Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 40

Date : le 4 novembre 2021

Numéro du dossier : T2387/4619

 

Entre :

Lucyna Loboda

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la requête

[1] La présente décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») dispose de la requête en divulgation de documents déposée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (la « Compagnie » ou l’« intimée ») le 25 juin 2021.

[2] Dans cette requête, l’intimée demande au Tribunal d’ordonner à Lucyna Loboda (« Mme Loboda » ou la « plaignante ») de divulguer tous les renseignements potentiellement pertinents qu’elle a en sa possession et plus particulièrement :

  • tous les documents de son dossier chez Great-West Life (« GWL ») relatifs à sa couverture d’invalidité et à son retour au travail, du 1er mai 2015 à ce jour;
  • tous les documents de son dossier médical, incluant les fiches médicales, notes cliniques, rapports médicaux, correspondances de tous docteurs, psychologues ou autres professionnels de la santé qui l’ont traitée ou évaluée en lien avec sa déficience, son retour au travail et son aptitude à travailler, du 1er mai à ce jour, en ce compris les documents des Drs Elghol, Jacquier, Astorga et H. Annawi et de Mme Karen Bell, psychologue agréée.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne prend pas position sur la demande de divulgation des documents remontant au 1er mai 2015. Toutefois, elle s’oppose généralement à la divulgation des documents postérieurs à la fin de l’emploi de Mme Loboda ainsi qu’à la divulgation des documents de son dossier médical postérieurs à 2019.

[4] Quant à Mme Loboda, sa position s’apparente à celle de la Commission : elle s’oppose à la divulgation des documents contenus dans son dossier chez GWL et des documents de son dossier médical antérieurs au 8 juillet 2015. Elle s’oppose également à la divulgation de documents postérieurs à la fin de son emploi, soit le 22 décembre 2015. Enfin, elle s’oppose à la divulgation de tous documents relatifs à son suivi psychologique avec Mme Bell.

[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accorde, en partie, la requête de l’intimée.

II. Fondements juridiques en matière de divulgation

[6] Les fondements juridiques en matière de divulgation de documents dans les procédures du Tribunal sont de jurisprudence constante. Les parties ont à juste titre cité mon collègue David L. Thomas, qui a bien résumé le droit en la matière dans la décision Brickner c. la Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, aux paragraphes 4 à 10. Il est opportun de reproduire ces paragraphes dans la présente décision :

[4] Selon l’article 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (Loi), les parties qui se présentent devant le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments. Pour avoir cette possibilité, les parties doivent obtenir, entre autres choses, la divulgation de renseignements potentiellement pertinents et qui sont en la possession ou sous les soins de la partie adverse avant l’audition de l’affaire. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de renseignements permet à chaque partie de savoir ce qui lui est reproché et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audition.

[5] Pour décider de la divulgation des renseignements, le Tribunal doit déterminer la pertinence des éléments d’information en cause (voir Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6). Cette norme vise à « empêcher qu’on se lance dans des demandes de production “qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires” » (voir Day c. Ministère de la Défense nationale et Hortie, décision no 3, 2002/12/06). Cela garantit également le caractère probant des éléments de preuve.

[6] Il ne s’agit pas d’une norme particulièrement élevée à satisfaire pour la partie requérante. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués conformément aux articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04) (Règles) (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 (Guay); Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 28; et Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, au paragraphe 6 (Seeley)).

[7] Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (voir Guay, au paragraphe 43). Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise. Le Tribunal est d’avis que dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence probable des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte (voir Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8407 (CF), au paragraphe 13; voir également l’article 48.9(1) de la Loi).

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 4; Seeley, au paragraphe 7; voir aussi R. c. Seaboyer [1991] 2 R.C.S. 577, aux pages 609 à 611).

[9] Il convient également de souligner que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve lors de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

[10] De plus, étant donné que l’obligation de divulgation d’une partie se limite aux documents « qu’elle a en sa possession » selon l’article 6 des Règles, le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer de nouveaux documents aux fins de la divulgation (voir Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au paragraphe 17).

[Voir également Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 9, au paragraphe 25; Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP 5, aux paragraphes 13 à 17.]

[7] Il est également pertinent de reprendre les commentaires de mon collègue Edward P. Lustig, dans Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, au paragraphe 34 [Egan], en ce qui concerne plus précisément la divulgation de documents médicaux :

[34] En ce qui concerne les documents médicaux, le Tribunal a conclu que le droit de l’intimée de « connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l’objet » l’emporte sur les droits à la confidentialité et à la vie privée (Guay, au paragraphe 45). Comme il est énoncé dans Guay, « [l]a justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l’on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l’argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l’intimée a le droit d’obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation » (voir Guay, au paragraphe 45; voir aussi Palm, au paragraphe 11).

[Non souligné dans l’original]

[Voir également Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 12.]

[8] Dans T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 19 [T.P.], ma collègue Colleen Harrington a énoncé certaines réserves pour ce qui est de la divulgation de documents médicaux. Elle a considéré qu’il faut mettre en équilibre les droits des parties au regard de l’obligation de divulgation avec le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels. Elle a écrit ce qui suit, au paragraphe 37 :

[37] Le droit du plaignant à la vie privée ou à la confidentialité en ce qui concerne des dossiers médicaux peut cesser d’exister dès lors qu’il invoque sa santé dans une instance, mais il faut concilier l’obligation de communication et les préoccupations légitimes du plaignant en matière de confidentialité. Comme la Commission le souligne, même si un plaignant met en cause certains aspects de sa santé, une divulgation complète de tous les dossiers médicaux ne s’impose pas automatiquement.

[Non souligné dans l’original.]

[9] C’est en gardant ces principes à l’esprit que le Tribunal analysera la requête de l’intimée.

III. Question en litige

[10] La question en litige est simple :

Est-ce que le Tribunal doit ordonner à Mme Loboda de divulguer les documents que l’intimée cherche à obtenir?

[11] Pour répondre à cette question, le Tribunal doit notamment déterminer si les documents que la Compagnie cherche à obtenir sont potentiellement pertinents au litige, autrement dit, s’ils sont pertinents à un fait, une question de droit ou une réparation recherchée.

IV. Analyse

[12] Est-ce que le Tribunal doit ordonner à Mme Loboda de divulguer les documents recherchés par l’intimée? Le Tribunal répond par l’affirmative, mais avec certaines limitations, et ce, pour les raisons suivantes.

[13] Il est utile de faire un bref survol de certains éléments pertinents dans la plainte de Mme Loboda contre la Compagnie afin de bien saisir la portée de la décision du Tribunal.

[14] Mme Loboda a travaillé pour l’intimée entre février 2011 et décembre 2015. En 2010, elle a reçu un diagnostic de la maladie de Graves et en 2014, un diagnostic d’anxiété et de dépression.

[15] Durant son emploi, elle s’est absentée à différentes reprises en raison de sa condition médicale. Entre autres, elle a été en congé médical entre septembre 2014 et juillet 2015. Son congé médical a par la suite été prolongé de juillet à août 2015.

[16] Ultimement, Mme Loboda a quitté son emploi le 22 décembre 2015.

[17] Mme Loboda allègue avoir été victime de discrimination au titre de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») en raison de sa déficience physique et mentale. Elle allègue, entre autres choses, que l’intimée n’a pas tenu compte de sa déficience lors de sa réintégration au travail à partir de juillet 2015, ce qui l’a menée ultimement à quitter la Compagnie le 22 décembre 2015, seule solution pour ne pas aggraver sa situation financière.

[18] La plaignante réclame notamment des dommages moraux pour la somme totale prévue à la LCDP soit de 20 000 $ (alinéa 53(2)e) de la LCDP). Elle réclame également au titre de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP ses pertes de salaires entre la fin de sa couverture avec GWL, soit le 24 août 2015 et la fin de son emploi, le 22 décembre 2015 ainsi que la différence entre le salaire qu’elle recevait à la Compagnie et le salaire qu’elle a reçu dans son emploi subséquent, jusqu’en 2019, inclusivement. Selon elle, n’eût été la discrimination subie, elle aurait réintégré l’environnement de travail de l’intimée avec succès et n’aurait pas subi de pertes financières.

A. Les documents de GWL

[19] L’intimée argue que l’état psychologique et physique de Mme Loboda est en cause dans la plainte dont le Tribunal est saisi pour ce qui concerne tant l’évaluation du principe d’accommodement raisonnable, de son retour au travail et de ses restrictions médicales, que les dommages qu’elle réclame, à savoir des dommages moraux et des pertes de salaires.

[20] Il est incontesté que la plaignante a déjà divulgué une série de documents concernant sa condition médicale. Le Tribunal comprend que les documents divulgués se limitent à la période allant du 8 juillet au 22 décembre 2015. Mais la Compagnie allègue que la plaignante aurait dû divulguer les documents de son dossier médical et ceux de son dossier chez GWL qui remontent au 1er mai 2015; c’est à cette date que le processus de sa réintégration dans le milieu de travail de la Compagnie a été entamé.

[21] La Commission ne prend pas position sur cette demande. La plaignante, quant à elle, estime que la demande de l’intimée est dépourvue d’objet puisque GWL a accepté les recommandations de son médecin voulant qu’elle n’ait pas été prête à réintégrer l’environnement de travail de la Compagnie, et a prolongé son congé de maladie au-delà du 8 juillet 2015. Mme Loboda ajoute que la discrimination a débuté le 8 juillet 2015 et que ce sont les documents potentiellement pertinents remontant à cette date qui doivent être divulgués.

[22] Le Tribunal rappelle que l’objectif de cette décision n’est pas de tirer une quelconque conclusion de faits dans le dossier. À cette étape-ci, il ne s’agit que de la divulgation de documents qui sont potentiellement pertinents à un fait, une question de droit ou une réparation. C’est à l’audience que la preuve sera présentée, testée, et admise – ou non – par le Tribunal, et c’est alors qu’il sera en mesure de tirer quelconque conclusion sur la preuve admise.

[23] Il appert, selon l’exposé des précisions (« EDP ») de l’intimée, que l’implication de GWL a débuté avant le 8 juillet 2015. GWL aurait contacté une employée chez l’intimée, Stephanie Wright, l’informant que Mme Loboda pourrait réintégrer l’environnement de travail au début de juin 2015 avec un plan de réintégration progressif. La Commission, dans son EDP, mentionne également que le retour au travail de la plaignante était prévu au début juin 2015 et que le plan de réintégration de GWL datait du 21 mai 2015. La plaignante, elle aussi dans son EDP, fait référence à certains éléments supposant que sa réintégration au travail a été discutée en mai 2015. À cet effet, elle mentionne entre autres que sa réintégration était prévue le 6 juin 2015, mais qu’elle ne se sentait pas prête à retourner travailler ; une rencontre avec son endocrinologue en mai 2015 avait révélé une aggravation de sa maladie de Graves.

[24] Avec ces éléments, il en faut peu pour convaincre le Tribunal du bien-fondé de la demande de la Compagnie. Effectivement, il appert qu’il pourrait exister des documents pertinents au litige entre le 1er mai et le 8 juillet 2015, puisque non seulement Mme Loboda a consulté au moins un professionnel de la santé durant cette période, mais également sa réintégration dans l’environnement de travail avait été planifiée par GWL à partir de mai 2015.

[25] Ces documents sont incontestablement pertinents au litige. Ils peuvent concerner l’état de santé de la plaignante et sa condition médicale, éléments qui sont en litige dans la plainte, aussi bien que son processus de réintégration dans l’environnement de travail de la Compagnie, les restrictions de la plaignante, ce qui est également pertinent au litige.

[26] Le Tribunal n’a pas besoin de plus d’arguments pour être convaincu de la pertinence potentielle des documents datant du 1er mai au 8 juillet 2015 que l’intimée souhaite obtenir. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de traiter de la demande subsidiaire formulée par Mme Loboda au paragraphe 20 a. de sa réponse à la requête en divulgation.

[27] Cela dit, l’intimée demande la divulgation des documents du dossier chez GWL datant du 1er mai 2015 à ce jour. La Commission s’est opposée à la divulgation des documents postérieurs à la fin de l’emploi de Mme Loboda.

[28] Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il soit nécessaire de divulguer les documents du dossier chez GWL qui sont postérieurs à la fin de l’emploi de la plaignante.

[29] En effet, à partir du moment où Mme Loboda a quitté son emploi chez la Compagnie le 22 décembre 2015, aucune réintégration n’était possible dans l’environnement de travail. Rien dans ce qui a été présenté par l’intimée ne permet de démontrer que Mme Loboda aurait continué d’avoir un quelconque lien avec GWL après le 22 décembre 2015. Rien ne permet non plus d’établir que Mme Loboda aurait continué de bénéficier d’une quelconque couverture financière de GWL après son départ de la Compagnie. Au contraire, selon l’exposé des précisions de la plaignante et les réparations qu’elle demande, il semble que sa couverture de GWL s’est terminée le 24 août 2015.

[30] L’intimée n’a pas été en mesure d’établir la pertinence potentielle des documents du dossier de Mme Loboda chez GWL qui sont postérieurs au 22 décembre 2015.

[31] Il va de soi que parmi les documents du dossier de Mme Loboda chez GWL, seuls doivent être divulgués ceux qui concernent les faits, les questions de droit et les réparations précisés dans la plainte du Tribunal. Sont ainsi visés les documents portant sur, entre autres choses, la condition médicale de Mme Loboda, les prestations qu’elle a reçues, sa réintégration dans le milieu de travail, et qui présentent un lien avec la Compagnie.

[32] Il faut ajouter que Mme Loboda a manifesté ne pas vouloir divulguer plus de documents médicaux qu’elle ne l’a déjà fait à ce jour dans le dossier. Bien que le Tribunal comprenne la position de la plaignante et soit sensible à ses inquiétudes, cet élément n’est pas concluant aux fins de son analyse. Le Tribunal doit décider de la pertinence potentielle des documents recherchés.

[33] Dans le cas actuel, l’intimée l’a convaincu que les documents recherchés sont potentiellement pertinents à des faits allégués dans la plainte. Mme Loboda a donc l’obligation de les divulguer.

[34] Maintenant, et afin d’apaiser les inquiétudes de Mme Loboda, il est important de rappeler qu’il ne s’agit que du processus de divulgation de documents. Ces documents ne font pas partie du dossier officiel du Tribunal, le public n’y a pas accès et ils sont protégés par l’engagement implicite de confidentialité. Le soussigné a expliqué, dans Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3, aux paragraphes 153 à 155, l’étendue de cet engagement :

[153] En effet, les documents qui ont été divulgués dans le cadre d’une procédure judiciaire, comme celle du Tribunal, sont régis par un principe bien établi en common law, soit celui de l’engagement implicite de confidentialité.

[154] Cette règle limite l’usage des documents qui ont été divulgués, et ce, aux seules fins de la procédure en question. Plus clairement, une partie qui a reçu des documents au stade de la communication, divulgation, interrogatoire au préalable, etc., est réputée s’être engagée auprès de la Cour à ce que lesdits documents ne soient pas utilisés à d’autres fins que pour la procédure judiciaire pour laquelle ils ont été produits. Utiliser ces documents à d’autres fins, même ultérieurement, peut constituer un outrage au tribunal (Seedlings Life Science Ventures LLC c. Pfizer Canada Inc., 2018 CF 443, au para. 3).

[155] Par contre, lorsque les documents sont déposés à titre de pièces lors de l’audience du Tribunal, ils deviennent nécessairement publics, à moins qu’il n’y ait une ordonnance de confidentialité empêchant leur distribution (paragraphe 52(1) LCDP). Ainsi, une personne du public peut donc déposer une demande au Tribunal afin d’y avoir accès.

B. Les documents du dossier médical

[35] L’intimée demande également la divulgation de tous les documents du dossier médical de la plaignante, incluant les fiches médicales, notes cliniques, rapports médicaux, correspondances de tous docteurs, psychologues ou autres professionnels de la santé qui l’ont traitée ou évaluée en lien avec sa déficience, son retour au travail ou son aptitude à travailler, du 1er mai à ce jour, en ce compris les documents des Drs Elghol, Jacquier, Astorga et H. Annawi. Le Tribunal reviendra sur les documents de la psychologue, Mme Bell, dans la section suivante de la présente décision.

[36] L’analyse qui a été effectuée par le Tribunal dans la section précédente quant aux documents contenus dans le dossier de Mme Loboda chez GWL s’applique également aux documents de son dossier médical.

[37] Comme le Tribunal l'a conclu, la déficience tant physique que mentale de Mme Loboda et ses effets sur elle et sa capacité à réintégrer l’environnement de travail de l’intimée est incontestablement une question litigieuse dans la plainte dont le Tribunal est saisi. À la lecture des EDP des parties, cela est clair pour le Tribunal.

[38] La plaignante a manifesté avoir consulté au moins un professionnel de la santé en mai 2015 et les éléments présentés au Tribunal démontrent que le processus de réintégration de la plaignante dans l’environnement de travail de la compagnie a débuté en mai 2015. L’implication de GWL et le contact de Mme Wright avec la Compagnie afin de discuter de la réintégration de Mme Loboda supportent cette idée.

[39] Il n’en faut pas plus au Tribunal pour conclure que les documents du dossier médical de Mme Loboda datant du 1er mai au 8 juillet 2015 – de tout professionnel de la santé et qui présentent un lien avec sa plainte, concernant, entre autres, sa déficience physique et mentale en litige (maladie de Graves, dépression, anxiété), son processus de réintégration dans le milieu de travail, ses restrictions – sont potentiellement pertinents au litige.

[40] Mme Loboda a déposé une plainte qui met en cause son état de santé et sa réintégration dans le milieu de travail de l’intimée. Cette dernière a donc le droit d’obtenir les renseignements sur la santé qui sont potentiellement pertinents à ce sujet (Egan, au paragraphe 34), et le droit à la vie privée et à la confidentialité en ce qui concerne ces documents médicaux cesse alors d’exister (T.P., au paragraphe 37).

[41] Par ailleurs, le Tribunal ne donne pas droit à la demande de l’intimée visant la divulgation des documents médicaux jusqu’à ce jour des professionnels de la santé ayant traité Mme Loboda.

[42] Encore une fois, l’analyse effectuée par le Tribunal dans la section précédente est pertinente. La plaignante a déjà divulgué les documents de son dossier médical allant jusqu’au 22 décembre 2015, date de la fin de son emploi chez la Compagnie. Elle refuse cependant de divulguer les documents de son dossier médical postérieurs à cette date.

[43] Mme Loboda réclame des dommages moraux pour une somme de 20 000 $ au titre de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. Elle plaide dans son EDP que les événements qui se sont produits entre elle et la Compagnie ont eu sur sa santé des effets, des répercussions à long terme, dont les symptômes prendront des mois voire des années afin de se dissiper.

[44] Elle réclame également, au titre de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, ses pertes de salaires entre la fin de sa couverture avec GWL, soit le 24 août 2015 et la fin de son emploi, le 22 décembre 2015.

[45] Enfin, Mme Loboda réclame les salaires perdus après la fin de son emploi, soit la différence entre son salaire alors qu’elle était à l’emploi de la Compagnie et le salaire qu’elle a reçu dans son emploi subséquent, à compter du 22 décembre 2015 jusqu’en 2019, inclusivement.

[46] Il ne s’agit pas d’une expédition de pêche, contrairement à ce que plaide la plaignante. Elle a choisi de faire des réclamations pour des dommages moraux et des pertes de salaire postérieurs à la fin de son emploi chez la Compagnie. Ces enjeux faisant maintenant partie du litige, elle ne peut refuser de divulguer les documents potentiellement pertinents qui s’y rattachent. Ces documents sont potentiellement pertinents, par exemple, aux fins du calcul des dommages que pourrait ordonner le Tribunal ou dans l’analyse de la mitigation des dommages.

[47] Les arguments de l’intimée ont convaincu le Tribunal; Mme Loboda doit divulguer tous les documents de ses professionnels de la santé compris dans son dossier médical qui sont potentiellement pertinents et qui se rattachent non seulement aux faits ou aux questions en litige dans sa plainte, mais aussi aux réparations, aux réclamations financières qu’elle demande jusqu’en 2019, inclusivement.

[48] Comme Mme Loboda n’a pas précisé la date finale de sa réclamation, le Tribunal se rallie à l’argument de la Commission voulant que pour le moment, la date à retenir soit le 31 décembre 2019. La plaignante doit donc divulguer les documents jusqu’à cette date.

[49] À ce propos, la plaignante propose de faire des changements dans les réparations qu’elle réclame, entre autres en réduisant les dommages moraux qu’elle réclame et en retirant la mention [traduction] « il y a aussi eu des répercussions à long terme […] ». Cela n’est pas déterminant dans la décision du Tribunal puisque Mme Loboda maintien sa réclamation pour des dommages et des pertes salariales postérieurs à l’emploi, ce qui justifie en soi la divulgation de ces documents.

C. Les documents de Mme Bell, psychologue

[50] L’intimée demande également la divulgation des documents de la psychologue traitante de Mme Loboda, Mme Karen Bell, qui sont potentiellement pertinents au litige. La plaignante s’oppose à la divulgation de ces documents, dans son entièreté.

[51] Le Tribunal comprend que la plaignante n’a divulgué aucun document, à ce jour, relativement à son suivi psychologique avec Mme Bell.

[52] L’intimée argue que Mme Bell a traité la plaignante, notamment en ce qui concerne sa réintégration dans le milieu de travail. Mme Bell aurait aussi préparé un rapport daté du 1er mai 2015 à GWL évaluant la condition de Mme Loboda et sa capacité à retourner travailler chez l’intimée en date du 1er juin 2015.

[53] La plaignante, d’elle-même, dans son EDP, mentionne que GWL s’est entre autres fondée sur les recommandations de sa psychologue Mme Bell. Elle affirme également que sa psychologue, qui n’est pas médecin, n’a pas pris en compte l’exacerbation des symptômes de sa maladie de Graves dans ses recommandations à GWL pour sa réintégration au travail.

[54] Encore une fois, il n’en faut pas plus pour convaincre le Tribunal de la pertinence potentielle des documents demandés par l’intimée.

[55] Bien que Mme Loboda n’ait pas le désir de divulguer ces documents et considère qu’ils n’ont pas d’incidence sur le litige et que leur divulgation est sans objet, le Tribunal n’en est pas convaincu.

[56] Le Tribunal est sensible aux commentaires de la plaignante sur les répercussions à passer en revue la documentation relative à sa plainte. Cependant, c’est elle qui a mis en cause son état de santé et sa réintégration dans le milieu de travail de l’intimée. Rappelons que les parties ont le droit à une défense pleine et entière (paragraphe 50(1) de la LCDP). Les éléments présentés par l’intimée démontrent que Mme Bell, psychologue ayant traité la plaignante, a été impliquée dans son processus de réintégration au travail. Les documents qui existent à ce sujet sont nécessairement potentiellement pertinents au litige et la plaignante doit les divulguer aux autres parties.

[57] Pour rappel, Mme Loboda doit divulguer ce qui est potentiellement pertinent, c’est-à-dire ce qui concerne sa relation avec la Compagnie, son ancien employeur, y compris sa réintégration dans son milieu de travail, sa capacité à réintégrer ce milieu et sa déficience physique et mentale, en cause dans la présente instance.

[58] L’intimée demande la divulgation des documents de Mme Loboda se rapportant à son traitement psychologique avec Mme Bell et datant du 1er mai 2015 à ce jour. Le Tribunal limitera la divulgation à la période comprise entre le 1er mai 2015 et la fin de l’emploi de Mme Loboda, soit le 22 décembre 2015.

[59] En effet, comme il appert de l’EDP et de la réplique de la plaignante, il semble que Mme Bell ait rencontré Mme Loboda à la demande de GWL. Ainsi, Mme Bell semble intervenir dans un laps de temps précis, à des fins précises et à la demande de GWL. Rien dans ce qui a été présenté par l’intimée ne pousse le Tribunal à croire que Mme Loboda aurait eu un quelconque suivi psychologique avec Mme Bell après la fin de son emploi chez l’intimée.

D. Demande visant à protéger les documents divulgués

[60] La plaignante demande au Tribunal de rendre une ordonnance visant à protéger les documents divulgués.

[61] Comme le Tribunal l’a déjà mentionné, les documents qui ont été divulgués, ou qui le seront, sont et seront protégés par le principe de l’engagement implicite de confidentialité.

[62] Il est inutile de rendre une ordonnance à cet effet, puisque les parties, qu’elles soient représentées ou non, sont liées par un tel engagement. Briser cet engagement pourrait avoir des conséquences (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 4, aux paragraphes 138 à 141).

[63] Notons que ces documents ne font pas actuellement partie du dossier officiel du Tribunal. Ils n’ont pas, à cette étape-ci, été présentés et déposés en preuve par les parties. Ils n’ont pas non plus été admis en preuve par le Tribunal.

[64] Ainsi, il serait par ailleurs prématuré à ce stade-ci d’ordonner la protection et la confidentialité de ces documents au titre de l’article 52 de la LCDP. Il est entendu que le Tribunal pourra traiter une telle demande, si elle est faite par l’une des parties, en temps opportun.

V. Ordonnances

[65] Pour ces motifs, le Tribunal ordonne la divulgation des documents potentiellement pertinents à un fait, une question de droit ou une réparation, à savoir :

  • tous les documents du dossier de la plaignante chez GWL relatifs à la couverture d’invalidité et au retour au travail de Mme Loboda, du 1er mai 2015 au 22 décembre 2015;
  • tous les documents du dossier médical de la plaignante, incluant les fiches médicales, notes cliniques, rapports médicaux, correspondances de tous docteurs, psychologues ou autres professionnels de la santé qui l’ont traitée ou évaluée en lien avec sa déficience, son retour au travail et son aptitude à travailler, du 1er mai 2015 au 31 décembre 2019, en ce compris les documents des Drs Elghol, Jacquier, Astorga et H. Annawi;
  • les documents de Mme Karen Bell, psychologue agréée, qui concernent le litige, du 1er mai au 22 décembre 2015.

[66] À cette étape-ci, le Tribunal n’ordonne aucune mesure au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP puisque la question est prématurée.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 4 novembre 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2387/4619

Intitulé de la cause : Lucyna Loboda c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 4 novembre 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Lucyna Loboda , pour elle même

Julie Hudson, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alison Walsh , pour l'intimée

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