Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Résumé en langage clair – Décision sur requête dans l’affaire Première Nation des Mississaugas de Credit c. Procureur général du Canada

Référence : 2021 TCDP 31

Date : Le 27 août 2021

No du dossier : T1810/4012

La plainte de la Première Nation (PN) des Mississaugas de Credit porte sur le financement de l’éducation des enfants dans les réserves. Cette PN affirme que le ministère des Services aux Autochtones Canada fait preuve de discrimination dans le calcul du financement auquel elle a droit. La discrimination serait fondée sur la race et la déficience.

Les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu veulent participer à l’instruction de la plainte de la PN des Mississaugas de Credit en tant que plaignantes. La PN des Mississaugas de Credit est en Ontario. Les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu sont au Labrador. Ces dernières affirment que les trois PN reçoivent un financement pour l’éducation selon la même politique (le modèle de financement provisoire) et que leurs membres sont victimes d’une discrimination très semblable.

Pour le financement de l’éducation, le ministère des Services aux Autochtones Canada se fonde sur le modèle de la province. Il l’adapte ensuite aux besoins uniques des Premières Nations.

La plainte de la PN des Mississaugas de Credit peut être réglée sans ajouter les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu. La plainte a évolué dans le temps. Certaines parties ont été réglées après négociation. Cela dit, la plainte porte toujours sur la façon dont Services aux Autochtones Canada applique la politique nationale en Ontario.

De plus, selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, on dépose d’abord une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission réalise ensuite une enquête et décide s’il faut renvoyer la plainte au Tribunal. Ce processus est important sur le plan de l’équité.

La PN des Mississaugas de Credit a déposé sa plainte auprès de la Commission en 2009. Les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu n’ont pas déposé de plainte auprès de la Commission.

Il est rare que le Tribunal ajoute à une affaire en cours une partie qui n’a pas déposé de plainte auprès de la Commission. Aucun des exemples ne ressemble à la situation présente. La plupart portent sur l’ajout d’intimés.

Il serait injuste d’empêcher l’intimé de répondre aux allégations des PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu au niveau de la Commission. Il ne convient pas de sauter le processus d’examen préliminaire de la Commission, décrit dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu peuvent déposer leur plainte auprès de la Commission. Cette dernière décidera ensuite s’il faut la renvoyer au Tribunal pour instruction. Si tel est le cas, il sera possible pour les PN innues de Mushuau et de Sheshatshiu de demander au Tribunal de joindre leur plainte à celle de la PN des Mississaugas de Credit.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 31

Date : le 27 août 2021

Numéro du dossier : T1810/4012

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Première Nation innue de Mushuau et Première Nation innue de Sheshatshiu

les parties requérantes

- et -

Première Nation des Mississaugas de Credit

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I. CONTEXTE

[1] Le Tribunal est saisi d’une requête présentée en vertu du paragraphe 8(4) des Règles de procédure sous le régime de la Loi canadienne des droits de la personne (03-05-04) (les « anciennes règles ») par la Première Nation innue de Mushuau et la Première Nation innue de Sheshatshiu, vivant au Labrador, en vue d’être ajoutées en tant que parties au dossier du Tribunal no T18410/4012, qui concerne l’instruction d’une plainte déposée par la plaignante.

[2] Les anciennes règles ont récemment été remplacées par les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021‑137 (les « nouvelles règles »), mais les parties ont convenu, comme elles sont en droit de le faire, que même si les nouvelles règles s’appliqueront à l’instance, les anciennes règles régiront la présente requête.

[3] La plainte en question a initialement été déposée devant la Commission le 28 septembre 2009. Conformément au paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la « LCDP »), elle a été renvoyée au Tribunal pour instruction le 30 mars 2012, à la suite d’une enquête réalisée par la Commission dans le cadre de sa fonction d’examen préalable. Dans sa plainte initiale, la plaignante alléguait de la discrimination fondée sur la race et la déficience de la part du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, maintenant appelé Services aux Autochtones Canada. Elle alléguait notamment que si ses membres cherchaient à obtenir des services d’éducation hors réserve, leurs familles étaient tenues de payer les droits de scolarité afférents, y compris ceux des écoles spécialisées destinées aux enfants ayant des besoins spéciaux, alors que cette exigence de paiement des droits de scolarité des écoles publiques et des écoles publiques spécialisées ne s’appliquait pas, dans le système scolaire provincial de l’Ontario, aux parents et aux enfants vivant hors réserve. Plus précisément, la plaignante avait indiqué, en septembre 2008, qu’elle comptait deux enfants atteints du syndrome de Down qui avaient besoin de services d’éducation spécialisée hors réserve, dont le coût dépassait le financement qui lui était offert par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[4] Le 11 octobre 2016, les parties ont informé le Tribunal qu’elles avaient conclu une entente pour régler le volet de la plainte concernant les deux enfants atteints du syndrome de Down et que cette entente prévoyait, en outre, un examen des services d’éducation spécialisée pour les Premières Nations en Ontario. Le 14 novembre 2016, le Tribunal a ordonné l’ajournement pour une période indéterminée de l’autre volet de la plainte, qui concerne les problèmes systémiques. Par la suite, les parties ont produit un rapport sur la première phase de l’examen du financement des services d’éducation spécialisée pour les Premières Nations. De plus, elles ont accepté que l’affaire soit ajournée de nouveau afin de continuer à travailler ensemble à définir et à mettre en œuvre des réformes visant à améliorer les services d’éducation spécialisée offerts aux élèves des Premières Nations vivant dans les réserves. Au cours de l’exercice 2016‑2017, un nouveau cadre stratégique national a été établi par le Canada pour la transformation de l’éducation primaire et secondaire dans les réserves. Ce cadre contenait des dispositions visant à permettre aux Premières Nations d’élaborer, individuellement ou en groupe, une entente régionale en matière d’éducation (une « ERE »), et prévoyait la mise en œuvre, province par province, d’un modèle de financement provisoire (un « MFP ») en attendant l’établissement des ERE.

[5] Le 15 mai 2020, les parties ont informé le Tribunal qu’elles n’avaient pas réussi, malgré tous leurs efforts et les progrès réalisés, à résoudre les problèmes de discrimination systémique et qu’elles souhaitaient que l’instance se poursuive. Entre juin et octobre 2020, les parties ont présenté des exposés des précisions nouvellement modifiés pour tenir compte des changements survenus depuis 2009 et pour définir la plainte telle qu’elles la conçoivent actuellement. Le 9 juin 2021, les parties requérantes ont déposé la présente requête.

[6] Dans la plainte existante, selon son exposé des précisions nouvellement modifié, la plaignante allègue que le MFP établi par le Canada est discriminatoire en ce qu’il ne respecte pas la norme de l’égalité réelle relativement à l’éducation des Premières Nations en Ontario. Elle allègue également que la plainte existante vise l’Ontario, mais que la lacune fondamentale du MFP touche l’ensemble du Canada. Le Canada reconnaît que l’affaire concerne le MFP en tant que programme national, mais soutient que la plainte existante porte sur la mise en œuvre du MFP en Ontario et sur ses répercussions sur les élèves de cette province, pas sur ceux des autres provinces. Pour les motifs exposés ci‑après, les parties requérantes estiment qu’elles devraient être ajoutées en tant que parties à l’instruction de la plainte existante, au titre du paragraphe 8(4) des anciennes règles, même si elles n’ont pas déposé de plainte auprès de la Commission. La plaignante appuie la requête des parties requérantes. La Commission, elle, ne prend pas position sur la requête. Quant à l’intimé, il s’y oppose.

[7] Les Innus sont un peuple autochtone dont le territoire traditionnel est situé sur la côte du Labrador et à l’intérieur de la péninsule, où il est divisé par la frontière séparant Terre‑Neuve‑et‑Labrador du Québec. Environ 3 000 Innus vivent au Labrador, principalement dans deux communautés : Natuashish et Sheshatshiu. Chacune des communautés élit son propre chef et son propre conseil, et offre divers services locaux, notamment l’enseignement de la maternelle à la 12e année qui est offert à environ 875 enfants en collaboration avec l’organisation Mamu Tshishkutamashutau Innu Education (« MTIE »).

[8] En 2009, les parties requérantes ont créé MTIE en tant que conseil scolaire innu chargé d’administrer les écoles innues dans leurs communautés et, la même année, le Canada a commencé à financer l’éducation directement par l’intermédiaire de cette organisation. En 2018, le Canada a adopté un nouveau modèle de financement pour l’éducation des Autochtones : il a établi un MFP pour l’ensemble du Canada fondé sur le financement provincial comparable du système d’éducation de chaque province.

[9] Au départ, le Canada a choisi d’utiliser les données du financement provincial du Nouveau‑Brunswick comme « indicateur » de comparabilité pour calculer le financement des écoles des Premières Nations de la région de l’Atlantique, y compris celles des communautés innues. Toutefois, comme les Innus se sont opposés à cet indicateur, affirmant qu’il ne tenait pas compte de leurs besoins, le Canada a accepté de travailler à l’établissement d’un MFP propre à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Cependant, les parties requérantes soutiennent qu’à ce jour, les révisions apportées au MFP pour Terre‑Neuve‑et‑Labrador (lequel s’applique à elles), qui ont été mises en œuvre de façon unilatérale par le Canada pour 2020‑2021 et 2021‑2022 et qui sont fondées sur des moyennes représentant principalement les services d’éducation provinciaux offerts à St. John’s, sont injustes et ne tiennent pas compte des circonstances qui leur sont propres, notamment l’éloignement.

[10] Les parties requérantes affirment que MTIE a fait part au Canada de la préoccupation selon laquelle le MFP est inadéquat et qu’il est appliqué d’une façon discriminatoire qui ne respecte pas la norme de l’égalité réelle. MTIE estime que, compte tenu de l’indicateur de comparabilité, il y a, chaque année, un manque s’élevant à 7,5 millions de dollars, soit 50 % du financement reçu actuellement. Les parties requérantes ajoutent que, bien que cette préoccupation ait été portée à l’attention du Canada, celui‑ci n’a pas ajusté le niveau de financement pour l’éducation des Innus afin de permettre l’établissement d’un modèle de financement fondé sur les besoins. C’est pourquoi elles ont déposé la présente requête.

[11] En 2016‑2017, comme il a été mentionné précédemment, un nouveau cadre stratégique national a été établi par le Canada pour la transformation de l’éducation primaire et secondaire dans les réserves. Selon l’intimé, le nouveau cadre stratégique n’appelle pas la création d’un modèle de financement national unique; il prévoit plutôt une approche à deux volets des efforts de transformation.

[12] Le premier volet du cadre stratégique national prévoit l’établissement d’ERE entre des Premières Nations individuelles ou des groupes de Premières Nations, et le Canada. L’intimé soutient que les ERE sont censées fournir un mécanisme permettant d’adapter le financement aux priorités locales et aux besoins particuliers et uniques des communautés signataires.

[13] Le deuxième volet du cadre stratégique national prévoit la mise en œuvre d’un MFP, province par province, en attendant l’établissement des ERE. Selon l’intimé, pour chaque province, le MFP s’appuie sur le modèle de financement provincial qui s’applique aux élèves non membres des Premières Nations, mais il est adapté et amélioré de façon à tenir compte des circonstances et des besoins propres aux Premières Nations de la province. L’intimé affirme donc qu’il n’existe pas de modèle de financement national unique. Chaque province a son propre modèle de financement.

[14] Ni la plaignante ni les parties requérantes n’ont établi d’ERE pour le moment. Actuellement, la plaignante reçoit du financement pour l’éducation du MFP établi pour l’Ontario, lequel est fondé sur la formule globale de financement de cette province, connue sous le nom de Subventions pour les besoins des élèves (SBE). Les parties requérantes reçoivent aussi du financement du MFP; cependant, comme Terre‑Neuve‑et‑Labrador ne dispose pas d’une formule globale pour l’éducation primaire et secondaire, le ministère provincial de l’Éducation administre directement certains éléments du financement de l’éducation et, comme il a déjà été mentionné, le MFP qui s’applique aux parties requérantes représente principalement les services d’éducation provinciaux offerts à St. John’s. Selon les parties requérantes, le Canada n’a pas ajusté son niveau de financement pour l’éducation des Innus afin d’établir un modèle de financement fondé sur les besoins.

II. RÉSUMÉ DE LA POSITION DES PARTIES

A. POSITION DES PARTIES REQUÉRANTES

[15] Les parties requérantes soutiennent que le MFP établi par l’intimé pour le financement de l’éducation des Premières Nations, y compris l’éducation des Innus, ne respecte pas la norme de l’égalité réelle et qu’il est discriminatoire, ce qui est contraire à la LCDP. Il ne respecte pas non plus la norme de comparabilité du Canada. Ces questions sont les mêmes que celles soulevées dans la plainte existante. Plutôt que d’introduire une instance distincte pour trancher les mêmes questions, il serait plus juste et efficace d’autoriser les parties requérantes à participer à la présente instance.

[16] De plus, la plainte existante vise à contester le MFP, qui est appliqué à l’échelle du Canada, mais, à l’heure actuelle, une seule Première Nation d’une seule province, l’Ontario, est partie à l’instance. L’adjonction, en tant que parties, de Premières Nations d’une autre province ajouterait à la richesse du dossier de la preuve et aiderait le Tribunal à comprendre la façon dont le MFP est appliqué. Il serait ainsi plus facile de trancher la question de savoir si le MFP et son application pratique sont discriminatoires. Les parties requérantes souhaitent participer à la présente instance en tant que plaignantes dans le but de mettre fin aux pratiques discriminatoires auxquelles l’intimé a recours relativement au financement de l’éducation des Innus.

[17] Les parties requérantes affirment que l’alinéa 48.9(2)b) de la LCDP et le paragraphe 8(4) des anciennes règles confèrent au Tribunal le pouvoir d’accéder à leur requête visant à être ajoutées en tant que parties à la présente instance. Elles citent plusieurs affaires à l’appui de la thèse selon laquelle le Tribunal peut ajouter une partie à une plainte, après avoir examiné minutieusement les facteurs suivants, à savoir :

a) si l’ajout de la partie est nécessaire à la résolution de la plainte;

b) s’il pouvait être raisonnablement prévu que la nouvelle partie aurait dû être ajoutée lorsque la plainte a été déposée;

c) si l’ajout de la partie causera un préjudice grave à la partie adverse.

[18] En ce qui concerne le premier facteur énoncé au paragraphe 17 ci‑dessus, les parties requérantes soutiennent qu’il serait utile pour le Tribunal de disposer d’éléments de preuve concernant plus d’une région, pour trancher correctement la plainte existante en fonction de la portée de la réparation demandée par la plaignante, qui s’appliquera au‑delà de l’Ontario, si elle est accordée. Elles affirment qu’il serait opportun de les adjoindre à l’instance pour éviter que de multiples instances portent sur des questions identiques.

[19] En ce qui concerne le deuxième facteur énoncé au paragraphe 17 ci‑dessus, les parties requérantes soutiennent qu’il est déraisonnable de présumer qu’elles auraient pu prévoir, lorsque la plainte a été déposée, que l’exposé des précisions modifié déposé par la plaignante le 25 juin 2020, concernant la mise en œuvre du MFP national en Ontario, pourrait s’appliquer aussi à elles ou que la plaignante serait au fait des problèmes que poserait le MFP national pour le financement de l’éducation des Innus du Labrador.

[20] En ce qui concerne le troisième facteur énoncé au paragraphe 17 ci‑dessus, les parties requérantes font valoir que le préjudice que subirait l’intimé, en perdant l’avantage de certaines protections procédurales offertes par la Commission à l’étape précédant le renvoi lorsqu’une plainte est déposée, est moins important que le préjudice que subiraient les parties requérantes et le public si leurs plaintes concernant le MFP devaient être instruites séparément, étant donné que les questions à trancher sont les mêmes et que la seule différence est la province visée par les plaintes. Il est dans l’intérêt public de même que dans l’intérêt des parties d’éviter la multiplicité des audiences, qui peut entraîner des retards et des dépenses inutiles, des inconvénients pour les témoins, la répétition de la preuve et le risque que des conclusions contradictoires soient tirées par le Tribunal.

B. POSITION DE LA PLAIGNANTE

[21] La plaignante soutient que la requête devrait être accueillie pour les raisons suivantes :

  1. Le Tribunal pourrait économiser ses ressources limitées et être plus efficace en examinant des questions très semblables, voire identiques, dans le cadre d’une seule et même instance.
  2. Le Tribunal serait mieux renseigné pour rendre une décision dans la présente affaire.
  3. Une seule instance permettrait d’éviter que des décisions contradictoires soient rendues à l’égard de questions qui se chevauchent.
  4. Il n’y aurait pas d’incidence importante sur le calendrier actuel.
  5. Cela permettrait d’offrir un accès à la justice aux élèves innus qui vivent au Labrador. Si la requête est rejetée, les parties requérantes devront déposer une plainte à leur tour, ce qui pourrait retarder les choses de deux ou trois ans et ainsi priver deux ou trois cohortes d’enfants innus de la possibilité d’avoir accès à la justice, puisqu’ils auront obtenu leur diplôme.

C. POSITION DE LA COMMISSION

[22] Comme il a été mentionné précédemment, la Commission ne prend pas position sur la requête.

D. POSITION DE L’INTIMÉ

[23] L’intimé est d’avis que les parties requérantes ne cherchent pas seulement à être ajoutées en tant que parties à la plainte; elles cherchent à élargir la portée de l’instance en cours en ajoutant leur propre plainte concernant le MFP appliqué à l’éducation primaire et secondaire dans les réserves de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. La plainte existante porte sur la mise en œuvre du MFP applicable à l’Ontario, et non à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Le Tribunal n’est pas appelé à décider si le MFP applicable à Terre‑Neuve‑et‑Labrador ou à toute autre province est discriminatoire.

[24] Le recours au paragraphe 8(4) des anciennes règles dans ce contexte est à la fois sans précédent et en contradiction avec les exigences de la LCDP, et il devrait être rejeté pour les trois raisons suivantes :

  1. Un élément du critère applicable à l’adjonction d’une partie aux termes du paragraphe 8(4) des règles est que l’adjonction de cette partie doit être nécessaire pour que le Tribunal statue sur la plainte existante. De l’avis de l’intimé, l’adjonction d’autres parties n’est pas nécessaire pour statuer sur la plainte existante. Le simple fait qu’une partie requérante puisse fournir des éléments de preuve pertinents ne suffit pas à démontrer que l’adjonction de cette partie est nécessaire pour que le Tribunal statue sur la plainte existante. Le simple fait qu’une partie requérante ait un intérêt dans les questions ne rend pas non plus son adjonction nécessaire. Autrement, le règlement des plaintes pour discrimination systémique serait irréaliste et impraticable puisque toutes les éventuelles parties intéressées devraient également être ajoutées en tant que parties. De plus, la preuve concernant Terre‑Neuve‑et‑Labrador n’aide en rien le Tribunal à décider si la mise en œuvre du MFP en Ontario est discriminatoire.
  2. Le pouvoir d’adjoindre des parties à une plainte existante ne comprend pas le pouvoir d’ajouter de nouvelles plaintes qui n’ont pas été renvoyées au Tribunal en vertu du paragraphe 49(1) de la LCDP. Bien que le MFP soit une politique nationale, la seule plainte dont le Tribunal a été dûment saisi porte sur la mise en œuvre prétendument discriminatoire du MFP applicable à l’Ontario; elle ne porte pas sur la mise en œuvre du MFP applicable à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
  3. Le fait d’accueillir la requête causera un préjudice important à l’intimé et nuira à l’intérêt public au regard de la résolution juste, efficace et ordonnée des plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Plus précisément, l’intimé se verra privé des protections procédurales garanties par la LCDP à l’étape précédant le renvoi, et l’instruction de la plainte existante sera considérablement retardée. En revanche, le fait de rejeter la requête ne causera aucun préjudice aux parties requérantes. Elles seraient tout de même en mesure de déposer leurs plaintes en suivant le processus habituel prévu par la loi, qui s’applique à toutes les autres plaintes pour atteinte aux droits de la personne. La nécessité de suivre les processus obligatoires prévus par la loi pour le dépôt de toutes les plaintes ne constitue pas un préjudice.

[25] En outre, l’intimé affirme que le risque de multiplicité des instances et les préoccupations quant à l’efficacité ne sont pas des éléments du critère applicable à l’adjonction d’une partie aux termes du paragraphe 8(4). Il s’agit plutôt de savoir si l’ajout d’une partie est nécessaire pour statuer correctement sur une plainte. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’adjoindre une partie dont la plainte a été renvoyée au Tribunal par la Commission. Si les parties requérantes déposent leur plainte auprès de la Commission et que cette plainte est renvoyée au Tribunal, une requête visant à réunir les plaintes pourra être présentée, mais les questions soulevées dans ce cas seraient différentes de celles qui sont soulevées dans le cadre de la présente requête. En outre, malgré l’aspect national du MFP, les questions soulevées dans la plainte existante ne chevauchent pas de manière significative celles soulevées dans la plainte proposée par les parties requérantes puisqu’il s’agit d’affaires distinctes. De plus, le Tribunal n’a pas besoin d’adjoindre les parties requérantes pour statuer sur la plainte existante, qui est la seule plainte à lui avoir été renvoyée et dont il est saisi.

[26] Enfin, l’intimé soutient qu’étant donné que la plainte proposée par les parties requérantes n’a pas été renvoyée au Tribunal par la Commission en vertu du paragraphe 49(1) de la LCDP, le Tribunal n’a pas le pouvoir de l’instruire et les parties requérantes ne peuvent pas invoquer le paragraphe 8(4) des anciennes règles pour contourner la fonction de gardien que remplit la Commission à l’égard de la plainte proposée. À l’appui de sa position, l’intimé invoque l’interprétation judiciaire de la réunion de causes d’action et de la jonction de parties au sens de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7.

E. RÉPLIQUE DES PARTIES REQUÉRANTES

[27] En réplique, les parties requérantes font valoir que le fait de les ajouter en tant que parties à la plainte existante n’aurait pas pour effet d’élargir la portée de l’instance puisque celle-ci est déjà de portée nationale, étant donné que le MFP est une politique nationale. Cet argument est appuyé par l’exposé des précisions nouvellement modifié de la plaignante, y compris par la réparation demandée et les lacunes de la politique, qui donnent lieu à de la discrimination partout où la politique est mise en œuvre, pas seulement en Ontario.

[28] En outre, les parties requérantes ne sont pas d’accord avec l’intimé pour dire que la façon dont le MFP est mis en œuvre est propre à chaque province et que leur plainte, du fait qu’elle concerne Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et non l’Ontario, est distincte de la plainte existante et doit donc être déposée auprès de la Commission. Les mêmes lacunes et les mêmes principes que ceux en cause dans la plainte existante s’appliquent aux parties requérantes puisqu’ils sont inhérents à la mise en œuvre du MFP en tant que politique nationale.

[29] Les parties requérantes rejettent l’argument de l’intimé selon lequel le fait d’accueillir la requête entraînerait une avalanche de requêtes d’autres parties souhaitant être ajoutées à l’instance et rendrait l’instruction de la plainte, sur le plan de la discrimination systémique, irréaliste et impraticable tant que toutes les parties concernées n’auraient pas été ajoutées. Dans les faits, aucune autre partie ne s’est manifestée. De plus, il est irréaliste de s’attendre à ce que chaque enjeu en matière de droits de la personne auquel les Premières Nations sont confrontées, en lien avec les politiques nationales du Canada, soit soulevé par toutes les parties concernées ou qu’une organisation nationale prenne en charge toutes les affaires concernant des intérêts nationaux. Permettre à d’autres parties de se joindre, le cas échéant, à une affaire comme la plainte existante est la façon convenable de garantir l’accès à la justice.

[30] Les parties requérantes contestent également le fait que l’intimé s’est appuyé sur l’interprétation judiciaire de la réunion de causes d’action et de la jonction de parties au sens de la Loi sur les Cours fédérales, puisqu’il ne s’agit pas d’une instance engagée sous le régime de cette loi. Il s’agit d’une instance en matière de droits de la personne, ce qui est différent, et le Tribunal est maître de sa propre procédure, sous réserve des règles d’équité et de justice naturelle.

[31] Enfin, les parties requérantes soutiennent que l’intimé devrait fournir une preuve réelle d’un préjudice grave à l’appui de son argument à ce sujet, ce qu’il n’a pas fait.

III. QUESTION EN LITIGE

[32] Les parties requérantes devraient‑elles être ajoutées en tant que parties au dossier no T1810/4012 du Tribunal?

IV. CADRE JURIDIQUE

[33] Le paragraphe 8(4) des anciennes règles de même que l’alinéa 48.9(2)b) et le paragraphe 49(1) de la LCDP s’appliquent à la présente requête. Ils sont ainsi libellés :

Anciennes règles

8(4) Une personne qui n’est pas une partie et qui souhaite être ajoutée comme partie à l’instruction peut présenter une requête conformément à la règle 3 visant à obtenir une ordonnance à cet effet.

LCDP

48.9(2) Le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment :

 

[...]

b) l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire;

 

[...]

49(1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle‑ci, que l’instruction est justifiée.

[34] Bien que le Tribunal ait le pouvoir d’ajouter des parties à une plainte existante, il ne devrait le faire que dans des circonstances exceptionnelles et après un examen minutieux des facteurs suivants :

(i) L’ajout des parties est‑il nécessaire à la résolution de la plainte existante?

(ii) Pouvait‑il être raisonnablement prévu que les parties auraient dû être ajoutées lorsque la plainte a été déposée?

(iii) L’ajout des parties causera‑t‑il un préjudice grave?

Coupal et Milinkovich c. Agence des services frontaliers du Canada, 2008 TCDP 24 (CanLII), aux paragraphes 8, 9 et 20 [Coupal].

[35] Instruire deux plaintes ensemble et ajouter une partie à une plainte sont deux choses très différentes. En termes simples, l’adjonction d’une partie est le fait, pour le Tribunal, d’ajouter une nouvelle partie à une plainte existante qui lui a été renvoyée par la Commission pour instruction, alors que la jonction de plaintes est le fait, pour le Tribunal, d’instruire, dans le cadre d’une seule et même instance, plusieurs plaintes qui lui ont déjà été renvoyées par la Commission pour instruction.

Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2020 TCDP 12 (CanLII), au paragraphe 13.

[36] La Commission a le pouvoir légal de recevoir les plaintes en matière de discrimination déposées en vertu de la LCDP, de faire enquête sur ces plaintes, puis de les rejeter ou de les renvoyer au Tribunal. Celui‑ci se charge ensuite de l’instruction des plaintes et peut aussi offrir aux parties des services de médiation volontaire pour tenter de régler l’affaire. À cet égard, les mandats de la Commission et du Tribunal sont distincts. La Commission agit comme un filtre ou une gardienne. Après avoir donné aux parties la possibilité de l’informer de leur position à l’égard d’une plainte, elle mène une enquête approfondie sur les faits pour s’assurer qu’ils justifient l’instruction de la plainte. Si la plainte est renvoyée au Tribunal, celui-ci prend la relève et procède à l’instruction de la plainte telle qu’elle lui a été renvoyée. Il s’occupe de la gestion de l’instance, offre des services de médiation volontaire pour tenter de régler l’affaire et, au besoin, tient une audience pour statuer sur l’affaire en se fondant sur les faits et le droit. Le membre instructeur Gaudreault a récemment très bien décrit ce processus aux paragraphes 10 à 18 de la décision Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2 (CanLII) :

[10] La Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») est le texte législatif qui régit les plaintes en matière de discrimination, et ce, dans le champ de compétences du Parlement fédéral (article 2 de la LCDP).

[11] C’est donc la LCDP qui met en place les mécanismes qui permettent de traiter les plaintes relatives à des actes discriminatoires (Canada (Commission des droits de la personne) c. Lemire et al., 2012 CF 1162 [Lemire]; Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (CanLII), au par. 55 [Warman]; Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2019 TCDP 35, au par. 29 [Oleson]).

[12] La Commission, qui est une entité distincte du Tribunal, joue un rôle clé dans le traitement des plaintes de discrimination. Elle est l’entité qui reçoit les plaintes (paragraphe 40(1) de la LCDP). Sans exclure ses autres compétences et importants mandats, il suffit de comprendre, aux fins de cette décision, que la Commission détient le pouvoir d’enquêter les plaintes dont elle est saisie (paragraphe 43(1) de la LCDP).

[13] Ce faisant, le pouvoir de faire enquête sur les plaintes qui sont déposées en vertu de la LCDP n’a pas été attribué au Tribunal par le Parlement fédéral. Le Tribunal a plutôt compétence pour instruire les plaintes lorsque celles‑ci lui ont été référées par la Commission (paragraphes 44(3), 49(1) et 50(1) de la LCDP).

[14] En d’autres mots, c’est le renvoi de la plainte par la Commission, à la suite de son enquête, qui est créatrice de la compétence du Tribunal d’instruire la plainte. Le Tribunal peut agir uniquement lorsque la plainte lui est transmise (voir Lemire et Warman, précités; Oleson, au par. 35; AA v. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33, au par. 59 [AA]; Connors c. les Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6, au par. 28 [Connors]; Cook c. Onion Lake First nation, 2002 CanLII 61849 (TCDP) [Cook]).

[15] Inversement, la Commission n’a pas non plus compétence pour instruire les plaintes. Elle n’a pas de pouvoir décisionnel; sa fonction s’apparente plutôt à celle d’un examen préalable des plaintes (Desgranges c. Canada (Service d’appui aux tribunaux administratifs), 2020 CF 315, au par. 29 [Desgranges]). À cet effet, lorsqu’elle considère que l’instruction de la plainte est justifiée compte tenu des circonstances, elle peut transmettre la plainte au président du Tribunal (paragraphes 44(3) et 49(1) de la LCDP). Le président du Tribunal, lui, désignera un membre afin d’instruire la plainte (paragraphe 49(2) LCDP; Oleson, au par. 32).

[16] C’est pourquoi le rôle de la Commission est souvent décrit comme celui d’une gardienne administrative des plaintes déposées sous la LCDP.

[17] Lorsqu’une partie plaignante dépose une plainte à la Commission, elle le fait sous une forme acceptable pour cette dernière (article 40(1) LCDP). Elle décrit les événements qui, selon elle, ont mené aux actes discriminatoires allégués. Selon les connaissances du Tribunal, la plainte est transmise via un formulaire désigné à cet effet (AA, au par. 56).

[18] Comme mentionné précédemment, une fois le processus d’enquête complété, la Commission peut décider de référer la plainte au Tribunal, si les circonstances le justifient (paragraphe 49(1) LCDP). Elle le fait sous la forme d’une lettre qu’elle transmet au président du Tribunal (Connors, aux par. 42 et 43).

V. DÉCISION

[37] Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente requête.

VI. ANALYSE

[38] Le paragraphe 49(1) de la LCDP, de même que les dispositions citées au paragraphe 36 ci‑dessus, prévoient que les plaintes en matière de discrimination doivent être déposées auprès de la Commission, qui est l’entité habilitée par la loi à recevoir les plaintes, à enquêter sur celles‑ci et à les traiter de la manière décrite plus haut afin de décider si elles doivent être rejetées ou être renvoyées au Tribunal pour instruction.

[39] Le paragraphe 8(4) des anciennes règles et l’alinéa 48.9(2)b) de la LCDP prévoient que le Tribunal peut ajouter une partie à une plainte existante sur présentation d’une requête par toute personne qui n’est pas une partie, comme les parties requérantes dans la présente affaire.

[40] Toutefois, ce n’est que dans des cas exceptionnels que l’ordre des événements décrit au paragraphe 38 ci‑dessus devrait être modifié pour permettre au Tribunal d’ajouter à une plainte existante une partie dont la plainte n’a pas été déposée auprès de la Commission et n’a pas fait l’objet du processus d’examen préalable visé par le mandat de la Commission.

[41] Le partage des responsabilités entre la Commission et le Tribunal sous le régime de la LCDP est fondamental, tant pour garantir l’efficacité sur le plan administratif que pour garantir le respect des principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Compte tenu de son appareil d’enquête et de son indépendance par rapport au système judiciaire, la Commission est la mieux placée pour exercer la fonction administrative qui consiste à mener un examen préalable, tel qu’il est décrit plus haut, y compris pour assurer la réalisation d’enquêtes approfondies par des enquêteurs professionnels. Priver certains intimés des protections garanties par ce processus en ne leur offrant pas l’occasion de répondre aux allégations, au cours d’une enquête menée par la Commission avant le renvoi, équivaudrait à les priver de l’équité procédurale et de la justice naturelle auxquelles ils ont droit en tant que participants de plein droit au processus de la Commission.

[42] À mon avis, la présente requête ne constitue pas un cas exceptionnel qui justifierait de modifier l’ordre des événements décrit au paragraphe 38 ci‑dessus et de permettre au Tribunal de nier et de contourner le rôle fondamental de la Commission, expliqué précédemment, pour ajouter à la plainte existante, qui a été renvoyée au Tribunal, des plaignantes qui n’ont pas déposé de plainte auprès de la Commission. À cet égard, il convient de souligner que la Commission, qui participe pleinement à la plainte existante, n’a pas fait part de son appui à la requête.

[43] Aucune des affaires citées par les parties ne concernait l’adjonction proposée de plaignants à une plainte existante. Elles portaient presque toutes sur l’adjonction proposée d’intimés. Bien que le critère applicable à l’adjonction de parties puisse être le même, il est important de souligner que, contrairement aux plaignants, les intimés ne sont pas initialement tenus de présenter leurs arguments à la Commission afin que celle-ci mène une enquête et un examen préalable. Par conséquent, il ne s’agit pas d’affaires où le Tribunal a nié ou contourné le rôle fondamental de la Commission, tel qu’il a été décrit précédemment, ou d’affaires où les parties ont subi un préjudice du fait que la Commission n’a pas procédé à un examen préalable. Dans la seule affaire invoquée qui portait sur une requête visant à adjoindre une plaignante sans qu’une plainte ait été déposée au préalable (Coupal, précitée au paragraphe 34 ci‑dessus), l’ancien président Grant Sinclair a rejeté la requête au motif qu’elle aurait été préjudiciable à l’intimée, qui se serait vue privée des protections procédurales autrement offertes à l’étape précédant le renvoi par la Commission. Aux paragraphes 8, 9, 20 et 21, il a écrit ce qui suit :

[8] Le Tribunal a le pouvoir, en vertu de l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi, d’adjoindre des parties à une procédure existante. Dans la majorité des cas, le Tribunal a exercé ce pouvoir afin d’ajouter des intimés plutôt que des plaignants.

[9] La jurisprudence établit que l’adjonction de parties doit être faite avec prudence et seulement après un examen minutieux d’un certain nombre de facteurs, notamment les questions de savoir : si l’ajout de la partie est nécessaire à la résolution de la plainte, s’il pouvait être raisonnablement prévu que la nouvelle partie aurait dû être ajoutée lorsque la plainte a été déposée et si l’adjonction de la partie constituera un préjudice grave à la partie adverse (voir, par exemple : Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43; Wade c. Canada (Procureur général), 2008 TCDP 9; et Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail c. Barbe, 2003 TCDP 24, dans laquelle décision le Tribunal a accueilli la requête en ajout d’un plaignant. Voir aussi : Syndicat des employés d’exécution de Québec‑Téléphone c. TELUS Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31, au paragraphe 30; et Smith c. CN, 2005 TCDP 23, au paragraphe 52.

[...]

[20] Lorsqu’une plainte est renvoyée au Tribunal, l’adjonction d’une partie pourrait entraîner la négation de l’avantage de certaines protections procédurales qui sont garanties à l’étape avant le renvoi. Ces protections comprennent la possibilité de persuader la Commission, pendant le processus d’enquête, qu’elle devrait refuser de traiter la plainte parce que, par exemple, la plainte n’est pas fondée ou elle porte sur des actes ou des omissions qui se sont produits plus d’un an avant le dépôt de la plainte (Warman c. Lemire, 2006 TCDP 48, aux paragraphes 4 à 7).

[21] L’AFPC soutient qu’il n’y aurait pas manquement à l’équité procédurale envers l’intimée si le Tribunal contournait le processus de la Commission compte tenu du fait que l’intimée sait depuis 2001 que l’AFPC a des inquiétudes quant à la FRF telle qu’elle était appliquée aux travailleurs âgés ou atteints d’une invalidité. L’intimée ne devrait donc pas être surprise du point de vue de l’AFPC au sujet des plaintes. C’est peut‑être le cas, mais l’argument ne traite pas de la perte des protections procédurales qui seraient autrement disponibles, perte qui pourrait être causée par l’ajout de l’AFPC comme plaignante à cette étape de la procédure.

[44] Bien que je sois d’accord pour dire que le deuxième facteur du critère applicable à l’adjonction de parties à une plainte existante, énoncé au paragraphe 17 ci‑dessus, est rempli, je ne crois pas que les parties requérantes ont satisfait aux deux autres facteurs du critère.

[45] À mon avis, la présente affaire a toujours concerné principalement l’allégation de mise en œuvre discriminatoire des politiques et programmes nationaux du Canada pour le financement des besoins en éducation des enfants des Premières Nations vivant dans une réserve en Ontario, par rapport au financement offert par l’Ontario pour les enfants ne vivant pas dans une réserve. Au départ, la plainte ciblait les besoins en éducation spécialisée. Depuis le dépôt de la plainte, il y a plusieurs années, les parties au litige ont passé beaucoup de temps à tenter de régler l’affaire dans le cadre de négociations directes, alors que le Canada s’employait à concevoir de nouveaux programmes et politiques nationaux pour l’éducation des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves, y compris le MFP. À mon avis, bien que le MFP soit une politique nationale et malgré l’exposé des précisions actuel de la plaignante, y compris la réparation qui y est demandée, la plainte continue de porter essentiellement sur l’allégation de mise en œuvre discriminatoire d’une politique nationale du Canada en Ontario, et non à Terre‑Neuve‑et‑Labrador ou dans n’importe quelle autre province. Ainsi, s’agissant du premier facteur du critère applicable, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ajouter les parties requérantes en tant que parties pour que je puisse statuer correctement et équitablement sur la plainte existante.

[46] Les parties requérantes proposent essentiellement une nouvelle plainte concernant la mise en œuvre du MFP à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, qui n’a pas été soumise au processus d’examen préalable de la Commission. Il est loisible aux parties requérantes de déposer cette plainte auprès de la Commission et, dans l’éventualité où elle serait renvoyée par la Commission au Tribunal pour instruction, de présenter une requête afin qu’elle soit jointe à la plainte existante dans une seule et même instance. Cependant, je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour ajouter les parties requérantes à la plainte existante, ce qui, à mon avis, reviendrait effectivement à nier et à contourner le processus d’examen préalable de la plainte proposée, que la Commission doit mener au titre de la LCDP. Ainsi, s’agissant du troisième facteur du critère, pour les mêmes raisons que celles fournies par l’ancien président Sinclair dans la décision Coupal, citées plus haut, j’estime que l’ajout des parties requérantes en tant que parties à la plainte existante serait gravement préjudiciable à l’intimé, qui se verrait privé des protections procédurales offertes à l’étape précédant le renvoi par la Commission.

VII. ORDONNANCE

[47] Pour les motifs qui précèdent, la requête présentée par les parties requérantes est rejetée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 août 2021

 

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Benjamin Brookwell , pour les parties requérantes

Kent Elson , pour la plaignante

Dan Luxat et Sophia Gabbani , pour l’intimé

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