Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Cette affaire porte sur la discrimination raciale systémique à l’égard des enfants des Premières Nations. Dans une décision antérieure, le Tribunal a conclu que Services aux Autochtones Canada sous-finançait les services à l’enfance et à la famille destinés aux enfants des Premières Nations, y compris les services de prévention. Les services de prévention appuient le principe des « mesures les moins perturbatrices » afin de garder les enfants dans leur foyer, leur famille et leur communauté dans la mesure du possible. Ce principe reconnaît l’importance de maintenir le lien entre les parents et les enfants. Il garantit que tout est fait pour éviter de retirer un enfant de son foyer. Le sous-financement et le manque de services ont fait en sorte que des enfants des Premières Nations ont été retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et pris en charge comme solution de premier, et non de dernier, recours. En revanche, les autres enfants bénéficiaient généralement de services de prévention. Services aux Autochtones Canada a également adopté une vision étroite du principe de Jordan. Ainsi, les enfants des Premières Nations se voyaient refuser des services. Il s’agit là de discrimination raciale systémique.

Le Tribunal a ordonné une réforme complète des services à l’enfance et à la famille pour les enfants des Premières Nations et de l’admissibilité au principe de Jordan. Le Tribunal supervise cette réforme. Toutefois, le Tribunal a encouragé les parties à régler les questions en suspens.

Cette décision fait partie de la phase de réparation. Elle porte sur le financement des immobilisations, par exemple pour les bâtiments. Le Tribunal a conclu que des bâtiments sont nécessaires afin d’offrir des services à l’enfance et à la famille destinés aux enfants des Premières Nations et pour offrir les services approuvés en vertu du principe de Jordan. Sans bâtiments adéquats, les services ne peuvent pas être offerts ou ne peuvent pas être offerts d’une manière qui répond aux exigences législatives comme celle de la confidentialité. Pour remédier à la discrimination constatée dans ce cas, il faut fournir des bâtiments adéquats pour la prestation des services.

Le Tribunal a confirmé que les ordonnances relatives au financement des immobilisations s’appliquaient également dans le contexte distinct de l’Ontario. La législation ontarienne prévoit des services de représentation de la bande dans les cas de protection de l’enfance, et ces services nécessitent également des bâtiments appropriés.

Le Canada a fait valoir que la Loi sur la gestion des finances publiques et la séparation des pouvoirs empêchaient le Tribunal d’ordonner des mesures de réparation qui ont des répercussions financières importantes sur la capacité du gouvernement d’affecter des fonds et de faire des choix stratégiques. Le Tribunal a conclu que le Canada doit remédier à la discrimination établie. En l’espèce, la discrimination incluait le sous-financement. Par conséquent, le gouvernement devait fournir un financement suffisant pour remédier à la discrimination.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 41

Date : le 16 novembre 2021

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada
- et -
Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l’intimé

- et -

Chefs de l’Ontario

- et -

Amnistie internationale

- et -

Nation Nishnawbe Aski

les parties intéressées

Décision sur requête

 

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig


Table des matières

Requête relative aux grands projets d’immobilisations et au remboursement des organismes de petite taille 1

I. Contexte général 1

A. Approche du Tribunal 3

Analyse générale de l’approche du Canada 19

II. Contexte des grands projets d’immobilisations 24

III. Observations des parties sur les grands projets d’immobilisations 28

A. La Société de soutien 28

B. Chefs de l’Ontario 32

C. Assemblée des Premières Nations 32

D. Nation Nishnawbe-Aski 32

E. La Commission 32

F. Le Canada 35

IV. Analyse des grands projets d’immobilisations 41

A. Précédentes analyses des grands projets d’immobilisations 41

B. Analyse des grands projets d’immobilisations des SEFPN 64

C. Fonds pour soutenir la mise en œuvre de l’analyse du principe de Jordan 117

V. Observations supplémentaires des parties concernant la Loi sur la gestion des finances publiques 134

A. La Société de soutien 134

B. Chefs de l’Ontario 135

C. Assemblée des Premières Nations 136

D. Nation Nishnawbe-Aski 137

E. La Commission 137

F. Le Canada 139

VI. Analyse de la Loi sur la gestion des finances publiques 142

VII. Observations des parties sur la réaffectation 155

A. La Société de soutien 155

B. Le Canada 156

VIII. Analyse de la question des réaffectations de fonds 157

IX. Observations des parties sur les immobilisations pour les services de représentants de bande et les services de prévention en Ontario 160

A. Chefs de l’Ontario 160

B. Nation Nishnawbe-Aski 163

C. Le Canada 165

X. Analyse relative aux immobilisations pour les services de représentants de bande et les services de prévention en Ontario 168

XI. Contexte du remboursement des organismes de petite taille 189

XII. Observations des parties sur le remboursement des organismes de petite taille 193

A. Société de soutien 193

B. La Commission 195

C. Assemblée des Premières Nations 197

D. Chefs de l’Ontario 197

E. Nation Nishnawbe-Aski 197

F. Le Canada 197

XIII. Analyse relative aux organismes de petite taille 199

XIV. Proposition aux parties et maintien de la compétence 202

XV. Ordonnances 204

 


Hommage

Le Tribunal rend la présente décision sur requête à une époque douloureuse où, au Canada, plus d’un millier de tombes anonymes d’enfants des Premières Nations qui ont fréquenté les pensionnats indiens ont été découvertes, et où d’autres continuent de l’être. Bien avant la bouleversante découverte faite à Kamloops, la Commission de vérité et réconciliation avait demandé au gouvernement canadien de fournir des fonds pour retrouver les enfants décédés dans des pensionnats indiens. Cet appel à l’action a été publié en 2015.

Bon nombre des enfants qui ont fréquenté les pensionnats indiens ont été retirés contre leur gré de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Le Tribunal a entendu des témoignages sur les pensionnats et a tiré de nombreuses conclusions à cet égard en 2016. Il a constaté que les pensionnats indiens s’étaient transformés, pour prendre désormais l’aspect de services d’aide à l’enfance. Quantité de pensionnats indiens ont ainsi vu leur rôle principal passer d’un rôle « éducatif » à un rôle axé sur l’« aide à l’enfance ». Malgré ce changement, un grand nombre d’enfants n’étaient pas renvoyés à la maison, parce que leurs parents étaient considérés comme des personnes qui n’étaient pas en mesure de prendre soin de leurs enfants. Le Tribunal a conclu que le système des pensionnats indiens représentait un exemple parmi l’ensemble des traumatismes auxquels les Autochtones ont déjà été exposés. L’histoire du système des pensionnats indiens et le traumatisme intergénérationnel qui en a résulté s’ajoutent aux autres facteurs de risque qui touchent les enfants et les familles autochtones, comme la pauvreté et les infrastructures médiocres, et qui montrent bien que les membres des Premières Nations ont un besoin accru de recevoir des services à l’enfance et à la famille adéquats, notamment les mesures les moins perturbatrices, et surtout des services adaptés aux particularités culturelles. Le Tribunal a estimé que la preuve en l’espèce démontre non seulement que l’application du Programme des SEFPN d’AADNC, des modèles de financement correspondants et des autres ententes provinciales/territoriales connexes entraîne différents effets préjudiciables, mais aussi que ces effets perpétuent les désavantages historiques qu’ont subis les peuples autochtones, principalement en raison du système des pensionnats indiens.

Le Tribunal a aussi constaté qu’il y a environ trois fois plus d’enfants des Premières Nations pris en charge par l’État qu’il n’y en avait dans les pensionnats indiens à l’apogée de ce système.

La formation reconnaît la douleur incommensurable des familles, des collectivités et des nations et honore leur courage dans leur cheminement de guérison et leur quête de justice. Il est temps d’opérer un véritable changement de paradigme au Canada afin d’éviter que l’histoire ne se répète.

Le retrait massif d’enfants de leurs foyers, de leurs familles, de leurs collectivités et de leurs nations constaté en l’espèce doit cesser maintenant.

On peut joindre la ligne d’aide aux survivants des pensionnats indiens en composant le : 1-866-925-4419.

* Bien que la formation reconnaisse ce contexte plus large des souffrances subies par les peuples autochtones au Canada, elle ne peut trancher que le litige dont elle est saisie.


Requête relative aux grands projets d’immobilisations et au remboursement des organismes de petite taille

I. Contexte général

[1] La présente décision sur requête porte sur des requêtes connexes présentées dans le contexte où le Tribunal maintient sa compétence à l’égard de la mise en œuvre des mesures de réparation ordonnées dans la plainte déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») et l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») contre le Canada, au nom des enfants et des familles des Premières Nations. La première requête se rapporte au financement de grands projets d’immobilisations pour appuyer la prestation de services aux enfants des Premières Nations. La deuxième concerne la portée du remboursement pour les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (les « organismes de SEFPN ») de petite taille. Une autre question traitée dans la présente décision sur requête a trait à une demande propre à l’Ontario qui concerne le financement des immobilisations pour les représentants de bandes et les services de prévention.

[2] Le Tribunal a conclu, dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « Décision sur le bien-fondé »), que le Canada avait commis des actes discriminatoires contraires à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (la « LCDP ») dans sa prestation de services aux enfants et aux familles des Premières Nations. Plus précisément, il a jugé que la gestion et le financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN ») ont donné lieu à une discrimination raciale systémique et « se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves » (au par. 458). Les hypothèses dans les modèles de financement ont conduit à « un financement fixe insuffisant des frais d’exploitation (coûts d’immobilisation, bureaux multiples, ajustement pour tenir compte du coût de la vie, salaires et avantages sociaux du personnel, formation, frais juridiques, éloignement et frais de déplacement) et des services de prévention (services primaires, secondaires et tertiaires pour s’assurer que les enfants demeurent en sécurité dans leur milieu familial) » (au par. 458, non souligné dans l’original). Autrement dit, la discrimination raciale systémique exercée a entraîné le retrait massif des enfants des Premières Nations de leurs foyers, de leurs collectivités et de leurs nations.

[3] La formation a aussi conclu que la définition du principe de Jordan et son application par le Canada étaient étroites et inadéquates, ce qui se traduisait par des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations.

[4] Le Tribunal a rendu par la suite un certain nombre de décisions sur requête dans lesquelles il donnait des directives et une orientation en vue de la mise en place de mesures de réparation fondées sur l’égalité réelle, qui visent non seulement à éliminer la discrimination dont sont déjà victimes les enfants des Premières Nations, mais aussi à prévenir d’autres actes discriminatoires semblables à l’avenir. Les décisions particulières concernant chacune des réparations demandées seront examinées ci-dessous dans les sections pertinentes. Le Tribunal a conservé sa compétence pour décider des réparations appropriées afin de s’assurer, notamment, que les réparations à long terme ordonnées au bout du compte seront efficaces pour éliminer la discrimination constatée et pour empêcher que d’autres actes comparables ne se reproduisent.

[5] Afin de favoriser la réconciliation et de reconnaître les connaissances et l’expertise des collectivités des Premières Nations, le Tribunal a encouragé les parties à résoudre le plus grand nombre possible de questions de réparation au moyen de consultations. Les parties l’ont fait par l’entremise du Comité de consultation sur la protection de l’enfance (« CCPE ») et ont réussi à régler certaines questions. Une partie des questions soulevées dans la présente décision sur requête découlent de discussions qui ont eu lieu au CCPE, mais sur lesquelles les parties n’ont pas pu s’entendre.

[6] Étant donné qu’elles avaient fait référence à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 dans leurs observations sur le financement des grands projets d’immobilisations destinés à fournir l’infrastructure nécessaire à la prestation de services aux enfants des Premières Nations, la formation a demandé aux parties des observations supplémentaires sur le rôle de la loi et des politiques financières au Canada. Elles ont ainsi déposé d’autres observations sur le rôle de la Loi sur la gestion des finances publiques en général, au-delà de la question des grands projets d’immobilisations. La formation s’est également penchée sur le différend non réglé entre les parties concernant la réaffectation des fonds prévus au budget, étant donné que cette question est également liée à celle de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[7] La formation a également demandé aux parties de confirmer quelles observations elles feraient valoir pour permettre au Tribunal de trancher les questions en suspens dans la présente requête, ce qu’elles ont fait au moyen d’une lettre datée du 1er septembre 2020.

[8] Dans un souci d’aider les parties à progresser dans leurs discussions et leurs négociations, la formation a rendu sa décision sur requête dans une brève lettre de décision datée du 26 août 2021, avec motifs à suivre. Les motifs à l’appui de cette décision sur requête et des ordonnances rendues par la formation sont donc énoncés ici.

A. Approche du Tribunal

[9] Dans des décisions antérieures, la formation a examiné la portée des réparations offertes par la LCDP ainsi que l’objet de la loi, et elle continue de se fonder sur l’approche qu’elle avait alors exposée. La présente section résume certains des points saillants de ces précédentes décisions.

[10] Tout au long des décisions en question, la formation a cité l’article 2 et les paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Objet

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée.

Plainte jugée fondée

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

Indemnité spéciale

53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[11] De plus, la formation s’est appuyée sur le paragraphe 16(1) mentionné à l’alinéa 53(2)a) :

Programmes de promotion sociale

16(1) Ne constitue pas un acte discriminatoire le fait d’adopter ou de mettre en œuvre des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux destinés à supprimer, diminuer ou prévenir les désavantages que subit ou peut vraisemblablement subir un groupe d’individus pour des motifs fondés, directement ou indirectement, sur un motif de distinction illicite en améliorant leurs chances d’emploi ou d’avancement ou en leur facilitant l’accès à des biens, à des services, à des installations ou à des moyens d’hébergement.

[12] Dans la décision 2015 TCDP 14, la formation a examiné de quelle manière il convenait d’interpréter la LCDP afin d’arrêter une méthode pour l’analyse d’une question de représailles (aux par. 12 à 30). La formation a recouru à une approche moderne en matière d’interprétation législative selon laquelle « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (au par. 12). De plus, il incombe aux décideurs de prendre en compte la nature spéciale des textes législatifs sur les droits de la personne dans l’application de la LCDP, comme il a été mentionné dans des arrêts comme CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des femmes] et B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66. La formation a aussi donné des précisions sur les arrêts Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC) et Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536 [O’Malley] en rappelant que la LCDP a pour objet d’éliminer la discrimination et qu’il n’est pas nécessaire que le comportement soit intentionnellement discriminatoire.

[13] Dans la Décision sur le bien-fondé, la formation a déterminé que le financement constituait un service (aux par. 40 à 45). Pour en arriver à cette conclusion, elle s’est appuyée sur les deux précédentes affaires qui traitaient du financement ainsi que du caractère quasi constitutionnel de la LCDP, lequel fait en sorte qu’elle doive être « interprétée de manière large, libérale et téléologique » conformément à son statut spécial (au par. 43).

[14] De même, dans la Décision sur le bien-fondé, la formation a examiné l’objet de la LCDP consistant à favoriser l’égalité réelle (aux par. 399 à 404). Ainsi que l’énonce l’article 2 de la LCDP, il faut à cette fin donner effet au principe du « droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins » (en caractères gras dans la Décision sur le bien-fondé, au par. 399). L’égalité réelle exige souvent que des distinctions soient faites pour s’assurer que les groupes défavorisés puissent bénéficier d’une manière égale des services offerts à la population en général. Pour évaluer l’égalité réelle, il faut examiner l’ensemble des contextes social, politique et juridique de la plainte. Pour les Premières Nations, ce contexte englobe l’attitude coloniale du Canada et les stéréotypes et les préjugés qui en découlent, de même que l’exemple précis du système des pensionnats indiens et de la rafle des années 1960. La LCDP exige que le Canada ne perpétue pas ces préjudices et désavantages historiques en fournissant des services.

[15] La formation a passé en revue les pouvoirs de réparation du Tribunal (Décision sur le bien-fondé, aux par. 474 à 490). Elle a examiné les alinéas 53(2)a) et 53(2)b) de la LCDP qui, ensemble, permettent au Tribunal d’ordonner à un intimé trouvé coupable d’un acte discriminatoire de mettre fin à l’acte, de prendre des mesures destinées à prévenir d’autres actes semblables dans l’avenir et d’accorder à la victime les chances dont l’acte l’a privée. La formation a reconnu que les demandes de réparation immédiate étaient conformes à l’objet de la LCDP. Elle a aussi reconnu le besoin d’équilibre préconisé par AADNC. Par conséquent, la formation a ordonné au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires et de modifier le Programme des SEFPN et le Protocole d’entente sur les programmes d’aide sociale pour les Indiens (l’« Entente de 1965 ») conformément aux conclusions de la Décision sur le bien-fondé, en plus d’appliquer immédiatement le principe de Jordan en lui donnant sa pleine portée et tout son sens, plutôt que d’en appliquer une définition étroite. Cependant, pour garantir l’égalité réelle, il faut réorienter les politiques de manière à respecter les principes des droits de la personne et à tenir compte des saines pratiques en matière de travail social. Des réformes en matière de financement ne suffisent pas. La formation a par ailleurs reconnu la complexité de la tâche de concevoir des mesures de réparation efficaces en l’espèce. Par conséquent, elle a indiqué qu’elle aurait besoin de recevoir d’autres observations pour s’assurer que les mesures de réparation qu’elle ordonnerait soient à la fois équitables, pratiques, concrètes et efficaces.

[16] Une fois la Décision sur le bien-fondé rendue, la formation a conservé sa compétence jusqu’à ce que les questions de réparation en suspens soient résolues (aux par. 493 et 494). Dans ses décisions sur requête subséquentes, elle a ainsi conservé cette compétence.

[17] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 10, la formation a exposé plus en détail les diverses questions liées aux réparations (aux par. 1 à 5). Elle a précisé que le processus de réparation supposait de définir en quoi consistaient les indemnisations et de mettre en œuvre une réforme du programme dans l’immédiat, de même qu’à moyen et à long termes.

[18] La formation a réitéré les principes de réparation de la LCDP sur lesquels elle se fonderait pour concevoir une ordonnance de redressement efficace et utile (2016 TCDP 10, aux par. 10 à 19). Elle a ajouté que la nature quasi constitutionnelle de la LCDP exigeait une interprétation large, libérale et téléologique, et que les pouvoirs de réparation conférés par l’article 53 de la LCDP devaient être interprétés de manière à atteindre l’objectif d’égalité énoncé à l’article 2. Le but d’une ordonnance n’est pas de punir une personne, mais d’éliminer et de prévenir la discrimination. Le Tribunal doit veiller à ce que ses ordonnances de redressement parviennent à promouvoir efficacement les droits protégés par la LCDP et à compenser les pertes subies par les victimes de discrimination. Ce faisant, le Tribunal doit adopter une approche fondée sur des principes, motivée et qui tienne compte des circonstances particulières de l’affaire et des éléments de preuve présentés. L’élaboration d’une réparation efficace dans une affaire complexe comme l’espèce demande souvent de l’innovation et de la souplesse. Les alinéas 53(2)a) et b) de la LCDP accordent d’ailleurs une telle souplesse. Ces dispositions peuvent primer le droit d’une organisation de gérer sa propre entreprise et ouvrir droit à une réparation en nature donnée. Elles viennent également appuyer les dispositions visant à éduquer les gens au sujet des droits de la personne. L’alinéa 53(2)a) est conçu pour lutter contre la discrimination systémique, ce qui exige de s’attaquer aux pratiques et aux attitudes discriminatoires et, pour ce faire, de tenir compte de la situation historique de discrimination.

[19] Au sujet du maintien de sa compétence, la formation a cité la décision Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 1994 CanLII 18487 (CF), 24 CHRR D/390, aux paragraphes 32 et 33, au soutien de la proposition selon laquelle le maintien de la compétence du Tribunal sur les ordonnances complexes visant à remédier à la discrimination systémique donne les moyens de s’assurer qu’il soit mis fin à la discrimination efficacement.

[20] Puis, dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, la formation a souligné qu’il incombait à Services aux Autochtones Canada (SAC) et au gouvernement fédéral d’exécuter les ordonnances du Tribunal et de remédier à la discrimination constatée en l’espèce. SAC devait également communiquer sa réponse aux autres parties et au Tribunal afin qu’ils puissent s’assurer que la discrimination ait été corrigée (au par. 9). La formation a également indiqué que, même si elle partageait le désir de mettre en œuvre une réparation rapidement, il s’agissait d’une question complexe, et elle s’engageait à veiller à ce que toutes les parties aient la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs points de vue (au par. 13).

[21] Dans la décision sur requête 2017 TCDP 14, la formation a examiné le fardeau de la preuve incombant aux parties à l’étape de la réparation (aux par. 27 à 30). Selon le paragraphe 53(2) de la LCDP, une fois la discrimination établie, le Tribunal détermine si des mesures de redressement sont appropriées. Pour ce faire, il doit apprécier les éléments de preuve dont il dispose, mais il peut aussi, au besoin, demander des renseignements et des observations supplémentaires aux parties. Le processus est axé sur la collecte des renseignements nécessaires afin de rendre des ordonnances efficaces. Par conséquent, la question du fardeau de la preuve est sans importance, à moins qu’il n’y ait des lacunes dans le dossier de preuve.

[22] De même, la formation ne s’attache pas à rendre des ordonnances pour établir si le Canada s’est conformé à des ordonnances antérieures (2017 TCDP 14, au par. 31). Le maintien de la compétence du Tribunal vise plutôt à s’assurer que les ordonnances de la formation sont efficaces et corrigent les effets préjudiciables des actes discriminatoires mentionnés dans la Décision sur le bien-fondé. De plus, l’objectif de la formation est de veiller à ce que les mesures prises par le Canada pour donner suite à ses ordonnances tiennent suffisamment compte de la discrimination systémique décrite dans les conclusions du Tribunal. Le processus prendra du temps, et il est utile de régler immédiatement le plus grand nombre de questions possible, en attendant de disposer des données nécessaires pour appuyer une réforme à long terme.

[23] De plus, la formation a donné des directives pour encourager les parties à arranger elles-mêmes les détails des mesures de réparation (2017 TCDP 14, au par. 32).

[24] La formation a expliqué pour quelles raisons les circonstances uniques en l’espèce exigeaient que le Canada consulte les autres parties à l’étape de la réparation (2017 TCDP 14, aux par. 113 à 120). L’alinéa 53(2)a) établit le pouvoir d’ordonner de consulter la Commission. La formation a établi une distinction entre la présente affaire et la décision Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, où la Cour avait conclu qu’il n’était pas approprié d’ordonner la consultation d’autres parties. Les connaissances des autres parties à la présente affaire sont précieuses. De plus, la Couronne a avec les peuples autochtones des rapports de nature fiduciaire qui exigent que le Canada agisse honorablement dans ses rapports avec les Premières Nations et qu’il les traite équitablement. Une telle relation de fiduciaire suppose aussi l’obligation de consulter. L’article 1.1 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, ch. 30, confirmait que la LCDP ne porte pas atteinte à cette relation. Par ailleurs, l’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur de la présente plainte. Les autres parties à la plainte comprennent des professionnels ayant une expertise particulière des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Les organisations en question ont les connaissances nécessaires pour formuler des recommandations visant à rendre les mesures du Canada plus adaptées aux particularités culturelles. Enfin, la consultation des Premières Nations est conforme à l’approche réparatrice annoncée par le Canada en l’espèce.

[25] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation a déjà examiné les arguments présentés par le Canada concernant la façon dont le principe de la séparation des pouvoirs limitait la compétence en matière de réparation conférée au Tribunal par la LCDP. La formation a déjà répondu à ces arguments du Canada, et elle continue de s’appuyer sur les mêmes conclusions qu’elle a alors rendues (aux par. 21 à 83). Sans reprendre celles-ci en entier, il est utile de réitérer que le Tribunal ne cherche pas à usurper les pouvoirs d’autres branches du gouvernement. Il agit sous le régime de sa loi habilitante de nature quasi constitutionnelle, qui lui permet de statuer sur des pratiques discriminatoires antérieures et d’éviter toute récidive. C’est ce qui est prévu à l’alinéa 53(2)a) de la Loi.

[26] L’alinéa 53(2)a) de la LCDP accorde en effet au Tribunal compétence pour rendre une ordonnance « de ne pas faire ». Par ailleurs, si le Tribunal l’estime approprié pour éviter qu’une pratique identique ou semblable survienne dans l’avenir, il peut ordonner de prendre certaines mesures, dont un programme, un plan ou un arrangement spécial visé au paragraphe 16(1) de la LCDP (voir National Capital Alliance on Race Relations (NCARR) c. Canada (Department of Health & Welfare) T.D.3/97, aux pages 30 et 31). Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la portée de cette compétence.

[27] Il en ressort que toute ordonnance du Tribunal, surtout dans des affaires de nature systémique, a un certain degré d’incidence sur les politiques ou les dépenses de fonds. Priver le Tribunal de ce pouvoir par des décisions de la branche exécutive l’empêcherait d’accomplir la tâche que lui confère la Loi, laquelle est de nature quasi constitutionnelle. Tout au long de son existence, le Tribunal a rendu à maintes reprises des ordonnances qui ont eu une incidence sur des dépenses de fonds. Parfois, ce sont des ordonnances se chiffrant à des millions de dollars qu’il rend (voir p. ex. Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2005 TCDP 39, au paragraphe 1023, conf. par la Cour suprême du Canada dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, [2011] 3 RCS 572, 2011 CSC 57).

[28] De plus, des mesures de réparation précises ayant une incidence sur les politiques sont souvent prises pour remédier à de la discrimination, ce qui est particulièrement vrai dans les affaires de nature systémique. Pareilles mesures de réparation ont été confirmées dans la décision Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), 1997 CanLII 1433 (TCDP), 28 CHRR 179 et dans l’arrêt Action Travail des femmes. En outre, les ordonnances réparatrices peuvent imposer des obligations positives à une partie. Elles doivent aussi découler des conclusions du Tribunal et y donner suite.

[29] Dans la même décision sur requête 2018 TCDP 4, au paragraphe 34, le Tribunal, en se fondant sur la décision Alliance de la capitale nationale sur les relations raciales c. Canada (Ministère de la Santé et du Bien-être social), 1997 CanLII 1433 (TCDP), a également analysé comme suit le passage de l’article 16 de la LCDP traitant de l’adoption d’un programme, d’un plan ou d’un arrangement spécial et de la prévention de la discrimination dans l’avenir :

L’alinéa 53(2)a) de la LCDP confère au Tribunal la compétence de rendre une ordonnance « de ne pas faire ». Par ailleurs, si le Tribunal estime qu’il convient de le faire pour éviter qu’une pratique identique ou semblable survienne dans l’avenir, il peut ordonner certaines mesures, dont l’adoption de programmes, de plans ou d’arrangements spéciaux mentionnés à l’article 16(1) de la LCDP (voir National Capital Alliance on Race Relations (NCARR) c. Canada (Department of Health & Welfare) T.D.3/97, aux p. 30 et 31). Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la portée de cette compétence. En faisant sienne l’opinion dissidente du juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale, la Cour a décrété :

[…] l’al. 41 (2)a) [aujourd’hui l’al. 53(2)a)] a été conçu pour permettre aux tribunaux des droits de la personne d’empêcher que des groupes protégés identifiables ne soient à l’avenir victimes de discrimination, mais il a jugé que le terme « prévention » est fort général et qu’il est souvent nécessaire de se référer à des régimes historiques de discrimination pour concevoir les stratégies appropriées à l’avenir. (à la p. 1141).

(Caractères gras ajoutés.)

[30] La formation a rejeté l’argument du Canada selon lequel le principe de séparation des pouvoirs empêchait le Tribunal de rendre des ordonnances qui ont une incidence sur les politiques ou les dépenses publiques et qui sont susceptibles de remédier à la discrimination constatée en l’espèce. Il ne s’agit pas ici d’une affaire où la formation a rendu une ordonnance prescrivant un montant précis de financement pour prévenir toute discrimination dans l’avenir. Soustraire le Canada à la portée réparatrice de la LCDP en raison de la séparation des pouvoirs ne concorde pas avec l’objet de la LCDP et réduirait le rôle décisionnel du Tribunal à un rôle consultatif. Les lois en matière de droits de la personne reconnaissent qu’il peut y avoir des contraintes de coûts, d’où la défense fondée sur les exigences professionnelles justifiées qu’elles prévoient, mais cette défense n’a pas été invoquée par le Canada (2018 TCDP 4, aux par. 45 et 46).

[31] Lorsqu’elle conçoit ses ordonnances, la formation ne cherche pas à intervenir dans les détails de l’élaboration des programmes ou des politiques, par exemple en choisissant une politique plutôt qu’une autre, pourvu que la discrimination systémique soit éliminée. Par ses ordonnances réparatrices, la formation entend faire en sorte que les politiques discriminatoires ne soient plus appliquées et que la discrimination soit éliminée. La formation est disposée à rendre des ordonnances supplémentaires si les pratiques discriminatoires se poursuivent. Agir autrement serait inéquitable pour les parties ayant eu gain de cause. Il importe de faire la distinction entre les choix de politiques du Canada qui éliminent de manière satisfaisante la discrimination, et à l’égard desquels la formation s’abstient d’intervenir, et les choix de politiques qui n’empêchent pas la pratique de se reproduire. Pour illustrer le propos, si la formation conclut que le Canada répète l’histoire et choisit des moyens similaires ou identiques pour fournir des services de bien-être à l’enfance qui correspondent à de la discrimination, la formation est justifiée d’intervenir. Bien qu’elle soit disposée à rendre d’autres ordonnances si le Canada met en œuvre des politiques ne permettant pas d’éliminer la discrimination, la formation n’interviendra pas si le Canada met en œuvre des politiques qui y parviennent (2018 TCDP 4, aux par. 48 à 54).

[32] En particulier, la formation met en évidence les passages suivants de la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[51] En fait, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 (CanLII), la Cour suprême a aussi prescrit que les tribunaux des droits de la personne doivent veiller à ce que leurs réparations soient efficaces, originales s’il le faut, et qu’elles répondent à la nature fondamentale des droits en question :

[52] « Malgré des désaccords ponctuels sur les modalités des réparations appropriées, […] la jurisprudence de notre Cour a insisté sur la nécessité de la flexibilité et de la créativité dans la conception des réparations à accorder pour les atteintes aux droits fondamentaux de la personne […] Ainsi, dans le cadre de l’exercice des recours appropriés devant les organismes ou les tribunaux compétents, la mise en œuvre de ce droit peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise » (voir au par. 26). [Nos soulignés].

[53] La formation peut juger nécessaire de rendre d’autres ordonnances si le Canada ne corrige pas les pratiques discriminatoires du passé de manière efficace. Il serait inéquitable que les plaignants, la Commission et les parties intéressées, qui ont eu gain de cause dans le cas de la présente plainte, après de nombreuses années et des instances différentes, aient à déposer une autre plainte pour obtenir la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal et la réforme du système de bien-être à l’enfance des Premières Nations.

[54] Il est important de faire la distinction entre les choix de politiques faits par le Canada qui éliminent de manière satisfaisante de la discrimination, choix dans lesquels la formation s’abstient d’intervenir, des choix de politiques faits par le Canada qui n’empêchent pas la pratique de se reproduire. Pour expliquer ce commentaire, si elle conclut que le Canada répète l’histoire et choisit des moyens similaires ou identiques pour fournir des services de bien-être à l’enfance qui ont résulté à de la discrimination, la formation est justifiée d’intervenir.

(2018 TCDP 4, aux par. 51 à 54.)

[33] La formation a auparavant établi la distinction entre les ordonnances de réparations immédiates et une réforme à long terme :

Finalement, sur ce point, bien que le Canada fasse valoir qu’il doit consulter toutes les collectivités des Premières Nations, ce qui, selon nous, demeure d’une importance primordiale pour une réforme à long terme, la formation ne pense pas que cette consultation empêche le Canada de mettre en œuvre des mesures de réparations immédiates. Dans la mesure où le Canada estime qu’il ne peut pas prendre unilatéralement de décisions, la formation est d’avis que le Canada l’a fait : c’est-à-dire maintenir le statu quo dans certains secteurs même si les besoins de collectivités ou de groupes précis ont été clairement cernés et exprimés dans de nombreux rapports déposés en preuve en l’espèce et mentionnés dans les conclusions de la Décision.

(2018 TCDP 4, au par. 55).

[34] La formation a reconnu la valeur de la participation du Canada à de vastes consultations auprès des collectivités des Premières Nations dans le cadre de ses réformes des services à l’enfance et à la famille. Toutefois, elle n’a pas estimé qu’une telle consultation pourrait retarder une réforme immédiate (2018 TCDP 4, au par. 55).

[35] La formation a réitéré les objectifs de la LCDP à plusieurs reprises dans ses motifs, notamment au paragraphe 165 :

[...] les objectifs prévus à la LCDP aux articles 2 et 53 consistent non seulement à éliminer la discrimination mais aussi à empêcher qu’elle ne se reproduise. Si la formation conclut que certains des mêmes comportements et habitudes qui ont mené à une discrimination systématique se produisent toujours, elle doit intervenir. C’est le cas ici.

(2018 TCDP 4, au par. 165).

[36] La formation a statué qu’il était nécessaire de recourir à une démarche par étapes à l’égard des mesures de réparation afin de s’assurer d’accorder des mesures de réparation à court terme d’abord, et à moyen et à long terme ensuite, ainsi qu’une réforme complète du Programme qui prend nettement plus de temps à mettre en œuvre. Elle a reconnu que, si le Canada prenait cinq ans ou plus pour réformer le Programme, il y avait un besoin crucial de remédier à la discrimination immédiatement, de la manière la plus concrète possible, en tenant compte des éléments de preuve dont on disposait jusque‑là. Il peut être nécessaire que la formation demeure saisie de l’affaire pour s’assurer que les pratiques discriminatoires sont éliminées et qu’un plan approprié est en place pour garantir qu’elles ne se reproduisent pas (2018 TCDP 4, aux par. 384 à 389).

[37] Dans la décision sur requête 2019 TCDP 7, la formation a décrit les mesures de redressement prévues à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP comme un pouvoir semblable à une injonction qui permet au Tribunal d’ordonner la cessation d’un acte discriminatoire (aux par. 45 à 55).

[38] Dans la décision sur requête 2019 TCDP 39 (la « Décision sur l’indemnisation »), la formation a traité de l’objectif de l’indemnité individuelle comme mesure de réparation. Les réparations individuelles servent à prendre acte des souffrances des victimes et à prévenir la discrimination à l’avenir (au par. 14). La condamnation à des dommages‑intérêts au titre d’actes délibérés ou inconsidérés, en particulier, envoie le message que les droits de la personne doivent être respectés (au par. 15). Ces réparations sont différentes des autres qui visent à prévenir la discrimination (au par. 229). De façon plus générale, dans la Décision sur l’indemnisation, la formation a réitéré ses observations antérieures sur l’objectif de la réparation de la LCDP, en faisant remarquer qu’elle est tenue d’examiner les circonstances particulières de l’affaire, notamment celles énoncées dans l’exposé des précisions, les observations et la preuve (aux par. 94 à 111).

[39] Puis, dans la décision sur requête 2020 TCDP 7, aux paragraphes 51 à 57, la formation a examiné la manière dont il convenait d’aborder le maintien de la compétence du Tribunal. La formation a indiqué que le maintien de la compétence, en l’espèce, permettait aux parties de demander des modifications à ses ordonnances si, fortes de leur expertise et de leur expérience, elles trouvaient un moyen d’en améliorer l’efficacité. La formation a reconnu que la mise en œuvre des mesures de réparation dans la présente plainte nécessiterait des discussions et des négociations entre les parties. La procédure en l’espèce est complexe, et elle nécessite de la souplesse. La formation a examiné la jurisprudence antérieure selon laquelle il peut être approprié, en particulier dans le cas d’ordonnances réparatrices complexes, que le Tribunal demeure compétent au cours de l’exécution de l’ordonnance.

[40] L’une des décisions sur lesquelles la formation s’est penchée est Berberi c. Procureur général du Canada, 2011 TCDP 23 :

[...] le fait qu’elle investisse le Tribunal de larges pouvoirs, ajouté au fait qu’elle devrait être interprétée de manière large de façon à donner pleinement effet aux droits qu’elle protège, permet au Tribunal de rester saisi de l’affaire sur certains points afin de veiller à ce que les plaignants jouissent effectivement de la réparation qu’il leur a accordée (voir Grover, aux paragraphes 29 à 36).

(2020 TCDP 7, au par. 54, citant Berberi c. Procureur général du Canada, 2011 TCDP 23, au par. 13).

[41] Dans la décision sur requête 2020 TCDP 24, la formation a aussi fait remarquer qu’elle ne devait pas demeurer saisie de l’affaire indéfiniment une fois les réparations à long terme mises en œuvre, ni instruire constamment de nouvelles questions. Toutefois, la question des services de représentants de bande relève précisément de ses ordonnances et de sa surveillance, qui visent à éliminer la discrimination et à éviter qu’elle ne se reproduise (au par. 23).

[42] De plus, la formation rappelle ainsi ses précédentes observations aux paragraphes 21 à 23 :

[21] La formation a rendu des ordonnances dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 et est demeurée saisie de leur mise en œuvre. La formation a compétence pour répondre aux requêtes visant à clarifier ces ordonnances, en particulier si les interprétations des parties divergent. La formation ne considère pas cette requête comme une nouvelle question en litige. Il s’agit plutôt d’une question relative à l’interprétation et à la mise en œuvre de l’ordonnance, et c’est dans le but de répondre à ce genre de questions que la formation est demeurée saisie de ses ordonnances.

[22] Selon la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation doit demeurer saisie de la mise en œuvre des ordonnances et peut modifier ces dernières si des études subséquentes ou de nouveaux renseignements révèlent des détails supplémentaires sur des pratiques exemplaires et des besoins particuliers, qui n’auraient pas été pris en compte en raison d’un manque de données. Ce principe a toujours fait partie de l’objectif de la formation d’assurer un redressement à long terme, et cela n’a pas changé.

[23] [...] De fait, dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, au paragraphe 444, la formation a écrit ce qui suit :

La formation conserve sa compétence sur les ordonnances qui précèdent afin de s’assurer qu’elles sont mises en œuvre de manière efficace et concrète et, pour les affiner ou les clarifier, au besoin. La formation continuera de conserver sa compétence sur ces ordonnances jusqu’au 10 décembre 2018; elle réexaminera alors la nécessité de conserver sa compétence au-delà de cette date. Puisque les ordonnances de la formation procèdent par phases, et, étant donné que cette dernière doit encore trancher sur d’autres demandes de réparation, comme les mesures à prendre à moyen terme et à long terme ainsi que la question de l’indemnisation, la formation conservera sa compétence sur cette affaire. Tout autre maintien de cette compétence sera réévalué suite à la réception de futurs rapports du Canada.

[43] Par la suite, dans la décision sur requête 2021 TCDP 6, la formation a examiné la portée des pouvoirs de réparation accordés par la LCDP (aux par. 51 à 76). Les limites imposées aux pouvoirs réparateurs de la LCDP sont celles énoncées à l’article 54 qui restreignent les mesures de redressement dans le cas de personnes ayant obtenu un emploi ou un logement de bonne foi. La formation a confirmé que, pour interpréter la LCDP, il faut recourir à l’approche moderne d’interprétation des lois dans le contexte de la nature particulière des lois sur les droits de la personne, comme elle l’a indiqué dans des décisions sur requête antérieures.

[44] La formation a passé en revue la jurisprudence clé où était analysée la portée réparatrice de la LCDP en attachant une importance particulière à la décision Action Travail des femmes et à l’arrêt Robichaud (2021 TCDP 6, aux par. 59 à 75). Ces affaires indiquent que le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour accorder des réparations, mais qu’il doit être guidé par l’objet de la loi visant à prévenir la discrimination et à y remédier. Les mesures de réparation doivent être efficaces. Au demeurant, la LCDP ne doit pas être interprétée étroitement de manière à limiter les outils de réparation du Tribunal, compte tenu des principes généraux d’interprétation législative et du statut quasi constitutionnel de cette loi. Des réparations systémiques comme celles fondées sur l’alinéa 53(2)a) de la LCDP par renvoi au paragraphe 16(1), sont souvent nécessaires dans les cas de discrimination systémique. Les principaux objectifs de telles sanctions systémiques, comme il est énoncé dans la décision Action Travail des femmes, sont de contrer les effets de la discrimination systémique, notamment en s’attaquant au problème des attitudes stéréotypées.

[45] Dans la décision sur requête 2021 TCDP 12, la formation a examiné l’objectif réparateur de la LCDP dans le contexte d’une ordonnance sur consentement (aux par. 25 à 41). Elle a passé en revue un certain nombre de ses décisions sur requête et décisions antérieures, qui sont résumées ci-dessus. De plus, elle a cité la décision Ontario v. Association of Ontario Midwives, 2020 ONSC 2839. Dans cette décision, la Cour divisionnaire avait approuvé le raisonnement tenu par la formation dans la présente affaire de discrimination systémique, à savoir que : [traduction] « les gouvernements ont l’obligation, en matière de droits de la personne, d’empêcher la discrimination de manière proactive, notamment en s’assurant que leurs politiques, programmes et modèles de financement sont fondés dès le départ sur une analyse de l’égalité réelle et qu’ils font régulièrement l’objet de suivis et de mises à jour » (Association of Ontario Midwives, au par. 189.)

[46] Par ailleurs, les motifs de la Cour fédérale dans Stringer c. Canada (Procureur général), 2013 CF 735 orientent l’approche de la formation à l’égard des mesures de réparation systémiques. Dans cette affaire, la Commission des relations de travail dans la fonction publique avait tiré une conclusion de fait quant à l’existence d’un défaut systémique de fournir des mesures d’adaptation, car l’employeur n’offrait aucune formation aux gestionnaires sur leurs obligations à l’égard de telles mesures. Compte tenu de cette conclusion, il était déraisonnable de conclure que la formation en question ne saurait être une mesure de réparation permettant d’éviter la discrimination. En particulier, la Cour a déclaré que le fait que les politiques de l’employeur, si elles avaient été suivies, auraient empêché la discrimination n’empêchait pas l’arbitre d’ordonner des mesures de réparation systémiques. Une conclusion de fait justifiant une réparation systémique exigeait que l’arbitre examine comme il se devait la question des mesures de réparation systémique appropriées (aux par. 119 à 126). Enfin, l’ordonnance « de ne pas faire » de la Cour, semblable à une injonction, reste en vigueur et n’a été annulée par aucune ordonnance subséquente.

[47] En tenant compte des principes juridiques susmentionnés, et afin de répondre aux questions qui seront traitées ci-dessous, la formation a examiné et soupesé, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments de preuve présentés ainsi que les positions des parties et les documents à l’appui (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 3).

[48] En ce qui a trait aux immobilisations et à une réparation rétroactive à l’égard des rajustements à la baisse pratiqués par le passé, le Canada est-il parvenu à une approche actuelle qui permettra de remédier entièrement aux effets discriminatoires préjudiciables relevés par le Tribunal?

[49] La formation estime que les éléments de preuve et les autres renseignements dont elle dispose en l’espèce sont suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’approche actuelle du Canada ne tient pas pleinement compte des effets discriminatoires préjudiciables relevés par le Tribunal. De plus, le problème de la discrimination prima facie avait déjà été constaté, et le Canada n’avait pas établi un moyen de défense fondé sur les articles 15 ou 16 de la LCDP. Dans le cadre de la présente requête, le Tribunal n’est pas convaincu que l’approche actuelle du Canada permet de régler rapidement le problème pour que cesse la discrimination systémique relevée par le Tribunal.

[50] Dès lors, quelles autres ordonnances, le cas échéant, y aurait-il lieu de rendre?

[51] Le Tribunal analysera la question au fil de chacune des sections ci-dessous.

Analyse générale de l’approche du Canada

[52] Après avoir examiné les observations et les éléments de preuve qui lui avaient été soumis relativement à chacune des questions distinctes soulevées par la présente décision sur requête, la formation a tiré des conclusions générales au sujet de l’approche du Canada. Ces conclusions sont donc fondées sur l’ensemble des observations et des éléments de preuve susmentionnés, et elles s’appliquent à chacune des questions analysées ici. Par conséquent, la présente partie est exposée en premier parce qu’elle s’applique à l’ensemble de l’analyse figurant plus loin dans les présents motifs.

[53] Après examen des éléments de preuve, il apparaît évident que SAC déploie des efforts pour se conformer aux ordonnances du Tribunal selon l’interprétation qu’il fait de celles-ci. Notons que l’auteure de l’affidavit du Canada, Mme Johanne Wilkinson, sous-ministre adjointe, Réforme des services aux enfants et aux familles, à SAC, a admis que SAC n’avait fixé aucun échéancier précis pour se doter d’un plan d’immobilisations pour les organismes (voir le contre-interrogatoire de Johanne Wilkinson, 7 mai 2019, à la page 83, lignes 6 à 9). En ce qui concerne les immobilisations, la preuve indique que le Canada met davantage l’accent sur les ordonnances du Tribunal rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 qui ne prévoient pas le financement des coûts réels des grands projets d’immobilisations, comme les rénovations majeures, l’agrandissement des locaux, l’acquisition ou la construction d’immeubles. Mme Wilkinson a lu la Décision sur le bien-fondé et les décisions sur requête 2016 TCDP 10 et 2016 TCDP 16. De plus, elle a déclaré que, dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal [traduction] « a assurément statué que le programme comportait des pratiques discriminatoires et exigé qu’un certain nombre de réformes soient entreprises, que les pratiques discriminatoires cessent et que des fonds soient versés pour combler ces lacunes », en ajoutant savoir que le Tribunal avait déclaré que les décisions sur requête devaient être interprétées ensemble (voir le contre-interrogatoire de Johanne Wilkinson, 7 mai 2019, aux pages 16 et 17). Il est également clair que SAC doit suivre un processus pour modifier les autorisations et les modalités de ses programmes. Bien que SAC dispose d’une certaine marge de manœuvre, lorsque ces autorisations et modalités excluent un élément — comme les infrastructures en appui à la prestation des services visés par la présente procédure — alors que celui-ci a été ordonné par le Tribunal, SAC procède par étapes. Par exemple, SAC discutera avec ses partenaires de différentes tables et d’ailleurs, et recueillera des renseignements, qu’il utilisera pour présenter des arguments au Conseil du Trésor et au Cabinet en vue d’éventuelles modifications, [traduction] « si elles sont souhaitées », comme l’a dit Mme Wilkinson. Il est également manifeste que SAC doit suivre les processus établis par la Loi sur la gestion des finances publiques et par le Conseil du Trésor et demander l’approbation pour une expansion ou pour des dépenses importantes qui ne font pas partie des autorisations et des modalités du programme des SEFPN (les « Modalités »).

[54] Le Parlement a le pouvoir exclusif d’effectuer des paiements à même les fonds publics, comme le confirme l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Un ministère ne peut pas faire un tel paiement unilatéralement. Ainsi, lorsqu’un ministre détermine qu’une modification de politique requiert un financement accru, il doit demander l’approbation du Cabinet et préparer une présentation au Conseil du Trésor. Dans le cadre du processus du Conseil du Trésor, il faut fournir des détails précis sur la façon dont le financement sera utilisé et justifier la modification. Les Modalités établissent les paramètres applicables à la manière dont l’argent peut être dépensé. SAC est chargé de veiller à ce que les fonds du Programme des SEFPN soient utilisés conformément aux Modalités, compte tenu du rôle d’intendance qui revient au gouvernement pour ce qui est de rendre compte de l’utilisation des fonds publics.

[55] En fin de compte, le Conseil du Trésor ou le Cabinet prendra la décision d’accepter ou non d’inclure dans les autorisations approuvées un financement pour des éléments précis. Autrement dit, comme nous venons de l’expliquer, ce n’est pas SAC qui a le dernier mot, mais le Cabinet et le Conseil du Trésor. Les parties au CCPE ont discuté de stratégies destinées à augmenter le seuil des immobilisations et accompagnées d’une directive sur les immobilisations, de telle manière à ce que des modifications ultérieures à ce seuil ne nécessitent pas de passer par le processus d’approbation du Conseil du Trésor. Un projet de directive sur les immobilisations serait soumis au CCPE pour examen. Il s’agit là d’un plan positif susceptible de répondre aux besoins de financement immédiats, en totalité dans certains cas, et partiellement dans d’autres, compte tenu du plafond de financement. Nous y reviendrons plus loin.

[56] Néanmoins, il peut être moins impérieux, pour le Cabinet et le Conseil du Trésor, d’approuver les autorisations s’ils estiment que d’autres programmes peuvent répondre aux besoins. Or à ce jour, bien que des efforts aient été déployés pour recueillir des renseignements, on ne dispose toujours pas de données claires du point de vue de l’élimination du manque de coordination entre les programmes qui a été constaté, et qui a des répercussions sur la prestation des services. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve sur les différents programmes offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations dans les réserves et sur la façon dont chacun répond vraiment à leurs besoins. Autrement dit, le Tribunal ignore s’il existe une étude complète et approfondie de tous les programmes dans les réserves, de la façon dont ils sont interreliés et se recoupent et de la manière dont on s’assure qu’il n’y ait pas de lacunes dans les services offerts aux enfants des Premières Nations. À ce jour, le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les lacunes dans les services offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations qui vivent dans une réserve, ou vivent habituellement dans une réserve, ont toutes été corrigées et prises en compte par d’autres programmes là où les autorisations du Programme des SEFPN excluent certains postes ou imposent un plafond de financement. Le Tribunal soulève ce point pour illustrer que renvoyer à d’autres programmes dans le contexte d’une demande légitime de prestation de services pourrait ne pas représenter une réponse satisfaisante aux ordonnances du Tribunal, comme nous l’expliquerons ci-dessous.

[57] De plus, bien que la formation comprenne les processus de financement imposés par la loi, elle a entendu peu de choses au sujet de l’objectif du Parlement d’éliminer la discrimination et de la nécessité que l’exécutif prenne en compte la responsabilité établie du Canada. Le Tribunal a conclu à la discrimination raciale systémique en 2016 et a ordonné au Canada d’y mettre fin. Le Canada n’a pas contesté les ordonnances du Tribunal lui intimant de cesser les actes discriminatoires de manière à tenir compte des conclusions tirées dans la Décision sur le bien-fondé.

[58] La formation estime que responsabilité financière et lutte contre la discrimination systémique peuvent certainement coexister et être assurées ensemble. Toutefois, comme il sera expliqué plus loin, elle rejette l’argument du Canada selon lequel, si le Cabinet et le Conseil du Trésor n’allouent pas un financement suffisant au Programme des SEFPN et à l’application du principe de Jordan, le Tribunal devra l’accepter en raison de la séparation des pouvoirs. Le Tribunal a déjà rejeté l’argument de la séparation des pouvoirs dans des décisions sur requête antérieures par ailleurs non contestées. Le Canada n’a pas présenté d’argument fondé sur les articles 15 ou 16 de la LCDP. Il a été tenu responsable, et s’est vu ordonner de mettre fin à la discrimination, qui perdure tant qu’une réforme à long terme n’est pas mise en œuvre.

[59] De plus, si le Tribunal devait accepter l’argument du Canada, il permettrait ainsi à l’exécutif de se mettre à l’abri des ordonnances, même si le Canada est jugé responsable dans des affaires de droits de la personne. En outre, pour se soustraire à sa responsabilité, le Canada n’aurait qu’à soutenir qu’il ne s’agit pas de l’objectif ou de la priorité du gouvernement. La Cour suprême du Canada avait rejeté cet argument dans l’arrêt Kelso c. La Reine, 1981 CanLII 171 (CSC), [1981] 1 RCS 199, sur lequel le Tribunal s’est appuyé dans la Décision sur le bien-fondé. Le Tribunal souligne que le législateur a clairement exprimé son objectif en adoptant la LCDP, une loi de nature quasi constitutionnelle. Le Cabinet et le Conseil du Trésor ne peuvent se soustraire à l’application de la LCDP. Lorsqu’ils sont déclarés responsables d’une discrimination systémique, ils doivent l’éliminer concrètement. Enfin, les arguments invoqués dans la présente requête au sujet de la Loi sur la gestion des finances publiques du Canada ne suffisent pas à établir une défense fondée sur les articles 15 ou 16 de la LCDP.

[60] Cela dit, lorsqu’il siège à des tables de consultation comme le CCPE, ou le Comité consultatif national sur la réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« CCN ») et d’autres groupes, SAC entend souvent les parties et d’autres partenaires discuter des aspects à améliorer. Les éléments de preuve démontrent non seulement que SAC est présent à ces réunions, mais qu’il apporte des améliorations au Programme des SEFPN et au mécanisme d’application du principe de Jordan, et que ces modifications sont souvent inspirées par les échanges en question. Des modifications sont apportées à la suite de discussions entre les parties. Des efforts réels sont déployés par le personnel de SAC pour présenter au Conseil du Trésor ou au Cabinet des arguments justifiant le financement.

[61] La formation comprend qu’il puisse y avoir des désaccords et n’ordonne pas l’atteinte d’un consensus. Celui-ci serait certes idéal, mais il n’est pas toujours possible. La formation a examiné la nature des désaccords en fonction de ses conclusions. De nombreuses approches peuvent être valables dans la mesure où des éléments de preuve démontrent que les besoins réels des enfants des Premières Nations sont satisfaits le plus rapidement possible. Tel est l’objectif du Tribunal.

[62] Il ressort aussi clairement de la preuve que le Canada est prêt à mettre au point un nouveau modèle de financement à long terme fondé sur de nouvelles études.

[63] De plus, le Tribunal a ordonné une réforme complète du Programme des SEFPN afin qu’il soit mis fin aux actes discriminatoires constatés dans sa décision, notamment en corrigeant le manque de coordination entre les programmes fédéraux qui entraîne, pour les enfants et les familles des Premières Nations, des interruptions, des retards et des refus de services.

[64] L’honorable Jane Philpott, première titulaire du poste de ministre de SAC, a commencé à diriger les efforts du ministère visant à adopter une approche globale à l’égard de la prestation des services sociaux, de santé et d’infrastructure essentiels à la santé des enfants, des familles et des collectivités. La Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits (« DGSPNI ») a en outre été officiellement transférée de Santé Canada au nouveau ministère des Services aux Autochtones. La ministre a déclaré : « Notre travail sera basé sur la reconnaissance et le respect du droit à l’autodétermination » (voir l’affidavit de Lorri Warner daté du 4 mars 2020, à la pièce 9).

[65] Le Canada a exprimé l’objectif de modifier son ancienne approche à l’égard des programmes qui, selon le Tribunal, fonctionnent en vase clos. Il a dit miser sur une approche globale, intersectionnelle et axée sur les collectivités des Premières Nations qui, si elle était entièrement mise en œuvre, remédierait à la discrimination raciale systémique constatée par le Tribunal et s’alignerait à long terme sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La formation approuve entièrement cet objectif, pour autant qu’il se concrétise.

[66] Qui plus est, la formation est favorable à cette approche de nation à nation et l’a exprimé dans des décisions antérieures, en particulier dans la décision sur requête 2018 TCDP 4. La formation est donc d’accord avec le Canada concernant cet objectif important.

[67] Il s’agit là de l’approche idéale, pourvu que la discrimination raciale systémique soit éliminée de manière satisfaisante et que les collectivités et les organismes ne se heurtent à aucun refus lorsqu’ils expriment des besoins réels mesurables liés à la prestation de services, y compris pendant la période de transition, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

II. Contexte des grands projets d’immobilisations

[68] Les parties requérantes dans la présente requête demandent qu’il soit ordonné au Canada de financer les grands projets d’immobilisations relatifs aux organismes de SEFPN, aux demandes fondées sur le principe de Jordan et aux Premières Nations de l’Ontario qui fournissent des services de représentants de bande et des services de prévention. Les parties requérantes demandent que ce financement tienne compte des coûts connexes, notamment ceux associés aux études de faisabilité et les frais administratifs liés aux grands projets d’immobilisations.

[69] Selon les Modalités du programme des SEFPN, les grands projets d’immobilisations consistent en « l’achat ou la construction d’immobilisations comme les immeubles qui soutiennent la prestation de services des SEFPN ».

[70] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a fait remarquer que le premier rapport Wen:De, publié en 2004, faisait état d’un manque de financement pour les coûts d’immobilisations (Décision sur le bien-fondé, au par. 157). Le Tribunal s’est appuyé sur les deuxième et troisième rapports Wen:De, qui ont confirmé une fois de plus le manque de financement affecté aux immobilisations (Décision sur le bien-fondé, aux par. 162 et 177). L’absence de partage des dépenses en capital au titre des infrastructures depuis 1975 sous le régime du Protocole d’entente sur les programmes d’aide sociale pour les Indiens (l’Entente de 1965) a entraîné l’envoi d’enfants à l’extérieur des collectivités pour recevoir des traitements en raison du manque d’installations dans leur collectivité (Décision sur le bien-fondé, au par. 245). Le Tribunal a constaté que le financement insuffisant des immobilisations nuisait à la capacité des organismes de SEFPN « de fournir les services d’aide à l’enfance exigés par les provinces et les territoires et, à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle des enfants et des familles des Premières Nations » (Décision sur le bien-fondé, au par. 458). Le manque de financement pour les immobilisations était l’un des éléments de preuve ayant permis de conclure à un acte discriminatoire dans la Décision sur le bien-fondé.

[71] Trois mois après la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a rendu une décision sur requête ordonnant au Canada de procéder immédiatement à des réformes du Programme des SEFPN, de l’Entente de 1965 et de la mise en œuvre du principe de Jordan. Cette décision sur requête soulignait la nécessité de repenser la structure de financement du Programme des SEFPN, notamment en ce qui a trait aux infrastructures (2016 TCDP 10, au par. 20).

[72] Le Tribunal a réitéré le besoin de mesures d’aide immédiates, y compris en ce qui concerne les immobilisations, dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, au paragraphe 36. Notons qu’au paragraphe 18, le Tribunal rappelait au Canada que le financement ne reflétait pas avec exactitude les besoins réels en matière de service de nombreuses communautés dans les réserves. Il en résultait un financement fixe insuffisant au titre des coûts d’exploitation (dépenses en immobilisations, bureaux multiples, ajustement au coût de la vie, salaires et avantages sociaux du personnel, formation, frais juridiques, frais liés à l’éloignement et aux voyages) et les coûts de prévention (services primaires, secondaires et tertiaires pour maintenir les enfants en toute sécurité dans leur milieu familial), ce qui entravait la capacité des organismes fournissant des SEFPN d’offrir les services de protection de l’enfance demandés par les provinces et les territoires, sans parler de services qui soient adaptés à la culture.

[73] Le Tribunal a reconnu, en 2016, que même si les dépenses d’immobilisations au titre des réparations, en particulier celles exécutées pour se conformer aux normes applicables des codes du bâtiment, de la sécurité et de la prévention des incendies, pouvaient être effectuées immédiatement, certaines discussions sur les immobilisations nécessiteraient plus de temps pour garantir un processus de planification approprié (2016 TCDP 16, au par. 49).

[74] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, le Tribunal a de nouveau reconnu que l’infrastructure des immobilisations n’avait pas été financée en vertu de l’Entente de 1965 depuis 1975. Le Tribunal a constaté le besoin immédiat d’y consacrer un financement de façon provisoire, jusqu’à ce que les questions d’immobilisations à long terme puissent être réglées (2016 TCDP 16, au par. 97).

[75] En outre, au paragraphe 160, le Tribunal a ordonné à Affaires autochtones et du Nord Canada (« AANC ») de déterminer le budget de chaque organisme fournissant des SEFPN, en fonction de l’évaluation de ses circonstances et de ses besoins particuliers, notamment une évaluation appropriée sur la façon dont l’éloignement peut influencer la capacité des organismes fournisseurs de SEFPN à offrir des services.

[76] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a examiné les demandes de financement d’un certain nombre d’éléments, dont les réparations de bâtiments, en fonction des coûts réels. Le Tribunal a procédé à une analyse approfondie qui a de nouveau fait ressortir que le financement était insuffisant, notamment pour ce qui est des dépenses en infrastructure et en capital, et que le fait de ne pas remédier à ces lacunes équivalait à perpétuer les pratiques discriminatoires constatées par le Tribunal dans la Décision sur le bien-fondé. Le Tribunal a traité des préoccupations du Canada au sujet du financement et a fait remarquer que la volonté de celui-ci de fournir un financement pour une période indéterminée pour les enfants des Premières Nations pris en charge, mais non pour fournir des services de prévention adéquats, reflétait un système fondé sur une mentalité colonialiste perpétuant un préjudice historique contre les peuples autochtones, le tout justifié dans le cadre d’une politique. Cette situation, qui plus est, menait au retrait massif des enfants des Premières Nations de leurs foyers, de leurs familles, de leurs collectivités et de leurs nations (2018 TCDP 4, aux par. 47, 62, 66 et 114 à 195). En se fondant sur cette analyse et sur les préoccupations qu’il soulevait au sujet des pratiques du Canada, le Tribunal a ordonné au Canada de fournir des mesures d’aide immédiates pour financer les dépenses en capital mineures, comme les réparations de bâtiments (2018 TCDP 4, aux par. 212 et 213, 231 à 237). Le Tribunal a reconnu la nécessité d’évaluer les besoins en capitaux de l’ensemble des organismes de SEFPN pour éclairer les mesures de réforme immédiates, à moyen terme et à long terme, et d’intégrer ces directives dans ses ordonnances (2018 TCDP 4, au par. 374).

[77] Par ailleurs, le Tribunal a conclu que l’omission de financer les services de représentants de bande était discriminatoire. Dans la Décision sur le bien-fondé, il a estimé que l’Ontario finançait adéquatement les services de représentants de bande, tandis que le Canada avait adopté la position selon laquelle il n’était pas tenu de le faire (aux par. 392, 425 et 426). Le Tribunal a confirmé le besoin de corriger l’acte discriminatoire consistant à ne pas financer adéquatement les services de représentants de bande : Décision sur le bien-fondé, aux par. 228 à 230, 236 à 238, 389, 392, 425 et 426; décision sur requête 2018 TCDP 4, aux par. 324 à 337, et décision sur requête 2020 TCDP 24.

[78] L’Institut des finances publiques et de la démocratie (« IFPD ») a publié, en date du 15 décembre 2018, un rapport intitulé « Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir » et portant sur les besoins des organismes de SEFPN. Le rapport recommandait un investissement ponctuel de 116 à 175 millions de dollars dans les immobilisations en fonction de la prestation actuelle des services, ainsi qu’un taux de recapitalisation annuel supplémentaire de 2 %. Il faisait également état des préoccupations des organismes quant à l’inadéquation de leur infrastructure actuelle, 59 % d’entre eux ayant déclaré que les immeubles avaient besoin de réparations.

[79] Enfin, sur ce point, il convient d’apporter deux précisions importantes. La première est que les Modalités du Programme des SEFPN, qui définissent quelles dépenses peuvent être financées dans le cadre du programme, indiquent maintenant que les dépenses pour les grands, tout autant que les petits, projets d’immobilisations sont admissibles au financement.

[80] La deuxième est que SAC a actuellement en place une directive sur les immobilisations concernant les dépenses d’immobilisations pour les organismes de SEFPN. Ce document a fait l’objet d’un certain nombre de révisions ainsi que de discussions aux réunions du CCPE. Les observations des parties, résumées ci-dessous, traitent de la question du caractère adéquat de ces mesures.

III. Observations des parties sur les grands projets d’immobilisations

A. La Société de soutien

[81] La Société de soutien demande au Tribunal de rendre les ordonnances suivantes :

[traduction]

1. À la suite des ordonnances rendues le 1er février 2018 par le Tribunal dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Canada doit financer les coûts des grands projets d’immobilisations des organismes de SEFPN de petite taille, ainsi que les services d’administration et de gouvernance, de prévention, d’accueil et d’enquête et les services juridiques en fonction de leurs coûts réels;

2. En consultation avec le CCPE, le Canada doit fournir du financement aux organismes de SEFPN pour qu’ils réalisent des études sur les besoins en matière de grands projets d’immobilisations et sur la faisabilité de ceux-ci;

3. Dans les cas où de telles études de faisabilité révéleront un besoin en grands projets d’immobilisations, le Canada devra financer la conception, l’achat de terrains (au besoin) et les coûts relatifs au respect des exigences en matière de permis et d’autres exigences administratives pour en permettre la construction;

4. Dans le cas des projets prêts à aller de l’avant, le Canada doit financer les besoins associés aux grands projets d’immobilisations des organismes de SEFPN en fonction de leur coût réel;

5. Afin d’exécuter les ordonnances no 3 et no 4, le Canada doit créer une enveloppe de financement des immobilisations à long terme pour les organismes de SEFPN afin de répondre à leurs besoins en grands projets d’immobilisations au fur et à mesure qu’ils se présentent, et la taille initiale de l’enveloppe doit être dictée par les conclusions du rapport de l’IFPD;

6. Le Canada est tenu d’écrire à tous les organismes de SEFPN dans les 30 jours suivant l’ordonnance pour les informer de la façon d’accéder au financement pour les grands projets d’immobilisations;

7. Le Canada doit publier sur son site Web sa politique relative aux grands projets d’immobilisations pour les organismes de SEFPN.

[82] La Société de soutien invoque les conclusions du Tribunal dans la Décision sur le bien-fondé pour faire valoir l’importance du financement des immobilisations. En particulier, elle rappelle que le Tribunal a conclu que le fait de ne pas prévoir les coûts des immobilisations nuisait à « la capacité des organismes de SEFPN de fournir les services d’aide à l’enfance exigés par les provinces et les territoires et, à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle des enfants et des familles des Premières Nations » (Décision sur le bien-fondé, au par. 458). La Société de soutien ajoute qu’allouer des fonds au recrutement de nouveaux employés et aux programmes visant à éliminer la discrimination en l’espèce ne peut être efficace si l’on ne dispose pas de locaux adéquats pour fonctionner. La réparation demandée se limite aux coûts accessoires des grands projets d’immobilisations, qui sont en plus grand nombre par suite des ordonnances déjà rendues par le Tribunal.

[83] La Société de soutien reconnaît que l’ordonnance concernant les réparations contenue dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 vise en partie le déficit d’infrastructure physique, mais, selon elle, elle ne traite pas de la fourniture de locaux supplémentaires pour des programmes de prévention nouveaux ou élargis.

[84] La Société de soutien s’appuie en outre sur les ordonnances en question pour rejeter la prétention du Canada selon laquelle la réparation demandée dans la présente requête dépasse la portée de celle-ci. Par exemple, au paragraphe 158 de la décision sur requête 2016 TCDP 16, on peut lire que les points à traiter immédiatement « comprennent […] les immobilisations […] ». Le Canada a avancé, sans succès, un argument semblable relatif à la portée dans ses observations finales sur la Décision sur le bien-fondé.

[85] Bien que la Société de soutien sache gré à la formation d’avoir ordonné à AANC, maintenant SAC, d’« élaborer une stratégie provisoire pour répondre aux besoins en infrastructures des organismes de SEFPN » (2016 TCDP 16, au par. 97), elle n’est pas satisfaite des progrès réalisés par le Canada à ce jour. Bien que les grands projets d’immobilisations aient été ajoutés à titre de dépenses admissibles conformément aux Modalités du Programme des SEFPN, et que le Canada ait reconnu l’infrastructure dans son établissement des coûts relatifs au principe de Jordan, il n’a pas présenté de plan concret ni d’engagement à fournir un financement adéquat. Bien que le Canada ait affirmé la nécessité d’assurer la coordination avec d’autres groupes et organisations, la Société de soutien est préoccupée par le fait que le Canada devrait procéder plus rapidement, en se fondant sur de l’information disponible et de qualité. La Société de soutien observe que la question des immobilisations [traduction] « fait l’objet de discussions » depuis très longtemps, soit depuis l’Examen de la Politique nationale de 2000. Un certain nombre de témoins ont aussi abordé la question au cours des audiences de 2013-2014.

[86] La Société de soutien fait remarquer que, le 15 décembre 2018, l’IFPD a distribué aux parties un rapport d’évaluation des besoins intitulé « Permettre aux enfants des Premières Nations de s’épanouir » contenant des conclusions et des recommandations, y compris au sujet des besoins en immobilisations. Le rapport a été publié le 14 janvier 2019. La Société de soutien fait valoir que ce rapport fournit les renseignements dont le Canada a besoin pour répondre aux besoins des organismes de SEFPN en matière de grands projets d’immobilisations. D’après le rapport de l’IFPD, un investissement ponctuel de 116 millions à 175 millions de dollars est nécessaire pour les bâtiments correspondant au siège des organismes de SEFPN. Ce rapport fournit un point de référence, mais il n’est pas nécessairement la seule source d’information. La Société de soutien indique qu’elle ne sollicite pas une ordonnance prévoyant un montant précis, mais plutôt une ordonnance qui enjoigne au Canada de donner suite aux avis d’experts contenus dans l’évaluation des besoins ordonnée. De plus, et contrairement aux observations du Canada, la Société de soutien ne demande pas d’ordonnance intimant à celui-ci de mettre en œuvre les recommandations du rapport de l’IFPD. Elle ne demande pas non plus qu’une certaine quantité de financement soit réservée. Elle sollicite plutôt une ordonnance enjoignant au Canada de créer une enveloppe de financement et de prendre en compte le rapport de l’IFPD au moment d’établir la structure de cette enveloppe et les fonds initiaux disponibles.

[87] La Société de soutien fait valoir que, pour répondre aux besoins, il est inutile d’attendre un nouveau modèle de financement complet. Les dépenses pour les grands projets d’immobilisations, notamment, n’ont pas été financées depuis 1991.

[88] La Société de soutien précise que les ordonnances qu’elle demande sont formulées en termes généraux afin de respecter la prise de décisions et les programmes existants des Premières Nations. Elle part du principe que les études de faisabilité devraient tenir compte des priorités des Premières Nations. La Société de soutien ne demande pas au Tribunal d’imposer sa vision des besoins des collectivités, mais plutôt d’établir un cadre qui permettrait aux collectivités de déterminer leurs besoins et d’y répondre. Elle ne présume pas que le financement des immobilisations proviendra de l’extérieur de la Direction générale des infrastructures communautaires.

[89] La Société de soutien affirme que l’argument du Canada selon lequel il s’est conformé jusqu’ici aux ordonnances de la formation concernant le financement des immobilisations ne tient pas compte des besoins particuliers mentionnés par la formation dans ses motifs, ni de la directive de celle-ci de ne pas interpréter les ordonnances séparément des motifs. Les lacunes relevées dans le financement des grands projets d’immobilisations exigent des mesures proactives allant au-delà de changements à la politique.

[90] Selon la Société de soutien, les observations du Canada démontrent la nature ponctuelle du financement des immobilisations alloué aux organismes de SEFPN, qui dépend des excédents budgétaires, des fonds particuliers prévus au budget de 2018, ou des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence. Il n’y a pas de programme de financement des immobilisations pour appuyer l’application du principe de Jordan. De plus, le Canada n’a pas mentionné l’existence, au gouvernement, d’un mandat de fournir des immobilisations pour répondre en particulier aux demandes présentées par des groupes en vertu du principe de Jordan.

B. Chefs de l’Ontario

[91] Les Chefs de l’Ontario (ou les « COO ») souscrivent aux observations de la Société de soutien.

C. Assemblée des Premières Nations

[92] L’APN fait siennes les observations de la Société de soutien. Elle soutient qu’il est nécessaire et souhaitable que le Tribunal rende une ordonnance enjoignant au Canada de collaborer avec les autres parties à l’élaboration d’une solution à long terme pour régler la question des immobilisations d’ici une date fixe.

[93] L’APN ajoute que la formation a conclu, au paragraphe 458 de la Décision sur le bien-fondé, que l’insuffisance du financement des immobilisations nuit à « la capacité des organismes de SEFPN de fournir les services d’aide à l’enfance exigés par les provinces et les territoires et, à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle des enfants et des familles des Premières Nations ». Jusqu’à maintenant, peu de progrès ont été réalisés dans les discussions. Le rapport de l’IFPD réaffirme la nécessité que le Canada fournisse un financement adéquat pour les grands projets d’immobilisations.

D. Nation Nishnawbe-Aski

[94] La Nation Nishnawbe-Aski (« NNA ») appuie la position de la Société de soutien.

E. La Commission

[95] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne sollicite pas d’ordonnance particulière. Toutefois, elle serait favorable à ce qu’un échéancier exécutoire soit fixé pour les prochaines étapes, y compris pour la réponse du Canada au rapport de l’IFPD.

[96] La Commission formule d’abord des commentaires généraux. Elle observe que la question à l’étude est celle de la mise en œuvre des décisions sur requête antérieures du Tribunal et découle du maintien de la compétence du Tribunal. Comme la Commission l’a déjà fait valoir, les décisions sur requête antérieures établissent la nature, la portée et l’objet du maintien de la compétence du Tribunal. D’autres ordonnances pourraient être nécessaires en vue de la conception d’une réparation efficace comportant une réforme des politiques complexe. Il est probablement nécessaire que le Tribunal reçoive d’autres renseignements des parties. Le Tribunal a encouragé les parties à travailler en collaboration pour mettre en œuvre les mesures de réparation.

[97] La Commission signale que l’article 53 de la LCDP confère au Tribunal un vaste pouvoir de réparation pour indemniser complètement les victimes de pratiques discriminatoires et pour empêcher que la discrimination ne se reproduise. Elle rejette la proposition selon laquelle le Tribunal n’a pas compétence pour rendre des ordonnances de réparation qui exigent l’affectation de fonds publics ou des modifications aux politiques publiques. Le Tribunal a rejeté un argument semblable dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux paragraphes 31 à 48, avec des motifs qui s’appliquent toujours. De plus, l’article 53 de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir de nature législative d’imposer pareille réparation. La Loi sur la gestion des finances publiques doit être interprétée dans le contexte du statut quasi constitutionnel de la LCDP, qui est présumée avoir préséance sur les autres lois.

[98] La Commission résume les précédentes décisions sur requête du Tribunal dans la présente affaire. Le Tribunal a conclu que le sous-financement des services de prévention de la part du Canada, mais aussi l’absence de financement des services de représentants de bande en Ontario et le défaut d’appliquer efficacement le principe de Jordan, constituaient des pratiques discriminatoires. Le Tribunal a ordonné au Canada de remédier à la discrimination, notamment en finançant la prestation de ces services selon un principe d’égalité réelle et d’une manière adaptée culturellement. Les ordonnances du Tribunal s’étendaient à la fourniture d’un financement adéquat des immobilisations. La conclusion de la Décision sur le bien-fondé selon laquelle la structure de financement du Programme des SEFPN créait des lacunes — notamment en raison de l’absence d’infrastructures, qui nuisait à la capacité des organismes de SEFPN de fournir des services obligatoires, et à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle — était appuyée par de nombreux éléments de preuve. Les décisions sur requête 2016 TCDP 10 et 2016 TCDP 16 mentionnaient l’infrastructure des immobilisations en tant qu’élément qui nécessitait une réparation immédiate. Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a conclu que la proposition du Canada visant les petits projets d’immobilisations était inadéquate. Le Tribunal a ordonné que le Canada finance une évaluation des besoins en immobilisations tout en remboursant les coûts réels en attendant la mise en place d’un nouveau modèle de financement.

[99] La Commission résume l’état actuel du financement des grands projets d’immobilisations. Elle fait remarquer que, selon les Modalités du Programme des SEFPN, les grands projets d’immobilisations sont inclus en tant que dépenses admissibles, que ce soient les organismes de SEFPN ou d’autres organismes comme les Premières Nations qui exécutent les programmes. Le rapport de l’IFPD comprend une évaluation et une quantification des besoins en immobilisations des organismes de SEFPN. Le Canada n’a pas mené de sondage ni d’évaluation particulière au sujet des besoins en immobilisations des Premières Nations en Ontario en matière de prévention ou de services de représentants de bande. Le financement au titre du principe de Jordan ne comprenait pas d’autorisations de dépenses d’immobilisations pour fournir les locaux nécessaires à la prestation des services financés.

[100] La Commission soutient que les décisions antérieures du Tribunal ont déjà constaté le besoin de financer les immobilisations pour assurer la prestation de services appropriés. Le Canada a pris des mesures en ce qui a trait à l’évaluation des besoins réalisée par l’IFPD, en modifiant les Modalités du Programme des SEFPN et en discutant des dépenses d’immobilisations avec les parties tout en payant de façon provisoire les coûts réels des réparations nécessaires. Néanmoins, beaucoup de temps s’est écoulé depuis que le Tribunal a fait état de la question pour la première fois.

[101] La Commission est d’avis que le Canada n’a pas encore établi de stratégie à long terme pour répondre aux besoins réels en immobilisations, et n’a pas non plus communiqué aux organismes de SEFPN, aux Premières Nations ou à d’autres fournisseurs de services des orientations claires à suivre lorsqu’ils souhaitent mettre en place de grands projets d’immobilisations dans l’intérim.

F. Le Canada

[102] En somme, le Canada soutient qu’il s’est conformé aux ordonnances du Tribunal et qu’il n’y a pas de questions en suspens liées à la conformité. Aucun élément de preuve ne démontre que la discrimination persiste. La requête de non-conformité devrait donc être rejetée. Il devrait se voir accorder le temps de suivre les structures démocratiques en place afin d’assurer la reddition de comptes à l’égard des fonds publics. En outre, le Canada devrait avoir la possibilité de maintenir le système actuel qui fait appel à la collaboration avec les instances dirigeantes autochtones.

[103] En général, le Canada a mis à jour les directives qu’il fournit aux Premières Nations et aux organismes de SEFPN au sujet du Programme des SEFPN. Il a supprimé le chapitre 5 du Manuel national des programmes sociaux pour proposer plutôt une variété d’outils en appui à la présentation de demandes de remboursement fondées sur les dépenses réelles. Ces documents ont été élaborés en consultation avec les parties et ont été mis à jour au fil des modifications apportées aux Modalités du Programme des SEFPN.

[104] De concert avec les autres parties, le Canada a créé le CCPE pour la tenue de consultations sur la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal. Outre le CCPE, le Canada a aussi mobilisé d’autres partenaires. En plus des augmentations de financement et réformes du programme déjà en place, le Canada s’est engagé à réformer à long terme le Programme des SEFPN en tenant compte de l’Entente de 1965, du facteur de l’éloignement et des options relatives aux méthodes de financement à long terme. Ces diverses mesures ont nécessité un certain nombre d’études.

[105] Le Canada dresse ensuite un résumé de sa réponse à diverses ordonnances rendues par le Tribunal. Il a fourni différents affidavits pour démontrer qu’il paie les coûts réels des organismes de SEFPN rétroactivement au 26 janvier 2016 alors que le programme est en cours de réforme; qu’il répond à des besoins urgents en immobilisations; qu’il a approuvé un budget de 9,4 millions de dollars en réparation d’immeubles; qu’il a consulté les parties par l’entremise du CCPE; et qu’il a révisé l’autorisation de financement des immobilisations intégrée aux Modalités du programme des SEFPN. Celles-ci offrent maintenant une plus grande souplesse et un élargissement de l’admissibilité des dépenses, dont celles liées aux immobilisations et à la réparation de bâtiments, à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations (p. ex. bâtiments), ainsi qu’à l’achat et à l’entretien d’équipement de technologie de l’information.

[106] Comme il est indiqué dans la lettre du Canada datée du 4 mars 2021, les Modalités permettent de réaffecter les excédents budgétaires pour couvrir les dépenses d’immobilisations. Le Canada a également fait passer de 1,5 à 2,5 millions de dollars le montant de financement du Programme des SEFPN de manière à ce que les organismes puissent utiliser les fonds disponibles pour leurs besoins en immobilisations, une mesure qui contribue à tenir compte de l’inflation et d’autres pressions financières. Du financement au titre des immobilisations est aussi accessible dans le cadre des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence.

[107] Le Canada soutient qu’il a démontré son engagement à élaborer un nouveau mécanisme de financement en consultation avec les autres parties. Il rend compte de ses consultations auprès d’autres parties, tout en apportant des modifications aux Modalités du Programme des SEFPN. Le Canada a indiqué qu’il pourrait tirer profit du rapport de l’IFPD afin de déterminer les besoins en immobilisations. Globalement, il a presque doublé le financement du Programme des SEFPN, a radicalement changé la façon dont SAC établit des budgets et gère ses finances, et a mis en œuvre une réforme à long terme pour faire en sorte que la planification des programmes repose sur le principe de l’égalité réelle.

[108] Le Canada rappelle l’importance de travailler en collaboration pour réformer le Programme des SEFPN, notamment comme l’a indiqué le Tribunal dans ses décisions sur requête antérieures. Les réformes exigent une collaboration, et il n’y a pas de solution instantanée à apporter au Programme des SEFPN.

[109] Selon le Canada, la requête présentée en l’espèce vise à ce que soient ordonnées les mesures suivantes :

[traduction]

1. Financer les coûts des grands projets d’immobilisations des organismes de SEFPN de petite taille, les services d’administration et de gouvernance, de prévention, d’accueil et d’enquête, ainsi que les services juridiques selon leurs coûts réels;

2. Fournir du financement aux organismes de SEFPN pour qu’ils réalisent des études sur les besoins en grands projets d’immobilisations et sur la faisabilité de ceux-ci;

3. Selon les besoins révélés par les études de faisabilité, financer la conception, l’achat de terrains (au besoin) et le respect des obligations en matière de permis et d’autres exigences administratives pour permettre la construction;

4. Dans le cas des projets prêts à aller de l’avant, le Canada doit accorder un financement pour répondre aux besoins en grands projets d’immobilisations des organismes de SEFPN selon les coûts réels;

5. En fonction de ce qui précède, créer une enveloppe de financement des immobilisations à long terme pour les organismes de SEFPN afin de répondre à leurs besoins en grands projets d’immobilisations au fur et à mesure qu’ils se présentent, et la taille initiale de l’enveloppe doit être dictée par les conclusions du rapport de l’IFPD.

[110] Le Canada signale que le Parlement a compétence exclusive pour effectuer des paiements à même les fonds publics, comme le confirme l’article 26 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Un ministère ne peut procéder à un tel paiement unilatéralement. Lorsqu’un ministre détermine qu’un changement à une politique requiert un financement accru, il doit obtenir l’approbation du Cabinet et préparer une présentation au Conseil du Trésor. Le processus du Conseil du Trésor exige des détails précis sur la façon dont le financement sera utilisé et une justification du changement en question. Par ailleurs, ce sont les Modalités qui établissent les paramètres régissant les dépenses. SAC est chargé de veiller à ce que les fonds du Programme des SEFPN soient utilisés conformément aux Modalités, en accord avec le rôle d’intendance qui revient au gouvernement pour ce qui est de rendre compte de l’utilisation des fonds publics.

[111] Le Canada soutient qu’il existe des limites à la compétence du Tribunal et qu’une ordonnance visant l’affectation des dépenses d’immobilisations en dehors du modèle des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations dépasse la portée de la plainte. Le Canada voit une différence importante entre une ordonnance visant à mettre aux normes les bâtiments et une ordonnance visant le financement de grands projets d’immobilisations. Il est vrai qu’un financement adéquat pour les grands projets d’immobilisations est nécessaire, mais ce financement n’est pas accessoire à une ordonnance de réparation de bâtiments. Il faut faire la distinction entre ordonner des mesures de réparation qui ont une incidence accessoire sur le financement et dicter une politique précise en remplacement. L’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43 énonce que les tribunaux n’ont pas compétence pour s’immiscer dans l’affectation des fonds publics en l’absence d’une habilitation découlant d’une disposition législative ou d’une contestation constitutionnelle. Le Canada s’inquiète du fait que le maintien exceptionnel de son pouvoir de réparation par le Tribunal puisse entraîner une gestion complète du dossier par lui, un scénario contre lequel la Cour avait émis une mise en garde dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au paragraphe 74. Dans le même ordre d’idées, le Canada sert une mise garde contre un élargissement de la portée des questions de réparation qui ferait de l’étape des réparations une cible mobile insaisissable (Entrop v. Imperial Oil Ltd., 2000 CanLII 16800, 50 OR (3d) 18 (OCA), au par. 58).

[112] Des ordonnances dictant précisément les fonds à affecter seraient problématiques. Le financement gouvernemental repose sur la certitude, qu’une directive de financement selon les coûts réels ne permet pas d’assurer. Ordonner une mesure de réparation précise risque de causer des retards si cette mesure de réparation n’est pas adaptée au contexte gouvernemental.

[113] Le Canada soutient qu’un plan d’immobilisations à long terme exige du temps et des consultations continues. À ce chapitre, des consultations sont d’ailleurs en cours, et il est important que les communautés des Premières Nations y participent. Intervenir dans ce processus continu représenterait une dérogation au rôle du Tribunal qui consiste à statuer sur une plainte précise.

[114] De plus, le Canada avance que les ordonnances demandées font abstraction du besoin de coordination entre les Premières Nations et les organismes de SEFPN. Ces ordonnances reviendraient à ignorer le programme d’infrastructures existant de SAC, qui respecte le processus d’établissement des priorités entrepris par les Premières Nations. Une ordonnance exigeant des infrastructures précises dans les réserves, sans consultation auprès des Premières Nations, aurait des répercussions sur d’autres types d’infrastructures à l’intérieur des réserves. Il est inapproprié de prendre une décision en matière d’infrastructures sans tenir compte des priorités des Premières Nations et du processus de planification déjà en place. Les ordonnances proposées seraient contraires à la relation de nation à nation et à la réconciliation que le Canada recherche avec les Premières Nations.

[115] Le Canada a déjà informé le Tribunal de la façon dont le processus lié à l’infrastructure dans les réserves est coordonné par l’entremise de la Direction générale des infrastructures communautaires de SAC. Le Canada a indiqué comment SAC avait fait des investissements importants dans l’infrastructure et travaillé avec l’APN pour continuer à cerner les besoins. Il a expliqué de quelle façon la priorisation des besoins par les Premières Nations permettait d’améliorer l’efficacité de l’infrastructure. Au sein du Programme des SEFPN, il n’y a pas d’expertise en matière d’infrastructures, par exemple une connaissance des codes du bâtiment et des normes de santé et sécurité pertinents. Par conséquent, le Programme des SEFPN doit compter sur une expertise externe pour répondre aux besoins en infrastructures. L’établissement d’un programme de financement des immobilisations dans le cadre du Programme des SEFPN ferait double emploi avec les programmes existants et compliquerait l’interaction des Premières Nations avec la bureaucratie de SAC, tout en entravant le processus de planification des Premières Nations déjà en place.

[116] De plus, le Canada soutient que les Modalités du Programme des SEFPN ne permettent pas actuellement de financer les infrastructures hors des réserves. La Direction générale des infrastructures communautaires serait la mieux placée pour ce faire.

[117] Le Canada fait remarquer qu’aucune ordonnance ne l’oblige à mettre en œuvre les recommandations du rapport de l’IFPD. De plus, le Canada et les parties s’entendent sur la nécessité d’effectuer des travaux et des recherches supplémentaires. À ce titre, le Canada a alloué des fonds supplémentaires pouvant aller jusqu’à 1,7 million de dollars et a approuvé une proposition de recherche de l’APN. Il serait inapproprié de se fier uniquement au rapport de l’IFPD pour une somme d’une telle ampleur. Le Canada souhaite travailler en collaboration avec les autres parties pour que le Programme des SEFPN soit en mesure de présenter les arguments les plus convaincants en faveur d’un nouveau financement. Le Canada relève un certain nombre de facteurs qui n’ont pas été pris en compte dans le rapport, comme le financement prévu au Budget de 2018. Quoiqu’utile, le rapport de l’IFPD ne permet pas d’avoir une compréhension globale des besoins généraux de l’ensemble des organismes de SEFPN. La mesure dans laquelle les fonds pour financer les immobilisations ont été réclamés à ce jour ne justifie pas l’ampleur de l’investissement jugé nécessaire selon le rapport de l’IFPD. Il serait également inapproprié que le Tribunal impose son estimation des besoins en immobilisations communautaires au lieu des plans élaborés par les Premières Nations.

[118] Le Canada soutient que les ordonnances demandées qui visent l’Ontario en particulier représentent un élargissement important de la portée de la plainte. Elles feraient des services à l’enfance et à la famille la priorité en matière d’infrastructure dans l’ensemble des collectivités, ce qui pourrait retarder d’autres projets d’infrastructure jugés prioritaires par une collectivité. Le Canada est ouvert à l’idée d’apporter des modifications au processus existant, mais cela exige des discussions techniques, pour lesquelles le CCPE et ses réunions, avec des consultations directes auprès des Premières Nations, seraient un cadre plus propice.

[119] Le Canada réitère son engagement à participer à des discussions concernant le financement des immobilisations à long terme, y compris en ce qui a trait au projet de directive sur les immobilisations qu’il a présenté aux parties pour fins de discussion. La plus récente version de la directive sur les immobilisations tient compte de la rétroaction que le Canada a reçue des parties. Le Canada souligne également qu’il a entrepris des consultations sur des questions qui dépassent la portée de la plainte.

[120] De plus, le Canada soutient que les observations des autres parties apportent la preuve qu’il s’est engagé dans des discussions de bonne foi pour régler les questions en suspens. Les parties doivent encore parvenir à un accord sur certaines questions, alors qu’elles sont en désaccord au sujet de certaines autres. Le Canada mentionne qu’il a accepté et intégré de nombreuses propositions reçues par l’entremise du CCPE et du CCN, tout en concédant qu’il n’a pas accepté toutes les recommandations. Selon le Canada, le Tribunal doit intervenir simplement parce que les parties ne sont pas parvenues à un consensus, notamment en ce qui a trait à une question opérationnelle. Le Canada conserve le pouvoir discrétionnaire de faire des choix de programme qui diffèrent de l’approche privilégiée par les parties, sans que cela rende ces choix discriminatoires ni ne constitue un manquement à l’obligation du Canada de tenir, s’il y a lieu, des consultations de bonne foi.

[121] Le Canada ajoute qu’il ne peut être tenu d’obtenir l’approbation des autres parties avant de prendre des mesures pour donner suite aux ordonnances de réparation du Tribunal, et invoque à cet effet la décision Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113. Le Canada, en tant que gouvernement, conserve ses pouvoirs législatif et exécutif.

IV. Analyse des grands projets d’immobilisations

A. Précédentes analyses des grands projets d’immobilisations

[122] Dans des décisions antérieures, la formation a formulé des remarques sur les questions liées au financement des immobilisations. Elle continue de s’appuyer sur les conclusions et analyses qu’elle y avait exposées, et dont certaines sont reprises ci-après.

[123] Dans la Décision sur le bien-fondé, la formation a déterminé que le manque de financement des besoins en immobilisations dans le cadre du Programme des SEFPN contribuait à la discrimination constatée en l’espèce et à un financement insuffisant pour assurer la prestation de services à l’enfance et à la famille, et à plus forte raison, de services adaptés sur le plan culturel :

[157] Les auteurs ont noté que les préoccupations et les défis soulevés par les organismes de SEFPN qu’ils avaient interrogés concordaient avec les conclusions et les recommandations de l’EPN. Ils soulignaient notamment le manque de financement pour les services de prévention, les services juridiques, les frais d’immobilisation, les systèmes de gestion de l’information, les programmes axés sur la culture, les prestataires de soins, le salaire et la formation du personnel et les ajustements de coût pour les organismes éloignés et ceux de petite taille (Rapport Wen:De no 1, p. 6 et 8).

[124] D’autres commentaires qui ont éclairé l’analyse de la formation dans la Décision sur le bien-fondé se trouvent aux pages 129 et 130 du Rapport Wen:De no 1 :

Le manque d’investissements en immobilisations dans les communautés des Premières Nations. Dans la plupart des communautés des Premières Nations, il y a nécessité de développer un plan détaillé des besoins en immobilisations afin de construire une infrastructure. Le financement doit permettre le respect des normes de sécurité du bâtiment. Par exemple, des institutions pour prodiguer dans la communauté des soins de longue durée demandent des investissements importants qui sont nécessaires afin d’assurer la stabilité et la continuité de ces types de placement (enfants placés ayant des besoins médicaux complexes). Il est essentiel de maintenir des programmes résidentiels afin d’assurer un contenu autochtone.

[125] Pour en revenir à la Décision sur le bien-fondé, la formation a écrit ce qui suit :

[162] De façon générale, le Rapport Wen:De no 2 conclut ce qui suit en ce qui concerne le financement du Programme des SEFPN, à la page 7 :

[…] le financement des agences de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations est insuffisant dans presque toutes les sphères de leurs opérations, allant des coûts en termes d’immobilisations, des programmes de prévention, des normes et des évaluations, des salaires du personnel et des programmes pour les enfants faisant l’objet d’une prise en charge. Ce besoin disproportionné pour des services destinés aux enfants et aux familles des Premières Nations, doublé du sous-financement des agences de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations qui les desservent, a pour résultat une situation intenable.

[…]

[177] Le Rapport Wen:De no 3 recommande certaines réformes économiques à la Directive 20-1, ainsi que des changements de politique pour appuyer ces réformes. Le Rapport recommande notamment les réformes d’ordre économique suivantes : instaurer un nouveau volet de financement pour les services de prévention et les mesures les moins perturbatrices (p. 19 à 21); ajuster le budget d’exploitation (p. 24 et 25); réinstaurer le mécanisme d’ajustement au coût de la vie rétroactivement à l’année 1995 (p. 18 et 19); offrir un financement suffisant pour couvrir les frais d’immobilisation (immeubles, véhicules et équipement de bureau) (p. 28 et 29); financer l’élaboration de normes culturelles par les organismes de SEFPN (p 30).

[…]

[184] Le coût total de la mise en œuvre de l’ensemble des réformes recommandées par le Rapport Wen:De no 3 a été estimé à 109,3 millions de dollars. Cette somme se répartit ainsi : 22,9 millions pour l’adoption de nouveaux systèmes de gestion de l’information, les frais d’immobilisation (immeubles, véhicules et équipement de bureau) et les primes d’assurance; 86,4 millions pour les besoins en financement annuel (p. 33).

[…]

[190] La Vérificatrice générale a également souligné que comme les dépenses du Programme des SEFPN augmentaient plus rapidement que son budget général, AADNC avait dû réaffecter les fonds attribués à d’autres programmes, tels que les infrastructures et le logement. En conséquence, les dépenses en matière de logement n’avaient pas suivi la croissance de la population, ce qui avait accéléré la détérioration des infrastructures communautaires. De l’avis de la Vérificatrice générale, la méthode budgétaire qu’AADNC utilisait pour le Programme des SEFPN n’était pas viable et il était nécessaire que le budget minimise les répercussions sur d’autres programmes importants du Ministère (Rapport de 2008 de la Vérificatrice générale du Canada, Ch. 4, p. 29, art. 4.72 et 4.73) [Non souligné dans l’original].

[191] La Vérificatrice générale du Canada a émis six recommandations pour donner suite aux conclusions de son rapport. AADNC a accepté toutes ces recommandations et indiqué les mesures qu’il avait prises ou qu’il prendrait pour y donner suite (Rapport de 2008 de la Vérificatrice générale du Canada, p. 6 et Annexe). La réponse d’AADNC au Rapport de 2008 de la Vérificatrice générale du Canada démontre qu’il était pleinement conscient des répercussions de son Programme des SEFPN sur les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans les réserves. Il savait, notamment, que le financement qu’il accordait n’était pas conforme aux lois et aux normes provinciales. De plus, malgré les lacunes décelées dans le nouveau modèle de financement, AADNC voyait toujours l’AAAP comme la réponse aux problèmes du Programme des SEFPN :

4.67 Recommandation. Affaires indiennes et du Nord Canada, en collaboration avec les Premières Nations et les provinces, devrait s’assurer que sa nouvelle formule et son nouveau mode de financement des organismes des Premières Nations sont directement liés à la législation et aux normes provinciales, qu’ils correspondent aux services d’aide à l’enfance actuels, et qu’ils tiennent compte de la taille et des besoins variables des Premières Nations pour lesquelles il finance la prestation de services d’aide à l’enfance dans les réserves.

Réponse d’Affaires indiennes et du Nord Canada. L’approche actuelle d’Affaires indiennes et du Nord Canada quant aux services à l’enfance et à la famille comprend le remboursement des coûts afférents aux besoins du maintien de la prise en charge des enfants. Le Ministère est d’accord que, au fur et à mesure que de nouveaux partenariats se forment, conformément à l’approche axée sur la prévention, le financement sera directement lié à des activités qui appuient mieux les besoins des enfants recevant des soins et qui correspondent mieux aux lois provinciales et aux normes de pratique.

(Rapport de 2008 de la Vérificatrice générale du Canada, Ch. 4, pp. 27 et 28, art. 4.67)

[…]

[244] Selon le Rapport des Sociétés d’aide à l’enfance [de l’Association ontarienne des sociétés d’aide à l’enfance (l’AOSAE) se trouvant à la pièce HR-1, onglet 209], le modèle actuel de financement ne tient pas compte des besoins des collectivités et des organismes autochtones et ce, pour plusieurs raisons. L’une des raisons est le manque de ressources pour les services, qui tendent à ne répondent qu’aux crises. Une autre raison est le manque de financement pour répondre aux exigences administratives. Le rapport mentionne également le manque de financement pour établir les infrastructures nécessaires à la prestation de services de protection de l’enfance prévus par la loi, tout en composant avec des lacunes phénoménales sur le plan des infrastructures dans bon nombre des collectivités desservies. Il souligne également le manque d’argent pour se doter de personnel qualifié pour offrir des services culturellement adaptés (p. 7).

[…]

[245] L’Entente de 1965 n’a pas prévu pas de partage des dépenses en capital au titre des infrastructures et du renforcement des capacités depuis 1975 (témoignage de P. Digby, Transcription, vol. 59, p. 93). Mme Stevens a expliqué les répercussions que cette situation avait eues sur son organisation : bon nombre d’enfants à risque élevé sont envoyés à l’extérieur de la collectivité pour recevoir des services, parce qu’il n’y a pas de centre de traitement dans leur collectivité. L’organisme Anishinaabe Abinooji Child and Family Services consacre environ deux à trois millions de dollars par année pour envoyer des enfants à l’extérieur de leur collectivité. Selon Mme Stevens, il n’y a pas suffisamment de ressources pour construire un centre de traitement, ou pour élaborer des programmes pour venir en aide à ces enfants à risque élevé, parce que les fonds en question sont consacrés à répondre à leurs besoins courants (Transcription, vol. 25, p. 32).

[…]

[257] Le Tribunal estime que l’EPN et les rapports Wen:De constituent des éléments de preuve très pertinents et fiables en l’espèce. Il s’agit d’études du programme des SEFPN commandées conjointement par AADNC et l’APN. On y a eu recours à une méthodologie rigoureuse et à une analyse approfondie de la Directive 20-1, ainsi qu’à des consultations préalables auprès de divers intervenants. Le Tribunal accepte les conclusions de ces rapports. Rien n’indique qu’AADNC ait remis en question les conclusions de ces rapports avant la présente plainte. Au contraire, tout donne à penser qu’AADNC s’est en fait fondé sur ces rapports pour modifier le programme des SEFPN.

[…]

[275] L’[Évaluation du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (Direction générale de l’évaluation et de la vérification interne du Ministère, mars 2007) se trouvant la pièce HR‑4, à l’onglet 32] explique également que la première étape pour améliorer le Programme des SEFPN consiste à modifier la Directive 20‑1, en ajoutant un nouveau mécanisme de financement pour s’assurer que le programme offre un soutien adéquat au travail de prévention (p. 39). Le document examine les coûts et les avantages de mettre davantage l’accent sur la prévention et décrit les estimations de coûts données dans le rapport Wen:De no 3 notamment, 22,9 millions de dollars pour de nouveaux systèmes de gestion de l’information, les coûts en immobilisation (immeubles, véhicules et équipement de bureau) et les primes d’assurances. Il souligne également l’estimation de 86,4 millions de dollars pour le financement annuel de facteurs tels que les ajustements nécessaires pour tenir compte de l’inflation afin de ramener le financement au niveau où il se situait en 1995, l’ajustement du financement des organismes éloignés ou de petite taille et, l’augmentation du montant de base pour les frais d’exploitation de 143 000 à 308 751 $ par année (Évaluation du Programme des SEFPN (2007), p. 40).

[126] La formation ajoute ici qu’on mentionne, à la page 40 de ce document, que de nombreux organismes n’ont pas la capacité de mettre en place de telles initiatives en matière de prévention avec le financement dont ils disposent présentement.

[127] Revenons à la Décision sur le bien-fondé :

[289] L’Évaluation de 2012 a conclu qu’il n’était pas clair si l’AAAP était suffisamment souple pour tenir compte des changements apportés au financement provincial (Évaluation par AANDC de la mise en œuvre de l’AAAP en Saskatchewan et en Nouvelle‑Écosse, p. 55). Elle a noté que le bureau régional de la Saskatchewan et celui de l’Atlantique peinaient tous deux à s’acquitter de leurs tâches en raison de contraintes liées aux effectifs, y compris des ratios de cas supérieurs à la norme provinciale et la difficulté de recruter et de maintenir en poste des employés qualifiés, particulièrement du personnel des Premières Nations (Évaluation par AANDC de la mise en œuvre de l’AAAP en Saskatchewan et en Nouvelle‑Écosse, p. 55). Les auteurs ont souligné la nécessité de dépenses d’immobilisations pour de nouveaux bâtiments, de nouveaux véhicules et du matériel informatique, pour assurer la conformité aux normes provinciales, ainsi que pour améliorer le climat de travail au sein des organismes de SEFPN. Toutefois, ces dépenses n’avaient pas été prévues au moment de l’adoption de l’AAAP et l’Évaluation de 2012 a constaté qu’elles étaient souvent financées à même les budgets de prévention (Évaluation par AANDC de la mise en œuvre de l’AAAP en Saskatchewan et en Nouvelle‑Écosse, p. 53). [Non souligné dans l’original].

[…]

[305] Dans l’ensemble, en ce qui concerne la pertinence et de la fiabilité des rapports portant sur le Programme des SEFPN, le Tribunal conclut qu’entre 2000 et 2012, de nombreuses sources fiables ont constaté les effets néfastes des modèles et de la structure de financement du Programme des SEFPN. AADNC a participé à la rédaction de l’EPN et des rapports Wen:De. Il a reconnu et accepté les conclusions et les recommandations contenues dans les rapports de la Vérificatrice générale et du Comité permanent des comptes publics, notamment celles concernant l’élaboration d’un plan d’action pour donner suite à ces recommandations. Comme les évaluations internes et d’autres documents pertinents et fiables d’AADNC le démontrent, ces études et ces rapports ont servi de base à la révision de la Directive 20‑1, à l’adoption de l’AAAP et par la suite, à la formulation de recommandations pour améliorer l’AAAP. Ce n’est que maintenant, dans le contexte de la présente plainte, qu’AADNC exprime des réserves au sujet de la fiabilité et de la valeur probante des rapports susmentionnés qui ont été publiés au sujet du Programme des SEFPN. En outre, les documents internes dont nous avons discuté appuient ces rapports et sont des évaluations, recommandations et communications émanant de hauts fonctionnaires d’AADNC lui-même. Pour ces motifs, le Tribunal n’accepte pas l’argument d’AADNC selon lequel les rapports publiés au sujet du Programme des SEFPN ont peu ou pas de valeur. Le Tribunal accepte les conclusions contenues dans ces rapports ainsi que les renseignements qui les corroborent et que l’on trouve dans les documents susmentionnés.

[…]

[344] Comme nous l’avons déjà expliqué, les lois et les normes des provinces dictent que l’on doit explorer toutes les solutions de rechange qui s’offrent avant de placer un enfant, ce qui va dans le sens des saines pratiques en matière de travail social décrites précédemment. Toutefois, en remboursant les dépenses d’entretien au prix coûtant et en accordant des budgets fixes insuffisants pour la prévention, les modèles de financement d’AADNC incitent à retirer les enfants de leur milieu familial comme solution de premier, et non de dernier, recours. Le niveau de financement accordé à certains organismes de SEFPN, particulièrement ceux qui sont assujettis à la Directive 20‑1, fait en sorte qu’il leur est difficile, voire impossible, d’assurer des services de prévention et de prendre les mesures les moins perturbatrices. Même dans le cas des organismes ayant adopté l’AAAP, qui prévoit un financement distinct pour la prévention, le modèle ne prévoit pas d’ajustements pour l’augmentation des coûts qui survient avec le temps au chapitre des salaires, des avantages sociaux, des dépenses en immobilisation, des frais de déplacement et du coût de la vie. Dans ces conditions, il est difficile pour les organismes de SEFPN d’attirer et de retenir du personnel et, de manière générale, de suivre les exigences provinciales. Là où les hypothèses intégrées aux modèles de financement en termes de nombre d’enfants pris en charge, de familles dans le besoin et de niveaux de population, ne reflètent pas les besoins réels des collectivités des Premières Nations, il est encore plus difficile pour les organismes des Premières Nations de respecter les exigences opérationnelles provinciales. Ces exigences peuvent inclure, outre celles que nous venons de mentionner, les honoraires d’avocats, les frais de représentation de la bande, les primes d’assurances, ainsi que les modifications apportées aux normes de service provinciales ou territoriales. [Non souligné dans l’original].

[…]

[458] La conception, la gestion et le contrôle du Programme des SEFPN par AADNC, ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves. Voici une liste non exhaustive des principaux effets préjudiciables constatés par le Tribunal :

  • Le modèle de financement de la Directive 20‑1, tel que conçu et appliqué, met en place un financement fondé sur des hypothèses erronées quant au nombre d’enfants pris en charge et aux seuils de population, qui ne reflètent pas fidèlement les besoins en matière de services d’un bon nombre des collectivités des réserves. Cette situation se traduit par un financement fixe insuffisant des frais d’exploitation (coûts d’immobilisation, bureaux multiples, ajustement pour tenir compte du coût de la vie, salaires et avantages sociaux du personnel, formation, frais juridiques, éloignement et frais de déplacement) et des services de prévention (services primaires, secondaires et tertiaires pour s’assurer que les enfants demeurent en sécurité dans leur milieu familial). Cela nuit à la capacité des organismes de SEFPN de fournir les services d’aide à l’enfance exigés par les provinces et les territoires et, à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle des enfants et des familles des Premières Nations. Cela crée également une incitation à placer les enfants en famille d’accueil parce que les dépenses d’entretien admissibles sont remboursables au prix coûtant.

[Décision sur le bien-fondé.]

[128] En guise de réponse aux arguments du Canada énoncés plus tôt, les conclusions que nous venons de reproduire démontrent que les infrastructures, comme les bâtiments appuyant la prestation de services, y compris les services de prévention, étaient englobées dans la preuve dont le Tribunal a été saisi en 2014, et qui a mené à la Décision sur le bien-fondé du Tribunal en 2016. Ces conclusions, qui ne visent pas seulement les réparations de bâtiments, sont incluses dans les ordonnances du Tribunal enjoignant à cesser la discrimination relevée dans la Décision sur le bien-fondé. On trouve là une réponse à l’argument du Canada selon lequel il existe une différence importante entre une ordonnance visant à rendre les bâtiments aux normes et une ordonnant visant le financement des grands projets d’immobilisations. D’autres motifs portant sur cette question d’une distinction seront exposés plus loin.

[129] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 10, à la lumière des conclusions de la Décision sur le bien-fondé, la formation a ensuite souligné la nécessité de prendre des mesures pour réformer immédiatement le Programme des SEFPN et les ententes connexes. Elle y renvoyait aux passages de la Décision sur le bien-fondé qui se rapportaient aux immobilisations et à l’infrastructure :

[2] Le Tribunal a ordonné de manière générale à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, maintenant Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), de cesser ses pratiques discriminatoires et de réformer le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le Programme des SEFPN) et le Protocole d’entente sur les programmes d’aide sociale pour les Indiens applicable en Ontario (l’Entente de 1965) de manière à ce qu’ils tiennent compte des conclusions formulées aux termes de la Décision. Il a également été ordonné à AANC de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre des mesures pour appliquer immédiatement le principe de Jordan en lui donnant sa pleine portée et tout son sens.

[…]

[4] Le Tribunal a avisé les parties qu’il traiterait des questions encore en litige concernant les mesures de redressement en trois étapes. Premièrement, le Tribunal traitera des demandes de réformes immédiates au Programme des SEFPN, à l’Entente de 1965 et au principe de Jordan. La présente décision porte sur ce sujet.

[5] En guise de deuxième étape, il sera statué sur d’autres réformes à moyen et à long termes au Programme des SEFPN et à l’Entente de 1965, ainsi que sur d’autres demandes en matière de formation et de contrôle permanent. Enfin, les parties traiteront des demandes d’indemnisation en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) [de la LCDP].

[…]

[20] Les principales conclusions du Tribunal concernant la nécessité de réformer et de repenser le Programme des SEFPN à court et à long terme ont été résumées aux paragraphes 384 à 389 (voir aussi le par. 458) de la Décision, et elles comprennent notamment les conclusions suivantes (non souligné dans l’original) :

[384] Dans le cadre du programme des SEFPN, la Directive 20‑1 présente plusieurs lacunes et elle incite à retirer les enfants de leur milieu familial et de leur collectivité. La Directive 20‑1 formule des hypothèses reposant sur des seuils de population et sur le nombre d’enfants pris en charge pour financer les budgets d’exploitation des organismes de SEFPN. Ces hypothèses ne tiennent pas compte de la véritable situation qui existe en matière de protection des enfants dans bon nombre des collectivités des Premières Nations dans les réserves. Les budgets d’exploitation sont fixes, tandis que les budgets d’entretien pour la prise en charge des enfants sont remboursables au prix coûtant. Si un organisme de SEFPN ne dispose pas des fonds nécessaires pour offrir des services à même son budget d’exploitation, la seule solution qui s’offre à lui dans bien des cas consiste à ordonner la prise en charge de l’enfant pour pouvoir lui fournir les services nécessaires. Dans le cas des organismes petits et éloignés, les seuils de population de la Directive 20‑1 ont pour effet de réduire de façon sensible les budgets d’exploitation, en plus de nuire à leur capacité d’offrir des programmes efficaces et de répondre aux situations d’urgence et, pour certaines d’entre elles, de les obliger à fermer leurs portes.

[385] La Directive 20‑1 n’a pas été véritablement mise à jour depuis le milieu des années 90, ce qui a entraîné le sous-financement des organismes de SEFPN et une situation d’iniquité pour les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon. De plus, la Directive 20‑1 n’est pas conforme aux lois et aux normes provinciales qui préconisent la prévention et les mesures les moins perturbatrices pour les enfants et les familles. Par conséquent, bon nombre d’enfants et de familles des Premières Nations sont privés d’une chance équitable de demeurer unis ou d’être réunis en temps opportun. En 2008, au moment de la plainte, la vaste majorité des organismes de SEFPN du Canada étaient assujettis à la Directive 20-1. À la clôture de l’audience en 2014, la Directive 20-1 s’appliquait encore à trois provinces ainsi qu’au Yukon.

[386] AADNC a transposé certaines des mêmes lacunes de la Directive 20‑1 dans l’AAAP, notamment celles concernant les enfants pris en charge et les niveaux de population ainsi que celles concernant les volets fixes de financement pour les activités et la prévention. Malgré le fait qu’il était conscient de ces lacunes de la Directive 20‑1 à la suite de nombreux rapports, AADNC n’a pas suivi des recommandations formulées dans les rapports en question et a perpétué la principale lacune du programme des SEFPN, en l’occurrence, l’incitation à prendre les enfants en charge et à les retirer de leur milieu familial.

[387] De plus, à l’instar de la Directive 20-1, l’AAAP n’a pas été systématiquement mise à jour pour tenir compte de l’évolution des lois et des normes des provinces concernées. Une fois l’AAAP mise en œuvre, aucun rajustement n’est apporté au financement pour tenir compte de l’inflation ou du coût de la vie ou des changements apportés aux normes de service ainsi que de l’augmentation des coûts avec le temps ou pour s’assurer que les sommes consacrées à la prévention correspondent davantage à toute la gamme des services d’aide à l’enfance offerts hors réserve. En revanche, lorsqu’AADNC finance directement les provinces, les augmentations attribuables à l’inflation ou à d’autres coûts généraux sont remboursables, assurant ainsi une adéquation plus étroite avec les normes de service de la province ou du territoire concerné.

[388] Pour ce qui est de la question de s’assurer que les services à l’enfance et à la famille offerts dans les réserves sont raisonnablement comparables à ceux qui sont offerts hors réserve, le programme des SEFPN présente une lacune flagrante. Bien que les organismes de SEFPN soient tenus de se conformer aux lois et aux normes provinciales et territoriales, les autorisations de financement du programme des SEFPN ne sont pas accordées en fonction des lois et des normes de services des provinces et des territoires. Elles sont plutôt fondées sur des niveaux et des formules de financement qui ne sont pas conformes aux lois et aux normes applicables. Elles ne tiennent par ailleurs pas compte des besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations en matière de services, qui sont souvent plus lourds que ceux des personnes vivant à l’extérieur des réserves. De plus, la façon dont les formules de financement et les autorisations des programmes fonctionnent empêche une comparaison efficace avec les systèmes provinciaux. Il arrive souvent que les provinces et les territoires n’utilisent pas de formule de financement et la façon dont les provinces et les territoires gèrent les variables relatives aux coûts est souvent très différente d’une province et d’un territoire à l’autre. Au lieu de modifier son système pour l’adapter de façon efficace aux systèmes des provinces et des territoires pour assurer une comparabilité raisonnable, AADNC a conservé ses formules de financement et y a incorporé quelques variables qu’il a réussi à obtenir des provinces et des territoires, notamment les salaires.

[389] Compte tenu du fait qu’elle n’est pas adaptée pour tenir compte des lois et des normes provinciales et territoriales, la structure de financement actuelle du programme des SEFPN crée souvent des problèmes de financement pour des postes comme les salaires et les avantages sociaux, la formation, les rajustements pour tenir compte du coût de la vie, les frais juridiques, les primes d’assurances, les frais de déplacement, les primes d’éloignement, les bureaux multiples, les grandes infrastructures, les programmes et les services adaptés à la culture, les représentants des bandes et les mesures les moins perturbatrices. Il est difficile, voire impossible, pour bon nombre d’organismes de SEFPN de se conformer aux lois et aux normes provinciales et territoriales en matière de services à l’enfance et à la famille s’ils ne disposent pas d’un financement suffisant pour ces postes. De nombreux petits organismes éloignés, se voient même dans l’impossibilité de fournir des services à l’enfance et à la famille. En réalité, les modèles de financement des SEFPN ne procurent pas suffisamment de fonds à bon nombre d’organismes de SEFPN pour leur permettre de répondre aux besoins de leur clientèle. La méthodologie de financement d’AADNC contrôle leur capacité d’améliorer le sort des enfants et des familles et d’assurer qu’on leur offre des services raisonnablement comparables, tant dans les réserves qu’à l’extérieur de celles‑ci. Malgré l’existence de nombreux rapports et évaluations sur le Programme des SEFPN dénonçant le fait que la norme de la « comparabilité raisonnable » d’AADNC n’est pas suffisamment définie et mesurée, ce problème n’a toujours pas été réglé.

[…]

[23] Le Tribunal ordonne à AANC de prendre immédiatement des mesures pour corriger les éléments soulignés plus haut dans les conclusions formulées dans la décision. AANC communiquera ensuite un rapport exhaustif, qui comportera des renseignements détaillés sur chaque conclusion soulignée plus haut et expliquera comment il y est donné suite à court terme pour procurer un redressement immédiat aux enfants des Premières Nations dans les réserves. Le rapport devra également comporter des renseignements sur les budgets alloués à chaque organisme de SEFPN et des échéanciers relatifs à ces allocations, notamment des calculs détaillés des montants que chaque organisme a reçus en 2015-2016, les données utilisées pour faire ces calculs et les montants que chaque organisme a reçus ou recevra en 2016-2017, de même qu’un calcul détaillé de tout rajustement effectué par suite de mesures immédiates prises pour donner suite aux conclusions formulées aux termes de la décision.

[Décision sur requête 2016 TCDP 10, souligné dans l’original.]

[130] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, la formation a traité en particulier de certaines questions liées aux besoins en infrastructure et en immobilisations :

[18] Une des principales conclusions de la décision est que le Programme des SEFPN d’AANC, d’où provient le financement par le biais de formules, Directive 20-1 et l’Approche améliorée axée sur la prévention (AAAP), offre un financement fondé sur des hypothèses erronées au sujet du nombre d’enfants placés, du nombre de familles qui ont besoin de services et des niveaux de population qui ne reflètent pas avec exactitude les besoins réels en matière de service de nombreuses communautés dans les réserves. Il en résulte un financement fixe insuffisant pour les coûts d’exploitation (dépenses en immobilisation, bureaux multiples, ajustement au coût de la vie, salaires et avantages sociaux du personnel, formation, frais juridiques, frais liés à l’éloignement et aux voyages) et les coûts de prévention (services primaires, secondaires et tertiaires pour maintenir les enfants en toute sécurité dans leur milieu familial), ce qui entrave la capacité des organismes fournissant des SEFPN d’offrir des services provinciaux/territoriaux mandatées de protection sociale aux enfants, sans parler des services adaptés à la culture. Plus important encore, le manque de financement pour les coûts d’exploitation et de prévention constitue une incitation à placer les enfants parce que les frais d’entretien admissibles pour prendre soin d’un enfant pris en charge sont remboursables au coût (voir la décision aux paragraphes 384-389 et 458).

[19] Dans la décision 2016 TCDP 10, la formation a ordonné à AANC de prendre immédiatement des mesures pour remédier aux hypothèses et aux lacunes dans ses modèles de financement, y compris tous les éléments soulignés aux paragraphes 20 et 23 de cette décision sur requête. AANC devait produire un rapport détaillé expliquant comment ces lacunes et hypothèses sont abordées dans l’immédiat pour fournir un soulagement immédiat aux Premières Nations dans les réserves. L’ordonnance de la formation a également exigé qu’AANC fournisse des informations détaillées sur les crédits budgétaires pour chaque organisme fournissant le Programme des SEFPN et un calendrier de remise de ces allocations, y compris les calculs détaillés des montants reçus par chaque organisme en 2015-2016; les données fiables pour effectuer ces calculs; et, les montants reçus ou à recevoir en 2016-2017 pour chacun, avec un calcul détaillé des rajustements faits à la suite des mesures immédiates prises pour répondre aux conclusions de la décision (voir 2016 TCDP 10, aux paragraphes 20-25).

[…]

[36] La formation réitère ses ordonnances sur les mesures d’aide immédiates afin que tous les éléments énumérés au paragraphe 20 de la décision 2016 TCDP 10, sans se limiter aux éléments qui ont été soulignés, soient corrigés immédiatement, y compris les effets préjudiciables liés :

• aux hypothèses concernant les enfants placés, les familles qui ont besoin de services et les niveaux de population;

• aux organismes en région éloignée et/ou aux petits organismes;

• à l’inflation/au coût de la vie et aux coûts pour changer les normes de service;

• aux salaires et avantages, à la formation, aux frais juridiques, aux primes d’assurance, aux frais de déplacement, aux bureaux multiples, aux immobilisations, aux programmes et services culturellement adaptés et aux mesures moins perturbatrices.

[…]

[43] Selon AANC, la question du financement des frais juridiques, de l’immobilisation et des programmes et services adaptés seront abordés dans le cadre des discussions de la réforme à venir. La réponse à certaines de ces questions peut nécessiter de la participation des Premières Nations et des discussions avec ces dernières, les organismes qui fournissent des SEFPN et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Du point de vue d’AANC, une action unilatérale pour traiter ces questions importantes serait contraire à l’engagement du gouvernement fédéral en vue de renouveler la relation entre le Canada et les peuples autochtones. AANC ajoute que des investissements de secours immédiats pourraient être utilisés par les organismes qui fournissent des SEFPN pour répondre aux besoins individuels de chaque collectivité en matière de programmes et d’activités adaptés à leur culture.

[…]

[45] Pour leur part, les PCPI ne comprennent pas pourquoi la question du financement des frais juridiques, de l’immobilisation et des programmes et services adaptés à la culture ne peut être traitée à ce stade. Des actions peuvent être prises maintenant pour atténuer la discrimination qui relèvent entièrement de la compétence fédérale et ne dépendent pas d’une action provinciale correspondante, notamment l’adoption de normes provinciales/territoriales applicables relatives à ces questions et leur financement adéquat.

[49] À propos des rénovations des bâtiments, la formation ne comprend pas pourquoi AANC ne peut pas agir maintenant, surtout lorsqu’un organisme qui fournit des SEFPN reçoit un avis selon lequel des réparations doivent être exécutées pour se conformer aux règlements et codes de sécurité applicables au bâtiment et à la prévention des incendies, ou lorsqu’il existe d’autres preuves de non-conformité avec ces mêmes règlements et codes. Une fois de plus, la formation comprend l’avantage d’avoir des discussions sur les immobilisations à long terme, mais ce problème urgent devrait être résolu immédiatement. La formation ordonne AANC de fournir des renseignements détaillés dans son rapport de conformité afin de démontrer clairement comment il aborde cette question. Cela fera partie de la prochaine rencontre conférence de gestion des cas en personne.

[…]

[97] Comme l’a souligné la décision, l’Entente de 1965 n’a pas prévu de partage des dépenses en capital depuis 1975 et, en conséquence, de nombreux organismes de SEFPN en Ontario n’ont pas le financement pour établir l’infrastructure nécessaire à la prestation des services obligatoires de protection à l’enfance (voir paragraphes 244 à 245). Par conséquent, dans le cadre des investissements d’aide immédiate d’AANC, provisoirement coordonnés en dehors de l’Entente de 1965, et jusqu’à ce que la question plus générale des besoins en infrastructure en vertu de l’Entente de 1965 puisse être entièrement examinée, AANC devrait élaborer une stratégie provisoire pour répondre aux besoins en infrastructure des organismes SEFPN. La formation s’attend à une réponse détaillée d’AANC sur cette question et en débattra avec toutes les parties lors de la prochaine conférence sur la gestion des cas en personne.

[…]

[157] Dans la Décision, la formation a ordonné à AANC de cesser ses pratiques discriminatoires et de procéder à la réforme du Programme des SEFPN et de l’Entente de 1965 pour refléter les conclusions de la formation, de même que de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre immédiatement des mesures pour pleinement mettre en œuvre le sens et la portée de ce principe (voir paragraphe 481). Tel que mentionné ci‑dessus, la demande des PCPI de mettre à jour les politiques, les procédures et les ententes est représentée par cette ordonnance générale de procéder à une réforme du Programme des SEFPN et de l’Entente de 1965, conformément aux conclusions de la formation dans la décision. Autrement dit, la formation ordonne à AANC de mettre à jour ses politiques, ses procédures et ses ententes pour se conformer aux conclusions de la décision.

[158] En outre, pour répondre à cette ordonnance générale à court terme, la formation a ensuite ordonné à AANC de prendre des mesures immédiates pour régler plusieurs points. Comme il est indiqué dans la décision 2016 TCDP 10 et réitéré dans la décision en l’espèce, ces points devaient être traités immédiatement. Encore une fois, ces points comprennent : le traitement des conséquences néfastes liées aux hypothèses sur le nombre d’enfants placés, les familles nécessitant des services et les niveaux de population; les petits organismes qui fournissent des SEFPN ou ceux qui sont éloignés; le coût de la vie et l’inflation; l’évolution des normes sur les services; les salaires et les avantages; la formation; les frais juridiques; les primes d’assurance; les déplacements; les établissements multiples; les immobilisations; les programmes et les services adaptés à la culture et les mesures moins perturbatrices. AANC a reçu l’ordre de faire rapport à la formation pour expliquer de quelle façon ces points seront traités à court terme pour apporter une aide immédiate aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves (voir 2016 TCDP 10, aux paragraphes 20 et 23).

[…]

[160] [...]

A. Mesures immédiates supplémentaires à prendre

1. AANC ne peut diminuer ni limiter davantage le financement accordé aux Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations ou aux services à l’enfance couverts par le principe de Jordan (voir les paragraphes 121 à 123 ci-dessus);

2. AANC déterminera le budget de chaque organisme qui fourni[t] des SEFPN en fonction de l’évaluation de ses circonstances et de ses besoins particuliers, notamment une évaluation appropriée sur la façon dont l’éloignement peut affecter la capacité des organismes qui fournissent des SEFPN à offrir des services (voir les paragraphes 33, 37, 40 et 47 ci-dessus);

3. Pour déterminer le financement pour les organismes qui fournissent des SEFPN, AANC doit établir les hypothèses, seulement en tant que norme minimale, voulant que 6 % des enfants soient pris en charge et que 20 % des familles aient besoin de services. AANC ne réduira pas le financement accordé aux organismes qui fournissent des SEFPN si le nombre d’enfants pris en charge est de moins de 6 % ou si le nombre de familles ayant besoin de services est de moins de 20 % (voir paragraphe 38 ci-dessus);

4. Pour déterminer le financement à accorder aux organismes qui fournissent des SEFPN ayant plus de 6 % d’enfants pris en charge ou plus de 20 % de familles, AANC est tenu d’établir le financement pour ces organismes selon l’évaluation du nombre actuel d’enfants pris en charge et de familles ayant besoin de services (voir paragraphe 39 ci-dessus);

5. Pour déterminer le financement accordé aux organismes qui fournissent des SEFPN, AANC doit cesser de réduire le financement aux organismes qui desservent moins d’enfants que les 251 admissibles. Le financement devrait plutôt être établi selon une évaluation du niveau de besoin actuel de services pour chaque organisme qui fournit des SEFPN, indépendamment du niveau de la population (voir paragraphe 40 ci-dessus);

6. AANC cessera la pratique obligeant les organismes qui fournissent des SEFPN à couvrir les dépassements de coûts liés à l’entretien en puisant dans le financement des volets de l’exploitation et de la prévention (voir paragraphes 56 à 61 ci-dessus);

7. AANC doit appliquer immédiatement le principe de Jordan à tous les enfants des Premières Nations (pas seulement ceux qui vivent dans les réserves) (voir paragraphes 117 à 118 ci-dessus).

[Décision sur requête 2016 TCDP 16.]

[131] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation est revenue sur la question des demandes de financement des services à l’enfance et à la famille en fonction des coûts réels, et elle a examiné des éléments de preuve supplémentaires à cet égard. Les demandes relatives aux frais effectivement engagés incluaient expressément les coûts de réparation des bâtiments en particulier et s’appliquaient aussi de façon plus générale aux besoins en immobilisations et en infrastructure :

[109] La Société de soutien sollicite des ordonnances portant que le Canada est tenu de financer les frais juridiques, les réparations de bâtiments, l’accueil et les enquêtes, et le montant des achats relatifs aux services à l’enfance en fonction des frais effectivement engagés, et ce, jusqu’à ce que les plaignants et le Canada se soient entendus sur les mesures qu’il convient de prendre pour mettre fin aux pratiques discriminatoires. La Société de soutien fait valoir que, en attendant que l’on réforme le Programme des SEFPN, le financement de ces frais sur la base de leur coût réel est la seule option dont dispose le Tribunal qui garantira que l’on ne perpétue pas l’effet préjudiciable des formules de financement d’AANC. Elle ajoute que le Canada n’a présenté aucune preuve montrant que le financement de ces éléments sur la base des frais effectivement engagés serait inapproprié ou causerait des difficultés excessives.

[…]

[195] Ceci étant dit, la formation est encouragée par les mesures de réparations immédiates prises à ce jour par le Canada. Cependant, nous considérons aussi que le Canada ne se conforme pas entièrement aux ordonnances antérieures rendues par la formation et visant les mesures les moins perturbatrices et les services de prévention, les organismes de petite taille, les services d’accueil et d’enquête et les frais juridiques. De plus, à ce stade-ci, la formation conclut qu’il y a lieu de rendre des ordonnances supplémentaires dans l’intérêt supérieur des enfants. Les ordonnances en question sont incluses dans la section relative aux ordonnances, présentée plus loin.

[…]

[212] Le Canada a indiqué que les règles relatives au Programme prévoient des fonds pour couvrir des dépenses mineures en termes de capital. Celles-ci peuvent inclure des activités d’entretien et, de réparation/réfection/rénovation d’installations, de façon à se conformer aux codes du bâtiment. Si des fonds sont requis, le Canada travaillera au cas par cas avec les organismes, en vue de régler la question.

[213] La formation considère qu’il n’est pas clair si cette pratique a maintenant été mise en œuvre ou si elle ne le sera que dans l’avenir. Il n’est pas clair non plus, à savoir à quel moment, le financement sera mis à la disposition des organismes qui identifient le besoin de réparation de bâtiments. La formation conclut donc, qu’il est justifié de rendre une autre ordonnance, au sujet de cet élément de réparation immédiate. L’ordonnance est incluse dans la section relative aux ordonnances.

[…]

[247] Puisque le Canada a indiqué, dans ses observations, qu’il traitera de cette question dans le cadre de sa réforme à long terme, la formation conclut que le Canada a reporté à long terme et de manière unilatérale, le fait de se conformer l’examen de cette question même s’il lui a été ordonné de s’en occuper sans délai. Le Canada s’est conformé à ce qui lui a été prescrit en cessant de réduire le financement des organismes qui servent moins de 251 enfants, mais la formation conclut qu’il ne s’est pas conformé entièrement à ses ordonnances antérieures. La formation a ordonné au Canada d’éliminer les seuils et les niveaux de population et de remédier sans délai aux effets préjudiciables causés aux organismes de petite taille qui font face aux plus grands défis, surtout s’ils sont isolés. (Voir la décision 2016 TCDP 10, aux par. 20 et 23).

[248] À ce stade, deux ans après la décision, la formation hésiterait maintenant à ordonner une mesure qui serait liée à la Directive 20-1, puisqu’elle a été jugée discriminatoire.

[249] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) et (b) de la LCDP, ordonne au Canada en consultation avec les parties, les parties intéressées (voir, ci-après, l’ordonnance relative au protocole) et d’autres experts, d’analyser les évaluations des besoins identifiés par les organismes des Premières Nations et, de procéder à une analyse de coûts concernant les besoins réels des organismes de petite taille des Premières Nations relativement aux services de bien-être à l’enfance. Le tout, en tenant compte des distances de déplacement, des ratios de cas, de l’éloignement, des lacunes ou du manque de services à proximité, ainsi que de toutes les circonstances particulières, auxquelles ils peuvent être confrontés.

[250] Il est ordonné au Canada d’effectuer cette analyse et de rendre compte de la situation au Tribunal d’ici le 3 mai 2018.

[251] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP ordonne au Canada, d’éliminer cet aspect de ses formules et de ses modèles de financement qui incite à retirer inutilement, les enfants des Premières Nations de leurs familles ou de leurs collectivités et ce, le temps que la réforme à long terme de ses formules et de ses modèles de financement du Programme national des SEFPN soit complétée. À cet effet, et conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, la formation ordonne au Canada en consultation avec l’APN, la Société de soutien, la Commission, les COO et la NNA (voir, ci-après, l’ordonnance relative au protocole), d’établir un autre système pour financer les organismes de petite taille des Premières Nations soit, un système fondé sur les besoins réels et, fonctionnant de la même façon que les méthodes de financement qu’applique à l’heure actuelle AANC, pour financer les frais de garde et d’entretien liés au bien-être à l’enfance, c’est-à-dire, en remboursant intégralement les coûts réels de ces services qui selon les organismes de SEFPN, servent le mieux les intérêts de l’enfant. La formation ordonne au Canada d’établir et de mettre en œuvre la méthode à suivre incluant un cadre de responsabilisation, et ce, d’ici le 2 avril 2018 et qu’il rende compte de la situation à la formation d’ici le 3 mai 2018.

[252] La formation, conformément à l’article 53(2) (a) de la LCDP, ordonne au Canada de mettre fin à sa pratique de financement discriminatoire qui consiste à ne pas financer les coûts réels des organismes de petite taille des Premières Nations. Afin d’assurer la collecte de données de manière appropriée et, de répondre aux besoins réels des enfants des Premières Nations, la formation ordonne au Canada de financer, sur la base des coûts réels, les organismes de petite taille des Premières Nations, lesquels doivent être remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016, d’ici le 2 avril 2018. Cette ordonnance complète celle qui précède.

[…]

[272] Un certain nombre de commentaires méritent d’être émis concernant la portée de la plainte et le rôle du Tribunal dans ce cas. Il est vrai que la plainte ne visait pas les cinq programmes sociaux d’AANC et que le Tribunal a ses limites cependant. La pratique de réaffectation des fonds destinés à d’autres programmes a une incidence négative sur les services de logement fournis dans les réserves et, de ce fait, une incidence préjudiciable sur les besoins en services de bien‑être à l’enfance des enfants et des familles vivant dans des réserves parce qu’elle mène à des retraits d’enfants. Cela perpétue les pratiques discriminatoires, plutôt que de les éliminer.

[273] La formation a traité de cette question dans le cadre des conclusions tirées dans la Décision et elle a indiqué qu’il s’agissait d’un élément parmi les effets préjudiciables touchant les enfants et les familles des Premières Nations.

[274] Cela ne signifie pas dire que le Tribunal peut alors examiner tous les programmes et rendre n’importe quel type d’ordonnance se trouvant en dehors de ses des conclusions tirées dans la présente plainte. Il en a été question dans la Décision 2016 TCDP 16, au paragraphe 61.

[275] Cependant, la formation peut, si elle dispose de preuves à cet effet, rendre des ordonnances en vertu de l’article 53(2)(a) et (b) mettant fin à la pratique discriminatoire et pour prévenir qu’elle ne se reproduise. Ceci est fondé sur les éléments de preuve produits à l’audience sur le fond ainsi que sur de nouvelles preuves soumises au Tribunal dans le cadre des procédures relatives aux requêtes. Par ailleurs, cette pratique est un exemple clair de prises de décisions sur des politiques et reproduisant les pratiques historiques discriminatoires. Par conséquent, une intervention du Tribunal s’avère nécessaire afin de d’éliminer cette pratique.

[276] Bien qu’il soit inévitable pour le gouvernement fédéral de réaffecter des sommes dans certaines circonstances, il est dans le meilleur intérêt des enfants et des familles des Premières Nations qu’on élimine, le plus possible, cette pratique.

[277] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 15 février 2018, de cesser de réaffecter inutilement des fonds destinés à d’autres programmes sociaux, particulièrement aux services de logement, si cela a l’effet préjudiciable de retirer des enfants à leurs familles et communautés ou si cela produits d’autres effets négatifs qui sont décrits dans la Décision.

[278] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 15 février 2018, de veiller à ce que tout investissement fait en guise de réparation immédiate n’ait aucun effet préjudiciable sur les enfants autochtones, leurs familles et leurs collectivités.

[279] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 2 avril 2018, d’évaluer l’ensemble de ses programmes sociaux afin de déterminer et de s’assurer que toute réaffectation est nécessaire et n’a pas d’effet préjudiciable sur les enfants et les familles des Premières Nations.

[…]

[299] La formation ne met pas en doute la nécessité de recourir à une approche à plusieurs volets ou à de nombreuses consultations à grande échelle, avec les partenaires du Canada. Elle ne conteste pas non plus, le fait que le Canada ne peut, à lui seul, réformer le système de bien-être à l’enfance et qu’il doive le faire avec ses partenaires, dans le cadre de tables tripartites et au sein d’autres forums.

[300] La formation trouve problématique que l’on a toujours avancé les arguments qui précèdent pour justifier les retards, ainsi que les dénis de services équitables qui sont cause de discrimination. La formation en a parlé en détail dans sa Décision, soulignant que de nombreux politiciens et gestionnaires de programme ne cessent de répéter les mêmes choses : il faut que les provinces soient à la table, nous devons recueillir des informations, nous devons travailler avec nos partenaires, nous devons demander des autorisations, d’autres programmes pourraient s’appliquer à la situation, etc. Cela dure depuis des années, et pourtant la formation a conclu qu’il y avait discrimination. [Caractères gras ajoutés.]

[301] Par ailleurs, tous ces arguments ont été invoqués par le Canada à l’audience sur le fond, et la formation les a rejetés. C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elle a ordonné que l’on prenne des mesures de réparations immédiates, de façon à ce que la réforme à long terme ne soit pas une entrave au fait d’agir maintenant pour les enfants autochtones.

[302] De plus, le Canada a fait valoir, dans ses observations finales aux présentes requêtes, qu’il prenait part, avec l’APN, les COO et la NNA, à un certain nombre de tables de travail et, pourtant, il n’est pas en mesure d’identifier clairement quelles sont les lacunes.

[303] La formation tient à préciser que des discussions sans plan détaillé sans délais précis y attachés, peuvent durer très longtemps. Il est préoccupant pour nous d’entendre ce genre d’arguments. De plus, comme il a déjà été indiqué dans la Décision, il faut éviter de recourir à une approche fragmentée. Ce raisonnement s’applique à toutes les ordonnances rendues dans le cadre de la présente décision.

[…]

[324] La formation a déjà conclu dans sa Décision que le manque de financement relatif aux représentants de bande est l’un des principaux effets préjudiciables de la discrimination qu’exerce le Canada, et l’un des moyens par lesquels le Canada néglige de fournir des services culturellement appropriés aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant en Ontario (voir les par. 392, 425 et 426).

[…]

[336] La formation, conformément aux l’article 53 2(a) et (b) de la LCDP, ordonne au Canada de financer les services de représentant de bande destinés aux Premières Nations de l’Ontario, au coût réel de la fourniture de ces services, et ce, d’ici le 15 février 2018 et rétroactivement au 26 janvier 2016. Ceci dans l’attente que les études soient complétées ou que la formation rende une ordonnance supplémentaire.

[337] Il est interdit à AANC de déduire le financement ordonné du financement existant ou du financement des services de prévention et ce, jusqu’à ce que les études soient complétées ou que la formation rende une ordonnance supplémentaire.

[…]

[387] Il a fallu des années avant que les enfants des Premières Nations obtiennent justice. La discrimination a été prouvée. La justice inclut des mesures de réparation concrètes. Le Canada doit certainement le comprendre. La formation ne peut pas simplement rendre des ordonnances définitives et clore le dossier. Elle a déterminé qu’il était nécessaire de recourir à une approche progressive à l’égard des mesures de réparation afin de s’assurer que l’on allouait premièrement des mesures de réparation à court terme et, ensuite, des mesures de réparation à long terme, ainsi qu’une réforme complète du programme qui prend nettement plus de temps à mettre en œuvre. La formation a reconnu que si le Canada prenait cinq ans ou plus pour réformer le Programme, il y avait donc un besoin crucial de remédier à la discrimination immédiatement, de la manière la plus concrète possible, avec les éléments de preuve dont on dispose jusqu’à présent.

[388] À l’instar de ce qui a été fait dans l’affaire McKinnon, il peut être nécessaire de demeurer saisi de l’affaire afin de s’assurer que la discrimination a été éliminée et que les mentalités ont aussi changé. Cette affaire a été réglée en fin de compte après une période de dix ans. La formation espère que ce ne sera pas le cas ici.

[389] En tout état de cause, le préjudice subi par les enfants des Premières Nations et leurs familles – qui ont fait l’objet, et continuent de faire l’objet, d’injustice et de discrimination – l’emporte sur tout manquement potentiel à l’équité procédurale envers le Canada.

[…]

[410] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada, en attendant la réforme à long terme de ses formules et de ses modèles de financement du Programme national des SEFPN, d’éliminer l’aspect de ces formules ou de ces modèles de financement qui incite à prendre inutilement en charge des enfants des Premières Nations et à les retirer de leurs familles ou de leurs collectivités. À cet effet, et conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, la formation ordonne au Canada d’établir un autre système de financement des services de prévention ou des mesures les moins perturbatrices, des activités d’accueil et d’enquête, des frais juridiques et des services de réparation de bâtiments destinés aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon. Ce système doit être fondé sur les besoins réels et fonctionner de la même façon que les pratiques de financement que le Canada applique actuellement pour financer les frais d’entretien liés au bien-être à l’enfance, c’est-à-dire, en remboursant intégralement les coûts réels de ces services, qui, selon ce que déterminent les organismes de SEFPN, est dans le meilleur intérêt des enfants. Le Canada doit établir et mettre en œuvre la méthode à suivre, y compris un cadre de responsabilisation, en consultation avec l’APN, la Société de soutien, la Commission, les COO et la NNA (voir l’ordonnance relative au protocole, ci-après) d’ici le, 2 avril 2018 et rendre compte de la situation à la formation d’ici le 3 mai 2018.

[411] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada de mettre fin à sa pratique de financement discriminatoire, qui consiste à ne pas financer intégralement le coût des services de prévention ou des mesures les moins perturbatrices, des réparations de bâtiments, de l’accueil et des enquêtes, ainsi que des frais juridiques. Pour assurer la collecte appropriée de données et pour répondre aux besoins réels des enfants des Premières Nations, la formation ordonne au Canada de financer, en fonction des coûts réels, les services de prévention ou les mesures les moins perturbatrices, les réparations de bâtiments, les activités d’accueil et d’enquête et les frais juridiques liés au bien-être à l’enfance, lesquels frais seront remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016, d’ici le 2 avril 2018. Cette ordonnance complète celle qui précède.

[…]

[413] Jusqu’à ce que l’une des options énoncées ci-après se réalise :

  1. Une entente de Nation (autochtone) à Nation (Canada) respectant le principe à l’auto gouvernance et ce, en vue que la nation se charge de la fourniture de ses propres services de bien-être à l’enfance;

  2. Le Canada conclut une entente avec une Nation qui est spécifique, même si cette dernière ne fournit pas encore ses propres services de bien-être à l’enfance et si l’entente est plus avantageuse pour la Nation autochtone que les ordonnances figurant dans la présente décision sur requête;

  3. La réforme est effectuée conformément aux pratiques exemplaires recommandées par les experts, y compris le CCN et les parties et les parties intéressées, et l’admissibilité au remboursement du coût des services de prévention ou des mesures les moins perturbatrices, des réparations de bâtiments, des activités d’accueil et d’enquête et des frais juridiques n’est plus fondée sur des formules ou des programmes de financement discriminatoires;

  4. Toute partie ou partie intéressée fournit une preuve justifiant le réajustement de la présente ordonnance en vue de surmonter des difficultés précises et imprévisibles, et qui sont acceptées par la formation.

[414] Les paramètres qui précèdent s’appliqueront également aux ordonnances qui suivent.

[415] La formation reconnaît également qu’il sera nécessaire, dans le futur, d’apporter d’autres réajustements à ses ordonnances à mesure que la collecte de données s’améliorera, que les travaux du CCN progresseront et que les informations seront de meilleure qualité.

[Décision sur requête 2018 TCDP 4, caractères gras dans l’original.]

B. Analyse des grands projets d’immobilisations des SEFPN

[132] Le Tribunal a exposé son raisonnement initial dans sa lettre de décision. Comme il l’avait alors précisé, le Tribunal fournit maintenant des motifs plus détaillés.

[133] L’une des principales conclusions non contestées dans la présente plainte est celle de la discrimination systémique exercée par le Canada sous forme d’un sous-financement du Programme des SEFPN et d’une interprétation étroite du principe de Jordan qui a eu des effets préjudiciables sur les enfants et les familles des Premières Nations. Les éléments de preuve sur lesquels la formation s’est fondée, et qui ont mené à cette conclusion, comprenaient de nombreux éléments sous-financés dans les formules de la Directive 20-1 de l’approche améliorée axée sur la prévention (« AAAP »), notamment les infrastructures nécessaires pour offrir des services culturellement adaptés, confidentiels et sécuritaires aux enfants en vertu des lois provinciales que, selon le Programme des SEFPN, les organismes de SEFPN sont tenus de suivre.

[134] De plus, les arguments relatifs à la séparation des pouvoirs ont été avancés tout au long de la procédure dans la présente plainte. Les conclusions antérieures de la formation sur cette question demeurent incontestées. Bien que la formation convienne que le rôle du Tribunal n’est pas celui d’un décideur en matière de politique ou d’un gestionnaire des fonds publics, pas plus qu’il ne consiste à empiéter sur les rôles des organes exécutif et législatif, les principaux aspects de la plainte touchent à la fois les fonds publics et les politiques relatives aux services des SEFPN qui ont été jugées discriminatoires.

[135] Dès lors que la formation a conclu que les services étaient discriminatoires et qu’elle a exercé son rôle, conféré par la loi, d’éliminer la discrimination et d’empêcher qu’elle ne se reproduise, il faut tenir compte de l’acte discriminatoire qu’elle tente de corriger. Dans le cas qui nous occupe, le sous-financement du programme des SEFPN, les autorisations du programme et les formules du programme des SEFPN ont été jugés discriminatoires. Il s’agit d’une partie importante de la plainte dont le Tribunal est saisi et qu’il est tenu de trancher en vertu de la LCDP. Si le Canada offre des services, il doit le faire de manière exempte de discrimination, ce qui signifie qu’il ne peut sous-financer les services ni perpétuer les politiques qui favorisent ce sous-financement, notamment en ce qui concerne les immobilisations. Il ne saurait non plus permettre que se produisent d’autres effets préjudiciables comme le manque de services de prévention dans les réserves, notamment dans la région de l’Ontario.

[136] De plus, au moment où le Tribunal instruisait la plainte, le Canada avait déjà siégé à des tables tripartites dans de nombreuses régions. Il avait déjà participé au CCN, et travaillé avec les Premières Nations, notamment sur des études comme le projet de recherche Wen:De. Il avait déjà annoncé publiquement qu’il devait discuter avec les partenaires des Premières Nations. Il s’était déjà engagé à améliorer le Programme des SEFPN et à accroître le financement. Tous ces éléments faisaient partie de la preuve dont le Tribunal était saisi, et qu’il a examinée attentivement, pour en arriver à des conclusions non contestées sur l’existence d’une discrimination systémique. Dans ce contexte, il est compréhensible que la formation ait besoin de plus qu’une répétition de ces mêmes stratégies pour pouvoir veiller à ce que la discrimination systémique soit éliminée et qu’elle ne se reproduise plus. Répéter les mêmes actes du passé ne conduira pas à un changement durable et concret.

[137] De plus, le dossier comporte de nombreux éléments de preuve établissant que les Premières Nations et les organismes de SEFPN ont exprimé leurs besoins, leurs plans et leurs priorités à maintes reprises, et qu’on ne les a pas écoutés (voir p. ex. la Décision sur le bien-fondé, aux par. 73 et 74). Un exemple encore plus récent et tragique est ce qui s’est produit dans la Première Nation Wapekeka (la « PN Wapekeka »), une communauté de la NNA. La PN Wapekeka avait prévenu le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Santé Canada, qu’elle s’inquiétait d’un pacte de suicide conclu au sein d’un groupe de jeunes enfants et d’adolescents. Cette information figurait dans une proposition détaillée de juillet 2016 qui visait à obtenir du financement pour mettre sur pied une équipe communautaire en santé mentale à titre de mesure préventive. Pendant plusieurs mois, la proposition de la PN Wapekeka est restée sans réponse de la part du Canada, qui n’a ensuite répondu que de façon réactive, après le suicide de deux jeunes. La réponse médiatique de Santé Canada a été la suivante : le Ministère reconnaissait avoir reçu en septembre 2016 la proposition de juillet 2016, mais ajoutait qu’elle arrivait alors à un [traduction] « moment peu propice dans le cycle de financement fédéral » (voir la décision sur requête 2017 TCDP 14, aux par. 88 et 89).

[138] Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une demande de financement d’immobilisations, le Tribunal estime que la collectivité a clairement exprimé sa priorité, et qu’on lui a présenté un argument fondé sur des considérations financières plutôt qu’une réponse qui soit fondée sur l’égalité réelle et qui tienne compte des besoins, en l’occurrence des besoins urgents. Par conséquent, l’argument du Canada selon lequel il est engagé dans des discussions en vue de respecter les plans et priorités des collectivités ne peut, à lui seul, convaincre la formation que le Canada donne suffisamment suite à ses conclusions et à ses ordonnances antérieures.

[139] Cela dit, la formation croit juste de dire que le Canada a mis en œuvre de nombreux changements au bénéfice des enfants. Toutefois, ses observations au sujet de la Loi sur la gestion des finances publiques rappellent son argument sur la séparation des pouvoirs, que le Tribunal a déjà rejeté (voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux par. 45 et 46). Le réexamen constant de questions déjà tranchées n’aide pas à convaincre la formation que le Canada a changé de mentalité et qu’il apporte des changements réels et durables pour les enfants et les familles.

[140] Qui plus est, la question des immobilisations n’est pas une surprise pour le Canada, puisqu’elle a été abordée dans la Décision sur le bien-fondé et était visée par les ordonnances « de ne pas faire ». Le Canada rappelle constamment au Tribunal la séparation des pouvoirs pour l’inviter à faire preuve de retenue. Mais une telle retenue ne signifie pas que le Tribunal ait les mains liées en ce qui concerne le financement et les politiques du gouvernement, étant donné que les conclusions et les pratiques discriminatoires constatées en l’espèce concernent précisément les autorités, le sous-financement et les politiques discriminatoires que le Tribunal, selon la prétention du Canada, ne peut pas examiner. Précisons que les services doivent être offerts dans des espaces sécuritaires, adéquats et confidentiels. Cette considération faisait partie des éléments de preuve présentés au Tribunal qui ont mené aux conclusions tirées dans la Décision sur le bien-fondé. Elle est comprise dans les ordonnances visant l’élimination de l’acte discriminatoire et la réforme du Programme des SEFPN.

[141] La formation ajoute que :

[l]es auteurs ont souligné la nécessité de dépenses d’immobilisations pour de nouveaux bâtiments, de nouveaux véhicules et du matériel informatique, pour assurer la conformité aux normes provinciales, ainsi que pour améliorer le climat de travail au sein des organismes de SEFPN. Toutefois, ces dépenses n’avaient pas été prévues au moment de l’adoption de l’AAAP et l’Évaluation de 2012 a constaté qu’elles étaient souvent financées à même les budgets de prévention (Évaluation par AADNC de la mise en œuvre de l’AAAP en Saskatchewan et en Nouvelle‑Écosse, p. 53).

[Décision sur le bien-fondé, au par. 289, et décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 139.]

[142] Au demeurant, le Programme des SEFPN exige que les organismes et les collectivités fournissent des services conformes aux normes provinciales. Pour le Tribunal, cela signifie que, tant qu’elle est exempte de discrimination et dans l’intérêt de l’enfant, du point de vue autochtone plutôt que colonial, la norme provinciale constitue un seuil minimal au lieu d’une exigence maximale. Encore une fois, les normes devraient être conformes aux principes de l’égalité réelle, soit le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant la satisfaction de leurs besoins. C’est l’approche suivie par le Tribunal depuis le début. À tout le moins, les services offerts devraient respecter de telles normes provinciales exemptes de discrimination et permettre aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations d’offrir des services confidentiels, sécuritaires et culturellement adaptés aux enfants et aux familles. Si des travaux de réparation d’un bâtiment ne permettent pas d’offrir des services dans un local approprié, l’organisme et la collectivité des Premières Nations devraient recevoir un financement suffisant pour offrir ces services dans de nouveaux bâtiments. De même, si l’emplacement ou la conception d’un bâtiment empêche d’y fournir des services confidentiels, sécuritaires et adaptés à la culture, l’organisme de SEFPN et la Première Nation ont le droit de disposer d’un bâtiment où il est possible de fournir des services d’une manière exempte de discrimination.

[143] La formation a accepté les éléments de preuve et les recommandations contenus dans les rapports Wen:De, et elle l’a dit clairement dans la Décision sur le bien-fondé. Les rapports Wen:De mettent en garde contre une approche fragmentaire à l’égard des recommandations. La formation a déjà constaté que le Canada suivait une approche fragmentaire pour mettre en œuvre les changements nécessaires, et que cette approche avait eu des effets préjudiciables sur les enfants et les familles.

[144] La formation a utilisé les termes « immobilisations » et « infrastructure des immobilisations » dans des décisions antérieures. Les termes « grands projets d’immobilisations » et « petits projets d’immobilisations », quant à eux, étaient employés par le Canada pour faire la distinction entre les deux. Depuis, le Canada a indiqué que les Modalités du Programme des SEFPN avaient été modifiées, et cette distinction, supprimée. Pour les besoins de la présente décision sur requête, la formation s’en remettra à la récente terminologie modifiée employée dans les Modalités, et parlera d’« acquisition ou [de] construction d’immobilisations […] qui soutiennent la prestation de services des SEFPN ».

[145] La question de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations pour appuyer la prestation de services des SEFPN a été traitée dès le départ dans les conclusions de la formation, et elle fait partie de la preuve qui lui a été présentée. Elle s’inscrit parfaitement dans la portée de la présente demande, et fait partie de la réforme dont la formation surveille la mise en œuvre. Dans des décisions sur requête antérieures, des ordonnances non contestées ont déjà été rendues concernant l’acquisition ou la construction d’immobilisations pour soutenir la prestation de services des SEFPN. Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, les ordonnances qui exigeaient la réparation plutôt que la construction de bâtiments reconnaissaient toutefois la nécessité de tenir d’autres consultations sur les besoins avant de rendre des ordonnances précises supplémentaires. Cette ordonnance n’a pas eu pour effet d’éliminer les ordonnances antérieures du Tribunal. Au contraire, elle prenait en compte la nécessité de tenir plus amples consultations, ce qui a été énoncé clairement dans la décision sur requête (voir 2018 TCDP 4, au par. 407).

[146] De plus, la formation n’a pas traité les services offerts indépendamment des locaux à bureaux ou des immeubles sécuritaires, culturellement appropriés et confidentiels où les offrir. Conclure que le Tribunal a opéré une telle distinction est erroné. Les ordonnances de la formation étaient toujours axées sur les besoins précis et sur le respect de l’égalité réelle, et mentionnaient les normes provinciales en tant que seuil minimal plutôt qu’en tant qu’exigence maximale. Ce raisonnement s’applique à l’approche globale adoptée par la formation à l’égard de tous les aspects de ses ordonnances. Comme il a été mentionné dans la Décision sur le bien-fondé et dans les décisions sur requête subséquentes, les normes provinciales exigent que les services aux enfants des Premières Nations soient offerts dans des locaux sécuritaires et confidentiels. Par ailleurs, depuis le début, la formation a rejeté l’idée d’une approche fragmentée, tout comme elle a rejeté celle d’une approche uniformisée.

[147] Le Tribunal convient qu’il incombe au Canada de décider avec les Premières Nations des politiques et autorisations de financement qui sont appropriées, mais il n’appartient pas au Canada de décider de continuer à exercer une discrimination dans ses choix stratégiques et en matière de financement, surtout dans la mesure où les Premières Nations présentent des demandes légitimes dans le cadre du Programme des SEFPN et démontrent que ces demandes ne sont pas satisfaites. De plus, le rapport de l’IFPD a révélé des lacunes dans le financement des services de prévention, des immobilisations, des salaires et de l’infrastructure de TI.

[148] Les législations provinciales exigent que les services à l’enfance et à la famille soient offerts dans des immeubles sécuritaires et confidentiels. Des services appropriés vont de pair avec des locaux adéquats pour leur prestation. Si ces locaux sont inadéquats, les organismes et les collectivités des Premières Nations se retrouvent dans une situation intenable où ils sont forcés de réduire les services offerts aux enfants ou encore d’offrir des services dans des cadres médiocres et illégaux. Quelles que soient les formules de financement et les politiques arrêtées par le Canada, leur résultat ne peut pas être celui-là.

[149] Le Canada s’est vu ordonner de remédier à la situation, et il a accepté de le faire. Le Tribunal n’ordonne pas au Canada de construire des bureaux sans consulter les Premières Nations et sans suivre les processus appropriés. Il ordonne au Canada de financer les acquisitions ou les constructions d’immeubles une fois que tous les processus auront été achevés et que les Premières Nations les auront approuvés.

[150] La formation accepte l’argument du Canada selon lequel des ordonnances qui exigeraient la construction d’infrastructures particulières dans les réserves sans consultation préalable avec les Premières Nations auraient des répercussions sur d’autres types d’infrastructures dans les réserves (p. ex. eau, routes, électricité). Dans ce contexte, des décisions relatives à la construction d’infrastructures dans les réserves sont beaucoup plus complexes que des décisions concernant le simple financement de la construction d’un bâtiment ou de la réparation d’un bâtiment existant. De telles décisions ne peuvent être prises en vase clos et devraient tenir compte des priorités et de la planification déjà établies dans la collectivité.

[151] Dès lors que l’expression « acquisition ou construction d’immobilisations […] qui soutiennent la prestation de services des SEFPN » est utilisée dans la présente décision sur requête, l’accent est mis sur l’acquisition ou la construction d’immeubles, et non sur les infrastructures au sens large comme les routes et les hôpitaux. De plus, même si des bâtiments sont construits, la formation reconnaît qu’il faut consulter les Premières Nations à cet égard.

[152] Le Canada invoque l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43 (Ontario c. Criminal Lawyers) pour appuyer son argument sur la séparation des pouvoirs. Dans cette affaire, la juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que les tribunaux n’avaient pas compétence inhérente pour fixer le taux de rémunération d’un amicus curiae (ou « ami de la cour »). L’affaire portait essentiellement sur l’équilibre, sur le plan constitutionnel, entre l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’administration de la justice dans les provinces, qui est assurée par le procureur général au nom du pouvoir exécutif.

[153] Les juges majoritaires ont exposé trois raisons pour lesquelles les tribunaux n’ont pas compétence pour ordonner la rémunération que le procureur général doit verser à l’amicus curiae. Premièrement, la législature conserve le pouvoir d’affectation des fonds. Bien que les ordonnances des tribunaux puissent avoir des conséquences financières accessoires, fixer le taux de rémunération est aller trop loin. Deuxièmement, bien que les tribunaux aient le pouvoir d’établir les conditions nécessaires pour assurer l’exécution des ordonnances de nomination des amici curiae, la faculté de fixer la rémunération de ceux-ci n’est pas essentielle à l’exercice d’un tel pouvoir. La jurisprudence démontre qu’il n’est pas nécessaire que les tribunaux fixent le taux de rémunération des avocats nommés par le tribunal. Ils n’ont pas non plus à le faire parce que le procureur général a compétence constitutionnelle pour administrer la justice, une fonction dont il s’acquitte, par exemple, en identifiant les avocats prêts à accepter une nomination comme amicus curiae selon le taux de rémunération qu’il propose. Troisièmement et finalement, des tribunaux qui ordonneraient l’affectation de sommes importantes en fixant la rémunération des amici curiae risqueraient de compromettre l’intégrité du processus judiciaire, car ces dépenses ne pourraient être examinées que par les cours d’appel et non par les mécanismes de responsabilité publique inhérents aux pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement.

[154] Pour toutes ces raisons, les juges majoritaires ont conclu que, en l’absence d’une habilitation découlant d’une disposition législative ou d’une contestation constitutionnelle, permettre à un tribunal de dicter au procureur général de quelle manière dépenser des fonds pour l’administration de la justice revenait à outrepasser les attributions judiciaires et à empiéter sur les rôles propres aux pouvoirs exécutif et législatif de l’État.

[155] En ce qui concerne l’argument du Canada relatif à l’affaire Ontario c. Criminal Lawyers, le Tribunal concède être lié en l’espèce par cet arrêt de la Cour suprême, qui a clarifié les rôles des cours supérieures et la nécessité de faire preuve de retenue dans le domaine des dépenses et des politiques publiques. La formation fait aussi remarquer qu’aucune Charte ou loi sur les droits de la personne n’était en cause dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers, contrairement à l’arrêt Kelso c. La Reine, 1981 CanLII 171 (CSC), [1981] 1 RCS 199, à la page 207, où la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Personne ne conteste le droit général du gouvernement de répartir les ressources et les effectifs comme il le juge approprié. Mais ce droit n’est pas illimité. Son exercice doit respecter la loi. Le droit du gouvernement de répartir les ressources ne peut l’emporter sur une loi telle que la Loi canadienne sur les droits de la personne [...]

[156] La formation s’est appuyée sur l’arrêt Kelso pour décider du bien-fondé de la présente affaire (voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 42).

[157] Dans les observations qu’il a présentées dans le cadre de la présente requête, le Canada reconnaît qu’il a une obligation découlant de la Charte et de la LCDP de veiller à ce que tout service financé par le gouvernement fédéral soit fourni d’une manière exempte de discrimination. Il en est ainsi, en effet, et c’est là précisément ce que la formation a ordonné et évalue. La présente affaire se distingue de l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers. En l’espèce, la portée de la demande qui éclaire la compétence du Tribunal en vertu de la LCDP, et qui comprend la plainte, l’exposé des précisions, les éléments de preuve et les arguments, place le sous-financement du Programme des SEFPN au premier plan. Le Tribunal a conclu que ce sous-financement équivalait à une discrimination raciale systémique qui avait des répercussions négatives sur les enfants et les familles et leur portait préjudice, en plus d’entraîner le retrait massif des enfants de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités.

[158] La présente affaire se distingue aussi de l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers en raison du paragraphe 66(1) de la LCDP. Cette disposition prévoit que : « la présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ». Il n’y avait pas de disposition comparable en cause dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers.

[159] Le Canada s’inquiète du fait que le maintien exceptionnel de son pouvoir réparateur par le Tribunal puisse entraîner une gestion complète de l’affaire, un scénario contre lequel la Cour avait émis une mise en garde dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au paragraphe 74 (Doucet-Boudreau). Dans le même ordre d’idées, le Canada met en garde contre un élargissement de la portée des questions de réparation qui ferait de l’étape des réparations une cible mobile insaisissable (Entrop v. Imperial Oil Ltd., 2000 CanLII 16800, 50 OR (3d) 18 (OCA), au par. 58).

[160] Le Tribunal a déjà répondu à ces mêmes arguments dans la décision sur requête 2018 TCDP 4. En ce qui a trait à l’affaire Doucet-Boudreau, le Tribunal a examiné la question dans le contexte des réparations ordonnées en vertu de l’article 24 de la Charte. Comme la formation l’a déjà fait remarquer dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[22] [...] Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) invoque dans son analyse l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation) (2003 CSC 62), où l’on analyse les réparations prévues à l’article 24 de la Charte.

[23] La formation conclut que la présente affaire et sa matrice factuelle sont nettement plus complexes et d’une plus grande portée que l’affaire Ball et qu’elle peut donc établir une distinction entre les deux affaires.

[161] Cela dit, le Tribunal s’est appuyé sur l’arrêt Doucet-Boudreau dans des décisions antérieures et, à son avis, il s’applique en l’espèce à de nombreux égards. Le Tribunal ne croit pas faire abstraction de la mise en garde de la CSC dans sa conduite de la présente affaire. Le contexte particulier, les éléments de preuve et l’historique en l’espèce ont justifié la surveillance exercée par la formation jusqu’à ce que des réparations ou des solutions à long terme aient été mises en œuvre.

[162] La formation a reconnu que l’étape des réparations ne devrait pas devenir une cible mobile, mais tel n’est pas le cas en l’espèce. Les infrastructures des immobilisations ont toujours fait partie de la présente demande.

[163] Une autre conclusion importante de la Décision sur le bien-fondé qui est pertinente en l’espèce, et qui répond à l’argument du Canada selon lequel les ordonnances demandées ne relèvent pas de la compétence du Tribunal, est la suivante : « L’absence de coordination du Programme des SEFPN et des autres ententes provinciales/territoriales connexes avec d’autres ministères et d’autres programmes et services du gouvernement destinés aux Premières Nations dans les réserves, a entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations » (voir la Décision sur le bien-fondé, aux par. 391 et 458).

[164] Le Programme des SEFPN, ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes ont été jugés discriminatoires. Les questions de financement et de politiques se situent au cœur des conclusions en l’espèce. Le Tribunal a été investi par le législateur, en vertu d’une loi quasi constitutionnelle sur les droits de la personne, d’un rôle quasi judiciaire qui consiste à éliminer la discrimination — c’est-à-dire la discrimination qu’il constate dans une demande qu’il juge fondée — et à empêcher qu’elle ne se reproduise. En l’espèce, la discrimination constatée est le sous-financement ainsi que l’absence de réforme complète du programme. La formation a une obligation envers le Parlement, les enfants et les familles des Premières Nations et les parties à la présente plainte, de s’acquitter de son mandat qui consiste à veiller à ce que le Programme des SEFPN ne soit plus sous-financé, quelle que soit la politique privilégiée par le Canada, et à ce que les politiques et les programmes respectent les normes en matière d’égalité réelle. Pour illustrer sommairement de ce qui précède, la formation renvoie aux conclusions antérieures de sa Décision sur le bien-fondé non contestée :

[461] Bien qu’il soit au courant, depuis des années, des conséquences néfastes du Programme des SEFPN, AADNC ne l’a pas vraiment modifié depuis sa création en 1990. Les annexes de l’Entente de 1965 de l’Ontario n’ont pas été mises à jour non plus depuis 1998. De nombreux rapports et recommandations ont été publiés pour proposer des solutions aux effets préjudiciables susmentionnées, incluant les propres analyses et évaluations internes d’AADNC. Malgré tout, AADNC n’a donné suite que parcimonieusement aux conclusions de ces rapports. Certes, AANDC a fait des efforts pour améliorer le Programme des SEFPN, notamment par l’adoption de l’AAAP et l’injection de fonds supplémentaires. Toutefois, ces mesures sont loin de combler les lacunes constatées dans la prestation des services et de résoudre les problèmes d’interruption, de refus de services et les effets préjudiciables que nous avons évoqués. En fin de compte, ces mesures ne répondent pas à l’objectif de fournir aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves des services adaptés à la culture autochtone, qui se comparent raisonnablement à ceux offerts aux personnes vivant hors réserve.

[462] Ce concept de comparabilité raisonnable est une des questions au cœur du problème. AADNC a de la difficulté à définir ce qu’il signifie et à le mettre en pratique, surtout parce que ses autorisations de financement et l’interprétation qu’il en fait ne s’accordent pas avec les lois et les normes provinciales et territoriales. AANDC n’est pas un expert dans le domaine des services à l’enfance et il est conscient que le financement conformément à ses autorisations est souvent insuffisant pour respecter les lois et les normes provinciales et territoriales. Néanmoins, il insiste pour que les organismes de SEFPN trouvent une manière de respecter ces normes et fournissent aux enfants et aux familles des services raisonnablement comparables. Au lieu d’évaluer les besoins des enfants et des familles des Premières Nations et de s’inspirer des lois et des normes provinciales pour concevoir un programme apte à répondre à ces besoins, AADNC a plutôt choisi de réagir de manière ponctuelle pour apporter les changements nécessaires à son programme.

[463] AADNC apporte des améliorations à son programme et à sa méthode de financement. Toutefois, en le faisant, il incorpore un modèle dont il sait qu’il comporte des lacunes. AADNC tente d’obtenir des variables comparables des provinces pour les faire cadrer avec ce modèle de coût. Toutefois, il ne réussit pas à obtenir toutes les variables pertinentes, étant donné qu’il arrive souvent que les provinces ne calculent pas les choses de la même façon ou n’utilisent pas de formule de financement. Par analogie, c’est comme si on ajoutait des piliers de soutien à une maison qui repose sur des fondations faibles, pour tenter de la redresser et de la soutenir. A un moment donné, il faut réparer les fondations, au risque de voir cette maison s’écrouler. Ainsi, il est nécessaire de procéder à une RÉFORME du Programme des SEFPN pour solidifier les fondations du programme afin de répondre aux véritables besoins des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves.

[Décision sur le bien-fondé, aux par. 461 à 463.]

[165] La formation a déjà souligné ce qui suit :

Comme elles ne sont pas expertes dans le domaine de l’aide à l’enfance, les autorités d’AADNC se préoccupent surtout de la comparabilité des niveaux de financement. Par contre, les lois et les normes provinciales et territoriales en matière de services à l’enfance et à la famille visent à assurer que les niveaux de services sont conformes aux saines méthodes en matière de travail social et qu’ils respectent l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est difficile, voire impossible, de s’assurer que les services à l’enfance et à la famille sont raisonnablement comparables lorsqu’il existe une dichotomie entre financement comparable et services comparables. En effet, cette méthodologie ne tient pas compte des besoins plus grands de services que l’on constate chez bon nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves ni du coût plus élevé de la prestation de ces services dans bon nombre de situations. De plus, cette méthodologie fait ressortir les lacunes inhérentes aux hypothèses et aux niveaux de population intégrés au Programme des SEFPN.

[Décision sur le bien-fondé, au par. 464.]

[166] La formation a aussi tiré la conclusion suivante :

La norme de la comparabilité raisonnable d’AADNC ne garantit pas aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves l’égalité réelle dans la prestation de services à l’enfance et à la famille. À cet égard, il vaut la peine de répéter les propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Withler, au paragraphe 59 : « il peut être impossible de trouver un groupe de comparaison représentant des caractéristiques identiques, car l’allégation d’inégalité de la personne ou du groupe en cause peut reposer essentiellement sur le fait que, compte tenu de leur situation et de leurs besoins distincts, il n’existe aucun groupe analogue auquel ils puissent être comparés ». Cette affirmation cadre bien dans le contexte de la présente plainte. Autrement dit, les principes de droits de la personne, tant en droit canadien qu’en droit international, obligent AADNC à tenir compte des besoins distincts et de la situation particulière des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves – y compris leur situation et leurs besoins culturels, historiques et géographiques – pour s’assurer qu’ils bénéficient de l’égalité dans la prestation des services à l’enfance et à la famille. Une stratégie reposant sur des niveaux de financement comparables et sur l’application de modèles type de financement ne suffit pas pour garantir aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves l’égalité dans la prestation de services à l’enfance et à la famille.

[Décision sur le bien-fondé, au par. 465.]

[167] Par souci de clarté, mentionnons que les ordonnances tenant compte des coûts réels ne reviennent pas à imposer une politique de financement particulière. Elles sont plutôt une mesure permettant de remédier au sous-financement constaté en l’espèce. Le Canada peut choisir n’importe quel type de politique, tant qu’elle ne perpétue pas le sous-financement discriminatoire. Les parties en l’espèce tiennent le Tribunal informé de l’évolution de la mise en œuvre.

[168] La formation croit qu’il est utile de définir la notion de coût réel dans le contexte, d’une part, de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations pour soutenir la prestation de services des SEFPN, et d’autre part, de la politique fédérale en matière d’approvisionnement.

[169] Le coût réel est un terme comptable qui désigne le montant d’argent qui a été payé pour acquérir un produit ou un bien. C’est exactement ce que son nom évoque : le coût réel. Il peut s’agir du coût historique ou actuel d’un produit.

[170] Le fait de payer moins que les coûts réels pour la prestation de services dans le cadre du Programme des SEFPN a été jugé discriminatoire dans les décisions non contestées du Tribunal. Les coûts relatifs à l’entretien ont été remboursés sur la base des frais effectivement engagés, tandis que les services de prévention étaient sous-financés, ce qui a entraîné le retrait massif d’enfants de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités.

[171] D’après ce que la formation comprend de la position du Canada, il est préoccupé par l’idée que le Tribunal rende des ordonnances qui se traduiraient essentiellement par un financement illimité des coûts non liés au Programme des SEFPN. La formation précise que ce n’est pas le cas de ses ordonnances relatives aux coûts réels.

[172] De plus, la formation ne laisse pas entendre que les politiques et les processus légaux exempts de discrimination ne devraient pas être suivis. Toutefois, on ne saurait admettre que ces politiques et processus entérinent la discrimination à l’égard des Premières Nations qui ont besoin de bâtiments pour offrir des services à l’enfance et à la famille, y compris des services de prévention. De plus, l’expression « coûts réels » peut être interprétée comme s’appliquant à des services autorisés entièrement financés.

[173] Par ailleurs, la formation n’impose pas de politique précise ni de montant particulier quant aux fonds à verser. Elle dit seulement que les services devraient être offerts dans des bâtiments à tout le moins conformes aux exigences légales provinciales non discriminatoires, afin d’offrir aux enfants et aux familles des Premières Nations des services conformes aux autorisations du Programme des SEFPN qui ne perpétuent pas la discrimination et qui assurent des services sécuritaires et adaptés à la culture. S’il manque de bureaux et d’espaces locatifs pour offrir des services dans les réserves, il faut envisager sérieusement d’acquérir ou de construire des bâtiments à cette fin, mais aussi les financer intégralement.

[174] La formation croit que les parties en l’espèce devraient s’assurer que le processus d’approvisionnement respecte les exigences légales et stratégiques fédérales actuelles en matière d’approvisionnement, mais aussi l’égalité réelle, les droits des Premières Nations et les ordonnances du Tribunal.

[175] De plus, les coûts réels ont fait l’objet d’une ordonnance dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 pour certains éléments traités dans celle-ci et dans des décisions sur requête antérieures, notamment en ce qui a trait aux services de prévention visant à empêcher le retrait massif des enfants des Premières Nations de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités. Cette décision sur requête n’a pas été contestée. Le Canada a plutôt déclaré clairement qu’il s’y conformerait. Voir aussi le protocole de consultation signé par les ministres du Canada. Une version préliminaire de la décision sur requête a été fournie aux parties, et une réunion d’urgence sur les SEFPN a eu lieu à la même période où la ministre Philpott avait qualifié la situation au Canada de crise humanitaire. Un plan en six points, qui prévoyait notamment l’exécution des ordonnances du Tribunal, a été adopté. Ces renseignements font partie de la preuve dont dispose le Tribunal.

[176] La décision sur requête 2018 TCDP 4 comprenait une ordonnance visant les coûts réels engagés pour les SEFPN, rétroactivement à la Décision sur le bien-fondé du 26 janvier 2016. Par ailleurs, la décision sur requête 2018 TCDP 4 n’ordonnait pas au Canada de payer en particulier pour l’acquisition ou la construction de bâtiments. L’ordonnance était axée sur le remboursement des réparations, tandis que le Canada devait recueillir plus de renseignements sur l’acquisition ou la construction d’immobilisations appuyant la prestation des SEFPN (voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux par. 213, 231, 233 à 236, 408 et 410 à 413). Le fait que l’acquisition ou la construction n’aient pas fait l’objet d’une ordonnance dans cette décision sur requête de 2018 n’annule pas les ordonnances de réforme et les conclusions antérieures. Toutefois, le Tribunal y reconnaissait qu’il faudrait plus de temps pour tenir des consultations et élaborer une politique sur l’acquisition ou la construction d’immobilisations destinées à soutenir la prestation des SEFPN. La formation a adopté une approche équilibrée en reconnaissant la nécessité de mener plus de consultations et d’études en vue d’élaborer différentes options pour financer l’acquisition ou la construction de telles immobilisations. Cela dit, trois ans et demi se sont écoulés depuis, et la formation apprend maintenant que des discussions sont en cours et qu’aucune date limite n’a été fixée clairement pour l’achèvement des consultations et études, à l’exception d’une échéance pour la phase 3 du rapport de l’IFPD. Une explication insatisfaisante a été fournie relativement à des cas où la collectivité de la Première Nation exerçait son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et demandait la construction d’un immeuble pour offrir des services à l’enfance et à la famille ou des services en vertu du principe de Jordan, et où toutes les exigences, notamment la participation du Canada, avaient été satisfaites — en somme, un projet prêt à démarrer —, mais où la collectivité n’avait obtenu ni feu vert, ni aucun financement ou encore un financement insuffisant pour pouvoir offrir les services dans de nouveaux bâtiments. Selon ses éléments de preuve et ses observations en réplique, le Canada a mis à jour et élargi les Modalités du programme des SEFPN. Elles permettent maintenant une plus grande souplesse et élargissent les dépenses admissibles, dont celles liées à la réparation de bâtiments et d’immobilisations, à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations (p. ex. des bâtiments), ainsi qu’à l’acquisition et à l’entretien d’équipement de technologie de l’information.

[177] Par conséquent, malgré ce qui a été dit au cours des contre-interrogatoires antérieurs des témoins du Canada et dans leurs témoignages valablement soumis en preuve auprès de la formation par le Canada, il n’est plus juste de considérer que l’acquisition ou la construction d’immobilisations appuyant la prestation de services des SEFPN relèvent seulement du Programme d’infrastructure communautaire. Les Modalités récemment mises à jour et déposées en preuve reflètent ce changement.

[178] De plus, la structure administrative des programmes fédéraux fonctionnant en vase clos au sein du gouvernement fédéral et d’AINC, maintenant SAC, a déjà été jugée discriminatoire dans la Décision sur le bien-fondé en ce qu’elle entraîne des interruptions dans les services aux enfants et aux familles des Premières Nations et constitue la source de nombreux différends entre les ministères fédéraux dans les demandes relatives au principe de Jordan.

[179] Le fonctionnement et l’administration des programmes est un choix gouvernemental. Depuis la Décision sur le bien-fondé, AINC est devenu SAC, et une fusion et une réorganisation majeures ont été réalisées. Bien qu’elle ait traité certaines questions soulevées dans la Décision sur le bien-fondé, la formation est toujours saisie d’arguments du Canada qui montrent que la mentalité de cloisonnement demeure. Dans les observations du Canada en réponse à la requête concernant l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation des SEFPN, l’accent est mis sur le Programme d’infrastructure communautaire, plutôt que sur le Programme des SEFPN et ses Modalités ou sur les conclusions rendues dans la Décision sur le bien-fondé. La formation a clairement indiqué, dans la Décision sur le bien-fondé, que la réforme devait être éclairée par les conclusions qui y étaient contenues. Y compris celles sur les grands projets d’immobilisations.

[180] La souplesse dont fait preuve la formation ne doit pas être considérée comme une rétractation par rapport à ses conclusions initiales, mais plutôt comme une reconnaissance du fait que le Canada manœuvrait dans une situation complexe et qu’il devrait bénéficier d’une certaine latitude, dans la mesure où, dans un délai raisonnable, il fait des choix stratégiques qui sont exempts de discrimination et ne reproduisent pas les pratiques historiques discriminatoires. Autrement, le Tribunal peut intervenir pour éliminer la discrimination qu’il a constatée (voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 275).

[181] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, on a pu constater une telle souplesse de la part de la formation lorsqu’elle a accepté de reporter les ordonnances particulières relatives à la formule de financement pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations appuyant la prestation de services des SEFPN, et reconnu ainsi la nécessité de mener d’autres consultations et études. Néanmoins, la formation estimait qu’en appliquant les principes de l’égalité réelle, le Canada répondrait aux besoins particuliers des organismes de SEFPN et des Premières Nations et approuverait les fonds à cet égard tout en élaborant une nouvelle formule de financement à long terme. Pour mieux comprendre de quoi il retourne, on peut aussi examiner les décisions sur requête antérieures et voir que les besoins précis et l’égalité réelle sont au cœur des décisions sur requête de la formation. Par ailleurs, les arguments du Canada ayant été pris en compte dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 donnaient l’impression que l’on était sur une bonne lancée, vu la tenue de la réunion d’urgence. La formation a fixé des délais pour l’achèvement des évaluations des besoins précis des SEFPN, puis elle les a modifiés à la demande du Canada. Ces délais à respecter étaient prévus en 2018.

[182] Comme elle l’a récemment indiqué dans une lettre, la formation souligne que le problème perdure depuis maintenant plus de trois ans, et qu’il n’est toujours pas réglé, d’où le besoin de mettre en place des processus provisoires adéquats en ce qui concerne les immobilisations. La formation est bien consciente du contexte juridique et social entourant la construction d’immeubles dans les réserves et de la nécessité de respecter les droits inhérents des Premières Nations. Nul ne peut agir unilatéralement, ni le Canada, ni le Tribunal, ni les organismes de SEFPN. Toutefois, lorsqu’un projet est « prêt à démarrer » — ce qui signifie que les consultations et l’analyse de tous les éléments à prendre en compte ont été effectuées entre une Première Nation et le Canada —, et que la Première Nation demande la construction d’un bâtiment afin de pouvoir offrir des services à ses enfants, il n’y a aucune raison pour que cette construction soit retardée. Un tel retard dans la construction entraînerait des conséquences négatives, par exemple des retards ou des refus dans la prestation des services qui pourraient être offerts aux enfants dans un lieu sécuritaire, confidentiel, légal et approprié. Il représenterait aussi un déni du droit inhérent des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale au profit d’une décision unilatérale imposée par le Canada, en plus de perpétuer les préjudices constatés et d’aller à l’encontre des ordonnances du Tribunal de cesser les pratiques discriminatoires relevées dans la Décision sur le bien-fondé.

[183] Le Tribunal a mis en évidence ces conséquences dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux par. 272 et 273.

[…] Il est vrai que la plainte ne visait pas les cinq programmes sociaux d’AANC et que le [pouvoir du Tribunal de décider de la présente demande n’est pas sans limites. C]ependant la pratique de réaffectation des fonds destinés à d’autres programmes a une incidence négative sur les services de logement fournis dans les réserves et, de ce fait, une incidence préjudiciable sur les besoins en services de bien‑être à l’enfance des enfants et des familles vivant dans des réserves parce qu’elle mène à des retraits d’enfants. Cela perpétue les pratiques discriminatoires, plutôt que de les éliminer.

La formation a traité de cette question dans le cadre des conclusions tirées dans la Décision [sur le bien-fondé] et elle a indiqué qu’il s’agissait d’un élément parmi les effets préjudiciables touchant les enfants et les familles des Premières Nations.

[Voir la décision 2016 TCDP, au par. 273.)

[184] Conformément à l’esprit de la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux paragraphes 294 à 97, le même raisonnement s’applique à tout élément relevé dans des décisions antérieures et nécessitant une réforme. Même s’il faut mener des études et recueillir des données pour obtenir des résultats optimaux, les années passent et des changements importants restent à faire. La formation estime que le report de projets de construction prêts à démarrer jusqu’à ce que toutes les études soient terminées est inutile aux yeux des collectivités pour qui un changement maintenant serait le bienvenu. Cette façon de procéder équivaut à une approche uniformisée, que la formation a déjà rejetée. Un financement fondé sur les besoins et sur la nécessité de respecter l’égalité réelle suppose de verser des fonds pour des projets prêts à démarrer, pendant que le Canada mène des consultations et achève des études. Des locaux devraient être disponibles pour la prestation aux enfants de SEFPN et de services en vertu du principe de Jordan. La non-disponibilité de ces locaux empêche une telle prestation, ce qui équivaut à un refus de services aux enfants et a pour effet de perpétuer la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé.

[185] La formation croit que le Canada tente maintenant de débattre à nouveau de ces décisions sur requête non contestées afin d’obtenir un résultat différent, ce qui est injuste du point de vue de la bonne administration de la justice, mais également pour ceux qui ont eu gain de cause en l’espèce, à savoir les plaignants et les enfants et les familles qu’ils représentent.

[186] La formation comprend le besoin du Canada de mettre un point final à la réforme par des règlements ou des ordonnances à long terme, sur consentement ou autrement. L’exercice doit se faire dans un délai raisonnable et ne peut durer indéfiniment dans le contexte du processus du Tribunal. Cependant, l’affirmation du Canada selon laquelle rien ne prouve que la discrimination se poursuit n’est tout simplement pas vraie. Les déposants du Canada eux-mêmes admettent qu’ils continuent de recueillir des renseignements qui serviront de base aux changements à long terme. Dès le début, la formation a clairement indiqué les trois étapes nécessaires pour réformer les programmes et éliminer la discrimination systémique constatée, à savoir des mesures de réparation immédiates, à moyen terme et à long terme, suivies d’une réforme complète. En attendant que le tout soit terminé, la discrimination systémique préjudiciable pour les enfants et les familles des Premières Nations perdure. La formation estime qu’il est nécessaire de fixer clairement un délai pour faire avancer les choses rapidement.

[187] Le Canada soutient qu’en se fondant sur les recommandations du CCPE, il a fait passer le seuil de financement du Programme des SEFPN de 1,5 million de dollars à 2,5 millions de dollars pour permettre aux organismes d’utiliser les fonds disponibles pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN, une mesure qui contribue à tenir compte de l’inflation et d’autres pressions financières. Comme il a été communiqué au CCPE, les organismes peuvent utiliser le financement accru du budget de 2018 (allocations compensatoires et d’éloignement) ou tout excédent restant après les dépenses d’immobilisations. Les dépenses des collectivités liées aux immobilisations sont également admissibles à un financement dans le cadre des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence.

[188] Le Canada déploie des efforts pour mettre en œuvre les mesures de réparation immédiates et s’est fermement engagé à respecter les ordonnances, tout en travaillant à un plan d’immobilisations à long terme. La formation reconnaît que ces efforts pourraient aider certains organismes de SEFPN et certaines Premières Nations dans l’immédiat, alors qu’ils ne sont peut-être pas suffisants pour d’autres. La formation réaffirme la pertinence de l’approche de financement fondée sur les besoins. Une analyse fondée sur les besoins indiquera si l’approche actuelle du Canada est suffisante ou non pour une Première Nation donnée et, lorsqu’elle est insuffisante, le financement devrait prendre en compte les besoins plutôt qu’un modèle ou une approche universelle. L’affidavit de Lorri Warner du 4 mars 2020, à la pièce 7A, fournit plus de précisions sur la façon dont le plafond du financement doit être appliqué. Le total des dépenses d’immobilisations d’un projet ne peut dépasser 2,5 millions de dollars par organisme de SEFPN par exercice financier. Un organisme de SEFPN peut engager des coûts pour plus d’un projet par exercice financier; plusieurs organismes de SEFPN peuvent partager les coûts d’un projet et être tout de même admissibles à un maximum de 2,5 millions de dollars chacun (c.-à-d., par organisme de SEFPN) par exercice; et les organismes de SEFPN peuvent travailler avec d’autres partenaires qui ne sont pas des bénéficiaires admissibles dans le cadre de ce programme, et dépenser quand même le maximum de 2,5 millions de dollars par exercice. De plus, le document présente trois exemples de la façon dont le plafond pourrait être appliqué. Il précise également les exigences minimales du programme commun et d’autres exigences à satisfaire pour que l’une des dépenses énumérées soit considérée admissible au financement.

[189] Ces données supplémentaires se révèlent plus favorables au Canada qu’un plafond ferme de 2,5 millions de dollars accompagné d’une moindre quantité de renseignements. En fait, une telle mesure pourrait très bien suffire pour répondre à certains besoins des organismes de SEFPN, surtout pour des organismes de petite taille qui ont besoin de locaux adéquats pour soutenir la prestation de services. À cet égard, la formation estime qu’il est nécessaire de rendre une autre ordonnance pour que le Canada tienne suffisamment compte de la discrimination systémique et pour préciser que les organismes de petite taille qui sont prêts à aller de l’avant avec leur projet devraient recevoir un financement selon les coûts réels pour l’acquisition ou la construction d’immeubles appuyant la prestation de services des SEFPN. Le même raisonnement s’applique à tous les organismes de SEFPN, peu importe leur taille. Certains peuvent partager des locaux avec d’autres, et aussi partager les coûts. La formation comprend les avantages d’une telle approche, mais dans d’autres cas, il se peut que cela ne soit pas possible. Une politique globale qui exclut tous les organismes de petite taille de l’accès à l’acquisition ou à la construction d’immeubles ne respecte pas les principes d’égalité réelle. La bonne administration des fonds publics est respectée lorsqu’on tient compte des besoins réels et qu’ils servent de base de renseignements pour l’analyse de l’égalité réelle. Il en va de même pour la question du financement, en fonction de leurs coûts réels, de l’administration et de la gouvernance, des services de prévention, de l’accueil et des enquêtes ainsi que des services juridiques : la formation précise que ces éléments sont déjà visés par les ordonnances de la décision sur requête 2018 TCDP 4. Elle estime que cet éclaircissement sera utile à l’avenir.

[190] Pour d’autres organismes de SEFPN, le plafond actuel et d’autres mesures de souplesse, comme la réaffectation des excédents, pourraient être tout à fait insuffisants. La formation confirme que, dans leur cas, ils sont visés par les ordonnances antérieures fondées sur l’égalité réelle et les besoins, y compris les ordonnances de la présente décision sur requête. Cela dit, la formation comprend la nécessité d’établir des exigences avant l’acquisition ou la construction de bâtiments dans la réserve.

[191] À cet égard, le document de la pièce 7A mentionné ci-dessus précise que, conformément aux exigences minimales du Programme d’immobilisations et d’entretien de SAC et du Fonds d’infrastructure des Premières Nations, toute acquisition d’immeuble, toute nouvelle construction ou toute rénovation majeure d’immeuble devra satisfaire aux exigences suivantes : le projet sera appuyé par une résolution du conseil de bande, une résolution du conseil tribal ou tout autre document indiquant le soutien de l’entité responsable d’une Première Nation autonome; la portée des travaux, le calendrier et le budget du projet seront bien définis et officiellement approuvés; un chef de projet compétent, qui soit acceptable pour l’organisme de SEFPN (et le conseil de bande ou tribal s’il s’agit d’un projet conjoint) sera désigné pour gérer la mise en œuvre du projet; une étude de faisabilité sera réalisée préalablement au projet si l’organisme de SEFPN le juge nécessaire; le projet sera conçu d’une manière qui respecte l’ensemble des codes et normes en vigueur au sein des administrations fédérale, provinciales et territoriales relativement à la conception, à la construction et au fonctionnement de biens matériels semblables, et conformément aux normes ministérielles sur les niveaux de service, sujettes à modifications; lorsque le coût estimatif total du projet dépasse 50 000 $ ou que celui-ci n’est pas reconnu comme relevant de la compétence d’un technicien ou d’un technologue, sa conception sera approuvée et certifiée en ce sens par un ingénieur ou un architecte en exercice dans la province ou le territoire où l’aménagement sera construit; des inspecteurs compétents examineront le projet et attesteront qu’il respecte les exigences réglementaires applicables aux différents stades. De plus, le document comprend d’autres détails instructifs :

[traduction]

6.3 Autres dépenses d’immobilisations – Propositions d’immobilisations relatives à des bâtiments (à l’exception des réparations de bâtiments)

Le Programme d’immobilisations et d’entretien (PIE) de SAC est la pierre angulaire des efforts déployés par le gouvernement du Canada en vue de soutenir les infrastructures communautaires des Premières Nations dans les réserves. Le PIE a pour but d’appuyer la planification, la gestion et la construction sécuritaires d’infrastructures dans les réserves. Bien qu’il incombera au Programme des SEFPN d’évaluer l’admissibilité des propositions d’immobilisations à un financement au titre du Programme des SEFPN, le PIE participera à l’examen sur le plan technique des propositions d’immobilisations liées aux bâtiments (acquisitions, nouvelles constructions et rénovations majeures) pour appuyer les efforts continus de SAC visant à :

optimiser le cycle de vie des biens;

diminuer les risques pour la santé et la sécurité;

veiller à ce que les actifs respectent les codes et normes applicables;

veiller à ce que les actifs soient gérés de manière rentable et efficace.

Le PIE approuvera les propositions d’immobilisations avant que le Programme des SEFPN ne verse des fonds. Ces projets devront être soumis au moyen du modèle de proposition de projet officiel du PIE. Une fois que le Programme des SEFPN aura reçu l’approbation préalable du PIE, et se sera assuré que l’ensemble des lois, règlements, lignes directrices et codes auront été respectés, il approuvera le financement du projet si celui-ci répond à tous les autres critères énoncés dans le présent document.

[192] Il s’agit là d’un exemple de ce que la formation veut dire lorsqu’elle utilise les termes processus, exigences ou processus juridiques dans la présente décision sur requête. La formation n’entend pas contourner ces exigences, à moins que leur interprétation ne perpétue la discrimination.

[193] Le document précise que :

[traduction]

* Le PIE, au besoin, travaillera avec l’organisme de SEFPN pour :

• fournir une expertise dans le domaine de l’ingénierie, de l’architecture, etc.;

• analyser ou réviser la portée du projet;

• aider à établir des ententes de gestion de projet;

• mettre à jour les informations financières (devis du projet).

**Le Programme des SEFPN et le PIE travailleront en étroite collaboration tout au long du projet; toutefois, les responsables du Programme des SEFPN demeureront les décideurs finaux pour tous les aspects du projet. Remarque : Les employés du ministère fourniront des conseils et une orientation aux organismes de SEFPN tout au long du processus.

[Non souligné dans l’original.]

[194] L’historique de la présente affaire et les éléments de preuve présentés démontrent que, lorsque le Canada applique des critères et exerce son pouvoir discrétionnaire, il n’utilise pas nécessairement une optique d’égalité réelle qui réponde aux véritables besoins des enfants et des familles des Premières Nations.

[195] Par conséquent, une approche ciblée et axée sur les besoins s’impose. La formation reconnaît que le Canada permet que des demandes soient présentées au cas par cas, ce qui est approprié pour répondre à des besoins particuliers. Toutefois, rien n’indique qu’une fois le besoin établi et toutes les exigences légales relatives à l’acquisition ou à la construction remplies, un montant supérieur au plafond de financement de 2,5 millions de dollars sera autorisé. La formation n’est pas convaincue que le Canada se sente légalement tenu de financer entièrement l’acquisition ou la construction d’immeubles dans les réserves, au-delà du plafond imposé, advenant que les excédents des organismes de SEFPN soient insuffisants, voire inexistants, et qu’il n’y ait aucune possibilité de s’unir à un autre organisme. Le même raisonnement s’applique aux collectivités des Premières Nations dans le cadre des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence.

[196] Toutefois, la pièce susmentionnée ne traite pas des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence. En clair, lorsque les besoins dépassent les autorisations actuelles du Programme des SEFPN, le Canada évoque la possibilité que le programme d’infrastructure réponde aux besoins ayant été jugés prioritaires pour la Première Nation. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que cette stratégie répond adéquatement à l’impératif d’éliminer la discrimination systémique constatée. De plus, comme il a été mentionné plus tôt dans la présente décision, le programme d’infrastructure a été examiné par la vérificatrice générale, qui a constaté que les infrastructures communautaires s’étaient détériorées plus rapidement. De l’avis de la vérificatrice générale, l’approche budgétaire d’AADNC à l’égard du Programme des SEFPN n’était pas viable, et il était nécessaire d’atténuer ses répercussions sur d’autres programmes importants du Ministère. Cette approche pose problème.

[197] Le Canada reconnaît qu’il faut mieux comprendre les besoins en immobilisations à long terme des SEFPN, et il fait remarquer que des consultations sur cette question sont en cours au CCPE. Le Canada fait valoir qu’il est impératif que les collectivités des Premières Nations aient leur mot à dire dans les discussions concernant le processus de planification des immobilisations et les dépenses afférentes. La formation est d’accord. Toutefois, il ne peut s’agir là d’un motif pour retarder ou refuser du financement lorsqu’une Première Nation ou un organisme de SEFPN a respecté les exigences, a fait connaître ses besoins et attend que l’on agisse.

[198] Il convient de mentionner que les brèves observations du Canada font état de déclarations sous serment et de rapports antérieurs déposés auprès du Tribunal. Toutefois, ces observations ne traitent pas en détail des éléments de preuve, même si la formation a donné plusieurs occasions d’ajouter des commentaires au besoin. Cela ne veut pas dire que les éléments de preuve présentés au Tribunal ne sont d’aucune aide. Cependant, il aurait peut-être été utile d’apporter des précisions. Par exemple, la réponse du Canada révèle une modification des Modalités qui laisse croire à une évolution par rapport à la position initiale décrite dans les observations initiales. Cette information corrobore également le compte rendu de la Société de soutien au sujet de l’évolution de la question, des lacunes et des propositions de modifications ayant fait l’objet de discussions au CCPE, et des modifications subséquentes aux Modalités (voir l’affidavit de Lorri Warner daté du 29 janvier 2019, à la pièce 1 et l’affidavit de Mme Johanne Wilkinson, à la pièce 9). Les Modalités, qui figurent parmi les éléments déposés en preuve, incluent maintenant l’acquisition et la construction d’immobilisations pour la prestation de services à titre de dépenses admissibles dans le cadre du Programme des SEFPN.

[199] Quoi qu’il en soit, le 4 mars 2020, le Canada a déposé des observations et un autre affidavit de Lorri Warner comme suite à des demandes de renseignements plus larges de la formation qui dépassaient le cadre de la présente requête. Le 26 février 2021, le Canada a répondu comme suit aux questions du Tribunal sur les documents dont il devrait tenir compte aux fins de l’instruction des requêtes relatives aux grands projets d’immobilisations, aux organismes de petite taille et aux représentants de bandes :

[traduction]

Au nom des parties (indiquées au dernier paragraphe ci-dessous), nous donnons suite à la lettre du 18 février 2021 du Tribunal (la « lettre »). Dans cette lettre, le Tribunal a indiqué qu’il souhaitait confirmer les observations et les éléments de preuve présentés par les parties concernant les questions des grands projets d’immobilisations pour le Programme des SEFPN, du principe de Jordan, des services de représentants de bande et du rajustement à la baisse du financement pour les organismes de petite taille.

Comme suite à la demande du Tribunal, le Canada confirme que ses observations et son affidavit du 4 mars 2020 répondaient précisément à la demande de renseignements du Tribunal. Et, à cet égard, bien qu’ils se rapportent à la question des grands projets d’immobilisations, les observations et les éléments de preuve déposés en septembre 2020 font état de renseignements actualisés.

En plus de la précision fournie par le Canada ci-dessus, le Tribunal demandait aux parties de répondre à trois questions. Ces questions sont reproduites ci-dessous, et sont suivies de la réponse des parties :

1. Les observations et les témoignages figurant dans la lettre de la Société de soutien, de même que les observations et les éléments de preuve subséquents mentionnés [ci-dessus], représentent-ils fidèlement les observations des parties sur cette question?

Les parties ont passé en revue leurs dossiers d’observations et de preuve. Il est convenu que la description des observations et des témoignages faite par le Tribunal dans la lettre est exhaustive.

2. Y a-t-il des observations des parties qui ne figurent pas déjà sur la liste fournie par la Société de soutien et remontent aux mois de mars et d’avril 2020 environ, et qui sont pertinentes quant à la présente requête?

La liste des observations des parties jointe à la lettre du 1er septembre 2020 de la Société de soutien est complète.

3. Y a-t-il des questions liées aux grands projets d’immobilisations qui sont en suspens, et pour lesquelles les parties n’ont pas encore présenté d’observations?

Les parties conviennent qu’il n’est pas nécessaire de présenter d’autres observations concernant les grands projets d’immobilisations. Par mesure de précaution, elles souhaitent confirmer qu’elles considèrent que la formation a été valablement saisie du rapport de la phase 2 de l’Institut des finances publiques et de la démocratie, déposé par l’APN le 11 septembre 2020, et que ce document peut être pris en compte dans le cadre de la présente requête. Toutefois, les parties n’ont pas d’observations supplémentaires à formuler sur les travaux de l’IFPD par rapport à la requête.

[200] À la demande de la formation, les parties ont fourni une lettre comprenant un tableau des documents sur lesquels elles s’appuyaient dans le cadre de la présente requête. Cette lettre est datée du 1er septembre 2020. Dans le tableau, le Canada n’indique pas qu’il se fonde sur l’affidavit de Lorri Warner daté du 4 mars 2020. Cependant, dans sa réponse du 24 avril 2020 aux questions de la formation et aux observations des Chefs de l’Ontario, le Canada a présenté à son tour des observations sur les immobilisations en se fondant sur l’affidavit de Lorri Warner daté du 4 mars 2020. Par ailleurs, la NNA s’appuie sur cet affidavit pour la question des services de représentants de bande, qui sera traitée ci-dessous. La formation a choisi de prendre en considération les éléments de preuve contenus dans l’affidavit, puisqu’ils fournissent des précisions supplémentaires, et qu’en ce qui concerne le financement des dépenses d’immobilisations, ils établissent une portée un peu plus grande que celle attestée auparavant par les éléments de preuve du Canada. Il ressort de son examen de ces éléments de preuve que la formation serait arrivée à la même conclusion, qu’elle ait tenu compte de ceux-ci ou non dans son analyse. Il est à espérer que l’examen complet de ces éléments de preuve par la formation sera utile aux parties qui s’efforcent de remédier aux pratiques discriminatoires en l’espèce et de se conformer aux ordonnances de la formation.

[201] À l’affidavit du 4 mars 2020 de Lorri Warner étaient jointes les Modalités des programmes, qui se trouvent également dans les affidavits précédents. Par ailleurs, on y trouve peu d’indications susceptibles d’aider la formation à interpréter les Modalités. Des parties pertinentes de celles-ci sont reproduites ci-après par souci de commodité.

[202] Les Modalités énoncent un certain nombre d’ordonnances du Tribunal rendues dans la décision sur requête 2016 TCDP 10 concernant les bureaux multiples et l’infrastructure des immobilisations :

les lacunes dans le financement pour des articles comme les salaires et les avantages sociaux, la formation, le coût de la vie, les frais juridiques, les primes d’assurance, les voyages, l’éloignement, les bureaux multiples, l’infrastructure des immobilisations, des programmes et services adaptés à la culture, des représentants des bandes et des mesures qui entraînent moins de perturbations.

[203] Les motifs de cette ordonnance sont d’abord expliqués en détail dans la Décision sur le bien-fondé.

[204] Les Modalités fournissent également les renseignements détaillés pertinents suivants:

Le Programme des SEFPN vise maintenant à mettre l’accent sur le recours à une intervention précoce préventive et à des mesures le moins intrusives possible afin de faire face à la maltraitance envers les enfants (violence ou négligence), de soutenir la préservation et le bien-être familial, de maintenir des liens familiaux, culturels et linguistiques pour les enfants pris en charge et les anciens enfants pris en charge (après leur majorité) et d’assurer le bien-être communautaire au moyen d’une approche soutenue par la collectivité. Il favorise également une relation de collaboration entre les communautés et les agences. La mise en place d’un nouveau volet de financement dans le cadre des Initiatives de bien-être communautaire et de compétence permet à des projets d’une durée allant jusqu’à cinq ans d’accroître la disponibilité des initiatives de prévention et de bien-être qui répondent aux besoins communautaires et d’aider les Premières Nations à élaborer et à mettre en œuvre des modèles de compétence.

Grâce à la réforme du programme, les services relevant du Programme des SEFPN seront fournis sur la base de l’égalité réelle pour répondre à la situation et aux besoins particuliers des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves (y compris leur situation et leurs besoins culturels, historiques et géographiques) d’une manière qui tient compte des générateurs de coûts liés à l’inflation et à l’augmentation des besoins ou du nombre d’enfants pris en charge. Le programme a également besoin de fournir la prépondérance à la sécurité et l’intérêt supérieur de l’enfant. Afin d’assurer l’égalité des chances et d’atteindre des résultats équitables, le programme soutient les variations au niveau des exigences de services et des méthodes de prestation de services.

Des modes de financement fixes et souples par l’intermédiaire d’ententes de contribution sont disponibles pour le programme des SEFPN, comme cela est décrit dans la Directive sur les paiements de transfert (Annexe K : Paiements de transfert aux bénéficiaires autochtones). Les projets des Initiatives de bien-être communautaire et de compétence seront également gérés au moyen d’ententes de contribution pluriannuelles. Les Initiatives de bien-être communautaire et de compétences est un volet de financement des SEFPN, tandis que le PPVF est un programme distinct mais complémentaire.

Organismes des SEFPN

Initiatives et projets admissibles

Achat, entretien et rénovation des infrastructures

  • achat ou construction d’immobilisations (comme les immeubles) qui soutiennent la prestation de services des SEFPN;

  • opérations, entretien mineur (par exemple, réparations générales, peinture, plomberie, travaux électriques mineurs);

  • rénovations et réparations de la structure de l’immeuble, des fondations;

  • réparation ou remplacement d’un toit, d’un revêtement;

  • réparation ou remplacement d’un système de chauffage, d’un système de climatisation, d’un système de ventilation, d’un système électrique, d’un système d’alimentation en eau, d’un système de plomberie, de génératrices de secours;

  • réparation ou remplacement des planchers;

  • réparation ou peinture des murs, des plafonds;

  • réparation ou remplacement des fenêtres, des portes;

  • réparations ou rénovations des toilettes, des salles de bain;

  • réparations ou rénovations de la cuisine, y compris le remplacement, par exemple, des armoires, des comptoirs;

  • réparations ou rénovations de l’aire d’entreposage;

  • réparations ou rénovation visant l’amélioration de la qualité de l’environnement intérieur, notamment :

    • o qualité de l’air (comme le remplacement du système de ventilation);

    • o confort thermique (comme le remplacement des thermostats);

    • o acoustique (comme l’insonorisation des murs);

Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence :

Achat, entretien et rénovation des infrastructures

  • dépenses en immobilisations pour :

  • o l’achat ou la construction d’immobilisations comme les immeubles qui soutiennent la prestation de services des SEFPN;

  • o l’achat et l’entretien de véhicules adaptés au transport d’enfants et de familles qui soutiennent la prestation de services des SEFPN;

  • o l’achat et l’entretien d’équipement et de systèmes de technologie de l’information adaptés à la prestation de services à l’enfance et à la famille.

  • o fonctionnement, entretien mineur (par exemple, réparations générales, peinture, plomberie, travaux électriques mineurs);

  • o services de concierge et d’entretien paysagiste..

[Non souligné dans l’original.]

Organismes des SEFPN

Le financement des services de prévention, de protection, d’entretien et juridiques, des montants des achats pour les services à l’enfance, de l’accueil et des enquêtes, des réparations de bâtiments ainsi que des coûts de fonctionnement de l’organisme pour les organismes des SEFPN de petite taille est déterminé en fonction des besoins réels des enfants et des familles desservis par les organismes des SEFPN, qui correspondent aux dépenses dans ces catégories.

Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence

Le financement des projets au titre des initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence est déterminé au niveau régional en fonction des besoins, des circonstances et des objectifs particuliers de la communauté, ainsi que de la nature et de la durée des activités décrites dans la proposition de projet.

Nonobstant ce qui précède, les frais d’entretien continueront d’être remboursés sur la base des frais réels engagés. En outre, le ministère remboursera les coûts réels pour les dépenses suivantes quand les organismes n’ont pas déjà reçu du financement d’un autre programme fédéral (y compris un autre programme de SAC) ou d’un gouvernement provincial, territorial ou municipal pour cette activité :

  • o prévention;

  • o services d’accueil et d’enquête;

  • o frais juridiques;

  • o réparations des bâtiments;

  • o intégralité des coûts de fonctionnement admissibles pour les organismes de petite taille;

  • o coûts des achats pour les services à l’enfance.

Les six domaines ci-dessus sont ceux pour lesquels le tribunal a ordonné au programme de payer les coûts réels. Un Guide national du bénéficiaire exposant en détail la procédure que le bénéficiaire doit suivre pour réclamer des coûts rétroactifs dans ces domaines a été transmis aux bénéficiaires afin de les aider à obtenir des fonds suivant l’ordonnance du tribunal.

[Non souligné dans l’original.]

[205] Ces renseignements indiquent que le Canada est d’avis que le Tribunal n’a pas encore ordonné que le programme paye les coûts réels pour l’acquisition ou la construction d’immeubles qui soutiennent la prestation de services dans le cadre du Programme des SEFPN. Ce qui est techniquement vrai lorsqu’on se fie aux ordonnances de la décision sur requête 2018 TCDP 4 axées sur les réparations de bâtiments et qu’on utilise le terme « coûts réels ». La décision sur requête 2018 TCDP 4 accordait plus de temps pour la réalisation d’études sur les dépenses d’immobilisations, et mettait l’accent sur la détermination des besoins des enfants et des familles servis par les organismes de SEFPN. Toutefois, elle n’a pas annulé les ordonnances antérieures sur l’infrastructure des immobilisations ni dérogé au principe de l’égalité réelle et à la nécessité de répondre aux besoins particuliers des enfants, des familles et des collectivités dans les réserves. Cela signifie que, si la justification de l’acquisition ou de la construction d’un immeuble pour soutenir la prestation de services à l’enfance et à la famille est démontrée, cette acquisition ou cette construction devrait être entièrement financée dès lors que toutes les exigences légales ont été respectées. Rien dans les décisions sur requête de la formation n’indique que les services devraient être déficients en raison d’un manque de bâtiments adéquats pour leur prestation. Il ne s’agit pas d’égalité réelle ni même de respect des normes provinciales ou territoriales. C’est le Canada qui a décidé de répondre aux besoins des enfants des Premières nations au moyen de différents programmes. Le Tribunal a conclu que ce mode de fonctionnement cloisonné participait de la discrimination systémique dont sont victimes les enfants en raison des lacunes et du manque d’adaptation aux besoins réels des enfants et des familles. Si le Canada choisit de diviser les services aux Autochtones entre différents programmes, et que cette division continue d’avoir des conséquences néfastes sur les enfants et les familles, il est loin de respecter les ordonnances « de ne pas faire » rendues par le Tribunal. Les enfants risquent d’être emmenés à l’extérieur des réserves pour obtenir des services, ce qui va à l’encontre de l’objectif des ordonnances. Il incombe au Canada d’analyser de façon globale, comme cela lui a déjà été ordonné, les besoins particuliers des enfants et des familles des Premières Nations, notamment le besoin de locaux pour offrir des services.

[206] De plus, s’il est nécessaire d’acquérir ou de construire d’autres bâtiments pour offrir des services dans le cadre du Programme des SEFPN dans les réserves, il faut les financer entièrement dès le moment où toutes les exigences légales relatives à l’acquisition ou à la construction d’un bien immobilier dans une réserve ont été respectées. Il n’est pas acceptable que le Tribunal, à cette étape-ci, reçoive des réponses simples comme « nous discutons avec nos partenaires », « d’autres programmes peuvent offrir telle chose », etc. À cette étape-ci, la formation demande des éléments de preuve démontrant que les services à l’enfance et à la famille sont entièrement financés en fonction des meilleures données disponibles à l’heure actuelle, que des locaux pour offrir ces services sont disponibles et, si ce n’est pas le cas, que des solutions sont rapidement mises en œuvre. Si une Première Nation ou un organisme ne réagit pas après que le Canada ait fait le nécessaire pour les consulter et connaître leurs besoins avec preuves à l’appui, ce n’est pas la faute du Canada. Si une Première Nation ou un organisme répond et présente des arguments justifiant une demande de locaux supplémentaires afin d’offrir des SEFPN, et que le Canada tarde à agir en renvoyant simplement à un autre programme comme le programme d’infrastructure, ou en priant le demandeur d’attendre que l’étude de l’IFPD soit terminée ou que le Canada en ait discuté avec toutes les Premières Nations, cette manière de faire est inappropriée, et le Canada est en défaut. Enfin, une telle situation contrevient aux ordonnances « de ne pas faire », aux ordonnances relatives aux mesures de réparation immédiates et aux ordonnances concernant l’analyse des besoins rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, et perpétue la discrimination systémique.

[207] Cela dit, les Modalités englobent effectivement l’acquisition et la construction d’immeubles. L’analyse qui doit être effectuée est celle de l’égalité réelle :

À cet égard, le caractère raisonnable d’un coût particulier sera établi en déterminant si la dépense était :

  • o nécessaire pour assurer l’égalité réelle et la prestation de services culturellement adaptés, étant donné la situation et les besoins particuliers de l’enfant et de sa famille, notamment leur situation et leurs besoins culturels, historiques et géographiques, par exemple en tenant compte de tout besoin découlant d’un désavantage historique et de l’absence de services dans la réserve ou dans les environs;

  • o considérée par le bénéficiaire comme nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

  • o généralement reconnue comme normale et nécessaire à la conduite de l’activité;

  • o conforme aux restrictions et aux exigences des principes comptables généralement reconnus, aux règles de négociation d’égal à égal, aux lois et règlements fédéraux, provinciaux et locaux.

[208] L’absence d’entente sur cette question et en ce qui a trait à l’interprétation des ordonnances antérieures de la formation fait en sorte que le Tribunal doive se prononcer à ce sujet, comme les parties l’ont confirmé, et justifie une ordonnance visant à clarifier la question. De plus, le Canada n’a pas convaincu le Tribunal qu’il financerait pleinement les projets « prêts à démarrer » approuvés par les collectivités des Premières Nations à ce stade-ci. Les éléments de preuve et les observations du Canada indiquent qu’il souhaite poursuivre l’application de mesures ponctuelles et attendre que la phase 3 de l’étude de l’IFPD soit terminée, et ce à un moment incertain. Mais plus important encore est le fait que le Canada, qui s’appuie sur cette étude pour justifier les retards dans le versement d’une partie du financement, ne s’engage pas à suivre les recommandations de l’IFPD.

[209] Le Canada soutient qu’il serait inapproprié de se fier uniquement au rapport de l’IFPD pour une dépense d’une telle ampleur. Il déclare souhaiter travailler en collaboration avec les autres parties pour que le Programme des SEFPN soit en mesure de présenter les arguments les plus convaincants en faveur d’un nouveau financement. Le Canada dit avoir relevé un certain nombre de facteurs qui n’ont pas été pris en compte dans le rapport, comme le financement prévu au Budget de 2018. Quoique utile selon lui, le rapport de l’IFPD ne permet pas d’avoir une compréhension globale des besoins généraux de l’ensemble des organismes de SEFPN. La mesure dans laquelle les fonds pour financer les immobilisations ont été réclamés à ce jour ne justifie pas, à son avis, l’ampleur de l’investissement jugé nécessaire selon le rapport de l’IFPD.

[210] En réponse à cet argument, la formation précise qu’il n’est pas ordonné au Canada de s’engager à mettre en œuvre les recommandations des rapports 1 et 2 de l’IFPD ou les recommandations finales de la phase 3 de l’IFPD pour le moment. Le Canada peut choisir de faire la démonstration d’un modèle de financement encore plus complet respectant les droits des enfants, des familles et des collectivités des Premières Nations s’il en élabore en temps utile. Autrement, le processus d’étude en l’espèce pourrait très bien ressembler à ce qui s’est produit avec les rapports Wen:De, et qui a mené au très long contentieux dans la présente affaire. Pour ces motifs, la formation estime qu’elle doit intervenir pour remplir son mandat quasi judiciaire d’éliminer la discrimination raciale et systémique constatée.

[211] Le 1er août 2018, SAC a fourni un « Document de discussion – Répondre aux besoins en immobilisations » (voir l’onglet 9 du dossier de requête de la Société de soutien daté du 4 février 2019) qui décrivait les pouvoirs actuels en matière de politiques, les pouvoirs provisoires en vertu des Modalités révisées et les futurs pouvoirs en matière de politiques, ainsi que la nécessité d’une nouvelle présentation au Cabinet pour soutenir les grands projets d’immobilisations. Une liste élargie des dépenses relatives aux petits projets d’immobilisations est jointe au document de discussion.

[212] Ce document de discussion appuie les observations du 29 janvier 2019 du Canada concernant les immobilisations, observations selon lesquelles l’acquisition ou la construction d’immobilisations appuyant la prestation des services des SEFPN qui atteint de plus de 1,5 million de dollars dépasse les autorisations du programme des SEFPN, et SAC assume les coûts des réparations de bâtiments conformément aux ordonnances rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 :

[traduction]

Le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN ») a reçu des demandes pour des dépenses relatives aux petits projets d’immobilisations (p. ex., agrandissements) et aux grands projets d’immobilisations de plus de 1,5 million de dollars (p. ex. construction de maisons longues, de centres communautaires et de refuges dans les réserves, création de foyers de groupe pour placer les enfants près de la collectivité), qui ne sont pas visées par les autorisations actuelles du Programme des SEFPN. Depuis le 1er février 2018, Services aux Autochtones Canada paie pour les réparations de bâtiments selon leurs coûts réels (y compris les remboursements de dépenses rétroactivement au 26 janvier 2016).

À court terme, le programme des SEFPN s’efforce de clarifier et d’élargir la liste des dépenses admissibles pour les petits projets d’immobilisations au moyen de modalités provisoires. Le programme cherche également à en apprendre davantage à partir des données recueillies par l’Institut des finances publiques et de la démocratie (« IFPD ») (présentation du 10 juillet 2018) sur les besoins en immobilisations des organismes. Tandis que les travaux de l’IFPD se poursuivent en vue d’élaborer une nouvelle méthode de financement, le Programme est prêt à discuter des immobilisations dont les organismes pourraient avoir besoin à l’avenir.

[213] Le Canada soutient qu’il a approuvé, et continue d’approuver les demandes relatives aux réparations de bâtiments. En date du 11 janvier 2019, le Canada avait approuvé un financement de 9,4 millions de dollars en réclamations pour des réparations de bâtiments. Selon la réponse du Canada datée de mai 2019, qui citait l’affidavit de Joanne Wilkinson daté du 16 avril 2019, au paragraphe 49, ce montant est passé à 15,4 millions de dollars. Hors contexte, un tel chiffre peut sembler impressionnant. Toutefois, les chiffres à eux seuls, hors de leur contexte complet, ne répondent pas au besoin du Tribunal d’assurer l’élimination de la discrimination systémique, dont le sous-financement fait partie. Le Canada a adopté une approche consistant à annoncer du financement et à déclarer publiquement qu’il se conforme aux ordonnances du Tribunal, alors que ce n’est pas toujours le cas (voir la décision 2018 TCDP 4, aux par. 106 et 107 et 135 à 158). De plus, affecter des fonds sans d’abord établir les besoins n’est pas une saine pratique financière. Au reste, les pratiques financières antérieures dont le Programme de SEFPN avait fait état devant le Conseil du Trésor ont été jugées discriminatoires. En d’autres termes, la formation a constaté que les besoins réels des enfants, des familles et des organismes de SEFPN n’étaient pas pleinement pris en compte, que les formules de financement du Programme des SEFPN, qui servaient de base aux autorités du Programme des SEFPN, comportaient des lacunes qui entraînaient des répercussions négatives équivalant à un préjudice pour les enfants et les familles et les organismes de SEFPN. Les normes provinciales et territoriales n’ont pas été respectées, même s’il s’agissait d’une exigence du Programme des SEFPN. Les services culturellement adaptés n’étaient pas entièrement fournis. D’autres programmes sociaux étaient censés combler les lacunes, mais cela s’est aussi avéré inexact, étant donné le manque de coordination entre les ministères. Il est aussi raisonnable de croire que, si SAC avait fait mieux dans d’autres programmes sociaux, il aurait utilisé une telle méthode productive pour améliorer le Programme des SEFPN et s’attaquer efficacement à la discrimination systémique à laquelle on lui avait ordonné de remédier. Par conséquent, s’appuyer sur des pratiques financières passées équivalant à de la discrimination n’est pas, et ne devrait pas être la seule façon d’éclairer le Conseil du Trésor et les affectations budgétaires. C’est pourquoi la formation rejette l’argument du Canada selon lequel le financement selon les coûts réels ne cadre pas bien avec le financement gouvernemental qui repose sur la certitude, qu’une directive de financement selon les coûts réels ne permet pas d’assurer. C’est précisément pour cette raison que la formation a ordonné au Canada de déterminer les besoins réels des enfants et des familles en matière de services afin d’orienter un financement exempt de discrimination à l’avenir et de mettre en place de nouvelles bases de financement exemptes de discrimination et respectant l’égalité réelle. Voilà le raisonnement qui sous-tend les ordonnances relatives aux coûts réels. Un changement de paradigme est nécessaire pour atteindre l’équilibre entre le besoin de certitude du gouvernement pour assurer la gestion efficace des fonds publics et la nécessité d’éviter que la discrimination systémique ne se perpétue parce que cette certitude se fonde sur des pra tiques antérieures comportant des lacunes importantes.

[214] Une approche à l’égard d’un tel changement de paradigme a été proposée à la réunion du CCPE tenue le 2 août 2018 :

[traduction]

a. Mme Blackstock déclare que le document de discussion ne traite pas du principal problème lié au besoin de nouveaux locaux pour accroître le personnel et les programmes de prévention, et qu’il faut un engagement ferme d’élargir les autorisations pour inclure les grands projets d’immobilisations.

b. Mme Isaak indique que SAC doit avoir une pleine compréhension des besoins en immobilisations des organismes de SEFPN afin de pouvoir présenter les meilleurs arguments favorables à l’ajout d’autorisations en matière de grands projets d’immobilisations.

c. Mme Blackstock réitère sa crainte que l’exigence d’une « pleine compréhension » des besoins en immobilisations des organismes de SEFPN ne fasse obstacle aux projets qui sont déjà prêts à aller de l’avant.

[Onglet 9 du dossier de requête de la Société de soutien daté du 4 février 2019.]

[215] La formation estime que l’approche proposée par SAC à la réunion du CCPE tenue le 2 août 2018 est une bonne façon de procéder, tant qu’elle ne provoque pas de retards durant des années pour les organismes de SEFPN et les collectivités des Premières Nations qui sont prêts à aller de l’avant maintenant. Les coûts du financement de la construction ont fait l’objet d’une ordonnance en 2016. En 2018, la formation a accepté la proposition de tenir des consultations et des discussions en temps opportun. Toutefois, la date limite proposée pour l’examen de la formation n’était pas prévue pour 2022 et même plus tard. Il n’était pas question non plus d’une politique qui, dans le but de pouvoir présenter des arguments au Conseil du Trésor, consisterait à retarder de la même façon la réponse aux besoins immédiats cernés par un organisme de SEFPN ou une collectivité.

[216] En outre, la formation rejette les arguments du Canada concernant la portée et la compétence, étant donné qu’il n’a pas analysé à travers le prisme approprié des faits particuliers de l’affaire et des droits de la personne, et n’a pas tenu compte de l’essence même de la demande, de la discrimination systémique constatée et du fait que l’ordonnance de « ne pas faire » visant la discrimination systémique en l’espèce n’est pas conditionnelle à la présentation d’arguments au Conseil du Trésor, et n’autorise pas le Canada à se réfugier derrière ce processus d’approbation pour éviter d’exécuter les ordonnances du Tribunal. Aucune défense fondée sur les articles 15 ou 16 de la LCDP n’a été présentée en l’espèce (voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 27). Bien que la formation ne nie pas la nécessité de respecter la Loi sur la gestion des finances publiques, le processus du Conseil du Trésor et les décisions discrétionnaires de l’exécutif devraient cadrer avec les responsabilités du Canada en matière de droits de la personne.

[217] Cela étant dit, et comme nous le démontrerons ci-dessous, les représentants de SAC ont engagé des discussions actives afin d’améliorer leurs services et ont apporté des changements importants à leurs autorisations afin de tenir compte des besoins exprimés par les organismes de SEFPN et les collectivités.

[218] Ainsi, à la réunion du CCPE tenue le 5 septembre 2018 :

[traduction]

a. Mme Gideon fait remarquer que, bien que la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits ait le pouvoir de réaliser des grands projets d’immobilisations dans les réserves, ce pouvoir a été réduit au fil des ans pour s’appliquer en particulier aux centres de santé.

b. Mme Isaak indique que SAC en est à déterminer quels organismes de SEFPN utilisent des locaux qui lui appartiennent plutôt que des locaux loués.

c. Mme Isaak fait savoir qu’en 2007, le Conseil du Trésor a annulé l’exigence générale selon laquelle les petits projets d’immobilisations devaient se limiter à moins de 1,5 million de dollars et indiqué que chaque programme devait créer son mécanisme d’autorisation respectif. L’ancien AINC a simplement adopté le seuil de 1,5 million de dollars pour les petits projets d’immobilisations, et certains programmes l’ont augmenté. Toutes les parties conviennent que le seuil de 1,5 million de dollars était insuffisant pour répondre aux besoins réels en nouveaux locaux.

d. La Société de soutien propose que, pour rétablir le pouvoir d’achat perdu, un rajustement tenant compte de l’inflation soit apporté au seuil relatif aux petits projets d’immobilisations adopté à la suite de la modification à la directive du Conseil du Trésor.

e. Mme Isaak soulève la possibilité de mettre en place un processus d’évaluation pour déterminer quels organismes de SEFPN requièrent des travaux importants et imminents, ainsi qu’une évaluation des besoins en immobilisations de tous les organismes de SEFPN afin d’avoir une meilleure compréhension et un tableau complet des coûts réels et projetés.

[219] Le 1er octobre 2018, la Société de soutien a fourni une rétroaction à SAC au sujet de son document de discussion sur les options en matière d’immobilisations (onglet 2).

[220] La formation relève qu’il est mentionné ce qui suit dans le document de discussion, sous « Dépenses admissibles » :

[traduction]

• À ce jour, selon l’IFPD et les discussions avec les organismes, les nouvelles Modalités pourraient englober l’acquisition, la construction ou le développement des immobilisations nécessaires au soutien de la prestation des services du programme afin que les enfants ne soient pas pris en charge et qu’ils restent auprès de leur famille, dans leur collectivité (p. ex. nouvel immeuble de l’organisme Anishinaabe Child & Family Services en raison du déplacement de la collectivité).

[221] À la réunion tenue par le CCPE le 23 octobre 2018, on déclare ce qui suit :

[traduction]

a. Le Canada indique que le seuil de 1,5 million de dollars pour les grands projets d’immobilisation prévu par les Modalités est passé à 2,5 millions de dollars pour tenir compte de l’inflation, et que toute référence aux grands projets d’immobilisations par opposition aux petits projets d’immobilisations est désormais supprimée des Modalités.

b. L’augmentation du seuil d’investissement de 1,5 million de dollars à 2,5 millions de dollars sera accompagnée d’une directive sur les immobilisations, de sorte que le processus du Conseil du Trésor ne sera pas nécessaire pour de nouveaux changements au seuil. L’ébauche de la directive sur les immobilisations sera présentée au CCPE pour examen.

c. L’organisme Chefs de l’Ontario indique que le document de discussion du 1er août 2018 concernant les options en matière d’immobilisations n’est destiné qu’aux organismes de SEFPN, ce qui exclut les collectivités qui veulent offrir elles-mêmes des services de prévention, ainsi que les collectivités ayant des programmes de représentants de bande.

[222] Le 30 octobre 2018, Mme Wilkinson (sous-ministre adjointe, PPEDS, SAC) a écrit à Mme Blackstock pour lui expliquer les renseignements précis dont SAC avait besoin pour donner suite besoins en immobilisations (onglet 3).

[223] À la réunion du CCPE tenue le 19 novembre 2018 :

[traduction]

a. SAC fournit une estimation des coûts pour le tableau de la réforme du principe de Jordan qui faisait mention de 38,4 millions de dollars en fonds alloués à l’infrastructure (onglet 4).

[224] Puis, à la réunion du CCPE tenue le 11 décembre 2018 :

[traduction]

a. Mme Wilkinson fait savoir qu’un communiqué à l’intention des organismes de SEFPN concernant la mise à jour des Modalités sur la question des immobilisations est en cours d’élaboration, et qu’une ébauche sera distribuée aux membres du CCPE pour commentaires.

[225] Le 15 décembre 2018, l’IFPD a présenté son rapport final, où il était conclu que :


a. Sur le plan des immobilisations, près de 60 % des organismes de SEFPN ont indiqué avoir besoin de réparations et d’investissements;

b. Les besoins en technologie de l’information de l’organisme de SEFPN sont financés en moyenne à hauteur de 1,6 % du budget de l’organisme de SEFPN, ce qui est fortement inférieur à la norme du secteur, qui est d’environ 5 à 6 %;

c. Un investissement ponctuel dans les immobilisations de 116 à 175 millions de dollars, assorti d’une recommandation prônant un taux annuel de recapitalisation de 2 %, est nécessaire pour un bâtiment équivalent au siège de l’organisme de SEFPN;

d. Dans l’ensemble du Programme des SEFPN, conformément aux normes de l’industrie, les dépenses annuelles en technologies de l’information devraient être de 65 à 78 millions de dollars.

[226] Le 16 janvier 2019, Mme Wilkinson a informé les parties que les Modalités du Programme des SEFPN ne comporteraient pas de plafond ni de limite au financement des immobilisations, et que la prochaine directive sur les immobilisations fixerait une limite de 2,5 millions de dollars pour les grands projets d’immobilisations ne correspondant pas à ceux pouvant faire l’objet d’une demande dans le cadre du processus relatif aux coûts réels.

[227] Le 18 janvier 2019, Mme Wilkinson a fourni aux parties les Modalités du programme des SEFPN ayant été approuvées en décembre 2018. Ces Modalités indiquent que « l’achat ou la construction d’immobilisations comme les immeubles qui soutiennent la prestation de services des SEFPN » est une « dépense admissible » pour les organismes de SEFPN. Le 21 janvier 2019, un courriel a été envoyé à tous les organismes de SEFPN pour souligner les Modalités des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations mises à jour, et désormais en vigueur. Un exemplaire des Modalités est joint à l’affidavit de Mme Johanne Wilkinson comme pièce 9. Ces renseignements sur les Modalités sont également mentionnés dans les observations en réponse du Canada datées du 30 mai 2019, et dans l’affidavit de Mme Lorri Warner daté du 4 mai 2020, à la pièce 6B.

[228] Dans son affidavit du 16 avril 2019, Mme Joanne Wilkinson, à l’alinéa 10(i), parle comme suit des échanges de courriels et des discussions au CCPE :

[traduction]

Le Canada reconnaît les travaux de sondage exhaustifs entrepris par l’IFPD auprès des organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations partout au pays. Le rapport est un bon point de départ pour fournir des renseignements précieux sur les besoins des organismes et les principales lacunes, et il s’agit d’un document de recherche utile dont il faut tenir compte dans la transition vers une nouvelle méthode de financement. Toutefois, il ne comprend pas d’analyse complète du financement en vertu des programmes existants, car il ne porte que sur les renseignements financiers des organismes pour 2017-2018. Par exemple, les investissements et les dépenses réelles du Budget de 2018 ne sont pas inclus dans l’analyse, et il n’y a pas de comparaison avec d’autres systèmes ou modèles. Le rapport ne propose pas non plus d’options pour une nouvelle méthode de financement ou approche en la matière. D’autres travaux sont nécessaires pour tenir compte des effets des investissements prévus au Budget de 2018 et du paiement des coûts réels pour les organismes des Premières Nations, et afin de garantir que l’on adopte une approche globale pour l’élaboration d’une nouvelle méthode de financement.

[229] Dans la mesure où le Canada invoque l’affidavit de Mme Wilkinson pour faire valoir la nécessité de réaliser d’autres travaux avant d’établir une nouvelle méthode de financement, la formation est d’accord. Toutefois, elle ne souscrit pas au refus de financer entièrement les projets d’acquisition ou de construction dans le cadre du programme des SEFPN. La formation convient que d’autres travaux étaient nécessaires, ce qui explique pourquoi l’élaboration du rapport de la phase 2 de l’IFPD a été entreprise. Un courriel de Mme Wilkinson adressé à Andrea Auger, qui se trouve à l’onglet 9 des documents de requête de la Société de soutien, appuie l’idée que le Canada compte sur les études de l’IFPD pour établir une nouvelle méthode de financement et actualiser son financement. De plus, l’objectif indiqué dans le rapport final de l’IFPD est de répondre à la décision sur requête du TCDP pour ce qui est de définir et de chiffrer les besoins en matière de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

[230] Le 11 octobre 2018, le Canada a déposé auprès du Tribunal une lettre indiquant que le 9 avril 2018, il avait décrit les recherches de l’IFPD qui comporteraient les quatre phases et échéances suivantes :

[traduction]

• Phase 1 - Évaluation des besoins : analyser les évaluations des besoins existantes avant le 15 avril 2018 et dresser un tableau d’indicateurs pour éclairer l’analyse des besoins avant le 31 juillet 2018;

• Phase 2 - Définition d’une base de référence et analyse des lacunes : établir une base de référence des intrants en ressources des organismes, définir une procédure d’établissement des coûts détaillée et déterminer les données manquantes avant le 30 septembre 2018;

• Phase 3 - Analyse des coûts : réaliser une analyse des coûts pour chaque type d’organisme avant le 2 novembre 2018;

• Phase 4 - Rapport final : élaborer un rapport final et formuler des recommandations à l’appui d’une nouvelle approche de financement : 15 novembre 2018.

[231] En septembre 2018, le taux de participation des organismes avait augmenté, pour atteindre 75 %. Les phases 1 et 2 du rapport de l’IFPD sont joints à la lettre en question en tant qu’annexes A et B.

[232] Le rapport de l’IFPD indique que trois organismes de SEFPN avaient besoin d’un nouvel immeuble. On y mentionne la nécessité de reconnaître les différences : les organismes sont de tailles diverses, et ils ont des mandats, des capacités et des expériences différents. Les nouvelles structures de financement devraient répondre aux besoins des organismes là où ils se trouvent actuellement, et les aider à atteindre leurs objectifs futurs. Il n’y a pas d’approche unique qui soit idéale pour soutenir les organismes. Ces constats concordent avec les motifs précédents du Tribunal.

[233] Le 11 septembre 2020, l’APN a déposé le rapport final de l’IFPD.

[234] La formation convient qu’une analyse plus poussée est nécessaire pour des réparations à long terme et pour l’élaboration d’une nouvelle méthode de financement. Toutefois, cette analyse doit être effectuée rapidement et ne pas prendre des années. Les mesures prises par le Canada doivent tenir compte de l’urgence de la crise humanitaire cernée en 2018. Précisons que cela ne signifie pas que les organismes de SEFPN et les collectivités qui ont satisfait à toutes les exigences prévues dans la loi et dans des politiques exemptes de discrimination, et qui ont des projets prêts à aller de l’avant et l’ont signalé, doivent attendre le rapport de la phase 3.

[235] La formation comprend également le besoin d’assurer un processus de passation de marchés ouvert et transparent, étant donné l’ampleur du financement et le fait qu’il s’agit d’une nouvelle étape imprévue de la recherche (affidavit de Johanne Wilkinson daté du 15 avril 2019, au par. 10).

[236] Le Canada va également de l’avant avec des initiatives de réforme à long terme, comme la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, LC 2019, ch. 24, pour permettre aux Premières Nations d’exercer leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille. Le Canada soutient qu’il s’agit d’un élément essentiel des six mesures définies par le gouvernement du Canada pour s’attaquer au problème de la surreprésentation d’enfants et de jeunes autochtones pris en charge au Canada (affidavit de Johanne Wilkinson daté du 15 avril 2019, au par. 63).

[237] La présente décision sur requête et ses ordonnances sont néanmoins nécessaires, étant donné que la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis ne fait référence qu’au financement dans son préambule et ne garantit pas un financement adéquat en fonction des besoins particuliers des Nations. Bien que cette loi fasse référence à l’égalité réelle, aucun lien n’est établi entre le financement en fonction des besoins et l’égalité réelle parmi les obligations énoncées. La formation examinera éventuellement cette question avec l’aide des parties dans le cadre de la phase à long terme et de la mise en œuvre de la réforme. Cela dit, la formation estime que si un financement durable et adéquat est fourni aux Premières Nations qui décident d’exercer leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, il s’agit là de la meilleure issue possible pour ces enfants, ces familles et ces nations. Cette option est incluse dans les ordonnances de la décision sur requête 2018 TCDP 4.

[238] Les six mesures suivantes doivent être prises par le Canada :

1. Poursuivre le travail afin d’assurer la pleine mise en œuvre de toutes les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne et réformer les services à l’enfance et à la famille, y compris en adoptant un modèle de financement souple.

2. Orienter dorénavant les programmes vers la prévention et l’intervention précoce.

3. Aider les communautés à exercer des pouvoirs et explorer la possibilité de développer conjointement une loi fédérale sur les services à l’enfance et à la famille.

4. Accélérer les travaux des tables trilatérales et techniques qui sont en place partout au pays.

5. Aider les dirigeants inuits et de la Nation métisse à réaliser une réforme adaptée à leur culture.

6. Élaborer une stratégie relativement aux données et à la reddition de comptes avec les provinces, les territoires et les partenaires autochtones.

[239] Voici les progrès réalisés à l’égard de la mesure 1 tels qu’ils ont été décrits par le Canada, consultés en août 2021 et révisés le 6 octobre 2021 :

Le Canada a entrepris la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) rendues le 1er février 2018. Le Canada a :

  • entrepris de verser des fonds aux organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) afin de les aider à rembourser leurs coûts réels dans les secteurs visés par les ordonnances du TCDP, dans le cadre des efforts permanents du Canada à fournir aux organismes les fonds dont ils ont besoin pour répondre aux intérêts supérieurs et aux besoins des enfants et des familles des Premières Nations, rétroactivement au mois de janvier 2016;

  • collaboré avec l’Assemblée des Premières Nations en vue de passer un marché avec l’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa pour analyser les besoins organisationnels des SEFPN afin d’orienter la conception d’un autre système de financement;

  • entrepris de verser des fonds aux intervenants en Ontario pour le remboursement des coûts liés aux services de santé mentale destinés aux enfants et aux jeunes des Premières Nations, rétroactivement au mois de janvier 2016;

  • entrepris de verser des fonds aux bandes en Ontario pour le remboursement des coûts liés à la prestation des services des représentants des bandes, rétroactivement au mois de janvier 2016.

Le Canada a établi le Comité consultatif sur la réforme de la protection de l’enfance. Ce comité, coprésidé par l’Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, est composé d’adjoints principaux et de sous-ministres adjoints de Services aux Autochtones Canada (SAC), ainsi que de toutes les parties du tribunal. Parmi les premières réalisations de ce comité, mentionnons l’élaboration d’un protocole régissant les consultations entre le Canada, les plaignants auprès du TCDP et les parties intéressées en vue d’éliminer la discrimination à l’endroit des enfants des Premières Nations.

En outre, le Canada collabore avec la table de discussion technique de l’Ontario sur le bien-être de l’enfant et de la famille dans le cadre d’une étude spéciale de l’Ontario, et avec la Nation Nishnawbe-aski pour élaborer un indice d’éloignement pour les organismes délégués des Premières Nations dans le nord de l’Ontario.

Depuis 2016, le gouvernement a débloqué des fonds de 679,9 millions de dollars pour l’application du principe de Jordan afin de répondre à des besoins immédiats en matière de services de santé, de services sociaux et de services d’éducation. Il s’agit, entre autres, de demandes de soutien en santé mentale, de fournitures médicales, de services d’orthophonie et de soutien à l’éducation.

En date du 19 juin 2018, les critères d’admissibilité selon le principe de Jordan ont été élargis pour inclure les enfants autochtones non inscrits qui résident habituellement dans les réserves. Cet élargissement de l’admissibilité constitue une mesure importante en vue d’améliorer le bien-être des enfants autochtones, de leurs familles et de leurs communautés.

En 2018, un centre national d’appel 24/7 a été établi en vertu du principe de Jordan, en vue d’offrir une autre voie par laquelle les enfants des Premières Nations peuvent accéder aux produits, aux services et au soutien dont ils ont besoin. En date du 26 novembre 2018, un total de 2 809 appels avait été reçu, ce qui a donné lieu à 849 demandes de services.

SAC a appuyé le Sommet sur le principe de Jordan de l’Assemblée des Premières Nations, qui s’est tenu à Winnipeg au Manitoba, au mois de septembre 2018. Le sommet a permis aux dirigeants, aux familles et aux membres des communautés des Premières Nations de se réunir en compagnie de professionnels de la santé et de fournisseurs de services, entre autres, afin de discuter des leçons apprises et des pratiques prometteuses tirées de la mise en œuvre du principe de Jordan à ce jour. On y a également discuté des priorités communes et de la vision quant à l’avenir du principe de Jordan.

En plus des progrès réalisés concernant le principe de Jordan et la réforme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et SAC ont annoncé le 10 septembre 2018 que les besoins en services sociaux, en santé et en éducation immédiats des enfants inuits seraient pris en compte par l’entremise d’une initiative « Les enfants d’abord » propre aux Inuits. Entretemps, le gouvernement du Canada continue de collaborer avec ses partenaires inuits, provinciaux et territoriaux en vue d’élaborer une approche à long terme qui sera propre aux Inuits, afin de mieux répondre aux besoins particuliers des enfants inuits en matière de services sociaux, de santé et d’éducation.

[240] Le Canada avance qu’il serait inapproprié et déraisonnable que le Tribunal intervienne à cette étape, et que pareille intervention constituerait de la part du Tribunal une dérogation au rôle que lui confère la Loi en tant que décideur qui statue sur des plaintes en particulier. La formation ne souscrit pas à cet argument, étant donné que l’infrastructure des immobilisations qui soutient la prestation de services des SEFPN, y compris les bâtiments, a toujours fait partie de la demande et des conclusions du Tribunal. De plus, lors de l’audience sur le bien-fondé, la formation a entendu des témoignages précis sur les difficultés qu’éprouvent certains organismes en matière de prestation de services, et sur leur volonté de mettre de côté leurs excédents afin d’avoir suffisamment de fonds pour acquérir un bâtiment qui soit adéquat. Qui plus est, les autorisations du Programme des SEFPN ne prévoyaient pas un financement suffisant pour l’acquisition ou la construction d’immeubles appuyant la prestation des services.

[241] Du reste, la formation veille à ne pas empiéter sur les droits inhérents des Premières Nations en demandant au Canada de respecter leurs désirs. Autrement dit, le Tribunal n’impose rien à une Première Nation. Il souligne plutôt que lorsqu’une Première Nation a exprimé le besoin d’un financement pour acquérir ou construire des locaux (immeubles) afin d’offrir des services aux enfants dans le cadre du Programme des SEFPN ou en vertu du principe de Jordan, le Canada devrait accéder à cette demande et ne pas répondre [traduction] « nous devons consulter chacune des Premières Nations avant d’accorder à une Première Nation en particulier ou à un organisme autorisé par une Première Nation des fonds pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations appuyant la prestation de services des SEFPN ».

[242] De plus, les paragraphes 8 et 9 des observations présentées par le Canada le 30 mai 2019 confirment la nature ponctuelle du statu quo maintenu à l’égard des demandes visant l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN dans le cadre du Programme des SEFPN. Lorsque les demandes d’immobilisations ne se rapportent pas aux ordonnances du 1er février 2018 du Tribunal concernant le financement selon les coûts réel, les demandes d’immobilisations ne peuvent être financées que si les organismes de SEFPN ont enregistré un excédent suffisant du financement du budget de 2018 pour les allocations compensatoires et d’éloignement, ou lorsqu’un projet d’immobilisations est approuvé dans le cadre du volet de financement des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence (voir le contre-interrogatoire de Joanne Wilkinson daté du 14 mai 2019, aux pages 76 à 79).

[243] Les paragraphes 10 à 12,16 et 17 des observations du 30 mai 2019 du Canada démontrent que le Canada n’a pas de plan concret pour répondre aux besoins à court terme des organismes de SEFPN en matière d’acquisition ou de construction. Le même constat vaut pour les besoins à court terme en matière d’acquisition ou de construction en ce qui a trait aux services en vertu du principe de Jordan, ce dont nous traiterons plus loin.

[244] La formation est d’accord avec la Société de soutien pour dire que le Canada invoque la nécessité d’avoir d’autres « discussions » sur les besoins en immobilisations à long terme et de faire appel à des experts en dehors du Programme des SEFPN (voir les observations du Canada du 30 mai 2019, aux par. 6 et 10). Il s’agit là de la même réponse vague qui a été donnée à maintes reprises depuis que la Société de soutien a soulevé la question des grands projets d’immobilisations à la réunion du CCPE du 22 juin 2018. De fait, cette attitude est conforme à l’approche globale adoptée par le Canada à l’égard des besoins en immobilisations dans le cadre du Programme des SEFPN au cours des 19 années qui se sont écoulées depuis les mesures recommandées à l’issue de l’Examen de la politique nationale. En 2000, l’Examen conjoint de la politique nationale (« EPN ») présentait la conclusion suivant à titre de recommandation no 13 :

[traduction]

Le MAINC et les Premières Nations doivent déterminer les besoins en immobilisations des organismes de SEFPN dans le but d’élaborer une approche créative à l’égard du financement d’installations pour les enfants et les familles des Premières Nations qui amélioreront la prestation de services globaux à l’échelle communautaire. [Voir l’énoncé sommaire concernant les grands projets d’immobilisations, par. 3, onglet 9 du dossier de requête de la Société de soutien daté du 4 février 2019).

[245] Ajoutons que la formation admis le rapport et les conclusions de l’EPN dans la Décision sur le bien-fondé.

[246] Néanmoins, les Premières Nations parties à l’instance n’ont pas demandé d’autres « discussions » avec le Canada comme préalable au financement par lui de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN. Cet état de fait est représentatif de ce qui s’est produit dans la présente affaire, et il participe de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé (voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 157).

[247] La Société de soutien redoute que, sans ordonnances précises, les progrès à réaliser pour répondre aux besoins en matière de grands projets d’immobilisations des organismes des SEFPN — besoins qui n’ont pas été comblés par l’entremise du Programme des SEFPN depuis 1991, et qui constituent un élément appelant des mesures de réparation immédiates — soient toujours entravés par des « discussions » et « demandes de renseignements ». Plus important encore, l’exécution efficace des ordonnances du Tribunal relatives à la prestation de services de prévention aux collectivités s’en trouve compromise, car en l’absence de bâtiments convenables pour héberger ces services de prévention, il sera difficile, voire impossible de les fournir. La formation estime qu’il s’agit précisément du cœur du problème qui nécessite que le Tribunal intervienne pour éliminer la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé et les décisions sur requête subséquentes, en l’absence de toute ordonnance sur consentement proposée par les parties sur ce point.

[248] La Société de soutien fait valoir que, compte tenu de la lenteur des progrès réalisés par le Canada dans la mise en œuvre des mesures de réparation immédiates à la suite de la décision du 26 janvier 2016, les acquisitions ou les constructions d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN devraient progresser parallèlement à la réforme à long terme, sans qu’il faille attendre que celle-ci soit pleinement achevée (voir : onglet 1 de l’énoncé sommaire concernant les grands projets d’immobilisations; onglet 9 du dossier de requête de la Société de soutien daté du 4 février 2019).

[249] La formation est du même avis. Les ordonnances proposées par la Société de soutien sont formulées en termes généraux et pourraient être clarifiées avec l’aide des parties. Elles concernent un financement à accorder aux organismes de SEFPN pour les études de faisabilité, les travaux préparatoires aux projets et les projets eux-mêmes. Elles ne précisent pas qui doit être consulté aux fins des études de faisabilité, quelles sources de financement doivent être utilisées pour réaliser les projets ni comment ceux-ci doivent être administrés. Par conséquent, la formation convient que, contrairement aux arguments du Canada aux paragraphes 5, 10 à 17, 19, 24 et 32 de ses observations du 30 mai 2019, rien dans les ordonnances demandées par la Société de soutien n’exige que les programmes existants ou les processus décisionnels des Premières Nations soient contournés.

[250] De plus, l’historique en l’espèce démontre que, lorsque la formation a rendu des ordonnances générales pour mettre fin à la discrimination, laissé une certaine marge de manœuvre au Canada ou accordé plus de temps pour les discussions, le Canada n’a pas suffisamment agi pour éliminer la discrimination systémique. Prenons l’exemple des immobilisations du Programme des SEFPN qui n’étaient pas mentionnées dans les ordonnances de février 2018, et la nécessité d’intervenir maintenant au moyen d’ordonnances particulières pour remédier à l’absence d’action à leur égard.

[251] La formation convient aussi avec la Société de soutien qu’il est difficile de comprendre pourquoi les observations du Canada présument que les études de faisabilité ne tiendraient pas compte des priorités et des besoins des collectivités des Premières Nations — quand en fait, il s’agirait d’un des principaux objectifs —, ou pour quelle raison les observations indiquent que l’enveloppe d’immobilisations demandée par la Société de soutien serait administrée à l’extérieur de la Direction générale des infrastructures communautaires. De plus, le Tribunal n’a pas l’intention d’imposer sa propre estimation des besoins des collectivités. Au contraire, la formation a toujours réclamé des données fondées sur les besoins et issues des collectivités afin d’éclairer la réforme. De telles données permettent de réaliser des projets adaptés aux besoins particuliers des enfants et des familles lorsque les Nations sont prêtes à aller de l’avant, au lieu d’une approche universelle descendante, ou consistant à attendre que toutes les Nations aient été prises en considération, ce qui entraîne des retards inutiles pour les projets prêts à être lancés maintenant.

[252] Depuis le dépôt de la requête sur l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN auprès du Tribunal, le Canada a indiqué que, le 5 septembre 2018, le CCPE avait conclu que les autorisations en matière d’infrastructure présentaient une lacune susceptible d’être corrigée par une modification des Modalités. Le Canada a donc depuis modifié les Modalités du Programme des SEFPN pour y inclure l’acquisition ou la construction d’immobilisations (p. ex. immeubles) qui soutiennent la prestation des SEFPN pour les enfants des Premières Nations. En outre, l’acquisition ou la construction d’immobilisations (p. ex. immeubles) fait maintenant partie des dépenses admissibles pour les organismes des SEFPN.

[253] Les Modalités incluent aussi l’acquisition, l’entretien et la rénovation d’infrastructures parmi les dépenses admissibles dans le cadre des Initiatives de bien‑être communautaire et en matière de compétence. De plus, le Canada a également annoncé la mise en place d’un nouveau volet de financement dans le cadre des SEFPN, qui est destiné aux initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence. Ce volet permet à des projets d’une durée maximale de cinq ans d’accroître l’accessibilité d’initiatives de prévention et de bien-être qui répondent aux besoins communautaires, et de soutenir les Premières Nations dans l’élaboration et la mise en œuvre de modèles d’exercice de compétences.

[254] Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, et la formation ne conteste pas l’argument du Canada selon lequel il devrait se voir accorder du temps pour suivre les structures démocratiques qui sont en place afin de garantir la reddition de comptes en matière de fonds publics. Cependant, le temps doit être mis en équilibre avec les droits de la personne des enfants des Premières Nations et l’obligation d’éliminer la discrimination systémique. De plus, trois ans et demi se sont écoulés depuis la décision sur requête de 2018, et aucun plan concret n’a été présenté aux parties sur le sujet. Les parties ne se sont pas entendues sur la question, qui a dû être tranchée. La formation convient avec le Canada que tous les désaccords ne constituent pas de la discrimination. Or, compte tenu surtout de l’historique de la présente affaire, il faut examiner la cause profonde du désaccord et déterminer s’il est dû à une divergence d’opinions ou d’approches, ou s’il est lié aux pratiques discriminatoires qui ont été constatées en l’espèce, et auxquelles on n’a pas remédié complètement.

[255] La Société de soutien, l’APN, les Chefs de l’Ontario et la NNA ont récemment confirmé le besoin que d’autres ordonnances soient rendues. Par ailleurs, les effets préjudiciables liés au problème qui nous occupe ont été cernés dans la Décision sur le bien-fondé de 2016 et les décisions sur requête subséquentes. La formation convient avec le Canada de la nécessité d’une issue définitive à l’affaire. Toutefois, elle réitère qu’il ne sera pertinent de rendre une décision définitive qu’une fois que la question de la réforme à long terme aura été résolue ou tranchée — dans un proche avenir, espérons‑le. Le rôle dont la formation est investie de par la Loi consiste à veiller à ce que la discrimination constatée soit éliminée et qu’elle ne se reproduise pas. La formation estime, en conformité avec l’approche qu’elle a suivie dans la présente affaire (voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 303), qu’il est nécessaire de rendre une autre ordonnance précise pour assurer l’élimination rapide de la discrimination systémique.

[256] Au cours de l’instance relative à la présente requête, les parties ont demandé au Tribunal de rendre une ordonnance sur consentement concernant les collectivités qui ne sont pas desservies par un organisme de SEFPN et qui reçoivent plutôt des services à l’enfance et à la famille par l’entremise d’un organisme ou d’un fournisseur de services provincial ou territorial. Les organismes de SEFPN soient directement financés par SAC pour les services qu’ils offrent, mais les organismes et les fournisseurs provinciaux ou territoriaux reçoivent leur financement du gouvernement provincial, qui demande ensuite un remboursement au gouvernement fédéral. La Société de soutien a sollicité une ordonnance portant que les enfants et les familles qui reçoivent des services d’un organisme provincial et territorial plutôt que d’un organisme des SEFPN soient visés par les ordonnances de réparation du Tribunal. Par conséquent, la formation, saisie de la requête de la Société de soutien, a rendu l’ordonnance sur consentement figurant dans la décision sur requête 2021 TCDP 12. Les ordonnances rendues dans la présente décision sur requête tiennent compte, elles aussi, des collectivités en question. De plus, à la différence d’autres régions, les collectivités des Premières Nations de l’Ontario ont demandé du financement pour pouvoir appuyer les SEFPN et les offrir directement. Le Canada a consenti à cette approche. La formation en a également tenu compte dans l’élaboration des ordonnances.

[257] Depuis l’envoi de sa lettre de décision, la formation a reçu de nouveaux renseignements sur la mise en œuvre du plan mentionné dans l’ordonnance sur consentement rendue dans la décision sur requête 2021 TCDP 12. Même si la formation ne disposait pas de ces renseignements pour éclairer sa décision sur requête en août 2021, ceux-ci indiquent que, dans le plan de financement, des fonds sont alloués aux infrastructures d’immobilisations pour les collectivités qui n’ont pas d’organismes de SEFPN. Étant donné que les présents motifs se rapportent à sa précédente décision, la formation n’a pas demandé aux parties de présenter d’autres observations sur la question, laquelle, par conséquent, ne sera pas tranchée dans le cadre de la présente décision sur requête. Cela étant dit, la formation fait remarquer que ce nouveau plan de mise en œuvre pourrait permettre de donner suite aux ordonnances rendues par la formation dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 et dans la présente décision sur requête.

[258] Dans l’ensemble, le Canada soutient qu’il se conforme en grande partie à toutes les ordonnances existantes. Beaucoup de travail est accompli pour assurer la conformité, et des ressources considérables ont été consacrées à l’exécution des ordonnances immédiatement, rétroactivement et pour l’avenir (affidavit de Johanne Wilkinson daté du 15 avril 2019, au par. 62).

[259] Le Canada ajoute aussi que la décision du Tribunal concernant la présente affaire a eu un effet transformateur sur la vie des enfants autochtones au Canada (affidavit de Johanne Wilkinson daté du 15 avril 2019, au par. 65). La formation se réjouit qu’il le reconnaisse. Bien que beaucoup de choses aient été accomplies, il reste encore du travail à faire pour que le Canada agisse suffisamment pour éliminer la discrimination systémique constatée. En 2018, la formation avait considéré que sa décision sur requête mettait fin à l’étape de réparation immédiate, à moins que ses ordonnances ne soient pas exécutées ou qu’il faille leur apporter d’autres modifications à mesure que la qualité des renseignements s’améliorerait. La formation avait déclaré qu’elle pouvait désormais traiter la question de l’indemnisation et des mesures de réparation à long terme (voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 385).

[260] Par conséquent, la formation estime qu’une ordonnance de clarification doit être rendue pour faire en sorte que l’acquisition et la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN dans les réserves, y compris les services de prévention, soient adéquatement financées. Les études de faisabilité et les évaluations des besoins peuvent constituer une première étape à cet égard.

Ordonnances visant l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN dans les réserves, y compris les services de prévention

Ordonnances

En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne au Canada ce qui suit :

Financer, sur la base des coûts réels, tous les organismes de SEFPN, y compris les organismes de petite taille ou les Premières Nations, pour l’acquisition d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et informer par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.

Financer les coûts réels des projets de construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et qui sont prêts à aller de l’avant, en informant par écrit les Premières Nations et les organismes, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.

Fournir, en consultation avec le CCPE, du financement aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations pour qu’ils puissent effectuer des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN dans les réserves. Cette ordonnance s’applique également aux Premières Nations qui assurent aussi cette prestation hors réserve dans le cadre du Programme fédéral des SEFPN, comme en Ontario.

*Les précédentes ordonnances reconnaissent les droits inhérents des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale, et le fait que le Tribunal ne peut obliger les Premières Nations qui ne sont pas parties à l’instance à agir de quelque manière que ce soit. Ces ordonnances reconnaissent que des processus complexes doivent être suivis avant que l’on ne soit prêt à procéder à la construction d’immobilisations dans les réserves, et que cela ne peut être réalisé unilatéralement par les organismes de SEFPN, par le Canada ou en vertu d’une ordonnance du Tribunal. Par conséquent, les ordonnances relatives à l’acquisition et à la construction ci-dessus ne visent que les projets qui sont prêts à aller de l’avant.

C. Fonds pour soutenir la mise en œuvre de l’analyse du principe de Jordan

[261] Le Tribunal a énoncé son raisonnement initial dans la lettre de décision, qui est reproduite ci-dessous :

[traduction]

Financement des immobilisations pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan

Compétence pour rendre des ordonnances relatives à l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan

Les services fournis en vertu du principe de Jordan font partie de la demande en l’espèce et ont fait l’objet de nombreuses ordonnances du Tribunal dans le cadre de la présente instance. Dissocier les services des exigences provinciales en matière de locaux sécuritaires et confidentiels pour offrir les services équivaudrait à de la discrimination. Cela perpétuerait aussi les interruptions, les refus et les retards dans la prestation de nombreux services qui ne peuvent être offerts qu’à l’intérieur de bâtiments. Autrement dit, refuser de financer des locaux sécuritaires, confidentiels et culturellement adaptés respectant les exigences provinciales équivaudrait à refuser des services autrement autorisés en vertu du principe de Jordan.

[262] Comme promis, le Tribunal fournit maintenant des motifs plus détaillés.

[89] Le principe de Jordan est un principe des droits de la personne fondé sur l’égalité réelle. Le critère exposé dans la définition élaborée par le Tribunal dans la décision 2017 TCDP 14, qui vise la fourniture de services « au-delà de la norme établie », favorise l’égalité réelle des enfants des Premières Nations en se concentrant sur leurs besoins particuliers, ce qui doit tenir compte du traumatisme intergénérationnel et d’autres éléments importants qui découlent de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé, ainsi que d’autres désavantages tels que le désavantage historique qu’ils peuvent subir. La définition et les ordonnances reflètent les besoins particuliers et la situation unique des Premières Nations. Le principe de Jordan vise à honorer les obligations nationales et internationales positives du Canada envers les enfants des Premières Nations en application de la LCDP, de la Charte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la DNUDPA, entre autres. De plus, la formation, en s’appuyant sur le dossier de la preuve, a estimé que ce principe est le mécanisme en place le plus rapide pour commencer à éliminer la discrimination constatée en l’espèce dont sont victimes les enfants des Premières Nations, pendant la réforme du programme national. D’autant plus que son objectif d’égalité réelle tient également compte de l’effet cumulé des divers aspects de la discrimination dans tous les services gouvernementaux, qui affecte les enfants et les familles des Premières Nations. L’égalité réelle est tant un droit qu’une réparation en l’espèce : un droit qui est dû aux enfants des Premières Nations à titre de réparation constante et durable de la discrimination et afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Cela s’inscrit bien dans la portée de la plainte.

[90] Les décisions sur requête de la formation portaient sur les services gouvernementaux destinés aux enfants des Premières Nations relevant des champs de compétence fédéral-provincial; fédéral-fédéral; et fédéral-territorial. Bien que la formation n’ait pas compétence sur les provinces et territoires, elle a compétence en ce qui concerne l’application par le Canada du principe de Jordan à tous les services fédéraux offerts aux enfants des Premières Nations.

[91] En outre, la portée du principe de Jordan va au-delà du cadre de la plainte déposée devant le Tribunal, puisque la formation a conclu dans la Décision sur le bien-fondé que, bien qu’il ne s’agisse pas à strictement parler d’un concept concernant l’aide à l’enfance, le principe de Jordan est indissociable de la prestation de services à l’enfance (voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 362). Par conséquent, le raisonnement général de la formation sur la protection de l’enfance s’applique aussi aux cas visés par le principe de Jordan. Toutefois, il n’apporte pas toutes les réponses. En ce qui concerne le principe de Jordan, la formation a rendu d’autres décisions sur requête et ordonnances qui font partie de l’analyse.

[92] Par ailleurs, comme l’a déjà indiqué la formation, le principe de Jordan constitue une question distincte dans la présente affaire. Il ne se limite pas au programme de protection de l’enfance; il vise à régler toutes les inégalités et lacunes des programmes fédéraux destinés aux enfants et aux familles des Premières Nations et à faciliter l’accès à ces services qui, selon des décisions précédentes, manquaient de coordination et avaient des effets préjudiciables sur les enfants et les familles des Premières Nations (voir 2016 TCDP 2, 2017 TCDP 14 et 2018 TCDP 4).

[93] De plus,

[l]a discrimination ciblée dans la Décision [sur le bien-fondé] est en partie causée par le manque de coordination entre les programmes, les politiques et les formules de financement sociaux et de santé et par la façon dont ils sont conçus et utilisés. Le but de ces programmes, de ces politiques et de ces formules de financement devrait être de répondre aux besoins des enfants et des familles des Premières Nations.

[2017 TCDP 14, au par. 73.]

[2020 TCDP 20, aux par. 89 à 93.]

[263] La Commission dresse un résumé de l’état actuel du financement alloué à l’acquisition ou la construction d’immobilisations. Elle fait remarquer que, selon les Modalités du Programme des SEFPN, les dépenses admissibles comprennent l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN, qu’ils soient fournis par des organismes de SEFPN ou par d’autres organismes, par exemple des Premières Nations qui assurent la prestation des programmes. Le rapport de l’IFPD comporte une évaluation et une quantification des besoins en immobilisations des organismes de SEFPN. Mais le Canada n’a pas mené de sondage ou d’étude particulière concernant les besoins en immobilisations des Premières Nations en Ontario en matière de prévention ou de services de représentants de bande. Le financement au titre du principe de Jordan ne prévoyait pas non plus d’autorisations relatives aux dépenses d’immobilisations pour garantir les locaux nécessaires à la prestation des services financés.

[264] La Commission soutient que des décisions antérieures du Tribunal ont déjà reconnu le besoin d’un financement des immobilisations visant à assurer la prestation de services adéquats. La formation souscrit à la description, faite par la Commission, des précédentes décisions du Tribunal mentionnées ci-dessus.

[265] Par ailleurs, la Commission indique que le Canada a pris des mesures à la suite de l’évaluation des besoins faite par l’IFPD, en modifiant les Modalités du Programme des SEFPN et en discutant des dépenses d’immobilisations avec les parties tout en payant de façon provisoire les coûts réels des réparations nécessaires. Néanmoins, beaucoup de temps s’est écoulé depuis que le Tribunal a cerné cette question pour la première fois.

[266] La Société de soutien a fait valoir dans ses observations de 2019 que, comme il est indiqué dans l’énoncé du 21 janvier 2019 concernant les immobilisations (lequel est joint à l’annexe A de ces observations), les parties discutent depuis de nombreux mois de la question de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN. En plus des lacunes relevées dans la Décision sur le bien-fondé, les impératifs sur le plan des grands projets d’immobilisations vont de pair avec le développement nécessaire des services offerts en vertu du principe de Jordan (en particulier au moyen de demandes collectives) et le nombre accru de services d’accueil, d’évaluation et de prévention et de services de représentants de bande, etc. En effet, il ne peut être efficace d’accroître le financement alloué à l’embauche d’employés et à de nouveaux programmes si l’on ne dispose pas de locaux adéquats pour accueillir les programmes et le personnel de façon à faciliter une prestation de services efficace et adaptée à la culture. Madame Isaak, auteure d’un affidavit pour le Canada, a convenu qu’il était possible que certains services de prévention ne puissent être fournis en cas d’une insuffisance de bâtiments adéquats (voir le contre-interrogatoire de Mme Paula Isaak, 30 octobre 2018, à la page 86, lignes 5 à 10, onglet 41 du dossier des documents).

[267] La Société de soutien fait également valoir que, contrairement à l’argument formulé par le Canada au paragraphe 7 de ses observations, elle ne demande pas une ordonnance exigeant l’affectation de fonds pour des dépenses d’immobilisations qui ne relèvent pas du Programme des SEFPN et du principe de Jordan. La Société de soutien sollicite plutôt une ordonnance prévoyant le financement des coûts accessoires à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations liées aux programmes améliorés qui découlent des ordonnances existantes du Tribunal.

[268] De plus, la Société de soutien fait valoir qu’à la suite de discussions du CCPE, l’acquisition ou la construction d’immobilisations ont été ajoutées à titre de dépenses admissibles dans le cadre des Modalités du programme des SEFPN. Le Canada a par ailleurs reconnu l’infrastructure dans le cadre de son exercice d’établissement des coûts relatifs au principe de Jordan. Voir l’énoncé sommaire de la Société de soutien concernant les immobilisations, à l’onglet 4 [traduction] « Estimation par SAC des coûts relatifs au principe de Jordan ». Ce document n’est pas daté et son auteur est inconnu, mais il semble que ce soit un document émanant du Canada. Il a été déposé en 2019 dans le dossier de requête de la Société de soutien. Bien que ce document ait peu de valeur probante, vu le manque de contexte et de détails qu’on y trouve concernant le terme [traduction] « infrastructures », la formation estime qu’il confirme que le Canada se penche sur la question. L’estimation des coûts indique 38,4 millions de dollars au titre des infrastructures. Cependant, étant donné que le principe de Jordan s’applique à l’échelle nationale, cette estimation pourrait très bien s’avérer insuffisante. Les besoins réels doivent servir de base au financement, et non l’inverse. Un changement s’impose.

[269] Toutefois, la formation estime qu’il faut agir à ce moment‑ci pour veiller à ce que les besoins des enfants et des familles des Premières Nations en matière de services soient comblés. Au moment de la présente décision sur requête, selon le site Web de SAC, plus de 1,15 million de services ont été approuvés en vertu du principe de Jordan depuis les décisions sur requête de 2016 du Tribunal. Dans son témoignage du 7 mai 2019, Mme Gideon a déclaré que la forte augmentation du nombre de cas approuvés en vertu du principe de Jordan pour des services plus larges que les seuls services à l’enfance et à la famille a eu des répercussions importantes sur son équipe à différents égards. La formation le reconnaît, et estime qu’une période d’adaptation était tout à fait raisonnable.

[270] À ce sujet, la formation insiste sur les conclusions du Tribunal quant au principe de Jordan, reproduites plus haut, et réitère que le principe de Jordan n’est pas un mécanisme qui vise strictement les services à l’enfance et à la famille. Sa portée est beaucoup plus large et couvre tous les services offerts aux enfants des Premières Nations en vue d’atteindre l’égalité réelle. Les cas approuvés qui ne se limitent pas aux services à l’enfance et à la famille en témoignent. La formation se préoccupe moins du montant précis du financement ou des choix de politiques du Canada que du fait que les services approuvés puissent être retardés ou refusés en raison d’un manque d’immeubles adéquats pour leur prestation. Encore une fois, on ne peut pas aborder cette question de façon fragmentaire, en dissociant les services des milieux dans lesquels ils sont offerts. La formation précise qu’elle ne fait pas référence ici à la construction de grandes infrastructures comme des hôpitaux ou des routes dans les réserves.

[271] Cependant, même si deux ans et demi se sont écoulés depuis le témoignage de Mme Gideon, le Canada n’a pas pris d’engagement concret pour répondre à ces besoins en bâtiments ni de plan pour y parvenir.

[272] La Société de soutien redoute que, sans ordonnances précises, les progrès à réaliser pour répondre aux besoins des organismes de SEFPN en matière d’acquisition ou de construction d’immobilisations appuyant la prestation de services des SEFPN —besoins qui n’ont pas été comblés par l’entremise du Programme des SEFPN depuis 1991, et qui constituent un élément appelant des mesures de réparation immédiates — soient toujours entravés par des « discussions » et des « demandes de renseignements ». Plus important encore, l’exécution efficace des ordonnances du Tribunal relatives à la prestation de services de prévention aux collectivités s’en trouve compromise, car en l’absence de bâtiments convenables pour héberger ces services de prévention, il sera difficile, voire impossible de les fournir. Compte tenu de la lenteur des progrès réalisés par le Canada dans la mise en œuvre des mesures de réparation immédiates à la suite de la décision du 26 janvier 2016, les acquisitions ou les constructions d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN devraient progresser parallèlement à la réforme à long terme, sans qu’il faille attendre que celle-ci soit pleinement achevée.

[273] La formation estime qu’une ordonnance prévoyant l’exigence de garantir des immeubles adéquats aux fins de l’application du principe de Jordan pourrait apporter des précisions à SAC et l’aider à cet égard. En outre, le Canada doit dûment consulter les parties et les Premières Nations et préparer, dans un délai raisonnable, un plan comportant des cibles et des échéances précises pour assurer l’exécution adéquate des ordonnances et des services relatifs au principe de Jordan.

[274] Les arguments généraux formulés par le Canada sur l’acquisition ou la construction d’immobilisations étaient axés en grande partie sur le Programme des SEFPN et n’abordaient pas séparément le principe de Jordan. Cependant, il ressort clairement des observations de la Société de soutien et de l’APN que la question de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations pour offrir des services en vertu du principe de Jordan fait partie de la présente requête. La Commission l’a aussi compris et a présenté des observations en ce sens. Celle-ci soutient que le financement au titre du principe de Jordan ne prévoyait pas d’autorisations relatives aux dépenses d’immobilisations pour garantir les locaux nécessaires à la prestation des services financés.

[275] La plupart des arguments du Canada ont déjà été examinés dans nos motifs ci-dessus, et ces motifs s’appliquent aussi à la question qui nous occupe. Dans la présente section, les parties des motifs où il est question des éléments de preuve se rapportent précisément au principe de Jordan.

[276] Les services fournis en vertu du principe de Jordan font partie de la demande en l’espèce et ont fait l’objet de nombreuses ordonnances du Tribunal dans le cadre de la présente instance. Les services fournis en vertu du principe de Jordan font partie de la demande en l’espèce et ont fait l’objet de nombreuses ordonnances du Tribunal dans le cadre de la présente instance. Dissocier les services des exigences provinciales en matière de locaux sécuritaires et confidentiels pour offrir les services équivaudrait à de la discrimination. Cette situation perpétuerait aussi les interruptions, les refus et les retards dans la prestation de nombreux services qui ne peuvent être offerts qu’à l’intérieur de bâtiments. Autrement dit, refuser de financer des locaux sécuritaires, confidentiels et culturellement adaptés respectant les exigences provinciales équivaudrait à refuser des services autrement autorisés en vertu du principe de Jordan.

[277] Dès 2016, dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a constaté qu’il existait des différends entre les ministères fédéraux offrant des programmes aux enfants et aux familles des Premières Nations. Ces différends sont l’un des meilleurs exemples du manque de coordination constaté entre les programmes fédéraux et de la priorité accordée aux considérations financières plutôt qu’à l’égalité réelle, qui tient compte des besoins réels des enfants et des familles concernés.

[278] De plus, le Tribunal a déjà conclu que la réaffectation des fonds attribués au logement pour financer le Programme des SEFPN avait des conséquences négatives sur les enfants et les familles des Premières Nations. Encore une fois, cela illustre la déconnexion qui se crée lorsque le Canada choisit de répartir ses programmes dans différents ministères sans avoir une vue d’ensemble des besoins réels des collectivités qu’il sert. Le Tribunal a conclu que cette façon de fonctionner créait des interruptions, des délais et des refus pour les enfants et les familles des Premières Nations, ce qui équivalait à de la discrimination systémique causant des préjudices et des répercussions négatives. Le principe de Jordan n’est pas un programme. Il ne se limite pas au Programme des SEFPN. Le principe de Jordan influe également sur d’autres programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux. Il fait également en sorte que la position constitutionnelle et l’histoire uniques des enfants des Premières Nations soient prises en compte dans tous les services qui les concernent. Aucun autre enfant au Canada n’est confronté à cette « bataille de champs de compétence ». Seuls les enfants inuits, métis et des Premières Nations subissent cette épreuve en raison de leur race ou de leur origine nationale. En l’espèce, nous nous concentrons sur les enfants des Premières Nations.

[279] Faire valoir qu’il faut envisager d’autres programmes comme argument pour retarder ou refuser le financement de l’acquisition ou de la construction d’immeubles ne tient pas la route. Le Canada devrait examiner les besoins et les demandes d’immobilisations propres aux Premières Nations au moment où ces demandes sont présentées, et non après que toutes les Premières Nations ont été consultées et ont donné leur point de vue, car cela est injuste pour les Premières Nations qui ont des besoins pressants et qui sont prêtes à aller de l’avant.

[280] En ce qui concerne le principe de Jordan, le Canada devrait présenter une vision globale de la façon dont il répondra aux besoins et éliminera les obstacles, surtout si ces obstacles découlent de la division administrative des programmes fédéraux. Si l’acquisition ou la construction d’un immeuble peut permettre d’héberger des services sociaux dans le cadre du programme des SEFPN, ou encore des services en vertu du principe de Jordan ou un programme d’intervention auprès de la petite enfance, entre autres, ce sera l’idéal. Mais seulement lorsque c’est possible. En fin de compte, ce sont les organismes des SEFPN et les collectivités des Premières Nations qui décident de leur plan à cet égard.

[281] Le Canada s’est vu ordonner de mettre fin à ses pratiques discriminatoires, y compris celle-ci. Les nombreux arguments faisant référence à d’autres programmes fédéraux spécialisés dans les infrastructures communautaires ou aux discussions en cours ne convainquent pas le Tribunal que les besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations sont comblés.

[282] La façon dont le Canada s’organise ou organise ses ministères, ses politiques ou le montant de financement qu’il choisit n’est pas ce qui préoccupe le plus le Tribunal. Le Tribunal souscrit aux observations du Canada selon lesquelles il doit lui accorder une certaine latitude quant à ses choix. Toutefois, lorsque le Tribunal constate que ces choix se traduisent par de la discrimination systémique, il a le mandat, conféré par le législateur, non seulement de constater la discrimination, mais aussi de l’éliminer et d’empêcher qu’elle se reproduise.

[283] La formation convient avec le Canada que certains points de désaccord entre les parties ne veulent pas dire que le Canada ne se conforme pas aux ordonnances du Tribunal. Toutefois, certains points de désaccord résultant de l’interprétation étroite des ordonnances du Tribunal par le Canada perpétuent la discrimination systémique.

[284] Les éléments de preuve et d’autres renseignements établissent que l’approche actuelle du Canada n’a pas permis de remédier à la discrimination constatée et ne tient pas suffisamment compte des ordonnances du Tribunal visant à remédier à discrimination, en particulier les ordonnances « de ne pas faire » ainsi que les ordonnances concernant les mesures de réparation immédiates, l’égalité réelle et le principe de Jordan.

[285] La preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, que SAC se concentre sur des discussions, pour lesquelles aucun délai précis n’est fixé, afin de dégager des arguments pour justifier l’approbation, par le Canada, du financement en fonction des besoins réels en matière d’immobilisations pour le Programme des SEFPN, les services de prévention et le principe de Jordan. Les affidavits et les arguments du Canada appuient cette conclusion :

[traduction]

Donc, j’ai précisé qu’il serait important que le ministère comprenne l’ensemble des besoins en immobilisations pour préparer une présentation à cet égard.

[30 octobre 2018, contre-interrogatoires de Mme Isaak, à la page 57, lignes 5 à 8.]

Mme Clarke, pour la Société de soutien :

Le ministère a-t-il déployé des efforts pour trouver les collectivités qui ont un besoin urgent en bâtiments afin de déterminer si ces bâtiments sont nécessaires pour offrir des services de prévention?

Mme Isaak, pour le Canada :

Donc, simplement pour revenir aux commentaires que je faisais précédemment — je crois comprendre que cette question a été soulevée au CCPE et que nous devions travailler davantage sur ce sujet — un sondage a effectivement été lancé. Je ne parle pas d’un sondage officiel, mais d’un sondage auprès des régions pour savoir quelle était la situation des organismes dans les diverses régions, et je crois que le ministère s’employait à dresser un tableau de la situation. Je pense que tout renseignement à ce sujet serait utile pour comprendre et justifier les besoins en immobilisations.

Nous comprenons aussi, du moins d’après les renseignements préliminaires —et je pense que l’IFPD en a apporté d’autres — qu’on a mené une partie de ce sondage proprement dit et présenté certains de ces faits à —et qu’on les présentera aux parties très bientôt, je crois. Donc, je pense que le ministère est impatient de savoir à quoi ressemble ce tableau de la situation pour déterminer quelles sont les prochaines étapes.

Mme Clarke : Et pour qui devons-nous constituer un dossier?

Mme Isaak :

Le dossier nécessiterait — il nécessiterait probablement une demande de financement quelconque. Une ministre aurait probablement — serait probablement tenue de présenter un dossier à ses collègues du Cabinet. Il pourrait y avoir d’autres façons. Je — toutes ces options que je — il y a différentes façons de procéder, et je ne sais pas jusqu’à quel point toutes les options ont été explorées, mais c’est une option typique qui devra probablement être retenue.

[Page 87 | lignes 3 à 24 et page 88 | lignes 1 à 9, onglet 41 du dossier des documents.]

[286] Mme Gideon, sous-ministre adjointe principale de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuit à SAC, lorsque contre-interrogée sur son affidavit, a déclaré qu’elle parlait en son nom. Elle a indiqué que les infrastructures pouvaient être un obstacle à la prestation des services en vertu du principe de Jordan dans une collectivité et ajouté que le gouvernement s’était engagé à consacrer environ 107 millions de dollars aux ressources en santé mentale.

[287] Mme Gideon a confirmé plus tard, en parlant au « nous », que dans le cadre de la mise en œuvre du principe de Jordan, il n’y a toujours pas de financement prévu pour les demandes visant l’acquisition ou la construction d’immobilisations.

[traduction]

Mme Clarke, pour la Société de soutien : […] Et je suppose que je devrais vous demander si la raison pour laquelle vous ne pouvez pas approuver un agrandissement de salle ou des petits projets d’immobilisations pour changer de locaux, ou un crédit-bail pour financer des locaux, c’est que vous n’avez pas les autorisations voulues dans l’approbation donnée en juillet 2016?

Mme Gideon : C’est exact. Maintenant, lorsque nous construisons de nouvelles installations dans les collectivités, nous songeons — excusez‑moi — lorsqu’une occasion s’offre à nous maintenant, nous tenons compte du principe de Jordan pour ce qui est de leur planification des activités ou de l’évaluation des besoins. Nous les encourageons à le faire, parce que cela fait partie des services qu’elles offrent.

[Voir le contre-interrogatoire de Valerie Gideon le 7 mai 2019, aux pages 66 à 71].

[288] Bien qu’il s’agisse d’une mesure positive, il faut prendre d’autres mesures pour éliminer la discrimination systémique et veiller à ce que les services approuvés soient également fournis dans des locaux adéquats. Étant donné le rôle central des autorisations de programme en matière de programmes fédéraux, la formation estime que l’absence d’autorisations pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan pose problème.

[289] Par exemple, en dépit de ses efforts soutenus, Mme Gideon n’a pas réussi à obtenir l’approbation du Bureau du Conseil privé pour communiquer la décision prise par le premier ministre, et elle a indiqué que des efforts continueraient d’être déployés pour que les autorisations relatives aux services en vertu du principe de Jordan tiennent vraiment compte des ordonnances (voir l’affidavit de Lorri Warner daté du 4 mars 2020, Réunion du Comité de consultation sur la protection de l’enfance — Projet de compte rendu des décisions, 2 avril 2019, page 7 de 9, à la pièce 8).

[290] Il convient de noter que Mme Isaak, le témoin du Canada, a reconnu que le financement de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations est une préoccupation particulière pour les parties et qu’il faut lui accorder une attention spéciale.

[291] Selon Mme Isaak, l’inaction du Canada dans ce dossier est le résultat d’un manque de renseignements sur les besoins des organismes de SEFPN en matière d’acquisition ou de construction d’immobilisations, plutôt que d’une tentative du Canada d’empêcher que les besoins des organismes soient comblés :

[traduction]

[…] Donc, je ne pense pas que les discussions sur les immobilisations soient terminées. Alors, je pense que d’autres discussions sur ces questions précises pourraient être engagées.

Les commentaires que j’ai formulés au Comité de consultation portaient sur la compréhension — nous devions bien comprendre quels étaient les besoins pour les grands projets d’immobilisations. Partout au pays, nous avons dressé un tableau — entrepris d’établir un tableau de la situation réelle des organismes. Donc, qu’il s’agisse de propriété, de crédit-bail ou de location. Cela varie d’un bout à l’autre du pays.

Je crois avoir également mentionné qu’il y a des plans d’immobilisations communautaires qui entrent en ligne de compte dans la construction de bâtiments dans les collectivités. Il faudrait donc que les organismes le comprennent. L’IFPD travaillait également sur les besoins, notamment les besoins en immobilisations. Donc, il avait mis à disposition certains renseignements préliminaires, pendant que nous attendions — et je crois qu’il sera présenté bientôt — un rapport de l’IFPD, qui, nous l’espérions, fournirait des renseignements utiles.

[Voir le contre-interrogatoire de Paula Isaak daté du 30 octobre 2018, p. 56, ligne 13, à p. 57, ligne 4.]

[292] La formation croit que l’exercice mentionné plus haut a commencé, et qu’il doit être réalisé rapidement. Cela dit, la formation comprend que certains organismes de SEFPN et certaines Premières Nations n’étaient pas prêts et pourraient avoir besoin de plus de temps. Il ne faut pas mettre l’accent sur ceux qui ont besoin de plus de temps, mais plutôt sur ceux qui ont répondu et qui sont prêts à aller de l’avant. De plus, le fait d’être informés que des fonds sont disponibles pour l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services, y compris ceux découlant du principe de Jordan, peut inciter les intéressés à signaler leurs besoins à cet égard.

[293] En ce qui concerne le principe de Jordan, le Canada n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le Tribunal qu’un plan complet est en place pour éliminer adéquatement, et dans un proche avenir, les effets discriminatoires préjudiciables relevés. Par conséquent, d’autres ordonnances doivent être rendues pour veiller à ce que l’absence d’autorisations pour l’acquisition ou la construction d’immeubles destinés à la prestation des services fournis en vertu du principe de Jordan, en particulier en ce qui concerne les demandes collectives, n’entraîne pas la persistance de lacunes dans les services offerts aux enfants des Premières Nations. De plus, le manque de locaux adéquats pour les offrir constitue, de fait, un refus de ces services en vertu du principe de Jordan.

[294] La formation comprend l’avantage de combiner les locaux dans les réserves pour offrir différents services aux enfants et aux familles des Premières Nations dans le cadre de différents programmes et du principe de Jordan et la nécessité de suivre les processus juridiques appropriés avant l’acquisition et la construction. Elle reconnaît également que d’autres ministères ont l’expertise nécessaire pour offrir leur assistance à cet égard et qu’aucune acquisition ni aucune construction ne peut avoir lieu sans l’accord des Premières Nations. La formation ne remet pas non plus en question le processus légal auquel SAC recourt pour obtenir de nouvelles autorisations et respecter les exigences juridiques, dans la mesure où cela ne crée pas de retards, de lacunes ou de refus qui perpétuent la discrimination à laquelle le Canada s’est vu ordonner de mettre fin.

[295] Aucune de ces considérations n’empêche le Canada de financer l’acquisition ou la construction d’immobilisations pour les organismes de SEFPN et les collectivités des Premières Nations qui sont prêts à aller de l’avant. La Loi oblige le Canada à mettre fin à la discrimination systémique et à offrir un financement suffisant et durable pour les services en vertu du principe de Jordan, ce qui comprend des locaux adéquats pour offrir ces services dans les réserves.

[296] Le problème se pose lorsque le Canada ne tient pas suffisamment compte de la discrimination systémique relevée, et qu’il impose unilatéralement des retards aux organismes et aux collectivités des Premières Nations qui sont prêts à procéder à une étude de faisabilité ou à l’acquisition ou à la construction d’immeubles pour offrir des services aux enfants et aux familles dans le cadre du Programme des SEFPN et en vertu du principe de Jordan, au motif que SAC prépare un dossier pour obtenir du financement et des autorisations.

[297] En 2016, le Canada a été tenu responsable de la discrimination systémique et le Tribunal lui a ordonné d’y mettre fin. De nombreuses ordonnances relatives au principe de Jordan ont été rendues et ont permis aux enfants des Premières Nations d’avoir droit à un accès élargi aux services. La définition large incluse dans les ordonnances du Tribunal permet un élargissement des services, ce qui entraîne le besoin en locaux adéquats pour soutenir la prestation. Un tel élargissement de l’accès est inefficace s’il n’y a pas suffisamment de fonds pour offrir ces services dans les réserves. La formation reconnaît que le Canada approuve des centaines de milliers de cas, et elle se réjouit de ces résultats. Toutefois, les approbations sont inutiles si les services ne peuvent pas être fournis. La formation n’est pas d’avis que dans la majorité des cas, les demandes de service sont seulement approuvées, sans que les services soient fournis. Cependant, lorsqu’il y a un manque de financement de locaux adéquats pour la prestation de ces services, ceux-ci ne peuvent pas être fournis, et il en résulte des retards et des refus de services, ce que les ordonnances du Tribunal visent précisément à prévenir et à corriger.

[298] En tout respect, la formation précise que le besoin de disposer de suffisamment d’espaces à bureaux pour offrir des services est si étroitement lié à la prestation réelle des services, et il va à ce point de soi, que la formation n’a pas envisagé la nécessité de rendre des ordonnances à cet égard à l’époque. Bien qu’il y ait clairement eu une période d’adaptation à l’important afflux de nouveaux cas à la suite des ordonnances de 2017, nous sommes maintenant à la fin de 2021. Le Canada soutient continuellement qu’il devrait avoir la latitude nécessaire pour se conformer aux exigences visant à remédier à la discrimination systémique. Il s’agit ici d’un exemple clair de situation où une trop grande latitude risque de perpétuer les retards inutiles qui entraînent une discrimination systémique. De plus, le manque de financement adéquat pour des bâtiments permettant d’offrir des services dans les réserves constitue un refus qui contrevient aux ordonnances du Tribunal relatives au principe de Jordan.

[299] Étant donné que le principe de Jordan s’applique dans les réserves et hors réserve, il faut comprendre de quels locaux provinciaux, territoriaux et fédéraux l’on dispose pour offrir ces services aux enfants des Premières Nations hors réserve. Des études à ce sujet pourraient permettre de déterminer les locaux ou l’absence de locaux qui relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral, de la province ou du territoire ou qui sont une responsabilité partagée. En d’autres termes, même si les conflits de compétence ne sauraient retarder la prestation de services aux enfants et qu’en conséquence, tout conflit doive être réglé par la suite, l’acquisition ou la construction d’immeubles est une exception. De plus, d’autres exigences légales s’appliquent à l’acquisition et à la construction hors réserve.

[300] Cette remarque répond aussi à l’argument du Canada selon lequel les Modalités du programme des SEFPN ne lui permettent pas actuellement de financer l’infrastructure hors réserve. La Direction générale des infrastructures communautaires serait selon lui en meilleure position pour fournir de tels services. Or quel que soit le programme de financement retenu, surtout compte tenu de la nature même du principe de Jordan, cet argument n’est pas convaincant.

[301] Cela dit, la formation n’envisage pas que le Canada finance des bâtiments qui ne relèvent pas de sa responsabilité. Des études ou des évaluations réalisées en temps opportun pourraient être utiles à cet égard.

[302] Bien que la formation reconnaisse que le Canada doit discuter avec les collectivités des Premières Nations de leurs plans et priorités, et que le processus est en cours, des mesures immédiates peuvent être prises maintenant, c’est-à-dire plus de cinq ans après la Décision sur le bien-fondé, et quatre ans après l’afflux massif de cas approuvés en vertu du principe de Jordan à la suite des décisions sur requête de 2017.

[303] Comme la formation l’a conclu au paragraphe 303 de sa décision sur requête 2018 TCDP 4 concernant la réparation immédiate :

La formation tient à préciser que des discussions sans plan détaillé sans délais précis y attachés, peuvent durer très longtemps. Il est préoccupant pour nous d’entendre ce genre d’arguments. De plus, comme il a déjà été indiqué dans la Décision [sur le bien-fondé], il faut éviter de recourir à une approche fragmentée.

[voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 303.]

[304] Compte tenu de cette préoccupation, la formation estime qu’un moyen que peut utiliser le Canada pour démontrer qu’il est en bonne voie de se conformer aux ordonnances du Tribunal serait d’engager rapidement des consultations en bonne et due forme sur les besoins des organismes de SEFPN et des collectivités des Premières Nations, y compris auprès des parties en l’espèce, et de préparer un plan comportant des cibles et des échéances précises pour achever ces consultations. Selon la formation, le Canada devrait être en mesure de communiquer ce plan dans les trois mois suivant la date des présents motifs, ou selon le délai convenu par les parties. Pour être approprié, le plan devrait être très détaillé et comporter des étapes et des objectifs clairs. Grâce à ces détails, le plan démontrerait de quelle façon le Canada tient compte des ordonnances du Tribunal, notamment celles concernant le manque de coordination entre les programmes fédéraux touchant les enfants des Premières Nations, l’égalité réelle, les difficultés à surmonter et les solutions envisagées.

[305] La formation conclut, en se fondant sur les motifs qui précèdent, qu’en ce qui a trait à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations en vertu du principe de Jordan, le Canada ne met pas en œuvre une approche de financement qui remédie totalement à la discrimination relevée par le Tribunal. Par conséquent, la formation rend les ordonnances suivantes :

Ordonnances

En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne au Canada ce qui suit :

Financer, sur la base des coûts réels, tous les organismes de SEFPN, y compris les organismes de petite taille ou les Premières Nations, pour l’acquisition d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et informer par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.

Quant à la construction d’immobilisations, le Tribunal ordonne au Canada de financer les coûts réels des projets qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, pour les Premières Nations et les organismes de SEFPN qui sont prêts à aller de l’avant en les informant par écrit, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.

Fournir, en consultation avec le CCPE, du financement aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations pour qu’ils puissent réaliser des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan dans les réserves, ainsi qu’au Yukon et hors réserve, le cas échéant.

Fournir, en consultation avec les Chefs de l’Ontario et la NNA, du financement aux Premières Nations et aux organismes de SEFPN pour qu’ils puissent effectuer des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan dans les réserves et hors réserve, le cas échéant, en application du principe de Jordan en Ontario.

*Les précédentes ordonnances reconnaissent les droits inhérents des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale, et que le Tribunal ne peut obliger les Premières Nations qui ne sont pas parties à l’instance à agir de quelque manière que ce soit. Ces ordonnances reconnaissent que des processus complexes doivent être suivis avant que l’on ne soit prêt à procéder à la construction d’immobilisations dans les réserves, et que cela ne peut être réalisé unilatéralement par les organismes de SEFPN, par le Canada ou en vertu d’une ordonnance du Tribunal. Par conséquent, les ordonnances relatives à l’acquisition et à la construction ci-dessus ne visent que les projets qui sont prêts à aller de l’avant.

V. Observations supplémentaires des parties concernant la Loi sur la gestion des finances publiques

[306] Comme il a été mentionné, la formation a demandé des observations supplémentaires sur la Loi sur la gestion des finances publiques, compte tenu des brèves références que les parties y ont faites dans leurs observations en lien avec les grands projets d’immobilisations. En particulier, la formation a demandé aux parties de préciser si la Loi sur la gestion des finances publiques ou les politiques connexes imposaient une limite empêchant l’exécution efficace des ordonnances du Tribunal. Bien que cette question ait été soulevée dans le cadre des observations sur les grands projets d’immobilisations, les observations subséquentes des parties ne se limitaient pas à ce contexte.

A. La Société de soutien

[307] La Société de soutien fait valoir que le rôle de la Loi sur la gestion des finances publiques a été abordé dans la décision sur requête 2018 TCDP 4. Plus précisément, le Tribunal avait déclaré que, même s’il ne rédigerait pas de politiques, ne ferait pas de choix entre plusieurs politiques ou ne se lancerait pas inutilement dans les détails d’une réforme, il interviendrait lorsque les choix politiques du Canada instaurent de la discrimination de la même façon que celle indiquée dans la Décision sur le bien-fondé (2018 TCDP 4, aux par. 48 et 54).

[308] La Société de soutien indique que le Canada a soulevé la question du rôle de la Loi sur la gestion des finances publiques à plusieurs reprises après la Décision sur le bien-fondé. La Société de soutien ajoute que la question a été réglée dans les décisions sur requête 2018 TCDP 4 et 2020 TCDP 24. Elle soutient que la position du Canada, selon laquelle les ordonnances du Tribunal qui traitent en particulier du contenu de la politique, empiètent sur le rôle de l’organe législatif est une tentative de remettre en litige des questions qui ont déjà été tranchées.

[309] La Société de soutien fait valoir que la Loi sur la gestion des finances publiques et les politiques connexes ne nuisent pas à la mise en œuvre des réparations. C’est plutôt la mentalité des personnes chargées de mettre en œuvre de telles politiques qui entrave la capacité de réaliser une réforme pour remédier aux pratiques discriminatoires. Il faudra pour ce faire un plan de mesures de reddition de comptes efficaces et indépendantes à long terme pour empêcher que la discrimination ne se reproduise.

[310] La Société de soutien estime que les processus que suit le Canada pour exécuter les ordonnances du Tribunal exigent une volonté politique. En particulier, les fonctionnaires de SAC et des organismes centraux doivent soutenir l’affectation des fonds du programme. De plus, la proposition doit être appuyée par la ministre des Services aux Autochtones, la ministre des Finances, le Conseil du Trésor et le premier ministre. La Société de soutien affirme que les fonctionnaires n’ont pas toujours proposé des réformes de politiques appropriées, en citant comme exemple le fait que SAC n’a pas proposé de modifications à la définition du principe de Jordan pendant l’audience sur le bien-fondé. De même, pour ce qui est des réparations immédiates, les fonctionnaires ont présenté des propositions de financement pour le Budget de 2016, mais pas à plus long terme. À des fins d’efficacité, le Tribunal doit veiller à ce que des personnes autres que des fonctionnaires de SAC soient tenues de rendre compte de l’exécution de ses ordonnances.

[311] La Société de soutien affirme que le processus de financement prévu dans la Loi sur la gestion des finances publiques appuie la « vieille mentalité » qui favorise le processus plutôt que le contenu. Cette mentalité, par exemple, met davantage l’accent sur les Modalités du Programme des SEFPN que sur les ordonnances du Tribunal. De même, le Canada reporte souvent les problèmes plutôt que de les résoudre. Aucun mécanisme n’est proposé pour régler les différends futurs au sujet de l’exécution des ordonnances du Tribunal, outre le fait de revenir devant le Tribunal. La Société de soutien maintient qu’une surveillance continue de l’exécution des ordonnances du Tribunal est nécessaire.

B. Chefs de l’Ontario

[312] Les Chefs de l’Ontario souscrivent aux observations de la Société de soutien selon lesquelles la Loi sur la gestion des finances publiques et les politiques connexes ne constituent pas en soi un obstacle à l’exécution des ordonnances du Tribunal. Ils soulèvent en outre quelques points supplémentaires.

[313] Les Chefs de l’Ontario acceptent les observations du Canada sur le lien entre la Loi sur la gestion des finances publiques et la LCDP, y compris en ce qui a trait à la primauté de la LCDP et au processus relatif aux dépenses publiques.

[314] Les Chefs de l’Ontario s’appuient sur les éléments de preuve indiquant qu’il peut être nécessaire de demander de nouvelles autorisations de dépenser si les ordonnances du Tribunal ne peuvent être respectées dans les limites des autorisations existantes. Les Chefs de l’Ontario font aussi remarquer que les parties sont parfois en désaccord avec le Canada sur la question de savoir s’il se conforme aux ordonnances du Tribunal. Les Chefs de l’Ontario indiquent que l’aide apportée par la formation dans le règlement de tels différends est efficace. En fin de compte, les ordonnances du Tribunal seront mieux exécutées au moyen d’une réforme à long terme réalisée le plus tôt possible grâce à des de négociations de bonne foi.

C. Assemblée des Premières Nations

[315] L’APN indique que rien dans la Loi sur la gestion des finances publiques ou les politiques connexes n’entrave l’exécution des ordonnances du Tribunal. Tout obstacle est le résultat d’un manque de volonté bureaucratique ou politique. Le Canada est tenu d’exécuter les ordonnances, et il ne peut tenter de rouvrir les débats à leur sujet en affirmant que l’exécution de la réforme des programmes relève des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement.

[316] L’APN passe en revue le processus d’obtention de financement pour SAC et les programmes en cause. L’APN reconnaît la position du Canada selon laquelle les ordonnances du Tribunal sont compatibles avec la Loi sur la gestion des finances publiques, mais elle n’est pas d’accord avec lui lorsqu’il laisse entendre que la Loi sur la gestion des finances publiques limite la capacité du Tribunal d’ordonner une réforme des programmes. L’APN affirme que le Tribunal a déjà traité cette question dans les décisions sur requête 2018 TCDP 4, aux paragraphes 32 et 33, et 2020 TCDP 24, aux paragraphes 37 et 38. Elle soutient en outre que les alinéas 53(2)a) et b) confèrent de vastes pouvoirs de réparation au Tribunal. La LCDP est une loi quasi constitutionnelle qui, en cas de conflit avec d’autres lois ou politiques, prévaut.

D. Nation Nishnawbe-Aski

[317] La NNA soutient que le Canada a permis que la Loi sur la gestion des finances publiques et les politiques connexes fassent obstacle à la réforme des programmes.

[318] La NNA revient sur les conclusions antérieures du Tribunal concernant la nature quasi constitutionnelle de la LCDP (voir p. ex. la Décision sur le bien-fondé, au par. 43, et la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 28), et soutient que le Canada doit affecter les ressources d’une manière conforme à la LCDP (Décision sur le bien-fondé, aux par. 42 et 44). Le Canada doit aussi appliquer la Loi sur la gestion des finances publiques conformément à la LCDP.

[319] La NNA soutient que la question n’est pas simplement de savoir si la Loi sur la gestion des finances publiques et les politiques connexes sont discriminatoires, mais si le Canada les applique de façon non discriminatoire. La NNA soutient que le Canada interprète les politiques de manière discriminatoire. Par exemple, il ne considérait pas que les Modalités prévoyaient le paiement des dépenses d’immobilisations pour les services de représentants de bande, mais a par la suite changé de position. Ce que le Canada aurait dû faire pour en arriver à cette conclusion, c’était de modifier les Modalités pour permettre le respect de l’ordonnance du Tribunal.

E. La Commission

[320] La Commission soutient que le régime législatif et les politiques du Canada n’entravent pas l’exécution des ordonnances du Tribunal tant que la volonté bureaucratique et politique nécessaire est présente. S’il devait y avoir un conflit, un obstacle, les mesures de réparation systémiques ciblées du Tribunal auraient priorité compte tenu de la primauté de la LCDP. Le Tribunal a déjà conclu que des mesures de réparation systémiques ciblées sont appropriées lorsque les éléments de preuve le justifient.

[321] La Commission indique que le Canada a déjà soulevé l’argument selon lequel le Tribunal devrait faire preuve de prudence dans ses ordonnances de réparation en invoquant des éléments comme la Loi sur la gestion des finances publiques, les pouvoirs du Conseil du Trésor, la capacité institutionnelle, les crédits parlementaires et l’utilisation prudente des fonds publics. Le Tribunal a déjà rejeté ces arguments.

[322] La Commission a déjà présenté des observations détaillées sur la mise en œuvre efficace des réparations systémiques. Elle en reprend ici quelques points clés. L’alinéa 53(2)a) confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire de réparation à l’égard d’un acte discriminatoire. Le Tribunal peut rendre d’autres ordonnances pour s’assurer qu’elles sont effectivement exécutées. Lorsqu’il existe plusieurs approches pour exécuter une ordonnance, le Tribunal devrait laisser le gouvernement choisir une option efficace. Lorsque des éléments de preuve démontrent que des mesures précises sont nécessaires, le Tribunal peut rendre des ordonnances plus détaillées ou ordonner des mesures de réparation systémiques ciblées. S’il y a une incompatibilité entre une réparation systémique ciblée et d’autres lois ou politiques gouvernementales, la réparation systémique ciblée doit avoir préséance en vertu de la loi quasi constitutionnelle qu’est la LCDP.

[323] La Commission soulève un certain nombre de points en réponse aux observations du Canada. La Commission n’est pas d’accord pour dire que le Tribunal appartient strictement à la branche judiciaire du gouvernement, étant donné qu’il est créé par une loi. Le pouvoir du Tribunal de rendre des décisions, notamment en ordonnant des mesures de réparation systémiques ciblées qui touchent d’autres programmes gouvernementaux, est conforme à l’intention du législateur. Les réparations du Tribunal canadien des droits de la personne aident les organes exécutif et législatif du gouvernement à mettre en œuvre la politique des droits de la personne. Et bien qu’il incombe aux organes législatif et exécutif de réformer les politiques jugées discriminatoires en l’espèce, ils ont également l’obligation d’adopter des politiques gouvernementales conformes aux ordonnances du Tribunal. La responsabilité des organes législatif et exécutif n’empêche pas le Tribunal de rendre des ordonnances.

[324] De plus, la Commission est en désaccord avec toute proposition selon laquelle l’arrêt Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14 exigerait une clause de primauté explicite pour la législation sur les droits de la personne. La Commission fait remarquer que la question n’est pas importante en l’espèce, car le Canada reconnaît que la présente affaire porte sur les services gouvernementaux plutôt que sur des dispositions législatives.

[325] La Commission soutient que la décision Canada (Procureur général) c. Green, 2000 CanLII 17146 (CF), [2000] 4 CF 629 [Green] reconnaît la primauté des mesures de réparation prévues par la LCDP sur d’autres lois. Il convient plutôt d’interpréter la décision Green comme appuyant la proposition selon laquelle le Tribunal devrait éviter d’intervenir dans l’application d’autres lois lorsque des moyens moins rigoureux permettent tout autant d’atteindre l’objectif de réparation.

[326] La Commission ne croit pas qu’il soit approprié d’aborder la nature des ordonnances à long terme à ce stade‑ci. Toutefois, dans la mesure où le Canada soutient que des dépenses illimitées fondées sur des coûts réels lui imposent des difficultés financières, il est tenu de présenter des éléments de preuve plus précis et plus concrets à l’appui des allégations de contrainte excessive en vertu de l’alinéa 15(1)g) et de l’article 15(2) de la LCDP.

F. Le Canada

[327] Le Canada soutient que la Loi sur la gestion des finances publiques et les politiques du Conseil du Trésor du Canada appuient l’exécution efficace des ordonnances du Tribunal. Ces textes faisant autorité garantissent que les fonds publics soient dépensés d’une manière conforme à la Constitution. De façon plus générale, le Tribunal devrait accorder au Canada la latitude nécessaire pour s’attaquer à la discrimination systémique d’une manière qui cadre avec ses obligations en matière de dépenses publiques.

[328] La question de savoir quel texte de loi a la primauté sur l’autre entre la Loi sur la gestion des finances publiques et la LCDP ne se pose pas, car le Canada s’est conformé à la fois aux ordonnances du Tribunal, à la Loi sur la gestion des finances publiques et aux politiques du Conseil du Trésor. Le Canada invoque la Loi sur la gestion des finances publiques pour souligner que, bien que le Tribunal ait un vaste pouvoir discrétionnaire quant à l’élaboration d’ordonnances de réparation, le Canada conserve un pouvoir discrétionnaire quant à la façon dont il corrigera la discrimination relevée. L’obligation de se conformer aux procédures appropriées, y compris la Loi sur la gestion des finances publiques, pour dépenser des fonds illustre la raison pour laquelle le Canada devrait avoir la latitude nécessaire pour élaborer des politiques visant à mettre fin aux pratiques discriminatoires relevées.

[329] La Loi constitutionnelle de 1867 établit le cadre pour la perception et l’affectation des fonds publics. La Loi sur la gestion des finances publiques précise ces obligations, et elle lie les fonctionnaires. Elle reflète la suprématie parlementaire et remplit l’obligation constitutionnelle de tenir l’exécutif responsable devant le Parlement de son utilisation des fonds.

[330] Le Canada soutient qu’aucune question de primauté ne se pose en l’espèce. Bien qu’il soit possible que la LCDP prévale sur la Loi sur la gestion des finances publiques, il n’est pas nécessaire d’effectuer cette analyse, puisqu’il n’y a pas de conflit réel en l’espèce. Le Canada fait remarquer que des affaires qui portaient sur la primauté de la législation sur les droits de la personne, comme Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, 1982 CanLII 27 (CSC), [1982] 2 RCS 145, et Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, 1985 CanLII 48 (CSC), [1985] 2 RCS 150, ne concernaient aucune contestation directe de la loi. Bien que l’arrêt Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, avait trait à une contestation directe de la loi, la loi ontarienne dans cette affaire comportait une disposition de primauté claire qui ne figure pas dans la LCDP.

[331] Le Canada ne soutient pas que la Loi sur la gestion des finances publiques supplante la LCDP, et il n’est pas d’accord avec le Tribunal en ce qui concerne ses décisions antérieures qui donnent à penser qu’il formule cette affirmation. Le Canada soutient plutôt que le Tribunal devrait lui accorder le pouvoir discrétionnaire approprié quant à la façon dont il choisit de corriger les pratiques discriminatoires relevées par le Tribunal. C’est particulièrement le cas des réparations systémiques comportant une vaste réforme des politiques.

[332] La réforme à apporter aux programmes en cause en l’espèce de manière à empêcher la discrimination relève des organes exécutif et législatif du gouvernement. Ces pouvoirs du gouvernement sont les mieux placés pour veiller à ce que toutes les obligations légales du Canada soient respectées, ce qui comprend une surveillance appropriée des dépenses publiques. Les ordonnances du Tribunal qui orientent expressément le contenu de la politique enfreignent le principe de la séparation des pouvoirs. Le Canada a démontré sa capacité de suivre les processus concernés en promulguant la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

[333] L’impératif de respecter la capacité du Canada de formuler des réponses politiques appropriées est confirmé par les arrêts CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62; et la décision Canada (Procureur général). c. Green, 2000 CanLII 17146 (CF), [2000] 4 CF 629. Le pouvoir du Tribunal d’ordonner la mise en œuvre, l’examen ou la modification de la politique ne devrait pas aller jusqu’à en dicter le contenu. Le Tribunal ne devrait pas non plus ordonner que des fonds particuliers soient dépensés de certaines manières, selon des montants précis.

[334] L’affaire Swan c. Forces armées canadiennes, 1994 CanLII 10252 (TCDP) se distingue de la présente par le fait qu’un projet de politique avait été déposé devant le Tribunal. Par exemple, pour le Tribunal, ce serait empiéter indûment sur le processus d’élaboration des politiques que de rendre une ordonnance définitive selon laquelle le financement doit être fondé sur les coûts réels. L’ordonnance obligerait le Canada à instaurer une pratique dont les coûts sont illimités. Une telle obligation entrave la capacité du Canada de prévoir ses dépenses, d’établir des priorités et d’obtenir des crédits du Parlement conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques. Cette situation empiéterait sur les responsabilités de l’organe législatif à l’égard du contenu des politiques.

VI. Analyse de la Loi sur la gestion des finances publiques

[335] L’analyse de la Loi sur la gestion des finances publiques est étroitement liée au raisonnement sur la séparation des pouvoirs. Le Tribunal a exposé son raisonnement initial dans la lettre de décision. Comme promis, il fournit maintenant des motifs plus détaillés.

[336] La question en litige en l’espèce n’est pas une contestation de la Loi sur la gestion des finances publiques, comme dans les décisions Matson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2013 TCDP 13 [Matson] et Andrews c. Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2013 TCDP 21 [Andrews]. La formation n’essaie pas de limiter l’objet ou l’application de la Loi sur la gestion des finances publiques dans le cadre de la présente décision sur requête. La question posée par la formation découle d’un besoin d’éclaircissements, compte tenu des arguments répétés du Canada fondés sur la question de la séparation des pouvoirs et la Loi sur la gestion des finances publiques.

[337] De plus, la question de la formation visait à déterminer si le Canada, en exécutant les ordonnances du Tribunal tout en se conformant à la Loi sur la gestion des finances publiques, exerce son pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques pour faciliter l’exécution des ordonnances du Tribunal ou s’il l’interprète d’une manière qui entrave le rôle quasi judiciaire de la formation conféré par la LCDP. De plus, la LCDP est quasi constitutionnelle et atteint l’objectif primordial du Parlement en matière de droits de la personne au Canada (voir l’article 2 de la LCDP).

[338] La responsabilité du Canada a été établie, et le Canada a accepté les ordonnances visant à mettre fin aux pratiques discriminatoires. Les conclusions du Tribunal ont traité en détail des autorisations du Programme des SEFPN dans la Décision sur le bien-fondé. Les autorisations du Programme des SEFPN faisaient partie des ordonnances de réforme du Tribunal.

[339] De plus, la Loi sur la gestion des finances publiques s’applique au Canada, et la formation accepte l’affirmation du Canada selon laquelle l’administration et la gestion des fonds publics sont encadrées par cette loi, qui est utilisée par tous les ministères du gouvernement du Canada. [traduction] « Dans l’exercice de leurs fonctions, les fonctionnaires doivent être guidés par cette loi et ses politiques d’application. » (Affidavit de Paul Thoppil daté du 16 avril 2019, au par. 6).

[340] Le déposant du Canada, M. Thoppil, a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le financement du programme est initialement approuvé par le gouvernement dans le cadre du processus du budget fédéral, puis approuvé par le Conseil du Trésor. Les crédits de financement ministériels sont fournis aux ministères chaque année dans le cadre du processus budgétaire, et sont votés par le Parlement. Le budget principal des dépenses décrit les dépenses des ministères, des organismes et des programmes et renferme le libellé proposé des conditions régissant les dépenses qu’on demande au Parlement d’autoriser.

[Affidavit de Paul Thoppil daté du 16 avril 2019, au par. 7, non souligné dans l’original.]

Les budgets de SAC sont établis en fonction des besoins prévus, qui sont normalement établis selon les tendances historiques et les prévisions. Afin d’aider la haute direction du Ministère à s’acquitter de ses responsabilités conformément à la LGFP et aux politiques connexes (comme le Cadre de responsabilisation de gestion), SAC surveille en permanence la demande de programmes et établit des projections à cet égard afin de répondre aux besoins de financement des programmes et aux obligations légales.

[Affidavit de Paul Thoppil daté du 16 avril 2019, au par. 8, non souligné dans l’original.]

[341] Au sujet de cette question, la formation accepte le témoignage de M. Thoppil reproduit ci-dessus, mais elle estime que les éléments de preuve, dont le témoignage mentionné plus haut, démontrent que l’interprétation faite par le Canada du processus de financement en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques appuie l’ancienne mentalité qui favorise le processus plutôt que le contenu (voir l’exemple de l’événement tragique de Wapekeka décrit plus haut). Cette mentalité accorde souvent plus d’importance aux autorisations et aux Modalités du Programme des SEFPN qu’aux ordonnances du Tribunal. Rétrospectivement, compte tenu des éléments de preuve produits dans la présente instance au cours de la dernière décennie, il s’agit de l’un des principaux problèmes qui appellent un changement.

[342] En 2018, au moment où le Canada déclarait que la situation de la protection de l’enfance dans les réserves était une crise humanitaire, la formation a rendu une décision sur requête et a tiré des conclusions semblables, une décision que le Canada a acceptée et à laquelle il s’est engagé à se conformer entièrement :

Le Canada a fait un pas dans la bonne direction en haussant dans son budget les fonds alloués aux services de prévention. Cependant, il a également admis qu’il avait laissé quelques éléments des ordonnances de réparations immédiates à régler à moyen terme et à long terme, créant une fois de plus une réponse fragmentée aux conclusions, ainsi qu’aux ordonnances, de la Décision (voir Gillespie Reporting Services, transcription du contre-interrogatoire de Cassandra Lang, Ottawa, vol. I, à la p. 112, lignes 19-25 [Transcription du contre-interrogatoire de Mme Lang]).

[Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 151.]

Le Canada admet qu’il lui manque des données pour répondre à certaines des ordonnances de réparations immédiates que la formation a rendues, et il a donc unilatéralement décidé qu’il était préférable de les mettre en œuvre à moyen terme ou à long terme et ce, sans demander l’autorisation du Tribunal. Il a traité certaines des ordonnances comme des recommandations, plutôt que comme des ordonnances.

[Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 171.]

Bien qu’il soit vrai que le Canada doive travailler avec ses partenaires, ce qui inclut les provinces, les Nations et les parties, cela ne peut pas servir d’excuse pour éviter d’allouer de fonds suffisants afin d’éliminer les aspects les plus discriminatoires du Programme national des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN).

[Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 172]

[343] Comme nous l’avons expliqué plus tôt, certains employés bien intentionnés de SAC ont tenté différentes stratégies pour éviter d’avoir à demander de nouvelles autorisations dans chaque cas, mais cela n’est pas toujours possible. De plus, l’obtention de nouvelles autorisations de financement et modalités et d’un nouveau financement ne devrait pas poser problème lorsque le Canada en fait une priorité et qu’il est en mesure de démontrer la nécessité d’éliminer la discrimination raciale systémique à l’égard des enfants et des familles des Premières Nations et de se conformer aux ordonnances légales du Tribunal.

[344] La Décision sur le bien-fondé a conclu à une discrimination raciale systémique à l’égard des enfants. La Décision sur le bien-fondé était détaillée et fournissait une feuille de route indiquant ce qui devait être éliminé pour mettre fin à la discrimination systémique. Cette décision non contestée et les décisions sur requête subséquentes ne sont pas des recommandations. Elles sont juridiquement contraignantes. Tout processus de financement doit être conforme aux ordonnances existantes.

[345] Le Tribunal fait fond sur les nombreuses conclusions concernant le sous-financement, les effets préjudiciables et la discrimination systémique qu’elle a tirées dans des décisions sur requête antérieures. La formation est aussi préoccupée par le fait que le Canada se concentre sur le fait que les budgets sont déterminés en fonction des besoins prévus établis selon des tendances historiques et des prévisions. Le Programme des SEFPN a été jugé discriminatoire parce qu’il ne répondait pas aux besoins réels des enfants et des familles desservis par le Programme des SEFPN. Les hypothèses erronées dans les prévisions ont été un facteur qui a mené au sous-financement dans le passé et à la discrimination systémique qui a eu de nombreuses répercussions négatives sur les enfants des Premières Nations. Le processus en soi a contribué à la discrimination systémique constatée, et ce processus doit être réformé (voir la Décision sur le bien-fondé, aux par. 388 à 392). Le Canada doit analyser son interprétation et son processus et voir comment les améliorer dans le cadre de la réforme ordonnée.

[346] Toutefois, la Loi sur la gestion des finances publiques n’est pas en soi la question en litige en l’espèce, car la formation ne conteste pas son objet ni son application. La question est plutôt de savoir si l’interprétation que le Canada fait du processus régi par la Loi sur la gestion des finances publiques élimine adéquatement la discrimination systémique constatée. La formation estime que ce n’est pas le cas.

[347] Il est absolument nécessaire de changer de mentalité quant à la façon dont les choses sont faites. C’est ce que signifie la réforme. Si les tendances et les prévisions sont basées sur les pratiques discriminatoires passées, les effets néfastes et les préjudices ne seront pas éliminés. La formation reconnaît que le Canada a fait des efforts pour changer cette mentalité sur quelques plans afin de se conformer à certaines ordonnances du Tribunal. La question est de savoir si les arguments du Canada visent à revenir à ses anciennes façons de faire lorsqu’il affirme que des ordonnances sur les coûts réels ne peuvent être rendues à long terme ou de façon permanente. La formation entendra toutes les parties sur cette question dans le cadre de l’étape de la réforme à long terme, à moins qu’elles ne parviennent à la solution idéale pour régler la question.

[348] De plus, il est important d’examiner les faits. Il a été conclu que le Programme des SEFPN était sous-financé, qu’il ne répondait pas aux besoins réels des enfants, qu’il encourageait le retrait des enfants de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités — ce qui contribuait à l’effritement des Nations —, que les ministères n’étaient pas coordonnés entre eux, et qu’ils causaient des lacunes et des retards. Ces conclusions ne sont pas contestées et ne sont pas sujettes à débat. Le Canada s’est vu ordonner d’éliminer les problèmes mentionnés ci-dessus et, pour ce faire, il ne peut pratiquer un sous-financement ou choisir d’autres politiques discriminatoires. Si le Canada dispose d’un nouveau mécanisme de financement à long terme, il doit démontrer que celui-ci s’attaque à la discrimination systémique globale constatée, qu’il est plus avantageux que les ordonnances de réparation immédiate et qu’il s’avère adéquat, culturellement approprié, durable et fondé sur les besoins particuliers des enfants, des familles et des Nations.

[349] La formation convient que la séparation des pouvoirs doit être respectée. Toutefois, c’est l’interprétation qu’en fait le Canada qu’elle a rejetée dans la décision sur requête 2018 TCDP 4. La formation s’est penchée sur des affaires comme Action Travail des Femmes, Doucet-Boudreau dans des décisions sur requête antérieures.

[350] De plus, la formation est d’accord avec le Canada pour dire que, dans la décision Canada (Procureur général) c. Green, 2000 CanLII 17146 (CF), [2000] 4 CF 629, la Cour fédérale a reconnu le vaste pouvoir discrétionnaire du Tribunal d’élaborer des réparations dans les limites prescrites. La Cour a conclu que dans l’exercice de son pouvoir de remédier à la discrimination, le Tribunal n’avait pas compétence pour ordonner la destruction de documents, car cela contrevenait au paragraphe 5(1) de la Loi sur les archives nationales du Canada, LRC 1985, c 1 (3e supp). La Cour a reconnu l’importance de la réparation que le Tribunal voulait obtenir, mais a conclu implicitement qu’il n’y avait pas d’incompatibilité, et donc pas de raison de déroger à la Loi sur les archives nationales, car une ordonnance de confidentialité serait une réparation suffisante.

[351] La formation réitère qu’il est toujours important d’examiner les faits propres à une affaire et, en l’espèce, l’acte discriminatoire comprend le sous-financement, un aspect important que la formation tente de corriger.

[352] De plus, la formation ne souhaite pas choisir entre des politiques adéquates; elle ne le fera que si la politique choisie par le Canada n’élimine pas la discrimination systémique, perpétue les inégalités et le sous-financement et permet que la discrimination perdure (voir les décisions sur requête antérieures).

[353] Toutefois, la formation est en partie d’accord avec le Canada en ce qui concerne l’argument selon lequel ordonner une mesure de réparation précise risque de causer des retards si cette mesure de réparation n’est pas adaptée au contexte gouvernemental. C’est pourquoi les réparations de la formation sont fondées sur les éléments de preuve produits, le point de vue des parties des Premières Nations exprimé devant le Tribunal ainsi que le point de vue du Canada et d’autres parties. De plus, conformément à son approche passée (2017 TCDP 35, 2018 TCDP 4), la formation maintient une souplesse pour modifier ses ordonnances lorsqu’elle est informée qu’une clarification ou une modification servirait au mieux les intérêts et les besoins particuliers des enfants et des familles des Premières Nations.

[354] De plus, le sens des ordonnances sur les coûts réels des services du Tribunal a été expliqué précédemment. L’objectif du Tribunal en rendant les ordonnances sur les coûts réels proposées par les parties des Premières Nations en l’espèce, et acceptées par le Tribunal est que, jusqu’à ce qu’une nouvelle formule de financement adéquate soit élaborée, le Canada s’attaque aux questions centrales pour éliminer la discrimination systémique : mettre fin au sous-financement; annuler le retrait massif des enfants des Premières Nations de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités; respecter les lois provinciales non discriminatoires comme seuil minimal, et non comme exigence maximale; appliquer l’égalité réelle fondée sur les besoins réels des enfants en prenant en compte le traumatisme historique des pensionnats indiens, la rafle des années 1960 et la colonisation; éliminer les lacunes dans les services causées par de nombreux facteurs comme le manque de coordination entre les ministères fédéraux, une approche descendante déconnectée des réalités sur le terrain, le manque de compréhension des besoins réels des Premières Nations et l’absence de réponse adéquate. Et ce, au lieu d’annonces budgétaires déconnectées de ces besoins réels, d’une absence de plans assortis d’échéances et du recours à l’expression « discuter avec nos partenaires des Premières Nations » pour justifier le statu quo, alors que certaines Premières Nations ont fini de discuter et sont prêtes à aller de l’avant. Tout cela fait partie des conclusions non contestées du Tribunal (voir les décisions sur requête antérieures) qui ne peuvent être contestées de nouveau à ce stade-ci.

[355] Les ordonnances de la formation découlent de la présente demande et de la discrimination systémique relevée et, comme il a été mentionné précédemment dans la décision sur requête non contestée 2018 TCDP 4, elles doivent permettre de remédier à cette discrimination systémique. Toute réparation ayant une incidence sur le financement est une réparation entièrement conforme à la demande et aux conclusions. La formation a un mandat quasi judiciaire établi par l’objectif quasi constitutionnel du Parlement d’éliminer la discrimination. Si le Canada choisit de remédier à la discrimination systémique en faisant un autre choix de politique à long terme, la formation convient que c’est la prérogative du Canada, dans la mesure où ce choix respecte les droits inhérents des Premières Nations et leurs droits de la personne, ne répète pas les erreurs du passé et respecte la LCDP, de même que les ordonnances du Tribunal visant à réformer le Programme des SEFPN et les engagements du Canada en l’espèce, y compris le respect des principes de l’égalité réelle. Il va sans dire que cela ne peut se faire sans la connaissance et la participation des Premières Nations.

[356] Toute perpétuation des pratiques discriminatoires du passé pourrait signifier que le Canada continue d’exercer de la discrimination systémique entraînant des répercussions négatives sur les enfants, ce qui justifie l’intervention du Tribunal.

[357] De plus, le Tribunal a déjà ordonné un financement selon les coûts réels, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle, et les ministres du Canada y ont souscrit dans le Protocole de consultation. La réalisation d’études peut aider à inverser les tendances historiques et les prévisions pour prendre en compte les besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations afin d’éliminer la discrimination systémique constatée, jusqu’à ce qu’une nouvelle formule de financement non discriminatoire adéquate soit élaborée.

[358] Le Canada soutient qu’en l’espèce, les ordonnances du Tribunal selon lesquelles le financement doit être fondé sur les coûts réels en attendant une réforme à long terme outrepasseraient, dans le contexte d’une ordonnance plus permanente, le rôle de l’organe judiciaire, car le Tribunal dirigerait de façon précise la création de la politique. Étant donné que la présente décision sur requête concerne une clarification des ordonnances de réparation immédiates antérieures et la réforme à moyen terme, cet argument peut être réexaminé si le Canada souhaite le présenter dans les observations et les arguments relatifs à la réforme à long terme. En clair, les coûts réels des services signifient que le Canada doit mettre fin aux pratiques discriminatoires et au sous-financement et cesser d’enfreindre le principe d’égalité réelle.

[359] Toutefois, la formation souhaite réitérer que toutes les ordonnances qu’elle a rendues sont fondées sur l’égalité réelle et les besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations desservis par le Programme des SEFPN et en vertu du principe de Jordan. Les besoins réels en matière de services et l’égalité réelle devraient servir de base aux tendances historiques et aux prévisions, et non à l’approche non coordonnée et descendante du Canada qui a mené à la discrimination. Non seulement ces conclusions et ces ordonnances n’ont pas été contestées, mais les ministres du Canada se sont engagés à les exécuter (voir l’ordonnance relative au Protocole de consultation suivant la décision sur requête 2018 TCDP 4). Le Canada a aussi inclus l’égalité réelle dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

[360] M. Thoppil a aussi déclaré ce qui suit :

[traduction]

Dans l’exercice de mes fonctions, je dois m’inspirer de [la LGFP] et des politiques établies pour l’appliquer. Cela comprend les exigences de la politique pour les programmes de paiements de transfert, comme les ententes de financement que SAC conclut avec les organismes de protection de l’enfance des Premières Nations […].

Les exigences de la politique pangouvernementale pour les programmes de paiements de transfert sont établies par le Secrétariat du Conseil du Trésor dans la Politique sur les paiements de transfert (PPT) et la Directive sur les paiements de transfert (la « directive »). L’objectif de la PPT et de la directive est de veiller à ce que les programmes de paiements de transfert soient gérés avec intégrité, transparence et responsabilité et en tenant compte des risques; soient axés sur les citoyens et les bénéficiaires; et soient conçus et mis en œuvre afin de réaliser les priorités du gouvernement et de produire des résultats pour les Canadiens.

[Voir l’affidavit de Paul Thoppil daté du 16 avril 2019 aux par. 36 et 37.]

[361] La formation accepte aussi le témoignage de M. Thoppil sur ce point.

[362] De plus, la formation fait remarquer que, dans ses observations, le Canada affirme avoir exécuté avec succès les ordonnances de réparation du Tribunal concernant le Programme des SEFPN, les formules de financement correspondantes et d’autres ententes provinciales/territoriales connexes (le « programme »), et ce, conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques et aux politiques du Conseil du Trésor.

[363] Le Canada soutient également que la Loi constitutionnelle de 1867 établit les principales normes constitutionnelles applicables à la façon dont les fonds peuvent être légalement perçus et affectés. La Loi sur la gestion des finances publiques établit le cadre juridique de base qui régit l’acquisition et la dépense de fonds publics pour les institutions fédérales et qui oriente le travail des fonctionnaires.

[364] Le Canada présente également un certain nombre d’arguments que la formation accepte, et qu’il est utile de mentionner ici.

[365] Dans ses politiques et ses priorités, le Canada doit respecter le cadre juridique en question, tout en se conformant aux obligations que la loi lui impose. Dans le cadre de la réforme du Programme des SEFPN, il doit élaborer des politiques et des mandats qui donnent suite efficacement aux ordonnances du Tribunal visant à réformer le Programme des SEFPN tout en veillant au respect du cadre financier qui régit les dépenses publiques.

[366] Bien que le champ d’application de la LCDP soit axé sur l’élimination des pratiques discriminatoires, un rôle qui ne comprend pas les contestations visant uniquement la loi, elle aura préséance chaque fois qu’une autre loi entravera la réalisation de son objet. Par exemple, lorsqu’une plainte est dûment déposée devant le Tribunal et qu’une disposition d’une loi fédérale entre en conflit avec les pouvoirs de réparation du Tribunal, la disposition peut être considérée comme inopérante afin de permettre au Tribunal de remplir son mandat de prévention de la discrimination. Le Tribunal a appliqué le principe de primauté de cette façon à de nombreuses occasions, lorsqu’il a conclu à l’existence d’un acte discriminatoire. Cette interprétation est conforme aux principes énoncés dans les décisions Heerspink, Craton et Tranchemontagne. Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, la Cour suprême du Canada a confirmé pareille analyse réalisée par le Tribunal dans les plaintes Matson et Andrews.

[367] Étant donné les précédentes observations reconnaissant la primauté de la LCDP en cas d’incompatibilité avec une autre loi, la formation ne comprend pas le raisonnement qui sous-tend l’argument du Canada concernant l’arrêt Tranchemontagne et l’absence d’une disposition de protection des renseignements personnels dans la LCDP. Le Canada soutient que l’arrêt Tranchemontagne ne peut être interprété comme confirmant la primauté que dans le contexte du mandat législatif très différent que l’Ontario a confié au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. La conclusion de la Cour selon laquelle les lois qui entrent en conflit avec les protections contre la discrimination garanties par le Code peuvent être rendues inopérantes est tout à fait conforme à l’intention du législateur.

[368] Au paragraphe 42 de la Décision sur le bien-fondé non contestée, la formation s’est fondée sur l’arrêt Kelso c. La Reine, [1981] 1 RCS 199, à la page 207, où la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Personne ne conteste le droit général du gouvernement de répartir les ressources et les effectifs comme il le juge approprié. Mais ce droit n’est pas illimité. Son exercice doit respecter la loi. Le droit du gouvernement de répartir les ressources ne peut l’emporter sur une loi telle que la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[369] De plus, la primauté de la LCDP a également été abordée dans les décisions sur requête antérieures de la formation, notamment dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, qui a été suivie d’un protocole de consultation signé par les ministres du Canada.

[370] En ce qui concerne l’argument du Canada sur la séparation des pouvoirs, le Tribunal a déjà traité cette question dans des décisions sur requête antérieures, y compris dans la décision sur requête 2018 TCDP 4. La formation a statué que, même si elle ne rédigera pas de politiques, ne choisira pas entre différentes politiques, ne supervisera pas le processus de rédaction des politiques ou ne se lancera pas inutilement dans les détails de la réforme, elle interviendra si elle estime que les choix de politique du Canada entraînent de la discrimination d’une façon identique ou semblable à ce qui avait été constaté dans la Décision sur le bien-fondé de janvier 2016.

[371] Les priorités du Parlement en matière de droits de la personne sont énoncées dans la LCDP, loi quasi constitutionnelle qui confère au Tribunal la compétence nécessaire pour exercer de vastes pouvoirs de réparation afin d’éliminer la discrimination. Par ailleurs, le protocole de consultation signé par la ministre Philpott et la ministre Bennett exprime les priorités du gouvernement dans la présente affaire. De plus, au paragraphe 3 de la Politique de SAC sur la réaffectation interne des fonds des programmes sociaux, de logement, d’éducation et de santé, l’article 3.3.2 énonce clairement la priorité du gouvernement de se conformer à toutes les ordonnances du TCDP relativement aux services à l’enfance et à la famille et à la nécessité de revoir la politique pour la mettre à jour conformément aux ordonnances du Tribunal.

Politique de SAC sur la réaffectation interne des fonds des programmes sociaux, de logement, d’éducation et de santé

3. Date d’entrée en vigueur

3.1. La présente politique entre en vigueur le 8 février 2018.

3.2. Il s’agit d’une politique en constante évolution qui sera revue et mise à jour afin de veiller à ce qu’elle demeure conforme à toutes les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne sur l’aide à l’enfance.

[372] L’objectif de la Politique sur les paiements de transfert, déposée en preuve et jointe à l’affidavit de Paul Thoppil daté du 16 avril 2019, accorde un pouvoir discrétionnaire considérable au président et au secrétaire du Conseil du Trésor, ainsi qu’aux ministres et aux administrateurs généraux, dans la prestation et la gestion des programmes de paiements de transfert (voir l’article 3.8).

3.8 La politique énonce clairement les rôles et les responsabilités du Conseil du Trésor, du président du Conseil du Trésor, du secrétaire du Conseil du Trésor, des ministres et des administrateurs généraux en matière de conception, de mise en œuvre et de gestion des programmes de paiements de transfert.

L’objectif de la présente politique consiste à s’assurer que les programmes de paiements de transfert sont gérés de façon intègre, transparente et responsable en tenant compte des risques, sont centrés sur les citoyens et les bénéficiaires, et sont conçus et mis en œuvre compte tenu des priorités du gouvernement en vue d’atteindre les résultats escomptés pour les Canadiens.

[Non souligné dans l’original.]

[373] Dans le cas où il est constaté qu’un ministère fédéral se livre à de la discrimination de nature systémique, et se voit ordonner d’y remédier, surtout lorsque le sous-financement et les autorisations associées à ce sous-financement qui, comme il a été conclu, constitue l’un des principaux éléments causant la discrimination systémique, il est clair que la politique sur les paiements de transfert accorde au gouvernement un vaste pouvoir discrétionnaire pour remédier à ce sous-financement et éliminer la discrimination systémique. Il est raisonnable de conclure que, bien que la Loi sur la gestion des finances publiques ou la politique soit mentionnée comme obstacle à l’élimination de la discrimination systémique sur le plan du financement et des autorisations du Programme des SEFPN, ce n’est pas la Loi sur la gestion des finances publiques ou la politique sur les paiements de transfert en tant que telle qui favorise le statu quo et perpétue la discrimination systémique, mais plutôt l’interprétation restrictive qu’en font ceux à qui on a ordonné de remédier à la discrimination.

[374] De plus, l’objectif de la politique peut être interprété d’une manière qui soit conforme à la LCDP, aux ordonnances du Tribunal et aux engagements pris par les ministres Philpott et Bennett dans le cadre du protocole de consultation.

[375] Étant donné que nous avons affaire à des décisions vraisemblablement discrétionnaires en vertu d’une politique, il ne s’agit pas d’une attaque visant uniquement des dispositions législatives, comme dans les décisions Matson et Andrews, mais plutôt d’un cas où l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques et des politiques pertinentes peut avoir pour effet, soit de perpétuer la discrimination systémique, soit de l’éliminer.

[376] La Loi sur la gestion des finances publiques devrait être interprétée en harmonie avec les lois quasi constitutionnelles comme la LCDP, ce qui comprend les ordonnances rendues en vertu de celle-ci. Le Canada confirme que c’est exactement ce qu’il fait. La formation, pour sa part, a acquis une vision plus nuancée de l’approche du Canada et a fourni ci-dessus des indications. Compte tenu de ce qui précède, la formation ne voit pas la nécessité de rendre des ordonnances sur la question pour le moment.

[377] Rappelons que les ordonnances du Tribunal doivent être interprétées en harmonie avec la Loi sur la gestion des finances publiques et que, en cas d’incompatibilité, les ordonnances rendues en vertu de la LCDP ont préséance sur une interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques qui limiterait le pouvoir de réparation du Tribunal.

[D]ans la décision Franke v. Canada (Canadian Armed Forces), [1998] C.H.R.D. No. 3 (Can. Human Rights Trib.) [Franke], l’intimée soutenait que, conformément à l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, (la LRCECA), et à l’article 111 de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985 c. P-6 (la LP), le Tribunal ne pouvait pas accorder des dommages‑intérêts pour perte économique à la plaignante, parce qu’elle recevait une pension du ministère des Anciens combattants pour cette même perte. Le Tribunal a conclu qu’il y avait un conflit entre ces dispositions et les dispositions portant sur le redressement dans la Loi. Se fondant sur Heerspink, Craton, Action Travail des Femmes, Druken et Uzoaba, le Tribunal a rejeté l’argument de l’intimée et a confirmé la primauté de la Loi, notant que, comme le législateur n’avait pas établi le contraire, la Loi primait sur les dispositions de la LRCECA et de la LP, et que, par conséquent, des dommages‑intérêts pour perte économique pouvaient être accordés : Franke, aux paragraphes 644 à 678.

[Andrews c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21, au par. 87, non souligné dans l’original.]

VII. Observations des parties sur la réaffectation

A. La Société de soutien

[378] La Société de soutien sollicite quatre ordonnances concernant la réaffectation des fonds prévus au budget entre différents programmes sociaux :

[traduction]

En consultation avec le CCPE, le Canada modifiera le critère des « effets préjudiciables » en ce qui concerne les réaffectations temporaires pour qu’il réponde aux ordonnances du Tribunal, et publiera le résultat final sur la page d’accueil du site Web de SAC dans les 30 jours suivant l’ordonnance.

Le critère des « effets préjudiciables » établi par la politique pour les réaffectations temporaires à partir de programmes énumérés dans la politique devrait également s’appliquer aux réaffectations permanentes à partir de programmes non énumérés.

Les fonds qui sont temporairement réaffectés d’un programme énuméré dans la politique doivent être retournés au programme en question dans les 30 jours.

Les fonctionnaires qui déterminent si une réaffectation (qu’elle soit qualifiée de « permanente » ou de « temporaire/de gestion de trésorerie ») aura des effets préjudiciables sur les enfants et les familles des Premières Nations doivent recevoir une formation pour apprendre à connaître les facteurs conduisant à la surreprésentation des enfants des Premières Nations parmi les enfants pris en charge.

[379] La Société de soutien se fonde sur l’ordonnance rendue par le Tribunal dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, selon laquelle le Canada doit cesser de réaffecter inutilement des fonds d’autres programmes sociaux, un procédé qui contribue aux effets préjudiciables pour les enfants relevés dans la Décision sur le bien-fondé, au par. 422). Le Canada a élaboré une politique sur la réaffectation de fonds. Bien que la Société de soutien ait formulé quelques commentaires au sujet de l’ébauche de politique, elle n’est pas satisfaite de celle-ci dans sa version définitive. Plus précisément, elle s’inquiète : de la difficulté de savoir quels programmes ne sont pas visés par la politique sur la réaffectation de fonds et peuvent encore faire l’objet de réaffectations; de ce que le programme d’infrastructure soit sujet à une réaffectation susceptible de nuire aux services pouvant permettre d’empêcher le retrait des enfants; de l’absence de définition des réaffectations temporaires, qui peuvent s’étendre sur plus d’un exercice financier; et du fait que la politique n’établit pas de mécanisme pour déterminer ce qui constitue un effet préjudiciable pour les enfants des Premières Nations.

[380] Bien que la Société de soutien soit optimiste quant à la possibilité que le dialogue en cours entre les parties permette de résoudre la question, elle craint que ce dernier ne serve qu’à éviter d’appliquer les ordonnances exécutoires du Tribunal.

[381] En réponse, la Société de soutien fait valoir que le Canada n’a pas fourni d’éléments de preuve quant à la façon dont SAC procédera pour évaluer si une réaffectation des fonds aura une incidence défavorable pour les enfants des Premières Nations.

B. Le Canada

[382] Le Canada soutient qu’il se conforme aux ordonnances existantes du Tribunal, y compris sur la question de la réaffectation des fonds.

[383] Le Canada mentionne la conclusion du Tribunal selon laquelle les programmes sociaux de SAC ne sont pas tous visés par la plainte et ne relèvent pas tous de la compétence du Tribunal. Celui-ci a ordonné au Canada d’évaluer ses pratiques en matière de réaffectation de fonds.

[384] Le Canada présente des documents attestant les efforts qu’il a déployés pour se conformer aux ordonnances du Tribunal. SAC a fait en sorte d’obtenir des fonds accrus et stables pour éliminer la nécessité de recourir encore à des réaffectations. Le Canada présente en preuve une partie de la correspondance échangée aux fins de la mise en œuvre des changements à la politique en matière d’affectation de fonds, et souligne que le Canada n’a pas effectué de réaffectations de fonds permanentes depuis le 15 février 2018. L’ébauche de politique sur les réaffectations de fonds qui a été distribuée aux membres du CCPE s’insérait dans le processus de réforme. Le Canada a uniquement reçu de la rétroaction de la part de la Société de soutien. SAC a intégré la plupart des recommandations de la Société de soutien, mais n’a pas pu le faire dans le cas de certaines propositions, par exemple celles visant à élargir le champ d’application de la politique et à limiter les réaffectations à une durée de 30 jours. Car une telle limite de 30 jours nuirait à la gestion financière interne et empêcherait, par exemple, d’utiliser à une autre fin des fonds alloués à un projet retardé, fonds qui seraient remboursés une fois le premier projet prêt à aller de l’avant. SAC communiquera aux parties d’autres documents sur les réaffectations afin de poursuivre le travail de collaboration avec elles sur cette question.

[385] Le Canada soutient que ces éléments de preuve démontrent qu’il se conforme aux ordonnances du Tribunal. SAC a mis en œuvre des procédures qui répondent aux préoccupations du Tribunal et qui, en fait, prennent adéquatement en considération l’esprit des ordonnances du Tribunal en prévoyant des programmes en matière de santé et d’éducation qui ne sont pas expressément mentionnés dans celles-ci. Ces initiatives témoignent des efforts déployés par le Canada pour prévenir les effets préjudiciables pour les enfants des Premières Nations. Les doléances exprimées par la Société de soutien dans la présente requête découlent d’un désaccord respectueux sur deux questions, et ne devraient pas être confondues avec une inobservation des ordonnances du Tribunal.

VIII. Analyse de la question des réaffectations de fonds

[386] Dans sa lettre de décision datée du 26 août 2021, la formation a écrit qu’elle s’était déjà prononcée sur la question dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, et qu’elle clarifierait ses propos dans des motifs à suivre. Aucune autre ordonnance concernant la réaffectation de fonds n’a été rendue dans le cadre de la lettre de décision.

[387] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation a rendu les ordonnances en matière de réaffectation de fonds reproduites plus loin. Elle l’a fait en soupesant la preuve dans son ensemble et en étant consciente du besoin du Canada de disposer d’une marge de manœuvre dans la gestion des fonds publics. À cet effet, la formation a écrit, au paragraphe 276, que certaines réaffectations de sommes pourraient être inévitables pour le gouvernement fédéral. Toutefois, il est dans l’intérêt des enfants et des familles des Premières Nations que l’on élimine le plus possible cette pratique. Le raisonnement qui sous-tend les ordonnances, et qui ne devrait jamais être séparé des ordonnances elles‑mêmes, a été expliqué clairement aux paragraphes 269 à 276.

[388] Les conclusions tirées en l’espèce, qui reposent sur les éléments de preuve, ont établi que la négligence était la principale raison pour laquelle des enfants étaient retirés inutilement de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités. Le fait de ne pas envisager les services offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations dans une optique d’égalité réelle entraîne le retrait inutile des enfants de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités, en raison d’un facteur tel qu’un logement insalubre, la pauvreté ou la toxicomanie. Ces facteurs peuvent se recouper et être considérés comme des déterminants socioéconomiques de la santé.

[389] Dans des décisions sur requête antérieures, la formation s’est également penchée sur le problème des ministères fédéraux travaillant en vase clos, ce qui entraîne des effets préjudiciables pour les enfants et les familles des Premières Nations. Le Canada a choisi de créer des programmes sociaux et de les diviser en différentes branches. C’est le choix du Canada. Ces branches sont rattachées à l’arbre des programmes sociaux, dont l’un est le Programme des SEFPN. Il y a aussi le Programme de logement. Il incombe au Canada d’évaluer tous les programmes offerts aux enfants et aux familles dans les réserves ou vivant habituellement dans les réserves afin de s’assurer qu’ils répondent aux besoins particuliers et n’entraînent pas d’interruptions qui nuisent aux enfants et aux familles des Premières Nations. En 2018, la formation a ordonné au Canada d’examiner tous ses programmes sociaux afin d’éviter les effets préjudiciables pour les enfants, notamment les retraits. Il ne faut pas créer d’autres inégalités en tentant de remédier à celles du Programme des SEFPN. La notion de sécurité du logement est intimement liée au maintien des enfants à la maison, dans leur famille et dans leur collectivité. Ce fait a été établi en 2016. Une réaffectation responsable devrait tenir compte de cette réalité, et la meilleure façon d’y parvenir est d’appliquer le principe de l’égalité réelle fondée sur les besoins. Pour ce faire, le Canada devrait évaluer les besoins, les lacunes et les inégalités présents dans tous ses programmes afin de s’assurer qu’ils ne perpétuent pas la discrimination systémique à l’égard des enfants et des familles des Premières Nations. Les besoins sociaux des enfants des Premières Nations ne sont pas compartimentés sur le plan administratif. Plus important encore, comme nous l’avons déjà expliqué dans la Décision sur le bien-fondé, le Canada ne peut créer efficacement des programmes adéquats en recourant à une approche descendante. Il doit partir de l’enfant, de la famille, de la collectivité et de la Nation, et répondre à leurs besoins particuliers avec ses programmes sociaux et d’autres programmes. Le portrait sera différent d’un enfant à l’autre, d’une famille à l’autre, d’une collectivité à l’autre et d’une Première Nation à l’autre. Le dénominateur commun, ici, est de garder les enfants dans leurs foyers, leurs familles, leurs collectivités et leurs Nations. La formation ne dispose pas de preuves ni d’observations suffisantes pour déterminer si les ordonnances mentionnées ci-dessous ont été entièrement exécutées.

[390] Cela dit, bien qu’un plan soit en place pour les collectivités des Premières Nations qui sont visées par l’ordonnance sur consentement de la décision sur requête 2021 TCDP 12, il n’y a à ce jour aucun plan précis pour celles qui ne le sont pas. La formation rappelle ses ordonnances précédentes, reproduites ci-dessous, et demande à toutes les parties au protocole de consultation d’assurer un suivi avec un plan pour les mettre en œuvre d’ici le 17 février 2022. Dans la préparation de ce plan, les parties au protocole devront tenir compte des éclaircissements donnés ci-dessus, plus précisément en ce qui a trait à l’évaluation des besoins particuliers, aux lacunes et aux inégalités dans tous les programmes.

[391] À titre de référence, les ordonnances de la décision sur requête 2018 TCDP 4 sont les suivantes :

La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 15 février 2018, de cesser de réaffecter inutilement des fonds destinés à d’autres programmes sociaux, particulièrement aux services de logement, si cela a l’effet préjudiciable de retirer des enfants à leurs familles et communautés ou si cela produits d’autres effets négatifs qui sont décrits dans la [Décision sur le bien-fondé]. [Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 277].

La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 15 février 2018 de veiller à ce que tout investissement fait en guise de réparation immédiate n’ait aucun effet préjudiciable sur les enfants autochtones, leurs familles et leurs collectivités. [Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 278].

La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada d’ici le 2 avril 2018, d’évaluer l’ensemble de ses programmes sociaux afin de déterminer et de s’assurer que toute réaffectation est nécessaire et n’a pas d’effet préjudiciable sur les enfants et les familles des Premières Nations. [Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 279].

IX. Observations des parties sur les immobilisations pour les services de représentants de bande et les services de prévention en Ontario

A. Chefs de l’Ontario

[392] Les Chefs de l’Ontario demandent des ordonnances supplémentaires afin de répondre aux besoins des Premières Nations de l’Ontario qui offrent des services de représentants de bande et des services de prévention. À ce titre, les Chefs de l’Ontario sollicitent les ordonnances complémentaires suivantes :

[traduction]

1. Le Canada doit financer les coûts relatifs aux grands et aux petits projets d’immobilisations des Premières Nations de l’Ontario pour la prestation de services de prévention et de représentants de bande, notamment les services liés à l’administration et à la gouvernance des programmes, à la prévention, à l’accueil et aux services juridiques;

2. En consultation avec les Chefs de l’Ontario, le Canada doit fournir du financement aux Premières Nations de l’Ontario pour qu’elles réalisent des études sur les besoins en matière de grands projets d’immobilisations et d’infrastructures et sur la faisabilité de ceux-ci, ainsi que des études de faisabilité liées aux services de prévention et de représentants de bande;

3. Dans les cas où de telles études de faisabilité révéleront un besoin en grands projets d’immobilisations, le Canada devra financer la conception, l’achat de terrains, l’infrastructure et les coûts relatifs aux exigences administratives pour en permettre la construction;

4. Dans le cas des projets prêts à aller de l’avant, le Canada doit financer les besoins associés aux grands projets d’immobilisations des Premières Nations de l’Ontario en fonction de leur coût réel.

[393] Les Chefs de l’Ontario font valoir que le cas des Premières Nations de l’Ontario est unique pour ce qui est de la prestation des services de représentants de bande, et qu’elles recherchent activement un modèle de financement en matière de prévention.

[394] Les programmes de prévention destinés aux Premières Nations de l’Ontario ont été financés au moyen d’allocations d’aide immédiate limitées, sans que l’on ait eu accès à un financement « selon les coûts réels ». À mesure que la capacité d’offrir les programmes s’est accrue, le besoin en locaux en a fait tout autant. SAC reconnaît le contexte différent en Ontario, où le financement passe par les collectivités, tandis que dans le reste du pays, le financement passe surtout par les organismes de SEFPN. S’il est vrai qu’une étude plus approfondie est nécessaire pour déterminer les besoins en grands projets d’immobilisations des Premières Nations de l’Ontario, il est aussi clair qu’il faut des locaux adéquats pour offrir de façon appropriée des services de prévention et des services de représentants de bande. Le financement disponible selon une approche d’« enveloppe fixe » dans le cadre des Initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence est insuffisant pour répondre aux impératifs en matière d’égalité réelle, en plus d’être source de divisions entre les Premières Nations.

[395] Bien que la formation ait déjà accordé aux organismes de SEFPN du financement au titre des immobilisations pour qu’ils puissent offrir des services de prévention de façon adéquate, les Premières Nations de l’Ontario ont pour leur part estimé qu’il était plus approprié que les services de prévention soient fournis par et dans chaque Première Nation. Les Chefs de l’Ontario soutiennent que les Premières Nations qui offrent des services de prévention et de représentants de bande devraient pouvoir obtenir un financement en immobilisations semblable à celui des organismes de SEFPN pour pouvoir répondre aux besoins fondamentaux des collectivités en matière d’égalité réelle.

[396] Selon les Chefs de l’Ontario, le dossier démontre que le Canada a adopté la position selon laquelle il ne financerait pas les immobilisations pour les services de représentants de bande. Le contenu du dossier a été confirmé par les parties dans la lettre du 1er septembre 2020 adressée au Tribunal. Plus précisément, les Chefs de l’Ontario indiquent que, selon ce dossier, ni la directive sur les immobilisations, ni le document provisoire sur le remboursement des coûts réels des services de représentants de bande conformément aux ordonnances du Tribunal, ni les Modalités des SEFPN n’incluent les services de représentants de bande. Les Chefs de l’Ontario citent également les discussions du CCPE sur le sujet et les exemples des Wabaseemoong Independent Nations et d’Asubpeeschoseewagong Netum Anishinabek qui se sont vu refuser leur demande de financement des immobilisations pour des services de représentants de bande, malgré leurs installations inadéquates ne leur permettant pas de préserver la confidentialité des renseignements des clients.

[397] Les Chefs de l’Ontario affirment que le fait de ne pas financer les dépenses d’immobilisations pour les services de représentants de bande est incompatible avec l’obligation du Canada de financer les coûts réels, conformément aux ordonnances rendues dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, ainsi qu’avec l’obligation du Canada d’assurer aux enfants des Premières Nations une égalité réelle en matière de services à l’enfance et à la famille, comme il est mentionné tout au long de la présente affaire et dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Ce défaut d’assurer un financement rend les Premières Nations incapables d’exercer leurs droits, de s’acquitter des obligations que leur impose la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, L.O. 2017, ch. 14, annexe 1 (« LSEJF ») et de se conformer aux exigences juridiques et aux pratiques exemplaires en matière de protection de la vie privée dans la prestation de services à l’enfance et à la famille et, à plus forte raison, de services adaptés à la culture.

[398] Les Chefs de l’Ontario donnent un aperçu du nouveau régime législatif de la LSEJF et soulignent la portée des droits de participation et de consultation des Premières Nations par l’entremise d’un représentant de bande. Les Chefs de l’Ontario font valoir que les Premières Nations ont besoin de locaux adéquats pour exercer la pleine portée de leurs droits en vertu de la LSEJF. Il faut certes des locaux pour être physiquement capable de fournir des services, mais il faut aussi des locaux adéquats pour assurer la confidentialité et la protection des renseignements personnels des clients, conformément aux normes juridiques et professionnelles applicables. Par exemple, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario a décrété que les documents contenant des renseignements personnels devaient être rangés dans des classeurs verrouillés, dans un lieu à accès contrôlé au moyen de cartes d’identité et de clés où tout visiteur est identifié, contrôlé et supervisé. Les Chefs de l’Ontario mentionnent également les normes en matière de travail social qui exigent la confidentialité pour toute discussion relative aux clients.

B. Nation Nishnawbe-Aski

[399] Les Premières Nations de la NNA fournissent des services de prévention et de représentants de bande sans recevoir de financement pour les immobilisations et l’infrastructure, dans un contexte de déficit chronique en matière d’infrastructures qui touche particulièrement les collectivités éloignées et nordiques. Le déficit d’infrastructures, notamment la pénurie de logements, nuit à la capacité de trouver des foyers d’accueil convenables dans la collectivité et d’embaucher du personnel de l’extérieur de la collectivité. La NNA ajoute que dans bon nombre de ses collectivités, le problème ne tient pas seulement au caractère inadéquat des bâtiments, qui fait obstacle à la prestation du programme, mais bien souvent à l’absence totale de bâtiments disponibles.

[400] La NNA soulève des préoccupations particulières au sujet de la directive sur les immobilisations : le manque de clarté quant au mode d’évaluation du critère selon lequel un projet d’immobilisations [traduction] « contribue clairement à l’atteinte du résultat attendu du Programme »; les dépenses d’immobilisations limitées aux services de prévention et aux coûts de réparation des installations des représentants de bande; et le manque de clarté du lien qui existe avec le Programme d’immobilisations et d’entretien. La NNA n’est pas satisfaite des changements que le Canada a apportés en réponse à ses préoccupations.

[401] La NNA soutient que le montant maximal de 2,5 millions de dollars prévu dans l’ébauche de directive sur les immobilisations ne tient pas suffisamment compte des difficultés liées à l’éloignement, et elle ajoute ne pas croire que le Canada ait dûment répondu aux préoccupations liées à l’éloignement.

[402] La NNA maintient que le remboursement des services de représentants de bande nécessite un financement des immobilisations. La NNA est préoccupée par le fait que le Canada n’a pas encore fourni d’indications claires sur la mesure dans laquelle des fonds pour les immobilisations seront disponibles, et elle s’inquiète particulièrement du fait que le Canada n’a peut-être pas de dispositions en place pour financer les immobilisations dans le cas où l’absence d’infrastructures est un facteur empêchant l’établissement d’un programme de représentants de bande.

[403] Dans des observations subséquentes, la NNA soutient que le Canada a restreint la portée de l’ordonnance du Tribunal de rembourser les coûts réels de la prestation des services de représentants de bande, de même que la portée des Modalités du Programme des SEFPN en ce qui a trait aux services de représentants de bande. Surtout, le Canada limite chaque Première Nation à une demande unique d’un montant de 1,5 million de dollars au titre des services de représentants de bande.

[404] La NNA rappelle les témoignages des témoins du Canada laissant entendre qu’on avait initialement accepté le fait que les dépenses d’immobilisations pour les services de représentants de bande tombaient sous le coup des ordonnances du Tribunal. Par exemple, la NNA s’appuie sur le contre-interrogatoire de la sous-ministre adjointe Joanne Wilkinson, le 4 juin 2019, selon lequel, bien que les dépenses d’immobilisations n’aient pas été inscrites à titre de dépenses admissibles, SAC examinait l’admissibilité et était prêt à examiner les demandes en immobilisations pour les services de représentants de bande au cas par cas. La modification subséquente des modalités visant à limiter chaque Première Nation à une demande unique de dépenses d’immobilisations pour les services de représentants de bande, plafonnée à 1,5 million de dollars, représente une réduction de l’admissibilité par rapport aux ordonnances du Tribunal.

[405] La NNA s’inquiète particulièrement du fait que les dépenses d’immobilisations pour les services de représentants de bande soient limitées à 1,5 million de dollars. Ce montant fixe, qui ne tient pas compte de la situation des Premières Nations, désavantage les Premières Nations éloignées et du Nord qui doivent assumer des coûts supplémentaires, par exemple pour le transport des matériaux de construction vers leurs collectivités. SAC a élaboré un manuel de référence des coûts qui traite des coûts plus élevés pour les Premières Nations éloignées, mais il n’en a pas tenu compte dans sa limite de remboursement.

[406] La dépendance des collectivités éloignées envers les routes d’hiver pour le transport des matériaux de construction accroît le besoin d’obtenir rapidement des approbations de SAC. Les retards dans les approbations peuvent faire augmenter les coûts du transport qui doit être effectué par avion plutôt que par la route d’hiver. La limite de 1,5 million de dollars signifie que les Premières Nations pourraient ne pas pouvoir se faire rembourser les coûts supplémentaires non prévus au budget.

[407] La NNA indique qu’il n’y a aucun élément de preuve justifiant la limite de 1,5 million de dollars pour les dépenses d’immobilisations liées aux services de représentants de bande. La NNA renvoie aux éléments de preuve indiquant que cette limite est une ancienne limite présumée applicable aux dépenses pour les petits projets d’immobilisations, et maintenant considérée comme désuète. De plus, elle ne correspond pas à l’augmentation à 2,5 millions de dollars du plafond de financement des immobilisations pour les organismes de SEFPN. La limite de 1,5 million de dollars représente un retour malvenu à l’ancienne politique fondée sur des hypothèses plutôt que sur les besoins réels.

[408] La NNA appuie également les ordonnances demandées par les Chefs de l’Ontario, avec une modification mineure à apporter à la deuxième ordonnance de manière à préciser que la consultation doit se faire auprès des Chefs de l’Ontario et de la NNA.

C. Le Canada

[409] Le Canada répond expressément aux arguments de la NNA concernant les immobilisations pour les services de représentants de bande. Il soutient que la NNA fait erreur en disant que Tribunal a ordonné le paiement des immobilisations qu’elle demande. Selon le Canada, elle présente en outre les faits de manière erronée en prétendant que SAC s’est montré incohérent dans son interprétation des ordonnances du Tribunal concernant les immobilisations pour les services de représentants de bande et en affirmant que SAC n’a pas réglé les problèmes liés à l’éloignement. Le Canada soutient qu’il est allé au-delà de ce que le Tribunal a ordonné.

[410] Le Canada se fonde également sur un certain nombre de ses observations antérieures sur les services de représentants de bande. Dans ces observations, le Canada soutient qu’il a donné suite aux ordonnances du Tribunal concernant les services de représentants de bande. Il y décrit aussi le processus de remboursement, par le Canada, des coûts des services de représentants de bande. Ces questions et observations sont exposées plus en détail dans les décisions sur requête 2020 TCDP 24 et 2018 TCDP 4, dans lesquelles la formation a rendu des ordonnances précises concernant les services de représentants de bande.

[411] Qui plus est, d’après le Canada, ces observations démontrent qu’il a travaillé avec les demandeurs, qu’il a établi des guides pour les aider à présenter des demandes, qu’il a fait preuve de souplesse pour les échéances et qu’il a travaillé avec les parties pour déterminer les besoins en immobilisations et y répondre. De plus, les observations établissent selon lui que les besoins en immobilisations peuvent être comblés par d’autres programmes de financement des immobilisations existants. Les besoins en immobilisations ne peuvent être comblés isolément et exigent une consultation plus vaste des collectivités. Le Canada soutient qu’ en matière de financement des immobilisations, il a adopté une approche axée sur les collectivités pour répondre à tous les besoins en immobilisations de chacune.

[412] Le Canada avance que les éléments de preuve démontrent que SAC a fait preuve de transparence envers les bénéficiaires quant à l’exécution des ordonnances du Tribunal et qu’il a engagé un dialogue pour répondre aux besoins en immobilisations. De plus, le Canada soutient qu’il paie les coûts réels pour des aspects des services de représentants de bande qui ne sont pas de nature médicale, comme l’agrandissement des locaux à bureaux et des salles de réunion pour le soutien familial. Le Canada paie les coûts réels, qui tiennent déjà compte des coûts liés à l’éloignement. Le montant d’une demande moyenne est inférieur au quart du montant maximal de 1,5 million de dollars.

[413] Puisque le Canada assume les coûts réels, il doit déjà payer pour toute augmentation des coûts attribuable à l’éloignement. On peut à juste titre caractériser la question en tant que différend au sujet de la portée des ordonnances du Tribunal plutôt qu’en tant que problème lié à l’éloignement. Néanmoins, les éléments de preuve démontrent que le Canada a tenu compte comme il se devait des problèmes liés à l’éloignement.

[414] Le Canada soutient que l’ordonnance de la décision sur requête 2018 TCDP 4 portait sur les réparations de bâtiments, et fournissait davantage de contexte aux paragraphes 212 et 213. Les ordonnances n’obligent pas le Canada à financer tous les coûts non directement liés aux services de représentants de bande. Le Canada a interprété de manière généreuse les ordonnances visant à soutenir les services de représentants de bande dans l’exécution de leurs fonctions prévues par la loi.

[415] Le Canada précise que le témoignage de Mme Wilkinson, cité par la NNA, démontre que les rénovations de bâtiments et les nouveaux bâtiments peuvent ne pas être admissibles au financement en vertu des Modalités, mais peuvent néanmoins être examinés au cas par cas. De même, la lettre de Catherine Thai citée par la NNA prouve que le Canada a interprété de façon large les réparations d’immeubles de manière à inclure les agrandissements de locaux et les véhicules. Le Canada a refusé de financer des projets comme des installations récréatives et sportives, des centres culturels et des travaux d’entretien des routes. Ces distinctions sont raisonnables et rationnelles.

[416] Enfin, le Canada s’oppose à ce que la NNA produise un élément de preuve contesté par l’intermédiaire d’un déposant qui n’a pas de connaissance directe des documents, car cela compromet la capacité du Canada de mener des contre-interrogatoires sur la question.

[417] En résumé, le Canada soutient qu’il a exécuté les ordonnances de la formation d’une manière conforme à la Loi sur la gestion des finances publiques, qu’il répond au besoin d’assurer le contrôle parlementaire des dépenses et qu’il veille à faire une utilisation efficiente, économique et prudente des ressources publiques.

[418] Le Canada affirme également que le Tribunal n’a pas un pouvoir de réparation qui lui permette de dicter au Canada les détails de sa politique de remplacement pour le financement des services de représentants de bande.

[419] De plus, le Canada soutient que les ordonnances particulières à l’Ontario constituent un élargissement important de la portée de la plainte.

X. Analyse relative aux immobilisations pour les services de représentants de bande et les services de prévention en Ontario

[420] Le Tribunal a exposé son raisonnement initial dans la lettre de décision. Il énonce maintenant l’analyse supplémentaire mentionnée dans la lettre de décision.

[421] Compte tenu des préoccupations du Canada au sujet de la façon dont la NNA a déposé des éléments de preuve contestés et du préjudice que le Canada allègue subir en raison de l’impossibilité de contre-interroger un déposant ayant une connaissance directe des éléments de preuve pertinents, la formation a refusé de retenir les éléments de preuve de la NNA pour éclairer la lettre de décision et les présents motifs subséquents. La formation a adopté cette approche par souci de prudence et parce qu’il y avait suffisamment d’autres éléments de preuve sur lesquels elle pouvait se fonder. La formation reconnaît néanmoins les efforts déployés par la NNA pour recueillir et présenter ces éléments de preuve, car c’est ce genre d’éléments précis fondés sur des exemples précis qui permet de démontrer l’effet des politiques et modifications de politiques du Canada sur les enfants, les familles et les collectivités des Premières Nations. Néanmoins, les éléments de preuve dont dispose le Tribunal sont suffisants pour tirer des conclusions pour l’Ontario.

[422] En particulier, l’ordonnance dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, aux paragraphes 336, 426 et 427 concernant les services de représentants de bande et de santé mentale se lit ainsi :

[336] La formation, conformément à l’article 53(2)(a) et (b) de la LCDP, ordonne au Canada de financer les services de représentant de bande destinés aux Premières Nations de l’Ontario, aux conseils tribaux ou aux organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, au coût réel de la fourniture de ces services, et ce, d’ici le 15 février 2018 ou, dans les 15 jours ouvrables suivant la réception des documents relatifs aux dépenses, et rétroactivement, au 26 janvier 2016. Ceci, dans l’attente que les études soient complétées ou que la formation rende une ordonnance supplémentaire.

[…]

[426] La formation, conformément aux l’article 53(2)(a) et (b) de la LCDP, ordonne au Canada de financer les coûts réels des services de santé mentale destinés aux enfants et aux adolescents des Premières Nations en Ontario incluant ceux fournis par les Premières Nations, les conseils tribaux, les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, les parents/gardiens ou les entités représentatives, rétroactivement au 26 janvier 2016, d’ici le 15 février 2018 ou, dans les 15 jours ouvrables, suivant la réception des documents relatifs aux dépenses.

[427] La formation, conformément à l’article (2)(a) et (b) de la LCDP, ordonne au Canada de financer les services de représentant de bande destinés aux Premières Nations de l’Ontario, au coût réel de la fourniture de ces services, et ce, d’ici le 15 février 2018 et, rétroactivement au 26 janvier 2016. Ceci dans l’attente que les études soient complétées ou que la formation rende une ordonnance supplémentaire.

[423] Les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario, l’Entente de 1965 et les services de représentants de bande ont toujours fait partie de la présente demande. La formation rejette l’argument du Canada selon lequel les ordonnances particulières à l’Ontario constituent un élargissement important de la plainte.

[424] Les ordonnances dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 n’excluaient pas les coûts réels des services de prévention et de représentants de bande. Les ordonnances visaient l’ensemble des services de représentants de bande. Les représentants de bande font également partie des efforts de prévention plus vastes déployés par les collectivités des Premières Nations en Ontario pour maintenir les enfants des Premières Nations dans leurs foyers, leurs familles et leurs collectivités. Leurs coûts réels devraient être financés par le Canada, ce qui comprend l’acquisition ou la construction d’immobilisations qui soutiennent les services de prévention et de représentants de bande.

[425] Bien que la formation n’ait jamais eu l’intention d’exclure le financement des immobilisations pour les représentants de bande et pour les services de prévention, ce qui irait à l’encontre de l’esprit de la Décision sur le bien-fondé, elle estime qu’il est nécessaire de clarifier davantage ses ordonnances antérieures pour préciser que les services de prévention et les services de représentants de bande dans les réserves en Ontario sont entièrement financés en fonction des coûts réels, ce qui comprend le financement des coûts réels de l’acquisition ou de la construction de bâtiments pour la prestation de services dans le cadre du Programme des SEFPN. Le financement devrait également comprendre la réparation ou l’agrandissement de bâtiments, ce qui répondrait mieux à l’objectif du Tribunal d’éliminer la discrimination systémique constatée, et ce, dans l’attente qu’une approche à long terme soit élaborée.

[426] Le Canada n’a pas réussi à établir une exception prévue aux articles 15 ou 16 de la LCDP; de plus, une telle défense ne faisait pas partie de ces procédures qui ont mené à la Décision sur le bien-fondé et aux ordonnances subséquentes (voir le par. 460).

[427] De plus, la formation n’est pas convaincue qu’un financement intégral, selon les coûts réels, des services de prévention et des capitaux pour l’acquisition ou la construction d’immeubles qui soutiennent la prestation de services de représentants de bande, aille à l’encontre de la Loi sur la gestion des finances publiques, du besoin d’assurer un contrôle parlementaire des dépenses et de la nécessité de veiller à une utilisation efficiente, économique et prudente des ressources publiques. Dans la Décision sur le bien-fondé de 2016, le Canada s’est vu ordonner de cesser ses pratiques discriminatoires et de réformer le Programme des SEFPN ainsi que l’Entente de 1965 afin de tenir compte des conclusions de cette même décision.

[428] Le même raisonnement s’applique au financement intégral des études de faisabilité et des évaluations des besoins :

L’essentiel de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien‑fondé est systémique et résultait de la structure et de la méthodologie de financement du Canada, qui reposait sur des considérations financières et non sur l’intérêt supérieur des enfants ou leurs besoins particuliers. Les ordonnances de la formation ont pour but d’éliminer cette discrimination systémique fondée sur la race.

[Voir la décision sur requête 2020 TCDP 24, au par. 41.]

[429] Des mesures positives provisoires et opportunes sont nécessaires pendant la mise en œuvre de la réforme à long terme.

[430] La formation convient avec les Chefs de l’Ontario que les représentants de bande ont un rôle de participation ou de consultation à jouer dans presque toutes les procédures ou actions en vertu de la LSEJF. Si tant est que les ressources soient suffisantes, la LSEJF permet aux représentants de bande de participer à presque toutes les étapes de l’intervention de l’organisme de services à l’enfance et à la famille auprès d’une famille des Premières Nations et, par voie de conséquence, auprès de la collectivité de la Première Nation concernée. Les représentants de bande n’occupent pas une place secondaire dans le système de services à l’enfance et à la famille pour les enfants des Premières Nations : ils sont au centre de ce système.

[431] De plus, le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les pratiques discriminatoires mentionnées dans la Décision sur le bien-fondé concernant l’Entente de 1965 ont été éliminées au moyen de réformes, de modifications ou d’un remplacement de l’Entente de 1965.

[432] Dans la Décision sur le bien-fondé, la formation a conclu ce qui suit :

La conception, la gestion et le contrôle du Programme des SEFPN par AADNC, ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves. Voici une liste non exhaustive des principaux effets préjudiciables constatés par le Tribunal :

[...] L’Entente de 1965 en Ontario n’a pas été mise à jour pour s’assurer que les collectivités des réserves puissent se conformer pleinement à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario. Bien qu’il soit au courant, depuis des années, des conséquences néfastes du Programme des SEFPN, AADNC ne l’a pas vraiment modifié depuis sa création en 1990. Les annexes de l’Entente de 1965 de l’Ontario n’ont pas été mises à jour non plus depuis 1998.

[...] Le Tribunal ordonne à AADNC de mettre fin à ses actes discriminatoires et de modifier le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 conformément aux conclusions de la présente décision (...)

[433] Bien que la formation comprenne qu’un tel processus exige du temps et des consultations approfondies pour en arriver à une approche optimale à long terme, il faut, pendant cette période, déployer des efforts pour éviter des interruptions de services, des services de moindre qualité ou des refus de services. Les services doivent être fournis quelque part, et s’abstenir de veiller à ce que ce soit le cas n’est pas un moyen efficace de remédier à la discrimination dans l’immédiat et à moyen terme.

[434] Contrairement aux organismes de SEFPN, les Premières Nations de l’Ontario n’ont pas eu accès à du financement « selon les coûts réels » pour des services de prévention ou pour des réparations de bâtiments connexes. Les Premières Nations de l’Ontario ont financé des initiatives de prévention au moyen des allocations d’« aide immédiate » limitées du Canada.

[435] Au fur et à mesure que les Premières Nations de l’Ontario ont accru leur capacité d’offrir des services de prévention et de représentants de bande à leurs citoyens, un besoin correspondant en locaux dans lesquels offrir, gérer et administrer ces services est apparu.

[436] La formation estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir que l’approche actuelle entraîne un financement insuffisant des services de prévention et des locaux pour offrir des services de représentants de bande dans les réserves. Sans locaux adéquats, les Premières Nations ne peuvent fournir de services de prévention et de services de représentants de bande qui respectent les normes juridiques ou éthiques en matière de confidentialité des renseignements des clients et de sécurisation des dossiers, ou, dans certains cas, elles ne peuvent fournir aucun service. Il en résulte des services de qualité moindre ou des refus de services pour les enfants des Premières Nations. La conduite du Canada est contraire aux principes de l’égalité réelle et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[437] De plus, la formation convient avec les Chefs de l’Ontario que la Directive sur les immobilisations fait état du processus pour obtenir du financement d’immobilisations pour les organismes de SEFPN, mais que les programmes de services de représentants de bande ne sont pas inclus dans le document (voir la pièce 7A de l’affidavit de Lorri Warner, souscrit le 4 mars 2020 ([traduction :] Directive du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : Volet de financement des organismes – Dépenses d’immobilisations).

[438] La formation convient également que le guide de financement montre que les immobilisations pour les programmes de représentants de bande ne sont pas incluses comme dépenses admissibles et qu’elles doivent être traitées dans les Modalités du SEFPN, toutefois, dans les faits, elles ne sont pas traitées dans les modalités du SEFPN (voir le Guide de la région de l’Ontario (ébauche) pour le remboursement des coûts réels découlant des ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) de 2019-2020. Pièce 7A de l’affidavit de Lorri Warner, signé le 4 mars 2020 (Directive du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations : Volet de financement des organismes – Dépenses d’immobilisations)).

[439] La formation accepte l’argument de la NNA selon lequel les Premières Nations fournissent des services de prévention et de représentants de bande sans recevoir de financement suffisant pour les immobilisations et l’infrastructure, dans un contexte de déficit chronique en matière d’infrastructures qui touche particulièrement les collectivités éloignées et nordiques. Le déficit d’infrastructures, notamment la pénurie de logements, nuit à la capacité de trouver des foyers d’accueil convenables dans la collectivité et d’embaucher du personnel de l’extérieur de la collectivité. Dans bon nombre des collectivités de la NNA, le problème ne tient pas seulement au caractère inadéquat des bâtiments, qui fait obstacle à la prestation du programme, mais bien souvent à l’absence totale de bâtiments disponibles.

[440] Le Canada, pour sa part, affirme que le fait de payer les coûts réels suppose qu’il tienne déjà compte des coûts liés à l’éloignement. La formation accepte cette affirmation. Néanmoins, elle attache de l’importance à l’indice d’éloignement établi grâce à l’expertise de la NNA, et croit qu’il sera très utile de différentes façons, notamment pour élaborer une nouvelle formule de financement équitable pour les collectivités nordiques et éloignées de l’Ontario. Toutefois, la formation estime que la question en litige, ici, est liée à une insuffisance et à un plafonnement du financement des immobilisations et des services de prévention en raison des politiques du Canada, ainsi que de l’interprétation qu’il fait des ordonnances du Tribunal.

[441] De plus :

[traduction]

Le CCPE tenait à trouver des solutions pratiques pour apaiser la frustration croissante éprouvée par les dirigeants des collectivités éloignées devant le fait que des demandes sont caractérisées comme étant complexes ou sont rejetées. On a demandé à ce que SAC note les dispositions des Modalités qui influent sur les objectifs ou les restreignent, et à ce qu’elles soient revues étant donné qu’il s’agit de lignes directrices opérationnelles susceptibles de ne pas s’harmoniser avec les ordonnances du TCDP ou avec cette loi. SAC a rappelé au Comité son obligation de respecter les modalités établies par le Conseil du Trésor.

[Voir le compte rendu provisoire des décisions du CCPE du 14 janvier 2020 constituant la pièce « A » jointe au compte rendu des documents des Chefs de l’Ontario et du procureur général du Canada daté du 9 avril 2020, onglet 1.]

[442] La formation convient avec les Chefs de l’Ontario que le manque de financement adéquat de la part du Canada pour les immobilisations des programmes de représentants de bande signifie que les Premières Nations ne sont pas en mesure de faire valoir leurs droits ou de remplir leurs obligations en vertu de la LSEJF, de telle sorte que la discrimination que le Tribunal entendait corriger se perpétue.

[443] De plus, le manque de financement empêche la prestation aux enfants des Premières Nations de services communautaires à l’enfance et à la famille adaptés culturellement.

[444] Le Canada soutient également qu’il existe au Ministère un processus permettant aux Premières Nations d’établir l’ordre de priorité de leurs besoins en immobilisations. La formation accepte le témoignage de Mme Wilkinson selon lequel le Canada collabore avec les Premières Nations pour définir leurs priorités (voir la transcription du contre-interrogatoire de Joanne Wilkinson du 14 mai 2019, à la page 155, lignes 1 à 20). Encore une fois, la formation est convaincue que le Canada discute avec les Premières Nations pour déterminer leurs besoins à long terme, ce qui est essentiel. Comme nous l’avons expliqué plus haut, les changements, les priorités, les plans et l’approche globale des Premières Nations sont idéaux s’ils se concrétisent. La formation estime que c’est parfois le cas.

[445] Dans le même ordre d’idées, le Canada soutient que l’ordonnance demandée placerait les Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations au premier rang pour l’obtention des fonds dans chaque réserve, ce qui ne respecterait pas l’ordre de priorité établi par chaque collectivité et pourrait retarder d’autres projets importants jugés prioritaires par la collectivité. SAC est ouvert et disposé à envisager des changements au processus actuel, mais cela exige des discussions techniques qui devraient avoir lieu pendant les réunions du CCPE, ainsi que des consultations directes avec les collectivités des Premières Nations. La formation le comprend et est d’accord.

[446] Toutefois, dans l’intervalle, les ordonnances contenues dans la présente décision sur requête, qui tiennent compte de la nécessité d’une approbation par les Premières Nations, permettront de combler rapidement les besoins réels des Premières Nations ainsi que des enfants et des familles des Premières Nations dans les réserves afin de corriger les lacunes et d’éviter les retards dans la prestation des services.

[447] De plus, si les Premières Nations établissent comme priorité d’obtenir plus de locaux pour offrir des services de prévention et de représentants de bande, la Commission conclut, compte tenu des éléments de preuve, qu’une ordonnance devrait préciser que ces locaux devraient être entièrement financés selon les coûts réels jusqu’à ce qu’une nouvelle formule de financement adéquate et exempte de discrimination soit élaborée.

[448] La formation estime que des éléments de preuve dignes de foi présentés au Tribunal démontrent également que, lorsque des Premières Nations ont exprimé leurs besoins particuliers et ont demandé de l’aide pour des choses non insignifiantes destinées à soutenir la prestation des services, certaines de ces demandes raisonnables ont été refusées.

[449] Le cas des Nations Wabaseemoong Independent Nations et Asubpeeschoseewagong Netum Anishinabek (Première Nation de Grassy Narrows) illustrent les problèmes liés aux immobilisations et à l’infrastructure que rencontrent certains programmes de représentants de bande. Ces deux Premières Nations avaient demandé un financement raisonnable pour répondre aux besoins en immobilisations de leurs programmes. Le Canada a rejeté les deux demandes.

[450] La formation estime que ces deux Premières Nations ne sont pas en mesure de mettre en œuvre leurs programmes de représentants de bande d’une manière conforme aux normes juridiques et éthiques en vigueur. Sans locaux adéquats, les représentants de bande ne peuvent pas garantir la protection de la confidentialité à laquelle les clients ont droit, ni que les dossiers de renseignements personnels seront recueillis, conservés et éliminés de façon appropriée. Pourtant, malgré l’incapacité de respecter les normes de confidentialité prévues par la loi et les normes éthiques, les programmes de ces deux Premières Nations continuent de fonctionner afin de fournir des services communautaires à l’enfance et à la famille culturellement adaptés, qui offrent aux enfants un lien avec leur terre, leurs réseaux familiaux, leur langue et leur culture, de même qu’une voix au sein du système de protection de l’enfance.

[451] SAC n’a pas adopté d’optique d’égalité réelle ni fourni de réponse globale faisant référence au principe de Jordan, peut-être parce qu’il n’y a pas de fonds d’immobilisations disponibles pour l’application du principe de Jordan. De même, aucun renseignement n’a été fourni sur la façon d’obtenir des fonds ailleurs. Plus important encore, les Premières Nations ont fourni des renseignements détaillés sur leurs besoins particuliers, qui n’ont pas suscité une analyse approfondie fondée sur l’égalité réelle.

[452] Les demandes de financement ont été traitées par la Direction générale de la réforme et de la transformation des services à l’enfance et à la famille, région de l’Ontario, de SAC, puis acheminées à l’administration centrale de SAC. Il convient de noter que SAC s’est vu ordonner de remédier au manque de coordination qui a une incidence sur les enfants des Premières Nations, et que le Canada a précédemment soutenu que la fusion de SAC visait également à corriger le manque de coordination relevé dans la Décision sur le bien-fondé, entre autres objectifs.

[453] Les éléments de preuve pertinents se trouvent à l’onglet 3 du dossier de documents des Chefs de l’Ontario daté du 9 avril 2020.

[traduction]

Programme des services à l’enfance et à la famille

Demande de paiement des coûts réels refusée – Processus d’appel provisoire

Un appel peut être interjeté par un organisme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN ») bénéficiaire de financement ou par un autre demandeur — p. ex. une bande pour des fonds au titre des services de représentants de bande — dont la demande de remboursement ou de financement anticipé de dépenses réelles a été refusée en tout ou en partie par la sous-ministre adjointe, Réforme des services à l’enfance et à la famille, Services aux Autochtones Canada, suivant le protocole de renvoi aux paliers supérieurs.

[…]

Pour statuer sur l’appel, l’instance d’appel peut tenir compte des facteurs suivants :

L’égalité réelle et la prestation de services adaptés à la culture, compte tenu des besoins et des circonstances particuliers des enfants et des familles vivant dans les réserves (p. ex. besoins et circonstances d’ordre culturel, historique et géographique);

L’intérêt supérieur des enfants;

Le fait que le coût, s’il est rétroactif, ait été réellement engagé ou non avant que la demande de remboursement ne soit présentée;

Le fait que le coût soit ou non couvert par un autre gouvernement ou un autre organisme de financement;

Le fait que le coût soit admissible ou non à un remboursement (la question de savoir si la demande peut être autorisée en vertu des modalités existantes du programme);

La question de savoir si le demandeur est admissible au financement selon les modalités existantes.

[454] La demande des nations Wabaseemoong a été rejetée. Celles-ci ont donc suivi le processus d’appel et présenté une réponse détaillée. Voici certaines parties de leurs justifications :

[traduction]

Le programme des représentants de bande de Wabaseemoong Independent Nations s’appelle Nigonigawbow, ce qui signifie « la personne prioritaire » en langue anishinaabemowin. Le programme Nigonigawbow désigne le protecteur des enfants et est issu des pratiques de soins coutumières et traditionnelles de la Nation Wabaseemoong.

La Nation Wabaseemoong a présenté deux demandes de remboursement pour des services de représentants de bande pour l’exercice 2019-2020, soit une pour les besoins en personnel et en programmes, qui a été approuvée, et une autre pour une caravane modulaire dans laquelle se dérouleraient les activités du programme Nigonigawbow, qui a été refusée. La Nation Wabaseemoong interjette appel du refus de financement de la caravane modulaire.

Comme il est précisé dans les observations initiales et modifiées de la Nation Wabaseemoong au sujet de la caravane, le programme Nigonigawbow requiert les locaux suivants : des bureaux pour les deux représentants de la bande, le directeur du secteur social, le secrétaire et les Ressources humaines; une salle pour l’entreposage des dossiers; une salle pour les cercles de règlement des différends autochtones; une salle pour les travailleurs affectés au retour dans la communauté, une salle pour les aînés et un plus grand local pour les consultations et les rassemblements communautaires.

La demande pour la caravane a été présentée à Services aux Autochtones Canada (« SAC ») le 8 août 2019. La demande initiale pour la caravane était d’un montant de 1 196 355 $; ce montant a par la suite été réduit à 898 250 $ le 3 septembre 2019, à la suite de discussions entre le personnel du programme Wabaseemoong et SAC (veuillez consulter le fil de courriels connexes joint à l’annexe A). Après de nombreux courriels et appels téléphoniques entre Wabaseemoong et SAC, la demande de Nigonigawbow concernant la caravane a finalement été refusée par SAC le 15 novembre 2019, soit 99 jours après la demande initiale. Il s’agit de 84 jours de plus que le délai de 15 jours pour le traitement des demandes de services de représentants de bande prescrit par le Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al c. Canada, 2018 TCDP 4 (au par. 427).

La raison invoquée par SAC pour refuser le financement de la caravane était la suivante : « les dépenses précisées dans votre demande de paiement pour les services de représentants de bande (“SRB”) dépassent le champ d’application de l’ordonnance 427 du TCDP » (voir le courriel de refus ci‑joint adressé au chef Scott). SAC a également déclaré, dans le courriel de refus au chef Scott, que « le Canada est tenu de rembourser ou de financer les SRB pour les Premières Nations de l’Ontario en fonction des coûts réels et des besoins de manière à appuyer les activités admissibles financées dans le cadre du Programme ».

[…]

Comme il est expliqué en détail dans les observations de la Nation Wabaseemoong sur la caravane, il n’y a aucun bureau ni espace réservé au programme Nigonigawbow dans la collectivité. Wabaseemoong est une Première Nation semi-éloignée du Nord-Ouest de l’Ontario. Les infrastructures de la collectivité sont très limitées; tous les bâtiments — résidentiels et commerciaux — sont occupés au-delà de leur capacité. Le personnel de Nigonigawbow offre actuellement des programmes dans un coin de la salle communautaire. Il s’agit d’un espace public sans toilettes ni cuisine. Il n’y a aucun accès possible en fauteuil roulant. Il n’y a pas d’équipement de protection contre les incendies. Les portes sont brisées, ce qui rend le local extrêmement froid. Il ne convient pas du tout aux programmes de protection de l’enfance destinés aux enfants et aux familles. Les locaux à bureaux de Nigonigawbow se trouvent dans un couloir public partagé dans la salle du Conseil, avec bon nombre des mêmes limitations que dans les espaces réservés à la programmation. La confidentialité n’est pas assurée pendant les rencontres avec les clients et les appels téléphoniques ou pour ce qui est de la réception de télécopies et de documents de la part des sociétés d’aide à l’enfance. Il n’y a pas non plus d’endroit protégé pour stocker des dossiers confidentiels. Il n’y a nulle part où l’Aîné puisse conserver des médicaments et des articles de cérémonie. Toutes ces difficultés posent de graves problèmes en ce qui a trait à la santé et à la sécurité du personnel et au risque pour les Nations d’être tenues civilement responsables parce que la confidentialité des locaux à bureaux et de l’espace d’entreposage des dossiers n’est pas respectée.

Il n’y a pas d’autres locaux (que ce soit à louer ou à acheter) dans la réserve pour héberger les activités du programme Nigonigawbow. La seule solution de rechange serait que le programme soit relocalisé hors réserve, ce qui nuirait à la capacité des Nations d’offrir des services culturellement appropriés, en plus d’entraîner des lacunes dans les services de protection de l’enfance pour les familles vivant dans les réserves et d’aller à l’encontre des priorités des Nations.

[...] Le refus par SAC de financer une caravane pour Nigonigawbow est également incompatible avec le principe de l’égalité réelle, un principe auquel le gouvernement est astreint selon l’article 11 de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, ch. 24 (la « Loi »). L’article 11 de la Loi dispose que « les services à l’enfance et à la famille sont fournis à l’égard de l’enfant autochtone de manière à […] favoriser l’égalité réelle entre lui et les autres enfants ». Le financement d’un programme constitue un service, conformément à la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al c. Canada, 2016 TCDP 2. Par conséquent, le financement des services de représentants de bande, en tant que service fourni par le Canada, doit l’être d’une manière qui favorise l’égalité réelle.

Le programme Nigonigawbow a besoin d’espaces physiques où offrir des services et des programmes de représentants de bande. Les organismes de protection de l’enfance autochtones et standards reçoivent du financement pour répondre à leurs besoins en immobilisations, mais Wabaseemoong, en tant que Première Nation qui cherche à offrir ses propres services de représentants de bande, se voit refuser du financement pour répondre à ses besoins en immobilisations. Cela constitue une différence de traitement dans la prestation de services à l’enfance et à la famille aux enfants autochtones de Wabaseemoong et est contraire aux principes de l’égalité réelle et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans sa Décision sur le bien-fondé, c’est-à-dire la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al c. Canada, 2016 TCDP 2, le Tribunal a conclu ce qui suit au sujet des services de représentants de bande :

Non seulement les représentants de bande permettent‑ils de répondre aux besoins en matière de services adaptés à la culture, mais ils servent aussi à garder les familles et les collectivités ensemble et leur rôle est expressément prévu par la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario. (Note de fin de document 1 : Décision de janvier 2016, au par. 348).

[…]

Si le financement ne correspond pas aux besoins réels d’une collectivité autochtone donnée en matière d’aide à l’enfance, comment celle-ci peut-elle fournir des services adaptés aux particularités culturelles? Si le financement n’est pas réaliste, comment certaines collectivités des Premières Nations peuvent-elles corriger les séquelles des pensionnats indiens? Il sera difficile, sinon impossible, de le faire, de sorte qu’un plus grand nombre d’enfants seront finalement pris en charge, ce qui perpétuera le cycle de contrôle que des forces extérieures ont exercé sur la culture et l’identité autochtones. (Note de fin de document 2 : (Décision de janvier 2016, au par. 425).

Aujourd’hui, comme c’était le cas à l’époque des pensionnats, c’est encore le gouvernement qui détermine le sort et l’avenir d’un grand nombre d’enfants des Premières Nations, que ce soit par l’application de modèles de financement restrictifs et inadéquats ou par le biais d’ententes bilatérales avec les provinces. La prestation de services à l’enfance et à la famille par une Première Nation et sa participation par le biais d’un représentant de bande ont pour but d’assurer que les services soient adaptés aux particularités culturelles et correspondent aux besoins de la collectivité. Si ce résultat est atteint, les services à l’enfance et à la famille deviendront peut-être plus légitimes aux yeux de la collectivité, ce qui en accroîtra l’efficacité et pourrait, en fin de compte, aider les personnes, les familles et les collectivités durement éprouvées par le système des pensionnats indiens et d’autres traumatismes historiques à se reconstruire. (Note de fin de document 3 : Décision de janvier 2016, au par. 426).

En refusant de financer les besoins en immobilisations associés au programme Nigonigawbow, SAC continue d’exercer de la discrimination à l’égard de la nation Wabaseemoong et d’entraver la prestation de services de représentants de bande adaptés culturellement aux enfants autochtones. La Première Nation ne peut offrir de services de représentants de bande sans disposer d’un local sécuritaire et confidentiel. La poursuite d’une prestation de services en l’absence d’un local sûr, sécuritaire et confidentiel est contraire aux pratiques de travail social et risque de contrevenir à la LSEJF. Le Canada s’est vu ordonner de mettre fin à la discrimination qu’il exerce à l’égard des enfants des Premières Nations de l’Ontario en finançant les services de représentants de bande en fonction des « coûts réels ». Pour Wabaseemoong, cela comprend une construction modulaire. C’est là une prérogative juridique que le Canada doit respecter.

[…]

Nous comprenons également que le personnel du gouvernement du Canada n’est peut-être pas au courant de la gamme de services offerts par le programme Nigonigawbow et ne saisit peut-être pas quelles sont les conditions des infrastructures à Wabaseemoong. Par conséquent, dans le cadre de votre processus décisionnel, nous vous invitons à visiter notre collectivité pour constater les difficultés que nous rencontrons en matière de prestation de programmes et de services.

[455] Le courriel de refus original a été inclus dans le formulaire d’appel. Il est ainsi rédigé :

[traduction]

Chef Scott,

Le présent courriel donne suite à la demande de 2019-2020 présentée à l’avance le 11 septembre 2019 par les Wabaseemoong Independent Nations, qui demandent un remboursement fondé sur les besoins réels en services de représentants de bande (« SRB ») en vertu de l’ordonnance 427 du Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP »).

À la suite de la demande de paiement au montant de 1 196 355 $, le Ministère a demandé des précisions supplémentaires pour appuyer le processus d’examen. Compte tenu de la complexité de la demande et de la nature des activités, nous avons demandé plus de temps pour pouvoir terminer l’examen et avons envoyé un courriel aux Wabaseemoong Independent Nations au sujet de l’état du paiement et du fait que le délai de 15 jours avait été interrompu.

Le Ministère a maintenant achevé son examen, et la demande de paiement au montant de 1 196 355 $ pour soutenir l’acquisition d’une caravane modulaire devant servir d’immeuble à bureaux pour la prestation de programmes de prévention a été jugée inadmissible selon les modalités du programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN ») et du guide du bénéficiaire de l’Ontario pour les SRB.

[456] Bien que la formation dispose de peu de renseignements sur la réponse du Canada à l’appel, les Chefs de l’Ontario affirment qu’elle a été refusée.

[457] Le formulaire d’appel contient plus de renseignements sur la demande que l’on n’en trouvait dans la demande initiale elle-même. Toutefois, comme indiqué à l’onglet 3 du dossier des Chefs de l’Ontario, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour que la formation en conclue qu’il est plus probable qu’improbable que le refus initial n’était pas fondé sur le principe de l’égalité réelle, et qu’aucune solution de rechange n’a été offerte aux Wabaseemoong Independent Nations lorsque leur demande a été rejetée. La demande a été jugée irrecevable au regard des Modalités du programme des SEFPN et du guide du bénéficiaire de l’Ontario pour les services de représentants de bande.

[458] Or c’est précisément ce type de situation qui devrait déclencher une analyse adéquate de l’égalité réelle selon les priorités et les besoins particuliers des Wabaseemoong Independent Nations. Il y a beaucoup de motifs dans les nombreuses décisions sur requête du Tribunal qui précisent en quoi consiste l’égalité réelle. La formation conclut, compte tenu de ce qui précède et des autres éléments de preuve se trouvant à l’onglet 3 du dossier des Chefs de l’Ontario, qu’une approche au cas par cas aurait dû donner un résultat positif si elle avait été utilisée par le Canada. Cette situation témoigne également d’une décision prise unilatéralement et d’un mépris des besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations qui sont visés par la présente instance.

[459] De plus, le Canada invoque abondamment ses discussions avec les Premières Nations et le respect de leurs priorités, alors qu’il n’a pas agi en ce sens dans ce cas-ci.

[460] La formation arrive à une conclusion semblable dans le cas d’Asubpeeschoseewagong Netum Anishinabek, où le programme de représentants de bande mène ses activités depuis une seule pièce, dans une caravane partagée qui était utilisée auparavant comme salles du chef et du conseil avant que les dirigeants ne quittent pour permettre aux représentants de bande d’utiliser l’espace. Par conséquent, le chef et le conseil n’ont plus de bureaux ni de salles à eux. Leur demande d’autorisation d’utiliser leurs fonds excédentaires a été refusée. (Voir l’onglet 4 du dossier de documents des Chefs de l’Ontario, 9 avril 2020).

[461] Bien que la formation reconnaisse que tel n’est peut-être pas toujours le cas, ces exemples appuient les positions des Chefs de l’Ontario et de la NNA ainsi que certaines des ordonnances demandées.

[462] Compte tenu de ce qui précède, les mêmes constats s’appliquent à l’argument du Canada selon lequel l’ordonnance demandée ferait des services à l’enfance et à la famille la priorité en matière d’infrastructure dans l’ensemble des collectivités, ce qui pourrait retarder d’autres projets d’infrastructure jugés prioritaires par une collectivité. Cette observation n’est pas convaincante, surtout si le Canada applique une optique d’égalité réelle à l’égard des besoins particuliers cernés par les Premières Nations.

[463] La formation estime que, cinq ans et demi après la Décision sur le bien-fondé, et trois ans après la décision sur requête 2018 TCDP 4, une autre ordonnance de clarification est nécessaire pour remédier suffisamment à la discrimination relevée dans la Décision sur le bien-fondé et les décisions sur requête subséquentes, pendant que l’on met en œuvre une réforme complète.

[464] La présente ordonnance pourrait être revue une fois que de nouveaux renseignements ou de nouvelles études auront été obtenus.

[465] Bien que Mme Wilkinson ait témoigné que le Canada allait au-delà des ordonnances de réparation de bâtiments, elle a également admis à la présidente du Tribunal que celui-ci avait aussi ordonné en 2016 de mettre fin à la discrimination conformément à toutes les conclusions de la décision pertinente.

[traduction]

LA PRÉSIDENTE : Vous comprenez que les éléments que vous avez mentionnés concernaient une réparation immédiate. Comprenez-vous que le Tribunal a procédé par étapes ---

LE TÉMOIN : Oui, absolument.

LA PRÉSIDENTE : D’accord.

LE TÉMOIN : Oui.

LA PRÉSIDENTE : Vous souvenez-vous que, dans notre décision de 2016, nous avons également dit de cesser les actes discriminatoires conformément à toutes les conclusions de la décision?

LE TÉMOIN : Oui

[Voir le contre-interrogatoire de Mme Johanne Wilkinson daté du 7 mai 2019, à la page 163, lignes 5 à 14.]

[466] Certaines des conclusions de 2016 portaient clairement sur les représentants de bande et la nécessité de passer à une approche axée sur la prévention.

[467] Le Canada soutient que son pouvoir de réparation n’autorise pas le Tribunal à dicter les détails de la politique de remplacement du Canada pour le financement des services de représentants de bande. La formation a le pouvoir de réparation nécessaire pour veiller à ce que la discrimination systémique constatée soit éliminée, à ce qu’elle ne se reproduise pas et à ce que les mesures prises par le Canada tiennent compte des ordonnances de mettre fin à ses actes discriminatoires et de modifier le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 conformément aux conclusions de la Décision sur le bien-fondé.

[468] Le Canada peut appliquer une véritable analyse de l’égalité réelle et adopter une politique qui tient compte de la discrimination systémique sans attendre que la formation rende des ordonnances de clarification. À vrai dire, le Canada l’a fait dans de nombreux cas, mais il y a place à l’amélioration et à la cohérence, comme en l’espèce.

[469] Les services doivent être offerts dans des locaux adéquats. Le manque de locaux empêche la prestation de ces services.

[470] La formation ne dicte pas les détails de la politique de remplacement. Elle veille simplement à ce que la politique de remplacement soit efficace, compte tenu des éléments de preuve présentés et de ses conclusions, et à ce qu’elle ne perpétue pas la discrimination ni ne répète les lacunes et les erreurs du passé :

Malgré la discordance entre la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario et la décision d’AADNC de ne plus financer les représentants des bandes, le ministre Duncan a expliqué [traduction] « [qu’]il incombe aux gouvernements des Premières Nations de déterminer leur degré de participation aux questions relatives au bien-être des enfants » et « nous ne prévoyons pas que le gouvernement du Canada leur offre du financement dans ce domaine » (Annexe, pièce 27, p. 1)

[Voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 238, non souligné dans l’original.]

[471] Il y a une ressemblance frappante entre cette conclusion et les arguments du Canada dans le cadre de la présente requête : [traduction] « Il faut maintenant donner au Canada du temps pour suivre les structures démocratiques qui sont en place afin de garantir la reddition de comptes en matière de fonds publics. Plus important encore, il n’y a aucune raison de perturber le système actuel, qui dépend des collectivités pour élaborer et établir les priorités de leurs besoins. » Cet argument est l’un des principaux arguments ayant été rejetés en 2016, et par ailleurs, la discrimination systémique a été constatée.

[472] Un autre extrait de la Décision sur le bien-fondé est utile ici :

L’Entente de 1965 n’a pas prévu pas de partage des dépenses en capital au titre des infrastructures et du renforcement des capacités depuis 1975 (témoignage de P. Digby, Transcription, vol. 59, p. 93). Mme Stevens a expliqué les répercussions que cette situation avait eues sur son organisation : bon nombre d’enfants à risque élevé sont envoyés à l’extérieur de la collectivité pour recevoir des services, parce qu’il n’y a pas de centre de traitement dans leur collectivité. L’organisme Anishinaabe Abinooji Child and Family Services consacre environ deux à trois millions de dollars par année pour envoyer des enfants à l’extérieur de leur collectivité. Selon Mme Stevens, il n’y a pas suffisamment de ressources pour construire un centre de traitement, ou pour élaborer des programmes pour venir en aide à ces enfants à risque élevé, parce que les fonds en question sont consacrés à répondre à leurs besoins courants (Transcription, vol. 25, p. 32).

[Voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 245, non souligné dans l’original.]

[473] De plus, le Canada soutient qu’il n’y a pas de discrimination persistante au chapitre des dépenses d’immobilisations. Toutefois, la formation constate que les déposants de SAC admettent que des discussions sur les dépenses d’immobilisations sont toujours en cours afin de comprendre les besoins et de « présenter des arguments » en faveur des nouvelles autorisations. Entre-temps, les besoins ne sont que partiellement comblés et le financement est plafonné, et les demandes de fonds supplémentaires au cas par cas peuvent être refusées, comme nous l’avons expliqué précédemment. Cette approche ne donne pas les résultats escomptés. Le Canada n’a pas établi que son approche actuelle est suffisante pour éliminer la discrimination systémique.

[474] En ce qui concerne les services de prévention offerts par les Premières Nations en Ontario, la formation n’a pas rendu d’ordonnances précises sur les coûts réels pour d’autres services de prévention, à l’exception des services en santé mentale et des services de représentants de bande. La formation constate que certaines améliorations ont été apportées et que le Canada a fourni du financement au moyen d’allocations d’aide immédiate limitées destinées aux services de prévention en Ontario. Le Canada a également fourni du financement selon les coûts réels pour les services des représentants de bande, à l’exception des coûts réels d’acquisition et de construction de bâtiments. Par conséquent, le financement demeure insuffisant pour répondre aux besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations dans les réserves de l’Ontario.

[475] Les services de prévention doivent être financés en fonction des dépenses réelles, y compris les dépenses d’immobilisations pour l’acquisition ou la construction de bâtiments destinés à soutenir la prestation de services de prévention et de services de représentants de bande, afin de commencer à s’attaquer à la discrimination systémique relevée dans la Décision sur le bien-fondé pendant que le Canada élabore une nouvelle formule de financement adéquate à long terme fondée sur des études et des consultations. Il le faut, étant donné l’important laps de temps qui s’est écoulé depuis la Décision sur le bien-fondé, et même depuis la plus récente décision 2018 TCDP 4. Mme Isaak a reconnu que le cas des Premières Nations de l’Ontario est différent, parce que la prévention est assurée par les collectivités (voir le contre-interrogatoire de Mme Paula Isaak, 30 octobre 2018 (« contre-interrogatoire de Paula Isaak »), aux pages 111 et 112, lignes 20 à 7).

[476] De plus, la formation convient avec les Chefs de l’Ontario que les Premières Nations de l’Ontario participent directement à la prestation de services de prévention et de représentants de bande offerts à leurs citoyens. La croissance des programmes n’a pas été adéquatement appuyée, ce qui a exercé des pressions sur les immobilisations et les infrastructures déjà très sollicitées des Premières Nations de l’Ontario.

[477] Pour ces motifs, la formation estime qu’une autre ordonnance de clarification est justifiée.

[478] La formation souhaite également traiter des études de faisabilité et des évaluations des besoins à l’extérieur des réserves.

[479] La partie « hors réserve » de l’ordonnance portant sur les études de faisabilité et les évaluations des besoins s’applique aux organismes et aux collectivités des Premières Nations qui exercent également leurs activités hors réserve dans le cadre du programme fédéral pour la région de l’Ontario. Le gouvernement fédéral soutient que les Modalités et les autorisations du Programme des SEFPN ne permettent pas de dépenser des fonds pour les infrastructures hors réserve. Ce niveau d’élargissement du programme nécessiterait des autorisations supplémentaires et serait mieux appuyé par la Direction générale des infrastructures communautaires.

[480] La présente décision sur requête vise tous les services offerts dans le cadre du Programme des SEFPN et du principe de Jordan, les services de prévention et les services de représentants de bande. Le principe de Jordan ne se limite pas aux services dans les réserves et s’intègre aux autres services, surtout lorsqu’il y a des lacunes. Dans une perspective globale, les études de faisabilité et les évaluations des besoins pourraient aider à déterminer les besoins particuliers des organismes et des collectivités des Premières Nations qui exercent leurs activités à l’extérieur des réserves et à mettre en évidence ce qui relève de la responsabilité du gouvernement fédéral et ce qui n’en relève pas. Les présents motifs s’appliquent également à toutes les parties « hors réserve » des ordonnances rendues dans la présente décision sur requête pour ce qui est des études de faisabilité et des évaluations des besoins.

Ordonnances

En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne au Canada ce qui suit :

Financer les coûts réels des services de représentants des bandes et des services de prévention dans les réserves dans les 30 jours suivant la présente ordonnance et en informer les Premières Nations par écrit.

Consulter les Chefs de l’Ontario et la NNA, informer les Premières Nations de l’Ontario par écrit et leur fournir du financement pour mener des études de faisabilité et des évaluations des besoins en vue de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation des services de prévention et des services de représentants de bande dans les réserves et hors réserve, le cas échéant, en vertu du programme fédéral en Ontario, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.

XI. Contexte du remboursement des organismes de petite taille

[481] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a ordonné au Canada de rembourser les organismes de SEFPN de petite taille pour les rajustements à la baisse de leur financement que le Canada leur avait imposés en fonction du nombre restreint d’enfants qu’ils servaient. En particulier, le Tribunal a rendu l’ordonnance suivante aux paragraphes 251 et 252 :

La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada, d’éliminer cet aspect de ses formules et de ses modèles de financement qui incite à retirer inutilement, les enfants des Premières Nations de leurs familles ou de leurs collectivités et ce, le temps que la réforme à long terme de ses formules et de ses modèles de financement du Programme national des SEFPN soit complétée. À cet effet, et conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, la formation ordonne au Canada en consultation avec l’APN, la Société de soutien, la Commission, les COO et la NNA (voir, ci-après, l’ordonnance relative au protocole), d’établir un autre système pour financer les organismes de petite taille des Premières Nations soit, un système fondé sur les besoins réels et, fonctionnant de la même façon que les méthodes de financement qu’applique à l’heure actuelle AANC, pour financer les frais de garde et d’entretien liés au bien-être à l’enfance, c’est-à-dire, en remboursant intégralement les coûts réels de ces services qui selon les organismes de SEFPN, servent le mieux les intérêts de l’enfant. La formation ordonne au Canada d’établir et de mettre en œuvre la méthode à suivre incluant un cadre de responsabilisation, et ce, d’ici le 2 avril 2018, et qu’il rende compte de la situation à la formation d’ici le 3 mai 2018.

La formation, conformément à l’article 53(2)(a) de la LCDP, ordonne au Canada de mettre fin à sa pratique de financement discriminatoire qui consiste à ne pas financer les coûts réels des organismes de petite taille des Premières Nations. Afin d’assurer la collecte de données de manière appropriée et, de répondre aux besoins réels des enfants des Premières Nations, la formation ordonne au Canada de financer, sur la base des coûts réels, les organismes de petite taille des Premières Nations, lesquels doivent être remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016, d’ici le 2 avril 2018. Cette ordonnance complète celle qui précède.

[482] Dans la présente requête de la Société de soutien, on demande des précisions et des directives supplémentaires concernant la partie de l’ordonnance enjoignant au Canada de « financer, sur la base des coûts réels, les organismes des Premières Nations, lesquels seront remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016 ». En particulier, la requête de la Société de soutien vise à examiner de quelle façon les coûts réels de ces organismes devraient être déterminés aux fins des remboursements en vertu de l’ordonnance.

[483] La formation a examiné les problèmes de financement particuliers des organismes de SEFPN de petite taille à divers moments dans des décisions antérieures depuis la Décision sur le bien-fondé. Dans la Décision sur le bien-fondé, la formation a conclu, au paragraphe 384, que :

Dans les organismes de petite taille et éloignés, les seuils de population de la Directive 20‑1 ont pour effet de réduire sensiblement les budgets d’exploitation, en plus de nuire à leur capacité d’offrir des programmes efficaces et de répondre aux situations d’urgence. Certains risquent même de devoir fermer leurs portes.

[484] Plus loin dans la décision, au paragraphe 386, la formation conclut :

AADNC a transposé certaines des lacunes de la Directive 20‑1 dans l’AAAP, notamment celles concernant les enfants pris en charge et les niveaux de population, ainsi que celles concernant les volets fixes de financement pour l’exploitation et la prévention. Même s’il était conscient de ces lacunes dans la Directive 20‑1 à la suite de nombreux rapports, AADNC n’a pas suivi les recommandations de ces rapports et a perpétué la principale lacune du Programme des SEFPN, soit l’incitation à prendre les enfants en charge - à les retirer de leur milieu familial.

[485] De la même façon, au paragraphe 389 de la Décision sur le bien-fondé, la formation tire la conclusion suivante :

Comme la structure de financement actuelle du Programme des SEFPN n’est pas adaptée aux lois et normes provinciales et territoriales, elle crée souvent des problèmes de financement pour un certain nombre de postes. Mentionnons notamment les salaires et les avantages sociaux, la formation, les ajustements pour tenir compte du coût de la vie, les frais juridiques, les primes d’assurances, les frais de déplacement, les primes d’éloignement, les bureaux multiples, les grandes infrastructures, les programmes et les services adaptés à la culture, les représentants des bandes et les mesures les moins perturbatrices. Il est difficile, voire impossible, pour bon nombre d’organismes de SEFPN de se conformer aux lois et aux normes provinciales et territoriales en matière de services à l’enfance et à la famille s’ils ne disposent pas d’un financement suffisant pour ces postes. De nombreux petits organismes éloignés, se voient même dans l’impossibilité de fournir des services à l’enfance et à la famille.

[486] En résumant ses principales constatations au paragraphe 458 de la Décision sur le bien-fondé, la formation a souligné ce qui suit :

Le modèle de financement de la Directive 20‑1, tel que conçu et appliqué, met en place un financement fondé sur des hypothèses erronées quant au nombre d’enfants pris en charge et aux seuils de population, qui ne reflètent pas fidèlement les besoins en matière de services d’un bon nombre des collectivités des réserves. Cette situation se traduit par un financement fixe insuffisant des frais d’exploitation (coûts d’immobilisation, bureaux multiples, ajustement pour tenir compte du coût de la vie, salaires et avantages sociaux du personnel, formation, frais juridiques, éloignement et frais de déplacement) et des services de prévention (services primaires, secondaires et tertiaires pour s’assurer que les enfants demeurent en sécurité dans leur milieu familial).Cela nuit à la capacité des organismes de SEFPN de fournir les services d’aide à l’enfance exigés par les provinces et les territoires et, à plus forte raison, des services adaptés à la réalité culturelle des enfants et des familles des Premières Nations. Cela crée également une incitation à placer les enfants en famille d’accueil parce que les dépenses d’entretien admissibles sont remboursables au prix coûtant.

[487] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 10, le Tribunal a ordonné au Canada de prendre des mesures immédiates pour régler les problèmes, notamment les « hypothèses reposant sur des seuils de population et sur le nombre d’enfants pris en charge pour financer les budgets d’exploitation des organismes de SEFPN » et a ajouté qu’« AADNC a transposé certaines des mêmes lacunes de la Directive 20-1 dans l’AAAP, notamment celles concernant les enfants pris en charge et les niveaux de population, ainsi que celles concernant les volets fixes de financement pour les activités et la prévention » (aux par. 10 et 23).

[488] Dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, la formation a réitéré son ordonnance sur les mesures de réparation immédiates rendue dans la décision sur requête 2016 TCDP 10, y compris la partie liée aux « organismes en région éloignée et/ou aux petits organismes » (2016 TCDP 16, au par. 36). De plus, « AANC a reçu l’ordre d’arrêter immédiatement de réduire de façon stéréotypée le financement en se fondant sur des seuils de population arbitraires » (au par. 40). En conséquence, le Tribunal a ordonné, au paragraphe 160(A)(5) :

Pour déterminer le financement à accorder aux organismes qui fournissent des SEFPN, AANC doit cesser de réduire le financement aux organismes qui desservent moins d’enfants que les 251 admissibles. Le financement devrait plutôt être établi selon une évaluation du niveau de besoin actuel de services pour chaque organisme qui fournit des SEFPN, indépendamment du niveau de la population.

[489] Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, la formation a conclu que le Canada ne se conformait pas entièrement aux ordonnances antérieures relatives aux organismes de petite taille et a donc rendu des ordonnances subséquentes. Par exemple, au paragraphe 247, le Tribunal a conclu que « [l]e Canada s’est conformé à ce qui lui a été prescrit en cessant de réduire le financement des organismes qui servent moins de 251 enfants, mais la formation conclut qu’il ne s’est pas conformé entièrement à ses ordonnances antérieures. La formation a ordonné au Canada d’éliminer les seuils et les niveaux de population et de remédier sans délai aux effets préjudiciables causés aux organismes de petite taille qui font face aux plus grands défis, surtout s’ils sont isolés. Par conséquent, le Tribunal a rendu les ordonnances des paragraphes 251 et 252 qui sont déjà reproduites au début de la présente section.

[490] Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la question soulevée dans la présente requête porte sur le financement rétroactif des organismes de SEFPN pour la période du 26 janvier 2016 au 1er février 2018. Au cours de cette période, la formule de financement du Programme des SEFPN a permis d’estimer les coûts de certaines dépenses figurant sur une liste de financement de base, notamment les dépenses correspondant au Conseil d’administration, à l’administrateur, aux services des RH, aux frais administratifs généraux, à l’assurance et à la vérification. Pour les organismes qui desservent moins de 800 enfants, ce montant a été réduit. Jusqu’à l’ordonnance du Tribunal rendue dans la décision sur requête 2016 TCDP 16, la réduction allait de 12,5 % pour les organismes de SEFPN desservant de 700 à 799 enfants à une réduction de 87,5 % pour les organismes de SEFPN desservant de 100 à 199 enfants (voir le Rapport de conformité du Canada du 30 septembre 2016 à l’annexe C et le Rapport de conformité du Canada du 31 octobre 2016 aux pages 4 et 5).

[491] Les parties ont créé le CCPE pour tenter de mettre en œuvre la réparation dans la présente décision et de régler toute question non réglée qui pourrait être soulevée. La question du remboursement pour le rajustement à la baisse du financement des organismes de SEFPN de petite taille a fait l’objet de discussions. Au cours du processus, le Canada a indiqué qu’il était disposé à rembourser rétroactivement les dépenses réellement engagées et les augmentations salariales rétroactives pour les employés d’organismes de petite taille de SEFPN, conformément aux normes provinciales.

XII. Observations des parties sur le remboursement des organismes de petite taille

A. Société de soutien

[492] La Société de soutien demande les ordonnances suivantes :

[traduction]

1. Le Canada doit rembourser, rétroactivement au 26 janvier 2016, les organismes de SEFPN de petite taille (desservant moins de 800 enfants indiens inscrits) pour toute réduction de financement liée à l’application par lui de rajustements à la baisse fondés sur les seuils de population dans sa formule de financement opérationnel de base dans le cas où ces montants n’ont pas encore été remboursés conformément à l’ordonnance du Tribunal du 1er février 2018 (2018 TCDP 4);

2. Le Canada doit communiquer avec tous les organismes de SEFPN de petite taille dans les six semaines suivant la date de l’ordonnance pour les aviser de celle-ci.

[493] L’argument central de la Société de soutien est que la formule de financement a été conçue pour financer les SEFPN en fonction du modèle d’établissement des coûts du gouvernement, auquel le rajustement à la baisse a été appliqué pour les organismes de petite taille. Par conséquent, l’ordonnance rendue par la formation en 2018 dans le cadre de la décision sur requête 2018 TCDP 4 et visant le remboursement des coûts réels aux organismes de petite taille devrait être fondée sur les coûts réels indiqués dans le modèle de financement, sans le rajustement à la baisse, plutôt que sur les dépenses réellement payées.

[494] La Société de soutien ne considère pas comme une indemnisation adéquate la proposition du Canada de rembourser les dépenses réellement engagées et les augmentations rétroactives des salaires et des avantages sociaux du personnel conformément aux normes provinciales.

[495] La Société de soutien récapitule les conclusions de la formation dans des décisions antérieures, qui remontent à la Décision sur le bien-fondé, selon lesquelles le rajustement à la baisse du financement de base pour les organismes desservant moins de 800 enfants inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, était discriminatoire. En particulier, la Société de soutien cite les paragraphes 384, 386, 389 et 458 de la Décision sur le bien-fondé, le paragraphe 23 de la décision sur requête 2016 TCDP 10; les paragraphes 24, 29, 36, 40 et 160(A)(5) de la décision sur requête 2016 TCDP 16; et les paragraphes 154, 195, 247, 251, 252, 420, et 421 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 à titre d’exemples des problèmes que la formation a relevés en ce qui a trait au financement des organismes de petite taille par le Canada et des ordonnances réparatrices correspondantes que la formation a rendues. Les modifications apportées au paragraphe 421 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 ne changent rien à l’analyse de la question actuelle.

[496] La Société de soutien précise comment le modèle d’établissement des coûts a été appliqué de manière à financer certaines fonctions au prorata pour les organismes de petite taille et à imposer un rajustement à la baisse variable des coûts engagés pour les organismes desservant moins de 800 enfants. La Société de soutien croit comprendre que cette pratique s’appliquait au cours des exercices financiers 2015-2016, 2016-2017 et des 10 premiers mois de l’exercice financier 2017-2018. Au total, le rajustement à la baisse au cours de cette période s’est traduit par un montant de 29,6 millions de dollars que les organismes de SEFPN de petite taille n’ont pas reçu.

[497] La Société de soutien ne souscrit pas à l’argument du Canada selon lequel la Loi sur la gestion des finances publiques limite le financement aux travaux, aux biens ou aux services parce que les paiements seraient effectués par suite d’une ordonnance du Tribunal. De plus, la Société de soutien fait valoir que ces dépenses auraient déjà dû être prévues au budget et incluses dans les crédits annuels.

[498] De plus, le Canada calcule les frais administratifs généraux en fonction d’un pourcentage des salaires et des avantages sociaux plutôt qu’en fonction du coût réel. Il est particulièrement difficile de comprendre pourquoi le Canada ne serait pas disposé à fournir un financement rétroactif correspondant pour les frais généraux administratifs en fonction des augmentations salariales rétroactives qu’il est disposé à accorder. La Société de soutien fait valoir que, selon les ordonnances antérieures du Tribunal, les organismes de SEFPN de petite taille doivent recevoir la totalité de leur financement de base.

[499] La Société de soutien allègue qu’il est déraisonnable d’exiger que les organismes de SEFPN de petite taille aient réellement engagé des dépenses pertinentes pour être admissibles à un remboursement. Il est déraisonnable de s’attendre à ce que ces organismes aient dépensé de l’argent qu’ils n’avaient pas. Ils devraient plutôt être placés dans la situation financière dans laquelle ils se seraient trouvés si le Canada s’était immédiatement conformé à l’ordonnance du Tribunal du 26 janvier 2016.

B. La Commission

[500] La Commission ne prend pas position au sujet de l’ordonnance demandée, mais espère fournir des renseignements et commentaires généraux qui aideront la formation.

[501] Au moment de la Décision sur le bien-fondé, la formule de financement du Canada comportait des rajustements à la baisse pour les organismes de SEFPN de petite taille associés à un faible seuil de population. Un léger changement dans la population d’enfants pouvait entraîner un énorme changement dans le financement au-delà d’un certain seuil. Le Tribunal a conclu que les seuils relatifs à la population d’enfants étaient discriminatoires parce qu’ils ne reflétaient pas les besoins réels en matière de services et ne fournissaient pas un financement fixe adéquat pour le fonctionnement et la prévention. Dans la décision sur requête 2018 TCDP 4, le Tribunal a conclu que le changement provisoire du Canada visant à ne plus réduire le financement des organismes desservant moins de 251 enfants n’était pas suffisant pour régler le problème soulevé dans la Décision sur le bien-fondé. Par conséquent, le Tribunal a ordonné au Canada d’analyser les résultats de l’évaluation des besoins des organismes de SEFPN, d’effectuer une analyse des coûts des besoins réels des organismes de petite taille, d’élaborer un autre système de financement des organismes de petite taille fondé sur les coûts réels de la prestation de services appropriés, de mettre fin à la pratique consistant à ne pas financer intégralement les coûts des organismes de petite taille, et de fournir un financement rétroactif au 26 janvier 2016.

[502] Par la suite, le Canada a financé l’évaluation des besoins effectuée par l’IFPD. Il a mis en place un processus permettant aux organismes de petite taille d’obtenir du financement pour les coûts réels de la prestation des services, et les encourage à communiquer avec lui s’ils ont des besoins non comblés. Le Canada a également publié des guides sur les procédures à suivre pour demander le remboursement rétroactif des dépenses engagées. La Société de soutien a adopté la position selon laquelle la décision sur requête exige de fournir rétroactivement l’intégralité du financement qui aurait été disponible si le Canada n’avait pas appliqué un rajustement à la baisse, plutôt que de se contenter de rembourser les dépenses réellement engagées.

[503] La Commission reconnaît que le Canada a pris des mesures; il a notamment financé le rapport de l’IFPD, mis sur pied un processus de remboursement des dépenses passées réellement engagées et participé à des discussions sur cette question tout en payant les coûts réels de façon provisoire.

[504] Néanmoins, les parties se retrouvent dans une impasse dans leurs discussions sur cette question, et la Commission attend avec impatience les directives du Tribunal.

[505] En outre, la Commission fait remarquer qu’elle serait ouverte à ce que des échéances soient exécutoires quant au rapport de l’IFPD et au rapport sur l’éloignement visant à élaborer une approche de financement à long terme pour les organismes de petite taille.

C. Assemblée des Premières Nations

[506] L’APN appuie la position de la Société de soutien.

D. Chefs de l’Ontario

[507] Les Chefs de l’Ontario n’ont pas présenté d’observations sur cette question.

E. Nation Nishnawbe-Aski

[508] La NNA n’a pas présenté d’observations sur cette question.

F. Le Canada

[509] Le Canada demande que la requête soit rejetée. Il soutient qu’il s’est conformé à l’ordonnance du Tribunal de financer les organismes de petite taille en fonction des coûts réels rétroactivement au 26 janvier 2016. Il affirme que l’ordonnance demandée est en fait une demande d’indemnisation et de dommages-intérêts généraux pour les organismes de SEFPN de petite taille qui va au-delà de l’ordonnance du Tribunal visant la restitution des sommes dépensées.

[510] Le Canada rappelle que la Décision sur le bien-fondé portait sur l’approche de financement du Canada pour les organismes de SEFPN de petite taille qui desservent une population de moins de 1 000 enfants. Le financement de base et administratif a été réduit pour les organismes desservant moins de 800 enfants. La question a ensuite été traitée dans les décisions sur requête 2016 TCDP 16 et 2018 TCDP 4.

[511] Ensuite, le Canada a révisé ses politiques afin de financer les coûts réels des organismes de petite taille. Plus précisément, il paie les coûts réels des organismes de petite taille rétroactivement à janvier 2016, date où ils n’avaient aucune source de financement, et avaient donc engagé des coûts. Et, depuis 2018, le Canada paie les coûts réels de façon continue jusqu’à ce qu’un autre mécanisme soit en place. Le Canada encourage les organismes à communiquer avec SAC s’ils ont des besoins qui ne sont pas comblés. Le Canada a augmenté le financement disponible dans le budget de 2018. Il ne peut pas rembourser les coûts qui n’ont pas été réellement engagés. Le Canada est disposé à financer rétroactivement les salaires et les avantages sociaux afin que le personnel puisse recevoir une rémunération rétroactive comparable à celle de ses homologues provinciaux. Le Canada a également confirmé que les organismes de petite taille pouvaient réclamer leurs déficits rétroactivement. Il a versé environ 24 millions de dollars en paiements rétroactifs avant même l’expiration du délai pour présenter des demandes rétroactives, ce qui se rapproche du montant de la réduction du financement calculé à partir du rajustement à la baisse. Le Canada a également fourni des fonds pour payer les demandes des organismes de petite taille selon les coûts réels.

[512] Selon le Canada, la Société de soutien demande maintenant une ordonnance pour des dépenses rétroactives que des organismes de petite taille auraient pu engager, mais ils ne les ont pas engagées. L’ordonnance du Tribunal de rembourser rétroactivement les organismes de petite taille en fonction des coûts réels ne peut pas être interprétée d’une manière qui entraînerait le remboursement de dépenses qui n’ont pas été réellement engagées.

[513] Le Canada affirme que son interprétation des coûts et remboursements réels est conforme à la Directive sur les paiements de transfert établie en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui précise que le montant total des contributions ne doit pas dépasser le montant des dépenses admissibles réellement engagées. Cette situation se distingue du financement rétroactif des salaires et des avantages sociaux du personnel par le Canada, car le personnel s’est acquitté de ses fonctions pendant la période de référence et aurait été rémunéré à un taux plus élevé si le Canada n’avait pas commis d’acte discriminatoire.

[514] Par la suite, les organismes de petite taille ont pu élargir leurs services en fonction du financement des coûts réels par le Canada.

[515] Le Canada avance que la demande de la Société de soutien vise à étendre les ordonnances du Tribunal au-delà de l’indemnisation pour les sommes dépensées, pour couvrir maintenant une indemnisation pour la discrimination ainsi que des dommages‑intérêts généraux. Ces réparations dépassent la portée de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP et les pouvoirs que la loi confère au Tribunal.

XIII. Analyse relative aux organismes de petite taille

[516] Le Tribunal a exposé son raisonnement initial dans la lettre de décision. Comme promis, il fournit maintenant des motifs plus détaillés.

[517] La Société de soutien demande une ordonnance enjoignant au Canada de rembourser les organismes de SEFPN de petite taille (qui desservent moins de 800 enfants admissibles) pour toute réduction de financement liée à l’application par lui de rajustements à la baisse fondés sur les seuils de population dans sa formule de financement opérationnel de base, rétroactivement au 26 janvier 2016, dans le cas où ces montants n’ont pas encore été remboursés par suite de l’ordonnance du Tribunal du 1er février 2018 (2018 TCDP 4).

[518] Le Canada soutient quant à lui que l’ordonnance supplémentaire demandée pour les dépenses non engagées revient en fait à une demande d’indemnisation et de dommages-intérêts généraux pour le rajustement à la baisse imposé aux organismes de SEFPN de petite taille.

[519] L’ordonnance rendue par le Tribunal le 1er février 2018 visait à « financer, sur la base des coûts réels, les organismes de petite taille des Premières Nations, lesquels doivent être remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016 ». La formation convient avec la Société de soutien que l’objectif des ordonnances était d’assurer une collecte de données appropriée et de répondre aux besoins réels des enfants des Premières Nations.

[520] C’est la raison pour laquelle la formation a ordonné, à l’annexe B, modifiée au paragraphe 421, que :

[C]onformément à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, [la formation] ordonne au Canada de mettre fin à sa pratique de financement discriminatoire qui consiste à ne pas financer intégralement les coûts réels des organismes de petite taille des Premières Nations. Afin d’assurer la collecte de données de manière appropriée et de répondre aux besoins réels des enfants des Premières Nations, la formation ordonne au Canada de financer, en fonction des coûts réels, les organismes de petite taille des Premières Nations, lesquels doivent être remboursés rétroactivement au 26 janvier 2016, dans les 15 jours ouvrables suivant la réception des documents relatifs aux dépenses. Aux fins des remboursements rétroactifs, les organismes de SEFPN visés doivent présenter au Canada, au plus tard le 31 mars 2019, les documents relatifs aux dépenses. Cette ordonnance complète celle qui précède.

[521] L’ordonnance vise à mettre les organismes de petite taille sur un pied d’égalité avec les autres organismes et à faire en sorte que tous leurs coûts réels soient payés afin d’empêcher que les enfants des Premières Nations ne subissent des effets préjudiciables en raison du manque de ressources mises à la disposition des organismes de petite taille des Premières Nations.

[522] De plus, le Canada s’est vu ordonner de mettre fin à sa pratique qui consiste à ne pas financer les besoins réels des enfants, ce qu’on appelle aussi le rajustement à la baisse, et d’élaborer une méthode de financement appropriée qui tienne compte des besoins réels des enfants desservis par les organismes de petite taille des Premières Nations. De plus, la formation n’a pas exclu les organismes de petite taille de ses ordonnances sur les coûts réels.

[523] Par conséquent, la formation confirme que les organismes de petite taille devraient recevoir du financement pour les coûts réels de toutes leurs activités, notamment les coûts des services d’administration et de gouvernance, de prévention, d’accueil et d’enquête, ainsi que des services juridiques. La formation précise que cette question est déjà traitée dans les ordonnances de la décision sur requête 2018 TCDP 4 pour les organismes de SEFPN de petite taille (voir les par. 247 à 252 et 411 modifiés à l’annexe B) que le Canada a confirmé avoir exécutées.

[524] Le Canada soutient avoir révisé ses politiques afin de financer les coûts réels des organismes de petite taille. Plus précisément, le Canada paie les coûts réels des organismes de petite taille rétroactivement à janvier 2016, date où ils n’avaient pas de source de financement et ont donc engagé des coûts. Et, depuis 2018, le Canada paie les coûts réels de façon continue jusqu’à ce qu’un autre mécanisme soit en place. Le Canada encourage les organismes à communiquer avec SAC s’ils ont des besoins qui ne sont pas comblés. Le Canada a augmenté le financement disponible dans le budget de 2018. Il ne peut pas rembourser les coûts qui n’ont pas été réellement engagés. Il est disposé à financer rétroactivement les salaires et les avantages sociaux afin que le personnel puisse recevoir une rémunération rétroactive comparable à celle de ses homologues provinciaux. Le Canada a également confirmé que les organismes de petite taille pouvaient réclamer leurs déficits rétroactivement. Le Canada a versé environ 24 millions de dollars en paiements rétroactifs avant même l’expiration du délai pour présenter des demandes rétroactives. Selon le Canada, cela se rapproche du montant de la réduction du financement calculée à la suite du rajustement à la baisse. Le Canada soutient qu’il a également fourni des fonds pour payer les demandes de règlement des organismes de petite taille selon les coûts réels.

[525] Dans le cas où la pratique du Canada ne couvrirait pas tous les coûts réels des organismes de petite taille des Premières Nations qui offrent des services répondant aux besoins réels des enfants qu’ils servent, la formation précise que les coûts réels pour les services d’administration et de gouvernance, de prévention, d’accueil et d’enquête, ainsi que pour les services juridiques devraient être financés par le Canada. Si les dépenses n’ont pas été remboursées en fonction du coût réel, les organismes de petite taille devraient demander un remboursement au Canada. Si les organismes de petite taille étaient déficitaires ou endettés, ou s’ils devaient réaffecter des fonds destinés à la prévention ou au fonctionnement pour offrir les services nécessaires aux enfants à la suite d’un rajustement à la baisse, les fonds devraient être remboursés par le Canada. Si des fonds ne s’inscrivent pas dans les catégories susmentionnées et qu’ils n’ont pas été engagés, ils sont probablement visés par un autre alinéa de la LCDP, comme l’alinéa 53(2)d), qui n’a pas été invoqué dans le cadre de la présente requête. Voici cet alinéa :

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

[526] Aux dires du Canada, la Société de soutien demande maintenant une ordonnance pour des dépenses rétroactives que des organismes de petite taille auraient pu faire, mais qu’ils n’ont pas engagées. L’ordonnance du Tribunal de rembourser rétroactivement les organismes de petite taille en fonction des coûts réels ne peut pas être interprétée d’une manière qui entraînerait le remboursement de dépenses qui n’ont pas été réellement engagées.

[527] Par conséquent, la formation convient avec le Canada sur ce point que les dépenses non engagées constituent une forme d’indemnisation et que cela ne faisait pas partie des ordonnances rétroactives sur les coûts réels de la décision sur requête 2018 TCDP 4. L’ordonnance du Tribunal de financer les organismes de petite taille en fonction des coûts réels rétroactivement au 26 janvier 2016 n’incluait pas la demande supplémentaire de la Société de soutien.

[528] Bien que la formation estime que cela s’inscrit dans la portée de la demande, de tels arguments sur l’indemnisation et les dommages-intérêts généraux n’ont pas été avancés par la Société de soutien. Aucune autre ordonnance ne sera rendue relativement à cette demande dans le cadre de la présente décision sur requête.

XIV. Proposition aux parties et maintien de la compétence

[529] La formation conserve sa compétence à l’égard de toutes ses ordonnances antérieures, y compris les ordonnances de clarification dans la présente décision sur requête, et elle réexaminera le maintien de sa compétence si elle l’estime nécessaire à la lumière de l’évolution prochaine de la présente affaire ou jusqu’à ce que toutes les questions en suspens, y compris la réparation à long terme, soient réglées par les parties ou qu’elles aient fait l’objet d’une ordonnance par la formation. Cela ne touche pas la compétence que la formation conserve sur les autres questions soulevées dans la présente affaire.

[530] Dans le cadre du maintien de sa compétence, la formation a par le passé encouragé les parties à demander des clarifications ou des modifications des ordonnances du Tribunal (2018 TCDP 4, au par. 445). La formation continue d’être disposée à recevoir les demandes de corrections d’erreurs d’écriture ou de modifications aux ordonnances que les parties conviennent être dans l’intérêt des enfants, comme les parties et la formation l’ont fait avec les modifications que la décision 2017 TCDP 35 a apportées aux ordonnances de la décision sur requête 2017 TCDP 14.

[531] La formation est au courant des annonces publiques selon lesquelles les parties ont récemment entamé des négociations pour régler les questions en suspens, y compris celles en litige dans la présente décision. En l’absence d’observations sur ces discussions, la formation n’en a aucunement tenu compte dans ses motifs, en particulier parce qu’elle a rédigé la lettre de décision avant le début des négociations. Cela dit, la formation se réjouit d’appuyer les négociations dans la mesure du possible. Il se trouve que les parties peuvent, par exemple, vouloir suspendre ou modifier les délais établis dans les ordonnances pour la durée de leurs négociations ou en en conséquence de celles-ci. La formation est ouverte à toute observation que les parties pourraient faire sur cette question, en particulier si elles en ont déjà discuté avec les autres parties et qu’elles sont parvenues à un consensus.

XV. Ordonnances

[532] En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne au Canada ce qui suit :

  1. Financer tous les organismes de SEFPN, y compris les organismes de petite taille ou les Premières Nations, selon les coûts réels de l’acquisition d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN offerts aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et informer par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.
  2. Quant à la construction d’immobilisations, le Tribunal ordonne au Canada de financer les coûts réels des projets qui soutiennent la prestation de SEFPN offerts aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et qui sont prêts à aller de l’avant en les informant par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.
  3. Fournir, en consultation avec le CCPE, du financement aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations pour qu’ils puissent effectuer des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services des SEFPN dans les réserves. Cette ordonnance s’applique également aux Premières Nations qui assurent aussi cette prestation hors réserve dans le cadre du Programme fédéral des SEFPN, comme en Ontario.
  4. Financer, sur la base des coûts réels, tous les organismes de SEFPN, y compris les organismes de petite taille ou les Premières Nations, pour l’acquisition d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, et informer par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.
  5. Quant à la construction d’immobilisations, le Tribunal ordonne au Canada de financer les coûts réels des projets qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, pour les Premières Nations et les organismes de SEFPN qui sont prêts à aller de l’avant en les informant par écrit, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, de la façon d’obtenir ce financement pour les immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.
  6. Fournir, en consultation avec le CCPE, du financement aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations pour qu’ils puissent réaliser des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan dans les réserves, ainsi qu’au Yukon et hors réserve, le cas échéant.
  7. Fournir, en consultation avec les Chefs de l’Ontario et la NNA, du financement aux Premières Nations et aux organismes de SEFPN pour qu’ils puissent effectuer des études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services en vertu du principe de Jordan dans les réserves et hors réserve, le cas échéant, en application du principe de Jordan en Ontario.
  8. Financer les coûts réels des services de représentants des bandes et des services de prévention dans les réserves dans les 30 jours suivant la présente ordonnance et en informer les Premières Nations par écrit.
  9. Consulter les Chefs de l’Ontario et la NNA, informer les Premières Nations de l’Ontario par écrit et leur fournir du financement pour mener des études de faisabilité et des évaluations des besoins en vue de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation des services de prévention et des services de représentants de bande dans les réserves et hors réserve, le cas échéant, en vertu du programme fédéral en Ontario, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC.
  10. Les précédentes ordonnances reconnaissent les droits inhérents des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale, et le fait que le Tribunal ne peut obliger les Premières Nations qui ne sont pas parties à l’instance à agir de quelque manière que ce soit. Ces ordonnances reconnaissent que des processus complexes doivent être suivis avant que l’on ne soit prêt à procéder à la construction d’immobilisations dans les réserves, et que cela ne peut être réalisé unilatéralement par les organismes de SEFPN, par le Canada ou en vertu d’une ordonnance du Tribunal. Par conséquent, les ordonnances relatives à l’acquisition et à la construction ci-dessus ne visent que les projets qui sont prêts à aller de l’avant.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa, Ontario

Le 16 novembre 2021


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 16 novembre 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

David Taylor et Sarah Clarke, avocats pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, plaignante

Stuart Wuttke et Thomas Milne , avocats pour l’Assemblée des Premières Nations, plaignante

Brian Smith et Jessica Walsh, avocats pour la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Frater, c.r., Jonathan Tarlton et Max Binnie, avocats pour l’intimé

Maggie Wente et Sinéad Dearman, avocates pour les Chefs de l’Ontario , partie intéressée

Julian Falconer et Molly Churchill, avocats pour la Nation Nishnawbe-Aski , partie intéressée


Annexe A

Annexe à la décision 2021 TCDP 41

Modifications aux ordonnances sur consentement des parties

1. Contexte

[533] Le 13 décembre 2021, une lettre approuvée par toutes les parties et demandant le report de la date limite du 16 décembre 2021 fixée dans la décision sur requête 2021 TCDP 41 a été déposée au Tribunal par certaines des parties. Le 15 décembre 2021, le Tribunal a donné une directive et a accueilli la demande de prorogation au 14 janvier 2022 du délai prévu dans les ordonnances sur les grands projets d’immobilisation du Tribunal (2021 TCDP 41), étant donné que les parties avaient participé à des discussions en vue d’un règlement encadrées tout au long de l’automne.

[534] Comme il est expliqué dans la lettre du 13 décembre 2021, la Société de soutien, l’APN, le Canada, les Chefs de l’Ontario et la NNA ont entamé des négociations en novembre et en décembre 2021 afin de conclure une entente de principe sur les questions en suspens devant le Tribunal, notamment en ce qui concerne les grands projets d’immobilisations. Les parties soutiennent que, comme les médias l’ont rapporté plus tôt ce mois-ci, une telle entente de principe a été conclue le 31 décembre 2021.

[535] Une proposition de modification des ordonnances du Tribunal du 16 novembre 2021 (2021 TCDP 41) a été acceptée dans le cadre des discussions menant à l’entente de principe.

[536] Le 14 janvier 2022, la Société de soutien a déposé un avis de requête visant à modifier, avec le consentement de toutes les parties à la présente instance, un certain nombre de modifications proposées à la décision sur requête 2021 TCDP 41, qui sont reproduites ci-dessous. Les parties conviennent que les modifications régleraient le différend concernant la lettre de décision, qui a été suivie des motifs détaillés inclus dans la décision 2021 TCDP 41. Les parties indiquent au Tribunal que la présente entente permettra de régler la demande de contrôle judiciaire déposée devant la Cour fédérale par le Canada le 27 septembre 2021 (dossier de la Cour fédérale no T-1477-21).

[537] Il convient de souligner qu’un procédé semblable a déjà été utilisé par le passé dans deux autres décisions (2017 TCDP 14 et 2018 TCDP 4), avec de bons résultats. C’est un moyen rapide de régler les questions litigieuses dans l’intérêt des enfants des Premières Nations, qui n’auront pas à attendre des années avant que la question soit réglée. Il est également en phase avec l’objectif de la LCDP, qui est de régler les questions rapidement et dans l’intérêt public. Ce raisonnement a mené à la proposition de la formation aux paragraphes 530 et 531. Le paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les paragraphes 1(6), 3(1) et 3(2) des Règles de procédure du Tribunal (instances antérieures au 11 juillet 2021), le pouvoir inhérent du Tribunal de contrôler sa propre procédure et le maintien de la compétence et de l’approche du Tribunal en l’espèce appuient le pouvoir du Tribunal d’apporter les modifications.

[538] Après examen, la formation estime que les modifications proposées sont raisonnables et qu’elles ne modifient pas l’esprit ni le fond de la décision. De plus, la formation reconnaît la valeur du travail accompli par les parties qui ont une expertise et/ou des connaissances et qui ont négocié les détails de ces modifications ou les ont acceptées. Par conséquent, la formation accepte les modifications proposées et modifie ci-après sa décision 2021 TCDP 41.

[539] La formation espère que le pouvoir discrétionnaire du Canada prévu au paragraphe L des modifications ne sera jamais utilisé pour perpétuer la discrimination.

[540] Ces modifications ne modifient aucune autre décision ou ordonnance rendue en l’espèce.

[541] La formation conserve sa compétence à l’égard de toutes ses décisions et ordonnances afin de s’assurer qu’elles soient exécutées efficacement et que la discrimination systémique soit éliminée.

[542] La formation remercie toutes les parties pour leur travail.

2. Modifications

[543] Les modifications apportées aux ordonnances énoncées au paragraphe 532 et reprises à différents endroits dans la décision sont présentées ci-dessous. Il est entendu qu’elles remplacent le texte de la décision initiale. Le texte original au paragraphe 532 et tel que répété un peu partout dans la décision n’a pas été modifié pour tenir compte de la version modifiée ci-dessous.

3. Ordonnances modifiées

[544] Le paragraphe 532 est modifié. En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne au Canada ce qui suit :

  1. Pour ce qui est des organismes de SEFPN, y compris les organismes de petite taille ou les Premières Nations, financer la totalité des coûts d’acquisition des immobilisations nécessaires pour soutenir la prestation de SEFPN aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, lorsque ces projets d’immobilisations sont en cours ou que les organismes de SEFPN ou les Premières Nations indiquent qu’ils sont prêts à aller de l’avant, conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés). Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, le Canada informera par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations de la façon d’obtenir le financement des immobilisations, et le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC dans les 30 jours.
  2. Quant à la construction d’immobilisations par les organismes de SEFPN et les Premières Nations, financer la totalité des coûts des projets nécessaires pour soutenir la prestation de SEFPN aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon, lorsque ces projets sont en cours ou que les organismes de SEFPN ou les Premières Nations indiquent qu’ils sont prêts à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés). Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, le Canada informera par écrit les organismes de SEFPN et les Premières Nations de la façon d’obtenir le financement des immobilisations, et le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC dans les 30 jours.
  3. Fournir, en consultation avec les parties, du financement aux organismes de SEFPN et aux Premières Nations pour la réalisation d’études des besoins en immobilisations et des études de faisabilité relativement à l’acquisition ou à la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de SEFPN aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris en Ontario et au Yukon. Cette ordonnance s’applique également aux études pour les organismes des Premières Nations et organismes de SEFPN offrant des services aux enfants qui vivent hors réserve et qui sont admissibles au Programme des SEFPN.
  4. Financer toutes les Premières Nations ou tous les fournisseurs de services autorisés par elles pour le coût total de l’acquisition d’immobilisations afin de fournir les locaux sécuritaires, accessibles, confidentiels, adaptés à la culture et à l’âge qui sont nécessaires pour soutenir la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris en Ontario, et aux enfants des Premières Nations dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon, lorsque ces projets d’immobilisations sont en cours ou que, selon les Premières Nations ou les fournisseurs de services autorisés par elles, ils sont prêts à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés). Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, informer par écrit les Premières Nations, les coordonnateurs des services offerts en vertu du principe de Jordan et les organismes de SEFP de la façon d’obtenir ce financement des immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC dans les 30 jours.
  5. Quant à la construction d’immobilisations, financer, pour les Premières Nations et les fournisseurs de services autorisés par elles, le coût total des projets afin de fournir les locaux sécuritaires, accessibles, confidentiels, adaptés à la culture et à l’âge qui sont nécessaires pour soutenir la prestation de services en vertu du principe de Jordan aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris en Ontario, et aux enfants des Premières Nations dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon, lorsque ces projets d’immobilisations sont en cours ou que les Premières Nations et les fournisseurs de services autorisés par elles indiquent qu’ils sont prêts à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés). Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, informer par écrit les Premières Nations, les coordonnateurs des services en vertu du principe de Jordan et les organismes de SEFPN de la façon d’obtenir le financement des immobilisations. Le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC dans les 30 jours.
  6. Fournir, en consultation avec les parties, du financement aux Premières Nations ou aux fournisseurs de services autorisés par elles pour qu’ils puissent réaliser des études des besoins et des études de faisabilité concernant l’acquisition ou la construction d’immobilisations afin de fournir des locaux sécuritaires, accessibles, confidentiels, adaptés à la culture et à l’âge pour la prestation des services en vertu du principe de Jordan dans les réserves, y compris en Ontario, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et hors réserve, lorsque ces services sont admissibles aux fins de l’application du principe de Jordan.
  7. Fournir, en consultation avec les Chefs de l’Ontario et la NNA, du financement aux Premières Nations ou aux fournisseurs de services autorisés par elles pour qu’ils puissent réaliser des études des besoins et des études de faisabilité concernant l’acquisition ou la construction d’immobilisations afin de fournir des locaux sécuritaires, accessibles, confidentiels et adaptés à la culture et à l’âge pour la prestation des services en vertu du principe de Jordan.
  8. Financer les Premières Nations de l’Ontario pour le coût total de tout projet d’acquisition ou de construction d’immobilisations prêt à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 et qui soutient la prestation de services de représentants des Premières Nations et de services de prévention liés aux services à l’enfance et à la famille pour les enfants, les jeunes et les familles vivant dans les réserves, conformément au paragraphe M. Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, le Canada informera par écrit les Premières Nations de l’Ontario de la façon d’obtenir ce financement des immobilisations.
  9. Fournir, en consultation avec les Chefs de l’Ontario et la NNA, du financement aux Premières Nations de l’Ontario pour qu’elles puissent mener des études de faisabilité et des évaluations des besoins en vue de l’acquisition ou de la construction d’immobilisations qui soutiennent la prestation de services de représentants des Premières Nations et de services de prévention aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières Nations vivant dans les réserves, et hors réserve dans le cas les Premières Nations exerçant leurs activités à l’extérieur des réserves dans le cadre du Programme des SEFPN en Ontario. Dans les 15 jours suivant la présente ordonnance modifiée, le Canada doit informer par écrit les Premières Nations de l’Ontario de la façon d’obtenir le financement pour les études de faisabilité et les évaluations des besoins, et le Canada publiera ces renseignements sur le site Web de SAC dans les 30 jours.
  10. Les précédentes ordonnances reconnaissent les droits inhérents des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale, et que le Tribunal ne peut obliger les Premières Nations qui ne sont pas parties à l’instance à agir de quelque manière que ce soit. Ces ordonnances reconnaissent que des processus complexes doivent être suivis avant que l’on ne soit prêt à procéder à la construction d’immobilisations dans les réserves, et que cela ne peut être réalisé unilatéralement par les organismes de SEFPN, par le Canada ou en vertu d’une ordonnance du Tribunal. Par conséquent, les ordonnances relatives à l’acquisition et à la construction ci‑dessus ne visent que les projets qui sont prêts à aller de l’avant.
  11. L’examen par le Canada des projets d’immobilisations pour les organismes de SEFPN ou les Premières Nations situées dans des régions éloignées tiendra compte du fait que certaines composantes d’un projet pourraient devoir être approuvées avant que les études de faisabilité ou les travaux de conception ne soient terminés, en raison de facteurs comprenant l’accès saisonnier à la collectivité (p. ex., disponibilité d’une route de glace pendant les mois d’hiver seulement).
  12. Lorsqu’un organisme de SEFPN ou une Première Nation aura informé le Canada qu’un projet est prêt à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés) ou aura présenté une demande de financement pour une étude de faisabilité, le Canada rendra une décision sur le financement intégral du projet ou de l’étude dans un délai de 30 jours ouvrables (sauf dans des circonstances exceptionnelles où la complexité liée à la conception du projet ou aux conséquences de sa réalisation pour la région, ou d’autres circonstances imprévues, exigent plus de temps pour que le Canada examine la proposition). Si le Canada est d’avis de ne pas financer le coût total d’un projet ou d’une étude de faisabilité, qu’un projet n’est pas prêt à aller de l’avant ou qu’il faut plus de 30 jours ouvrables pour prendre une décision, il en informera l’organisme de SEFPN ou la Première Nation par écrit, en expliquant clairement les raisons pour lesquelles le projet est retardé, reporté ou inadmissible en tout ou en partie. Dans le cas de propositions de projet incomplètes ou refusées, le Canada accordera aux Premières Nations ou aux organismes de SEFPN un délai raisonnable pour corriger toute lacune.
  13. La portée des catégories d’immobilisations aux fins de l’application des paragraphes 532(A) à (I) ci-dessus et les considérations liées au processus d’approbation du Canada seront précisées dans un guide qui sera élaboré par le Canada et les parties dans les 45 jours suivant l’ordonnance modifiée. La création de ce guide ne retardera pas le financement des projets en cours ou qui sont prêts à aller de l’avant conformément aux paragraphes 191 et 192 (p. ex., projets ayant reçu les approbations pertinentes des Premières Nations et pour lesquels les études de faisabilité et les travaux de conception sont terminés). Elle ne doit pas non plus empêcher les Premières Nations et leurs fournisseurs de services d’obtenir du financement pour le coût total de l’acquisition ou de la construction de grands projets d’immobilisations, ou pour la réalisation d’évaluations des besoins en immobilisations et d’études de faisabilité.
  14. Dans les 45 jours suivant la présente ordonnance modifiée, le Canada et les parties élaboreront et mettront en œuvre un mécanisme d’examen conjoint pour permettre aux Premières Nations, d’une part, de participer à l’examen et de connaître la façon dont le Canada applique les critères de financement des grands projets d’immobilisations en vertu des paragraphes 532(A) à (I), et d’autre part, de surveiller la disponibilité générale des fonds pour de tels projets.
  15. Le financement mentionné ci-dessus sera fourni selon un engagement initial de 276,2 millions de dollars sur cinq ans pour les sites voués à la prestation de SEFPN et de services offerts en vertu du principe de Jordan, assorti d’un fonds de prévoyance de 93,5 millions de dollars sur trois ans pour les grands projets d’immobilisations liés aux demandes collectives en vertu du principe de Jordan. Dans le cas des projets d’immobilisations visant à soutenir la prestation de services de représentants des Premières Nations en Ontario, le financement sera fourni selon un engagement initial de 399 millions de dollars sur cinq ans.
  16. Tout financement excédant les engagements initiaux mentionnés au paragraphe 523(O) sera éclairé par les études de faisabilité menées conformément aux ordonnances énoncées aux paragraphes 532(C), (F) et (I); sera fourni en fonction des besoins réels des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations; devra respecter les principes de l’égalité réelle et tenir compte des facteurs de coût fondés sur des données, comme l’inflation, la croissance démographique et les mesures de la pauvreté. Le financement par le Canada du coût total des grands projets d’immobilisations inclura également tout dépassement de coûts raisonnable (comme l’augmentation du coût des matériaux, l’inflation ou des conditions de chantier différentes de celles envisagées dans les plans de construction) survenant entre l’étape de l’étude de faisabilité/conception et celle de la construction, lesquelles étapes seront définies plus en détail dans les documents d’orientation destinés aux bénéficiaires.
  17. Il est entendu que le Canada doit exécuter les ordonnances qui précèdent en conformité avec les paragraphes 422 et 424 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 (paragraphes contenant des ordonnances relatives à la non-réaffectation de fonds par Services aux Autochtones Canada).

[545] Les ordonnances rendues ci-dessus s’appliquent jusqu’à ce que l’une des situations ci-après survienne :

  1. Une entente de nation (autochtone) à nation (Canada) relative à l’autogouvernance en vue de la fourniture de ses propres services de bien-être à l’enfance.
  2. Le Canada conclut une entente propre à la nation même si la nation ne fournit pas encore ses propres services d’aide à l’enfance et que l’entente est plus avantageuse pour la nation autochtone que les ordonnances rendues dans la présente décision sur requête.
  3. La réforme à long terme est effectuée conformément aux pratiques exemplaires recommandées par les experts, les parties et les parties intéressées, et le financement de l’acquisition ou de la construction de grands projets d’immobilisations ne repose plus sur des formules ou des programmes de financement discriminatoires, comme constaté, par exemple, dans une ordonnance définitive du Tribunal approuvant une entente de règlement finale signée par le Canada et les parties.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa, Ontario

Le 18 janvier 2022

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