Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 11

Date : le 7 avril 2022

Numéros des dossiers : T2636/1221, T2635/1121, T2637/1321

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

SM, SV et JR

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Paul Singh

 

 



I. Contexte

[1] Les plaignants, SM, SV et JR, qui sont d’origine sud-asiatique et déclarent appartenir à une minorité visible, sont des policiers au service de l’intimée, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Leurs plaintes portent sur le défaut de la GRC de leur accorder des promotions lorsqu’ils travaillaient au sein d’une unité de la GRC (l’« unité ») à Toronto, en Ontario, et sur le racisme systémique dont l’intimée aurait fait preuve dans les processus de promotion en général au sein de l’unité. Cette situation, soutiennent-ils, constitue de la discrimination fondée sur la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la race ou la religion, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).

[2] La GRC nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard des plaignants au cours des processus de promotion en question, ou à tout autre moment, et elle nie l’existence de toute politique ou pratique systémique visant à priver de possibilités d’avancement les plaignants ou tout autre membre de l’unité déclarant appartenir à une minorité visible.

[3] En octobre 2021, le Tribunal a rendu l’ordonnance de confidentialité demandée par la GRC, par requête, notamment en vue de garder confidentiels les noms des plaignants et de l’unité ainsi que la nature des opérations menées par l’unité (SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35).

[4] En février 2022, les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ont chacun déposé une requête en divulgation contre la GRC.

[5] Les plaignants demandent la communication des documents suivants :

(a) l’ensemble des données brutes sous-jacentes aux examens de la gestion de l’unité de 2014 et 2019, y compris tous les résultats des enquêtes et les notes d’entrevue des membres de l’unité;

(b) des copies de tous les documents et de toutes les pièces mentionnés dans un rapport produit par la GRC et intitulé A Review of [Unit] Promotions, 2015-2020.

[6] Outre les deux catégories de documents susmentionnés, la Commission souhaite la communication des documents et renseignements suivants :

(a) la date à laquelle la formation a été donnée à l’aide du matériel de formation produit par la GRC et intitulé National Promotion Rationale Training Power Point Presentation;

(b) les documents relatifs à une initiative intitulée Equitable Promotion Process  Blind Promotion Process se rapportant à l’unité.

[7] La GRC accepte de divulguer la date à laquelle la formation a été donnée, mais s’oppose au reste des requêtes en divulgation.

[8] Bien que je ne les cite pas tous dans ma décision, j’ai examiné tous les renseignements présentés dans le cadre de ces requêtes. Aux fins de la présente affaire, je ne procéderai pas à un exposé complet des positions des parties, mais je présenterai celles qui sont nécessaires pour en arriver à ma décision.

[9] Pour les motifs qui suivent, les requêtes en divulgation présentées par les plaignants et la Commission sont accueillies aux conditions énoncées ci-après.

II. Cadre juridique

[10] Aux termes du paragraphe 50(1) de la LCDP, toutes les parties qui se présentent devant le Tribunal doivent avoir « la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations ». Les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles ») établissent les obligations de divulgation des parties, qui visent à faire en sorte que toutes les parties aient cette possibilité.

[11] Plus précisément, selon les Règles, toute partie est tenue de déposer et de communiquer, de manière continue au besoin, la liste des documents qu’elle a en sa possession relativement à un fait ou à une question soulevée dans la plainte, ou à une ordonnance sollicitée par une partie, et de communiquer aux autres parties tout document non visé par un privilège de non-divulgation (articles 18 à 24 des Règles).

[12] Les parties doivent divulguer tous les renseignements potentiellement pertinents qui se trouvent en leur possession ou sous leur garde avant l’instruction de l’affaire, à l’exception de ceux à l’égard desquels un privilège est invoqué. La norme de « pertinence potentielle » n’est pas une norme particulièrement élevée : s’il existe un lien logique entre un document et les faits, les questions ou les types de redressement mentionnés par les parties en cause, ce document doit être communiqué. Toutefois, la divulgation de documents sans doute pertinents ne signifie pas nécessairement que ces documents seront admis en preuve ou que, s’ils le sont, on leur accordera une importance significative dans le cadre de l’instruction (Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 9, au par.25).

[13] Malgré le seuil de divulgation peu élevé de la « pertinence potentielle », les renseignements doivent également respecter le principe de la proportionnalité dans les circonstances pour que le Tribunal rende une ordonnance de divulgation. Comme l’a fait remarquer le Tribunal dans la décision Kayreen Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, à propos d’une requête en divulgation :

[7] [...] la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » […]. Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise. Le Tribunal est d’avis que dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence probable des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte [...].

 

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige [...].

III. Analyse

Rapports des examens de la gestion

[14] Les plaignants et la Commission demandent la production de l’ensemble des données brutes sous-jacentes aux examens de la gestion menés par la GRC en 2014 et en 2019 relativement à l’unité et des rapports correspondants, y compris tous les résultats des enquêtes et les notes d’entrevue des membres de l’unité.

[15] Les plaignants affirment que le rapport de 2014 révèle certains problèmes de favoritisme, de harcèlement, de discrimination et une [traduction] « atmosphère de conflit » au sein de l’unité, dont le rapport de 2019 ne fait pas état. Ils soulignent que ces renseignements ont été omis malgré le fait que deux d’entre eux ont soulevé ces mêmes préoccupations dans leurs réponses à l’enquête et aux entrevues dans le cadre de l’examen de 2019.

[16] Les plaignants soutiennent que toutes les données brutes, y compris l’ensemble des résultats des enquêtes et des notes d’entrevue des deux examens, sont pertinentes à l’égard de leurs plaintes, car elles sont nécessaires pour déterminer dans quelle mesure des problèmes tels que le favoritisme, le harcèlement, la discrimination et une [traduction] « atmosphère de conflit » — existaient au sein de l’unité et ont été signalés par les membres de l’unité. Ils font également valoir que ces données brutes sont nécessaires pour déterminer si les auteurs des rapports ont fait abstraction de ces problèmes ou les ont minimisés, et dans l’affirmative, la mesure dans laquelle ils l’ont fait.

[17] La GRC soutient que les parties requérantes n’ont pas expliqué la pertinence potentielle des données brutes par rapport à l’une ou l’autre des questions soulevées dans les plaintes et que, de toute façon, il serait coûteux de produire les documents demandés.

[18] Selon la GRC, les parties requérantes n’ont fourni aucun motif pour contester l’exactitude des conclusions des rapports et se contentent plutôt de conjecturer sur le fait que les rapports pourraient ne pas donner une image exacte de la discrimination alléguée au sein de l’unité. La GRC affirme qu’il n’y a aucune raison d’aller au-delà de ce qui est exposé dans les rapports déjà divulgués.

[19] La GRC fait également valoir que les examens ont été menés pour l’ensemble de l’unité, ce qui comprend les bureaux d’Ottawa et de Toronto. Elle souligne que les questionnaires remplis par les membres de l’unité d’Ottawa ne sont pas pertinents puisque les plaintes se limitent à des allégations de discrimination concernant le bureau de Toronto de l’unité.

[20] La GRC affirme qu’elle acceptera de produire certaines des données brutes qui sous-tendent les deux rapports, plus particulièrement les réponses des membres aux questions de l’enquête dans la section « Employment Satisfaction and Supervision » des rapports concernant la discrimination. Toutefois, la GRC soutient que le reste des données brutes n’est pas pertinent et s’oppose à leur divulgation.

[21] Après avoir examiné les rapports des examens de la gestion de 2014 et 2019 et les observations des parties, je suis convaincu que les données brutes sont potentiellement pertinentes par rapport aux plaintes et que leur divulgation respecte le principe de la proportionnalité dans les circonstances. J’ordonne donc à la GRC de communiquer aux parties, dans un délai de trente jours, toutes les données brutes qui sous-tendent les rapports, y compris tous les résultats des enquêtes et les notes d’entrevue des membres de l’unité. Les motifs de ma décision sont énoncés dans les paragraphes qui suivent.

[22] Premièrement, les parties requérantes devraient avoir l’occasion d’examiner et de contester, le cas échéant, l’interprétation et les conclusions des rapports, ce qu’elles ne peuvent raisonnablement faire que si elles ont accès aux données brutes qui sous-tendent les rapports. À cette fin, les données brutes sont potentiellement pertinentes à l’égard des plaintes, car elles concernent la mesure dans laquelle la direction de l’unité a reconnu (ou a omis de reconnaître) les problèmes de discrimination raciale au sein de l’unité.

[23] Deux des plaignants allèguent avoir soulevé, dans leurs réponses à l’enquête de 2019, des préoccupations en matière de discrimination, qui n’ont pas été signalées dans le rapport de 2019. Dans ces circonstances, les parties devraient avoir la possibilité d’examiner quelles données auraient été perdues, le cas échéant, entre les enquêtes et les rapports.

[24] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu par l’argument de la GRC selon lequel, à l’exception des réponses à l’enquête portant directement sur la discrimination (qu’elle accepte de produire), le reste des données brutes n’est pas pertinent. Le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer quels éléments des données brutes sont pertinents aux fins de la question de la discrimination étant donné que les données n’ont pas été communiquées au Tribunal pour qu’il les examine et que la discrimination peut être soulevée de manière subtile et indirecte.

[25] Par exemple, les plaignants affirment qu’ils ont l’intention d’utiliser les éléments de preuve concernant le « favoritisme » ou l’« atmosphère de conflit » que l’on retrouve dans les rapports pour appuyer leurs allégations de discrimination. Bien que ces enjeux ne soient pas expressément visés par les questions de l’enquête sur la discrimination que la GRC a accepté de produire, la façon dont la direction de l’unité a décrit ces enjeux, ainsi que la connaissance qu’en avait la direction et la manière dont elle y a répondu, sont des éléments potentiellement pertinents à l’égard des plaintes. Par conséquent, bien que ces éléments des données brutes ne se rapportent pas explicitement à la discrimination, ils sont potentiellement pertinents à l’égard des allégations de discrimination systémique des plaignants.

[26] Troisièmement, je ne suis pas convaincu par l’argument de la GRC selon lequel les données brutes sous-tendant rapports ne sont pas pertinentes du fait qu’aucune des parties n’a fourni de motif pour contester l’exactitude des conclusions des rapports. Les plaignants contestent en fait l’exactitude des conclusions des rapports en alléguant que leurs plaintes pour discrimination n’ont pas été consignées dans le rapport de 2019, même s’ils ont soulevé ces préoccupations dans des enquêtes à ce sujet. En tout état de cause, l’argument de la GRC est prématuré puisque les parties requérantes n’ont pas encore reçu les données brutes sur lesquelles elles pourraient s’appuyer pour contester raisonnablement les conclusions des rapports.

[27] Quatrièmement, je ne suis pas convaincu par l’argument de la GRC selon lequel les données brutes du bureau de l’unité à Ottawa ne sont pas pertinentes parce que les allégations des plaignants ne concernent que le bureau de l’unité à Toronto. La GRC ne conteste pas la prétention des plaignants selon laquelle les bureaux de l’unité à Toronto et à Ottawa semblent travailler ensemble et relèvent de la même chaîne de commandement. Dans ces circonstances, les données brutes liées au bureau d’Ottawa peuvent contenir des renseignements applicables au bureau de Toronto et sont donc potentiellement pertinentes.

[28] Enfin, les données brutes qui sous-tendent les rapports portent sur une période déterminée et se rapportent à une unité en particulier et leur divulgation respecte le principe de proportionnalité dans les circonstances. Bien que la GRC soutienne que la production des données brutes sera coûteuse, elle ne présente aucune preuve convaincante pour expliquer en quoi la production des données brutes sera coûteuse ou préjudiciable au point de supplanter sa valeur probante.

[29] Par conséquent, j’ordonne à la GRC de communiquer aux parties, dans un délai de trente jours, toutes les données brutes sous-jacentes aux examens de la gestion de 2014 et de 2019 de l’unité, y compris tous les résultats des enquêtes et les notes d’entrevue des membres de l’unité.

Rapport sur les promotions

[30] Les plaignants et la Commission demandent la divulgation de tous les documents et de toutes les pièces mentionnés dans un rapport produit par la GRC et intitulé A Review of [Unit] Promotions, 2015-2020 (le « rapport sur les promotions »).

[31] On précise dans le rapport que ce dernier a été rédigé dans le but de révéler et d’éliminer les obstacles qui nuisent à l’avancement professionnel des membres de l’unité qui s’identifient comme personnes autochtones, noires ou de couleur.

[32] Voici quelques-unes des principales conclusions du rapport :

(a) Les membres s’identifiant comme des personnes autochtones, noires ou de couleur représentaient 10 % à 16 % de tous les membres réguliers travaillant dans l’unité entre 2015 et 2020. Ces taux sont inférieurs aux données de l’ensemble de la GRC qui indiquent que 18 % à 19 % de tous les membres réguliers s’identifient comme des membres des minorités visibles et des personnes autochtones pour ces années.

(b) Bien que 19 des 25 membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur travaillant au sein de l’unité au cours de la période d’examen aient eu des résultats satisfaisants, seuls quatre d’entre eux ont posé leur candidature en vue d’être promus au sein de l’unité.

(c) Trois des quatre membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur qui ont demandé une promotion avaient fait l’objet d’affectations intérimaires de longue durée dans l’unité.

(d) Ils ont posé leur candidature à six des huit concours de promotion au sein de l’unité organisés entre 2015 et 2020. Un membre s’identifiant comme personne autochtone, noire ou de couleur a été promu.

(e) Les officiers hiérarchiques qui ont sélectionné les candidats retenus dans quatre des six concours auxquels des membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur ont participé ont été désignés eux-mêmes comme faisant partie de ce groupe. Aucun de ces officiers n’a participé au concours qui a mené à la promotion du membre s’identifiant comme personne autochtone, noire ou de couleur.

[33] L’annexe du rapport sur les promotions énumère 20 documents que l’auteur a examinés lors de la préparation du rapport. Il s’agit notamment de documents sur les membres de l’unité s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur et de dossiers de l’unité sur les tentatives de promotion de pareils membres, y compris une liste des membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur qui travaillaient au sein de l’unité de 2015 à 2020; une liste des personnes s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur qui ont présenté leur candidature pour obtenir une promotion aux Affaires spéciales entre 2015 et 2020; des documents concernant les affectations intérimaires de l’unité; des données relatives à plusieurs mesures de dotation au sein de l’unité se rapportant à des membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur.

[34] Les parties requérantes affirment que le rapport sur les promotions traite directement du principal enjeu des plaintes, à savoir la discrimination et le racisme allégués dans les processus de promotion de l’unité. Elles soutiennent que, puisque le rapport sur les promotions est pertinent à l’égard des plaintes, elles devraient pouvoir examiner les documents sources qui sous-tendent le rapport afin d’enquêter sur toute discrimination alléguée à partir d’un dossier de preuve complet. De plus, elles font valoir que les experts engagés par les parties peuvent être appelés à examiner les documents sources afin de se prononcer sur les faits en question, ce qui constitue un autre motif de divulgation.

[35] La GRC affirme que les parties requérantes ne contestent pas l’exactitude des conclusions du rapport sur les promotions et que leur demande visant à obtenir la communication des documents sources est donc une partie de pêche. La GRC ajoute que la demande d’examen des documents sources est une tentative purement conjecturale de miner les conclusions et les constatations du rapport, ce qui ne constitue pas un motif valable pour ordonner la divulgation.

[36] De plus, la GRC soutient que, bien que les plaignants aient déposé des plaintes pour discrimination systémique, ces plaintes n’ont pas une portée suffisamment large pour s’appliquer à tous les membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur. Par conséquent, les plaignants n’ont pas démontré l’existence d’un lien rationnel entre les documents sources et les questions soulevées dans leurs plaintes.

[37] Enfin, la GRC affirme que huit des vingt documents énumérés à l’annexe du rapport sont des documents de l’unité des promotions nationales portant sur diverses mesures de dotation de l’unité, qui sont assujetties à des ententes de confidentialité. Selon la GRC, la divulgation de ces données serait plus préjudiciable que probante, car si ces données sont divulguées, la GRC pourrait devoir demander à l’ensemble des officiers hiérarchiques de justifier leurs recommandations pour chacun des six processus de promotion. La GRC soutient que cette approche pourrait prolonger inutilement l’instruction des plaintes.

[38] Après avoir examiné le rapport sur les promotions et les observations des parties, je suis convaincu que les documents énumérés à l’annexe du rapport sont potentiellement pertinents à l’égard des plaintes et que leur divulgation respecte le principe de la proportionnalité dans les circonstances. Par conséquent, j’ordonne à la GRC de communiquer aux parties, dans un délai de trente jours, tous les documents énumérés à l’annexe du rapport. Les motifs de ma décision sont énoncés dans les paragraphes qui suivent.

[39] Tout d’abord, le rapport sur les promotions est clairement pertinent à l’égard des questions soulevées dans les plaintes, car il traite expressément de la question de la discrimination éventuelle dans les processus de promotion au sein de l’unité. Par conséquent, les documents sources sur lesquels se fondent l’analyse et les conclusions de l’auteur sont aussi potentiellement pertinents à l’égard des plaintes.

[40] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu par l’argument de la GRC selon lequel une demande visant à obtenir des documents sources constitue une partie de pêche, car les parties requérantes n’ont présenté aucune preuve pour contester les conclusions du rapport et les plaintes n’ont pas une portée suffisamment large pour s’appliquer à tous les membres s’identifiant comme personnes autochtones, noires ou de couleur.

[41] Les parties requérantes ne sont pas en mesure de contester raisonnablement la fiabilité du rapport puisqu’elles n’ont pas accès aux documents sources sur lesquels une contestation quelconque pourrait être fondée. Par conséquent, le fait que les parties requérantes n’aient pas contesté les conclusions du rapport à ce stade précoce de l’instance, alors qu’elles n’ont pas encore eu accès aux documents sources, ne constitue pas un motif raisonnable pour leur refuser l’accès à ces documents.

[42] De plus, bien que les plaintes ne visent pas tous les membres s’identifiant comme des personnes autochtones, noires ou de couleur, les conclusions du rapport relatives à un éventuel traitement différent réservé à d’autres personnes autochtones, noires ou de couleur au sein de l’unité restent potentiellement pertinentes à l’égard des allégations de discrimination systémique soulevées par les plaignants.

[43] Troisièmement, je ne suis pas convaincu par l’argument de la GRC selon lequel la divulgation de données confidentielles sur la dotation sera plus préjudiciable que probante parce que la GRC pourrait alors devoir demander inutilement aux officiers hiérarchiques de justifier leurs recommandations pour chacun des six processus de promotion.

[44] La position de la GRC à cet égard est prématurée, car la production des documents sources à ce stade précoce de l’instance ne saurait être déterminante quant à l’importance, le cas échéant, que le Tribunal pourrait accorder à ces documents lors de l’audience, ou quant aux témoins qui pourraient être appelés à témoigner à l’audience. De plus, l’ordonnance de confidentialité qui a déjà été rendue devrait suffire à dissiper toute préoccupation liée à la confidentialité des documents sources.

[45] Enfin, le rapport sur les promotions n’a pour source que vingt documents énumérés à l’annexe du rapport, lesquels respectent le principe de la proportionnalité dans les circonstances. Aucun élément de preuve ne donne à penser que la production de ces documents soit particulièrement coûteuse ou préjudiciable à la GRC au point de supplanter leur valeur probante.

[46] Par conséquent, j’ordonne à la GRC de communiquer aux parties, dans un délai de trente jours, tous les documents énumérés à l’annexe du rapport sur les promotions.

Processus de promotion à l’aveugle

[47] La Commission cherche à obtenir des documents, des politiques et des communications se rapportant à l’initiative de la GRC intitulée Equitable Promotion Process – Blind Promotion Process qui s’appliquent à l’unité.

[48] La GRC s’oppose à la divulgation et soutient que, bien qu’une analyse de rentabilisation de l’initiative ait été transmise à la Fédération de la police nationale dans le cadre du processus de négociation collective, l’initiative n’a pas été mise en œuvre parce qu’il était impossible d’adopter un processus de promotion différent dans l’unité avant la fin du processus de négociation collective. Dans ces circonstances, la GRC affirme que la demande de divulgation des documents relatifs à l’initiative présentée par les parties requérantes n’est pas pertinente.

[49] Toutefois, puisque les documents relatifs à l’examen par la GRC d’une initiative de promotion équitable pour l’unité – qu’elle soit mise en œuvre ou non – ont trait aux principales allégations de discrimination personnelle et systémique dans les processus de promotion de l’unité avancées par les plaignants, ces documents sont potentiellement pertinents à l’égard des plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par ces derniers. Dans ces circonstances, les plaignants devraient se voir accorder une possibilité raisonnable d’examiner le contexte dans lequel s’inscrit l’initiative.

[50] Par ailleurs, la divulgation demandée respecte le principe de la proportionnalité dans les circonstances, car elle est limitée à une initiative distincte et identifiable qui s’applique uniquement à l’unité.

[51] Par conséquent, j’ordonne que la GRC communique aux parties, dans un délai de trente jours, les documents relatifs à l’initiative de la GRC intitulée Equitable Promotion Process – Blind Promotion Process qui s’appliquent à l’unité.

Formation en matière de promotion

[52] La Commission demande la divulgation de la date à laquelle la formation de la GRC a été donnée à l’aide du matériel de formation produit par la GRC et intitulé National Promotion Rationale Training Power Point Presentation.

[53] La GRC s’est initialement opposée à cette demande, mais, en réponse à la requête présentée par la Commission, elle a accepté de divulguer la date demandée.

[54] La date de la formation est potentiellement pertinente pour les plaintes, car elle est nécessaire pour établir un lien de proximité entre la date de la formation et les allégations au cœur des plaintes et pour déterminer quel poids, le cas échéant, il convient d’accorder aux circonstances de la formation et du défaut prétendument discriminatoire de la GRC d’accorder des promotions aux plaignants.

[55] Par conséquent, j’ordonne à la GRC de communiquer aux parties la date de la formation dans un délai de trente jours.

IV. Conclusion

[56] Pour les raisons exposées précédemment, j’ordonne à la GRC de divulguer aux parties les documents et renseignements suivants dans un délai de trente jours :

(a) l’ensemble des données brutes sous-jacentes aux examens de la gestion de l’unité de 2014 et 2019, y compris tous les résultats des enquêtes et les notes d’entrevue des membres de l’unité;

(b) les documents énumérés à l’annexe du rapport produit par la GRC et intitulé A Review of [Unit] Promotions, 2015-2020;

(c) les documents relatifs à l’initiative de la GRC intitulée Equitable Promotion Process – Blind Promotion Process qui se rapportent à l’unité;

(d) la date à laquelle la formation a été donnée à l’aide du matériel de formation produit par la GRC et intitulé National Promotion – Rationale Training Power Point Presentation.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 7 avril 2022


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2636/1221, T2635/1121, T2637/1321

Intitulé de la cause : SM et al. c. GRC

Date de la décision du Tribunal : Le 7 avril 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Malini Vijaykumar et Andrew Montague-Reinholdt , pour les plaignants

Caroline Carrasco, Brittany Tovee, Aby Diagne , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kathryn Hucal et Jennifer L. Caruso , pour l'intimée

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