Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 6

Date : le 7 mars 2022

Numéro du dossier : T2729/10521

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Katheryne Schulz (au nom de Bernard Schulz)

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Emploi et Développement social Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. Contexte

[1] Le plaignant, Bernard Schulz, est âgé de 75 ans et est autiste. Il voulait ouvrir un régime enregistré d’épargne-invalidité (« REEI »). La Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») établit à 59 ans l’âge limite pour être admissible à un REEI ainsi qu’à la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité et au Bon canadien pour l’épargne-invalidité connexes, qui sont également assujettis à des limites d’âge énoncées dans le Règlement sur l’épargne-invalidité (le « Règlement »). M. Schulz n’a pas pu présenter de demande de REEI et d’avantages connexes jusqu’à ce que sa nièce l’aide, mais il avait alors dépassé les limites d’âge. M. Schulz soutient que les limites d’âge énoncées dans la LIR et le Règlement touchent de façon disproportionnée les personnes handicapées et les aînés en raison des difficultés auxquelles ils sont confrontés lorsqu’ils présentent une demande d’avantages. Il affirme que les obstacles qui freinent l’accès au REEI constituent une forme de discrimination systémique, car tous les autres Canadiens peuvent cotiser à leur régime enregistré d’épargne-retraite jusqu’à l’âge de 65 ans.

[2] L’intimé, Emploi et Développement social Canada (« EDSC »), fait valoir que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte de M. Schulz, qui est en fait une contestation de la limite d’âge prévue par la LIR. EDSC soutient qu’une cour de justice est la seule instance appropriée pour contester une loi. Comme M. Schulz n’était pas admissible à un REEI en premier lieu parce qu’il ne respectait pas l’exigence relative à l’âge énoncée dans la LIR, EDSC affirme que la question de la limite d’âge aux fins de l’admissibilité aux subventions et aux bons prévus dans le Règlement n’est même pas soulevée dans les faits.

[3] M. Schulz reconnaît qu’une contestation de la LIR ne relève pas de la compétence du Tribunal et a l’intention de poursuivre sa contestation devant une cour de justice. Il a présenté une demande de financement pour défendre sa cause, c.-à-d. l’allégation selon laquelle les limites d’âge établies dans la LIR et le Règlement vont à l’encontre des protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Il demande au Tribunal de reporter l’instruction de sa plainte pendant le traitement de sa demande de financement parce que certaines, voire l’ensemble, des questions soulevées dans sa plainte devraient probablement être traitées dans le cadre de sa contestation fondée sur la Charte.

[4] Dans leurs observations, les parties utilisent les termes [traduction] « surseoir », « reporter », « suspendre », « ajourner » ou « tenir en suspens ». Je ne me pencherai pas sur la différence entre chacun de ces termes ou sur la question de savoir s’ils devraient être utilisés de façon interchangeable, car cet exercice n’est pas nécessaire pour trancher la demande du plaignant. Quels que soient les termes utilisés, la demande de M. Schulz est claire. Il veut que le Tribunal suspende le traitement de sa plainte jusqu’à ce qu’il reçoive une réponse à sa demande de financement en vue de présenter une contestation constitutionnelle.

[5] La Commission consent à la demande de M. Schulz. EDSC indique qu’il y consent également, mais semble avoir émis des réserves dans sa réponse. Il ne consent pas à un ajournement indéfini et veut que, à la fin du report, M. Schulz lui indique s’il se désiste de sa plainte ou s’il demande une modification pour procéder à l’instruction de certaines parties de sa plainte relevant de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi »).

II. Question en litige

[6] Le Tribunal doit-il reporter l’instruction de la plainte de M. Schulz pendant le traitement de la demande de financement en vue d’une éventuelle contestation constitutionnelle des limites d’âge établies dans la LIR et le Règlement? Dans l’affirmative, pendant combien de temps?

III. Motifs

[7] Je suis d’avis que le report est justifié dans les circonstances et j’accueille la demande de report de l’instruction de la plainte de M. Schulz pendant une période maximale de six mois. J’estime qu’un report à court terme visant à éviter de multiples instances et à donner la chance à M. Schulz d’obtenir une réponse à sa demande de financement est raisonnable et approprié dans les circonstances. Au terme de cette période, le Tribunal déterminera la façon de procéder après que M. Schulz l’aura avisé de l’état de sa demande de financement et que toutes les parties l’auront informé de leurs propositions quant aux prochaines étapes.

[8] M. Schulz veut que le Tribunal reporte l’entièreté de sa plainte dans l’attente de la réponse à sa demande de financement en vue de présenter une contestation constitutionnelle de la LIR et du Règlement. Il estime qu’il recevra une réponse à sa demande dans trois à six mois et mentionne que, dès qu’il aura des nouvelles de sa demande, il en informera le Tribunal.

[9] S’appuyant sur les motifs du Tribunal dans la décision Bailie et al. c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6, au paragraphe 22 [Bailie], M. Schulz soutient que le report de sa plainte est justifié parce que son cas présente des circonstances exceptionnelles. Il affirme que l’issue de sa plainte pourrait avoir des répercussions sur d’innombrables Canadiens qui ne sont plus admissibles au REEI en raison de leur âge. M. Schulz fait également valoir que ce report est dans l’intérêt public et permettra d’épargner les ressources du Tribunal et des tribunaux. Il invoque la décision Bailie et les motifs fournis dans la décision sur requête Renaud, Sutton et Morigeau c. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2013 TCDP 30, au paragraphe 20, où le Tribunal a ajourné l’instance dans l’attente d’une directive de la cour à l’égard de la question soulevée par les plaignants. M. Schulz soutient qu’il est dans l’intérêt de la justice d’obtenir d’abord une décision judiciaire quant à la constitutionnalité des dispositions visées de la LIR et du Règlement, décision qui lierait le Tribunal.

[10] M. Schulz affirme que toutes les parties consentent à la demande de report. Je ne suis pas convaincue, cependant, que l’intimé a consenti à la véritable demande de M. Schulz, du moins en partie parce que le plaignant n’a pas indiqué ce qu’il compte faire au terme de cette période de trois à six mois.

[11] L’intimé consent à un ajournement d’une durée limitée de l’instance pour éviter de multiples instances, et parce que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la contestation d’une loi. L’intimé s’appuie sur la décision sur requête concernant un ajournement rendue par le Tribunal dans l’affaire Matson, Matson et Schneider (née Matson) c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2010 TCDP 28, au paragraphe 22, soulignant qu’il est inutile que le Tribunal procède à l’instruction de la plainte si les dispositions législatives et réglementaires qui sont présumées aller à l’encontre de la Loi font également l’objet d’une contestation constitutionnelle devant une cour. EDSC soutient que, au terme de la période de report de trois à six mois, M. Schulz devrait indiquer s’il se désiste de sa plainte devant le Tribunal ou s’il demande une modification pour procéder seulement à l’instruction de certains éléments de sa plainte relevant de la compétence du Tribunal.

[12] Or, ce n’est pas ce que M. Schulz a demandé. Il demande au Tribunal de tenir sa plainte en suspens dans l’attente de la réponse à sa demande de financement, mais il n’a pas indiqué ce qu’il fera si le financement lui est accordé, si le traitement de sa demande prend plus de temps qu’il ne l’estime ou si le financement est refusé. En d’autres termes, si M. Schulz reçoit le financement, a-t-il l’intention de retourner devant le Tribunal et de demander effectivement une suspension de l’instance pour une durée indéterminée dans l’attente d’une décision définitive à l’égard d’une contestation constitutionnelle? Entend-il retirer ou modifier la plainte qu’il a déposée devant le Tribunal s’il obtient le financement et procède à la contestation constitutionnelle? Si sa demande de financement est rejetée, reviendra-t-il devant le Tribunal pour que sa plainte soit instruite? Existe-t-il un mécanisme de recours dont il pourrait se prévaloir pour contester le rejet de sa demande de financement qui prolongerait le report au-delà de la période de trois à six mois?

[13] Même si je conviens qu’un report d’une durée limitée est justifié dans les circonstances, le processus d’instruction du Tribunal n’est pas une police d’assurance ou une solution de rechange. L’instruction des plaintes par le Tribunal doit se faire sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (par. 48.9(1) de la Loi et art. 5 des Règles de procédure du Tribunal). Je n’accorde pas d’ajournement illimité ou indéfini et ma décision ne doit pas être perçue comme telle. De plus, M. Schulz devra décider, au terme de la période de six mois, s’il entend demander au Tribunal de procéder à l’instruction de sa plainte, ou d’une partie de celle-ci.

IV. ORDONNANCE

[14] La plainte est reportée au 7 septembre 2022, ou à la date à laquelle le plaignant aura décidé s’il va de l’avant avec sa contestation constitutionnelle, si elle est antérieure. J’enjoins au plaignant d’aviser les parties et le Tribunal dès qu’il recevra une réponse à sa demande de financement.

[15] Le greffier prévoira une conférence de gestion préparatoire avec les parties dans la semaine du 7 septembre 2022, ou dès que possible par la suite, pour discuter des prochaines étapes. J’ordonne à M. Schulz de présenter ses intentions quant à la plainte qu’il a déposée devant le Tribunal avant la conférence. Il doit fournir ces observations aux autres parties et au Tribunal au plus tard une semaine avant la conférence de gestion préparatoire.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 7 mars 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2729/10521

Intitulé de la cause : Katheryne Schulz (au nom de Bernard Schulz) c. Emploi et Développement social Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 7 mars 2022

 

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Nick Papageorge , pour le plaignant

Sophia Karantonis , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Stynes , pour l’intimé

 

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