Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Andreas Smolik, un ingénieur naval, travaillait pour Seaspan Marine Corporation depuis plusieurs années lorsque son épouse est morte tragiquement. M. Smolik est devenu le seul parent de deux jeunes enfants de 6 et 9 ans. Après son congé de deuil, il a avisé Seaspan qu’il avait besoin d’un horaire de travail adapté à ses nouvelles obligations parentales. Certains navires de Seaspan étaient en mer 12 heures, mais d'autres naviguaient pendant une à trois semaines à la fois. M. Smolik ne pouvait pas confier ses enfants à une gardienne pendant plusieurs semaines à la fois. Il a demandé un horaire régulier ou un horaire de quarts de travail variables, et un travail près de son domicile.
Il a fallu beaucoup de temps à Seaspan pour proposer un plan de retour au travail. Finalement, Seaspan a offert un horaire imprévisible et un salaire beaucoup moins élevé que pour un travail à plein temps. Plus tard, Seaspan a offert à M. Smolik un poste de bureau, mais à très court préavis et avec très peu de détails. M. Smolik a refusé l’offre, parce que l’acceptation de ce poste aurait mené à la perte de son brevet d’ingénieur. Il exerçait ce métier depuis plus de 25 ans. Au bout du compte, il a dû demander un congé et travailler pour d’autres employeurs pour gagner sa vie.
M. Smolik a dit qu'il a été victime de discrimination fondée sur la situation de famille. Pour Seaspan, les demandes de M. Smolik étaient basées plutôt sur une « préférence personnelle ». Le Tribunal n’était pas d’accord. Il a conclu que le statut de seul parent de deux jeunes enfants qui venaient de perdre leur mère entrait clairement dans la définition de « situation de famille ». Selon Seaspan, M. Smolik n’avait pas fait assez d’efforts pour trouver des arrangements pour la garde de ses enfants. Le Tribunal a également rejeté cet argument.
Le Tribunal a examiné les efforts faits par Seaspan afin de permettre à M. Smolik de remplir ses obligations parentales. Il a conclu que Seaspan n’a pas pris les mesures nécessaires pour satisfaire aux obligations prévues dans les lois sur les droits de la personne.
Le Tribunal a accordé à M. Smolik une somme de 469 392,68 $ pour perte de salaire, ainsi que 15 000 $ pour préjudice moral et un autre montant de 10 000 $ pour cause de discrimination délibérée ou inconsidérée. De plus, le Tribunal a ordonné à Seaspan de verser 27 239,84 $ pour la perte liée aux cotisations aux régimes de retraite et autres avantages sociaux, et 10 392,23 $ pour les frais médicaux et dentaires. Le Tribunal a également ordonné à Seaspan de collaborer avec la Commission canadienne des droits de la personne pour faire en sorte que des actes discriminatoires de cette nature ne se reproduisent plus.
Le dossier s’est compliqué du fait que M. Smolik était membre d’un syndicat. Dans le cas des emplois syndiqués, la direction, les employés et le syndicat doivent collaborer pour trouver des solutions quant aux mesures d’adaptation. Or, le Tribunal a conclu que, malgré certaines dispositions d’une convention collective, l’employeur doit toujours prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses employés.
La décision sera examinée par la Cour fédérale.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 11

Date : le 26 février 2021

Numéro du dossier : T2268/2318

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Andreas Smolik

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Seaspan Marine Corporation

l'intimée

Décision

Membre : Alex G. Pannu

 



Plainte

[1] Andreas Smolik est le plaignant dans le présent dossier. Il est ingénieur naval titulaire d’un brevet de première classe. L’employeur de M. Smolik, Seaspan Marine Corporation (« Seaspan »), est l’intimée. Seaspan est une compagnie de transport maritime qui exerce ses activités le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord. Ses principales activités portent sur les services d’assistance ou d’escorte et de remorquage de navires. Sa flotte est composée d’environ 32 remorqueurs et elle compte plus de 600 employés, dont environ 44 ingénieurs navals au moment de la plainte. Selon les opérations, certains navires sont en mer pour une période de 12 heures, tandis que d’autres naviguent continuellement pendant une période d’une à trois semaines à la fois.

[2] M. Smolik allègue que l’intimée l’a défavorisé en raison de sa situation de famille, au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »), lorsqu’elle a omis de prendre des mesures pour répondre à ses besoins et lui accorder un horaire de travail qui lui permettrait de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants.

[3] L’intimée soutient que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination et que le dossier devrait être rejeté. À titre subsidiaire, Seaspan affirme qu’elle a offert des mesures d’adaptation raisonnables à M. Smolik, sans s’imposer de contrainte excessive.

[4] Toutes les parties ont été représentées par un avocat à l’audience de trois jours qui s’est tenue à Vancouver, en Colombie-Britannique. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), qui a enquêté sur la question et l’a renvoyée au Tribunal pour qu’il rende une décision, a participé à l’audience dans l’intérêt public. Le plaignant et l’intimée ont tous deux fourni des éléments de preuve et ont fait entendre plusieurs témoins.

A. Objection préliminaire – Portée de la participation de la Commission

[5] Au cours de l’audience et dans ses observations finales écrites, l’intimée a allégué que la Commission avait agi en dehors de la portée de sa compétence et de son mandat en vertu de la LCDP et que je ne devrais pas tenir compte de ses observations finales écrites.

[6] Au cours de l’audience, j’ai décidé que la Commission avait le droit de [traduction] « participer pleinement » à l’audience et je réitère cette décision maintenant.

[7] Le terme « intérêt public » n’est pas défini dans la LCDP. Il n’y a rien dans la législation qui restreint étroitement la participation de la Commission dans les affaires de droits de la personne, et il n’existe, à ma connaissance, aucune jurisprudence à cet effet.

[8] L’article 51 précise clairement que « [...] la Commission adopte l’attitude la plus proche, à son avis (caractères gras ajoutés), de l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte ».

[9] Le pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission d’agir dans l’intérêt public n’est pas absolu. Le pouvoir exercé par la Commission sera toujours assujetti aux principes habituels du droit administratif, comme l’équité, l’impartialité et le fait de ne pas se livrer à des actes équivalant à un abus de procédure. Aucune de ces situations ne s’est produite pendant l’audience.

[10] Le régime législatif de droits de la personne au Canada oblige la Commission à enquêter sur les plaintes et à les renvoyer au Tribunal, si elle l’estime justifié. Lors d’une audience, on s’attendrait à ce que la Commission apporte des preuves d’une discrimination possible, étant donné que son mandat consiste notamment à essayer d’éliminer la discrimination. Son mandat ne la limite pas à participer uniquement lorsqu’il existe des problèmes de discrimination systémique.

[11] Il m’est apparu évident, lors de l’audience, que la Commission avait un intérêt particulier dans la façon dont les employeurs prennent des mesures pour répondre aux besoins de leurs employés qui ont des obligations en matière de garde d’enfants.

Questions en litige

[12] Les questions que le Tribunal doit trancher sont les suivantes :

  1. Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP, parce que l’intimée n’a pas fourni un horaire de travail qui lui permettrait de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants?

  2. Dans l’affirmative, l’intimée a-t-elle démontré de manière valable que ses actes par ailleurs discriminatoires étaient justifiés?

  3. Si l’intimée ne peut justifier ses actes, quelles mesures de redressement convient‑il d’accorder au plaignant par suite de la discrimination?

Droit applicable

[13] Suivant l’article 7 de la LCDP, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. La situation de famille figure parmi les motifs de distinction illicite énoncés au paragraphe 3(1) de la LCDP.

[14] Les obligations en matière de garde d’enfants relèvent de la protection offerte par le motif de la situation de famille. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Johnstone [Johnstone][1], la Cour d’appel fédérale a établi le critère applicable à la discrimination fondée sur la situation de famille. Voici ce que doit démontrer selon la prépondérance des probabilités un plaignant qui présente une allégation de discrimination fondée sur la situation de famille :

  1. le plaignant assume la garde et la surveillance d’un enfant;

  2. l’obligation liée à la garde de l’enfant engage la responsabilité du plaignant envers cet enfant (et il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel);

  3. le plaignant a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables, et aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;

  4. les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité du plaignant de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de l’enfant[2].

[15] Dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) [Bombardier][3], la Cour suprême a expliqué qu’en termes pratiques, une fois qu’une preuve de discrimination prima facie a été établie, l’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux. En l’absence de justification établie par l’intimé, la présentation d’une preuve prépondérante à l’égard de ces trois éléments sera suffisante pour permettre au Tribunal de conclure à la violation de la LCDP. Par ailleurs, si l’intimé parvient à justifier sa décision, il n’y aura pas de violation, et ce, même si le plaignant réussit à établir ses prétentions.

[16] Dans la foulée de l’arrêt Bombardier, il est clair qu’un plaignant doit établir une preuve qui établit le bien‑fondé des allégations formulées et qui, si l’on y ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une décision favorable au plaignant.

[17] M. Smolik doit établir, selon la prépondérance des probabilités, chacun des quatre éléments énoncés dans l’arrêt Johnstone. Seaspan peut alors présenter soit des éléments de preuve réfutant les allégations du plaignant, soit une défense justifiant les actes qu’elle a accomplis, ou les deux.

[18] Si M. Smolik est en mesure de démontrer l’existence de discrimination contre lui, Seaspan peut faire valoir dans sa défense qu’elle a tenté de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du plaignant sans qu’il en résulte une contrainte excessive. Si elle invoque ce moyen de défense, l’intimée a le fardeau de prouver qu’elle avait un motif justifiable pour l’acte discriminatoire présumé. La Cour suprême du Canada a statué, dans des affaires telles que Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU [Meiorin][4] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights) [Grismer][5], que l’intimé qui invoque une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que :

  1. l’intimé a adopté la norme contestée (dans ce cas, ses politiques et pratiques en matière d’horaire de travail) dans un but ou un objectif rationnellement lié à la fonction exécutée;

  2. l’intimé a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif légitime lié au travail;

  3. la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif légitime lié au travail en ce sens qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le plaignant sans que l’employeur subisse une contrainte excessive en matière de santé, de sécurité ou de coûts.

[19] J’ajouterais que la contrainte excessive est davantage qu’un inconvénient pour l’intimé qui invoque une telle défense. Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [Renaud], la Cour suprême a déclaré que « l’utilisation de l’adjectif “excessive” suppose qu’une certaine contrainte est acceptable »[6].

[20] Dans ses observations, la Commission a précisé que Seaspan n’a pas remis en question le besoin de mesures d’adaptation de M. Smolik en raison de ses obligations en matière de garde d’enfants. La Commission a fait remarquer que l’un des témoins de Seaspan, M. Thompson, a admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas remis en question le besoin de mesures d’adaptation de M. Smolik ni les dispositions qu’il avait tenté de prendre en matière de garde d’enfants. L’autre témoin de Seaspan, Mme Vigeant, a également admis lors de son contre-interrogatoire qu’elle n’a pas soulevé de questions au sujet de la demande de mesures d’adaptation de M. Smolik pendant la médiation de 2016 parce qu’elle était plus préoccupée par la recherche d’une solution que par des questions juridiques.

[21] La Commission a soutenu que M. Smolik avait établi l’existence de discrimination et que Seaspan, n’ayant pas remis en question le besoin de mesures d’adaptation de M. Smolik auparavant, n’aurait pas dû soulever ce point pour la première fois à l’audience.

[22] La Commission a cité la décision Lafrenière c. Via Rail Canada Inc. [Lafrenière][7], soutenant qu’un employeur qui ne conteste pas les documents médicaux d’un employé au moment où une demande de mesures d’adaptation est présentée ne peut plus ultérieurement invoquer cette négligence comme défense.

[23] Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que Lafrenière laisse entendre que le défaut de Seaspan de contester la demande de mesures d’adaptation de M. Smolik réduit d’une certaine façon le fardeau initial de fournir des éléments de preuve de discrimination. Les principes énoncés dans Bombardier s’appliquent toujours et le fardeau initial incombe toujours au plaignant.

Preuve

A. Témoignage du plaignant

(i) Andreas Smolik

[24] Andreas Smolik a témoigné en tant que plaignant. Il est ingénieur naval titulaire d’un brevet d’ingénieur naval de première classe. M. Smolik a commencé à travailler pour Seaspan à ce titre en 1997. Depuis 2017, il a travaillé comme ingénieur naval pour une autre entreprise alors qu’il était en congé de Seaspan.

[25] M. Smolik a travaillé sur des navires affrétés par Seaspan à Seaspan Ferries immédiatement avant les événements qui ont mené au dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne. Il travaillait par quarts de 12 heures, de cinq à sept jours par semaine. Après ses quarts de travail, M. Smolik rentrait chez lui auprès de sa famille à North Vancouver. À l’occasion, M. Smolik a effectué des quarts supplémentaires pour remplacer des collègues.

[26] M. Smolik a épousé sa femme Cathy en 2001. Ils ont eu une fille, Anna, en 2003 et un fils, Magnus, en 2006. L’employeur de Cathy permettait des heures de travail flexibles; de 2003 à 2013, les Smoliks ont pu s’acquitter eux-mêmes de leurs obligations en matière de garde d’enfants.

[27] Malheureusement, Cathy a reçu un diagnostic de cancer en 2011. Son état de santé s’est aggravé en 2013 et M. Smolik a pris un congé en mars 2013 pour prendre soin de leurs enfants et soutenir sa femme. Tragiquement, elle est décédée en mai 2013. M. Smolik a pris un congé de deuil de Seaspan après le décès de Cathy.

[28] M. Smolik est devenu le seul responsable des soins de ses enfants, âgés de 9 et de 6 ans à l’époque. Il a témoigné que sa fille s’était repliée sur elle-même et qu’en dépit des services de counseling, elle avait de la difficulté à faire le deuil de sa mère. M. Smolik a décrit son fils comme étant émotionnellement dépendant de lui et anxieux lorsqu’il était séparé de son père.

[29] En septembre 2013, M. Smolik pensait que l’état émotionnel de ses enfants s’était suffisamment stabilisé pour qu’il puisse reprendre le travail. Il a rencontré le capitaine Steve Thompson (gestionnaire du personnel maritime de Seaspan) et Jeff Sanders (son représentant syndical de la Guilde de la marine marchande du Canada) pour discuter d’un retour au travail.

[30] M. Smolik a déclaré avoir dit à Seaspan qu’il ne pouvait pas travailler sur leurs navires côtiers en raison de l’absence de services de garde et des besoins émotionnels de ses enfants. Ces besoins émotionnels empêchaient M. Smolik d’être loin de ses enfants pendant les deux à trois semaines nécessaires pour travailler sur un navire côtier.

[31] M. Smolik a dit à Seaspan qu’il avait besoin soit a) d’un emploi comme celui qu’il occupait auparavant – dans le cadre duquel il effectuait des quarts de 12 heures et pouvait retourner chez lui auprès de sa famille; soit b) d’un autre horaire suffisamment souple pour lui permettre d’aller chercher ses enfants à l’école la plupart du temps. Malheureusement pour M. Smolik, pendant son congé de Seaspan, les deux traversiers côtiers sur lesquels il avait travaillé ont été retirés de la flotte, ce qui compliquait ces demandes.

[32] M. Smolik a affirmé qu’en raison des conséquences émotionnelles sur ses enfants, il voulait préserver son unité familiale. Il a envisagé la possibilité pour ses proches de l’aider à prendre soin de ses enfants. M. Smolik avait un frère qui avait quatre enfants et qui vivait à Maple Ridge. Son autre frère était célibataire et vivait à New Westminster et M. Smolik estimait qu’il ne pouvait pas s’occuper de ses enfants pendant de longues périodes. La belle-mère de M. Smolik vivait plus près de West Vancouver, mais il ne la considérait pas comme une gardienne convenable.

[33] Il a témoigné qu’il avait envisagé d’embaucher une gardienne pour ses enfants, mais qu’il estimait qu’il ne pouvait pas avoir confiance en qui que ce soit pour s’occuper de ses enfants pendant plusieurs semaines à la fois ou en fonction d’un horaire erratique. M. Smolik a dit qu’il avait consulté un ami qui avait embauché une gardienne après le décès de sa femme, et qu’il s’est retrouvé par la suite aux prises avec un roulement élevé de nounous.

[34] Compte tenu de la situation de sa famille à l’époque, la possibilité d’avoir un membre de la famille ou une gardienne en attente pour offrir des soins 24 heures sur 24 à ses enfants (qui faisaient face à la perte de leur mère) selon un horaire imprévisible ou pendant une longue période (1 à 3 semaines), n’était pas une solution raisonnable.

[35] M. Smolik a déclaré qu’il était en mesure de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants par l’entremise d’autres services de garde d’enfants pendant un certain nombre d’heures, y compris pendant la nuit, dans l’éventualité où il recevait et acceptait un quart de rappel au travail ou un quart ou un poste de [traduction] « col bleu » de 12 heures, et dans l’éventualité où il recevait un poste, un quart sur appel ou par téléavertisseur de 7 à 8 jours.

[36] M. Smolik a dit qu’il est resté en contact avec M. Thompson et d’autres représentants de Seaspan tout au long de l’automne 2013. En novembre 2013, il a rencontré Thompson, le capitaine Walker (gestionnaire adjoint, Personnel maritime), Gilbert Astorga (gestionnaire de Seaspan, Relations de travail) et Robert Sampson (agent d’affaires de la Guilde). Ils ont discuté de la possibilité de placer M. Smolik sur la liste d’appel afin de lui donner la souplesse de refuser les appels qui ne fonctionnaient pas avec son horaire. M. Smolik a dit qu’à cette époque, il a imprimé une copie de la LCDP pour M. Thompson afin de signaler l’obligation de Seaspan de prendre des mesures d’adaptation en raison de la situation de famille de M. Smolik. M. Smolik a dit que M. Thompson ne semblait pas vouloir en tenir compte.

[37] En janvier 2014, Seaspan a présenté une proposition de travail sur appel, que M. Smolik a acceptée. L’offre visait une période de six mois et devait être révisée après six mois. M. Smolik était admissible au travail sur appel à Roberts Bank et dans le port de Vancouver seulement. La liste devait être utilisée en fonction de l’ancienneté.

[38] M. Smolik a déclaré qu’il a accepté la proposition parce qu’on lui a fait croire qu’elle entraînerait un revenu de plein temps tout en respectant son horaire. Malheureusement, au final, la quantité de travail découlant de cette proposition a été de loin inférieure à ce à quoi M. Smolik s’attendait.

[39] Il a dit qu’entre janvier et août 2014, il n’a reçu que 7 appels. M. Smolik était très préoccupé par le manque de travail et a commencé à appeler et à visiter le bureau de répartition à de nombreuses reprises pour s’informer sur le travail disponible.

[40] Il a rencontré M. Thompson et M. Sanders en juin 2014 pour examiner l’entente de travail sur appel. M. Smolik a témoigné que Seaspan avait reconnu à cette réunion qu’elle ne lui avait pas fourni suffisamment de travail. Il ne se souvenait pas d’avoir refusé d’appels. Bien qu’aucune solution n’ait été présentée à cette réunion à l’égard du manque de travail de M. Smolik, il a dit que Seaspan l’a assuré qu’il y aurait plus de travail disponible pendant la saison estivale plus achalandée. Toutefois, la situation ne s’est pas améliorée pour M. Smolik pendant le reste de l’année 2014.

[41] De septembre à décembre 2014, la situation ne s’est que légèrement améliorée, M. Smolik ayant reçu 8 appels et quelques travaux limités d’entretien à quai. De janvier 2015 à avril 2015, M. Smolik a reçu neuf autres appels. M. Smolik a dit qu’il croyait avoir effectué la majorité du travail sur appel qui lui avait été offert.

[42] Le 5 janvier 2015, M. Smolik a rencontré M. Thompson pour discuter d’un poste de bureau de répartiteur maritime. Il a affirmé que Seaspan ne lui avait fourni aucune information sur l’échelle salariale, la rémunération ou les heures de travail. Le poste de répartiteur ne lui permettait pas non plus de conserver son brevet d’ingénieur naval. Seaspan avait demandé à M. Smolik de répondre à l’offre ce jour-là ou le lendemain, au plus tard. M. Smolik a refusé le poste au motif que cela aurait mené à la perte ultérieure de son brevet d’ingénieur. Quelques jours plus tard, Seaspan a demandé s’il voudrait entreprendre des tests d’aptitude pour le poste de répartiteur. M. Smolik a dit qu’il n’avait pas répondu à cette demande parce qu’il avait déjà refusé l’offre.

[43] En mars 2015, M. Smolik a demandé et reçu un congé d’un an de Seaspan pour chercher un emploi à plein temps ailleurs. Pendant ce congé, M. Smolik a maintenu son emploi et son statut auprès de la Guilde associé à Seaspan. Il a trouvé un emploi d’ingénieur naval de remplacement auprès de Coast Mountain Bus Company sur ses traversiers Seabus. La rémunération pour ce poste n’était pas équivalente à celle touchée pour son emploi chez Seaspan, mais il était près de chez lui et les heures étaient constantes. L’emploi sur le Seabus a duré jusqu’en juin, date à laquelle l’employé de Seabus qu’il remplaçait est revenu de son congé.

[44] Bien que M. Smolik ait cru qu’il y avait suffisamment de travail à Seaspan pour l’employer presque à plein temps par des appels et des remplacements, il a témoigné que Seaspan n’était pas disposée à fournir une quantité suffisante de travail pour répondre à ses besoins financiers.

[45] M. Smolik a informé Seaspan qu’il n’était pas intéressé par du travail à temps partiel. Il a plutôt proposé d’avoir un poste par téléavertisseur du mercredi au mercredi (c.-à-d. sur appel) pour les navires Resolution, Kestrel, Eagle et Osprey, en plus de la liste d’appel aléatoire. En réponse, Seaspan a informé M. Smolik que ces emplois de relève par téléavertisseur [traduction] « vont généralement aux ingénieurs ayant beaucoup d’ancienneté qui sont dans une situation de jour rouge » et que le nombre de quarts qu’il pourrait prendre serait relativement faible.

[46] M. Smolik a également suggéré qu’on lui accorde du travail de remplacement de congés, puisqu’il y avait 7,5 ingénieurs maritimes principaux (qui avaient chacun six semaines de vacances) à Roberts Bank et au port de Vancouver. Cela signifiait qu’il y avait 45 semaines de temps de remplacement de congés à combler. Seaspan n’a pas non plus accepté cette proposition.

[47] M. Smolik s’est renseigné auprès de Gilbert Astorga, gestionnaire des relations de travail chez Seaspan Marine et Seaspan Ferries sur la possibilité d’obtenir du travail auprès de Seaspan Ferries. M. Astorga a communiqué avec Phil Loewen, le surintendant des études techniques de Seaspan Ferries, et lui a fait savoir que Seaspan Marine permettrait sans réserve à M. Smolik de travailler pour Seaspan Ferries. Cependant, M. Loewen n’a jamais communiqué avec M. Smolik. M. Smolik est allé le voir et a été informé que Seaspan ne voulait pas que des employés de Seaspan Marine qui avaient travaillé sur certains navires précédemment prêtés à Seaspan Ferries (c.-à-d. le Challenger et Greg) travaillent pour Seaspan Ferries. M. Smolik s’est vu refuser la possibilité de travailler pour Seaspan Ferries.

[48] En mars 2016, M. Smolik a assisté à une médiation avec Seaspan et la Commission sur sa plainte pour atteinte aux droits de la personne. La Guilde n’a pas été nommée partie à la plainte et n’a pas assisté à la médiation.

[49] Les parties ont conclu une entente de principe concernant la désignation de [traduction] « ancienneté supérieure » pour M. Smolik en suivant un cycle d’une semaine de travail suivie d’une semaine de congé. Pendant sa semaine [traduction] « de travail », il serait disponible pour répondre aux appels et effectuer des remplacements à Roberts Bank et au port de Vancouver, avec le droit de premier refus jusqu’à ce qu’il atteigne ses heures mensuelles pour un revenu à plein temps. Au cours de sa semaine [traduction] « de congé », M. Smolik recevrait des appels au travail en fonction de son niveau d’ancienneté régulier et pourrait choisir d’effectuer des heures supplémentaires, au-delà du salaire à plein temps, s’il le voulait. M. Smolik a témoigné qu’on lui avait dit qu’il aurait une ancienneté supérieure pendant une semaine à la fois, avec la possibilité que quelqu’un d’autre soit déplacé.

[50] Malheureusement, la Guilde n’a pas appuyé le règlement parce que, de son avis, il contrevenait aux dispositions de la convention collective. Seaspan et la Guilde s’accusent mutuellement de l’échec du règlement. Seaspan n’a fait aucun autre effort pour prendre des mesures pour répondre aux besoins de M. Smolik en ce qui concerne le travail à Seaspan.

[51] Seaspan lui a accordé un autre congé non payé et M. Smolik a d’abord pu retrouver du travail à Seabus. Avec le consentement de Seaspan, M. Smolik a ensuite travaillé avec Saam Smit, un concurrent de Seaspan. L’emploi avec Saam Smit est devenu un emploi à plein temps. M. Smolik est actuellement employé à la même échelle de rémunération d’ingénieur naval qu’il recevait à Seaspan.

B. Témoins de l’intimée

(i) Steve Thompson

[52] Le capitaine Steve Thompson a travaillé pour Seaspan jusqu’à sa retraite en 2015. Il était auparavant le gestionnaire du personnel maritime chargé d’assurer des niveaux d’équipage adéquats ainsi que de l’embauche, de la discipline et de la formation. À Seaspan, M. Thompson a traité de la plainte pour atteinte aux droits de la personne de M. Smolik.

[53] Dans son témoignage, M. Thompson a décrit les diverses opérations de Seaspan ainsi que les types de navires sur lesquels les ingénieurs navals comme M. Smolik travaillaient, ainsi que les types d’horaires qui s’appliquaient à eux. M. Smolik travaillait par quarts de 12 heures de travail et de 12 heures de congé, sept jours par semaine, puis il avait ensuite 14 jours de congé. Toutefois, ces navires ont été transférés pendant le congé de deuil de M. Smolik en 2013.

[54] Les opérations restantes de Seaspan étaient le remorquage longue distance de barges par ses navires, qui restaient en mer pendant deux à trois semaines à la fois. Deux navires étaient constamment amarrés à l’emplacement de Roberts Bank. Les équipages de ces navires travaillaient selon un horaire par quarts de sept jours de travail, suivis de sept jours de congé, sept jours de travail, puis quatorze jours de congé. Seaspan utilisait un système de téléavertisseur dans lequel l’équipage [traduction] « en poste » devait être sur appel pour travailler avec un préavis de quatre heures. Ils pouvaient travailler jusqu’à 16 heures par jour. En plus des travaux réguliers de Roberts Bank, il y avait aussi des travaux de remorquage sporadiques au port de Vancouver.

[55] En septembre 2013, M. Smolik a parlé à M. Thompson et à Jeff Sanders au sujet de son retour au travail. M. Smolik a dit à M. Thompson qu’en raison de ses besoins en matière de garde d’enfants, il ne pouvait pas travailler sur les navires côtiers. M. Smolik a dit à M. Thompson qu’il avait besoin soit a) d’un autre horaire souple qui lui permettrait d’aller chercher ses enfants à l’école; ou b) d’un travail structuré dans la vallée du bas Fraser qui offre un salaire à plein temps.

[56] M. Thompson a témoigné qu’il y avait peu de possibilités d’emploi répondant aux exigences de M. Smolik. Premièrement, l’horaire structuré n’était plus possible étant donné le transfert des navires sur lesquels M. Smolik travaillait auparavant. Deuxièmement, M. Smolik a exclu les navires côtiers. Troisièmement, les navires de Roberts Bank avaient des horaires très peu structurés. Enfin, les remorqueurs fluviaux et portuaires n’avaient pas besoin d’ingénieurs navals.

[57] M. Thompson a affirmé que l’entente de 2014 limitant l’emploi de M. Smolik aux appels était contraire à la politique normale de Seaspan. L’entente prévoyait également que M. Smolik ferait des efforts raisonnables pour reprendre ses fonctions régulières à plein temps au plus tard en janvier 2015. En outre, puisqu’il n’était pas un employé à plein temps, M. Smolik a été informé que ses prestations devraient être calculées au prorata, bien que, par inadvertance, cela n’ait pas été fait.

[58] M. Thompson a dit qu’il avait rencontré M. Smolik en janvier 2015 pour lui offrir un emploi de répartiteur maritime au bureau de Seaspan. Il a décrit l’horaire du répartiteur comme étant un horaire de sept jours de travail (par quarts de 12 heures) suivis de sept jours de congé, puis de sept nuits de travail (par quarts de 12 heures) suivies de deux semaines de congé. M. Thompson a dit qu’il considérait que c’était une [traduction] « solution idéale » pour M. Smolik puisque le poste, à la fois était structuré et offrait un salaire à plein temps. Aucune preuve n’a été produite à l’audience au sujet de la rémunération. Le poste était non syndiqué et la preuve n’a pas permis de déterminer les effets qu’il pourrait avoir sur l’adhésion de M. Smolik à la Guilde et sur sa pension de la Guilde.

[59] En août 2015, M. Thompson a passé en revue les feuilles d’appel pour le travail de remplacement préparées par le service de la paie. Selon l’analyse de M. Thompson, en fonction de l’ancienneté, M. Smolik ne pouvait pas s’attendre à recevoir les heures à plein temps dont il avait besoin.

[60] En août 2015, M. Smolik a envoyé un courriel à M. Thompson pour lui dire qu’il croyait pouvoir aussi effectuer le travail par téléavertisseur à Roberts Bank, en se fondant sur son expérience de travail structuré à Seabus. Toutefois, M. Thompson a dit qu’il avait rejeté l’idée parce que a) le poste par téléavertisseur était normalement confié à des ingénieurs supérieurs hautement prioritaires; et b) le poste était en fait non structuré.

(ii) Virginie Vigeant

[61] Virginie Vigeant a occupé le poste gestionnaire des ressources humaines à Seaspan, de 2013 à 2018. Elle a joué un rôle dans le dossier de M. Smolik lorsque celui‑ci a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre Seaspan.

[62] En mai 2016, elle et M. Thompson ont assisté à une médiation avec M. Smolik au nom de Seaspan. Mme Vigeant a témoigné qu’elle avait invité Trevor Lang de la Guilde à assister à la médiation, mais qu’il avait refusé puisque la Guilde n’avait pas été nommée en tant que partie à la plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[63] Mme Vigeant a affirmé qu’après que Seaspan et M. Smolik eurent conclu une entente lors de la médiation, elle l’a présentée à M. Lang de la Guilde pour obtenir le consentement du syndicat. Malgré ses efforts, elle a dit que le syndicat refusait d’appuyer l’entente parce que donner à M. Smolik le statut de [traduction] « ancienneté supérieure », selon les termes du syndicat, [traduction] « ouvrirait une boîte de Pandore ». Elle a déclaré que le syndicat menaçait de déposer des griefs tant syndicaux qu’individuels si l’entente était mise en œuvre.

[64] Mme Vigeant a dit que Seaspan ne donnerait pas suite à l’entente sans le consentement du syndicat. Après que la Guilde a confirmé par écrit qu’elle ne soutiendrait pas l’entente, Seaspan n’a pris aucune autre mesure pour mobiliser le syndicat à l’égard de l’affaire.

Analyse

A. Le plaignant a-t-il établi que l’intimée avait fait preuve de discrimination à son endroit au sens de l’article 7?

[65] Afin d’établir l’existence de discrimination fondée sur sa situation de famille, M. Smolik devait démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que ses circonstances répondaient au critère à quatre volets établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Johnstone. Les quatre exigences sont les suivantes : 1) le plaignant assume la garde et la surveillance d’un enfant; 2) l’obligation liée à la garde de l’enfant engage la responsabilité du plaignant envers cet enfant (et il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel); 3) le plaignant a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables, et aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable; 4) les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité du plaignant de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de l’enfant.

(i) Un enfant était-il sous la garde et la surveillance du plaignant?

[66] La mort tragique de Cathy Smolik en mai 2015 a laissé leurs deux enfants sous la garde, les soins et la supervision exclusifs de leur père, Andreas Smolik. L’intimée n’a pas contesté ce premier élément du critère énoncé dans Johnson.

(ii) L’obligation liée à la garde de l’enfant a-t-elle engagé la responsabilité du plaignant envers cet enfant (par opposition à un choix personnel)?

[67] Devenir le parent et pourvoyeur unique de ses enfants était une obligation qui lui était imposée par le décès de sa femme et c’est une responsabilité que M. Smolik a dûment acceptée.

[68] L’intimée a contesté ce deuxième élément du critère énoncé dans Johnson. L’intimée a soutenu que l’obligation légale de M. Smolik d’offrir des soins à ses enfants ne signifiait pas qu’il était le seul à pouvoir les fournir.

[69] L’intimée s’est fondée sur un certain nombre de décisions pour appuyer sa position. Dans la décision Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie) [Flatt][8], la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas réussi à faire valoir que son employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour lui permettre de travailler à la maison afin qu’elle puisse continuer à allaiter son enfant. En appliquant le critère de l’arrêt Johnstone, la Commission a fait une distinction juridique en disant que, bien que la fonctionnaire ait l’obligation légale d’alimenter son enfant, la façon dont elle s’acquitte de cette obligation était son choix.

[70] J’établirais une distinction avec la décision Flatt au motif que, dans cette décision, le désir du parent d’allaiter pendant les heures de bureau est en fait très différent de l’obligation légale imposée à M. Smolik, en tant que seul parent à fournir des services de garde à ses enfants, lorsque ses possibilités d’emploi exigeaient qu’il s’absente de la maison pendant des semaines à la fois ou qu’il soit appelé à travailler à court préavis à des heures irrégulières.

[71] L’intimée a également cité la décision Canadian National Railway Co. v. Unifor Council 4000[9], où la fonctionnaire s’estimant lésée a vu son poste antérieur aboli. L’arbitre n’a pas conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille et l’arbitre a affirmé que les exigences imposées à la fonctionnaire en matière de garde d’enfants (connaissances médicales et connaissances de l’anglais) ne reposaient pas sur des exigences juridiques, mais plutôt sur la préférence personnelle.

[72] Cette affaire se distingue par le fait que les enfants de M. Smolik étaient jeunes et qu’ils ont été affectés mentalement et émotionnellement par le décès de leur mère. M. Smolik ne cherchait aucun type particulier de services de garde d’enfants en fonction de sa préférence personnelle. En tant que père et seul parent, il a évalué qu’il était le seul gardien approprié au moment où il était prêt à retourner au travail. Seaspan n’a pas contesté l’évaluation initiale de M. Smolik ni demandé de preuves médicales à l’appui de sa position ou de ses arrangements en matière de garde d’enfants lorsqu’elle a essayé de prendre des mesures pour le retour au travail du plaignant.

[73] La Cour fédérale a déclaré dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Seeley [Seeley][10] que, dans une plainte de discrimination fondée sur la situation de famille, le plaignant devait fournir certains éléments de preuve, mais n’a pas établi une norme de preuve élevée.

[74] M. Smolik se trouvait dans une situation semblable à celle de la plaignante dans l’affaire Seeley – il est le principal responsable des soins à prodiguer à ses deux jeunes enfants. Contrairement à Mme Seeley, M. Smolik n’avait pas de conjointe pour partager les obligations en matière de garde d’enfants.

[75] Deux autres affaires portant sur des plaintes de discrimination fondée sur la situation de famille devant le Tribunal soutiennent davantage l’application de la décision Seeley en ce qui concerne la norme de preuve. Les deux font intervenir le CN en tant qu’intimé et, avec Seeley, ces trois affaires sont souvent désignées comme la trilogie du CN[11].

[76] Dans les affaires Whyte et Richards, le Tribunal a examiné les éléments de preuve et a conclu qu’ils indiquaient que les plaignantes étaient des parents et que cette situation comprenait généralement des obligations de garde d’enfants. Le Tribunal a déclaré que leurs obligations en matière de garde d’enfants en tant que seuls parents étaient suffisantes pour établir une preuve prima facie.

[77] Dans ces affaires liées à la situation de famille, je dois tenir compte des allégations dans leur contexte. M. Smolik est un parent seul et n’a ni conjoint ni partenaire avec qui partager ses obligations en matière de garde d’enfants. Sa demande porte clairement sur ses obligations en matière de garde d’enfants et non sur un choix personnel.

[78] Je conclus dans le présent dossier que les obligations de M. Smolik en matière de garde d’enfants étaient une obligation légale et non un choix personnel.

(iii) Le plaignant a-t-il déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables, et aucune de ces solutions n’était raisonnablement réalisable?

[79] L’intimée a fait des observations au cours de l’audience selon lesquelles M. Smolik n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour satisfaire à son obligation en matière de garde d’enfants au moyen de solutions de rechange raisonnables.

[80] Au moment du décès de leur mère, les enfants Smolik avaient respectivement neuf et six ans. M. Smolik a témoigné que ses enfants ont été grandement touchés par la mort de leur mère. Tous deux ont reçu des services de counseling et il a décrit sa fille comme s’étant repliée sur elle-même et son fils comme étant très dépendant de lui, voulant savoir où se trouvait son père même encore à la date de l’audience.

[81] M. Smolik a dit qu’il avait considéré les membres de sa famille comme des possibilités de garde d’enfants. Sa propre mère était décédée six mois plus tôt. Il avait un frère qui était marié et avait des enfants, mais il vivait à Maple Ridge, assez loin de la rive nord. Son autre frère était célibataire sans expérience parentale et vivait à New Westminster, et M. Smolik doutait qu’il puisse fournir plus de cinq à six heures de garde d’enfants à la fois. La seule parente vivante de Cathy était sa mère à West Vancouver, mais M. Smolik ne croyait pas qu’elle pouvait offrir beaucoup de services de garde d’enfants au-delà d’aller les chercher après l’école.

[82] L’évaluation initiale que M. Smolik a faite relativement aux membres de sa famille et qu’il a jugée insuffisante quant à la possibilité de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants a ensuite été confirmée par les types de travail disponibles et l’horaire de travail requis. Il serait trop contraignant de s’attendre à ce que les membres de la famille fournissent des services de garde d’enfants si M. Smolik était en mer pendant 1 à 3 semaines à la fois. M. Smolik ne pourrait pas non plus raisonnablement s’attendre à ce que les membres de la famille soient en mesure de fournir des services de garde d’enfants à court préavis en fonction d’horaires non structurés.

[83] M. Smolik a témoigné qu’il avait discuté des options de garde d’enfants avec un ami et que cette expérience de l’embauche d’une gardienne lui avait donné l’impression que cette solution occasionnerait un roulement élevé en raison de la difficulté de trouver une gardienne d’enfants sur appel pour des périodes de travail de 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant 1 à 3 semaines à la fois. Il a rejeté l’idée et a estimé qu’il était lui-même la meilleure option pour la garde de ses enfants à son retour au travail.

[84] Le Tribunal devrait faire preuve d’une certaine déférence à l’égard d’un plaignant qui est présumé connaître le mieux ses enfants. J’accepte la conviction de M. Smolik selon laquelle il était le mieux placé pour remplir ses obligations en matière de garde d’enfants au moment où il a indiqué pour la première fois qu’il était prêt à retourner au travail.

[85] M. Smolik a démontré qu’il avait été en mesure d’obtenir d’autres services de garde d’enfants pendant un certain nombre d’heures, y compris pendant la nuit, dans l’éventualité où il recevrait et accepterait un quart de rappel au travail ou un quart ou un poste de [traduction] « col bleu » de 12 heures et, dans l’éventualité où il recevait un poste, un quart sur appel ou par téléavertisseur de 7 à 8 jours.

[86] La preuve ne démontre pas si Seaspan a demandé à M. Smolik, à la conclusion de l’entente d’un an, s’il pouvait modifier ses modalités de garde d’enfants pour lui permettre de travailler des heures supplémentaires ou des quarts de travail différents.

[87] À mon avis, M. Smolik a fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants au moyen de solutions de rechange et aucune solution de rechange de ce genre n’était raisonnablement réalisable.

(iv) Les règles attaquées régissant le milieu de travail ont-elles entravé d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité du plaignant de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de l’enfant?

[88] Les règles du milieu de travail en question sont les possibilités d’emploi disponibles, les horaires de travail et la répartition du travail à Seaspan pour les ingénieurs navals au moment du retour au travail de M. Smolik.

[89] À la suite du transfert des deux traversiers côtiers pendant le congé de M. Smolik, le travail offert par Seaspan pour les ingénieurs navals consistait principalement en un remorquage longue distance de barges par ses navires, qui restaient en mer pendant deux à trois semaines à la fois. Il n’était ni possible ni raisonnable de s’attendre à ce que M. Smolik accepte l’affectation sur ces navires. Il ne pouvait pas s’absenter de la maison pendant des semaines parce que ses enfants étaient encore émotionnellement fragiles après la mort de leur mère. Il n’était pas non plus en mesure de prendre d’autres arangements quant à la garde d’enfants auprès de membres de sa famille ou d’une gardienne d’enfants pendant de si longues périodes à la fois.

[90] Deux navires étaient constamment amarrés à l’emplacement de Roberts Bank. Les équipages de ces navires travaillaient selon un horaire par quarts de sept jours de travail, suivis de sept jours de congé, sept jours de travail, puis quatorze jours de congé. Seaspan utilisait un système de téléavertisseur dans lequel l’équipage [traduction] « en poste » devait être sur appel pour travailler avec un préavis de quatre heures. Ils pouvaient travailler jusqu’à 16 heures par jour. Il aurait été difficile pour M. Smolik de travailler à bord de ces navires parce que l’horaire irrégulier et le court préavis auraient rendu difficile l’organisation de services de garde d’enfants appropriés.

[91] La proposition de Seaspan pour le travail sur appel, en fonction de l’ancienneté, à Roberts Bank et dans le port de Vancouver seulement n’a pas entraîné une rémunération équivalente au salaire d’un poste à plein temps.

[92] Les possibilités de travail et les horaires de travail de Seaspan ont fait en sorte qu’il était presque impossible pour M. Smolik de retourner au travail sans prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de son obligation en matière de garde d’enfants. Ces pratiques et horaires avaient entravé d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité de M. Smolik de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfant.

[93] Je conclus donc que le plaignant satisfait au critère à quatre volets établi dans l’arrêt Johnstone.

[94] Je conclus que M. Smolik a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, au sens de l’article 7 de la LCDP.

B. L’intimée a-t-elle démontré de manière valable que ses actes par ailleurs discriminatoires étaient justifiés?

[95] J’ai déterminé que le plaignant avait établi que l’intimée avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa situation de famille. L’intimée a présenté des éléments de preuve pour essayer de réfuter la preuve du plaignant, mais j’ai accordé préséance à cette dernière. L’intimée a également présenté des éléments de preuve pour justifier ses actions et étayer son argument selon lequel elle a offert des mesures d’adaptation au plaignant sans s’imposer de contrainte excessive.

[96] Le critère relatif à l’établissement d’une exigence professionnelle justifiée a été énoncé dans l’arrêt Meiorin. Ainsi, l’employeur qui invoque une défense fondée sur une contrainte excessive doit prouver les éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

a. l’intimé a adopté la norme contestée (dans ce cas, l’exigence de respecter les heures normales de travail et ses pratiques en matière d’horaire de travail) dans un but ou un objectif rationnellement lié à la fonction exécutée;

b. l’intimé a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif légitime lié au travail;

c. la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif légitime lié au travail en ce sens qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le plaignant sans que l’employeur subisse une contrainte excessive en matière de santé, de sécurité ou de coûts.

[97] Nul ne conteste les deux premiers volets du critère de l’arrêt Meiorin. Les heures de travail et les pratiques en matière d’horaire de Seaspan (la norme) ont été adoptées à une fin rationnellement liée à l’exécution du travail. Elles étaient nécessaires en raison des exigences associées aux navires côtiers dont les opérations continues s’étendent sur plusieurs semaines et des exigences irrégulières et à court préavis liées aux remorqueurs à Roberts Bank.

[98] Personne ne conteste le fait que l’employeur avait une croyance honnête et de bonne foi que la norme était nécessaire pour réaliser ses objectifs de travail légitimes lorsqu’il l’a adoptée.

[99] La question la plus importante est de savoir si la norme était raisonnablement nécessaire pour réaliser les objectifs puisqu’il était impossible de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Smolik sans imposer de contrainte excessive à Seaspan.

[100] Bien que la LCDP ne prévoie pas d’obligation procédurale distincte de prendre des mesures d’adaptation, Seaspan doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le fait de prendre des mesures pour répondre aux besoins liés à l’horaire de travail de M. Smolik afin de lui permettre de respecter ses obligations en matière de garde d’enfants lui aurait imposé une contrainte excessive.

[101] Pour répondre à la question, je dois examiner ce que Seaspan a fait pour essayer de répondre aux besoins de M. Smolik.

(i) Travail sur appel

[102] M. Smolik a travaillé à plein temps pour Seaspan de 1997 à 2013. Lorsque M. Smolik s’est senti prêt à retourner au travail en septembre 2013, il a demandé un poste qui offrait soit un quart structuré comme son poste précédent, soit une souplesse suffisante pour satisfaire à ses besoins en matière de garde d’enfants.

[103] M. Smolik s’est fié à Seaspan pour trouver une solution qui réponde à ses conditions. Il a patiemment attendu jusqu’en novembre 2013 avant de rencontrer à nouveau Seaspan et la Guilde pour discuter de la possibilité d’être placé sur une liste d’appel. M. Smolik a même fourni à M. Thompson une copie de la LCDP pour porter à son attention que Seaspan avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Cependant, ce n’est qu’en janvier 2014 que Seaspan lui a présenté un plan écrit pour un retour au travail qui limitait les possibilités d’emploi au travail sur appel, contrairement à la convention collective. Seaspan a insisté sur le fait que les droits d’ancienneté s’appliquaient toujours à cette entente.

[104] Il s’est avéré que les appels que M. Smolik avait reçus étaient beaucoup moins nombreux qu’il ne s’y attendait. Son revenu de Seaspan a chuté de façon spectaculaire. M. Thompson l’a assuré que le travail allait probablement augmenter alors que Seaspan deviendrait plus occupée l’été, ce qui ne s’est pas produit. Ce n’est qu’en août 2015 que M. Thompson a analysé la quantité de travail sur appel qu’un ingénieur ayant l’ancienneté de M. Smolik pouvait s’attendre à recevoir. Le nombre d’heures était beaucoup trop faible pour répondre aux besoins de M. Smolik.

[105] En plus du long délai dans la présentation à M. Smolik d’un plan de retour au travail fondé uniquement sur des appels, il était manifestement évident que Seaspan ne savait pas si la quantité de travail serait suffisante lorsqu’il a présenté le plan en janvier 2014. Selon le témoignage de M. Thompson, Seaspan n’a même pas tenté de calculer la quantité de travail possible pour M. Smolik avant août 2015. Cette analyse aurait dû être effectuée avant que l’entente d’appel ne soit présentée à M. Smolik.

[106] La preuve présentée à l’audience par le plaignant a montré de nombreux exemples d’ingénieurs ayant moins d’ancienneté que M. Smolik qui ont reçu des appels ou du travail de remplacement. M. Smolik a pu discerner sur les registres de travail du port plusieurs fois où des ingénieurs ayant moins d’ancienneté ont reçu des affectations sur appel, à sa place. Bien que le plaignant ait expressément demandé des documents pendant la période de divulgation précédant l’audience, Seaspan n’a pas fourni de preuve qui expliquerait cette situation.

[107] La preuve que les deux parties ont présentée à l’audience était ambiguë et contradictoire. À titre d’exemple, malgré l’affirmation de Seaspan quant à l’application des droits d’ancienneté, cette condition n’est pas mentionnée dans la convention collective lorsqu’il est question du travail sur appel.

[108] Cette omission de la part de Seaspan de produire des documents appropriés est pertinente parce sa défense liée aux efforts en matière de mesures d’adaptation repose en partie sur le fait que M. Smolik n’a pas reçu autant de travail que prévu parce qu’il n’y avait pas assez de travail disponible et que d’autres ingénieurs plus expérimentés avaient la priorité sur les possibilités qui se présentaient.

[109] L’intimée a également soutenu que le fait de permettre à M. Smolik d’usurper les droits d’ancienneté en lui donnant du travail à la place des employés plus âgés imposerait une contrainte excessive à Seaspan. Toutefois, la preuve fournie par Seaspan ne suffit pas à étayer son allégation. Il n’y a tout simplement pas suffisamment d’éléments de preuve pour que je puisse déterminer que Seaspan a fourni à M. Smolik tous les travaux sur appel qui étaient disponibles, en fonction de l’ancienneté.

[110] Seaspan ne semblait pas réagir rapidement pour régler la situation, malgré le fait que M. Smolik a directement soulevé la question des mesures d’adaptation dans le contexte des obligations en matière de droits de la personne en novembre 2013, puis déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne en septembre 2015.

(ii) Poste de répartiteur

[111] Le 5 janvier 2015, M. Thompson a informé M. Smolik qu’il y avait un poste vacant au bureau de Seaspan pour un répartiteur maritime. Il s’agissait d’un poste à plein temps. M. Thompson a déclaré dans son témoignage qu’il pensait que ce poste était parfait pour M. Smolik.

[112] Dans des affaires telles que Renaud[12], les tribunaux ont clairement fait savoir qu’il n’est pas nécessaire que les mesures d’adaptation soient parfaites. Toutefois, dans le présent dossier, même si M. Thompson estimait que le poste de répartiteur convenait bien à M. Smolik, Seaspan n’a donné à ce dernier qu’un jour pour décider si le poste l’intéressait. Seaspan n’a fourni aucune explication pour la courte échéance et n’a pas non plus expliqué pourquoi elle n’a pas fourni l’information la plus importante pour un candidat potentiel, soit la rémunération applicable au poste. M. Smolik possédait un brevet d’ingénieur naval de pointe et des années d’expérience. Il gagnait auparavant un salaire substantiel en travaillant pour Seaspan. Seaspan lui avait accordé un court délai pour donner sa réponse. Tout comme Seaspan, M. Smolik savait qu’il risquait de perdre son brevet naval s’il ne pouvait pas continuer d’effectuer ses heures de travail en mer, et ce, pour un poste pour lequel il ne connaissait même pas la rémunération applicable.

[113] Quelque temps plus tard, Seaspan a demandé à M. Smolik s’il accepterait une évaluation pour le poste de répartiteur, ce qui mine l’impression qu’une réponse immédiate de sa part était impérieuse. En outre, Seaspan n’a fait aucun effort pour persuader M. Smolik d’accepter ce poste de répartiteur qu’il considérait comme une [traduction] « mesure d’adaptation parfaite ». La preuve ne démontre pas clairement que Seaspan a même dit à M. Smolik qu’elle considérait l’emploi de répartiteur comme une mesure d’adaptation raisonnable ou qu’elle pourrait considérer que M. Smolik ne coopérait pas dans le cadre du processus relatif aux mesures d’adaptation s’il refusait même d’être évalué pour le poste.

[114] La preuve ne me permet pas de déterminer si le poste de répartiteur correspondait à une mesure d’adaptation raisonnable offerte par l’intimée.

[115] En outre, du point de vue juridique, avant de considérer le poste de répartiteur comme une mesure d’adaptation raisonnable, je m’attendrais à ce que l’intimée démontre qu’elle a épuisé toutes ses tentatives pour offrir à M. Smolik des mesures d’adaptation dans son propre travail d’ingénieur naval[13].

[116] Seaspan a refusé de tenir compte de la suggestion de M. Smolik de travailler par quarts de travail à Roberts Bank parce qu’il croyait que, sur le plan opérationnel, un préavis de plus de quatre heures était donné. Seaspan n’a pas non plus accepté sa suggestion d’effectuer des quarts de remplacements de congés.

[117] Seaspan a refusé la demande de transfert de M. Smolik à la division qui exploitait les traversiers côtiers et qui avait le calendrier structuré requis qui lui permettrait de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants.

[118] Bien que Seaspan ait permis à M. Smolik de travailler pour les navires Seabus de Coast Mountain, elle a initialement maintenu l’interdiction de travailler pour un concurrent. Cela me semble trop restrictif puisque M. Smolik ne possédait pas de propriété intellectuelle ou de secrets commerciaux.

[119] Compte tenu des résultats de l’entente de travail sur appel qui n’a pas satisfait aux obligations de M. Smolik et de l’omission par Seaspan de tenir compte de toutes les autres options raisonnables que celui‑ci a proposées, je conclus que Seaspan n’a pas satisfait à cette exigence avant d’offrir à M. Smolik un autre travail comme mesure d’adaptation.

(iii) Entente de médiation

[120] Dans le cadre de la plainte pour atteinte aux droits de la personne, M. Smolik et Seaspan ont convenu de recourir à la médiation en mai 2016 en vue d’un règlement. La Guilde, qui n’était pas partie à la plainte, n’a pas assisté à la médiation. Mme Vigeant a témoigné qu’elle a invité la Guilde à y participer.

[121] Les parties sont parvenues à une entente de principe qui accordait à M. Smolik le droit de premier refus sur les appels et le travail de remplacement, ce qui lui conférait en fait des [traduction] « droits d’ancienneté supérieure ». Puisque l’entente touchait les droits d’ancienneté prévus par la convention collective et établissait des pratiques de travail à Seaspan, le consentement de la Guilde était requis.

[122] Seaspan et la Guilde n’ont pas pu s’entendre sur la proposition relative à M. Smolik. La Guilde semblait avoir de sérieuses préoccupations au sujet de l’incidence de la proposition de médiation sur les droits d’ancienneté et la considérait comme une entente parallèle inapplicable. Aucune des parties n’a appelé les représentants de la Guilde pour témoigner afin de fournir plus de renseignements. Par la suite, Seaspan a cessé de tenter d’offrir des mesures d’adaptation pour le retour au travail de M. Smolik.

[123] L’intimée soutient qu’un employeur n’est pas tenu d’accorder à un employé qui demande des mesures d’adaptation plus de droits qu’aux autres employés. Pourtant, Seaspan était prête à le faire avec l’entente de règlement conclue avec M. Smolik. Seule l’opposition du syndicat et l’incapacité des trois parties à tenter de résoudre davantage la question des droits d’ancienneté ont fait obstacle à cette mesure d’adaptation. Seaspan n’a fourni aucun élément de preuve manifeste qu’une telle mesure aurait causé une contrainte excessive.

[124] Certains éléments des politiques et pratiques de Seaspan en matière d’horaires ne semblent pas avoir fait partie de la convention collective. La convention collective semble mentionner l’ancienneté uniquement dans le contexte des officiers en situation de jour rouge. Le syndicat semblait considérer l’entente de règlement comme une entente parallèle inapplicable.

[125] Quoi qu’il en soit, les dispositions d’une convention collective n’exonèrent pas l’employeur de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Il n’y a pas suffisamment de preuves à l’appui de l’affirmation de l’intimée selon laquelle l’entente de règlement aurait eu une incidence importante sur la convention collective ou les droits des autres employés.

[126] Bien que Mme Vigeant ait témoigné que le syndicat menaçait de déposer des griefs si Seaspan donnait suite au règlement, les menaces étaient spéculatives et non probantes. Le fait que Seaspan a pu croire que les griefs étaient recevables ne signifie pas que son incapacité à agir satisfait à son obligation de prendre des mesures d’adaptation[14].

[127] Seaspan n’a fait aucune autre tentative pour mobiliser le syndicat en vue de rechercher une solution qui réponde à ses préoccupations au sujet des droits d’ancienneté. Aucune preuve présentée au Tribunal n’indiquait si Seaspan avait demandé à M. Smolik s’il pouvait faire preuve de souplesse en ce qui a trait à ses restrictions d’horaire. Le Tribunal n’a jamais non plus entendu que M. Smolik était prêt à modifier ses restrictions d’horaire.

[128] L’intimée a laissé au processus de protection des droits de la personne le soin de rendre une décision malgré les directives claires de la Cour suprême du Canada dans Renaud selon lesquelles la recherche d’une mesure d’adaptation est un processus multipartite[15].

Décision

[129] Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que l’intimée a fait preuve de discrimination contre le plaignant au sens de l’article 7 de la LCDP. Je conclus en outre que Seaspan n’a pas établi qu’elle a pris des mesures d’adaptation à l’endroit du plaignant sans qu’il en résulte une contrainte excessive.

[130] Le plaignant a établi qu’il possédait une caractéristique protégée par l’article 3 de la LCDP, à savoir sa situation de famille. Il a satisfait à tous les volets du critère énoncé dans l’arrêt Johnstone qui auraient entraîné une obligation de prendre des mesures d’adaptation pour l’intimée.

[131] L’intimée n’a pas fourni de preuve suffisante qu’elle s’était acquittée de son obligation de prendre des mesures d’adaptation sans qu’il en résulte une contrainte excessive, ou qu’une telle mesure d’adaptation lui imposerait une contrainte excessive.

[132] L’intimée a rencontré le plaignant en septembre 2013 lorsque celui‑ci a indiqué qu’il était prêt à retourner au travail après son congé de deuil. M. Smolik a dit à Seaspan qu’en raison de ses obligations en matière de garde d’enfants en tant que parent célibataire, il avait besoin d’un emploi à plein temps qui était soit un emploi structuré, comme celui qu’il avait précédemment occupé à Seaspan, soit un emploi suffisamment souple pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants.

[133] Seaspan n’a présenté à M. Smolik aucun plan de retour au travail avant janvier 2014. Le plan finalement proposé voulait que M. Smolik soit sur appel en fonction de l’ancienneté. Seaspan n’a pas fait de calcul avant de présenter l’offre pour déterminer si ce travail sur appel offrirait un revenu à plein temps. Par la suite, le plan n’a pas fourni d’emploi à plein temps à M. Smolik. Ce dernier a en fin de compte dû travailler pour d’autres employeurs afin d’obtenir du travail à plein temps. Seaspan a affirmé qu’elle lui a accordé un congé pour lui permettre de travailler pour d’autres employeurs. Il ne s’agit pas là d’une mesure d’adaptation adéquate.

[134] J’estime que les efforts de Seaspan pour offrir du travail sur appel à M. Smolik étaient loin de satisfaire à son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[135] Malgré le fait que l’intimée n’a pas réussi à offrir à M. Smolik du travail d’ingénieur naval, elle lui a offert un poste de bureau à terre comme répartiteur maritime. Cependant, elle a fourni à M. Smolik peu de détails sur le poste, en particulier sur la rémunération. Seaspan avait également dit à M. Smolik qu’il avait un jour pour répondre. Je ne vois pas comment une personne raisonnable pourrait qualifier cette offre de tentative sérieuse d’offrir des mesures d’adaptation, et encore moins adhérer à la croyance de Seaspan que c’était la [traduction] « solution parfaite ».

[136] Une tentative de médiation infructueuse entre l’intimée et le plaignant a davantage souligné l’insuffisance des mesures d’adaptation de Seaspan. Bien qu’elle ait affirmé que le fait de donner à M. Smolik la priorité sur le travail sur appel équivalait à des droits d’ancienneté supérieure contraires à la convention collective, Seaspan était prête à le faire dans le cadre d’un projet de règlement conclu lors de la médiation. Lorsque le syndicat, qui n’a pas participé à la médiation, s’est opposé au règlement, Seaspan n’a pas tenté de convaincre le syndicat de trouver une solution, et n’a tout simplement rien fait pour remplir son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[137] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, j’estime que Seaspan n’a pas établi qu’elle avait pris des mesures d’adaptation à l’égard de M. Smolik sans s’imposer de contrainte excessive.

Redressement

[138] Je conclus que l’intimée a défavorisé le plaignant en raison de sa situation de famille en omettant de prendre des mesures pour qu’il puisse continuer à travailler tout en s’acquittant de ses responsabilités parentales, au sens de l’article 7 de la LCDP. Pour cette action, en vertu de l’alinéa 53(2)e), j’accorde au plaignant 15 000 $ pour préjudice moral. Ce montant correspond aux dommages-intérêts précédemment accordés par le Tribunal dans les affaires Seeley, Johnstone et Richards.

[139] La réduction drastique du revenu, l’épuisement de l’épargne et l’insulte à la dignité et à la confiance en soi dont M. Smolik a été victime en raison de l’incapacité de Seaspan de prendre des mesures pour son retour au travail ont sans aucun doute exacerbé le chagrin qu’il a eu en raison de la mort de sa femme. M. Smolik a témoigné qu’il sentait qu’il avait été trompé par Seaspan et qu’il a commencé à douter de ses propres capacités. Il a dit que le manque d’effort de Seaspan pour lui offrir des mesures d’adaptation avait eu un effet psychologique préjudiciable sur lui. Je reconnais qu’il a souffert un préjudice moral en raison de la discrimination de Seaspan.

[140] Je conclus que les actions de l’intimée n’ont pas été délibérées dans le sens qu’elles avaient délibérément pour but d’empêcher M. Smolik de retourner au travail. Pourtant, ses tentatives lentes et inadéquates pour prendre des mesures pour le retour de M. Smolik, même lorsqu’elle a été mise au courant de son obligation de prendre des mesures d’adaptation, étaient à tout le moins inconsidérées. Seaspan avait déjà fait l’objet d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans l’affaire Eyerley[16]. Contrairement au plaignant dans Eyerley, M. Smolik occupait un poste professionnel, n’avait aucun problème de santé ni aucun antécédent d’absentéisme par suite de blessures. Pourtant, Seaspan a fait des efforts tout à fait insuffisants pour répondre à ses besoins. En vertu du paragraphe 53(3), j’accorde un autre montant de 10 000 $ au plaignant à titre d’indemnité pour comportement délibérée ou inconsidéré de l’intimée.

[141] En ce qui concerne la perte salariale subie par M. Smolik, le plaignant a demandé le recouvrement intégral du revenu qu’il aurait reçu, n’eût été l’acte discriminatoire, pour les années 2014 à 2017 inclusivement. En vertu de l’alinéa 53(2)c) j’accorde à M. Smolik la perte de salaire pour les années 2014 à 2017 inclusivement, moins le revenu qu’il a gagné pendant ces périodes auprès de Seaspan et d’autres employeurs.

[142] Le plaignant a fourni des renseignements sur les gains de M. Smolik pendant ces périodes. Au cours de ces années, M. Smolik aurait dû gagner environ 144 462,67 $ par année, sans compter les heures supplémentaires, pour un total de 578 570,68 $. Il n’a gagné que 109 778 $ en atténuant les dommages qu’il a subis en travaillant des quarts de travail irréguliers à Seaspan et pour d’autres employeurs. Par conséquent, l’intimée devra payer au plaignant la somme de 469 392,68 $ pour la perte de salaire de 2014-2017 causée par la discrimination dont elle a fait preuve.

[143] Compte tenu du montant moyen de la pension et des autres cotisations que Seaspan a versées avant 2014, j’ordonne en outre à Seaspan de verser à M. Smolik 27 239,84 $ pour la pension et les autres cotisations pour 2014-2017. Enfin, j’ordonne à Seaspan de payer à M. Smolik 10 392,23 $ pour les frais de santé et de soins dentaires qu’il a déboursés.

[144] Des intérêts au taux simple sont exigibles sur les réparations pécuniaires calculés selon le taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada (paragraphe 53(4) de la LCDP). Les intérêts courront à compter de la date de la plainte jusqu’à la date du versement de l’indemnité et des frais engagés.

[145] Il y a aussi la question de l’intérêt public. Je suis en grande partie d’accord avec les observations de la Commission sur les réparations d’intérêt public. J’ordonne donc, en vertu de l’alinéa 53(2)a), que l’intimée cesse toute pratique discriminatoire et prenne, en consultation avec la Commission, des mesures pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de discrimination à l’avenir. Ces mesures comprendront l’examen de ses politiques et procédures qui s’appliquent aux mesures d’adaptation à l’égard de la situation de famille et la modification ou l’élaboration de nouvelles politiques et procédures qui reconnaissent l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en vertu de la LCDP, particulièrement en ce qui concerne les besoins liés à la famille, comme la prestation de soins. Ces mesures devraient tenir compte des règles d’établissement d’horaires en milieu de travail qui sont appliquées avec souplesse et reconnaître que les mesures d’adaptation qui s’écartent de l’application stricte des droits d’ancienneté en vertu de la convention collective et des pratiques en milieu de travail peuvent être raisonnables et doivent être prises en considération dans le cadre d’un processus d’adaptation.

[146] Toute politique d’établissement du calendrier nouvelle ou modifiée adaptée à la suite de cette décision devrait être mise à la disposition des employés de Seaspan. En outre, les employés de Seaspan qui sont responsables de l’établissement du calendrier et des mesures d’adaptation en milieu de travail devraient recevoir une formation appropriée.

Signée par

Alex G. Pannu

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 février 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T22668/2318

Intitulé de la cause : Andreas Smolik c. Seaspan Marine Corporation

Date de la décision du tribunal : Le 2 mars 2021

Date et lieu de l’audience : 12 au 14 juin 2019

Vancouver, Colombie-Britannique

Comparutions :

Chris Leenheer et Alyssia Paez , pour lui même et le plaignant

Daphne Fedoruk et Julie Hudson, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jay Spiro , pour l'intimée

 



[14] Johnstone TCDP, au paragraphe 352

[16] Eyerley c. Seaspan International Ltd., [2001] DCDP no 45 (Eyerley)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.