Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 5

Date : le 10 février 2022

Numéro du dossier : T2432/9119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

B.C.

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque de la Nouvelle-Écosse

l’intimée

Décision sur requête

 

Membre : Alex G. Pannu

 


Demandes d’anonymat

A. Contexte

[1] Le plaignant et l’intimée ont tous deux déposé des avis de requête en vertu des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal »).

[2] Le plaignant demande que la confidentialité de son nom soit préservée lors de la prochaine audience en vertu de l’alinéa 52(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3] Voici le libellé de l’alinéa 52(1)c) :

52 (1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas […] :

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique; […]

[4] Le plaignant demande expressément :

  1. que la confidentialité de son nom soit protégée;
  2. que ses renseignements d’identification soient caviardés;
  3. que la confidentialité du nom de ses témoins soit préservée, ou que leurs initiales soient utilisées pour les désigner, pour éviter qu’un lien avec lui soit établi;
  4. que tous les documents déposés en preuve dans lesquels figurent son nom et ses renseignements d’identification soient caviardés pour donner pleinement et convenablement effet à cette demande d’anonymat.

[5] L’intimée soutient que la portée de la demande devrait être élargie afin d’inclure son nom et le nom de ses témoins, et ce, dans le but de protéger les perspectives d’emploi du plaignant.

[6] Or, dans sa réplique, le plaignant indique qu’il ne tient pas à protéger ses perspectives d’emploi dans le créneau du commerce de l’énergie à Calgary, mais ses perspectives d’emploi en général. Il estime donc que l’anonymat demandé permettrait de protéger sa vie privée sans empiéter indûment sur l’intérêt public dans la tenue des audiences publiques. Il souligne qu’il ne demande pas une interdiction de publication ni la tenue d’une audience à huis clos.

B. Droit

[7] Le Tribunal a été saisi d’un certain nombre de cas dans lesquels il a fait droit à des demandes visant à préserver la confidentialité du nom du plaignant. En général, pour faire droit à une telle demande, le Tribunal doit établir l’équilibre entre l’intérêt du public à l’égard du principe de la publicité des débats et le préjudice que pourrait subir le plaignant. Ces situations sont traitées au cas par cas.

[8] Dans la décision A.A. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 34, le membre instructeur a fait droit à une demande visant à préserver la confidentialité du nom du plaignant et a précisé que « dans l’optique d’équilibrer l’intérêt du public d’une part pour veiller à ce que les enquêtes soient conduites de manière publique et d’autre part le désir de confidentialité [du plaignant] qui ne souhaite pas que son nom soit divulgué publiquement, [...] le fait de faire droit à sa requête n’affectera que peu, voire nullement les objectifs inhérents au principe de la publicité des débats judiciaires ».

[9] Dans la décision T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 10, le Tribunal a également dû tenir compte de l’incidence de la divulgation des renseignements médicaux privés du plaignant concernant sa déficience intellectuelle sur ses perspectives d’emploi. Le membre a reconnu la stigmatisation entourant les déficiences intellectuelles et a rendu une ordonnance de confidentialité et de non-publication.

[10] Selon lui, « [l]’anonymisation de l’identité du plaignant ne limitera pas la capacité du public à comprendre la preuve ou les questions à trancher en l’espèce et ne portera pas atteinte au caractère équitable de la procédure du Tribunal ou à la valeur jurisprudentielle des décisions. Toutefois, il y a de fortes possibilités que le plaignant subisse une contrainte excessive si son identité est divulguée et si des renseignements concernant ses capacités cognitives et intellectuelles et son état psychiatrique antérieur sont rendus publics au cours de l’instance. »

C. Ordonnances

[11] Après avoir examiné les arguments des parties, je conclus que la préservation de la confidentialité de l’identité du plaignant ne nuirait pas au processus de la publicité des débats. Par conséquent, je rends l’ordonnance qui suit :

  1. la confidentialité du nom du plaignant doit être protégée;
  2. ses renseignements d’identification doivent être caviardés;
  3. la confidentialité du nom des témoins du plaignant doit être préservée, ou leurs initiales doivent être utilisées pour les désigner, pour éviter qu’un lien avec lui soit établi;
  4. tous les documents déposés en preuve dans lesquels figurent son nom et ses renseignements d’identification doivent être caviardés pour donner pleinement et convenablement effet à cette demande d’anonymat.

D. Analyse

[12] La requête du plaignant ne se veut pas un énoncé général sur le droit à la protection de sa vie privée, mais une demande précise visant à protéger ses perspectives d’emploi au-delà du créneau du commerce de l’énergie à Calgary, dont l’importance est reconnue par les parties.

[13] Il est raisonnable de penser que le plaignant — qui a subi un traumatisme cérébral — aurait plus de difficulté à trouver un emploi si ses renseignements médicaux étaient rendus publics, non seulement dans son ancien créneau d’emploi, mais sur le marché du travail en général.

[14] L’intimée soutient qu’il faudrait élargir l’anonymisation de manière à y inclure son propre nom; or, une telle mesure serait démesurée et inutile. L’intimée est une grande banque avec des milliers d’employés. Il est possible de protéger la vie privée du plaignant en rendant une ordonnance de confidentialité visant uniquement son nom.

[15] Je suis persuadé que la préservation de la confidentialité du nom du plaignant ne nuira pas à l’intérêt qu’a le public à maintenir un système de justice transparent. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’alinéa 52(1)c), je crois qu’une ordonnance de confidentialité établit un équilibre approprié entre la protection de la vie privée du plaignant et l’intérêt public (AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 34, au paragraphe 7).

Requêtes en divulgation

A. Contexte

[16] En février 2021, le plaignant a déposé une requête en vue d’obtenir de l’intimée la divulgation d’un grand nombre de documents. L’intimée s’est opposée à la majeure partie de la requête au motif qu’elle était d’une portée trop large ou qu’elle exigerait la création de documents, ou au motif que les documents visés par la requête n’étaient pas disponibles. Le Tribunal a demandé aux parties d’essayer, autant que possible, de concilier elles-mêmes leurs positions contraires.

[17] Le 6 avril 2021, le Tribunal a tenu une conférence téléphonique préparatoire afin de faciliter la conclusion d’une entente entre les parties sur les questions de divulgation.

[18] D’importants progrès ont été réalisés au cours de la conférence d’avril, même si l’avocat du plaignant a précisé qu’il devait demander de plus amples instructions à son client.

[19] Le plaignant n’était pas d’accord avec l’intimée sur bon nombre des questions sur lesquelles les parties s’étaient entendues au cours de la conférence. Par conséquent, les parties ont demandé au Tribunal de rendre une décision sur leurs requêtes en divulgation.

B. Droit

[20] La norme relative à la divulgation des documents prévue par les Règles du Tribunal est bien établie dans la jurisprudence. Les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leur position. À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les renseignements potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’audition de l’affaire. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de renseignements permet à chaque partie de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audience. S’il existe un lien logique entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties, le document doit être divulgué (Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 3).

[21] Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou s’apparenter à une recherche à l’aveuglette, et les documents devraient être décrits de manière suffisamment précise (Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au paragraphe 7, et Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, aux paragraphes 42 à 44).

[22] Bien que le seuil quant à la pertinence soit peu élevé et que la tendance qui se dessine maintenant favorise une communication de documents plus étendue, les parties doivent néanmoins établir un lien entre les questions à démontrer et les documents demandés (Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, aux paragraphes 6, 7 et 9).

[23] Une partie devrait faire des efforts raisonnables pour trouver et divulguer les documents pertinents, dans la mesure où ils existent (Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP 5, au paragraphe 136).

C. Ordonnances

[24] Je suis convaincu qu’il est possible d’établir un équilibre entre l’objet du régime législatif qui consiste à permettre une divulgation pleine et entière et la nécessité de maintenir l’efficacité et la rapidité de la procédure. La conférence téléphonique préparatoire qui a eu lieu en avril 2021 a permis d’atteindre la plupart des objectifs de l’équilibre recherché. Malheureusement, le plaignant n’était pas du même avis et il n’a pas consenti à la proposition. Néanmoins, je suis convaincu que l’entente conclue à la conférence téléphonique préparatoire devrait servir de fondement à mon ordonnance.

[25] Après avoir examiné les arguments présentés par les parties, j’ordonne ce qui suit :

  1. Recherches par mots-clés – L’intimée doit effectuer des recherches au moyen des mots-clés « B », « C » et « B.C. » pour trouver les communications concernant Brian Manson, Doug Schneidmiller et Reuben Govender pour la période du 1er mai 2015 au 13 avril 2016;
  2. Messages instantanés – L’intimée doit effectuer une recherche pour trouver des messages Skype de Brian Manson, Doug Schneidmiller, Reuben Govender et Peter Choi pour la même période que celle précisée au point A et en utilisant les mêmes mots-clés qui y sont mentionnés;
  3. L’intimée doit divulguer le dossier papier du plaignant qui était tenu par les ressources humaines, si elle le trouve;

[26] Il y a deux questions en suspens qui ne sont pas abordées dans la présente décision sur requête. Premièrement, le plaignant a demandé la divulgation des primes que l’intimée a versées en 2015 aux membres de son équipe de commerce d’énergie de Calgary. Deuxièmement, les parties contestent un certain nombre de documents à l’égard desquels l’intimée a invoqué un privilège et dont elle a caviardé des passages.

[27] Les parties n’ont pas demandé au Tribunal de se prononcer sur ces questions. Elles se sont plutôt engagées à essayer de les résoudre elles-mêmes. En ce qui concerne les primes de 2015, les parties pourraient se mettre d’accord sur un exposé des faits. En ce qui concerne la question du caviardage, si les parties ne sont pas en mesure de la régler, le Tribunal est prêt à examiner les documents en question et à rendre une décision à ce moment-là.

D. Analyse

[28] Le plaignant a demandé que la période des recherches débute à la date de sa blessure plutôt qu’à la date de son départ en congé de maladie. Il voulait également inclure deux gestionnaires en ressources humaines, en plus de ses supérieurs directs précédemment désignés.

[29] À mon avis, la requête du plaignant avait une portée excessive et elle était fondée sur une simple hypothèse selon laquelle les gestionnaires en ressources humaines auraient pu dire quelque chose à son sujet. Je crois également que la période visée était inutilement longue, sans explication valable.

[30] Dans Kayreen Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, le Tribunal a déclaré qu’il doit faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risque d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige.

[31] Après la réception de la présente décision sur requête, le Tribunal convoquera une conférence téléphonique préparatoire afin de régler toute éventuelle question de procédure, avant de fixer les dates et le lieu de l’audience.

Signée par

Alex G. Pannu

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 10 février 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2432/9119

Intitulé de la cause : B.C. c. Banque de la Nouvelle-Écosse

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 10 février 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Wade Poziomka , pour le plaignant

Daphne Fedoruk, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alison M. Adam et Jessica N. Kruhlak , pour l’intimée 

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