Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 19

Date : le 7 mai 2021

Numéro du dossier : T2482/3920

Entre :

Simon Banda

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


CONTEXTE

[1] M. Banda, le plaignant, s’identifie comme étant de race noire. Il a suivi le Programme de formation correctionnelle (« PFC ») administré par l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), d’avril à juin 2014, soit jusqu’au moment où il a été libéré du programme, peu de temps avant de l’avoir terminé. M. Banda allègue que les agents de formation du personnel (« AFP ») et d’autres employés du SCC l’ont ciblé et l’ont traité différemment des recrues blanches au PFC, au moins en partie en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique.

[2] La présente décision sur requête porte sur la demande de M. Banda visant à modifier son exposé des précisions, afin d’y ajouter l’allégation selon laquelle il aurait été traité différemment des autres recrues lorsque le SCC a refusé sa demande de congé de maladie. M. Banda souhaite également que le Tribunal ordonne au SCC de radier les parties de son exposé des précisions qui indiquent qu’il aurait pointé un fusil sur une AFP à la fin d’une évaluation relative aux armes à feu.

[3] Le SCC et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») consentent à la demande de modification. Le SCC s’oppose toutefois à la demande de M. Banda visant à obtenir une ordonnance de radiation des parties concernées de son exposé des précisions. La Commission n’a pas pris position au sujet de cette demande de radiation.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de modification de l’exposé des précisions de M. Banda est accueillie, et la demande visant à obtenir une ordonnance de radiation des parties pertinentes de l’exposé des précisions du SCC est rejetée.

QUESTIONS EN LITIGE

  1. Le Tribunal devrait‑il autoriser M. Banda à modifier son exposé des précisions afin d’y ajouter l’allégation selon laquelle il a subi un traitement défavorable en se voyant refuser sa demande de congé de maladie?
  2. Le Tribunal devrait‑il ordonner au SCC de radier les parties de son exposé des précisions dans lesquelles il est allégué que M. Banda a pointé un fusil sur une AFP à la suite d’une évaluation relative aux armes à feu?

MOTIFS

Question en litige no 1 : Le Tribunal devrait‑il autoriser M. Banda à modifier son exposé des précisions afin d’y ajouter l’allégation selon laquelle il a subi un traitement défavorable en se voyant refuser sa demande de congé de maladie?

[5] La demande de M. Banda est accueillie. Le SCC et la Commission ont tous les deux consenti à la modification demandée. Le SCC avait déjà été informé de l’allégation selon laquelle M. Banda a subi un traitement défavorable par rapport aux recrues blanches lorsqu’il avait demandé un congé de maladie. Cette allégation faisait partie de l’exposé des précisions de la Commission, et celle‑ci en a également été saisie au stade de l’enquête. À mon avis, la décision d’autoriser la modification ne porte pas préjudice au SCC.

[6] M. Banda ne demande pas d’inclure cette allégation en tant qu’allégation de discrimination distincte. Il cherche plutôt à l’ajouter comme un élément [traduction] « du contexte factuel qui sous‑tend sa plainte, à titre d’exemple supplémentaire de discrimination » à l’appui de son affirmation selon laquelle il a subi un échec au test de tir au moins en partie en raison d’une caractéristique protégée.

[7] J’ai fixé plus loin les délais pour le dépôt de l’exposé des précisions modifié de M. Banda, de toute modification des exposés des précisions du SCC et de la Commission et des répliques éventuelles. Il ne s’agit pas d’une ordonnance générale de modification de l’exposé des précisions de M. Banda, mais bien d’une ordonnance limitée à son allégation précise relative à sa demande de congé de maladie.

Question en litige no 2 : Le Tribunal devrait‑il ordonner au SCC de radier les parties de son exposé des précisions dans lesquelles il est allégué que M. Banda a pointé un fusil sur une AFP à la suite d’une évaluation relative aux armes à feu?

[8] Non. Le SCC a le droit de se défendre contre toutes les allégations formulées par M. Banda. Les exposés des précisions déposés par les parties ne constituent pas des exposés conjoints des faits. Il s’agit en l’espèce d’un litige et d’un processus de type accusatoire. Les parties adoptent donc des positions différentes et ont des points de vue opposés sur une partie ou la totalité des faits qui sous‑tendent la plainte. Les exposés des précisions du SCC ne se limitent pas aux questions qui ont été soulevées au cours de l’enquête menée par la Commission au sujet de la plainte.

[9] Le Tribunal a le pouvoir de modifier, de clarifier ou de déterminer l’étendue de la plainte de discrimination initiale, et ce, pour autant que les autres parties n’en subissent pas de préjudice (Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6 [Connors], aux par. 6 et 7). Dans l’exercice de son pouvoir de déterminer la portée de la plainte, le Tribunal peut supprimer les parties des exposés des précisions qui dépassent la portée légitime d’une plainte (Richards c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 27 [Richards], au par. 85).

[10] Au moment d’exercer son pouvoir de radier des précisions de façon préliminaire, avant la tenue d’une audience complète, le Tribunal doit procéder avec prudence, et seulement dans les « cas les plus clairs » (voir par exemple Richards, au par. 86, Beattie c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2015 TCDP 16, au par. 14).

[11] M. Banda demande au Tribunal d’ordonner la radiation des phrases suivantes de l’exposé des précisions du SCC :

[traduction]

(i) Il a entre autres pointé son fusil sur l’AFP Davie (par. 32);

(ii) […] avait pointé un fusil sur le membre du personnel en question, et un autre avait dû s’avancer et lui retirer le fusil (par. 34).

[12] Selon M. Banda, permettre au SCC d’inclure dans son exposé des précisions des allégations qui lui sont préjudiciables poserait un « sérieux problème de justice naturelle et d’équité procédurale ». M. Banda soutient qu’il n’a pas eu l’occasion de répondre à l’allégation concernant le fusil au cours de l’enquête de la Commission sur sa plainte. Il fait valoir que, s’il avait pointé une arme à feu sur un AFP, le gestionnaire ou les autres membres du personnel présents sur les lieux auraient été tenus de signaler et de documenter l’incident, conformément aux directives du commissaire du SCC sur l’utilisation des armes à feu et au code de discipline, d’autant plus que l’incident aurait même pu constituer une infraction criminelle. M. Banda affirme que le SCC n’a communiqué aucun rapport ni compte rendu écrit portant sur l’incident allégué.

[13] M. Banda soutient également que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la preuve relative à l’incident allégué, parce qu’elle ne faisait pas partie des documents inclus dans la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction.

[14] Enfin, M. Banda affirme que l’allégation en question constitue une preuve supplémentaire de l’esprit discriminatoire du SCC, et démontre la présence de préjugés selon lesquels les hommes noirs sont enclins à la violence.

[15] L’intimé s’oppose à la demande de M. Banda de radier quelque passage que ce soit de son exposé des précisions. Il affirme que les phrases que M. Banda souhaite faire radier sont appropriées et pertinentes, et qu’elles répondent à l’exposé des précisions de M. Banda. De plus, elles se rapportent à des faits importants que le SCC a l’intention de prouver.

[16] Je suis d’accord avec le SCC. Le Tribunal doit donner aux parties la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et des arguments juridiques sur les questions soulevées dans la plainte (Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, (la « Loi »), par. 50(1), et article premier des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les « Règles »)).

[17] L’objet de l’exposé des précisions d’une partie est d’informer la partie adverse de la position qu’elle adoptera, du genre de preuve qu’elle envisage de produire à l’audience et des arguments que la partie adverse devra réfuter (voir Carpenter c. La Ligue navale du Canada, 2015 TCDP 8, au par. 48). L’exposé des précisions d’une partie sert à indiquer « les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause » (alinéa 6(1)a) des Règles).

[18] Le SCC nie avoir soulevé pour la première fois dans son exposé des précisions la question de l’incident où M. Banda a pointé un fusil sur un membre du personnel. À mon avis, la question de savoir si le SCC a expressément soulevé l’affirmation concernant M. Banda au cours de l’enquête de la Commission ou s’il existe des documents qui étayent le récit du SCC au sujet de l’incident allégué, n’est pas déterminante.

[19] L’enquête de la Commission et la décision de celle‑ci de renvoyer une plainte au Tribunal n’ont pas pour effet de prédéterminer ou de dicter la portée de la réponse du SCC à cette plainte. La Commission n’est même pas tenue de mener une enquête avant de renvoyer une plainte au Tribunal. Elle peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal que celle-ci soit instruite (Connors, au par. 40, et par. 49(1) de la Loi).

[20] La Commission est un organisme d’examen préalable qui rend ses propres décisions en vertu de la Loi. Elle reçoit, administre et traite les plaintes relatives à des actes discriminatoires (Commission canadienne des droits de la personne c. Lemire et al., 2012 CF 1162, également citée sous Canada (Commission des droits de la personne c. Warman, 2012 CF 1162, au par. 55).

[21] Le rôle de la Commission est souvent décrit comme celui d’une gardienne administrative des plaintes déposées en vertu de la Loi ou d’un organisme d’examen préalable (voir Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, aux par. 15 et 16). La Commission détermine s’il existe un motif raisonnable de renvoyer la plainte au Tribunal pour instruction.

[22] Toutefois, la formulation des conclusions de fait nécessaires pour déterminer s’il y a eu discrimination au sens de la Loi est du ressort exclusif du Tribunal (voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au par. 27).

[23] M. Banda n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui de sa position selon laquelle le SCC ne peut invoquer un fait important qu’il cherche à établir au soutien de sa cause en raison de ce qui s’est passé au cours de l’enquête de la Commission. Il n’a rien présenté non plus à l’appui de sa position selon laquelle le renvoi de la Commission et la compétence du Tribunal ne portent que sur les faits pour lesquels un intimé a produit des documents. Admettre les arguments de M. Banda signifierait également qu’un intimé qui n’a pas collaboré à l’étape de l’enquête ne pourrait rien soulever dans son exposé des précisions ou devant le Tribunal.

[24] Le Tribunal a rendu un certain nombre de décisions sur requête qui portaient sur des contestations relatives à la portée d’une plainte, habituellement soulevées par des intimés qui cherchaient à limiter ou à clarifier les allégations soumises au Tribunal, et souvent à la suite d’une demande de modification d’une plainte (voir, par exemple, Torraville c. Jazz Aviation LP, 2020 TCDP 40; Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6 et Connors). Bien que ces décisions indiquent qu’il doit exister un lien suffisant avec le fondement factuel de la plainte initiale, elles ne disent pas aux intimés comment ni quoi répondre aux allégations de discrimination.

[25] Je n’admets pas non plus l’affirmation de M. Banda selon laquelle l’autorisation accordée au SCC d’inclure les déclarations en cause dans son exposé des précisions constituerait un manquement à l’équité procédurale. M. Banda a eu l’occasion de répondre à l’exposé des précisions du SCC. Il a ainsi répondu, aux paragraphes 15 à 40 de sa réplique, aux allégations du SCC concernant l’incident qui serait survenu.

[26] M. Banda soutient que les passages en question risquent de semer la confusion, d’induire en erreur ou de nuire à l’instruction, et que le Tribunal aurait dû les radier (Murray c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2018 TCDP 32 [Murray], au par. 70). Il affirme que les effets préjudiciables de cette allégation à propos de l’arme à feu l’emportent sur sa valeur probante, et que le SCC a soulevé cette allégation grave contre lui dans le seul but d’induire en erreur et de nuire à l’instruction.

[27] Toutefois, la décision Murray ne soutient pas la demande de M. Banda. Dans cette affaire, le Tribunal avait accepté de radier des parties de l’exposé des précisions du plaignant que la Commission n’avait pas renvoyées au Tribunal pour instruction, parce qu’elles risquaient de semer la confusion, d’induire en erreur ou de nuire à l’instruction. Cette situation n’a absolument rien de commun avec la demande de M. Banda, qui vise à limiter les arguments que l’intimé peut soulever pour se défendre contre des allégations de discrimination portées contre lui. Comme le Tribunal l’a expliqué dans Murray, « il appartiendra au Tribunal d’entendre la preuve présentée par toutes les parties afin de permettre à celles‑ci de se faire entendre pleinement » (Murray, au par. 71).

[28] Les déclarations formulées par l’intimé dans son exposé des précisions ne sont pas des éléments de preuve. Je n’ai pas encore entendu de témoignages, et l’instruction n’a pas encore commencé. Je ne cherche donc pas à mettre en balance les effets préjudiciables et leur valeur probante, comme le suggère M. Banda.

[29] Les parties n’ont pas à souscrire aux précisions, aux perceptions que ces dernières contiennent ou aux arguments qui en découleront à leur avis (voir Leung c. Canada Revenue Agency, 2012 TCDP 7, au par. 29).

[30] M. Banda connaît la nature des éléments de preuve que le SCC propose de présenter à l’audience. S’il souhaite contester l’allégation de l’intimé concernant l’incident relatif à l’arme à feu ou aborder la question du moment où cette allégation a été soulevée pour la première fois, ou encore celle de savoir si elle a été documentée, il est libre de le faire. Il peut contre‑interroger les témoins de l’intimé ou réfuter la preuve du SCC au moyen de sa propre preuve. Toutefois, il ne peut pas dicter le contenu de la réponse du SCC à sa plainte, surtout avant le début de l’audience. Il serait inéquitable, sur le plan de la procédure, de limiter la capacité du SCC de présenter une défense et de rendre une ordonnance qui restreint sa réponse.

[31] Dans sa réplique à la présente requête, M. Banda soutient que le SCC devrait être tenu de produire tout document concernant l’utilisation des armes à feu ainsi qu’un code de conduite. Si M. Banda n’a pas encore présenté de demandes de divulgation précises, il est prié de le faire immédiatement. Le Tribunal a antérieurement fixé les dates auxquelles les parties doivent présenter une requête en vue d’obtenir une ordonnance de divulgation. Ces dates sont passées, et les parties n’ont pas indiqué que des questions de divulgation demeuraient en suspens.

ORDONNANCE

[32] La demande présentée par M. Banda en vue de modifier son exposé des précisions pour y inclure l’allégation concernant la demande de congé de maladie est accueillie. Le plaignant ne peut pas modifier son exposé des précisions pour y inclure quoi que ce soit d’autre que cette allégation précise. L’exposé des précisions modifié de M. Banda doit être fourni dans les sept jours civils suivant la date de la présente décision sur requête.

[33] Si l’intimé souhaite déposer un exposé des précisions modifié en réponse à cet exposé des précisions de M. Banda, il peut le faire au plus tard dans les sept jours civils suivant la date de réception de l’exposé des précisions modifié de M. Banda. Les répliques modifiées de M. Banda et de la Commission, le cas échéant, doivent être déposées dans les sept jours suivant la date de réception de l’exposé des précisions modifié de l’intimé.

[34] La demande de M. Banda visant à obtenir que le Tribunal ordonne au SCC de radier des parties de son exposé des précisions est rejetée.

[35] Le greffe du Tribunal communiquera avec les parties pour fixer la date d’une conférence téléphonique préparatoire concernant l’instruction de la plainte.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 7 mai 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2482/3920

Intitulé de la cause : Simon Banda c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 7 mai 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Jacques G. Collins , pour le plaignant

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barry Benkendorf et Sydney Pilek , pour l'intimé

 

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