorder que dans les cas les plus clairs (Canada (Procureur général), aux par. 139 et 140).

[113] Dans le cas en l’espèce, M. Leonard s’oppose catégoriquement au retrait de comme partie intimée. Il soutient que c’est après la tenue de l’audience que le Tribunal sera en mesure de déterminer si CAT a commis un acte discriminatoire (ou non) un acte discriminatoire au sens de la LCDP. Le Tribunal est en accord avec le plaignant.

[114] Le Tribunal note qu’il n’a reçu que certains documents au soutien de la requête menant à cette décision, ce qui constitue qu’une preuve très limitée sur l’implication de CAT dans le litige. Et le Tribunal n’a pas non plus reçu d’affidavits de la part des parties, n’a pas encore entendu de témoins dans le dossier et n’a reçu aucun élément de preuve extensif relativement à la plainte.

[115] Ce faisant, force est de constater qu’il y a très peu d’éléments mis à la disposition du Tribunal lui permettant de tirer quelconques conclusions définitives sur l’implication de CAT. Son implication dans les faits reprochés par M. Léonard n’est certainement pas claire.

[116] Par exemple, le Tribunal a pu lire une lettre envoyée au plaignant de la part de SLH et qui a été déposée par les parties. Dans cette lettre datée du 19 octobre 2017, il suffit de dire qu’il y est spécifiquement mentionné que CAT, par l’entremise de l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc., a acquis les actifs et opérations de SLH. Il y est aussi écrit que l’emploi de M. Leonard sera maintenu à l’issue de la transaction. Le Tribunal constate que la lettre est signée non seulement par le président de SLH, M. Paul Cooper, mais aussi par M. Daniel Goyette, président de 8507597 Canada Inc. De plus, le 22 octobre 2017, M. Leonard a signé un accord et une reconnaissance des modalités exposées dans lettre du 19 janvier 2017, et dans laquelle il y est spécifiquement écrit qu’il accepte les modalités prévues à la lettre de M. Cooper et de M. Goyette.

[117] Le Tribunal a également constaté la présence de M. Daniel Goyette dans plusieurs fiches corporatives soumises par les parties. Par exemple, M. Daniel Goyette est l’unique directeur de l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc. (qui a été renommée SLH Transport Inc. en 2018). Cela corrobore aussi ce qui se retrouve dans la lettre du 19 octobre 2017 envoyée au plaignant.

[118] De plus, il appert également que M. Goyette est aussi le directeur de Penner International avec Mmes Annie et Karine Goyette. Dans cette fiche, le Tribunal constate aussi que l’entreprise à numéro 8507597 Canada Inc., qui a été renommée SLH Transport Inc., a été fusionnée à Penner International.

[119] Le plaignant allègue également au paragraphe 46 de son exposé des précisions que SLH était sous le contrôle effectif de CAT. Il appert que le directeur de CAT est aussi M. Daniel Goyette.

[120] CAT, SLH et Penner International allèguent que M. Leonard n’était pas un employé de CAT et nient que CAT ait été mise au courant de ses besoins d’accommodement. Malgré ces prétentions, et au regard des précédents paragraphes, le Tribunal n’est pas convaincu de l’implication de CAT dans les actes discriminatoires reprochés par M. Leonard.

[121] Ainsi, le Tribunal n’est pas dans une position lui permettant de conclure, sans entendre de la preuve à ce sujet, si CAT est, d’une quelconque manière, liée aux allégations de discrimination soulevées par le plaignant, que cela soit directement ou indirectement et dans quelle mesure.

[122] Ce faisant, et pour tous ces motifs, il n’est ni évident ni manifeste pour le Tribunal de conclure de manière préliminaire de l’implication de CAT dans ce litige (Canada (Procureur général), au par. 140). C’est pourquoi le Tribunal doit mener à terme son instruction et entendre l’entièreté de la preuve présentée par les parties afin de tirer des conclusions à ce sujet.

(ii) Analyse spécifique sur le retrait d’une partie intimée

[123] La deuxième approche serait celle d’effectuer une analyse spécifique sur le retrait d’une partie. Par exemple, le Tribunal pourrait s’inspirer d’une analyse similaire effectuée par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« TDPO ») notamment dans Lemor v. Ontario (Transportation), 2018 HRTO 124 (CanLII) [Lemor].

[124] Il est utile de souligner que le modèle du TDPO est celui d’un Tribunal à accès direct, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’organisme ayant pour rôle de filtrer les plaintes comme le fait la Commission dans le régime fédéral. Devant le TDPO, les plaintes sont directement déposées devant lui et il doit nécessairement, d’une manière ou d’une autre, les filtrer.

[125] En conséquence, nous pouvons penser que le TDPO a alors développé une jurisprudence abondante sur certaines questions ou demandes préliminaires et dans le cas qui nous intéresse, quant au retrait d’une partie intimée. Il suffit d’une simple recherche jurisprudentielle de ses décisions afin de conclure que ce tribunal tranche ordinairement ce type de demande.

[126] Bien notre Tribunal ne soit pas lié par les décisions du TDPO, il demeure intéressant d’énoncer l’analyse que ce dernier effectue quant aux demandes de retrait d’une partie intimée. Au paragraphe 10 de Lemor, le TDPO, tout en se fondant sur la décision Smyth, précitée, a écrit ce qui suit :

[10] When determining a request to add or remove a respondent, the Tribunal considers the following three questions:

1. Are there allegations made that could support a finding that the proposed respondent violated the Code?

2. If the proposed respondent is an individual and an organization is also named, is there a compelling reason to include him or her as a respondent?

3. Would it be fair, in all the circumstances, to add the proposed respondent?

[127] Au regard de la première question et si notre Tribunal s’inspire de cette analyse, il faut constater que dans le cas en l’espèce, il existe des allégations qui soulèvent des questions quant à la responsabilité potentielle de CAT. Le Tribunal réfère le lecteur aux motifs énoncés aux paragraphes 113 à 120 de la présente décision.

[128] Au surplus, le Tribunal constate que le plaignant soulève au paragraphe 46 de son exposé des précisions que bien qu’il ait travaillé pour SLH durant son emploi, il croit que suivant l’acquisition de l’entreprise par CAT, SLH était alors sous le « contrôle effectif » de cette dernière.

[129] Les prétentions de M. Leonard doivent encore être testées en preuve. Il n’en demeure pas moins qu’il existe des éléments permettant au Tribunal, s’ils étaient prouvés, de conclure que CAT aurait violé la LCDP. Maintenant, le Tribunal n’en est pas à trancher de la question au fond, ce qui sera fait à l’audience et au regard de la preuve qui sera présentée par les parties.

[130] Quant à la deuxième question, tout comme l’a fait remarquer le TDPO dans Lemor, cela ne s’applique pas dans les circonstances (Lemor, au par. 11).

[131] Enfin, la dernière question vise à déterminer s’il était équitable ou non de retirer ou d’ajouter la partie intimée en question. Dans le cas en l’espèce, le Tribunal doit se demander s’il serait équitable ou non de retirer CAT en tant que partie intimée, et ce, selon les circonstances particulières de l’affaire. À ce stade-ci, le Tribunal estime qu’il serait inéquitable de retirer CAT comme partie intimée à l’instruction.

[132] La Commission a renvoyé la plainte impliquant M. Leonard et CAT devant le Tribunal pour instruction. Elle l’a fait après avoir effectué son enquête comme le lui permet la LCDP. Elle a jugé nécessaire de renvoyer la plainte devant le Tribunal puisqu’il existait alors des motifs demandant au Tribunal de mener une instruction. Considérant la nature de ce mécanisme, le Tribunal doit nécessairement prendre acte de la décision de la Commission de renvoyer la plainte impliquant CAT.

[133] De plus, il faut dire que CAT est déjà une partie intimée à l’instruction de la plainte et si ce n’avait pas été de la décision de M. Leonard de déposer une requête visant à ajouter Penner International en tant que partie intimée, CAT aurait été de toute manière une partie à l’instruction. Il n’est pas non plus certain que CAT aurait choisi de déposer une demande visant à lui retirer le statut d’intimée.

[134] Cela étant dit, retirer une partie intimée est une question qui doit être traitée avec grande prudence par le Tribunal. Le Tribunal estime qu’il serait inéquitable de retirer prématurément CAT comme partie intimée à cette étape-ci de la procédure. Le faire enlèverait définitivement à M. Leonard la possibilité de présenter une preuve à l’audience permettant d’établir – si discrimination il existe – la responsabilité de CAT dans la perpétration de l’acte discriminatoire et les mesures réparatoires appropriées.

[135] Enfin, le Tribunal juge CAT avait, a et aura toujours, en dépit de cette décision, l’occasion pleine et entière de se défendre et de présenter ses arguments en temps opportuns. Rien ne l’empêchera de présenter à l’audience des éléments de preuve excluant sa responsabilité dans les actes discriminatoires reprochés par le plaignant. Et c’est après avoir entendu la preuve de toutes les parties, ce qui inclut également la preuve de la nouvelle partie intimée, Penner International, le Tribunal sera en mesure de trancher définitivement cette question.

VII. Ordonnances

[136] Pour tous ces motifs, le Tribunal accorde la demande de M. Leonard d’ajouter Penner International comme partie intimée à l’instruction de la plainte.

[137] Le Tribunal rejette la demande de CAT, Penner International et SLH de retirer CAT comme partie intimée à l’instruction de la plainte.

VIII. Prochaines étapes de l’instruction

[138] À la suite de l’émission de cette ordonnance, le Tribunal communiquera avec les parties afin de tenir une téléconférence de gestion d’instance dans le but d’établir les prochaines étapes à franchir dans l’instruction de la plainte.

[139] De plus, comme Penner International a déposé ses représentations de manière conjointe avec CAT et SLH par l’entremise de la même firme d’avocats, Goulart Workplace Lawyers, le Tribunal distribuera la présente décision à cette firme qui pourra alors la communiquer à Penner International.

[140] Enfin, le Tribunal demande à Penner International, si elle décide de participer à l’instruction de la plainte, de comparaître officiellement au dossier du Tribunal. À cet effet, elle doit communiquer au greffe du Tribunal qui l’accompagnera dans cette démarche et la guidera sur les informations qu’elle devra fournir.

 

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 13 juin 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2665/4121

Intitulé de la cause : Keith Leonard c. Canadian American Transportation Inc. et Penner International Inc.

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 13 juin 2022

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Oleksii Sudarenko , pour le plaignant

Aby Diagne, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christine M. Krueger et Zoya Alam , pour l'intimée , l’intimée éventuelle et SLH

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.