Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 35

Date : le 5 octobre 2021

Numéros des dossiers : T2635/1121, T2636/1221, T2637/1321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

SM, SV et JR

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Paul Singh

 



I. Contexte

[1] Les plaignants, SM, SV et JR, qui sont d’origine sud‑asiatique et déclarent appartenir à une minorité visible, sont des policiers au service de l’intimée, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Leurs plaintes portent sur le défaut de la GRC de les promouvoir lorsqu’ils travaillaient au sein d’une unité de la GRC (l’« unité ») à Toronto, en Ontario, et sur le racisme systémique dont l’intimée aurait fait preuve dans les processus de promotion en général au sein de l’unité. Les actes en cause, soutiennent-ils, constituent de la discrimination fondée sur la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la race ou la religion, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la « LCDP »).

[2] La GRC nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard des plaignants au cours des processus de promotion en question, ou à tout autre moment, et elle nie l’existence de toute politique ou pratique systémique visant à priver de possibilités d’avancement les plaignants ou tout autre membre de l’unité déclarant appartenir à une minorité visible.

[3] La GRC a déposé une requête en vue d’anonymiser l’intitulé de l’instance et de désigner certains autres renseignements à titre de renseignements confidentiels, au motif que la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale et aux opérations de nature délicate de la GRC. Les plaignants ont consenti à ce que le Tribunal rende une ordonnance de confidentialité et ils sont parvenus à un accord avec la GRC quant à la portée de cette ordonnance. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne se prononce pas au sujet de la requête.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu qu’une ordonnance de confidentialité rendue selon les modalités proposées par les parties est raisonnable et nécessaire dans les circonstances. J’accueille donc la requête de la GRC selon les modalités exposées ci‑après.

II. Cadre juridique

[5] L’article 52 de la LCDP confère au Tribunal le vaste pouvoir de prendre toute mesure ou de rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de l’instruction dans certains cas.

[6] L’article 52 de la LCDP prévoit ce qui suit :

(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

b) il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(2) Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

[7] L’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Sherman (Succession)] rendu récemment par la Cour suprême du Canada clarifie l’analyse que le Tribunal doit réaliser en regard de la Loi dans le cadre d’une requête en confidentialité. Dans cet arrêt, la Cour suprême a établi un critère modifié à trois volets applicable aux ordonnances discrétionnaires ayant pour effet de limiter la publicité des débats judiciaires. Pour obtenir gain de cause au moment de solliciter une exception au principe de la publicité présumée des débats judiciaires, il faut démontrer ce qui suit :

  • 1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

  • 2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque;

  • 3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[8] Le critère modifié à trois volets formulé dans l’arrêt Sherman (Succession), qui concorde avec le critère établi au paragraphe 52(1) de la LCDP, s’applique aux divers types de limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, notamment les ordonnances de mise sous scellés, les interdictions de publication, les ordonnances excluant le public d’une audience et les ordonnances de caviardage : Sherman (Succession), au paragraphe 38.

[9] La Cour suprême a fondé ce critère à trois volets sur celui à deux volets qu’elle avait précédemment établi dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club], lequel prévoyait qu’une ordonnance de confidentialité ou de mise sous scellés ne devrait être rendue que si :

  • 1) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

  • 2) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression qui comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[10] Le Tribunal a déjà reconnu que le critère défini par la Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club contribuait à clarifier l’analyse à réaliser dans le cadre des requêtes en confidentialité présentées au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP : voir, par exemple, White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2020 TCDP 5.

III. Analyse

[11] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la requête de la GRC satisfait au critère énoncé au paragraphe 52(1) de la LCDP et clarifié par l’arrêt Sherman (Succession).

A. Il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique

[12] En l’espèce, la divulgation de renseignements d’identification et de renseignements relatifs à des enquêtes présenterait des risques sérieux pour la sécurité publique, notamment la sécurité nationale, et pour les opérations de nature délicate de la GRC (les « opérations ») réalisées par l’unité et par une autre unité connexe. Il s’agit là d’intérêts reconnus par la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, aux paragraphes 37(1), 37(4.1) et 37(5), à l’article 38 et au paragraphe 38.04(1). Voir aussi Dominion Investments (Nassau) Ltd. c. Canada, 2005 CF 254, aux paragraphes 16‑19.

[13] Je n’ai pas expliqué en détail la nature des opérations dans le cadre de l’ordonnance de confidentialité rendue.

[14] Les risques sérieux que la divulgation de renseignements d’identification et d’enquêtes peut poser pour les intérêts publics importants en question sont étayés par la preuve convaincante et incontestée présentée sous forme d’affidavit par l’inspecteur de la GRC responsable de l’unité. Cette preuve établit que la divulgation de renseignements d’identification et d’enquête pourrait mettre en péril les opérations de la GRC, la sécurité nationale et la sécurité des policiers.

B. Le Tribunal est convaincu que l’ordonnance est nécessaire, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter le risque

[15] L’ordonnance de confidentialité à laquelle ont consenti les parties est la manière la moins intrusive possible d’atteindre les objectifs consistant, d’une part, à empêcher la divulgation des renseignements au public, et d’autre part, à protéger l’intérêt de celui-ci dans l’instruction transparente des plaintes. Il n’existe pas d’autre mesure raisonnable que l’ordonnance sollicitée.

[16] Plus précisément, l’ordonnance de confidentialité n’entraînera que le retrait des noms des plaignants dans l’intitulé de la cause et le caviardage des renseignements d’identification et des renseignements d’enquête dans la version publique des documents déposés auprès du Tribunal. Les autres renseignements contenus dans ces documents demeureront accessibles au public. En outre, les plaignants, la Commission et le Tribunal auront accès aux renseignements caviardés, de sorte que l’ordonnance de confidentialité ne mettra raisonnablement pas en péril l’instruction équitable des plaintes.

C. La nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[17] L’intérêt public important relatif à la protection de la sécurité nationale et de l’intégrité des opérations de la GRC, que l’octroi d’une ordonnance de confidentialité permettra de protéger, l’emporte sur tout effet négatif que l’ordonnance pourrait avoir.

[18] L’ordonnance protégera les opérations de la GRC en permettant à cette dernière de continuer à recueillir efficacement des éléments de preuve liés à des activités criminelles graves au Canada, y compris à des menaces à la sécurité nationale.

[19] L’incidence de l’ordonnance est minime puisqu’elle n’a pour effet que de restreindre légèrement la nature publique de l’instruction des plaintes par le Tribunal.

IV. Ordonnances rendues

[20] Pour les motifs qui précèdent, je rends les ordonnances suivantes :

  • 1) Une ordonnance visant à anonymiser l’intitulé de la cause en ne désignant les plaignants que par leurs initiales.

  • 2) Une ordonnance de confidentialité en la forme jointe à la présente décision sur requête.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 octobre 2021


 

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Date : le 5 octobre 2021

Numéros des dossiers : T2635/1121, T2636/12, T2637/1321

Entre :

SM, SV et JR

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Ordonnance de confidentialité

Membre : Paul Singh


 

LE TRIBUNAL ORDONNE :

[1] Dans la présente ordonnance de confidentialité (l’« ordonnance »), les plaignants, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») et l’intimée (la « GRC ») sont désignés au singulier par « la partie » et au pluriel par « les parties ».

[2] Par « unité » ou « unité connexe », on entend les unités de la GRC auxquelles s’applique la présente ordonnance de confidentialité. Par « opérations », on entend le travail réalisé par ces unités.

[3] Par « renseignement confidentiel », on entend tout document, objet, renseignement ou élément de preuve produits ou divulgués dans le cadre d’un affidavit, d’un contre‑interrogatoire ou d’une requête ou au cours de la présente instance, qui contiennent des renseignements non publics et confidentiels et qui sont désignés par une partie comme étant « confidentiels » conformément à la procédure prévue dans la présente ordonnance.

[4] Aux fins de la présente instance, les « renseignements confidentiels » comprennent notamment : a) les renseignements d’identification qui pourraient permettre d’identifier les plaignants et les autres membres de la GRC qui prennent part aux opérations; b) les renseignements liés à des enquêtes qui pourraient révéler des détails au sujet d’opérations passées ou en cours. À cet égard :

  1. Les renseignements d’identification comprennent notamment :
    1. le nom d’un membre;
    2. le fait qu’un membre ait pris part ou prenne part à une opération.
  2. Les renseignements liés à des enquêtes comprennent notamment :
    1. les noms de l’unité et de l’unité connexe;
    2. toute description des opérations menées par l’unité et l’unité connexe;
    3. tout renseignement sur des enquêtes précises, y compris sur l’objet des enquêtes, les lieux géographiques et les dates;
    4. tout renseignement sur les techniques employées.

[5] Une partie qui a des motifs raisonnables de croire qu’elle a divulgué ou divulguera des renseignements confidentiels doit, par l’intermédiaire de son avocat, désigner ces renseignements à titre de renseignements confidentiels conformément à la présente ordonnance. Les renseignements confidentiels seront dès lors régis par les modalités de la présente ordonnance, sous réserve du droit de la partie qui ne produit pas les renseignements de contester leur désignation à titre de renseignements confidentiels.

[6] La partie qui désigne les renseignements à titre de renseignements confidentiels doit le faire de bonne foi. L’omission par inadvertance d’avoir désigné des renseignements à titre de renseignements confidentiels préalablement à la divulgation n’équivaut pas à une renonciation au droit de procéder à une telle désignation. Ainsi, la partie qui produit les renseignements peut désigner des renseignements à titre de renseignements confidentiels après la divulgation, pourvu qu’elle le fasse immédiatement après s’être rendu compte de son omission.

[7] Tout renseignement confidentiel qu’une partie souhaite déposer auprès du Tribunal doit être séparé des autres renseignements et documents et doit être présenté dans une enveloppe scellée portant clairement la mention « confidentiel» et la mention suivante :

RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS

CONFORMÉMENT À L’ORDONNANCE RENDUE PAR LE TRIBUNAL LE 5 OCTOBRE 2021 DANS LES DOSSIERS NOS T2635‑1121 / T2636‑1221 / T2637‑1321, LA PRÉSENTE ENVELOPPE DOIT DEMEURER SCELLÉE AU DOSSIER DU TRIBUNAL ET N’ÊTRE OUVERTE QUE SUIVANT LES MODALITÉS DE LADITE ORDONNANCE OU D’UNE AUTRE ORDONNANCE DU TRIBUNAL. LES ENVELOPPES SCELLÉES NE PEUVENT ÊTREOUVERTES QUE PAR LE TRIBUNAL OU SON PERSONNEL.

[8] Lorsqu’elles déposent auprès du Tribunal des documents qui renferment des renseignements confidentiels, les parties doivent en même temps en déposer une version publique dont les renseignements confidentiels sont supprimés ou caviardés.

[9] Une copie des versions publique et confidentielle du ou des documents en question doit être signifiée aux autres parties trois (3) jours avant leur dépôt auprès du Tribunal afin de donner à celles-ci le temps de contester, le cas échéant, la désignation des renseignements à titre de renseignements confidentiels par la partie ayant procédé à la signification.

[10] En cas de contestation de la désignation des renseignements à titre de renseignements confidentiels par une partie autre que celle qui produit les documents, il incombera à la partie qui produit les documents de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont bel et bien confidentiels.

[11] Dans le cadre de la présente instance, lors d’un interrogatoire, d’un contre‑interrogatoire ou d’une autre procédure qui a lieu devant un sténographe et où des éléments de preuve présentés ou des documents produits sont désignés par une partie comme renfermant des renseignements confidentiels, les parties doivent demander à ce que le sténographe prépare une version publique de la transcription dans laquelle les renseignements confidentiels seront supprimés ou caviardés, de même qu’une version complète et non expurgée qui sera gardée confidentielle de la manière décrite ci‑dessus.

[12] La mention suivante doit figurer sur chaque page ou sur la première page accompagnant tout document ou objet ou toute pièce qui contenant des renseignements confidentiels non caviardés :

CONFIDENTIEL

Sous réserve de l’ordonnance de confidentialité en date du 5 octobre 2021 dans les dossiers nos T2635‑1121 / T2636‑1221 / T2637‑1321.

[13] En l’absence de permission écrite de la partie qui divulgue les renseignements confidentiels, ceux‑ci ne doivent être divulgués qu’au Tribunal, au personnel du secrétariat du Tribunal, aux sténographes et aux techniciens vidéo participant à la présente instance, ainsi qu’aux personnes morales et physiques suivantes :

  • 1) les plaignants, la Commission et la GRC;

  • 2) Nelligan O’Brien Payne, avocat des plaignants, et son personnel de soutien désigné;

  • 3) le ministère de la Justice, qui représente la GRC et son personnel de soutien désigné;

  • 4) l’avocat de la Commission et son personnel de soutien désigné;

  • 5) les autres personnes dont les parties conviennent par écrit, ou toute autre personne désignée par ordonnance du Tribunal.

[14] Les renseignements confidentiels seront utilisés strictement aux fins de la présente instruction et à aucune autre fin, sous réserve de toute autre ordonnance du Tribunal.

[15] Une partie peut demander au Tribunal de modifier ou d’annuler les restrictions en matière de divulgation imposées par la présente ordonnance à l’égard de tout élément particulier des renseignements confidentiels.

[16] Sous réserve de toute autre ordonnance du Tribunal, à l’issue de la présente instance, la personne à qui des renseignements confidentiels ont été divulgués conformément à la présente ordonnance demeure tenue par l’obligation de maintenir la confidentialité de ces renseignements conformément aux modalités de la présente ordonnance. Les dispositions de l’ordonnance demeureront en vigueur une fois la décision définitive rendue dans la présente instruction.

[17] À l’issue définitive de la présente instance, chaque partie doit détruire, dans les soixante (60) jours, tous les éléments renfermant des renseignements confidentiels conformément à la présente ordonnance. Nonobstant ce qui précède, les avocats des parties peuvent conserver une (1) copie des renseignements confidentiels dans leurs dossiers.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 octobre 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2635/1121, T2636/12, T2637/1321

Intitulé de la cause : SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 5 octobre 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Malini Vijaykumar , pour les plaignants

Caroline Carrasco , Brittany Tovee et Aby Diagne , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kathryn Hucal et Jennifer L. Caruso , pour l’intimée

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