Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 CHRT 15

Date : le 5 mai 2022

Numéros des dossiers : T2516/7320 et T2703/7921

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

A.B. et Daniel Gracie

les plaignants

‑ et ‑

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

‑ et ‑

Service correctionnel du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membres : Catherine Fagan

 



I. INTRODUCTION

[1] La présente décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « TCDP » ou le « Tribunal ») concerne la requête des plaignants en vue d’obtenir des ordonnances de confidentialité pour protéger l’identité des plaignants et de tous les témoins potentiels qui sont des délinquants sexuels.

[2] Dans la présente décision, la plaignante dans le dossier du Tribunal numéro T2516/7320 est appelée « plaignante A » et le plaignant dans le dossier du Tribunal numéro T2703/7921 est appelée « plaignant B », et ensemble, ils sont désignés comme les « plaignants ».

[3] Les plaignants, qui sont tous deux des délinquants autochtones sous responsabilité fédérale, affirment que l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), a fait preuve de discrimination en raison de son incapacité systémique à offrir en temps opportun des programmes correctionnels de réadaptation adaptés à la culture des détenus autochtones, et de le faire d’une manière non discriminatoire, comme l’exigent la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la « LSCMLC ») et la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H‑6 (la « LCDP » ou la « Loi »). Les plaignants prétendent que les politiques et les pratiques du SCC sont discriminatoires et contribuent à l’augmentation de l’incarcération disproportionnée des Autochtones et à l’écart continu entre les résultats correctionnels des délinquants autochtones et des délinquants non autochtones. Plus précisément, les deux plaignants affirment s’être vu refuser, pour des motifs fondés sur la race, l’accès au Programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels autochtones (PIEDS‑A) au sens de l’article 5 de la LCDP.

[4] Compte tenu de la nature du programme PIEDS‑A, il y aura nécessairement, tout au long de la présente instance du Tribunal, des renvois au fait que les plaignants sont des délinquants sexuels. Toutefois, bien que la plainte en soit encore au début de la gestion de l’instance, rien dans le dossier ne signale que les détails concernant les infractions sexuelles sont pertinents pour leur allégation de discrimination fondée sur la race.

[5] La plaignante A est une femme transgenre autochtone qui a récemment été libérée d’office dans un centre correctionnel communautaire géré par le SCC, où elle est surveillée sous des conditions strictes.

[6] Le plaignant B est un homme cisgenre autochtone qui a été désigné comme « délinquant dangereux » au sens de la partie XXIV du Code criminel et qui purge une peine d’une durée indéterminée. Il ne sera pas libéré de prison tant que la Commission des libérations conditionnelles du Canada n’aura pas conclu que le risque qu’il représente est gérable.

[7] Il y a également au moins deux témoins, et peut‑être plus, que les plaignants ont l’intention de convoquer, qui sont également des délinquants autochtones purgeant une peine dans un établissement fédéral pour des infractions sexuelles (les « témoins délinquants sexuels »). Ces témoins prétendent également que l’accès à des programmes adaptés à la culture des délinquants sexuels, y compris le PIEDS‑A, leur a été refusé.

[8] En raison des graves préjugés associés au fait d’être un délinquant sexuel connu, tant dans le système carcéral que dans la société en général, les plaignants affirment qu’il existe un risque sérieux que la divulgation de l’identité des plaignants ou des témoins délinquants sexuels au cours de la présente instance leur cause un préjudice grave et indu, rende leur vie en prison plus difficile et dangereuse, et mine leurs possibilités de réadaptation et de réinsertion sociale une fois libérés de prison.

[9] Par conséquent, les plaignants ont présenté une requête devant le Tribunal afin d’obtenir des ordonnances en vertu des alinéas 52(1)b) et c) de la LCDP pour :

  • A) Anonymiser les noms des plaignants, en les mentionnant par des initiales aléatoires dans toutes les autres requêtes, observations écrites et orales, audiences, discussions, décisions sur requête et décisions au cours de la présente instance, ainsi que dans l’intitulé de la cause;

  • B) Caviarder les renseignements personnels permettant d’identifier les plaignants dans tous les documents, notamment les noms, les dates de naissance, les adresses domiciliaires et les collectivités, les adresses électroniques, les numéros de téléphone, les comptes de médias sociaux, les noms des membres de la famille et les photographies ou images des plaignants (les renseignements permettant de les identifier);

  • C) Interdire la publication des renseignements permettant d’identifier les plaignants;

  • D) Interdire la publication de tout renseignement concernant les antécédents criminels des plaignants qui permettrait de les identifier, à l’exclusion de la liste des infractions au Code criminel pour lesquelles chacun des plaignants a été condamné;

  • E) Interdire la publication de renseignements sur les antécédents familiaux autochtones du plaignant B qui peuvent être susceptibles de permettre de l’identifier, à l’exclusion du fait que le plaignant B est autochtone ou qu’il a été adopté par une famille non autochtone;

  • F) Anonymiser les noms des témoins délinquants sexuels, en les mentionnant par des initiales aléatoires dans toutes les autres requêtes, observations (écrites et orales), audiences, discussions, décisions sur requête et décisions au cours de la présente instance, ainsi que dans l’intitulé de la cause;

  • G) Caviarder les renseignements permettant d’identifier les témoins délinquants sexuels dans tous les documents;

  • H) Interdire la publication des renseignements permettant d’identifier les témoins délinquants sexuels;

  • I) Interdire la publication de tout renseignement relatif aux antécédents criminels des témoins délinquants sexuels qui permettrait de les identifier, à l’exclusion de la liste des infractions au Code criminel pour lesquelles chacun des plaignants a été condamné.

II. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

[10] Pour les motifs exposés ci‑après et tel qu’il est précisé dans son ordonnance, le Tribunal accueille la requête des plaignants en partie, de la façon suivante :

A. Le nom de la plaignante A est anonymisé;

B. Les renseignements permettant d’identifier la plaignante A et ses antécédents criminels demeurent confidentiels;

C. Les parties doivent s’abstenir de mentionner les renseignements permettant d’identifier le plaignant B et les témoins délinquants sexuels, ainsi que leurs antécédents criminels, lorsque ces renseignements sont dénués de pertinence au regard des questions en litige dans la présente affaire.

III. CADRE JURIDIQUE

[11] Les procédures judiciaires, y compris celles du Tribunal, sont présumées accessibles au public. La publicité des débats judiciaires est protégée par la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression et, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada à diverses occasions, est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie canadienne.

[12] Cependant, le droit canadien reconnaît qu’il y a des moments où il faut imposer des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires afin de protéger d’autres intérêts publics, le cas échéant. La nécessité de cette souplesse dans l’application du principe de la publicité des débats judiciaires pour le TCDP est énoncée à l’article 52 de la LCDP. Il confère au Tribunal de vastes pouvoirs lui permettant de prendre les mesures et de rendre les ordonnances qu’il juge nécessaires pour assurer la confidentialité de l’instruction dans certaines circonstances.

[13] Voici le libellé de l’article 52 de la LCDP :

(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

b) il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(2) Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

[14] L’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Sherman (Succession)] rendu récemment par la Cour suprême du Canada a réitéré le seuil élevé qu’il faut respecter pour limiter la publicité des débats judiciaires. L’arrêt Sherman (Succession) clarifie l’analyse que le Tribunal doit réaliser en regard de la Loi dans le cadre d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité et établit un critère modifié à trois volets applicable à une telle ordonnance. Pour obtenir gain de cause au moment de solliciter une exception au principe de la publicité présumée des débats judiciaires, il faut démontrer ce qui suit :

1. la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2. l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3. du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs. (Sherman (Succession), au par. 38)

[15] Le critère modifié à trois volets formulé dans l’arrêt Sherman (Succession), qui concorde généralement avec le critère énoncé au paragraphe 52(1) de la LCDP, s’applique aux divers types de limites discrétionnaires à la publicité des débats, notamment les ordonnances de mise sous scellés, les interdictions de publication, les ordonnances excluant le public d’une audience et les ordonnances de caviardage (Sherman (Succession), au par. 38).

[16] Le Tribunal a également expliqué, dans la décision SV, SM, JR c. GRC, 2021 TCDP 35, l’application du critère établi dans l’arrêt Sherman (Succession) pour éclairer l’analyse en regard de la Loi qu’il doit réaliser dans le cadre des requêtes en confidentialité présentées au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP.

IV. RÉSUMÉ DES POSITIONS

A. Plaignants

[17] Les plaignants expliquent que le statut de délinquant sexuel connu est une forme particulièrement intense de stigmatisation, tant dans la culture carcérale que dans la collectivité. Pour cette raison, les personnes qui ont déjà commis des infractions sexuelles sont particulièrement vulnérables au préjudice causé par la publicité et l’attention médiatique. Ils affirment que la sécurité physique, le bien‑être mental, le progrès correctionnel, la réadaptation et la réinsertion sociale réussie des délinquants sexuels dépendent souvent de leur capacité à rester discrets et à éviter l’attention du public.

[18] Les plaignants soutiennent qu’il existe un risque sérieux que la divulgation de leur identité ou de celle des témoins délinquants sexuels leur cause un préjudice grave et indu, rende leur vie en prison plus difficile et dangereuse, et mine leurs possibilités de réadaptation et de réinsertion sociale. Ils affirment que la nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’identité de ces personnes soit rendue publique.

[19] Ils soutiennent en outre qu’il existe un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable si l’identité des plaignants et des témoins délinquants sexuels n’est pas protégée. Toute publicité, affirment‑ils, serait destructrice et procurerait à l’intimé un avantage stratégique dans la présente instance, ce qui pourrait décourager la participation des témoins ou précipiter un règlement prématuré à des conditions défavorables. Ils affirment que les objectifs de la LCDP et l’intérêt public à ce que même les délinquants autochtones fortement stigmatisés soient prêts à participer aux plaintes légitimes relatives aux droits de la personne s’en trouveraient ainsi minés.

[20] Pour appuyer leur allégation du risque sérieux que la divulgation de l’identité des plaignants ou des témoins délinquants sexuels leur cause un préjudice grave et indu, les plaignants ont déposé six (6) affidavits, soit des affidavits de chacun des plaignants, des affidavits de deux (2) témoins délinquants sexuels potentiels, un affidavit de Laura Sumner, étudiante en droit, et un affidavit de Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada.

[21] Ces affidavits décrivent de façon assez détaillée la nature des difficultés que vivent les délinquants sexuels dans le système carcéral et une fois qu’ils sont libérés, y compris l’importance pour les délinquants sexuels de rester discrets pendant qu’ils sont en prison et pendant leur réinsertion dans la société.

B. Intimé

[22] L’intimé s’oppose aux demandes d’anonymisation de l’identité des plaignants et des témoins, ainsi qu’aux interdictions de publication concernant les détails des antécédents criminels. Il soutient que les observations des plaignants accordent trop peu de poids à l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et à la présomption selon laquelle les procédures des cours et des tribunaux se dérouleront publiquement.

[23] L’intimé souligne qu’une grande partie des renseignements que les plaignants veulent protéger sont déjà publics puisqu’ils ont fait l’objet de procédures judiciaires publiques et de nombreux rapports médiatiques qui demeurent accessibles au public.

[24] Compte tenu de la nature générale des ordonnances demandées et de la preuve présentée, l’intimé soutient en outre que s’il est fait droit à la requête telle qu’elle a été déposée, le Tribunal endosserait la notion selon laquelle toute personne reconnue coupable d’infractions sexuelles graves a droit à des ordonnances d’anonymat et à des ordonnances de non‑publication, peu importe sa situation personnelle. Il soutient que ce serait une erreur de droit qui irait à l’encontre du principe de la publicité des débats judiciaires et de la jurisprudence du Tribunal.

[25] Il fait valoir en outre que la demande des plaignants de caviarder d’autres renseignements personnels précis est prématurée et que la pertinence d’une grande partie des renseignements n’est pas évidente, tout comme la mesure dans laquelle ces renseignements seront présentés en preuve. L’intimé souligne qu’il est disposé à travailler avec les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne pour veiller à ce que le Tribunal dispose d’un dossier de preuve approprié, tout en tenant compte des préoccupations des plaignants au sujet de renseignements personnels précis. En cas de désaccord sur le caviardage de certains éléments, l’intimé suggère que les parties demandent au Tribunal de statuer à cet égard.

[26] L’intimé ne s’oppose pas à la demande des plaignants d’une interdiction de publication concernant des renseignements personnels qui pourraient en fin de compte devenir des éléments de preuve dans le cadre de la présente instance, y compris les antécédents familiaux autochtones des plaignants. Cependant, il laisse entendre que cette demande est également prématurée.

[27] Enfin, l’intimé affirme que, au moment opportun, les médias devraient être avisés des demandes d’interdiction de publication, afin que leurs membres puissent déterminer s’ils doivent présenter des observations en réponse.

C. Commission

[28] Dans ses observations, la Commission canadienne des droits de la personne met particulièrement l’accent sur la vulnérabilité des personnes trans qui, selon elle, expose ces personnes, comme la plaignante A, à un risque sérieux de préjudice indu en cas de divulgation de certains renseignements personnels et d’autres renseignements.

V. QUESTIONS EN LITIGE

[29] La présente décision sur requête aborde les questions en litiges suivantes :

  • (1) Les noms et les renseignements permettant d’identifier les plaignants et certains de leurs témoins devraient‑ils demeurer confidentiels au motif qu’il y a (i) un risque sérieux lié à la divulgation de ces renseignements (al. 52(1)c) de la LCDP) ou (ii) un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable (al. 52(1)b) de la LCDP) qui l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique?

  • (2) Les médias devraient‑ils être avisés de la présente requête en confidentialité?

VI. ANALYSE

A. Alinéa 52(1)c) de la LCDP

[30] Après avoir examiné les observations et les affidavits détaillés des plaignants, le Tribunal est convaincu par les déclarations des plaignants concernant la stigmatisation intense des délinquants sexuels, et la façon dont cette stigmatisation expose les délinquants sexuels à un plus grand risque de préjudice pendant qu’ils sont en prison et lorsqu’ils sont libérés de prison et tentent de réintégrer la société, y compris les obstacles accrus au logement, à l’emploi et ainsi de suite.

[31] Ce qui était moins clair dans les observations et les éléments de preuve, c’est que la divulgation de leur identité dans le cadre du processus du TCDP créerait un risque sérieux pour les plaignants ou les témoins délinquants sexuels (au sens de l’alinéa 52(1)c) de la LCDP). En ce qui concerne l’incidence d’un processus public du TCDP, la plupart des observations et des éléments de preuve constituent des énoncés généraux de la nécessité pour les délinquants sexuels de demeurer discrets et du fait qu’une attention accrue de la part des médias pourrait entraîner davantage de difficultés.

[32] Bien que le risque de préjudice indu découlant de la divulgation de l’identité des plaignants et des témoins délinquants sexuels dans le cadre de l’instance du TCDP n’ait pas à être certain (R.L. c. Compagnie des chemins de fer canadiens, 2021 TCDP 33), les énoncés généraux ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un risque sérieux. Compte tenu de la nature de leurs infractions, les plaignants font déjà face à des obstacles et à des difficultés en raison de la stigmatisation liée à leurs infractions. Ce n’est pas la question en litige dans la présente décision sur requête. La question est de savoir s’il y a un risque sérieux que la divulgation de leur identité dans le cadre de l’instance du TCDP en soi cause un préjudice indu.

[33] Catherine Latimer souligne, au paragraphe 17 de son affidavit, les taux plus élevés de meurtres et d’agressions violentes contre des prisonniers reconnus coupables d’infractions sexuelles. Il s’agit d’une triste statistique qui pèsera lourd sur les plaignants et les témoins délinquants sexuels tout au long de leur vie. Cependant, le Tribunal n’a vu aucune preuve que l’identification dans un processus du TCDP aggravera considérablement cette réalité déjà existante.

B. Nature publique des renseignements et considérations concernant la couverture médiatique

[34] Les plaignants s’attendent à ce que leur audience fasse l’objet d’une importante couverture médiatique en raison des préoccupations du public à l’égard de la discrimination envers les Autochtones. Ils craignent qu’ils ne se retrouvent sous les feux des projecteurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison, et qu’ils ne deviennent des détenus notoires ou des ex‑détenus soumis à une surveillance accrue de la part des représentants de l’intimé et du public. Toutefois, à ce stade‑ci, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve qui indique la probabilité d’une couverture médiatique élevée de la présente affaire. Les plaignants prétendent qu’il y a de la discrimination systémique contre les Autochtones, mais il se peut que l’affaire ne suscite pas beaucoup d’intérêt. Encore une fois, le principe de la publicité des débats judiciaires est protégé par la Constitution parce que la transparence qu’il assure est essentielle à l’établissement et au maintien de la confiance du public. Les limites imposées doivent respecter un seuil très élevé, comme l’exige le plus haut tribunal de notre pays.

[35] Il est tout à fait possible qu’il y ait peu ou pas de couverture médiatique de l’audience dans la présente affaire. Par ailleurs, il est également possible que les médias s’intéressent à l’instance, ce qui augmentera considérablement la probabilité d’une couverture médiatique importante. Si c’est le cas, il est toujours possible pour les plaignants de présenter une autre requête au Tribunal, étant donné qu’à ce moment‑là, il y aura plus de certitude quant à la couverture médiatique et à l’attention accrue qui leur sera accordée, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’analyse visant à établir s’il existe un risque sérieux que la divulgation cause un préjudice indu.

[36] Comme je l’ai déjà mentionné, les plaignants et les témoins délinquants sexuels ont tous été reconnus coupables d’infractions sexuelles. Par conséquent, leurs audiences criminelles étaient publiques et les documents et jugements connexes sont du domaine public. En ce qui concerne les plaignants, à tout le moins, leurs affaires criminelles ont fait l’objet, à l’époque, de reportages dans les médias qui peuvent être facilement trouvés en ligne. Ces articles comprennent leurs noms, des photographies de leurs visages et divers autres renseignements personnels précis à propos d’eux‑mêmes et de leurs infractions.

[37] D’après les observations écrites et les affidavits des plaignants, il semble également que les détenus et les gardiens de prison savent généralement que les plaignants sont des délinquants sexuels, ce qui a entraîné l’exclusion sociale et des agressions violentes. C’est lamentable parce que, comme l’a dit Catherine Latimer, cette situation réduit considérablement leur capacité de réadaptation. Toutefois, étant donné que les détenus et le personnel carcéral connaissent déjà leur identité et leur casier judiciaire, il est possible de se demander s’ils subiront des difficultés parce que leur nom sera révélé dans leur procédure du TCDP.

[38] Dans l’arrêt Sherman (Succession), la Cour suprême nous dit qu’il n’est pas nécessaire que les renseignements soient complètement hors du domaine public pour que la personne concernée puisse bénéficier d’un droit à la vie privée. Par exemple, voici ce que la Cour suprême a écrit, au paragraphe 81 :

Il y aura lieu, bien sûr, d’examiner la mesure dans laquelle les renseignements font déjà partie du domaine public. Si la tenue de procédures judiciaires publiques ne fait que rendre accessibles ce qui est déjà largement et facilement accessible, il sera difficile de démontrer que la divulgation des renseignements dans le cadre de débats judiciaires publics entraînera effectivement une atteinte significative à cet aspect de la vie privée se rapportant à l’intérêt en matière de dignité auquel je fais référence en l’espèce. Cependant, le seul fait que des renseignements soient déjà accessibles à un segment de la population ne signifie pas que les rendre accessibles dans le cadre d’une procédure judiciaire n’exacerbera pas le risque pour la vie privée. La vie privée n’est pas une notion binaire, c’est‑à‑dire que les renseignements ne sont pas simplement soit privés, soit publics, d’autant plus que, en raison de la technologie en particulier, il vaut mieux considérer la confidentialité absolue comme difficile à atteindre (voir, de manière générale, R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, par. 37; TTUAC, par. 27). Le fait que certains renseignements soient déjà accessibles quelque part dans la sphère publique n’empêche pas qu’une diffusion additionnelle de ceux‑ci puisse nuire davantage à l’intérêt en matière de vie privée, en particulier si la diffusion appréhendée de renseignements très sensibles est plus large ou d’accès plus facile (voir de manière générale Solove, p. 1152; Ardia, p. 13931394; E PatonSimpson, « Privacy and the Reasonable Paranoid : The Protection of Privacy in Public Places » (2000), 50 U.T.L.J 305, p. 346).

[39] En l’espèce, l’identité des plaignants et plusieurs détails de leurs infractions sont clairement du domaine public et sont facilement accessibles à tout membre du public ayant accès à Internet. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un obstacle complet à l’accès à certaines limites au principe de la publicité des débats judiciaires, les plaignants devraient démontrer que la divulgation de leur identité dans le cadre de l’instance du TCDP aggraverait le préjudice qu’ils subissent déjà en raison de la stigmatisation liée à leurs infractions. Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal n’a vu aucune preuve à cet égard. La mesure dans laquelle les renseignements personnels des plaignants sont déjà du domaine public, en fait, met sérieusement en doute l’existence d’un risque sérieux de préjudice indu.

(i) Considérations particulières pour la plaignante A

[40] Le Tribunal estime que l’identité transgenre de la plaignante A revêt une importance particulière dans la décision relative à la question de savoir si elle est exposée à un risque sérieux de préjudice indu si son identité est révélée.

[41] Malheureusement, l’identité transgenre est encore fortement stigmatisée dans notre société. Le désavantage, la discrimination, ainsi que la stigmatisation et les préjugés extrêmes constants que subissent les personnes trans sont bien connus (XY v. Ontario (Government and Consumer Services), 2012 HRTO 726). La Commission ontarienne des droits de la personne a énoncé les risques de préjudice indu dans sa Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et l’expression de l’identité sexuelle. Bien que cette politique de la CODP n’est pas contraignante pour le Tribunal, il s’agit d’un document utile à citer à des fins contextuelles. En voici un extrait :

[…] les personnes « trans » constituent l’un des groupes les plus défavorisés de la société. Elles sont couramment victimes de préjugés, de discrimination, de harcèlement, de haine et de violence […] Ces formes de marginalisation sociale des personnes trans sont le résultat de craintes et de mythes sociétaux profonds à l’égard des personnes qui ne se conforment pas aux « normes » sociales relatives aux identités d’homme et de femme. Leur effet sur la vie quotidienne, la santé et le bien‑être des personnes touchées est considérable.

[…] En 2010, l’initiative Trans PULSE a mené un sondage détaillé auprès de 433 personnes trans de l’ensemble de l’Ontario. Les personnes sondées ont fait part d’obstacles et de discrimination sur le plan de l’accès à l’emploi et aux soins médicaux. […] Les deux tiers des personnes sondées disaient éviter des lieux publics que le reste de la population tient pour acquis, comme les centres commerciaux, boutiques de vêtements, restaurants et centres de conditionnement physique, par crainte de faire l’objet de harcèlement, d’être « reconnues » (perçues comme une personne trans) ou de voir leur identité trans « révélée ». Au premier rang des lieux publics évités figuraient les toilettes. De tous les répondants, 77 % ont dit avoir eu des pensées suicidaires au cours de leur vie et 43 % ont rapporté avoir déjà effectué une tentative de suicide.

[42] De l’avis du Tribunal, l’identité transgenre de la plaignante A relève de ce que la Cour suprême du Canada a désigné dans l’arrêt Sherman comme des droits à la vie privée protégés, à savoir « l’identité fondamentale de la personne concernée : des renseignements si sensibles que leur diffusion pourrait porter atteinte à la dignité de la personne ». (Sherman (Succession), au par. 31).

[43] Selon le dossier de preuve présenté au Tribunal, il semble que l’identité transgenre de la plaignante A n’est pas actuellement connue du public, et ce fait ne faisait pas partie des détails publiés par les médias au moment de la détermination de la peine. Elle est également une femme transgenre autochtone, ce qui accroît encore une fois le risque d’être stigmatisée et prise pour cible. De plus, elle a été libérée très récemment de prison et fait actuellement la transition vers la vie au sein de la société, une période particulièrement vulnérable et difficile pour la réinsertion et la réadaptation d’un délinquant. Ces caractéristiques de la plaignante A sont essentielles à la décision du Tribunal selon laquelle, dans son cas, la divulgation de ces renseignements dans le cadre de l’instruction l’exposerait à un risque sérieux de préjudice indu, qui l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

(ii) Témoins délinquants sexuels potentiels

[44] Comme il est expliqué précédemment, les plaignants soutiennent qu’ils devraient, eux-mêmes ainsi que tous les témoins délinquants sexuels nommés et potentiels, se voir accorder les ordonnances de confidentialité demandées. Ils plaident en faveur d’une ordonnance aussi générale en raison des graves préjugés et du risque de difficultés que toute forme d’attention pourrait causer à tout délinquant sexuel qui pourrait témoigner. Même si le Tribunal acceptait l’existence d’un risque de préjudice indu entraîné par la divulgation, en soupesant ce risque et l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique, il conclurait que l’ordonnance demandée, qui s’appliquerait à tous les témoins délinquants sexuels potentiels qui, à cette étape très précoce de l’instance, comprennent les témoins délinquants sexuels nommés, est beaucoup trop vaste. Une telle ordonnance créerait essentiellement une nouvelle catégorie vaste de personnes qui pourraient bénéficier de l’anonymisation, sans qu’il soit exigé que chaque personne fasse la preuve d’un risque sérieux de préjudice indu en fonction de sa situation particulière. Une telle exception générale constituerait une violation trop importante du principe de la publicité des débats judiciaires ainsi qu’une dérogation à la jurisprudence actuelle.

(iii) Conclusions relatives à l’alinéa 52(1)c)

[45] Le Tribunal convient que la divulgation des renseignements permettant d’identifier la plaignante A dans le cadre du processus du TCDP exposerait celle-ci à un risque sérieux de préjudice indu, compte tenu de sa situation particulière en tant que femme transgenre qui réintègre actuellement la société. Ce risque sérieux l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique, en ce qui concerne ce renseignement. Le Tribunal accepte également qu’une ordonnance de confidentialité à l’égard de la plaignante A est raisonnable et nécessaire pour la protéger contre un tel préjudice indu.

[46] Dans le cas du plaignant B et des témoins délinquants sexuels, qu’ils soient nommés ou potentiels, le Tribunal n’est pas convaincu que la divulgation des renseignements permettant de les identifier, dans le cadre du processus d’instruction, créera un risque sérieux de préjudice indu. Pour ce motif, l’alinéa 52(1)c) de la LCDP ne justifie pas une ordonnance de confidentialité.

C. Alinéa 52(1)b) de la LCDP

[47] Compte tenu de la conclusion relative à l’alinéa 52(1)c) selon laquelle il existe un risque sérieux de préjudice indu en raison de la divulgation de certains renseignements pour la plaignante A qui l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique à l’égard de ces renseignements et qui justifie une ordonnance de confidentialité, le Tribunal juge inutile de rendre une décision pour la plaignante A en vertu de l’alinéa 52(1)b).

[48] En ce qui concerne le plaignant B, les plaignants s’attendent à ce qu’une couverture médiatique importante crée un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable parce que la publicité destructrice offrirait un avantage tactique dans le litige. Bien que la discussion sur l’équité dépasse le cadre d’un examen des questions de procédure (Day c. Ministère de la Défense nationale et Hortie, 2003 TCDP 12, au par. 6), compte tenu de la discussion précédente sur la couverture médiatique du procès, le Tribunal considère que ce risque est trop hypothétique pour constituer un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable qui nécessiterait une ordonnance en vertu de l’alinéa 52(1)b).

[49] De plus, comme il est expliqué plus en détail ci‑après, le Tribunal considère que les préoccupations des plaignants selon lesquelles les faits entourant la nature de leurs infractions pourraient prendre le contrôle de l’audience peuvent être traitées adéquatement par la gestion de l’instance et l’établissement de la portée appropriée de l’audience.

[50] Les plaignants mentionnent la possibilité que certains témoins délinquants sexuels ne veuillent pas témoigner si leur nom est publié. À ce stade, le Tribunal convient avec l’intimé qu’il s’agit d’une possibilité hypothétique et conjecturale. Par conséquent, le Tribunal n’estime pas qu’elle présente un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable.

[51] Enfin, les mesures mises en place dans la présente décision sur requête, ainsi que la possibilité de décisions sur requête futures, constituent une solution de rechange raisonnable aux ordonnances demandées concernant le plaignant B et les témoins délinquants sexuels et constituent l’option la moins intrusive pour répondre aux préoccupations des plaignants tout en respectant l’importance des audiences publiques (Sherman, au par. 105, et SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35, aux par. 15‑16).

D. Avis aux médias

[52] L’intimé soutient que les médias devraient être avisés des demandes d’interdiction de publication, afin que leurs membres puissent déterminer s’ils doivent présenter des observations en réponse.

[53] La loi ou la common law n’oblige pas le Tribunal à aviser les médias d’une ordonnance de confidentialité ou d’une interdiction de publication prononcée en vertu de l’article 52 de la LCDP. Il s’agit d’une décision discrétionnaire que le Tribunal peut prendre, en tant que maître de ses propres procédures, selon les circonstances de chaque affaire. Cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Société Radio‑Canada c. Manitoba, 2021 CSC 33, au par. 51 :

Soyons clairs, il est possible d’imposer des limites à la publicité des débats judiciaires, par exemple une interdiction de publication, sans avis préalable aux médias. Vu l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et le rôle qu’ont les médias d’informer le public au sujet des activités des tribunaux, il sera généralement opportun de donner avis aux médias, en plus des personnes qui seraient directement touchées par l’interdiction de publication ou l’ordonnance de mise sous scellés, lorsqu’on cherche à limiter la publicité des débats judiciaires (voir Jane Doe c. Manitoba, 2005 MBCA 57, 192 Man. R. (2d) 309, par. 24; M. (A.) c. Toronto Police Service, 2015 ONSC 5684, 127 O.R. (3d) 382 (C. div.), par. 6). Toutefois, la question de savoir si et quand cet avis doit être donné relève en dernier ressort du pouvoir discrétionnaire du tribunal compétent (Dagenais, p. 869; M. (A.), par. 5). Je suis d’accord avec les observations des procureurs généraux de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario selon lesquelles les circonstances dans lesquelles les ordonnances limitant la publicité des débats judiciaires sont prononcées varient et que les tribunaux doivent avoir le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour veiller à ce que justice soit rendue dans chaque cas.

 

[54] Les médias n’ont pas encore communiqué avec le Tribunal à ce sujet. Ainsi, et compte tenu des nombreux documents de requête présentés au Tribunal pour la présente requête, le Tribunal estime qu’il dispose de suffisamment de renseignements et qu’il n’est pas nécessaire d’aviser les médias avant de rendre une décision sur la présente requête.

VII. MESURES DE PROTECTION, ORDONNANCES FUTURES ÉVENTUELLES ET GESTION DES CAS

[55] Bien que le Tribunal ne soit pas disposé à accorder une ordonnance de confidentialité au plaignant B et aux témoins délinquants sexuels, il comprend ses préoccupations et celles des témoins délinquants sexuels potentiels et y est sensible.

[56] Le Tribunal reconnaît également que le dossier donne à penser que les détails des infractions commises par les plaignants avant leur entrée en prison sont peu pertinents pour la décision relative à leurs plaintes. Comme l’ont déclaré les plaignants, certains aspects de leurs antécédents et certains de leurs documents correctionnels pourraient très bien être déposés en preuve, car l’affaire concerne leurs besoins et leurs possibilités de réadaptation en tant que délinquants autochtones. Toutefois, les allégations qu’ils formulent sont largement systémiques et concernent des pratiques et des politiques discriminatoires à l’échelle nationale et régionale qui entraînent un accès inéquitable aux programmes de réadaptation pour les Autochtones et la concentration des ressources autochtones dans des prisons plus restrictives. La question de savoir si les politiques et les pratiques de l’intimée à l’égard des programmes correctionnels pour les Autochtones sont discriminatoires ne reposera pas sur les détails des infractions commises par les plaignants ou leurs témoins ni sur d’autres renseignements personnels qui permettraient facilement de les identifier publiquement.

[57] Pour ces motifs, le Tribunal prendra soin de ne pas mentionner de renseignements permettant d’identifier une personne qui ne sont pas pertinents au regard des questions en litige, que ce soit oralement ou par écrit, à quelque étape que ce soit de l’instance (voir à cet égard : White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2020 TCDP 5, au par. 55 [White].

[58] Il est également prêt à inclure dans son ordonnance certaines mesures de protection pour répondre aux préoccupations des plaignants – y compris le plaignant B – et des témoins délinquants sexuels (voir la décision White, au par. 4). Ces mesures de protection comprennent l’obligation de faire référence aux antécédents criminels des plaignants et des témoins délinquants sexuels dans des observations écrites ou des communications au Tribunal dans une annexe distincte des documents déposés, afin de faciliter la séparation de ces renseignements. Cette approche est raisonnable et justifiée dans les circonstances, étant donné que les plaintes dont le Tribunal est saisi ont trait à de la discrimination fondée sur la race de la part de l’intimé dans la prestation de programmes, de sorte que les antécédents criminels y sont peu ou pas pertinents. La séparation des renseignements de cette façon les rend accessibles aux fins du contexte, mais les empêche d’éclipser les autres questions en litige dans l’affaire. En ce qui concerne le plaignant B et les témoins délinquants sexuels, cela facilite également le caviardage éventuel si les circonstances changent à l’avenir et que la réparation en vertu de l’article 52 devient justifiée.

[59] Les préoccupations liées à la possibilité que les détails de leurs infractions prennent le contrôle de l’instance peuvent également être réglées au moyen d’une gestion des cas adéquate et de l’établissement approprié de la portée de la demande et de l’audience. L’intimé déclare qu’il est disposé à travailler avec les plaignants et la Commission pour s’assurer qu’un dossier de preuve approprié est présenté au Tribunal, tout en tenant compte des préoccupations des plaignants au sujet de renseignements personnels précis. En cas de désaccord sur le caviardage de certains éléments, l’intimé suggère que les parties demandent au Tribunal de statuer à cet égard. Le Tribunal appuie cette approche.

[60] De plus, comme il a été mentionné précédemment, si, à mesure que l’affaire progresse, de nouveaux renseignements sont mis au jour qui pourraient modifier la conclusion selon laquelle il existe un risque sérieux de préjudice indu en raison de la divulgation, comme une probabilité accrue d’une attention soutenue des médias, les plaignants peuvent revenir devant le Tribunal pour demander une nouvelle ordonnance fondée sur de nouveaux éléments de preuve ou un changement dans la situation.

[61] Bien qu’il soit important d’éviter un nombre excessif de requêtes en confidentialité, il est prématuré de fournir des ordonnances de confidentialité générales lorsque le risque d’événements futurs (comme une couverture médiatique généralisée) n’est pas encore démontré comme étant important, ou lorsque le risque dont il est question touche des personnes inconnues (témoins délinquants sexuels potentiels). Par conséquent, bien que la présente décision sur requête aille aussi loin que le Tribunal le juge approprié dans les circonstances, des ordonnances futures sont possibles. Les demandes à cet égard pourraient être traitées plus rapidement si elles sont présentées lors des conférences téléphoniques préparatoires.

VIII. ORDONNANCES

[62] Aux fins des ordonnances ci‑après, les définitions suivantes s’appliquent :

A) « Renseignements permettant d’identifier une personne » s’entend des renseignements pouvant mener à l’identification de la plaignante A, du plaignant B ou des témoins délinquants sexuels, selon le cas, y compris, sans s’y limiter, leurs noms, leurs dates de naissance, leurs adresses domiciliaires et leurs collectivités, leurs adresses électroniques, leurs numéros de téléphone, leurs comptes de médias sociaux, leurs photographies, leurs images ou les noms des membres de leurs familles;

B) « Antécédents criminels » s’entend des renseignements relatifs aux antécédents criminels de la plaignante A, du plaignant B ou des témoins délinquants sexuels, selon le cas. Toutefois, les « antécédents criminels » ne comprennent pas la liste des infractions au Code criminel pour lesquelles la plaignante A et le plaignant B, ainsi que leurs témoins, selon le cas, ont été condamnés;

[63] Le Tribunal rend l’ordonnance suivante en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi :

A) La plaignante A doit être désignée par les initiales « A.B. » tout au long de la présente instance, y compris dans les requêtes, les observations (écrites et orales), les audiences, les discussions, les décisions sur requêtes et les décisions, ainsi que tout autre document versé au dossier officiel du Tribunal;

B) Les renseignements permettant d’identifier la plaignante A doivent demeurer confidentiels tout au long de la présente instance, y compris dans les requêtes, les observations (écrites et orales), les audiences, les discussions, les décisions sur requête et les décisions, ainsi que tout autre document versé au dossier officiel du Tribunal;

C) Lorsque les parties souhaitent faire référence aux renseignements permettant d’identifier la plaignante A dans des observations écrites ou dans d’autres communications écrites au Tribunal, elles doivent classer ces renseignements dans une annexe distincte du document déposé, et, par la suite, faire référence aux renseignements contenus dans cette annexe par numéro de paragraphe, au besoin;

D) Les renseignements permettant d’identifier la plaignante A et ses antécédents criminels ne doivent être divulgués qu’au personnel du Tribunal et du Secrétariat du Tribunal;

E) Le greffe est chargé de recenser tout renseignement confidentiel déposé jusqu’à présent, et qui sera déposé par la suite, dans les dossiers officiels de la présente instance. Ces renseignements doivent être caviardés de toute demande d’accès public aux documents qui les contiennent;

[64] Le Tribunal ordonne également aux parties :

A) De s’abstenir de mentionner les renseignements permettant d’identifier le plaignant B et les témoins délinquants sexuels, ainsi que leurs antécédents criminels lorsque ces renseignements sont dénués de pertinence au regard des questions en litige dans la présente affaire;

B) Lorsque les parties souhaitent faire référence aux renseignements permettant d’identifier le plaignant B ou les témoins délinquants sexuels, ou leurs antécédents criminels, dans des observations écrites, ou dans d’autres communications écrites au Tribunal, elles doivent classer ces renseignements dans une annexe distincte du document déposé et, par la suite, faire référence aux renseignements contenus dans cette annexe par numéro de paragraphe, au besoin;

[65] Le Tribunal ordonne également que, dans tous les cas, l’enregistrement audio de l’audience ne soit divulgué qu’aux parties et à leurs avocats. Lorsqu’il y a une demande d’accès public à l’enregistrement, elle sera traitée par le Tribunal.

 

Signé par

Catherine Fagan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 mai 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2516/7320 et T2703/7921

Intitulé de la cause : A.B. et Daniel Gracie c. Service correctionnel du Canada

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Paul Quick , pour les plaignants

Julie Hudson , pour la Commission canadienne des droits de la personne

David Aaron , pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.