Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2022 TCDP 8

Cette affaire porte sur la discrimination raciale systémique envers les enfants des Premières Nations. Dans une décision antérieure (2016 CHRT 2, la Décision sur le bien-fondé), le Tribunal a conclu que Services aux Autochtones Canada sous-finançait les services à l’enfance et à la famille, y compris les services de prévention, pour les enfants des Premières Nations. Les services de prévention appuient le principe des « mesures les moins perturbatrices » visant, dans la mesure du possible, à garder les enfants dans leur foyer, leur famille et leur communauté. Ce principe reconnaît l’importance de maintenir le lien entre les parents et les enfants, et garantit que tout soit fait pour éviter de retirer un enfant de son foyer. Or, le sous-financement et le manque de services ont fait en sorte que des enfants des Premières Nations ont été retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté, et placés en foyer d’accueil en premier lieu plutôt qu’en dernier recours. En revanche, les autres enfants bénéficient habituellement de services de prévention. Il s’agit là de discrimination raciale systémique.

Le Tribunal a ordonné une réforme complète des services à l’enfance et à la famille pour les enfants des Premières Nations. Il a également ordonné au Canada de donner plein effet au principe de Jordan, pour veiller à ce que tous les enfants des Premières Nations reçoivent les services dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. Le Tribunal supervise cette réforme et rend les décisions sur requête supplémentaires qui s’imposent. De nombreuses décisions sur requête ont ainsi apporté des directives supplémentaires aux fins des réformes systémiques. D’autres décisions sur requête concernaient l’indemnisation des enfants des Premières Nations ainsi que de leurs pourvoyeurs de soins touchés par la discrimination. Quoi qu’il en soit, le Tribunal a encouragé les parties à régler les questions en suspens.

Dans la décision sur requête 2022 TCDP 8, le Tribunal a accepté de rendre les ordonnances sur consentement demandées en vue de réformer le programme et d’accroître considérablement le financement. La réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations vise notamment la fourniture de services jusqu’à l’âge de 25 ans aux jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge. La preuve montre que les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge courent un plus grand risque de vivre des problèmes d’itinérance, de connaître la pauvreté ou d’être victimes de la traite des personnes, entre autres risques.

Le Tribunal a également conclu qu’il est possible de mettre fin au retrait massif d’enfants en prenant des mesures pour passer véritablement des services réactifs, qui mènent à la prise en charge des enfants, à des services préventifs. Ces mesures sont encore plus efficaces lorsque les services de prévention sont élaborés et fournis par les collectivités des Premières Nations respectives des enfants qui profiteront de ressources plus importantes dès le départ à compter du 1er avril 2022. La preuve montre que certaines collectivités des Premières Nations qui ont offert leur propre programme de prévention rapportent qu’aucun enfant n’a été pris en charge.

Le Canada soutiendra et financera également d’autres recherches, notamment sur le principe de Jordan, afin de réaliser une réforme à long terme. Le Canada consultera les parties et offrira une formation obligatoire sur la compétence culturelle et les engagements en matière de rendement aux employés de Services aux Autochtones Canada.

Enfin, le Canada collaborera avec les parties à la mise sur pied d’un comité consultatif d’experts afin d’élaborer et de surveiller la mise en œuvre d’un plan de travail fondé sur des données probantes pour éviter que la discrimination se reproduise.

Compte tenu de ces changements, le Tribunal a accepté de fixer au 31 mars 2022 la date de fin de l’indemnisation pour les enfants des Premières Nations pris en charge et leurs parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 8

Date : le 24 mars 2022

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

‑ et ‑

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

‑ et ‑

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

‑ et ‑

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l'intimé

‑ et ‑

Chiefs of Ontario

‑ et ‑

Amnistie internationale

‑ et ‑

Nation Nishnawbe Aski

les parties interessées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



I. Contexte

[1] La présente décision sur requête concerne la demande présentée par les parties à l’instance le 4 mars 2022 en vue d’obtenir des ordonnances sur consentement étendant les services offerts en vertu du principe de Jordan aux jeunes de 18 à 25 ans, faisant appliquer le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN ») aux jeunes de 18 à 25 ans qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge, prévoyant le financement accru des services de prévention pour les enfants, les jeunes et les familles, proposant un échéancier précis pour la mise en œuvre de ce qui précède et fixant au 31 mars 2022 la date de fin de l’admissibilité à l’indemnisation pour les victimes de la discrimination constatée par le Tribunal. Les parties ont également demandé un certain nombre d’autres ordonnances sur consentement, dont il sera question plus en détail ci‑après.

[2] En 2016, le Tribunal a rendu la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 [la « Décision sur le bien‑fondé »], dans laquelle il a déclaré que la présente affaire concerne les enfants, les pratiques, actuelles et passées, en matière d’aide à l’enfance au sein des Premières Nations vivant dans des réserves du Canada et les répercussions que ces pratiques ont eues et continuent d’avoir pour les enfants des Premières Nations, pour leurs familles et pour leurs collectivités. Le Tribunal a conclu que le Canada s’était livré de façon systémique à des actes de discrimination raciale à l’égard des enfants des Premières Nations dans les réserves et au Yukon, non seulement par le sous‑financement du Programme des SEFPN, mais aussi par la conception, la gestion et le contrôle de ce programme. L’un des pires préjudices constatés par le Tribunal est le fait que le Programme des SEFPN incitait à retirer les enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Un autre préjudice important pour les enfants des Premières Nations est le fait qu’aucun cas n’a été approuvé en vertu du principe de Jordan, compte tenu de l’interprétation étroite qu’en fait le Canada et des critères d’admissibilité restrictifs élaborés par le Canada. Le Tribunal a conclu qu’au‑delà de la simple question du financement, il fallait réorienter le programme de manière à respecter les principes des droits de la personne et à tenir compte des saines pratiques en matière de travail social dans l’intérêt supérieur des enfants. Le Tribunal a ordonné au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires, de prendre des mesures pour les corriger ou pour empêcher qu’ils se produisent de nouveau, et de réformer le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 avec l’Ontario afin de tenir compte des conclusions tirées dans la Décision sur le bien‑fondé. Le Tribunal a déterminé qu’il procéderait par étapes (réparation immédiate, à moyen terme et à long terme) de façon à apporter des changements immédiats, puis de faire des ajustements en vue d’arriver un jour à une réparation durable, à long terme, fondée sur la collecte de données, les nouvelles études et les pratiques exemplaires déterminées par les experts des Premières Nations, ainsi que sur les besoins particuliers des collectivités des Premières Nations et sur les besoins dégagés par les organismes des Premières Nations, le Comité consultatif national sur la réforme des services à l’enfance et à la famille et les parties.

[3] Le Tribunal a également ordonné au Canada de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre des mesures pour appliquer immédiatement ce principe en lui donnant sa pleine portée et tout son sens. Les ordonnances liées au principe de Jordan et l’objectif de l’égalité réelle ont été décrits plus en détail dans des décisions sur requête subséquentes. Dans la décision sur requête 2020 TCDP 20, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[89] Le principe de Jordan est un principe des droits de la personne fondé sur l’égalité réelle. Le critère exposé dans la définition élaborée par le Tribunal dans la décision 2017 TCDP 14, qui vise la fourniture de services « au‑delà de la norme établie », favorise l’égalité réelle des enfants des Premières Nations en se concentrant sur leurs besoins particuliers, ce qui doit tenir compte du traumatisme intergénérationnel et d’autres éléments importants qui découlent de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien‑fondé, ainsi que d’autres désavantages tels que le désavantage historique qu’ils peuvent subir. La définition et les ordonnances reflètent les besoins particuliers et la situation unique des Premières Nations. Le principe de Jordan vise à honorer les obligations nationales et internationales positives du Canada envers les enfants des Premières Nations en application de la LCDP, de la Charte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la DNUDPA, entre autres. De plus, la formation, en s’appuyant sur le dossier de la preuve, a estimé que ce principe est le mécanisme en place le plus rapide pour commencer à éliminer la discrimination constatée en l’espèce dont sont victimes les enfants des Premières Nations, pendant la réforme du programme national. D’autant plus que son objectif d’égalité réelle tient également compte de l’effet cumulé des divers aspects de la discrimination dans tous les services gouvernementaux, qui affecte les enfants et les familles des Premières Nations. L’égalité réelle est tant un droit qu’une réparation en l’espèce : un droit qui est dû aux enfants des Premières Nations à titre de réparation constante et durable de la discrimination et afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Cela s’inscrit bien dans la portée de la plainte.

[4] Par conséquent, le Tribunal a déterminé que tous ces éléments doivent être financés adéquatement. Cela signifie qu’il faut agir de façon significative et durable afin d’éliminer la discrimination systémique et d’empêcher qu’elle ne se reproduise.

[5] La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185, a récemment reconnu les réserves exprimées par le Tribunal sur le fait que le financement n’est mentionné que dans le préambule de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. (2019), ch. 24 (voir les par. 271, 272 et 274), de sorte que la loi ne crée aucune obligation de financement durable. Au paragraphe 562, la Cour a déclaré ce qui suit : « Ainsi, une nouvelle approche s’impose, ayant pour piliers la collaboration fédéraleprovinciale et la prise en compte des peuples autochtones en tant quacteurs politiques et producteurs de droit. Cette approche doit prévaloir tant pour ce qui est des initiatives législatives que de leur mise en œuvre, y compris leur financement » (non souligné dans l’original).

[6] La formation se réjouit de cette conclusion utile qui guidera les gouvernements à l’avenir. De plus, dans le cadre de la présente requête, dans son affidavit daté du 4 mars 2022, Mme Cindy Blackstock a affirmé ce qui suit :

[traduction]

25. [Elle] craint que les Premières Nations qui affirment leur compétence en vertu de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits ne puissent bénéficier des ordonnances du Tribunal, y compris des ordonnances sur consentement demandées ici. Le Canada a adopté la position – et l’a informée à maintes reprises – qu’il n’a pas d’obligations aux termes des ordonnances du Tribunal à l’égard des Premières Nations qui affirment leur compétence en vertu de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Mme Blackstock affirme que l’entente de principe conclue le 31 décembre 2021 exclut également ces Premières Nations. Toutefois, l’entente de principe précise que ces Premières Nations ne recevront pas un financement inférieur à celui qu’elles auraient reçu au titre de la nouvelle approche de financement des SEF pour les services en question.

[7] Mme Blackstock a ajouté :

[traduction]

25. […] En ce qui concerne le droit des Premières Nations à l’autodétermination, je crois que les Premières Nations devraient avoir le droit de faire un choix libre, préalable et éclairé quant aux approches, aux politiques et aux pratiques de financement, y compris celles qui découlent des procédures du Tribunal, qui devraient s’appliquer.

[8] Le Tribunal convient que l’entente de principe garantit que les Premières Nations qui affirment leur compétence en vertu de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits ne recevront pas un financement inférieur à celui qu’elles auraient reçu au titre de la nouvelle approche de financement des SEFPN pour les services en question.

[9] Ce point est important pour que les Premières Nations n’aient pas à faire un choix inacceptable entre un financement adéquat et durable dans le cadre du Programme des SEFPN réformé ou l’exercice de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale pour élaborer et offrir leurs propres services à l’enfance et à la famille, dans un climat d’incertitude quant à la possibilité d’obtenir un financement adéquat et durable, surtout à la date du renouvellement des ententes entre la Première Nation et le Canada.

[10] La formation convient avec Mme Stephanie Wellman, de l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN »), que la présente affaire ne concerne pas seulement la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits et qu’il [traduction] « n’appartient pas au Canada, à l’APN, au Tribunal ou à toute autre partie à la présente instance de déterminer la façon dont les peuples autodéterminés choisissent d’exercer leur compétence » (affidavit du 7 mars 2022, au par. 80).

[11] La présente affaire concerne aussi les enfants et les familles qui sont des ayants droit et qui méritent que leurs droits fondamentaux soient respectés. Le rôle du Tribunal consiste à éliminer la discrimination constatée et à empêcher que des pratiques identiques ou similaires se reproduisent.

[12] Le Tribunal ne peut pas forcer les Premières Nations qui ne sont pas parties à la présente instance à faire quoi que ce soit. Toutefois, il a le pouvoir d’imposer des obligations au Canada, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 [la « LCDP »], pour veiller à ce que les pratiques discriminatoires ayant des répercussions négatives sur les enfants et les familles des Premières Nations soient éliminées et ne réapparaissent pas plus tard sous une nouvelle forme.

[13] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a tiré des conclusions au sujet d’une entente de financement conclue entre le Canada et la Première Nation d’Attawapiskat :

[122] Cette conclusion rejoint celle de la Cour fédérale dans le jugement Première Nation d’Attawapiskat c. Canada, 2012 CF 948. Voici ce que la Cour fédérale déclare, au paragraphe 59, s’agissant de la nature d’ententes de financement semblables à celles en cause dans la présente plainte :

[…] la [Première Nation d’Attawapiskat] compte sur le soutien financier du gouvernement, par l’entremise de [l’Entente globale de financement], pour fournir des services essentiels à ses membres, et [l’Entente globale de financement] est donc essentiellement un contrat d’adhésion imposé à la [Première Nation d’Attawapiskat] comme condition de ce soutien financier, malgré le fait que la [Première Nation d’Attawapiskat] consente à [l’Entente globale de financement]. Il n’y a aucune véritable négociation. Le déséquilibre des pouvoirs entre le gouvernement et cette bande, qui dépend de [l’Entente globale de financement] pour sa survie, confirme le caractère public de [l’Entente globale de financement], et confirme qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion.

(Non souligné dans l’original.)

[14] Lorsque le Tribunal a exprimé des réserves sur le fait que la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Métis et des Inuits ne garantit pas un financement durable et adéquat, il l’a fait dans ce contexte, sans vouloir nuire de quelque façon que ce soit aux droits inhérents des Premières Nations que la formation a reconnus à plusieurs reprises.

[15] Le Tribunal s’efforce de veiller à ce que le Canada ne répète pas ses pratiques discriminatoires passées ou ne crée pas de nouvelles pratiques qui nuiraient aux enfants, aux familles et aux peuples des Premières Nations.

[16] Enfin, sur ce point, le Tribunal est heureux d’entendre que l’APN a demandé et obtenu une reconnaissance, dans le cadre de l’entente de principe, selon laquelle les Premières Nations exerçant leur compétence recevront un financement au moins égal à celui qui sera fourni dans le cadre du Programme des SEFPN réformé. Dans son affidavit du 4 mars 2022, Mme Valerie Gideon, sous‑ministre déléguée de Services aux autochtones Canada [« SAC »], a affirmé ce qui suit :

[traduction]

15. [l]’entente de principe souligne que les Premières Nations qui ont choisi de se prévaloir du cadre offert par la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis […] pour faciliter l’exercice de leur compétence « ne recevront pas un financement inférieur à celui qu’elles auraient reçu au titre de la nouvelle approche de financement des SEFPN pour les services à l’égard desquels elles ont exercé leur compétence ». SAC veillera à ce que les améliorations apportées au Programme des SEFPN, y compris celles demandées dans la présente requête, soient offertes à ces Premières Nations rétroactivement au 1er avril 2022.

[17] Mme Gideon a ajouté :

[traduction]

16. […] SAC et l’Assemblée des Premières Nations discuteront de la façon d’ajuster le cadre de financement provisoire [de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis] pour tenir compte de ces améliorations. D’ici le 1er avril, SAC aura également communiqué avec les deux organismes dirigeants autochtones qui ont signé ou sont sur le point de signer des ententes de coordination et de relations financières. SAC proposera de discuter des améliorations offertes à ces deux entités. Peu importe le temps nécessaire pour tenir ces discussions, SAC rendra rétroactif au 1er avril 2022 tout rajustement aux ententes avec les organismes dirigeants autochtones.

[18] Il s’agit d’une nouvelle extrêmement positive qui, dans la mesure où cet engagement reflète ce qui sera inclus dans l’entente de règlement définitive en vue d’une réforme à long terme, répond aux réserves exprimées par le Tribunal à cet égard.

II. Ordonnances sur consentement demandées

[19] La présente requête sur consentement vise plus précisément l’obtention des ordonnances suivantes, comme en ont convenu les parties le 31 décembre 2021 :

[421.1] À titre de modification des paragraphes 410, 411, 420 et 421, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans les réserves et au Yukon, dans le cadre du financement total de la prévention avant la réforme complète des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN. Le Canada doit financer la somme de 2 500 $ de façon continue et la rajuster annuellement en fonction de l’inflation et de la population, jusqu’à ce que le Programme des SEFPN réformé soit entièrement mis en œuvre. Ce montant servira de point de référence pour le volet de prévention du Programme des SEFPN réformé, conformément au paragraphe 1 de l’ordonnance sur consentement. Une souplesse à l’égard de la mise en œuvre sera offerte aux gouvernements des Premières Nations et aux organismes des SEFPN qui ne seront pas prêts à la date de début et qui auront besoin de plus de temps en raison de circonstances exceptionnelles, qui seront définies en collaboration avec les parties. Les fonds seront versés aux Premières Nations ou aux fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations responsables de la prestation des services de prévention. Ces fonds pourront être reportés par les Premières Nations ou les fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

  • 8. Conformément au point 5 du paragraphe 42 de la décision sur requête 2021 TCDP 12, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42.1] À titre de modification du point 1 du paragraphe 42, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices pour les Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme (au sens de la décision sur requête 2021 TCDP 12) à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans une réserve et au Yukon, aux mêmes conditions que celles décrites au paragraphe 421.1 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 en ce qui concerne les organismes des SEFPN.

  • 9. Conformément aux paragraphes 245, 248, 249 et 254 de la décision sur requête 2019 TCDP 39, la date de fin de l’indemnisation pour les enfants des Premières Nations pris en charge et leurs parents ou grands‑parents fournisseurs de soins est fixée au 31 mars 2022.

[20] Le libellé de la septième ordonnance proposée a été modifié en réponse aux questions soulevées par la formation. La formation était d’avis que, compte tenu de l’historique des procédures dans la présente affaire, l’ordonnance demandée devait être clarifiée afin d’éviter de futurs désaccords entre les parties sur l’interprétation à lui donner. Le 11 mars 2022, la formation a écrit aux parties pour demander des précisions. La principale question de la formation portait sur le financement de 2 500 $ par personne résidant dans les réserves et au Yukon pour les services de prévention avant la réforme complète des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN.

[21] La formation a demandé des précisions dans l’éventualité où la réforme serait retardée et où les fonds de prévention reportés seraient tous utilisés. La formation était d’avis que cette éventualité devait être reflétée dans l’ordonnance demandée pour veiller à ce que les collectivités et les organismes des Premières Nations disposent de fonds suffisants pour la prévention pendant que la réforme est en cours.

[22] En réponse aux questions de la formation, les parties ont convenu d’ajouter le passage suivant à l’ordonnance demandée :

Le Canada doit financer la somme de 2 500 $ de façon continue et la rajuster annuellement en fonction de l’inflation et de la population, jusqu’à ce que le Programme des SEFPN réformé soit entièrement mis en œuvre. Ce montant servira de point de référence pour le volet de prévention du Programme des SEFPN réformé, conformément au paragraphe 1 de l’ordonnance sur consentement. Une souplesse à l’égard de la mise en œuvre sera offerte aux gouvernements des Premières Nations et aux organismes des SEFPN qui ne seront pas prêts à la date de début et qui auront besoin de plus de temps en raison de circonstances exceptionnelles, qui seront définies en collaboration avec les parties.

[23] La formation a tenu compte du libellé modifié proposé par les parties dans son analyse.

III. Moyens invoqués à l’appui de la requête et conclusions du Tribunal

A. Moyens invoqués à l’appui de la requête

[24] La Société de soutien, l’APN et le Canada ont présenté des observations conjointes sur les moyens invoqués à l’appui de la présente requête et ont déposé des affidavits distincts ainsi que des éléments de preuve non vérifiés à l’appui de la présente requête. Les Chiefs of Ontario, la Nation Nishnawbe Aski, la Commission et Amnistie internationale ont déposé des lettres distinctes auprès du Tribunal indiquant leur consentement à la requête. Le Tribunal a examiné attentivement l’ensemble des observations et des documents fournis par les parties. Par souci de concision, seules quelques‑unes des observations seront reproduites ci‑dessous :

[traduction]

11. Dans le cadre de la décision sur les coûts réels [2018 TCDP 4], le Tribunal a ordonné au Canada, en consultation avec les parties, d’entreprendre une analyse des coûts des besoins réels des organismes des SEFPN, y compris les petits organismes, et d’orienter un processus de collecte de données (paragraphes 408, 418 et 421). La Société de soutien et l’APN ont demandé que l’Institut des finances publiques et de la démocratie (l’« IFPD ») effectue les recherches décrites par le Tribunal, l’APN agissant à titre de titulaire du contrat du projet. Le Comité consultatif national sur les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « CCN ») a fourni un soutien directionnel et stratégique.

12. En avril 2018, l’IFPD a commencé à travailler sur ce qui suit : a) élaborer une méthode fiable de collecte, d’analyse et de déclaration des données pour analyser les besoins des organismes des SEFPN, conformément aux décisions sur requête du Tribunal; b) offrir une expertise technique pour l’analyse des besoins des organismes et fournir des conseils stratégiques sur la meilleure façon de surveiller les besoins réels des organismes et d’y répondre du point de vue financier et de la gouvernance; c) analyser l’évaluation des besoins effectuée par les organismes des SEFPN et les collectivités des Premières Nations.

13. Le 15 décembre 2018, l’IFPD a publié son premier rapport, Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir (le « rapport de la phase 1 de l’IFPD »). Le rapport de la phase 1 de l’IFPD a défini et décrit les lacunes actuelles du Programme des SEFPN en matière de financement et les difficultés continues auxquelles sont confrontés les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations. Les lacunes liées au financement des mesures de prévention, à la pauvreté, aux technologies de l’information et aux immobilisations ont été désignées comme des facteurs clés de la disparité continue.

14. À la suite de la publication du rapport de la phase 1 de l’IFPD, la Société de soutien et l’APN ont demandé à l’IFPD de définir une approche de financement et un cadre de mesure du rendement pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, avec le soutien financier de Services aux Autochtones Canada. Le but de cette deuxième phase était de présenter une structure de financement, un moyen d’obtenir des données probantes pour comprendre le bien‑être des enfants, des familles et des collectivités, ainsi qu’un éventail de scénarios pour établir le coût de l’approche proposée. Le Canada a accepté de financer cette deuxième phase le 13 mai 2019.

15. Le 31 juillet 2020, l’IFPD a publié son deuxième rapport, Le financement des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) : Une approche budgétaire axée sur le rendement pour promouvoir le bien‑être (le « rapport de la phase 2 de l’IFPD »). Suivant les données financières de 2019‑2020, le rapport de la phase 2 de l’IFPD propose un cadre de rendement appelé « Mesurer pour s’épanouir » et une approche de financement des besoins qui est déterminée par des indicateurs de bien‑être, une budgétisation ascendante suppléée par des éléments liés au besoin et au rendement, ainsi qu’un contrôle exercé par les Premières Nations dans l’élaboration et la prestation des services de bien‑être à l’enfance.

16. Le rapport de la phase 2 de l’IFPD décrit un modèle de financement qui prévoit le transfert d’un budget global comprenant des volets visant à combler les lacunes au niveau des besoins, notamment en ce qui a trait à la prévention, à la pauvreté, à la géographie, aux technologies de l’information et aux immobilisations, avec d’autres suppléments pour le passage à une approche ciblée qui répond aux besoins réels des enfants, des jeunes, des familles et des Premières Nations. Parmi les différents éléments chiffrés par l’IFPD, la méthode de financement recommande que la prévention soit financée (à l’extrémité supérieure) à hauteur de 2 500 $ par personne, en fonction de la population d’une communauté, somme qui serait automatiquement rajustée en fonction de l’inflation et de la population.

17. Le 22 juillet 2021, l’IFPD a présenté sa réponse à la demande de proposition de l’APN, Recherche pour la modélisation d’une approche axée sur le bien‑être pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations par la budgétisation du rendement (la « phase 3 de l’IFPD »). La phase 3 de l’IFPD est axée sur la modélisation de l’approche de financement décrite dans le rapport de la phase 2 de l’IFPD afin de renforcer les capacités et d’améliorer le cadre de planification ascendant pour les organismes des SEFPN et les Premières Nations, tout en renforçant la confiance des intervenants. Le Canada a accepté de financer l’ensemble de la proposition le 31 décembre 2021.

18. Le 2 avril 2019, l’APN a présenté des éléments de preuve concernant les nombreux défis auxquels les jeunes sont confrontés lorsqu’ils cessent d’être pris en charge en raison de leur âge. Le 22 novembre 2019, Youth in Care Canada a publié un rapport intitulé Justice, Equity and Culture: the First‑Ever YICC Gathering of First Nations Youth Advisors (le « rapport de 2019 de Youth in Care »), qui a été présenté en preuve et mentionné dans la décision sur requête 2020 TCDP 7, aux paragraphes 30 à 32. En décembre 2021, Youth in Care Canada a publié le rapport Children Back, Land Back: A Follow‑Up Report for First Nations Youth in Care Advisors (le « rapport de 2021 de Youth in Care »). Les éléments de preuve, y compris les éléments de preuve présentés au cours de l’audience sur le bien‑fondé, montrent qu’il est important que les jeunes participent à la résolution des questions qui les touchent de façon continue et que les jeunes qui cessent ou qui ont cessé d’être pris en charge en raison de leur âge disposent de services et de mesures de soutien pendant leur transition à l’âge adulte.

L’inclusion des soins après l’âge de la majorité dans le Programme des SEFPN par SAC

19. Avant mars 2020, les enfants des Premières Nations cessaient d’être admissibles aux services du Programme des SEFPN lorsqu’ils atteignaient l’âge de la majorité dans leur province ou territoire de résidence.

20. Le 27 mars 2020, à la suite de discussions au sein du Comité de consultation sur la protection de l’enfance (le « CCPE »), le Canada a annoncé qu’à titre de mesure exceptionnelle en réponse à la pandémie de COVID‑19, il maintiendrait temporairement les mesures de soutien en place pour les jeunes adultes des Premières Nations lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité afin d’éviter qu’ils cessent d’être pris en charge pendant la pandémie.

21. Dans le budget de 2021, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il continuerait de financer les mesures de soutien après l’âge de la majorité dans le cadre du Programme des SEFPN pour les jeunes adultes des Premières Nations pour une période pouvant aller jusqu’à deux ans après le moment où la personne n’est plus admissible aux services à l’enfance et à la famille, soit parce qu’elle a atteint l’âge de la majorité, soit parce qu’elle n’est plus admissible aux services de soins prolongés en vertu des lois provinciales ou celles du Yukon. Le Tribunal a conclu que bon nombre de ces jeunes ont été enlevés inutilement de leur milieu quand ils étaient enfants en raison de la discrimination exercée par le Canada et constatée par le Tribunal.

22. Les éléments de preuve déposés à l’appui de la présente requête (dont certains avaient déjà été présentés au Tribunal) indiquent que les jeunes des Premières Nations qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge et qui n’ont pas accès à des mesures de soutien après l’âge de la majorité peuvent avoir des besoins plus élevés en raison du traumatisme intergénérationnel des pensionnats et des difficultés découlant de la discrimination exercée par le Canada qui a été constatée par le Tribunal. Les jeunes qui ont été pris en charge, qu’ils soient toujours pris en charge ou non, constituent un groupe marginalisé ayant des besoins uniques qui nécessitent des mesures de soutien particulières.

Les engagements du Canada à l’égard de mesures immédiates pour éliminer la discrimination en cours

23. Le Canada reconnaît qu’il lui incombe d’éliminer la discrimination constatée par le Tribunal et d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Les ordonnances sur consentement qui sont demandées constituent la première étape de la mise en œuvre des mesures à long terme ordonnées par le Tribunal.

24. En novembre 2021, les parties ont entamé des discussions en vue d’un règlement concernant la réforme à long terme du Programme des SEFPN et du principe de Jordan. L’honorable Murray Sinclair a épaulé les parties.

25. Le 31 décembre 2021, les parties ont annoncé qu’elles avaient conclu une entente de principe sur la réforme à long terme. Dans le cadre de cette entente de principe, les parties se sont engagées à réformer le Programme des SEFPN d’ici le 31 mars 2023, ainsi qu’à améliorer la conformité au principe de Jordan et à le réformer. De plus, dans l’entente de principe, les parties ont convenu que l’approche de financement relative aux SEF réformés devra répondre aux besoins des Premières Nations et des fournisseurs de services des SEFPN qui vivent des circonstances exceptionnelles, lesquelles seront définies dans l’entente de règlement définitive, ce qui pourrait retarder la mise en œuvre des SEF réformés.

26. De plus, les ordonnances demandées dans la présente requête sur consentement (voir les points 1 à 9 de la rubrique « Ordonnances demandées ») ont été annexées à l’entente de principe. À la suite de la signature de l’entente de principe, la Société de soutien, l’APN et le Canada ont convenu de demander la présente ordonnance dans les plus brefs délais.

27. Bien que la recherche et la consultation auprès des collectivités ne soient pas encore rendues à un stade suffisant pour permettre la mise en œuvre d’une réforme complète du Programme des SEFPN, le financement de prévention à hauteur de 2 500 $ par personne offrira aux familles le soutien dont elles ont besoin et qu’elles méritent pour commencer à s’attaquer aux facteurs de risque structurels qui contribuent à la surreprésentation des enfants des Premières Nations pris en charge. Le financement de la prévention à hauteur de 2 500 $ par personne offrira également aux Premières Nations et aux organismes des SEFPN des ressources plus importantes « dès le départ » (par opposition au processus de demande fondé sur les coûts réels) et fournira un financement plus important aux Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme des SEFPN (et qui reçoivent actuellement 947 $ par personne, sous réserve de rajustements en fonction de l’inflation, conformément à la décision sur requête 2021 TCDP 12).

28. En ce qui concerne le principe de Jordan, les données probantes démontrent que, pour certains jeunes et jeunes adultes des Premières Nations qui ont des besoins élevés et qui atteignent l’âge de la majorité et pour leurs familles, la perte de l’accès au principe de Jordan est préjudiciable. Le Canada a accepté d’évaluer les ressources nécessaires pour aider les familles ou les jeunes adultes à cerner les mesures de soutien qui permettraient d’offrir les services nécessaires à ces bénéficiaires. Le Canada doit consulter les parties dans les soixante (60) jours suivant l’ordonnance pour discuter de la portée et de l’ampleur de ces mesures de soutien à la transition et de la façon dont cette capacité de financement peut être intégrée à la réforme à long terme du principe de Jordan.

29. Le Canada reconnaît que Services aux Autochtones Canada (« SAC ») doit être transformé afin de s’attaquer à l’« ancienne mentalité » décrite à maintes reprises par le Tribunal, qui a contribué à la discrimination dans le cadre du Programme des SEFPN et du principe de Jordan. En réponse au paragraphe 29 de la décision sur requête 2016 TCDP 16, au paragraphe 154 de la décision sur requête 2018 TCDP 4, au paragraphe 63 de la décision sur requête 2019 TCDP 7, au paragraphe 84 de la décision sur requête 2020 TCDP 15 et au paragraphe 341 de la décision sur requête 2021 TCDP 41, le Canada a accepté de consulter les parties et de poursuivre la mise en œuvre de la formation obligatoire sur les compétences culturelles et les engagements en matière de rendement pour les employés de SAC, afin de terminer le travail entrepris par le CCPE. De plus, le Canada a accepté de travailler avec les parties pour établir un comité consultatif d’experts dans les soixante (60) jours suivant l’ordonnance afin d’élaborer et de superviser la mise en œuvre d’un plan de travail fondé sur des données probantes pour prévenir la répétition de la discrimination. Le Canada a également convenu de prendre des mesures raisonnables pour commencer à mettre en œuvre le plan de travail.

30. Enfin, les parties reconnaissent que certaines questions demeurent sans réponse quant à la meilleure voie à suivre pour entamer une réforme à long terme. C’est notamment le cas de la modélisation du rapport de la phase 2 de l’IFPD, de l’évaluation des besoins réels des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme des SEFPN, de la formulation d’une meilleure approche à long terme en ce qui a trait à l’application du principe de Jordan et de la réforme de SAC pour éviter que la discrimination ne se reproduise. Le Canada a accepté de fournir du financement et des données pour permettre à l’IFPD d’effectuer les recherches suivantes afin d’aider les parties à élaborer des solutions à long terme pour donner suite aux conclusions du Tribunal :

a. la phase 3 de l’IFPD;

b. l’évaluation des besoins des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme;

c. l’évaluation des données liées au principe de Jordan;

d. l’évaluation des besoins liés au principe de Jordan.

31. Pour veiller à ce que le travail entrepris par l’IFPD puisse être terminé en temps opportun, le Canada accepte de répondre à toutes les demandes de données de l’IFPD dans un délai de dix (10) jours ouvrables ou de proposer un autre délai raisonnable pour assurer la protection des renseignements personnels.

Aux termes des engagements du Canada, la date de fin de l’indemnisation en vertu du programme des SEFPN est justifiée

32. Compte tenu du fait que le Canada consent aux ordonnances décrites aux présentes, les parties sont d’avis que le fondement factuel sur lequel repose la décision sur le droit à l’indemnisation changera considérablement à compter du 1er avril 2022, en raison de l’augmentation des montants du financement destiné à la prévention mis à la disposition des collectivités.

33. De plus, la prestation de services de soutien après l’âge de la majorité aux jeunes qui cessent ou qui ont cessé d’être pris en charge en raison de leur âge tient dûment compte du traumatisme intergénérationnel découlant de la discrimination du Canada et permet d’adopter une approche plus holistique à la protection de l’enfance. Les jeunes qui ont été pris en charge, qu’ils soient toujours pris en charge ou non, préconisent depuis longtemps des mesures de soutien après l’âge de la majorité, et cette mesure répond à leurs revendications.

34. Par conséquent, les parties demandent que le Tribunal fixe au 31 mars 2022 la date de fin de l’admissibilité à l’indemnisation en vertu de la décision sur le droit à l’indemnisation pour les victimes touchées par la discrimination dans le cadre du Programme des SEFPN, qui a été constatée par le Tribunal dans la décision 2016 TCDP 2 et les décisions sur requête subséquentes.

35. Cette modification à la décision sur le droit à l’indemnisation permettra de résoudre l’une des questions dont est saisie la Cour d’appel fédérale dans l’appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a confirmé la décision sur le droit à l’indemnisation.

36. Si les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale dans les dossiers nos T‑402‑19 et T‑1751‑21 concluent une entente de règlement, le Canada et l’Assemblée des Premières Nations présenteront des observations au Tribunal au sujet de l’incidence de cette entente de règlement sur les décisions du Tribunal concernant le droit à l’indemnisation et le paiement de l’indemnisation et sur toute réparation demandée au Tribunal à cet égard.

37. Les parties s’appuient en outre sur :

a) le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867;

b) le paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6;

c) les paragraphes 1(6), 3(1) et 3(2) des Règles de procédure du Tribunal (qui s’appliquent aux procédures renvoyées avant le 11 juillet 2021);

d) le pouvoir implicite du Tribunal de contrôler ses propres processus;

e) tout autre moyen invoqué par les avocats.

B. Conclusions du Tribunal

[25] Certains des éléments de preuve, comme les affidavits et certaines pièces jointes, n’ont pas été vérifiés. Néanmoins, le Tribunal peut accepter ces éléments de preuve en vertu de l’alinéa 50(3)c) de la LCDP, qui lui donne le pouvoir :

de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire[.]

[26] Toutefois, bien que ces éléments de preuve puissent être acceptés en vertu de l’alinéa 50(3)c), leur valeur probante sera appréciée par la formation dans l’analyse de la preuve.

[27] D’autres éléments de preuve ont déjà été vérifiés à l’audience sur le bien‑fondé ou dans le cadre d’instances subséquentes.

[28] La formation a soupesé les éléments de preuve en tenant compte de ce qui précède.

[29] Après examen, la formation accepte de rendre les ordonnances demandées par les parties. Elle se penchera sur chacune d’entre elles à tour de rôle.

(i) Budgétisation axée sur le rendement

Première ordonnance demandée. La réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN ») doit refléter une approche budgétaire axée sur le rendement, qui tient compte des indicateurs du bien‑être définis dans le cadre Mesurer pour s’épanouir de l’Institut des finances publiques et de la démocratie (« IFPD »).

[30] L’APN a insisté pour que les discussions sur l’indemnisation comprennent également un volet distinct sur la réforme à long terme. La formation estime que cette façon de faire était déterminante et nécessaire. De plus, elle est conforme à l’approche adoptée par la formation en matière de réparation en l’espèce et à son objectif de demeurer saisie de la présente affaire jusqu’à ce que des ordonnances de réforme durable à long terme, sur consentement ou autre, aient été rendues afin d’éliminer la discrimination raciale systémique qui a été constatée et d’empêcher qu’elle se reproduise.

[31] L’APN soutient que le Canada a indiqué qu’il était ouvert à des négociations sur l’indemnisation et la réforme à long terme.

[32] Bien que la formation ait tenu compte de tous les documents, elle estime que l’affidavit de Mme Cindy Blackstock est fiable, compte tenu de l’expertise de cette dernière à l’égard des questions en cause. De plus, après examen des éléments de preuve joints à l’affidavit, la formation conclut que la déclaration solennelle est conforme à la preuve citée en référence. Mme Blackstock a présenté un aperçu concis et très utile de la requête sur consentement :

[traduction]

16. Dans le cadre de la présente requête sur consentement, le Canada a accepté de réformer le Programme des SEFPN afin qu’il reflète une approche budgétaire axée sur le rendement, en tenant compte des indicateurs de bien‑être définis dans le cadre Mesurer pour s’épanouir de l’IFPD. Une ordonnance du Tribunal obligeant le Canada à adopter une approche budgétaire axée sur le rendement qui est conforme au cadre Mesurer pour s’épanouir jettera les bases en vue de la conception d’une approche de financement à long terme du Programme des SEFPN qui soit durable et équitable et qui permette d’éliminer la discrimination continue et d’empêcher qu’elle se reproduise. Le cadre Mesurer pour s’épanouir jette les bases de l’élaboration de l’approche de financement réformée conformément à la proposition de recherche de la phase 3 de l’IFPD. L’approche de financement réformée doit être fondée sur des principes fondés sur des données probantes, notamment ceux qui suivent :

a. le financement sera fourni par le Canada en fonction d’indicateurs de bien‑être fondés sur des données probantes concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, plutôt que d’être dicté par des indicateurs bureaucratiques de financement;

b. les indicateurs de bien‑être faciliteront la collecte de données fiables à l’échelle communautaire, régionale et nationale afin d’éclairer les pratiques exemplaires et d’améliorer les politiques et les lois fédérales en matière de protection de l’enfance au fil du temps;

 

c. le financement sera fondé sur une approche budgétaire ascendante axée sur les besoins réels des enfants, des familles et des collectivités, conformément aux directives fournies par le Tribunal à ce jour;

d. le financement permettra d’étudier les facteurs structurels de la surreprésentation ainsi que les services de protection de l’enfance axés sur la culture.

[33] Mme Blackstock a également affirmé ce qui suit :

[traduction]

17. Le cadre Mesurer pour s’épanouir est un outil axé sur les résultats qui permet de planifier, de surveiller et d’évaluer le rendement des politiques et des programmes en fonction de l’objectif qui consiste à assurer l’épanouissement des enfants, des familles et des peuples des Premières Nations. Il est essentiel que les facteurs qui sous‑tendent la surreprésentation des enfants des Premières Nations pris en charge (comme la pauvreté, les logements insalubres, la toxicomanie et la violence familiale) soient mesurés et éliminés pour assurer le succès et mettre fin aux pratiques de financement discriminatoires du Canada.

18. La mise en œuvre du cadre budgétaire axé sur le rendement dans l’approche Mesurer pour s’épanouir, conformément aux recommandations de l’IFPD, permettra d’adapter les niveaux et les structures de financement aux besoins des enfants, des jeunes et des familles. Il s’agira d’un changement par rapport à l’approche bureaucratique non éclairée par des données probantes qui était la marque distinctive de la conduite discriminatoire du Canada et des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement dans le cadre du Programme des SEFPN.

[34] La formation estime que cette approche est conforme à ses conclusions et ordonnances antérieures, comme l’ordonnance en vertu de laquelle le Canada doit « mettre fin à ses actes discriminatoires et […] modifier le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 conformément aux conclusions de la présente décision ». En d’autres termes, ces pouvoirs d’imposer des obligations de cesser et de s’abstenir, assimilables à des injonctions, visent à obliger le Canada à mettre fin à la discrimination systémique constatée par le Tribunal à la suite des conclusions fondées sur la preuve tirées dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête subséquentes, qui servent de feuille de route comportant des indicateurs de la discrimination systémique constatée. De plus, la réforme est un élément important des ordonnances du Tribunal. Comme la formation l’a déjà fait remarquer, « [p]ar analogie, c’est comme si on ajoutait des piliers de soutien à une maison qui repose sur des fondations faibles, pour tenter de la redresser et de la soutenir. À un moment donné, il faut réparer les fondations, au risque de voir cette maison s’écrouler. Ainsi, il est nécessaire de procéder à une RÉFORME du Programme des SEFPN pour solidifier les fondations du programme afin de répondre aux véritables besoins des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves » (voir le paragraphe 463 de la Décision sur le bien‑fondé, soulignement modifié). Par conséquent, le programme national, les ententes et les formules de financement doivent faire l’objet d’une réforme complète. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des piliers de soutien (solutions temporaires, à court terme et non viables).

[35] De plus, la formation est d’avis que les ordonnances sur consentement demandées concordent avec ses conclusions :

La norme de la comparabilité raisonnable d’AADNC [aujourd’hui SAC] ne garantit pas aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves l’égalité réelle dans la prestation de services à l’enfance et à la famille. À cet égard, il vaut la peine de répéter les propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Withler, au paragraphe 59 : « il peut être impossible de trouver un groupe de comparaison présentant des caractéristiques identiques, car l’allégation d’inégalité de la personne ou du groupe en cause peut reposer essentiellement sur le fait que, compte tenu de leur situation et de leurs besoins distincts, il n’existe aucun groupe analogue auquel ils puissent être comparés ». Cette affirmation cadre bien dans le contexte de la présente plainte. Autrement dit, les principes de droits de la personne, tant en droit canadien qu’en droit international, obligent AADNC à tenir compte des besoins distincts et de la situation particulière des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves – y compris leur situation et leurs besoins culturels, historiques et géographiques – pour s’assurer qu’ils bénéficient de l’égalité dans la prestation des services à l’enfance et à la famille. Une stratégie reposant sur des niveaux de financement comparables et sur l’application de modèles type[s] de financement ne suffit pas pour garantir aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves l’égalité dans la prestation de services à l’enfance et à la famille.

(Voir le paragraphe 465 de la Décision sur le bien‑fondé, non souligné dans l’original.)

[36] Au paragraphe 236 de la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a ordonné que ses ordonnances à court et à moyen terme demeurent en vigueur :

Jusqu’à ce que l’une des options énoncées ci‑après se réalise :

1. Une entente de Nation (autochtone) à Nation (Canada) respectant le principe à l’auto gouvernance et ce, en vue que la nation se charge de la fourniture de ses propres services de bien‑être à l’enfance;

2. Le Canada conclut une entente avec une Nation qui est spécifique, même si cette dernière ne fournit pas encore ses propres services de bien‑être à l’enfance et si l’entente est plus avantageuse pour la Nation autochtone que les ordonnances figurant dans la présente décision sur requête;

3. La réforme est effectuée conformément aux pratiques exemplaires recommandées par les experts, y compris le CCN et les parties et les parties intéressées, et l’admissibilité au remboursement du coût des services de prévention ou des mesures les moins perturbatrices, des réparations de bâtiments, des activités d’accueil et d’enquête et des frais juridiques n’est plus fondée sur des formules ou des programmes de financement discriminatoires;

4. Toute partie ou partie intéressée fournit une preuve justifiant le réajustement de la présente ordonnance en vue de surmonter des difficultés précises et imprévisibles, et qui sont acceptées par la formation.

(Non souligné dans l’original.)

[37] La formation est d’avis que le point 4 s’applique aux ordonnances sur consentement demandées en l’espèce. De plus, la formation est d’avis que certaines des ordonnances sur consentement demandées, dont la première, visent à se conformer dans un proche avenir au point 3 énoncé ci‑dessus.

[38] De plus, le paragraphe 415 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 est ainsi libellé :

La formation reconnaît également qu’il sera nécessaire, dans le futur, d’apporter d’autres réajustements à ses ordonnances à mesure que la collecte de données s’améliorera, que les travaux du CCN progresseront et que les informations seront de meilleure qualité.

[39] En outre, Mme Valerie Gideon a affirmé ce qui suit dans son affidavit du 4 mars 2022 :

[traduction]

7. SAC a accepté de financer l’APN pour confier un contrat à l’IFPD pour la phase 3 de sa recherche, portant sur la mise en œuvre d’une approche axée sur le bien‑être pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations au moyen de la budgétisation axée sur le rendement. Cette recherche servira de modèle à la nouvelle approche de financement des SEFPN pour les Premières Nations et les fournisseurs de services. SAC et les parties tiendront compte des conclusions et des recommandations de la phase 3 dans le cadre de la transition vers la nouvelle approche de financement (recommandations sur des sujets comme les indicateurs de rendement du Programme des SEFPN et les activités de la fonction nationale de secrétariat dirigée par les Premières Nations).

[40] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la formation accepte de rendre la première ordonnance demandée et, comme il sera expliqué ci‑dessous, elle a compétence pour le faire.

(ii) Financement des coûts réels des soins après l’âge de la majorité

Deuxième ordonnance demandée. Le Canada doit financer, sur la base des coûts réels, les soins après l’âge de la majorité pour les jeunes de toutes les provinces et de tous les territoires qui cessent ou qui ont cessé d’être pris en charge en raison de leur âge, et ce, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 25 ans inclusivement (les « soins après l’âge de la majorité »). Ce financement doit être accessible dans le cadre du processus d’entretien et de protection, qui est remboursé sur la base des coûts réels au fournisseur autorisé des Premières Nations offrant des soins après l’âge de la majorité, et doit être disponible jusqu’au 31 mars 2023. Après cette date, le financement des soins après l’âge de la majorité sera offert par l’intermédiaire des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN réformé, et ce, d’une manière fondée sur les données probantes et convenue par les parties.

[41] Dans son affidavit et son témoignage, Mme Blackstock a caractérisé correctement les décisions antérieures du Tribunal et la preuve au dossier.

[42] Mme Blackstock a déclaré :

[traduction]

31. Bien que le Tribunal n’ait pas abordé directement la question des services après l’âge de la majorité dans la Décision sur le bien‑fondé ou dans les décisions sur requête qui l’ont suivie, des éléments de preuve ont été présentés au cours de l’audience sur le bien‑fondé au sujet de certaines circonstances tragiques dans lesquelles se trouvent les jeunes des Premières Nations lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité et cessent d’être pris en charge. Des extraits des éléments de preuve suivants présentés à l’audience sur le bien‑fondé sont joints à titre de pièce « E » à [son] affidavit :

a. Recueil des documents de la Commission, onglet 3 : examen de la politique nationale, à la p. 56;

b. Recueil des documents de la Commission, onglet 5 : Wen: de : Nous voyons poindre la lumière du jour, aux p. 212, 213, 217 et 218;

c. Recueil des documents de la Commission, onglet 389 : rapport de la commission d’enquête sur les circonstances du décès de Phoenix Sinclair, à la p. 44;

d. Mon interrogatoire principal du 25 février 2013, aux p. 146 et 147;

e. Interrogatoire principal de Betty Kennedy du 4 septembre 2013, à la p. 14.

[43] La formation est d’accord avec la déclaration suivante de la Société de soutien :

[traduction]

32. Il est important de reconnaître que, compte tenu du long historique de la présente affaire, tous les jeunes adultes des Premières Nations âgés de 18 à 25 ans qui ont été pris en charge dans le cadre du Programme des SEFPN ont subi les préjudices découlant de la discrimination du Canada. Par conséquent, le Canada a l’obligation morale positive de fournir un soutien à ces jeunes afin d’atténuer certains des préjudices causés par la discrimination délibérée et irresponsable qu’il leur a causée. La formation convient également que les éléments de preuve énumérés par Mme Blackstock ci‑dessus portent sur la fin de la prise en charge à l’âge de la majorité et appuient la nécessité d’accorder l’ordonnance demandée.

La Société de soutien croit fermement qu’il faut centrer et faire entendre les voix des jeunes pris en charge. Par conséquent, en septembre 2019, la Société de soutien a conclu une entente avec Youth in Care Canada (« YICC ») pour organiser une consultation nationale auprès de jeunes des Premières Nations qui ont été pris en charge, qu’ils soient toujours pris en charge ou non, au sujet du processus d’indemnisation. En novembre 2019, YICC a publié le document Justice, Equity and Culture: the First‑Ever YICC Gathering of First Nations Youth Advisors, qui est joint à titre de pièce 11 à l’affidavit [que Mme Blackstock] a souscrit le 8 décembre 2019 et qui a été déposé auprès du Tribunal. Ce rapport présente d’importantes recommandations concernant le processus d’indemnisation ainsi que des recommandations concernant la réforme du système de protection de l’enfance, y compris en ce qui a trait à la nécessité d’offrir des mesures de soutien après l’âge de la majorité aux jeunes qui cessent d’être pris en charge.

En novembre 2021, la Société de soutien a conclu une entente avec l’Assembly of Seven Generations (« A7G ») pour fournir un rapport consultatif sur la réforme du programme des SEFPN, entre autres. En janvier 2022, A7G a publié le rapport intitulé Children Back, Land Back: A Follow‑Up Report of First Nations Youth In Care Advisors. Ce rapport comprenait lui aussi des recommandations clés concernant la nécessité d’offrir des mesures de soutien aux jeunes adultes des Premières Nations qui cessent d’être pris en charge. Une copie de ce rapport est jointe à l’affidavit [que Mme Blackstock a] souscrit le 4 mars 2022, à titre de pièce « F ».

[44] La formation a examiné les éléments de preuve fournis dans l’affidavit de Mme Blackstock ainsi que tous les éléments de preuve au dossier.

[45] La formation a examiné et accepté les recommandations formulées en 2019 par YICC relativement au processus d’indemnisation (voir 2020 TCDP 7, par. 31 à 34).

[46] La formation estime que les rapports et les recommandations de YICC sont fiables compte tenu de la méthodologie qu’elle a utilisée pour arriver à ses conclusions. De plus, les rapports et les recommandations sont très pertinents, étant donné les connaissances et l’expérience directes de YICC en ce qui a trait aux répercussions de la prise en charge et de la fin de la prise en charge à l’âge de la majorité.

[47] Les conclusions de YICC énoncées dans le rapport Children Back, Land Back: A Follow‑Up Report of First Nations Youth In Care Advisors traitent des répercussions du sous‑financement sur l’enfance et l’adolescence des jeunes pris en charge, ainsi que des répercussions à long terme sur eux. Parmi les répercussions mentionnées, notons celles qui suivent :

• Retrait de la famille de naissance, biologique ou sanguine;

• Manque de soutien pour la famille de naissance, biologique ou sanguine – l’argent est plutôt versé aux familles d’accueil. Dans cette veine, il y a peu de mesures de soutien pour couvrir le coût de la vie;

• Manque de ressources pour les services à l’enfance et à la famille ainsi que pour les services connexes qui ont une incidence majeure sur le bien‑être des enfants et des familles, par exemple les cliniques de santé et les centres de thérapie et de réadaptation dans les réserves;

• Impression chez les jeunes que le sous‑financement les a amenés à passer d’une tutelle temporaire à une tutelle permanente de l’État et a même abouti à leur adoption par des familles non autochtones;

• Expériences de microagressions et de racisme en raison de la participation à des services et à des placements non culturellement sûrs;

• Problèmes de toxicomanie et de santé mentale, sans soutien adéquat;

• Problèmes d’itinérance et de pauvreté, surtout après l’âge de la majorité et la fin de la prise en charge;

• Vulnérabilité accrue à la traite de personnes;

• Interaction accrue avec le système de justice pénale (pour les jeunes pris en charge et leur famille);

• Manque de soutien pour réussir à l’école, ce qui mène au décrochage à l’école secondaire et fait en sorte que des troubles d’apprentissage ne sont pas diagnostiqués.

[48] Dans ce deuxième rapport, YICC a formulé des recommandations importantes et a indiqué que, [traduction] « bien que nous ne puissions pas revenir en arrière pour réparer les torts et les mauvais traitements que les jeunes et les enfants autochtones ont subis au sein du système de protection de l’enfance, nous pouvons utiliser les leçons qui viennent avec le recul et les générations de rapports, de recommandations et de solutions pour empêcher que des torts et des abus soient causés à une autre génération de jeunes et d’enfants autochtones » (p. 28).

[49] Une autre recommandation importante est formulée dans le rapport :

[traduction]

Le Canada et ses provinces et territoires doivent reconnaître la violence qu’ils ont fait subir aux jeunes et aux enfants autochtones et à leurs familles par leurs politiques et leurs lois et être honnêtes à ce sujet. Cette reconnaissance de la violence passée et continue doit être suivie de mesures et de changements systémiques.

Dans le cadre de cette reconnaissance, les droits autochtones ainsi que les droits fondés sur les distinctions, les droits issus de traités et les droits inhérents doivent être reconnus. Les peuples autochtones doivent participer à tous les aspects des systèmes qui ont une incidence sur eux, ainsi qu’à l’évaluation de ces systèmes, afin de s’assurer que les idéologies servent de solution. De plus, les Premières Nations doivent être soutenues pour passer à l’autonomie gouvernementale au moyen d’un financement équitable et culturellement fondé si elles veulent s’engager dans cette voie.

(p. 28, soulignement omis)

[50] Le rapport de YICC indique également ce qui suit à la page 30 :

[traduction]

C’est un euphémisme de dire que la relation entre les jeunes, les enfants, les familles et les collectivités autochtones et le Canada est tendue. La confiance a été trahie. Ceux qui ont été touchés par le système de protection de l’enfance veulent que justice soit faite et que des comptes soient rendus. On ne peut pas faire confiance au Canada pour prendre les meilleures décisions pour les jeunes et les enfants autochtones, et on ne peut pas faire confiance à la promesse du Canada de faire mieux. Tant que la confiance ne sera pas rétablie, il doit y avoir un mécanisme en place pour tenir le Canada responsable. Ce mécanisme doit être dirigé et conçu par de jeunes autochtones, comme il est mentionné dans le document Accountability in Our Lifetime: A Call to Honour the Rights of Indigenous Children and Youth.

[51] Certaines des recommandations portent sur les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge :

[traduction]

À l’heure actuelle, les mesures de soutien offertes aux jeunes qui cessent d’être pris en charge par le système de protection de l’enfance en raison de leur âge varient selon la province et le territoire. L’âge limite pour bénéficier du programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations est 18 ans, bien qu’il y ait actuellement un moratoire en raison de la pandémie de COVID‑19. Le budget fédéral de 2021 promettait de garantir « de façon permanente que les jeunes des Premières Nations qui atteignent l’âge de la majorité reçoivent le soutien dont ils ont besoin, pendant deux années de plus, pour réussir leur transition vers l’indépendance ». Il est essentiel d’écouter les commentaires des jeunes qui seront touchés par ce changement de politique et d’en tenir compte. La décision d’effectuer une transition formelle vers l’âge adulte doit également être prise en consultation avec le jeune qui cesse d’être pris en charge, notamment en fonction de son propre niveau de préparation. Des mesures de soutien doivent être offertes pour aider les jeunes à faire la transition vers l’âge adulte.

(p. 37)

[52] La formation accepte les recommandations de YICC et conclut que de nombreuses conclusions du deuxième rapport corroborent les éléments de preuve fournis par les parties dans la présente instance qui ont mené aux conclusions précédentes du Tribunal. Cela témoigne de la valeur probante de ce rapport. Enfin, sur ce point, la formation tient à souligner que la voix de YICC a également été entendue par le Tribunal. La formation apprécie le point de vue de YICC, qui est éclairé par une expérience directe.

[53] De plus, des recherches ont été menées par Mary Ellen Turpel‑Lafond. Dans son rapport intitulé On Their Own: Examining the Needs of B.C. Youth as They Leave Government Care et daté d’avril 2014, Mme Turpel-Lafond a exploré la question de la fin des services offerts aux jeunes pris en charge par le système des services à l’enfance et à la famille en Colombie‑Britannique lorsqu’ils atteignent l’âge de 19 ans. Elle a signalé que, malgré les améliorations apportées aux mesures de soutien offertes aux jeunes qui cessent d’être pris en charge pour les aider à devenir autonomes, il reste encore beaucoup à faire pour les aider à devenir des membres à part entière de la société. Ce rapport a été déposé en tant que pièce à l’affidavit souscrit par Mme Mary Ellen Turpel‑Lafond le 2 avril 2019.

[54] Le rapport intitulé Paige’s Story: Abuse, Indifference and a Young Life Discarded, lui aussi déposé en tant que pièce à l’affidavit souscrit par Mary Ellen Turpel‑Lafond le 2 avril 2019, présente une analyse des problèmes continus auxquels sont confrontés les jeunes autochtones pris en charge par le système de services à l’enfance et à la famille. Le rapport documente la vie d’une Autochtone de la Colombie‑Britannique qui n’a jamais reçu les soins ou la protection qu’elle méritait. La représentante a pris la mesure inhabituelle d’utiliser le nom de Paige dans ce rapport, car il est important de reconnaître qu’il s’agit de l’histoire d’une vraie personne – une fille qui méritait beaucoup mieux de la société dans laquelle elle a vécu brièvement. Paige a été prise en charge à de nombreuses reprises par le système de services à l’enfance et à la famille; elle a été déplacée plus de 50 fois entre 14 et 16 ans. Malgré l’existence de graves problèmes en ce qui concerne la protection de Paige, diverses parties ayant interagi avec elle n’ont pas signalé sa situation aux autorités. Par conséquent, Paige a cessé d’être prise en charge à l’âge de 19 ans, mais elle ne disposait pas d’un plan de transition ni de mesures de soutien adéquates. Elle est décédée peu après son 19e anniversaire d’une surdose. Ce dénouement était prévisible et aurait dû être évité. Dans le rapport, la représentante formule plusieurs recommandations concernant [traduction] « l’indifférence professionnelle » dont ont fait preuve ceux qui sont censés s’occuper des enfants, et qui a contribué à la mort de Paige, et a recommandé que des mesures de protection soient mises en place pour tous les enfants pris en charge, en accordant une attention particulière aux enfants autochtones, pour offrir aux jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge de mesures de soutien à la transition plus efficaces.

[55] De plus, le rapport Réclamer notre pouvoir et notre place : Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est joint à l’affidavit de Stephanie Wellman du 7 mars 2022, à titre de pièce « H ». Ce rapport souligne la nécessité de mettre en place des mesures de soutien pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge. Par exemple, l’appel à la justice 12.11 présente d’autres recommandations liées aux programmes pour les jeunes qui « atteignent l’âge maximal de prise en charge ». Ces recommandations comprennent « un réseau complet de soutien de l’enfance à l’âge adulte, fondé sur la capacité et les besoins » qui offrirait « des possibilités d’éducation et de logement, ainsi que des mesures de soutien connexes, et prévoirait la gratuité des études postsecondaires pour tous les enfants pris en charge au Canada ».

[56] La formation conclut qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve probants, pertinents et fiables dans la présente affaire pour rendre l’ordonnance demandée.

[57] La formation accepte la demande d’ordonnance sur consentement et estime que l’ordonnance demandée pourrait apporter un changement positif pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge, surtout compte tenu des risques plus élevés qu’ils présentent de vivre des problèmes d’itinérance, de connaître la pauvreté ou d’être victimes de la traite des personnes, et des autres risques cernés dans le deuxième rapport de YICC et mentionnés cidessus.

[58] De plus, des conclusions similaires ont été énoncées dans le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Réclamer notre pouvoir et notre place : Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, vol. 1a :

Beaucoup de témoins inuits, métis et des Premières nations ont fait part à l’Enquête nationale de cas de traite des personnes en lien avec leur expérience du système de protection de l’enfance ou avec leur recherche de services de soins médicaux, qui n’étaient pas offerts dans leur communauté.

(p. 619-620)

Pour les filles et les jeunes 2ELGBTQQIA autochtones, les dangers associés au déménagement d’un endroit à un autre ou au déplacement à l’extérieur d’une communauté sûre sont beaucoup plus grands. Toutefois, étant donné la violence et les mauvais traitements généralisés que subissent de nombreux jeunes pris en charge, la fugue d’une famille d’accueil ou d’un autre milieu de vie semble être la seule option pour échapper à la violence.

[…] Erin Pavan, directrice du programme de transition STRIVE Youth in Care, a décrit de façon poignante le manque de sécurité qui prévaut pour les filles, les jeunes et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones dans ces contextes : « Alors, la fin de la prise en charge en raison de l’âge, c’est vraiment un euphémisme pour désigner l’interruption abrupte de […] tous les services. Je n’aime pas ce terme, la fin de la prise en charge en raison de l’âge, je pense que c’est trop doux pour exprimer ce dont il s’agit; c’est comme d’être poussé du haut d’une falaise, non? »

Pour de nombreux membres de familles et amis de victimes qui ont fait part de leurs vérités, le fait de ne pas tenir compte des réalités de mauvais traitements et de violence vécues par les enfants et les jeunes pris en charge par la protection de l’enfance oblige de nombreux jeunes, dans leurs tentatives d’échapper à la violence, à se placer dans des situations plus dangereuses, ce qui commence généralement par une fugue. Même pour les jeunes qui demeurent en foyer d’accueil, la fin de la prise en charge en raison de leur âge et le manque de soutien équivaut – comme le dit Erin – à les pousser du haut d’une falaise. Dans les deux cas, la pauvreté, le logement, les obstacles à l’éducation et la vulnérabilité inhérente aux drogues, à la traite des personnes et à d’autres formes de violence interpersonnelle les placent collectivement dans l’insécurité. Comme nous l’ont dit de nombreuses familles, il est essentiel de reconnaître ce qui se passe au bord de cette falaise et de quelle façon la sécurité sociale et économique est fragilisée pour comprendre la violence qui mène à la disparition et à la mort des femmes et des filles autochtones.

[…]

Naturellement, vu les difficultés de la survie au quotidien, pour de nombreux jeunes en famille d’accueil ou ceux qui ont passé l’âge de recevoir des services, il devient impossible de terminer leurs études secondaires, de faire des études postsecondaires ou de trouver un emploi. Erin Pavan met les choses en perspective :

Ils ne finissent pas leur secondaire; je pense qu’à 19 ans, quelque chose comme 32 % des jeunes qui ne sont plus pris en charge en raison de leur âge ont leur diplôme d’études secondaires, comparativement à 84 % des jeunes dans la population en général. Et donc ils ne terminent pas leurs études.

Ils sont aussi moins susceptibles d’avoir un emploi. Ils auront moins d’argent. Et beaucoup d’entre eux dépendent de l’aide sociale dès le départ, 40 % s’en vont directement sur l’aide sociale.

Le taux de prestation d’aide sociale a finalement été haussé récemment en Colombie‑Britannique, mais c’est très loin d’être suffisant pour vivre à Vancouver. Ce n’est même pas assez pour payer le loyer, sans parler d’acheter à manger. Alors ils tombent dans l’extrême pauvreté tout de suite en partant, sans diplôme d’études secondaires, sans le soutien de personne. Évidemment, par définition, une personne qui est passée par les services d’aide à l’enfance souffre d’un traumatisme. Donc ils vivent un traumatisme; ils sont plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé mentale, de toxicomanie, d’avoir des démêlés avec le système de justice pénale, de devenir de jeunes parents. Ils sont plus à risque de mourir jeunes. Des 1000 jeunes qui atteignent l’âge limite de la prise en charge en Colombie‑Britannique chaque année, trois ou quatre seront morts avant d’avoir 25 ans.

Alors je pense qu’on peut vraiment voir le lien, n’est‑ce pas, entre les jeunes femmes disparues et assassinées et le système d’aide à l’enfance.

(p. 609 à 611, notes en bas de page omises).

[59] La formation remercie les parties de cet important pas en avant et de leurs efforts soutenus. Elle est honorée de rendre une telle ordonnance qui pourrait avoir des effets positifs de grande portée pour les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge.

[60] Enfin, la formation conclut qu’elle a compétence pour rendre cette ordonnance. Comme les parties ont réussi à le démontrer, la preuve en l’espèce appuie l’ordonnance. Le pouvoir du Tribunal de rendre l’ordonnance est expliqué plus en détail ci‑dessous.

(iii) Bénéficiaires du principe de Jordan ayant des besoins élevés après l’âge de la majorité

Troisième ordonnance demandée. Compte tenu de l’engagement du Canada à l’égard de la non‑discrimination et de l’égalité réelle, le Canada doit évaluer les ressources nécessaires pour fournir de l’aide aux familles ou aux jeunes adultes, en vue de déterminer les services de soutien nécessaires pour les bénéficiaires du principe de Jordan qui ont des besoins élevés après l’âge de la majorité (au sens de la loi applicable des Premières Nations, de la province ou du territoire visé). Le Canada doit consulter les parties dans les soixante (60) jours suivant l’ordonnance pour discuter de la portée et de l’ampleur de ces mesures de soutien à la transition et de la façon dont cette capacité de financement peut être intégrée à la réforme à long terme du principe de Jordan.

[61] Stephanie Wellman, directrice du développement social à l’APN, a fourni un affidavit souscrit le 7 mars 2022. Mme Wellman est employée par l’APN depuis mai 2015. Elle a d’abord travaillé dans le Secteur de la santé de l’AFN, avant d’être transférée au Secteur du développement social en mars 2018. Après son transfert, elle a travaillé sur le principe de Jordan jusqu’en 2019.

[62] La formation estime que son affidavit et sa preuve sont très utiles, compte tenu de son expérience et de son expertise pertinentes et des détails importants qu’elle a fournis. De plus, la formation estime que les éléments de preuve déposés à l’appui de son affidavit corroborent sa déclaration.

[63] Elle a affirmé ce qui suit :

[traduction]

16. Le 31 décembre 2021, les parties ont signé une entente de principe sur la réforme à long terme et une entente de principe distincte sur l’indemnisation. Le 4 janvier 2022, les parties ont annoncé publiquement qu’elles avaient conclu ces ententes. Dans le cadre de l’entente de principe sur la réforme à long terme, sous réserve de la signature d’une entente de règlement définitive au plus tard le 30 novembre 2022, les parties se sont engagées à réformer le Programme des SEFPN d’ici le 31 mars 2023 et à améliorer la conformité du Canada au principe de Jordan et à le réformer.

[64] Mme Wellman a ajouté ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]

20. L’APN a été mandatée, par les dirigeants, les parents et les fournisseurs de soins des Premières Nations, les coordonnateurs des services liés au principe de Jordan (navigateurs) et d’autres personnes ayant une connaissance approfondie de l’incidence du principe de Jordan, pour promouvoir la prise de mesures de soutien pour les jeunes handicapés après l’âge de la majorité. Le travail de l’APN a été essentiel pour appuyer cette cause et exhorter le Canada à s’attaquer à ces questions, une des mesures immédiates qui est demandée dans la présente requête.

21. L’Assemblée des chefs de l’APN a souligné la nécessité d’améliorer la façon dont le principe de Jordan est appliqué, afin de veiller à ce que les Premières Nations ne soient pas limitées par les autorisations de programme actuelles. Il s’agissait d’un élément de la résolution 27/2018 de l’APN, Soutien à la mise en œuvre à long terme du Principe de Jordan, jointe à [son] affidavit à titre de pièce « A ».

22. L’APN a organisé plusieurs rencontres concernant le principe de Jordan et y a participé. Au cours de ces séances, l’APN a entendu parler de la nécessité de soutenir les jeunes après l’âge de la majorité, car les handicaps ne disparaissent pas comme par magie lorsqu’un enfant atteint l’âge de 18 ans.

23. Lors de la réunion des coordonnateurs des services liés au principe de Jordan en novembre 2019, la conférencière Lyndia Jones, des Premières Nations indépendantes (Ontario), a formulé une recommandation concernant les services d’aide offerts aux personnes handicapées dans les réserves qui atteignent l’âge maximal de l’admissibilité au principe de Jordan, qui est jointe à [l’]affidavit [de Mme Wellman] à titre de pièce « B ».

24. De plus, lors du sommet sur le principe de Jordan en septembre 2018, les défis liés aux jeunes qui atteignent l’âge maximal de l’admissibilité au principe de Jordan ont été soulignés, de même que la nécessité de mettre en place des programmes d’aide destinés aux adultes handicapés dans les réserves et de soutenir les fournisseurs de soins. Le rapport du sommet sur le principe de Jordan est joint à [l’]affidavit [de Mme Wellman] à titre de pièce « C ».

25. L’APN a dirigé la mobilisation nationale sur la loi fédérale sur l’accessibilité et a noté les répercussions possibles pour les personnes handicapées des Premières Nations.

[…]

Les lacunes les plus importantes du principe de Jordan sont les critères d’admissibilité rigoureux et le fait que la politique ne s’applique qu’aux enfants, de sorte qu’il n’offre pas d’accès aux services ou de protection contre les conflits de compétence aux [personnes handicapées des Premières Nations] âgées de plus de 18 ans (annexe B, p. 7).

[65] La formation estime que ce constat est appuyé par d’autres éléments de preuve figurant aux pages 7 et 8 de l’annexe B du rapport de l’APN sur la participation relative à la loi fédérale en matière d’accessibilité, daté de mars 2017. De plus, le commentaire suivant est formulé à la page 19 de l’annexe A :

Le principe de Jordan pourrait être élargi et pris en compte dans la loi en matière d’accessibilité afin de s’appliquer à toute personne des Premières Nations, quel que soit son âge, avec tout type de handicap, victime d’un conflit de compétences lorsque les services requis sont disponibles hors réserve.

[66] Mme Wellman a déclaré ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]

26. [Elle affirme qu’un] certain nombre de rapports ont appuyé les efforts de défense des intérêts de l’APN et des Premières Nations au sujet de la question des soins après l’âge de la majorité pour les personnes ayant des besoins élevés. En ce qui concerne les rapports régionaux, le rapport intitulé Keewaywin Engagement Manitoba First Nations Jordan’s Principle Implementation Report, produit au Manitoba en 2017 et joint à mon affidavit à titre de pièce « E », recommande que des mesures de soutien soient offertes après l’âge de 18 ans. Il indique notamment ce qui suit :

Les jeunes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge et qui ont des besoins spéciaux ont besoin de soutien après l’âge de 18 ans, et les mêmes services et mesures de soutien que ceux qu’ils ont reçus jusqu’à l’âge de la majorité doivent se poursuivre dans leur vie adulte. L’offre de programmes d’acquisition de compétences de vie et l’accès à des unités de vie autonome permettront à nos jeunes adultes qui cessent d’être pris en charge en raison de leur âge de faire la transition vers une vie autonome.

[…]

31. Le rapport intitulé Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès : Rapport final, aussi appelé le rapport de la commission Viens, est joint à [l’]affidavit [de Mme Wellman] à titre de pièce « G ». Dans ce rapport, il est recommandé au gouvernement provincial d’« [e]ntreprendre des discussions avec le gouvernement fédéral afin d’élargir l’application du principe de Jordan aux adultes ».

[…]

34. En 2021, trois plaintes pour atteinte aux droits de la personne ont été déposées contre le Canada en raison de son défaut d’offrir un soutien aux adultes handicapés des Premières Nations au Manitoba. Les plaintes soulignent que le principe de Jordan a mené à des changements importants pour les enfants et les jeunes handicapés. Cependant, il y a toujours des lacunes importantes lorsque les jeunes atteignent l’âge de la majorité et que les services et les mesures de soutien dont ils ont bénéficié jusque-là prennent fin. Ces plaintes soulèvent également des préoccupations au sujet du lien avec la culture pour les jeunes adultes et les autres adultes handicapés qui sont forcés de quitter leur communauté en raison du manque de soutien et de services pour les personnes handicapées dans les réserves.

[67] Dans son affidavit du 4 mars 2022, Mme Blackstock a affirmé ce qui suit :

[traduction]

36. La Société de soutien offre une certaine aide aux enfants, aux familles et aux navigateurs communautaires des Premières Nations pour veiller à ce que l’approche de SAC et l’application du principe de Jordan soient conformes aux décisions du Tribunal. Dans le cadre de ce rôle, nous avons rencontré de nombreux jeunes des Premières Nations qui reçoivent un soutien, des services et des produits importants grâce au principe de Jordan. Certaines de ces personnes sont des jeunes ayant des besoins élevés dont les besoins quotidiens sont gérés et comblés par des services financés en vertu du principe de Jordan. SAC cesse de fournir des services, des produits et du soutien en vertu du principe de Jordan lorsque les jeunes atteignent l’âge de la majorité dans la province, ce qui signifie que les adolescents ayant des besoins élevés connaîtront presque certainement des lacunes en matière de soutien, de services et de produits qui nuiront à leur santé et à leur bien‑être général.

[68] L’ordonnance sur consentement demandée permettra au Canada d’évaluer les ressources nécessaires pour fournir de l’aide aux familles ou aux jeunes adultes, en vue de déterminer les services de soutien nécessaires pour les bénéficiaires du principe de Jordan qui ont des besoins élevés après l’âge de la majorité.

[69] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris ce qui précède, la formation accepte l’ordonnance demandée. La formation conclut que les éléments de preuve déposés dans le cadre de la présente requête appuient la conclusion selon laquelle, en raison de l’âge limite de l’admissibilité, les personnes handicapées des Premières Nations qui ont des besoins élevés cessent de recevoir des services en vertu du principe de Jordan à l’âge de la majorité et sont confrontés à des obstacles et à des lacunes dans les services.

[70] Il convient de noter que le rapport intitulé « Participation des Premières Nations et des personnes handicapées des Premières Nations à la Loi fédérale sur l’accessibilité », daté de mars 2017, mentionne ce qui suit, à la page 10 de l’annexe B :

Compte tenu du fait qu’aucun ministère n’a clairement la responsabilité de dispenser des services aux [personnes handicapées des Premières Nations], il est nécessaire que le gouvernement élabore une initiative coordonnée entre différents ministères […] en vue de garantir une prestation globale des services.

[71] L’ordonnance demandée permettra d’obtenir des renseignements fondés sur des données probantes pour veiller à ce qu’il soit satisfait aux besoins particuliers des personnes handicapées des Premières Nations qui atteignent l’âge de la majorité. Cette façon de faire concorde avec l’application d’une perspective d’égalité réelle aux services et aux programmes.

[72] Il est également dans l’intérêt de la bonne administration de la justice et des droits de la personne de régler cette question maintenant plutôt que d’attendre que les trois plaintes soient traitées.

[73] Enfin, la formation conclut qu’elle a compétence pour rendre cette ordonnance. Comme les parties ont réussi à le démontrer, la preuve en l’espèce appuie l’ordonnance. Le pouvoir du Tribunal de rendre l’ordonnance est expliqué plus en détail ci‑dessous.

(iv) Évaluation des besoins en financement et recherche sur le financement à long terme

Quatrième ordonnance demandée. Le Canada doit financer les recherches suivantes par l’intermédiaire de l’IFPD :

  1. la proposition de la phase 3 de l’IFPD (y compris l’étape 5) : mise en œuvre d’une approche axée sur le bien‑être pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations au moyen d’une budgétisation axée sur le rendement, en date du 22 juillet 2021;

  2. l’évaluation de l’IFPD concernant les besoins réels des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme afin de cerner leurs besoins en matière de prévention et d’activités et de trouver des solutions aux lacunes qui doivent être comblées dans le cadre d’une réforme à long terme (l’« évaluation des besoins des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme »);

  3. l’évaluation de l’IFPD concernant les données disponibles sur le recours au principe de Jordan pour éclairer une évaluation des coûts futurs de la mise en œuvre, par le Canada, de la réforme du principe de Jordan et du programme des SEFPN (l’« évaluation des besoins en données liées au principe de Jordan »);

  4. une fois l’évaluation des données liées au principe de Jordan terminée, l’évaluation de l’IFPD concernant les besoins liés à l’approche de financement à long terme du principe de Jordan, notamment en ce qui a trait à la définition et à l’élimination des lacunes en matière d’égalité formelle, conformément aux décisions du Tribunal, y compris la décision 2016 TCDP 2 et les décisions sur requête 2017 TCDP 35, 2020 TCDP 20 et 2020 TCDP 36 (la « recherche sur l’approche de financement à long terme du principe de Jordan »)

[74] Dans son affidavit du 4 mars 2022, Mme Blackstock a affirmé ce qui suit :

[traduction]

39. La Société de soutien reconnaît que d’autres recherches et travaux sur l’approche de financement sont nécessaires pour réaliser une réforme significative et à long terme afin de satisfaire aux directives données par le Tribunal dans la Décision sur le bien‑fondé. Dans le cadre du Programme des SEFPN, d’autres recherches sont nécessaires pour modéliser le cadre Mesurer pour s’épanouir qui est décrit dans la proposition de la phase 3 de l’IFPD. […]

40. Les résultats des travaux de la phase 3 de l’IFPD aideront les parties à mettre la dernière main à une approche de financement à long terme pour la réforme du Programme des SEFPN (les « recommandations de la phase 3 »). L’accord du Canada pour financer ces travaux à compter du 31 décembre 2021, conformément à la présente requête sur consentement, est une étape importante de la réforme finale du Programme des SEFPN. […]

41. Des recherchent visant à éclairer les recommandations de réforme à long terme fondées sur des données probantes pour le principe de Jordan seront essentielles pour s’assurer que le principe de Jordan est équitable, durable et accessible et pour veiller à ce que le Canada soit tenu responsable de la mise en œuvre complète et appropriée des ordonnances du Tribunal. La Société de soutien croit fermement que de telles recherches doivent éclairer une approche de financement à plus long terme pour le principe de Jordan qui intègre les indicateurs du cadre Mesurer pour s’épanouir pour les enfants, les familles et les collectivités afin de promouvoir un financement plus global et homogène. Nous voyons également l’utilité de soutenir le principe de Jordan au moyen du Plan de Spirit Bear, compte tenu du grand nombre de demandes liées au principe de Jordan qui ont trait à l’égalité formelle.

[75] De plus :

[traduction]

42. L’IFPD a accepté d’entreprendre ces recherches sur le principe de Jordan et, conformément à la présente requête sur consentement, le Canada a accepté de les financer.

[76] La formation est d’accord avec la Société de soutien et estime que cette demande est conforme à l’approche, aux conclusions et aux ordonnances de la formation visant à éliminer la discrimination systémique et à prévenir l’apparition de pratiques discriminatoires identiques ou similaires. De plus, des éléments de preuve déposés récemment à l’appui de la présente requête corroborent les affirmations de Mme Blackstock. La formation estime que cette ordonnance est nécessaire pour réaliser une réforme à long terme significative et durable qui est fondée sur des données probantes et axée sur les besoins réels des enfants, des jeunes et des familles, ce qui concorde avec les ordonnances de la formation visant la fourniture de services en fonction des besoins réels des enfants des Premières Nations.

[77] Dans son affidavit du 7 mars 2022, Mme Wellman a déclaré ce qui suit :

[traduction]

37. Le travail de l’IFPD a été essentiel jusqu’à présent dans le cadre de la présente affaire et des négociations pour comprendre et formuler une approche en matière de SEFPN axée sur le bien‑être. La nécessité d’une base de données probantes et d’un régime de financement équitable pour les SEFPN est reconnue depuis longtemps par les citoyens et les dirigeants des Premières Nations, les fournisseurs de services et les universitaires et a mené à beaucoup de recherches qui ont précédé les rapports de l’IFPD. C’était l’objectif de l’examen conjoint de la politique nationale en 2000 et des rapports Wen:de en 2005, qui ont indiqué que « tout nouveau régime de financement devrait reposer sur des recherches fondées sur des données probantes et non sur des bases spéculatives ».

[78] La formation tire la même conclusion après avoir soupesé les éléments de preuve antérieurs et les éléments de preuve déposés récemment au dossier.

[79] De plus, Mme Wellman a affirmé ce qui suit dans son affidavit du 7 mars 2022 :

[traduction]

38. [...] la recherche est essentielle à la réussite de la réforme des SEFPN. La prise de décisions fondées sur des données probantes dans les services à l’enfance et à la famille est essentielle pour réduire les facteurs de risque au moyen d’interventions ciblées pour les enfants et les familles des Premières Nations, et ce, dans le but d’atteindre les objectifs à long terme et de s’assurer que les interventions produisent les résultats escomptés. L’APN a milité pour que cette recherche soit menée. Les parties aux négociations sur les SEFPN et le principe de Jordan dans le cadre de l’entente de principe conviennent que le Canada doit financer la recherche menée par l’IFPD.

[80] Elle a ajouté :

[traduction]

53. [...] [F]ace à la bureaucratie et au sous‑financement d’autres programmes, les parents, les tuteurs et les professionnels doivent chercher d’autres moyens de répondre aux besoins des enfants des Premières Nations et continuent de se tourner vers le principe de Jordan.

[81] Mme Wellman a affirmé ce qui suit :

[traduction]

57. [...] [D]es difficultés ont été observées lors des réunions du Comité des opérations du principe de Jordan, y compris le 30 octobre 2020 [extrait du compte rendu de la réunion, compte rendu complet de la réunion et présentation joints à titre de pièce « O »] :

Les demandes approuvées doivent être situées dans le contexte des taux de conformité et des refus afin de donner un contexte plus large. […]

[…]

59. Par exemple, l’analyse approfondie de 2020‑2021 et le résumé des principales conclusions (joints à [l’]affidavit [de Stephanie Wellman] à titre de pièce « P ») font état d’un nombre élevé de demandes approuvées dans les domaines de l’éducation, du transport médical, du répit, du mieux‑être mental et des soins paramédicaux, pour les demandes individuelles et de groupe. […]

60. L’analyse approfondie de 2020‑2021 relève également des difficultés en ce qui a trait au respect des délais prescrits par la formation : 65 % pour les demandes urgentes individuelles; 63 % pour les demandes individuelles non urgentes; 35 % pour les demandes de groupe urgentes; et 73 % pour les demandes de groupe non urgentes.

[82] De plus, dans son affidavit du 7 mars 2022, Stephanie Wellman a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

59. […] L’analyse approfondie indique qu’environ la moitié des produits et services approuvés dans le cadre de demandes individuelles et de groupe respectent la norme (p. 2).

[83] Dans le même affidavit, Stephanie Wellman a aussi noté ce qui suit :

[traduction]

58. De plus, les données présentées dans l’analyse approfondie ne donnent pas une image complète des lacunes. Bien que l’analyse indique certainement où il peut y avoir des lacunes, il faudrait effectuer une analyse exhaustive des données pour comprendre la portée et l’ampleur réelles des lacunes. Ce travail aiderait à déterminer ce qui est nécessaire pour combler ces lacunes.

[…]

61. Une compréhension complète de ce qui est actuellement couvert par le principe de Jordan est nécessaire pour que les enfants des Premières Nations jouissent de l’égalité réelle. Par exemple, l’analyse des services et des mesures de soutien recherchés et de leurs coûts est essentielle pour prévoir les dépenses dans le cadre du principe de Jordan et pour appuyer la détermination des lacunes dans d’autres programmes et services afin de les combler. Le travail proposé par de l’IFPD dans l’évaluation des données liées au principe de Jordan et l’évaluation des besoins liés au principe de Jordan permettra d’évaluer ces lacunes et de mesurer les ressources nécessaires pour les combler.

[84] La formation est tout à fait d’accord et conclut que la preuve le confirme.

[85] De toute évidence, les parties ont mûrement réfléchi à la question et ont intentionnellement négocié les éléments qui doivent être couverts par d’autres recherches de l’IFPD afin de réaliser une réforme à long terme fondée sur des données probantes au profit des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations. Comme les parties ont réussi à le démontrer, la preuve en l’espèce appuie l’ordonnance.

[86] Par conséquent, la formation conclut qu’elle a compétence pour rendre cette ordonnance. Le pouvoir du Tribunal de rendre l’ordonnance est expliqué plus en détail ci‑dessous.

(v) Délais pour appuyer les demandes de données de recherche

Cinquième ordonnance demandée. Le Canada doit répondre à toutes les demandes de données de l’IFPD dans un délai de dix (10) jours ouvrables ou proposer un autre délai raisonnable pour assurer la protection des renseignements personnels.

[87] Cette demande est accessoire à la demande de financement des différentes études de recherche de l’IFPD. Elle crée des attentes à l’égard des chercheurs qui effectuent les études et à l’égard du Canada, qui doit appuyer la recherche en fournissant les renseignements pertinents. La formation est d’accord avec cette sage demande opérationnelle visant à garantir que l’IFPD puisse travailler efficacement et disposer de toutes les données nécessaires pour mener ses recherches sans avoir à subir de longs retards. Comme il sera expliqué ci‑dessous, la formation a compétence pour rendre cette ordonnance sur consentement.

(vi) Plan de compétence culturelle et de lutte contre la discrimination de SAC

Sixième ordonnance demandée, volet a). Le Canada doit consulter les parties et offrir une formation obligatoire sur la compétence culturelle et les engagements en matière de rendement aux employés de Services aux Autochtones Canada.

Sixième ordonnance demandée, volet b). Le Canada doit également collaborer avec les parties à la mise sur pied d’un comité consultatif d’experts dans les soixante (60) jours suivant la présente ordonnance afin d’élaborer et de surveiller la mise en œuvre d’un plan de travail fondé sur des données probantes pour éviter que la discrimination se reproduise. Le Canada doit prendre des mesures raisonnables pour commencer à mettre en œuvre le plan de travail.

[88] Comme il est indiqué dans l’affidavit de Mme Blackstock du 4 mars 2022 :

[traduction]

48. Le CCN a examiné les réformes nécessaires au sein de SAC et du gouvernement du Canada. Dans son rapport intitulé Rapport d’étape du Comité consultatif national sur la réforme du Programme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : Janvier 2018 [voir la pièce I jointe à l’affidavit de Mme Blackstock], le CCN formule plusieurs recommandations concernant la réforme, la formation et l’éducation à l’interne, dont celles qui suivent :

a. Une évaluation complète à 360 degrés du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations de SAC et du Principe de Jordan doit être entreprise immédiatement pour s’assurer qu’ils respectent les autorisations du Conseil du Trésor et qu’ils sont conformes à la loi et à l’engagement du Canada envers les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). Une telle évaluation devrait comprendre des consultations avec les dirigeants des Premières Nations, les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et des experts, comme les défenseurs provinciaux et territoriaux des droits de l’enfant. Cette évaluation peut contribuer à la refonte des ministères des Services aux Autochtones et des Relations Couronne‑Autochtones. Elle devrait être rendue publique et étayer la réforme globale du programme. L’équipe ou le groupe d’évaluation sera choisi conjointement par les dirigeants des Premières Nations et le gouvernement du Canada. Ces évaluations devraient être effectuées tous les quatre ans pour assurer le maintien de la conformité (voir p. 19-20).

b. Tous les fonctionnaires du gouvernement du Canada qui interagissent avec les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations devraient suivre une formation obligatoire sur les peuples des Premières Nations et la réconciliation (voir p. 20).

c. Il faudrait établir un lien entre les mesures de rendement et les récompenses pour tous les employés du gouvernement du Canada qui interagissent avec les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, d’une part, et la conformité aux Appels à l’action de la CVR et à la DNUDPA (voir p. 20), d’autre part.

[…]

50. Du point de vue de la Société de soutien, la réforme de SAC est essentielle à une réforme à long terme durable et équitable. En plus des recommandations formulées par le CCN, la Société de soutien continuera de préconiser une réforme complète de SAC, qui consiste notamment : a) à veiller à ce que le personnel de SAC possède les titres de compétence appropriés en matière de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, de santé des enfants, d’éducation et de services sociaux; b) à mettre en œuvre des programmes de rendement et d’encouragement des employés liés à la non‑discrimination et à l’harmonisation avec les lois sur les droits de la personne, notamment la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (en mettant l’accent sur l’Observation générale no 11) et la DNUDPA; c) à adopter et à mettre en œuvre le Plan de Spirit Bear pour remédier à toutes les iniquités dans le financement des services publics par le gouvernement fédéral. Le Plan de Spirit Bear a été présenté comme pièce dans le cadre du contre‑interrogatoire de Sony Perron (alors sous‑ministre délégué à Services aux Autochtones Canada), tenu le 9 mai 2018, et une copie de ce plan est jointe à l’affidavit de Mme Blackstock à titre de pièce « J ».

[89] La formation accepte ce qui précède et conclut que ce constat est conforme à la preuve et à l’historique de la présente affaire. Par exemple, dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a écrit ce qui suit :

[449] L’organisme de surveillance de la CDE, le Comité des droits de l’enfant, a souligné l’importance de veiller à ce que les enfants autochtones aient accès à des services culturellement adaptés (voir l’Observation générale no 11, 12 février 2009 (CRC/C/GC/11), par. 25).

[90] Comme il est indiqué dans l’affidavit du 7 mars 2022 de Mme Wellman :

[traduction]

De plus, l’Assemblée des chefs de l’APN a appuyé à l’unanimité le Plan de Spirit Bear lors de l’Assemblée extraordinaire des chefs de 2017 au moyen de la résolution 92/2017 de l’APN, Soutien au Plan de l’Ourson Spirit pour mettre fin aux inégalités dans tous les services publics financés par le gouvernement fédéral qui sont destinés aux enfants, jeunes et familles de Premières Nations, qui est joint à [l’affidavit souscrit par Stephanie Wellman le 7 mars 2022] titre de pièce « R ».

[91] Le Plan de Spirit Bear est joint à titre de pièce « J » à l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 4 mars 2022, ainsi qu’à titre de pièce « Q » à l’affidavit souscrit par Stephanie Wellman le 7 mars 2022 :

Spirit Bear demande :

1 QUE LE CANADA se conforme immédiatement à toutes les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne qui lui [ont] ordonné de cesser immédiatement son financement discriminatoire pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Les ordonnances exigent aussi que le Canada mette en œuvre le Principe de Jordan de façon pleine et entière (www.jordansprinciple.ca).

2 QUE LE PARLEMENT demande au directeur parlementaire du budget d’exposer publiquement les manques à gagner dans tous les services publics financés par le gouvernement fédéral qui sont destinés aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations (éducation, santé, eau potable, protection de l’enfance, etc.) et qu’il propose des solutions pour y remédier.

3 QUE LE GOUVERNEMENT consulte les Premières Nations afin d’élaborer conjointement un Plan holistique de Spirit Bear pour mettre fin aux iniquités (avec des échéanciers et des investissements confirmés). Que ce plan soit élaboré dans les plus brefs délais dans le meilleur intérêt des enfants, en respect de leur développement et des besoins distincts de leurs communautés.

4 QUE LES MINISTÈRES qui offrent des services aux enfants et aux familles des Premières Nations fassent l’objet d’une évaluation indépendante et approfondie afin d’identifier toutes idéologies, politiques et pratiques discriminatoires pour les régler. Ces évaluations doivent être disponibles publiquement.

5 QUE TOUS LES FONCTIONNAIRES, incluant les cadres supérieurs, suivent une formation obligatoire pour identifier et s’attaquer aux idéologies, politiques et pratiques qui compromettent la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.

[92] La formation note que le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Réclamer notre pouvoir et notre place : Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, déposé en preuve à l’appui de la présente requête, contient un appel à la justice précis concernant le Plan de Spirit Bear :

12.13. Nous demandons à l’ensemble des gouvernements et des organismes de protection de l’enfance de mettre pleinement en œuvre le plan de Spirit Bear.

[93] De plus, le Canada a publiquement accepté le rapport et les conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Par conséquent, la formation estime que ce rapport devrait éclairer la réforme à long terme.

[94] Dans son affidavit, Stephanie Wellman a affirmé ce qui suit :

[traduction]

67. […] Les Premières Nations ont demandé qu’une formation soit offerte aux hauts fonctionnaires de SAC et du ministère des Relations Couronne‑Autochtones et des Affaires du Nord Canada. Cette formation pourrait comprendre une évaluation continue pour s’assurer que les fonctionnaires comprennent l’information et peuvent efficacement la mettre en pratique.

68. La formation serait dirigée par un comité consultatif d’experts et pourrait comprendre l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme de formation pour tout le personnel travaillant au sein du Programme des SEFPN. Bien que la portée et le contenu de la formation n’aient pas encore été définis, l’APN est d’avis qu’une telle formation pourrait aborder :

  • la culture, la vision du monde et l’histoire des Premières Nations;

  • les facteurs qui contribuent à la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans les services à l’enfance et à la famille, y compris les répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens;

  • les conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, y compris leurs incidences sur les familles des Premières Nations;

  • les récents mouvements sociaux comme Idle No More ou Families of Sisters in Spirit;

  • l’historique du Programme des SEFPN, y compris les examens et les évaluations effectués de 2000 à 2011 et les constatations de la présente formation.

[95] De plus, Mme Blackstock a déclaré ce qui suit :

[traduction]

47. [Elle reconnaît] que le Canada a fait des progrès en ce qui a trait à formation du personnel. Toutefois, cela ne suffit pas pour régler le problème de la discrimination en cours ou pour éviter qu’elle ne se reproduise. Par exemple, Mme Amy Bombay a conçu une formation pour le personnel de SAC sur des questions directement liées à la Décision sur le bien‑fondé, allant des pensionnats indiens au développement de l’enfant. Elle a évalué les connaissances des employés de SAC avant et après la formation. Les résultats indiquent que le personnel de SAC a tiré avantage de cette formation en ce qui concerne la compréhension historique et certaines questions périphériques à leurs fonctions. Cependant, les anciens modes de pensée devenaient plus enracinés lorsque la formation comprenait des documents sur les injustices contemporaines. Conformément aux ordonnances du Tribunal, la Société de soutien veillera à ce que l’entente de règlement définitive comprenne des mesures de réforme à long terme fondées sur des données probantes pour les services à l’enfance et à la famille et le principe de Jordan qui comprennent des changements importants et structurels au sein du Ministère afin de prévenir la répétition ou l’apparition d’une nouvelle forme de discrimination envers les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations.

[96] Mme Blackstock a ajouté :

[traduction]

46. Les mesures immédiates prévues dans l’ordonnance sur consentement proposée concernant la réforme de SAC sont d’une grande importance pour la Société de soutien. Depuis longtemps, le Canada ne prend pas les mesures qui s’imposent pour sauver la vie et l’enfance des enfants. Cela se reflète dans les nombreuses requêtes en matière de non‑conformité et de procédure qui ont été nécessaires pour amener le Canada à prendre des mesures depuis la Décision sur le bien‑fondé. Cette tendance selon laquelle le Canada sait mieux, mais ne fait pas mieux, même lorsque les préjudices qui en découlent sont graves, est emblématique de la conduite historique et contemporaine du Canada à l’égard des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations. Jusqu’à maintenant, peu d’éléments de preuve montrent que le Canada a tiré des leçons de son inconduite et apporté des changements pour éviter que celle-ci ne se reproduise. À mon avis, cette tendance est évidente dans les conclusions tirées par le Tribunal dans la Décision sur le bien‑fondé et dans les décisions subséquentes liées à la non‑conformité.

[97] Stephanie Wellman a déclaré ce qui suit :

[traduction]

66. L’APN a entendu les Premières Nations dire que la formation globale devrait comprendre un volet de vérité sur la façon dont les actions passées et contemporaines du Canada influent sur les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, afin de cerner et de corriger les philosophies, les pratiques et les politiques coloniales qui persistent aujourd’hui. Cette formation pourrait comprendre un apprentissage par l’expérience portant sur les Premières Nations servies par les fonctionnaires, comme des enseignements des aînés, des cérémonies, le mouvement Pierres de touche d’un avenir meilleur et la participation à des séminaires de recherche et à des rassemblements d’aînés des Premières Nations pour assurer le perfectionnement professionnel continu.

[98] La formation accepte ce qui précède et conclut que ces observations sont conformes à la preuve, à ses conclusions et à l’historique de la présente affaire. La formation est d’accord avec l’APN et insiste sur le fait que la formation offerte devrait comprendre un volet de vérité, tous les éléments énumérés ci‑dessus ainsi que les conclusions et les ordonnances du Tribunal. Bien que la formation reconnaisse les progrès réalisés par le Canada, elle a souligné à plusieurs reprises la nécessité pour SAC d’éliminer son ancienne mentalité, qui a joué un rôle important dans la discrimination systémique.

[99] La formation conclut qu’elle a compétence pour rendre l’ordonnance demandée, qui est nécessaire et appuyée par la preuve en l’espèce. Les pouvoirs du Tribunal seront décrits plus en détail ci‑dessous.

[100] De plus, Mme Blackstock a déclaré ce qui suit dans son affidavit du 4 mars 2022 :

[traduction]

53. […] [Elle espère] que ces changements progressifs entraîneront une réforme structurelle importante au sein de SAC et l’extinction de l’« ancienne mentalité » du Ministère, qui a eu des effets dévastateurs sur les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations. Sans ces changements fondamentaux, il n’y aura pas de réforme durable.

[101] Dans son affidavit du 4 mars 2022, Mme Gideon a fourni des détails importants à ce sujet. En somme, elle a affirmé ce qui suit :

[traduction]

32. SAC, l’APN et la Société de soutien discuteront et s’entendront sur une liste de candidats qui pourraient se joindre à un nouveau comité consultatif d’experts afin d’appuyer la conception et la mise en œuvre d’une évaluation indépendante de SAC. […]

33. SAC amorcera le processus de mise en place d’un contrat pour les évaluateurs experts afin d’appuyer SAC, les parties et le comité consultatif d’experts dans l’élaboration d’un cadre pour l’évaluation interne de SAC. Ce cadre doit toujours être élaboré. À ce jour, les discussions ont porté sur des méthodologies novatrices visant à cerner les obstacles systémiques qui ont mené à la discrimination envers les enfants et les jeunes des Premières Nations à SAC, comme l’a indiqué le Tribunal. À la suite des travaux du comité et des discussions entre les parties, des recommandations seront élaborées en fonction des conclusions afin de déterminer les mesures à prendre pour éliminer la discrimination constatée par le Tribunal et empêcher qu’elle se reproduise.

[102] La formation estime que cette demande d’ordonnance est tout à fait conforme à ses conclusions et ordonnances antérieures visant à éliminer la discrimination constatée par le Tribunal et à empêcher qu’elle se reproduise. La formation est d’avis que cette ordonnance pourrait mener à des résultats positifs.

[103] De plus, dans sa Décision sur le bien‑fondé et ses décisions sur requête subséquentes, la formation a souligné l’importance de cesser immédiatement de retirer massivement les enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille, de leur collectivité et de leur Nation. La formation a clairement indiqué que le sous‑financement discriminatoire, en particulier le manque de financement pour la prévention, y compris les mesures les moins perturbatrices, constituait une grande partie du problème. Cependant, il ne s’agit pas du seul problème ayant permis de conclure à la discrimination systémique. D’autres changements structurels et systémiques doivent être apportés pour que la formation considère que la discrimination systémique est éliminée à long terme.

[104] Cette demande d’ordonnance pourrait permettre d’apporter ces changements structurels et systémiques. De plus, cette ordonnance est appuyée par la preuve et les conclusions antérieures en l’espèce. Enfin, le Tribunal a compétence pour rendre cette ordonnance, comme il sera expliqué plus en détail ci‑après.

(vii) Modification de la décision sur requête 2018 TCDP 4

Septième ordonnance demandée. Conformément au point 3 du paragraphe 413 de la décision sur requête 2018 TCDP 4, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[421.1] À titre de modification des paragraphes 410, 411, 420 et 421, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans les réserves et au Yukon, dans le cadre du financement total de la prévention avant la réforme complète des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN. Le Canada doit financer la somme de 2 500 $ de façon continue et la rajuster annuellement en fonction de l’inflation et de la population, jusqu’à ce que le Programme des SEFPN réformé soit entièrement mis en œuvre. Ce montant servira de point de référence pour le volet de prévention du Programme des SEFPN réformé, conformément au paragraphe 1 de l’ordonnance sur consentement. Une souplesse à l’égard de la mise en œuvre sera offerte aux gouvernements des Premières Nations et aux organismes des SEFPN qui ne seront pas prêts à la date de début et qui auront besoin de plus de temps en raison de circonstances exceptionnelles, qui seront définies en collaboration avec les parties. Les fonds seront versés aux Premières Nations ou aux fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations responsables de la prestation des services de prévention. Ces fonds pourront être reportés par les Premières Nations ou les fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

[105] Le Tribunal expliquera ses conclusions et ses motifs liées à la septième et à la huitième ordonnances demandées, qui portent toutes deux sur le financement de la prévention, à la prochaine rubrique.

(viii) Modification de la décision sur requête 2021 TCDP 12

Demande d’ordonnance no 8. Conformément au point 5 du paragraphe 42 de la décision sur requête 2021 TCDP 12, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42.1] À titre de modification du point 1 du paragraphe 42, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices pour les Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme (au sens de la décision sur requête 2021 TCDP 12) à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans une réserve et au Yukon, aux mêmes conditions que celles décrites au paragraphe 421.1 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 en ce qui concerne les organismes des SEFPN.

[106] Le 7 mars 2022, Stephanie Wellman a fourni un affidavit très utile, avec pièces jointes. Après examen des éléments de preuve joints à l’affidavit, le tribunal conclut que ceux-ci concordent avec la déclaration solennelle. Stephanie Wellman a indiqué ce qui suit :

[traduction]

70. Les Premières Nations préconisent depuis longtemps un financement de le prévention adéquat pour les SEFPN. Il est bien documenté dans des rapports, comme le rapport Wen: de : Nous voyons poindre la lumière du jour, Commission royale sur les peuples autochtones, qui a été versé au dossier en tant que pièce HR‑2, et le document Joint National Policy Review (2000), qui a été versé au dossier en tant que pièce HR‑1, que la formule de financement actuelle du Programme des SEFPN n’investit pas adéquatement dans la prévention.

71. La prévention dans le contexte de la réforme du Programme des SEFPN doit viser à faire en sorte que les enfants demeurent au sein de leur famille et de leur Première Nation en priorité, et que le retrait soit une solution de dernier recours. La prévention, y compris les politiques d’intervention précoce, doit être mise en pratique et financée adéquatement dans chaque communauté.

[107] La formation est d’accord. Elle a examiné les éléments de preuve susmentionnés et tiré de multiples conclusions à cet égard, par exemple dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[161] La formation a toujours reconnu qu’il peut y avoir un certain nombre d’enfants à protéger qu’il est nécessaire de retirer de leurs foyers. Cependant, dans la Décision [sur le bien‑fondé], les conclusions tirées soulignent le fait qu’un trop grand nombre d’enfants ont été retirés inutilement, alors qu’en recevant des services de prévention ils auraient eu l’opportunité de demeurer dans leurs foyers.

[108] Stephanie Wellman a également affirmé que la prévention [traduction] « doit être élaborée et mise en application selon les normes que les collectivités établissent et dans la mesure que les collectivités décident » (affidavit du 7 mars 2022, par. 71).

[109] La formation estime que cela concorde avec l’esprit de ses décisions sur requête qui exigent que le Canada tienne compte des besoins uniques et distincts des collectivités des Premières Nations et qu’il évite une approche descendante unique. Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation a écrit ceci :

[163] La formation a toujours cru que les besoins précis et les services culturellement appropriés varieront d’une Nation à une autre, et que les organismes et les collectivités sont les mieux placés pour indiquer à quoi ces services devraient ressembler. Cela ne veut pas dire d’accepter la perpétuation injustifiée du retrait des enfants en raison d’un manque de données et de responsabilisation. Pendant ce temps, le fait de refuser de financer les services de prévention en fonction des coûts réels résulte en plus d’investissements en matière de garde et de placement (non souligné dans l’original).

[110] Stephanie Wellman a ajouté :

[traduction]

72. Le Canada doit envisager la prévention et la réforme dans le contexte des déterminants sociaux de la santé et du bien‑être des Premières Nations, y compris l’environnement, l’éducation, le genre, les possibilités économiques, la sécurité communautaire, le logement et l’infrastructure, l’accès significatif à la culture et aux terres, l’accès à la justice et l’autodétermination individuelle et communautaire, entre autres.

73. La prévention doit tenir compte des raisons structurelles et systémiques qui expliquent les taux plus élevés de participation des Premières Nations aux services à l’enfance et à la famille, par exemple, le logement, l’eau, le racisme, les infrastructures inadéquates, la pauvreté, etc. Tous ces facteurs ont une incidence sur le bien‑être des enfants et des familles, et la prévention doit donc englober les facteurs systémiques de la surreprésentation des Premières Nations dans les services à l’enfance et à la famille. Le changement systémique doit également reconnaître que la colonisation des Premières Nations a joué un rôle déterminant en ce qui a trait à leur santé et à leur bien-être social et économique.

74. La prévention doit inclure des programmes primaires, secondaires et tertiaires adaptés à la culture et fondés sur des données probantes, qui s’inscrivent dans un continuum de la vie, du développement prénatal à la naissance, à l’enfance, à l’adolescence, à l’âge adulte, à la vieillesse et au décès, puis à la période suivant le décès.

[111] La formation est entièrement d’accord avec ce qui précède. Cela corrobore la preuve dans la présente affaire et concorde avec les conclusions tirées par la formation dans la Décision sur le bien‑fondé et dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[166] Il est important de se rappeler qu’il est question d’enfants qui subissent des effets préjudiciables importants causant des effets néfastes sur leurs vies. Il est également urgent de s’attaquer aux causes sous‑jacentes qui favorisent les retraits de leurs familles et communautés plutôt que de favoriser les mesures les moins perturbatrices (voir la Décision [sur le bien‑fondé], au[x] par. 341 à 347) (non souligné dans l’original).

[112] Comme il a été expliqué ci‑dessus et dans des décisions sur requête antérieures, la formation a clairement indiqué que le sous‑financement discriminatoire, en particulier le manque de financement pour la prévention, y compris les mesures les moins perturbatrices, constituait une grande partie du problème.

[113] Par exemple, dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, axée sur la prévention et les mesures les moins perturbatrices, le Tribunal a conclu ce qui suit (caractères gras omis) :

[93] L’aspect fondamental de la discrimination systémique qu’exerce le Canada est que celui‑ci ne finance pas les services de bien‑être à l’enfance des Premières Nations en fonction des besoins et ne corrige donc pas les désavantages historiques. Dans sa décision, la formation a écrit qu’elle se concentre sur la question de [traduction] « savoir si le financement est déterminé sur la base d’une évaluation de la situation et des besoins distincts des enfants et des familles, ainsi que des collectivités, des Premières Nations ». […]

[…]

[119] La formation conclut que le mode actuel d’attribution des fonds limités de prévention, alors qu’on alloue des fonds illimités pour faire en sorte que les enfants restent placés, porte préjudice aux enfants, aux familles, aux collectivités et aux Nations du Canada.

[…]

[150] Le Canada ne peut justifier que l’on paie des sommes d’argent considérables pour des enfants faisant l’objet d’un placement quand ce coût est nettement supérieur à celui des programmes de prévention qui permettent de garder les enfants dans leurs foyers. Il ne s’agit pas d’une politique sociale ou financière acceptable ou judicieuse. De plus, la preuve analysée dans la décision montre aussi que les frais d’entretien augmentent […] (voir la Décision [sur le bien-fondé], aux par. 262 et 297).

[…]

[180] La formation réitère qu[e] l’intérêt supérieur de l’enfant est le principe fondamental dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Voir, par exemple, les articles 2 et 3 de la CNUDE, où l’on affirme que tous les enfants devraient être traités équitablement et protégés contre toute discrimination (voir aussi la Décision [sur le bien‑fondé], aux par. 447 à 449). La formation a conclu que le fait de retirer des enfants de leurs familles en premier recours plutôt qu’en dernier recours ne cadrait pas avec le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’agit d’une conclusion importante, qui devait éclairer la réforme et les mesures de réparations immédiates (voir la Décision [sur le bien‑fondé], aux par. 341 à 349).

[…]

[191] Le CDESC des Nations Unies a recommandé que le Canada révise et hausse le financement qu’il accorde pour les services d’aide à la famille et de bien‑être à l’enfance destinés aux peuples autochtones vivant dans des réserves et qu’il se conforme entièrement à la Décision [sur le bien-fondé] de janvier 2016 du Tribunal. Le CDESC a également exhorté le Canada à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation au sujet des pensionnats indiens (voir le Conseil économique et social, CDESC, observations finales sur le sixième rapport périodique du Canada, 23 mars 2016, E/C.12/CAN/CO/6, par. 35 et 36; voir aussi l’affidavit de Mme Cindy Blackstock, 17 décembre 2016, au par. 33, pièce L).

[114] La formation est tout à fait d’accord avec cette approche judicieuse de la réforme des services de prévention proposée par les parties afin de susciter un changement systémique réel et durable. De plus, la preuve déposée étaye cette conclusion.

[115] Comme il est indiqué dans l’affidavit du 7 mars 2022 de Mme Wellman :

[traduction]

76. Les coûts par personne sont fondés sur les services de prévention actuels et les dépenses réelles décrites dans les études de cas analysées par l’IFPD. Par exemple, le coût de 2 500 $ par personne est fondé sur une étude de cas des K’wak’Walat’si Child and Family Services (KCFS), qui desservent la Première Nation ‘Namgis et le village d’Alert Bay sur l’île Cormorant au large de la côte de la Colombie‑Britannique. Depuis 2007, pas un seul enfant de la Première Nation ‘Namgis n’a été placé en foyer d’accueil. Ce succès est largement attribuable à la mise en place de programmes complets de prévention.

[116] Cette réussite est mentionnée dans l’affidavit de Stephanie Wellman et dans le premier rapport de l’IFPD intitulé Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir, qui a été déposé en preuve. Ce rapport indique que la nécessité de la prévention est ressort clairement des cas des organismes des SEFPN et des recherches existantes. On ne saurait trop insister sur l’unanimité des organismes et des experts en ce qui concerne l’importance et la nécessité de privilégier les services de prévention et un financement à la hauteur des besoins (p. 103 et 104). Ce rapport est pertinent et fiable, surtout compte tenu de la méthodologie employée et des experts qui y ont participé, dont le Comité consultatif national, qui a joué un rôle consultatif.

[117] Stephanie Wellman a ajouté, dans son affidavit :

[traduction]

77. Ces pratiques exemplaires en matière de prévention s’inspirent davantage de Carrier Sekani Family Services (CSFS), un grand organisme axé sur la prévention. Le modèle de cycle de vie de l’organisme (du berceau à la tombe), éclairé par ses propres recherches, s’étend à l’ensemble des programmes et services de santé et des services sociaux. De la préservation intensive des familles aux initiatives de télésanté, CSFS a donné à son personnel les moyens d’innover, d’essayer, d’échouer et de réussir, pour aider les personnes et les collectivités qu’il dessert.

78. En prévoyant un budget de 2 500 $ par personne pour la prévention, le Canada permettrait aux fournisseurs de services et aux collectivités de mettre en œuvre ce modèle de prévention fondé sur les pratiques exemplaires.

[118] Cela concorde également avec les conclusions antérieures de la formation. Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation a déclaré ce qui suit (caractères gras omis) :

[118] Les ordonnances sont rendues dans l’intérêt supérieur des enfants et elles sont conçues pour renverser les propensions à placer les enfants en dehors de leurs communautés.

[119] La formation conclut que le mode actuel d’attribution des fonds limités de prévention, alors qu’on alloue des fonds illimités pour faire en sorte que les enfants restent placés, porte préjudice aux enfants, aux familles, aux collectivités et aux Nations du Canada.

[120] La meilleure façon d’illustrer cette situation est de reproduire la réponse de Mme Lang à la question de l’APN : [traduction] « APN : Donc, si l’on prenait en charge chaque enfant ontarien qui est membre d’une Première Nation, AANC paierait les frais de ces prises en charge, est‑ce exact? […] Ma question est donc la suivante, je trouve curieux que le gouvernement fédéral n’ait aucune hésitation, aucune préoccupation que ce soit au sujet du coût de la prise en charge d’enfants, et ces coûts sont illimités, et que quand il est question de services de prévention, il n’est pas prêt à faire le même sacrifice. Selon moi, cela n’a absolument aucun sens. Maintenant, en tant que directrice de programme, pourriez‑vous dire que si chaque enfant ontarien qui est membre d’une Première Nation et qui vit dans une réserve était pris en charge demain, vous payeriez les frais d’entretien de toutes ces prises en charge? […] Mme Lang : Pour ce qui est des dépenses admissibles, oui. » [....]

[121] Il s’agit là d’un exemple frappant d’un système inspiré d’opinions colonialistes qui perpétue un préjudice historique à l’encontre des peuples autochtones, le tout justifié dans le cadre d’une politique. La nécessité de rendre compte des fonds publics est certes légitime, mais elle devient troublante quand on s’en sert comme argument pour justifier le retrait massif d’enfants, plutôt que de l’éviter. Il est nécessaire de changer cela immédiatement si l’on veut mettre fin à la discrimination. La formation estime que la gravité et l’urgence de la question ne se reflètent pas dans certaines des actions et des réponses du Canada. Il s’agit là d’un exemple clair de politique qui a été jugée discriminatoire et qui perpétue encore de la discrimination. La formation conclut donc qu’elle doit intervenir en rendant des ordonnances supplémentaires. À l’appui de la conclusion de la formation, des preuves convaincantes ont été présentées dans le contexte des procédures relatives aux requêtes.

[…]

[148] [...] Le Rapport Wen:De no 3 recommande en particulier l’allocation d’un financement supplémentaire pour la prévention et les mesures les moins perturbatrices (p. 19 [à] 21). À la page 35, le Rapport Wen:De no 3 indique que le fait d’accorder un financement additionnel pour la prévention et les mesures les moins perturbatrices permettra, avec le temps, de réaliser des économies :

Bowlus et McKenna (2003) estiment que le coût annuel, pour la société canadienne, des mauvais traitements infligés aux enfants se chiffre à 16 milliards de dollars par année. Comme un nombre toujours croissant d’études indique que les enfants des Premières Nations sont surreprésentés parmi les enfants, autochtones et non autochtones, faisant l’objet d’un placement, ils représentent une partie importante de ces coûts économiques (Trocmé, Knoke et Blackstock, 2004; Trocmé, Fallon, McLaurin et Shangreaux, 2005; McKenzie, 2002). Le défaut de la part des gouvernements d’investir des sommes importantes pour financer la prévention et les mesures les moins perturbatrices résulte en une fausse économie. Il faut choisir entre investir maintenant et épargner plus tard ou épargner maintenant et payer jusqu’à six ou sept fois davantage plus tard (Organisation mondiale de la santé, 2004) [voir 2018 TCDP 4, par. 148 et 149, citant la Décision sur le bien‑fondé].

[…]

[160] Il est maintenant temps d’aller de l’avant et de faire des pas de géant pour éliminer les mesures qui incitent à placer les enfants en se basant sur les conclusions tirées dans la Décision [sur le bien‑fondé], les rapports antérieurs, l’expertise des parties et aussi tout ce que le Canada a recueilli lors de ses discussions depuis la Décision [sur le bien‑fondé].

[119] Les ordonnances de réparation immédiate rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 sur les coûts réels ont été rendues en 2018 après que la Société de soutien et l’APN ont exhorté la formation à le faire. Les parties ont présenté des arguments convaincants et des éléments de preuve à l’appui. La formation a indiqué que les ordonnances pourraient être modifiées à mesure que la qualité de l’information s’améliorerait. La formation a reconnu « qu’il sera nécessaire, dans le futur, d’apporter d’autres réajustements à ses ordonnances à mesure que la collecte de données s’améliorera, que les travaux du CCN progresseront et que les informations seront de meilleure qualité » (voir 2018 TCDP 4, par. 237). C’est le cas en l’espèce. Les éléments de preuve au dossier démontrent qu’il est nécessaire de modifier les ordonnances de prévention précédentes, étant donné qu’un certain nombre de questions ont été soulevées dans le cadre de la phase de mise en œuvre des ordonnances rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4.

[120] De plus, les parties ont pu établir que le processus de remboursement des coûts réels causait des difficultés aux Premières Nations et aux organismes des Premières Nations. Mme Blackstock a affirmé ce qui suit :

[traduction]

19. […] Bien que l’approche de financement fondée sur les coûts réels ait été efficace pour offrir un plus grand nombre de services de prévention aux enfants, aux jeunes et aux familles, le fait que c’est SAC qui définit les dépenses de prévention admissibles pose problème, notamment en raison du manque d’expertise en travail social au sein du Ministère.

[121] Mme Blackstock a également affirmé que [traduction] « la nature du processus d’établissement des coûts réels fondé sur la présentation d’une demande a également constitué un obstacle pour certains organismes de SEFPN, qui pourraient ne pas avoir la capacité de présenter une demande » (affidavit du 4 mars 2022, par. 19). Le Tribunal conclut que ce fait a déjà été démontré dans la présente instance (voir, par exemple, 2020 TCDP 24, par. 34 à 36).

[122] De plus, des éléments de preuve récents, pertinents et fiables, tirés du deuxième rapport de l’IFPD intitulé Le financement des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) : Une approche budgétaire axée sur le rendement pour promouvoir le bien‑être et daté du 31 juillet 2020, indiquent ce qui suit (à la page 30 du rapport) :

La forte augmentation de 48 % observée dans les dépenses de programmes des SEFPN en 2018–2019 est attribuable aux paiements ordonnés par le TCDP (ces dépenses devraient diminuer de 9 % en 2019–2020) […]. L’analyse des études de cas révèle que les paiements du TCDP ont eu des effets immédiats sur les programmes et les opérations. Cependant, les investissements supplémentaires sont de nature ponctuelle et ne sont pas garantis au‑delà du prochain exercice, ce qui met en péril l’avancement des programmes et pratiques de prévention.

[123] Ce qui précède démontre également qu’il est nécessaire de fournir un financement plus important pour la prévention, conformément aux demandes d’ordonnance, et d’autoriser le report de ces fonds par les Premières Nations ou les fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

[124] De plus, Mme Blackstock a affirmé qu’un [traduction] « financement initial plus élevé permettra aux organismes des SEFPN de concentrer leur énergie et leurs ressources sur l’élaboration et la prestation de programmes » (affidavit du 4 mars 2022, par. 19).

[125] La formation estime que les éléments de preuve démontrent qu’il est nécessaire de passer d’un processus d’établissement des coûts réels fondé sur la présentation d’une demande, dans le cadre duquel SAC détermine les dépenses de prévention admissibles, à un programme complet à l’échelle communautaire. La mise en œuvre de ces ordonnances fournira aux familles le soutien dont elles ont besoin et fournira aux Premières Nations et aux organismes des SEFPN des ressources plus importantes « dès le départ » pour commencer à s’attaquer aux facteurs de risque structurels qui contribuent à la surreprésentation des enfants des Premières Nations pris en charge. Cela fournira également un financement accru aux Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme des SEFPN.

[126] Le rapport de l’IFPD appuie également ce changement.

[127] La formation est d’accord et elle se réjouit de ces demandes d’ordonnance. Le travail acharné des parties entraînera de réels changements pour les enfants et les jeunes des Premières Nations. Cela répond à l’appel lancé par le Tribunal en 2018 en faveur de grands pas vers un changement.

[128] Comme il est indiqué dans l’affidavit de Stephanie Wellman daté du 7 mars 2022 :

[traduction]

75. Le financement de 2 500 $ par personne pour la prévention est fondé sur les études de cas menées par l’IFPD dans son rapport de la phase 1, qui décrivait deux approches fondamentalement différentes à l’égard des programmes de prévention. À l’une extrémité de l’échelle, il y avait une Première Nation ayant un programme de prévention minimal (800 $) et à l’autre, des programmes communautaires complets axés sur la prévention et ciblant l’ensemble de la collectivité (2 500 $). Le montant de 2 500 $ par personne doit être considéré comme le niveau nécessaire pour que les organismes ou les collectivités puissent raisonnablement mettre en œuvre des pratiques exemplaires en matière de prévention.

[129] Comme il est indiqué dans le deuxième rapport de l’IFPD, Le financement des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) : Une approche budgétaire axée sur le rendement pour promouvoir le bien‑être, à la page 268 :

[] Dans la phase 1 de son étude sur les coûts du système de SEFPN [Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir, 15 décembre 2018], l’IFPD a estimé (d’après des cas réels) que les dépenses par habitant pour la prévention varieraient de 800 $ à 2 500 $ à l’échelle de la communauté. À 800 $ par habitant, les programmes sont surtout axés sur les jeunes, généralement au détriment des SEF. À 2 500 $ par habitant, une approche englobant l’ensemble du cycle de vie est possible, approche qui fait le pont entre des programmes de santé, de services sociaux et de développement. […]

L’estimation des dépenses par habitant de la Première Nation pour les SEF concorde avec ce qui a été observé dans des communautés non alignées avec une agence de SEFPN (dépenses allant de 500 $ à 1 000 $, selon la population). Au moment d’envisager les prochaines étapes vers la prestation des SEF, la Première Nation devrait penser à accroître son budget par habitant pour élargir les ressources destinées à la prestation des programmes et services. Fait important, l’IFPD a estimé que le coût moyen d’un placement s’élève à 63 000 $ par année. Devant les possibilités prometteuses de programmes de prévention, on voit qu’il existe diverses façons de favoriser le bien‑être des enfants, des familles et des communautés grâce à des services holistiques complets.

[130] Comme il est indiqué dans le premier rapport de l’IFPD, Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir, il s’agirait de coûts permanents, susceptibles de varier en fonction de la population et de l’inflation. Les dépenses par personne consacrées à la prévention devraient se situer entre 800 $ et 2 500 $ et les coûts annuels totaux devraient se situer entre 224 M$ et 708 M$ (p. 10).

[131] Le rapport fournit plus de détails, à la page 97 :

Les experts comme les agences mettaient l’accent sur la prévention, toujours citée comme l’aspect souffrant du plus important déficit de financement. Le déficit de financement en prévention est problématique et s’arrime à l’actuelle structure de financement du système, qui encourage le placement des enfants.

Passer à une approche axée sur la prévention nécessitera des investissements accrus et une modification de la structure de financement, qui donnera aux agences la possibilité d’attribuer les ressources selon les besoins de la communauté. Pour estimer les coûts d’une augmentation du financement de la prévention pour les agences de SEFPN, nous avons établ[i] les niveaux de référence des dépenses actuelles en matière de prévention et défini une fourchette d’investissements en prévention par habitant, soit 800 $, 2 000 $ et 2 500 $.

Les coûts par habitant sont basés sur les services de prévention actuels et les dépenses réelles décrites dans les études de cas ci‑dessous. Les estimations des coûts de prévention reposent sur l’hypothèse voulant que la prévention devrait cibler l’ensemble de la population de la zone desservie par l’agence, et non pas uniquement la population d’enfants couverte.

[132] De plus, comme il est défini dans la décision sur requête 2021 TCDP 12, les collectivités qui ne bénéficient pas des services d’un organisme sont également visées par les ordonnances antérieures du Tribunal. La formation convient qu’elles devraient également bénéficier de l’augmentation du financement continu pour la prévention envisagée par la huitième ordonnance demandée. Comme il est expliqué ci‑dessus, cela profitera grandement à ces collectivités.

[133] Les parties ont réussi à démontrer la nécessité de la septième ordonnance demandée, dans sa version modifiée, et de la huitième ordonnance demandée. La formation accepte ces deux ordonnances demandées et estime qu’elles sont justifiées et étayées par la preuve. De plus, le Tribunal a compétence pour les rendre, comme il sera expliqué ci‑dessous.

(ix) Établissement de la date de fin de l’indemnisation

Neuvième ordonnance demandée. Conformément aux paragraphes 245, 248, 249 et 254 de la décision sur requête 2019 TCDP 39, la date de fin de l’indemnisation pour les enfants des Premières Nations pris en charge et leurs parents ou grands‑parents fournisseurs de soins est fixée au 31 mars 2022.

[134] Dans son affidavit du 4 mars 2022, Mme Blackstock a affirmé ce qui suit :

[traduction]

15. Compte tenu de la force de ces mesures immédiates, qui doivent être mises en œuvre conformément à l’ordonnance sur consentement demandée dans la présente requête à compter du 1er avril 2022, et en supposant qu’il n’y aura pas de perturbation ou de réduction des niveaux actuels de services de prévention en raison de la réduction du financement découlant de la mise en œuvre de ces mesures (les hauts fonctionnaires de SAC m’ont assurée qu’il n’y aurait aucune perturbation ou réduction), je crois que la discrimination sera atténuée à un niveau tel que le 31 mars 2022 pourrait être raisonnablement fixé comme date de fin de l’admissibilité à l’indemnisation dans le cadre du Programme des SEFPN conformément aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal.

[135] Mme Wellman a ajouté ce qui suit dans son affidavit du 7 mars 2022 :

[traduction]

17. Il est devenu évident pour l’APN que certains des engagements que les parties envisageaient dans le contexte des réformes à long terme n’avaient pas à attendre jusqu’en avril 2023 et pouvaient être mis en œuvre. À la demande de l’APN, les parties ont convenu de demander la mise en œuvre dès avril 2022 d’un certain nombre de mesures immédiates au moyen d’une procédure sur consentement devant la présente formation. Ensuite, il était évident que les parties devaient régler certains points en suspens qui préoccupaient la formation avant que l’indemnisation ne puisse être versée.

[…]

19. [l]es parties ont convenu de prendre des mesures immédiates pour remédier à la discrimination continue constatée par la formation tout au long de la présente instance, de demander la modification de l’ordonnance concernant le financement de la prévention rendue par la formation dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 et d’établir une date de fin de l’indemnisation, comme il est envisagé dans la décision sur requête 2019 TCDP 39. Il s’agirait des conditions d’une ordonnance sur consentement.

[136] Compte tenu du consentement du Canada aux ordonnances décrites aux présentes, les parties sont d’avis que le fondement factuel sur lequel repose la décision sur requête 2019 TCDP 39 (la Décision sur l’indemnisation) changera considérablement à compter du 1er avril 2022, en raison de l’augmentation des montants de financement pour la prévention qui seront mis à la disposition des collectivités des Premières Nations. De plus, la résolution des problèmes à ce moment‑ci éliminera les obstacles actuels au processus d’indemnisation et ouvrira la voie au paiement de l’indemnisation.

[137] De plus, Mme Gideon a fait la déclaration suivante dans son affidavit du 4 mars 2022 :

[traduction]

51. [l]’ordonnance fixerait au 31 mars 2022 la date de fin de la période au cours de laquelle le retrait d’un enfant pourrait donner lieu à une demande d’indemnisation. La justification de cette date repose sur les sept mesures décrites ci‑dessus qui entreront en vigueur le 1er avril 2022.

52. Les mesures immédiates prévues dans l’ordonnance comprennent des investissements très importants effectués conformément aux recommandations et aux données probantes des parties et constituent une étape essentielle à l’appui de la transition vers une réforme complète, comme il est indiqué dans l’entente de principe.

[138] Les parties soutiennent que, compte tenu des investissements fondés sur des données probantes qui ont été faits et de l’importance accordée à la prévention de la prise en charge des enfants et au soutien qui leur est offert à la fin de la prise en charge, il est justifié de fixer au 31 mars 2022 la date de fin de l’indemnisation.

[139] De plus, la formation prend note des cas mentionnés ci-dessus où des mesures semblables aux mesures incluses dans les ordonnances sur consentement rendues dans la présente décision sur requête ont été mises en œuvre et ont fait en sorte qu’aucun enfant n’a été pris en charge. Ces exemples de réussite constituent un argument très convaincant en faveur des ordonnances demandées.

[140] De plus, pour les victimes de la discrimination liée au Programme des SEFPN, le Tribunal a déterminé que la période d’admissibilité à l’indemnisation irait du 1er janvier 2006 jusqu’à la date prescrite ou convenue, car la discrimination liée au Programme des SEFPN était continue. Le Tribunal a déterminé qu’une indemnisation devait être versée aux victimes jusqu’au premier en date des événements suivants : a) la conclusion, par le Tribunal, à la lumière des renseignements fournis par les parties et de la preuve, que le retrait inutile des enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité en raison de la discrimination constatée en l’espèce a cessé; b) l’intervention, entre les parties, d’une entente de règlement visant des mesures correctives à long terme; c) le dessaisissement de l’affaire par le Tribunal, après avoir modifié la Décision sur l’indemnisation (par. 245, 248, 249 et 254).

[141] La formation ne conclut pas, dans le cadre de la présente décision sur requête, que la discrimination systémique exposée dans les conclusions du Tribunal a entièrement cessé, même si les ordonnances contenues dans la présente décision sur requête constituent des progrès considérables en vue de l’élimination de la discrimination systémique.

[142] Dans une décision sur requête récente, 2021 TCDP 41, le Tribunal a réitéré certaines de ses conclusions antérieures et a écrit ce qui suit :

[traduction]

[56] Néanmoins, il peut être moins impérieux, pour le Cabinet et le Conseil du Trésor, d’approuver les autorisations s’ils estiment que d’autres programmes peuvent répondre aux besoins. Or à ce jour, bien que des efforts aient été déployés pour recueillir des renseignements, on ne dispose toujours pas de données claires du point de vue de l’élimination du manque de coordination entre les programmes qui a été constaté, et qui a des répercussions sur la prestation des services. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve sur les différents programmes offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations dans les réserves et sur la façon dont chacun répond vraiment à leurs besoins. Autrement dit, le Tribunal ignore s’il existe une étude complète et approfondie de tous les programmes dans les réserves, de la façon dont ils sont interreliés et se recoupent et de la manière dont on s’assure qu’il n’y ait pas de lacunes dans les services offerts aux enfants des Premières Nations. À ce jour, le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les lacunes dans les services offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations qui vivent dans une réserve, ou vivent habituellement dans une réserve, ont toutes été corrigées et prises en compte par d’autres programmes là où les autorisations du Programme des SEFPN excluent certains postes ou imposent un plafond de financement. Le Tribunal soulève ce point pour illustrer que renvoyer à d’autres programmes dans le contexte d’une demande légitime de prestation de services pourrait ne pas représenter une réponse satisfaisante aux ordonnances du Tribunal, comme nous l’expliquerons ci-dessous.

[…]

[58] […] [Le Canada] a été tenu responsable, et s’est vu ordonner de mettre fin à la discrimination, qui perdure tant qu’une réforme à long terme n’est pas mise en œuvre.

[…]

[63] De plus, le Tribunal a ordonné une réforme complète du Programme des SEFPN afin qu’il soit mis fin aux actes discriminatoires constatés dans sa décision, notamment en corrigeant le manque de coordination entre les programmes fédéraux qui entraîne, pour les enfants et les familles des Premières Nations, des interruptions, des retards et des refus de services.

[143] Les éléments de preuve présentés dans la présente requête montrent qu’il reste du travail à faire pour donner suite aux conclusions ci‑dessus.

[144] Toutefois, la formation convient avec les parties que les ordonnances sur consentement rendues dans la présente décision sur requête feront cesser le retrait inutile des enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité en raison de la discrimination constatée dans la présente affaire, étant donné la date de mise en œuvre du 1er avril 2022.

[145] Dès le début, dans la Décision sur le bien‑fondé et par la suite, la formation a axé ses ordonnances sur des services adéquats, adaptés à la culture et fondés sur les besoins, ainsi que sur un financement suffisant, fondé sur des données probantes. La formation a toujours insisté sur la nécessité primordiale de cesser de retirer des enfants de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Dans les cas où le retrait est nécessaire, la formation a insisté sur l’importance de garder les enfants au sein de leurs collectivités et des Nations.

[146] La formation a déjà conclu que le fait de retirer les enfants de leur foyer, de leur famille, de leur collectivité et de leur Nation détruit le tissu social des Nations et amène des conséquences incommensurables, ce qui est contraire à l’édification des Nations.

[147] La formation a également déjà conclu que le manque de services de prévention perpétue le désavantage historique et le legs des pensionnats, comme il a déjà été expliqué dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête subséquentes. Cela incite à retirer les enfants de leurs collectivités, plutôt qu’à aider les collectivités à demeurer unies.

[148] Dans la Décision sur l’indemnisation, la formation a conclu ce qui suit :

[163] […]

Une analyse secondaire des données de l’ECI‑1998 sur les Autochtones a révélé que, même si les enfants autochtones étaient moins susceptibles de faire l’objet d’un signalement aux services de protection de l’enfance en cas de violences physiques ou sexuelles, ils étaient deux fois plus susceptibles d’être victimes de négligence (Blackstock, Trocme et Bennett, 2004). Lorsque les chercheurs ont décortiqué la question de la négligence en tenant compte de divers facteurs sociodémographiques et du mode de fonctionnement des personnes qui s’occupaient des enfants, ils ont constaté que les principaux facteurs de risques favorisant la négligence chez les enfants des Premières Nations étaient la pauvreté, le logement inadéquat, et l’alcoolisme et la toxicomanie (Trocme, Knoke & Blackstock, 2004). Il importe de souligner que deux de ces trois facteurs, soit la pauvreté et le logement inadéquat, sont probablement des facteurs sur lesquels les parents ont peu de prise. Comme ces facteurs de risque échappent à leur contrôle, il est peu probable que ces parents soient en mesure de les éliminer sans investissements sociaux destinés à réduire la pauvreté et à améliorer la situation en matière de logement. Le contrôle limité des parents sur les facteurs de risque peut entraîner une période de placement de leurs enfants plus longue. Cela est particulièrement préoccupant dans les régions où l’on instaure des limites légales quant à la durée de la période pendant laquelle un enfant est pris en charge. Si les parents ne peuvent pas, à eux seuls, faire face aux risques, et que les investissements sociaux sont insuffisants pour réduire les risques, les enfants peuvent leur être retirés de manière permanente. Quant au troisième facteur, l’alcoolisme et la toxicomanie, il appartient jusqu’à un certain point aux individus d’apporter des changements, mais ils doivent, pour ce faire, avoir accès à des services. Dans l’ensemble, les résultats de l’ECI‑1998 indiquent que des investissements ciblés et soutenus dans des services axés sur la négligence, qui tiennent expressément compte de l’alcoolisme et de la toxicomanie, de la pauvreté et du logement inadéquat, auraient probablement des incidences positives sur la sécurité et le bien‑être de ces enfants. […]

[164] […] [L]es enfants et les familles des Premières Nations sont lésés et pénalisés parce qu’ils sont pauvres et mal logés. Or, il s’agit là de facteurs sur lesquels les parents ont peu ou pas de contrôle.

(Caractères gras omis.)

[149] Les conclusions ci‑dessus démontrent la nécessité d’offrir des services de prévention culturellement adaptés et sécuritaires qui tiennent compte des facteurs clés qui favorisent la prise en charge des enfants des Premières Nations et la nécessité d’offrir des services de prévention adéquatement financés et durables qui sont adaptés aux besoins distincts des enfants, des familles et des collectivités des Premières Nations.

[150] Il est possible de mettre fin au retrait massif d’enfants en prenant des mesures pour passer véritablement des services réactifs, qui mènent à la prise en charge des enfants, à des services préventifs, surtout lorsque les services de prévention sont élaborés et fournis par les collectivités des Premières Nations respectives des enfants. Les éléments de preuve fournis par les parties démontrent que ce changement sera rendu possible par la mise en œuvre, le 1er avril 2022, d’un financement accru pour la prévention à l’intention des Premières Nations et des fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations partout au Canada.

[151] Enfin, les ordonnances sur consentement dont il est question ci‑dessus sont conformes aux conclusions et aux ordonnances de la formation. La formation est d’avis que la mise en œuvre complète et rapide de ces ordonnances améliorera considérablement la vie des enfants, des familles et des collectivités des Premières Nations.

[152] Comme il sera expliqué dans la section suivante, le Tribunal a compétence pour rendre cette ordonnance.

IV. Cadre juridique

[153] Dans le contexte de l’examen de son pouvoir de rendre les ordonnances demandées, le Tribunal s’appuie sur les éléments suivants :

l’ordonnance du 26 janvier 2016 du Tribunal (2016 TCDP 2 [Décision sur le bien‑fondé]) enjoignant au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires et de réformer le Programme des SEFPN dans le but de refléter les conclusions tirées dans cette décision;

l’ordonnance du 26 avril 2016 du Tribunal (2016 TCDP 10) enjoignant au Canada de prendre immédiatement des mesures pour donner suite aux conclusions tirées dans sa décision du 26 janvier 2016;

l’ordonnance du 14 septembre 2016 du Tribunal (2016 TCDP 16) enjoignant au Canada de mettre à jour ses politiques, ses procédures et ses ententes pour se conformer aux conclusions tirées par le Tribunal dans la décision du 26 janvier 2016;

le fait que le Tribunal était conscient, lorsqu’il a prononcé l’ordonnance du 14 septembre 2016 (2016 TCDP 16), que la réforme par le Canada des politiques, des procédures et des ententes, pour se conformer aux conclusions tirées par le Tribunal dans sa décision du 26 janvier 2016, serait menée à plus long terme, et que certaines mesures provisoires seraient mises en place entre-temps;

les principes applicables aux réparations immédiates, qui sont établies dans l’ordonnance du 4 février 2018 du Tribunal (2018 TCDP 4);

toutes les autres décisions sur requête rendues par la formation dans la présente affaire.

[154] Compte tenu de ce qui précède et conformément aux conclusions détaillées du Tribunal dans la Décision sur le bien‑fondé, lesquelles portaient notamment sur d’autres ententes provinciales/territoriales connexes et d’autres méthodes de financement, à toutes les décisions sur requête subséquentes et à l’approche du Tribunal en matière de réparation, et en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la formation estime avoir compétence pour accorder les ordonnances sur consentement demandées par l’APN, la Société de soutien et le Canada et acceptées par Chiefs of Ontario, la Nation Nishnawbe Aski, la Commission et Amnistie internationale, comme il sera expliqué ci‑dessous.

[155] La formation a déjà examiné la responsabilité qu’a le Canada de remédier aux actes discriminatoires en question dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[215] Dans sa Décision [sur le bien‑fondé] et ses décisions sur requête, la formation a conclu que le Canada était responsable du financement des coûts liés à la prestation de services de bien‑être à la famille et à l’enfance aux Premières Nations vivant dans les réserves. Elle a conclu que cette responsabilité comprenait le financement des coûts de la prestation de services aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves de manière équitable par rapport aux services fournis aux enfants non autochtones au Canada. De plus, ces services se doivent d’être culturellement appropriés et doivent viser l’atteinte du principe de l’égalité réelle. La formation a conclu que le Canada fournissait le financement sur la base de calculs erronés et inadéquats ce qui donnait lieu à un financement insuffisant (un sous‑financement) pour fournir les services ainsi que pour répondre aux besoins des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves. Elle a conclu que le Canada ne finançait pas suffisamment les services. Les parties requérantes demandent maintenant que l’on paie les coûts réels des services, à titre de mesure de réparation immédiate. La formation a tranché que le Canada savait qu’il ne finançait pas suffisamment les services et que le sous‑financement des services de prévention, en particulier, créait une incitation abusive à retirer de leurs foyers et de leurs familles, un trop grand nombre d’enfants des Premières Nations, vivant dans les réserves. Parallèlement, le Canada finançait entièrement les coûts réels des dépenses de retraits et placement, de garde et d’entretien des enfants autochtones. La formation a tranché que le sous‑financement des services était l’une des pratiques discriminatoires auxquelles se livrait le Canada dans la présente affaire, et que ce dernier devait prendre des mesures immédiates pour éliminer ce sous‑financement discriminatoire et réformer entièrement le Programme à long terme.

[216] Le Canada a souscrit à la Décision [sur le bien‑fondé] et aux décisions sur requête du Tribunal selon lesquelles il fait preuve de discrimination à l’endroit des enfants des Premières Nations en sous‑finançant les services. De plus, le Canada concède qu’il est nécessaire, à la fois, qu’il prenne des mesures immédiates et qu’il procède à une réforme à long terme, en vue d’éliminer le sous‑financement discriminatoire des services destinés aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves.

[217] Toutes les parties conviennent que lorsque la plainte est jugée fondée e[t] qu’une ordonnance de cesser la pratique discriminatoire est rendue, les pouvoirs de réparation du Tribunal doivent être interprétés de manière large et libérale pour donner plein effet aux objectifs de la LCDP[,] soi[t] l’élimination de la discrimination. Ceci vise notamment à prévenir la récurrence des pratiques discriminatoires.

[156] De plus, la formation a fait remarquer ce qui suit dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[387] Il a fallu des années avant que les enfants des Premières Nations obtiennent justice. La discrimination a été prouvée. La justice inclut des mesures de réparation concrètes. Le Canada doit certainement le comprendre. La formation ne peut pas simplement rendre des ordonnances définitives et clore le dossier. Elle a déterminé qu’il était nécessaire de recourir à une approche progressive à l’égard des mesures de réparation afin de s’assurer que l’on allouait premièrement des mesures de réparation à court terme et, ensuite, des mesures de réparation à long terme, ainsi qu’une réforme complète d[u] programme qui prend nettement plus de temps à mettre en œuvre. La formation a reconnu que si le Canada prenait cinq ans ou plus pour réformer le Programme, il y avait donc un besoin crucial de remédier à la discrimination immédiatement, de la manière la plus concrète possible, avec les éléments de preuve dont on dispose jusqu’à présent.

[157] Dans la décision 2016 TCDP 10, la formation a également noté ce qui suit :

[15] […] [É]laborer des redressements efficaces et utiles pour résoudre un différend complexe, comme c’est le cas en l’espèce, est une tâche délicate. En effet, comme la Cour fédérale du Canada l’a affirmé dans Grover c. Conseil national de recherches du Canada (1994), 1994 CanLII 18476 (CF), 24 CHRR D/390 (C.F.) au par. 40 [Grover], [TRADUCTION] « une telle tâche demande de l’innovation et de la souplesse de la part du Tribunal dans l’élaboration de mesures de redressement efficaces, et la Loi est structurée de manière à favoriser cette souplesse ».

[16] Mis à part les ordonnances d’indemnisation, cette souplesse dans l’élaboration de mesures de redressement efficaces trouve sa source principalement dans les alinéas 52(2)a) et b) de la LCDP. Ces dispositions confèrent au Tribunal le pouvoir d’ordonner des mesures pour mettre fin à l’acte discriminatoire ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables [voir l’al. 53(2)a)] et d’ordonner que soient accordés à la victime d’un acte discriminatoire les droits, chances ou avantages dont l’acte discriminatoire l’a privée [voir l’al. 53(2)b)].

[158] Dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a présenté l’approche qu’elle adopte quand une plainte est fondée :

[468] Comme le Tribunal juge la plainte fondée, il peut rendre une ordonnance contre AADNC en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP. Le prononcé d’une ordonnance en vertu du paragraphe 53(2) ne vise pas à punir AADNC, mais à supprimer la discrimination (Robichaud, par. 13). Pour y parvenir, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation sur une base rationnelle, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, par. 37). En d’autres termes, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation de manière raisonnable, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et en tenant compte de la preuve présentée (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, par. 50).

[469] Il est également important de rappeler que la LCDP consacre des droits qui revêtent une importance primordiale. Ces droits doivent être pleinement reconnus et mis en œuvre par le biais de la Loi. Lorsqu’il s’agit d’élaborer des réparations sous le régime de la LCDP, il convient d’interpréter les pouvoirs qui sont conférés au Tribunal en vertu du paragraphe 53(2) de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation des objets de la Loi. Lorsqu’on applique une méthode d’interprétation téléologique, les réparations prévues par la LCDP devraient promouvoir efficacement le droit à protéger et défendre utilement les droits et libertés de la victime de l’acte discriminatoire (CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114, p. 1134; et Doucet‑Boudreau, par. 25 et 55).

[159] La formation s’est aussi penchée sur ses pouvoirs de réparation dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[31] Dans la décision 2016 TCDP 10 (par. 10 à 19), qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire, la formation a fait un survol des pouvoirs de réparation vastes et souples du Tribunal.

[32] Pour rendre ses ordonnances, le Tribunal ne cherche pas à usurper les pouvoirs d’autres branches du gouvernement. Il agit sous le régime de sa loi habilitante, qui lui permet de traiter de pratiques discriminatoires antérieures et d’éviter toute récidive. C’est ce qui est prévu dans la Loi, à l’alinéa 53(2)a), où il est écrit qu’il est possible d’ordonner à la personne « de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables […] ».

(Caractères gras et italiques omis.)

[160] Comme on peut le lire au paragraphe 40 de la décision sur requête 2018 TCDP 4, « [d]ans la [Décision sur le bien-fondé], le Tribunal a tiré des conclusions exhaustives et a motivé de manière très détaillée de quelle façon [il] était arriv[é] à ces dernières ». Ces conclusions démontrent, comme il est mentionné dans la Décision sur le bien‑fondé, que « [l]a conception, la gestion et le contrôle du Programme des SEFPN par AADNC, ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves » (Décision sur le bien‑fondé, par. 458). Le Tribunal a aussi conclu que « [l]’absence de coordination du Programme des SEFPN et des autres ententes provinciales/territoriales connexes avec d’autres ministères et d’autres programmes et services du gouvernement destinés aux Premières Nations dans les réserves, a entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations » (2016 TCDP 2, par. 458). Plus tard, « [l]a formation a expressément mentionné qu’une réforme devait traiter des conclusions tirées dans la Décision [sur le bien‑fondé]. Il est question en l’espèce de sous‑financement, de politiques, d’autorisations et du Programme national qui, a‑t‑il été conclu, étaient discriminatoires » (voir la décision 2018 TCDP 4, par. 40). La longue Décision sur le bien‑fondé fait autorité en l’espèce. Les conclusions susmentionnées figurent dans cette décision et ne seront pas reproduites ici. Le Tribunal donne l’aperçu qui précède afin de justifier qu’il a compétence pour rendre les ordonnances sur consentement demandées, puisque leur objet fait partie de la preuve et des conclusions tirées dans la présente instance.

[161] De plus, la formation a indiqué ce qui suit dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[34] L’article 53(2)a) de la LCDP confère au Tribunal la compétence de rendre une ordonnance « de ne pas faire ». Par ailleurs, si le Tribunal estime qu’il convient de le faire pour éviter qu’une pratique identique ou semblable survienne dans l’avenir, il peut ordonner certaines mesures, dont l’adoption de programmes, de plans ou d’arrangements spéciaux mentionnés à l’article 16(1) de la LCDP (voir National Capital Alliance on Race Relations (NCARR) c. Canada (Department of Health & Welfare) T.D.3/97, aux p. 30 et 31). Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la portée de cette compétence.

[162] Par la suite, la formation a souligné ce qui suit :

[51] En fait, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 (CanLII), la Cour suprême a aussi prescrit que les tribunaux des droits de la personne doivent veiller à ce que leurs réparations soient efficaces, originales s’il le faut, et qu’elles répondent à la nature fondamentale des droits en question[.]

[163] Puis :

[53] La formation peut juger nécessaire de rendre d’autres ordonnances […] Il serait inéquitable que les plaignants, la Commission et les parties intéressées, qui ont eu gain de cause dans le cas de la présente plainte, après de nombreuses années et des instances différentes, aient à déposer une autre plainte pour obtenir la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal et la réforme du système de bien‑être à l’enfance des Premières Nations.

[164] La formation a également affirmé ce qui suit dans la décision sur requête 2018 CHRT 4 :

[50] En conservant sa compétence, la formation évalue si le Canada remédie à la discrimination de manière appropriée et efficace sans répéter les erreurs du passé.

[165] Dans les décisions McKinnon v. Ontario (Ministry of Correctional Services), [1998] OHRBID No 10, 1998 CanLII 29849 (TDP Ont.), 32 CHHR D/1 et [2002] OHRBID No 22, confirmées en appel (voir Ontario v. McKinnon, 2004 CanLII 47147 (C.A. Ont.)), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a suivi une approche semblable à l’égard de la réparation, qui était éclairée par les faits particuliers de l’affaire. Le Tribunal s’est fondé sur cette affaire dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 (voir par. 24 et 388). Le Tribunal a statué qu’« [à] l’instar de ce qui a été fait dans l’affaire McKinnon, il peut être nécessaire de demeurer saisi de l’affaire afin de s’assurer que la discrimination a été éliminée et que les mentalités ont aussi changé. Cette affaire a été réglée en fin de compte après une période de dix ans. La formation espère que ce ne sera pas le cas ici » (2018 TCDP 4, au par. 388). Bien que cette déclaration du Tribunal date de 2018, il convient de souligner que, le mois prochain, il se sera écoulé dix ans depuis que la Cour fédérale a annulé la décision de l’ancien président dans la présente affaire et ordonné à une autre formation de trancher l’affaire. C’est à ce moment‑là que Sophie Marchildon, Edward P. Lustig et Réjean Bélanger ont été saisis pour la première fois de l’affaire.

[166] Dans une décision récente, Ontario v. Association of Ontario Midwives, 2020 ONSC 2839, la Cour divisionnaire de l’Ontario a mentionné la présente affaire et s’est prononcée sur le suivi et la mise à jour des politiques, des programmes et des modèles de financement dans les affaires de nature systémique pour assurer l’égalité réelle :

[traduction]

[189] Les conclusions tirées par le Tribunal à cet égard sont raisonnables. En fait, elles sont conformes à la décision rendue par la CSC dans l’arrêt Moore et à celle rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Société de soutien, soit deux affaires portant sur la discrimination systémique dans les politiques de financement du gouvernement. Il ressort clairement des décisions Moore et Société de soutien que les gouvernements ont l’obligation, en matière de droits de la personne, d’empêcher la discrimination de manière proactive, notamment en s’assurant que leurs politiques, programmes et modèles de financement sont fondés dès le départ sur une analyse de l’égalité réelle et qu’ils font régulièrement l’objet de suivis et de mises à jour. Ces décisions sont tout à fait incompatibles avec la position du ministère de la Santé selon laquelle il peut attendre, avant d’agir, que les sages‑femmes – qui exercent une profession profondément ségrégée selon le sexe et particulièrement sujette à la discrimination systémique fondée sur le sexe en ce qui concerne la rémunération – aient prouvé que sa conduite constitue de la discrimination fondée sur le sexe.

(Notes en bas de page omises.)

[167] Récemment, dans le cadre d’un contrôle judiciaire demandé par le Canada dans la présente affaire, la Cour fédérale, dans la décision Canada (Procureur général) c. Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2021 CF 969, a rejeté tous les arguments du Canada et formulé des commentaires importants sur l’approche du Tribunal en matière de réparation dans la présente affaire :

[135] Le fait que le Tribunal soit resté saisi de cette affaire lui a permis de favoriser le dialogue entre les parties. La Commission affirme que la doctrine faisant autorité dans ce domaine favorise l’utilisation d’une approche dialogique dans les cas de discrimination systémique impliquant des défendeurs issus du gouvernement (Gwen Brodsky, Shelagh Day & Frances M Kelly, « The Authority of Human Rights Tribunals to Grant Systemic Remedies », (2017) 6:1 Can J of Human Rights 1). La Commission a qualifié cette approche d’audacieuse compte tenu de la nature de la plainte et de la complexité de la procédure.

[136] L’approche dialogique contribue à l’objectif de réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne. Elle donne aux parties la possibilité de faire des commentaires, de demander des directives supplémentaires au Tribunal si nécessaire, et d’accéder à l’information sur les efforts du Canada pour se conformer aux décisions. Comme je l’explique plus loin dans mon analyse de la décision sur l’admissibilité, cette approche a permis au Tribunal d’établir des paramètres concernant ce qu’il est en mesure d’examiner en fonction de la compétence que lui accorde la LCDP, de la plainte et de sa compétence en matière de réparation.

[137] La Commission affirme que l’approche dialogique a été adoptée pour la première fois dans la présente instance en 2016 et qu’elle a été confirmée à plusieurs reprises depuis lors. Elle soutient que l’application de l’approche dialogique est pertinente quant à l’examen du caractère raisonnable, dans la mesure où le Canada n’a pas demandé le contrôle judiciaire de ces décisions antérieures.

[138] Je souscris à la référence faite par le Tribunal à la décision Canada (Procureur général) c Grover (1994), 1994 CanLII 18476, 24 CHRR 390 [Grover], où la tâche de déterminer des mesures de réparation « efficaces » a été caractérisée comme exigeant « de l’innovation et de la souplesse de la part du Tribunal […] » (2016 TCDP 10, au para 15). En outre, je conviens que « la [LCDP] est structurée de manière à favoriser cette souplesse » (2016 TCDP 10, au para 15). À l’occasion de l’affaire Grover, la Cour a déclaré que la souplesse est nécessaire parce que le Tribunal a une mission légale difficile à remplir (au para 40). L’approche de Grover, à mon avis, soutient le fondement de l’approche dialogique. Cette approche a également permis aux parties de se pencher sur des questions clés sur la façon de traiter la discrimination, comme l’a souligné mon résumé dans la section sur l’historique de la procédure.

[…]

[162] Je rejette la qualification du demandeur des décisions ultérieures à la décision sur le fond, à savoir une [traduction] « série de procédures sans fin ». Les procédures subséquentes reflètent plutôt la façon dont le Tribunal a géré la procédure en utilisant l’approche dialogique. Le Tribunal a cherché à favoriser la négociation et les solutions pratiques pour mettre en œuvre son ordonnance et à reconnaître pleinement les droits de la personne. De plus, une partie importante des procédures qui ont suivi la décision sur le fond résultait de requêtes visant à garantir la conformité du Canada aux diverses ordonnances et décisions du Tribunal.

[…]

[281] Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai conclu que le Tribunal n’a pas modifié la nature de la plainte à l’étape de la réparation. Le Tribunal, exerçant une vaste compétence en matière de réparation aux termes de la LCDP, une loi quasi constitutionnelle, a donné une explication détaillée dans chaque décision de ce qui s’était produit précédemment et de ce qui se produirait ensuite (voir, par exemple, 2016 TCDP 16, au para 161). Ce faisant, il s’appuyait sur une approche dialogique. Une telle approche était nécessaire compte tenu de l’ampleur de la discrimination et des efforts pertinents pour y remédier ou prévenir toute discrimination future. Plus important encore, le Tribunal s’est appuyé sur des principes juridiques établis, exposés dans l’arrêt Chopra c Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 37, et Hughes 2010, au paragraphe 50 (décision sur le fond, aux para 468 et 483). Je rejette l’argument selon lequel le Tribunal n’a pas informé les parties quant aux questions à trancher.

[…]

[301] À mon avis, l’historique de la procédure en l’espèce a démontré qu’il y a, et qu’il y a eu, une bonne volonté qui a donné lieu à des mouvements considérables pour remédier à cette discrimination sans précédent. Cependant, le bon travail des parties n’est pas terminé. Elles doivent décider si elles continueront à s’asseoir au bord du chemin ou si elles iront de l’avant dans cet esprit de réconciliation.

[302] Je conclus que le demandeur n’a pas réussi à établir que la décision sur l’indemnisation est déraisonnable. Le Tribunal, en utilisant l’approche dialogique, a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire au titre de la LCDP pour traiter un cas complexe de discrimination afin de s’assurer que toutes les questions ont été suffisamment discutées et que la question de l’indemnisation a été discutée par étapes. Le Tribunal a veillé à ce que le lien avec la plainte, tel que mentionné dans la décision sur le fond, soit discuté tout au long des phases de réparation. Rien n’a changé. Tout cela s’est déroulé conformément aux vastes pouvoirs dont dispose le Tribunal au titre de la LCDP.

[168] De plus, ces décisions suivent l’approche initialement adoptée par la formation en matière de réparation dans ses décisions sur requête précédentes.

[169] Les pouvoirs du Tribunal de rendre les ordonnances demandées sont fondés sur le paragraphe 53(2) de la LCDP, les paragraphes 1(6), 3(1) et 3(2) des Règles de procédure sous le régime de la LCDP (applicables aux plaintes renvoyées avant le 11 juillet 2021), la compétence implicite du Tribunal de contrôler sa propre procédure et l’approche adoptée dans la présente instance, qui est décrite ci‑dessus.

V. Observations finales

[170] La formation considère la présente affaire comme un catalyseur de changement pour les services offerts aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations, rendu possible par le travail inlassable des parties, en particulier des parties des Premières Nations qui n’ont jamais baissé les bras. La formation honore leur courage et leur détermination. La formation espère que la réforme et les réels changements qui caractériseront la véritable justice ne tarderont plus et que les problèmes qui pourraient survenir à l’avenir seront réglés rapidement.

VI. Observations de la présidente de la formation

[171] La vérité est nécessaire à la réconciliation. Il ne peut donc y avoir de véritable justice sans vérité. Bien que la voie tracée par les efforts concertés des parties suscite un réel espoir, la route jusqu’à maintenant a été marquée par la discrimination systémique envers les peuples des Premières Nations. La vérité exige la franchise pour éviter que l’histoire se répète. Il est très important d’examiner le passé pour changer les mentalités et les façons de faire à la lumière de toute la vérité. L’objectif réel est de changer les mentalités et les façons de faire afin de créer une véritable vague de changement donnant naissance à une justice transformatrice et à un changement durable. C’est le moins qu’on puisse faire pour honorer les enfants et les membres de leur famille qui ont subi des préjudices et ceux qui ont perdu la vie.

VII. Ordonnances

[172] Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne ce qui suit :

  1. La réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN ») doit refléter une approche budgétaire axée sur le rendement, qui tient compte des indicateurs du bien‑être définis dans le cadre Mesurer pour s’épanouir de l’Institut des finances publiques et de la démocratie (« IFPD »).
  2. Le Canada doit financer, sur la base des coûts réels, les soins après l’âge de la majorité pour les jeunes de toutes les provinces et de tous les territoires qui cessent ou qui ont cessé d’être pris en charge en raison de leur âge, et ce, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 25 ans inclusivement (les « soins après l’âge de la majorité »). Ce financement doit être accessible dans le cadre du processus d’entretien et de protection, qui est remboursé sur la base des coûts réels au fournisseur autorisé des Premières Nations offrant des soins après l’âge de la majorité, et doit être disponible jusqu’au 31 mars 2023. Après cette date, le financement des soins après l’âge de la majorité sera offert par l’intermédiaire des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN réformé, et ce, d’une manière fondée sur les données probantes et convenue par les parties.
  3. Compte tenu de l’engagement du Canada à l’égard de la non‑discrimination et de l’égalité réelle, le Canada doit évaluer les ressources nécessaires pour fournir de l’aide aux familles ou aux jeunes adultes, en vue de déterminer les services de soutien nécessaires pour les bénéficiaires du principe de Jordan qui ont des besoins élevés après l’âge de la majorité (au sens de la loi applicable des Premières Nations, de la province ou du territoire visé). Le Canada doit consulter les parties dans les soixante (60) jours suivant l’ordonnance pour discuter de la portée et de l’ampleur de ces mesures de soutien à la transition et de la façon dont cette capacité de financement peut être intégrée à la réforme à long terme du principe de Jordan.
  1. Le Canada doit financer les recherches suivantes par l’intermédiaire de l’IFPD :

    1. la proposition de la phase 3 de l’IFPD (y compris l’étape 5) : mise en œuvre d’une approche axée sur le bien‑être pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations au moyen d’une budgétisation axée sur le rendement, en date du 22 juillet 2021;

    2. l’évaluation de l’IFPD concernant les besoins réels des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme afin de cerner leurs besoins en matière de prévention et d’activités et de trouver des solutions aux lacunes qui doivent être comblées dans le cadre d’une réforme à long terme (l’« évaluation des besoins des Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme »);

    3. l’évaluation de l’IFPD concernant les données disponibles sur le recours au principe de Jordan pour éclairer une évaluation des coûts futurs de la mise en œuvre, par le Canada, de la réforme du principe de Jordan et du programme des SEFPN (l’« évaluation des besoins en données liées au principe de Jordan »);

    4. une fois l’évaluation des données liées au principe de Jordan terminée, l’évaluation de l’IFPD concernant les besoins liés à l’approche de financement à long terme du principe de Jordan, notamment en ce qui a trait à la définition et à l’élimination des lacunes en matière d’égalité formelle, conformément aux décisions du Tribunal, y compris la décision 2016 TCDP 2 et les décisions sur requête 2017 TCDP 35, 2020 TCDP 20 et 2020 TCDP 36 (la « recherche sur l’approche de financement à long terme du principe de Jordan »).

* La présente ordonnance ne modifie aucune ordonnance d’égalité réelle rendue par le Tribunal en l’espèce.

  1. Le Canada doit répondre à toutes les demandes de données de l’IFPD dans un délai de dix (10) jours ouvrables ou proposer un autre délai raisonnable pour assurer la protection des renseignements personnels.

  2. Le Canada doit consulter les parties et offrir une formation obligatoire sur la compétence culturelle et les engagements en matière de rendement aux employés de Services aux Autochtones Canada. Le Canada doit également collaborer avec les parties à la mise sur pied d’un comité consultatif d’experts dans les soixante (60) jours suivant la présente ordonnance afin d’élaborer et de surveiller la mise en œuvre d’un plan de travail fondé sur des données probantes pour éviter que la discrimination se reproduise. Le Canada doit prendre des mesures raisonnables pour commencer à mettre en œuvre le plan de travail.

  1. Conformément au point 3 du paragraphe 413 de la décision sur requête 2018 TCDP 4, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[421.1] À titre de modification des paragraphes 410, 411, 420 et 421, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans les réserves et au Yukon, dans le cadre du financement total de la prévention avant la réforme complète des ententes, des procédures, des politiques et des formules de financement du Programme des SEFPN. Le Canada doit financer la somme de 2 500 $ de façon continue et la rajuster annuellement en fonction de l’inflation et de la population, jusqu’à ce que le Programme des SEFPN réformé soit entièrement mis en œuvre. Ce montant servira de point de référence pour le volet de prévention du Programme des SEFPN réformé, conformément au paragraphe 1 de l’ordonnance sur consentement. Une souplesse à l’égard de la mise en œuvre sera offerte aux gouvernements des Premières Nations et aux organismes des SEFPN qui ne seront pas prêts à la date de début et qui auront besoin de plus de temps en raison de circonstances exceptionnelles, qui seront définies en collaboration avec les parties. Les fonds seront versés aux Premières Nations ou aux fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations responsables de la prestation des services de prévention. Ces fonds pourront être reportés par les Premières Nations ou les fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

  1. Conformément au point 5 du paragraphe 42 de la décision sur requête 2021 TCDP 12, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42.1] À titre de modification du point 1 du paragraphe 42, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices pour les Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme (au sens de la décision sur requête 2021 TCDP 12) à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans une réserve et au Yukon, aux mêmes conditions que celles décrites au paragraphe 421.1 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 en ce qui concerne les organismes des SEFPN.

  1. Conformément aux paragraphes 245, 248, 249 et 254 de la décision sur requête 2019 TCDP 39, la date de fin de l’indemnisation pour les enfants des Premières Nations pris en charge et leurs parents ou grands‑parents fournisseurs de soins est fixée au 31 mars 2022.

[173] Les modifications apportées aux décisions sur requête 2018 TCDP 4 et 2021 TCDP 12 entrent en vigueur dès aujourd’hui. Les nouveaux paragraphes seront ajoutés aux décisions sur requête en temps opportun.

[174] Les ordonnances ci‑dessus ne modifient aucune autre ordonnance ou décision rendue par le Tribunal dans le cadre de la présente instance.

VIII. Maintien de la compétence

[175] En attendant qu’une entente complète et définitive sur les mesures de réparation à long terme soit conclue, sur consentement ou autrement, et conformément à l’approche en matière de réparation qui a été adoptée en l’espèce et mentionnée ci-dessus, la formation conserve sa compétence sur les ordonnances sur consentement contenues dans la présente décision sur requête. La formation réexaminera la question du maintien de sa compétence quand les parties auront déposé une entente complète et définitive sur les mesures de réparation à long terme ou quand la formation le jugera approprié compte tenu de l’évolution de l’affaire.

[176] Cela n’a aucune incidence sur le maintien de la compétence de la formation à l’égard de toute autre question soulevée ou de toute autre ordonnance rendue dans la présente affaire. La formation conserve sa compétence sur toutes ses décisions sur requête et ses ordonnances pour s’assurer que celles-ci sont mises en œuvre efficacement et que la discrimination systémique est éliminée.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 24 mars 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 24 mars 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

David Taylor et Sarah Clarke , pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Stuart Wuttke, Julie McGregor et Adam Williamson , pour l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Jessica Walsh et Ansumala Juyal, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christopher Rupar, Peter Nostbakken, Meg Jones, Jonathan Tarlton, Patricia MacPhee et Kelly Peck , pour l'intimé

Maggie Wente et Krista Nerland pour Chiefs of Ontario, la partie intéressée

Julian Falconer, Asha James et Amanda Micallef, pour la Nation Nishnawbe Aski, la partie intéressée

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