Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Graham Chisholm pensait qu’il avait échoué en raison de sa déficience et de son âge aux tests d’aptitude administrés dans le cadre d’un processus d’embauche.

M. Chisholm était débardeur au port de Halifax. Il était travailleur occasionnel et effectuait du travail manuel. Il a présenté sa candidature pour faire partie d’un bassin de travailleurs plus qualifiés, qui obtenaient plus de travail et étaient autorisés à manœuvrer certaines machines au port. Cette catégorie d’emploi était hautement convoitée par les travailleurs du port.

Le processus d’embauche comportait plusieurs étapes. Le syndicat des débardeurs a d’abord examiné les candidatures. Il a recommandé la candidature de M. Chisholm à la Halifax Employers Association. Ensuite, M. Chisholm a passé un test de force et d’endurance. Ce test était très exigeant physiquement. M. Chisholm l’a réussi. Il a ensuite passé des tests d’aptitude visant à évaluer sa dextérité manuelle, son aptitude spatiale et sa coordination motrice. Il a échoué à cause de ses résultats aux tests d’aptitude spatiale et de coordination motrice.

Une blessure de courte durée peut constituer une déficience, mais une preuve doit en étayer l’existence. Trois mois avant de faire les tests, M. Chisholm a subi une blessure par coup de fouet cervical lors d’un accident de voiture. La preuve médicale n’a pas permis d’établir que M. Chisholm souffrait toujours de cette blessure quand il a passé les tests d’aptitude. De plus, la blessure n’explique pas pourquoi, parmi ces derniers tests, il a échoué aux tests d’aptitude spatiale et de coordination motrice.

M. Chisholm a également indiqué qu’il souffrait de diabète, d’arthrite et de daltonisme. Il a affirmé que ces problèmes de santé avaient aussi nui à ses résultats aux tests. Toutefois, il n’a pas expliqué comment ces problèmes avaient compromis ses résultats aux tests d’aptitude.

M. Chisholm était âgé de 49 ans lorsqu’il a passé les tests. Il a soutenu qu’il fallait plus de temps aux personnes âgées de plus de 40 ans pour accomplir des tâches. Il était ainsi plus difficile de terminer les tests dans le délai prévu. Cependant, la preuve a démontré que, à l’étape en cause des tests, le taux de réussite des personnes de plus de 40 ans était semblable à celui des personnes de moins de 40 ans. De plus, M. Chisholm n’a étayé par aucune preuve son allégation voulant qu'il ait effectué les tâches plus lentement en raison de son âge.

Le Tribunal a conclu que la Halifax Employers Association n’avait pas fait preuve de discrimination envers M. Chisholm dans le processus d’embauche.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 14

Date : le 30 mars 2021

Numéro du dossier : T2291/4618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Graham Chisholm

le plaignant

– et –

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

– et –

Halifax Employers Association

l'intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 



I. Aperçu

[1] Graham Chisholm (le « plaignant ») allègue que l’intimée, la Halifax Employers Association (la « HEA »), a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa déficience et de son âge dans le cadre du processus d’embauche de débardeurs qu’elle a mené en 2016. Plus particulièrement, il affirme que le fait d’avoir été éliminé du processus d’embauche parce qu’il n’a pas réussi le test d’aptitude obligatoire était discriminatoire, car il n’a pas eu la possibilité de demander des mesures d’adaptation avant d’effectuer le test.

[2] Le plaignant affirme qu’au moment où il a effectué le test d’aptitude en janvier 2016, il avait une ou plusieurs déficiences découlant d’un accident de voiture survenu en octobre 2015. Il dit que l’accident lui a causé une blessure au dos et des problèmes de dextérité manuelle. Il indique également qu’il faisait les choses plus lentement, en raison à la fois de l’accident et de son âge. Il avait 49 ans lorsqu’il a effectué le test d’aptitude.

[3] L’intimée soutient pour sa part que le plaignant n’avait pas de déficience qui nécessitait la prise de mesures d’adaptation à l’étape du test d’aptitude du processus d’embauche. La HEA affirme également que le plaignant n’a fourni aucune preuve établissant que sa rapidité d’exécution était moindre en raison de son âge ou, comme il le prétend, que les personnes de plus de 40 ans ont été éliminées du processus d’embauche dans une proportion plus élevée que les personnes de moins de 40 ans.

[4] Lors de la conférence préparatoire, les parties ont informé le Tribunal qu’elles avaient convenu que l’instruction se déroule en deux volets. Elles ont proposé que le Tribunal entende et tranche d’abord une question préliminaire, soit celle du critère de la discrimination prima facie, comme on la désigne dans la jurisprudence relative aux droits de la personne. Ce critère juridique impose au plaignant de démontrer trois choses : i) au moment du test d’aptitude, il possédait une ou plusieurs caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi » ou la « LCDP », L.R.C. (1985), ch. H‑6); ii) il a fait l’objet d’un traitement défavorable en matière d’emploi; iii) le traitement défavorable était lié à une caractéristique protégée.

[5] Si, après avoir entendu la preuve des deux parties relative à la discrimination prima facie, le Tribunal conclut que le plaignant a fait l’objet de discrimination, les parties proposent qu’une deuxième audience soit tenue pour examiner la défense de l’intimée fondée sur le paragraphe 15 (2) de la Loi, notamment la question de savoir si le test d’aptitude constitue une exigence professionnelle justifiée. Cette deuxième audience porterait également sur la réparation, au besoin.

[6] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a indiqué que, si une deuxième audience était tenue, elle y participerait probablement à titre de partie, même si elle a choisi de ne pas participer à la présente audience.

[7] Les parties conviennent que, si le plaignant ne réussit pas à établir une preuve prima facie de discrimination, le Tribunal doit rejeter la plainte. Le Tribunal a accepté la proposition des parties, étant donné les circonstances particulières de la présente affaire.

II. Question en litige

[8] Le plaignant a‑t‑il fait l’objet d’une discrimination prima facie fondée sur la déficience ou l’âge lorsqu’il a été éliminé du processus d’embauche de l’intimée?

III. Décision

[9] Je conclus que le plaignant n’a pas établi, comme critère préliminaire, l’existence d’une discrimination prima facie. Par conséquent, je rejette la plainte.

IV. Éléments de preuve admis à l’audience

[10] M. Chisholm a témoigné en son nom, tandis que la HEA a cité comme témoin son président et chef de la direction, Richard Moore.

[11] Les parties ont convenu qu’un recueil conjoint de documents, en quatre volumes, soit admis en preuve. M. Chisholm a présenté près de 100 documents médicaux se rapportant à la période de 2014 à 2019. Il n’a appelé aucun professionnel de la santé à témoigner au sujet de ces documents ou de ses problèmes de santé. Même si les plaignants ne sont pas tenus de citer des témoins experts en médecine lorsqu’ils allèguent une discrimination fondée sur la déficience, ils doivent également savoir que l’expertise du Tribunal consiste à appliquer la LCDP et non à interpréter des documents médicaux.

[12] L’intimée a appelé le Dr Matthew Burnstein comme témoin expert afin qu’il aide le Tribunal à examiner et à comprendre les documents médicaux de M. Chisholm. Le Dr Burnstein est un médecin qui compte de nombreuses années d’expérience en médecine du travail.

[13] M. Chisholm s’est opposé à ce que le Dr Burnstein soit qualifié de témoin expert devant aider le Tribunal à comprendre s’il avait une déficience médicale au moment du processus d’embauche, car le Dr Burnstein ne l’a jamais examiné personnellement. Le Dr Burnstein a témoigné qu’il avait occupé, tout au long de sa carrière, plusieurs fonctions qui l’avaient appelé à examiner des dossiers médicaux et à interpréter des rapports rédigés par des médecins, des ergothérapeutes et des physiothérapeutes, dans le cadre d’évaluations de handicaps permettant ensuite de se prononcer sur les déficiences et les mesures d’adaptation appropriées. Le Tribunal a reconnu qu’il était utile d’entendre le témoignage du Dr Burnstein afin de mieux comprendre les documents médicaux. Le Dr Burnstein a offert des indications sur les types d’examens qu’un professionnel de la santé serait tenu de mener lorsqu’un patient lui communique certains renseignements. Il s’agit de connaissances spécialisées que je ne possède pas en tant que membre du Tribunal.

[14] M. Chisholm a également laissé entendre que le Dr Burnstein était partial parce qu’il avait travaillé comme médecin consultant pour la HEA dans le passé. En ce qui concerne cette allégation, je ferai remarquer que le Dr Burnstein n’a pas travaillé pour la HEA à ce titre depuis 2009. L’existence d’une relation d’emploi antérieure ne suffit pas à elle seule pour établir la partialité.

[15] J’ai accepté de qualifier le Dr Burnstein de témoin expert pour qu’il aide le Tribunal à déterminer si, au vu des documents médicaux produits, M. Chisholm était atteint d’une déficience médicale en janvier 2016. Ce faisant, j’ai expliqué à M. Chisholm qu’il revenait néanmoins au Tribunal de trancher la question de savoir s’il avait, au moment pertinent, une déficience visée par la LCDP. Il s’agit d’une conclusion de droit que seul le Tribunal peut tirer, après avoir examiné les éléments de preuve, les observations des parties et les règles de droit applicables.

V. Faits

[16] Selon les éléments de preuve présentés à l’audience, je tire les conclusions de fait suivantes.

A. HEA et débardage au port de Halifax

[17] La HEA est un organisme sans but lucratif qui représente les employeurs du secteur du débardage (les « membres de la HEA ») au port de Halifax. La HEA et ses membres sont liés par une convention collective conclue avec le Syndicat des débardeurs, section locale 269 de l’AID (le « Syndicat »), qui impose aux membres de la HEA de recourir à la main‑d’œuvre fournie par le Syndicat dans les installations portuaires.

[18] Le travail de débardage consiste à déplacer de grands conteneurs aux fins du chargement et du déchargement de navires, de wagons et de camions routiers, ainsi qu’à déplacer ces conteneurs dans les installations portuaires, souvent à l’aide d’équipement mécanique sophistiqué. Ces tâches doivent être accomplies de manière sécuritaire, efficace et précise.

[19] Halifax est le quatrième port en importance au Canada. Quatre‑vingt‑dix pour cent du fret transporté en direction et en provenance du port se trouve dans des conteneurs et, en 2015 ‑2016, une quantité de fret sans précédent de 5,1 millions de tonnes a transité par le port. Tandis que la charge de travail augmentait, il y avait pénurie de main‑d’œuvre qualifiée au port, car de nombreux travailleurs avaient quitté le secteur depuis la dernière embauche de débardeurs plusieurs années auparavant.

[20] En 2015, le Syndicat et la HEA ont décidé de recruter environ 50 débardeurs. Un processus d’embauche a donc été lancé. Une foire de l’emploi a été tenue le 23 novembre 2015, au cours de laquelle des trousses de candidature ont été remises à quelque 500 personnes. Environ la moitié de ces personnes ont présenté leur candidature. Le Syndicat a examiné toutes les candidatures et a recommandé 80 personnes à la HEA.

[21] La HEA a recouru à un processus d’embauche en trois étapes. À l’étape 1, décrite dans ses règles d’embauche, les candidats devaient réussir, dans l’ordre, les cinq épreuves suivantes avant de passer à l’étape 2 : i) un test pratique de force et d’endurance (le « test d’arrimage »); ii) un test d’aptitude; iii) un test des compétences essentielles dans le milieu de travail (« TOWES »); iv) une entrevue; v) une vérification des références. Seuls les candidats ayant réussi les trois étapes, y compris un stage probatoire, seraient inscrits au [traduction] « carton ».

[22] Le carton est une liste de personnes qui sont formées pour travailler comme débardeurs et qui sont recommandées par priorité sur les stagiaires et les travailleurs occasionnels pour travailler au port de Halifax, la priorité absolue étant toutefois accordée aux membres du Syndicat. L’inscription au carton est très recherchée, car elle est la seule voie vers l’adhésion au Syndicat, qui offre des avantages considérables.

[23] Les travailleurs occasionnels, les derniers à qui l’on confie du travail dans les installations portuaires, sont choisis parmi un [traduction] « enclos », qui est opéré depuis le bureau syndical. Toute personne âgée d’au moins 17 ans peut se présenter sans rendez‑vous et demander à faire partie de l’enclos. M. Moore a témoigné que l’on comptait sur les travailleurs de l’enclos, en sus de la main‑d’œuvre des installations portuaires, pour l’arrimage des conteneurs, même si certains membres de la HEA refusent d’utiliser les travailleurs de l’enclos pour des raisons de sécurité.

[24] Certains équipements, dont les chargeuses frontales et les grues, doivent être utilisés par des membres du Syndicat, tandis que les lève‑palettes et les tracteurs de manœuvre peuvent l’être par les personnes inscrites au carton. Les travailleurs de l’enclos sont confinés en grande partie au travail manuel. Au moment du processus d’embauche de 2015 ‑2016, M. Chisholm faisait partie de l’enclos.

[25] M. Moore a témoigné que tout l’équipement servant au travail de débardage, qu’il fonctionne au moyen d’une manette, de leviers, de commandes ou de pédales, devait être utilisé par des personnes dotées d’une bonne coordination motrice, d’une bonne aptitude spatiale et d’une bonne dextérité manuelle. Cet équipement sert à déplacer les conteneurs aux fins du chargement et du déchargement de navires et à les déplacer dans le port rapidement et en toute sécurité, souvent dans des espaces restreints.

[26] M. Chisholm s’est opposé à ce que la HEA attire l’attention du Tribunal sur la pièce d’équipement la plus grosse et la plus coûteuse utilisée par les débardeurs au port de Halifax, soit les ponts portiques, parce que tous les débardeurs ne deviennent pas des opérateurs de ponts portiques. La HEA a reconnu que tous les débardeurs n’utilisaient pas toutes les pièces d’équipement dans les installations portuaires. Toutefois, M. Moore a témoigné que, lorsqu’ils embauchent des débardeurs, la HEA et ses membres recherchent des personnes qui sont en mesure d’acquérir les compétences nécessaires pour utiliser l’équipement en usage dans les installations portuaires.

B. Test d’aptitude

[27] La HEA a recours à un test d’aptitude dans le processus de présélection, pour s’assurer que les candidats sont capables d’utiliser l’équipement ou sont aptes à le faire. M. Moore a témoigné que le test d’aptitude utilisé par la HEA dans ses processus d’embauche depuis 1997, appelé la Batterie générale de tests d’aptitudes (BGTA), est utilisé dans de nombreux secteurs pour évaluer diverses aptitudes. Il a affirmé qu’on avait recours à la BGTA parce qu’elle donne à l’employeur une indication des capacités de l’intéressé, compte tenu des risques de l’emploi en matière de sécurité. La HEA utilise la BGTA pour évaluer trois aptitudes en particulier : l’aptitude spatiale, la dextérité manuelle et la coordination motrice.

[28] Pour réussir le test d’aptitude dans le cadre du processus d’embauche, les candidats doivent obtenir au moins la note [traduction] « moyenne » dans chaque volet du test. Selon les règles d’embauche de la HEA, une note [traduction] « inférieure à la moyenne » pour tout test [traduction] « n’entraîne pas automatiquement l’élimination d’un candidat, car d’autres facteurs pertinents sont également évalués ». Toutefois, une note [traduction] « nettement inférieure à la moyenne » entraîne l’élimination, [traduction] « à moins que le candidat ne démontre que ses résultats au test d’aptitude étaient imputables en tout ou en partie à sa déficience ».

[29] M. Moore a reconnu que tous les candidats réussissant au test d’aptitude ne passaient pas à l’étape 2 du processus d’embauche, soit la formation en personne, où l’on utilisait des pièces d’équipement comme des lève‑palettes et des tracteurs.

C. M. Chisholm et le processus d’embauche

[30] Lors de la foire de l’emploi du 23 novembre 2015, M. Chisholm a obtenu les règles d’embauche de la HEA. On y prévoyait ce qui suit pour les candidats qui avaient besoin de mesures d’adaptation lors du test d’aptitude en raison d’une déficience existante : [traduction] « [Vous devez fournir à la HEA] le rapport d’un médecin qualifié indiquant comment votre déficience pourrait avoir une incidence sur vos résultats aux tests et proposant des mesures d’adaptation appropriées. […] Si vous ne fournissez pas ces renseignements avant le début de l’étape 1 ou lorsque vous vous présentez au test de force et d’endurance en matière d’arrimage, aucune mesure d’adaptation ne sera prise, sauf dans des circonstances inhabituelles. »

[31] M. Moore a témoigné qu’il fallait imposer une date limite pour les demandes de mesures d’adaptation parce que le test d’aptitude était réalisé par le Collège communautaire de la Nouvelle‑Écosse, et que de la planification était requise pour s’assurer de la disponibilité d’un nombre d’employés et d’espaces suffisants le jour du test.

[32] M. Moore a également témoigné que, si une demande de mesures d’adaptation avait été présentée après la date limite, elle aurait été examinée conformément à l’exception prévue pour les [traduction] « circonstances inhabituelles ».

[33] M. Chisholm a présenté sa candidature au Syndicat et a reçu une lettre, le 29 décembre 2015, l’informant que le Syndicat avait acheminé sa candidature à la HEA. La lettre décrivait les prochaines étapes du processus d’embauche et indiquait entre autres que le test d’arrimage aurait lieu le 12 janvier 2016. La lettre indiquait que, si M. Chisholm réussissait le test d’arrimage, il recevrait immédiatement un dossier contenant les renseignements sur le test d’aptitude et le TOWES, qui devaient commencer à être effectués pendant la semaine du 18 janvier 2016.

[34] Dans la lettre du 29 décembre 2015, on rappelait à M. Chisholm qu’il pouvait demander la prise de mesures d’adaptation pendant les tests en raison d’une [traduction] « déficience existante » et que, s’il avait besoin de mesures d’adaptation, il devait fournir à la HEA le [traduction] « rapport d’un médecin qualifié indiquant comment [sa] déficience pourrait avoir une incidence sur [ses] résultats aux tests et proposant des mesures d’adaptation appropriées ». On lui a aussi rappelé qu’il s’agissait de tests chronométrés et, par conséquent, qu’aucun candidat ne disposerait de temps supplémentaire pour les effectuer, [traduction] « quoique d’autres mesures d’adaptation, comme la réalisation du test seul et sans distraction, puissent être envisagées. Ces renseignements DOIVENT être soumis à la HEA au plus tard à 16 h le vendredi 8 janvier 2016. »

[35] M. Moore a témoigné que trois personnes ayant participé au même processus d’embauche que M. Chisholm en 2015‑2016 avaient demandé et obtenu des mesures d’adaptation pour effectuer le test d’aptitude. Ces trois personnes ont présenté leur demande de nature médicale à l’avance et, comme mesure d’adaptation, ont été autorisées à effectuer le test seules, de façon à ce qu’il y ait moins de distractions.

[36] La lettre du 29 décembre 2015 invitait M. Chisholm à communiquer avec la HEA s’il avait des questions au sujet du processus d’embauche. M. Chisholm a répondu à la HEA le 30 décembre 2015 en la remerciant des renseignements fournis, mais il n’a posé aucune question au sujet des tests à venir ni fait part de préoccupations au sujet de sa participation. M. Moore a témoigné que, si M. Chisholm avait posé des questions, la HEA aurait pu lui fournir des renseignements sur le test d’aptitude à transmettre à son médecin.

[37] M. Moore a également affirmé dans son témoignage que la HEA aurait simplement demandé qu’un professionnel de la santé confirme que M. Chisholm avait une déficience, après quoi les renseignements particuliers sur la façon de s’adapter à cette déficience auraient pu faire l’objet d’une discussion. Toutefois, M. Chisholm n’a indiqué d’aucune manière qu’il avait une déficience avant d’effectuer le test d’aptitude.

[38] Après avoir réussi le test d’arrimage le 12 janvier 2016, M. Chisholm a reçu une lettre l’informant qu’il effectuerait le test d’aptitude le 18 janvier 2016. En plus de cette lettre, il a reçu de plus amples renseignements sur le test d’aptitude, notamment la photo d’un panneau perforé comportant la mention suivante : [traduction] « Vous utiliserez vos mains ainsi que votre tête dans certains tests d’aptitude. » La lettre indiquait également que l’état physique était important pour effectuer le test d’aptitude : [traduction] « Si vous avez des problèmes physiques qui pourraient vous empêcher de donner le meilleur de vous-même, assurez‑vous de le dire à la personne qui administre le test. Si vous êtes malade ou en mauvaise santé, vous ne pouvez pas vraiment donner le meilleur de vous-même. Vous pouvez toujours revenir et effectuer le test une autre fois. »

[39] Avant d’effectuer le test d’aptitude le 18 janvier 2016, M. Chisholm a signé une déclaration indiquant qu’il était en bonne santé physique et mentale et qu’aucun état physique ou mental ne nécessitait, dans l’administration du test, une adaptation particulière des procédures normalisées ou de l’environnement. Une note, au haut du formulaire de déclaration, précise également ce qui suit : [traduction] « Veuillez noter que si vous ne vous sentez pas à la hauteur pour effectuer le test aujourd’hui, pour quelque raison que ce soit, il est dans votre intérêt d’effectuer le test un autre jour. »

[40] M. Chisholm a subi le test d’aptitude le 18 janvier 2016. Il a obtenu une note « moyenne » pour le volet de la dextérité manuelle, une note « inférieure à la moyenne » pour le volet de l’aptitude spatiale et une note « nettement inférieure à la moyenne » pour le volet de la coordination motrice. Le lendemain, la HEA l’a informé qu’il avait été éliminé du processus d’embauche en raison de ses résultats au test d’aptitude. M. Chisholm a par la suite demandé à la HEA de lui fournir une copie de ses résultats, ce qui a été refusé, car la HEA n’avait pas alors l’habitude de fournir ces renseignements.

[41] M. Chisholm a également téléphoné à M. Moore pour obtenir les résultats du test et M. Moore a dit que M. Chisholm n’avait jamais mentionné qu’il avait une déficience. M. Chisholm a témoigné qu’il ne se rappelait pas avoir parlé d’une déficience à M. Moore.

[42] La HEA affirme que M. Chisholm n’a jamais fourni, à ce jour, le rapport d’un médecin qualifié abordant la nécessité de prendre des mesures d’adaptation dans le cadre du processus d’embauche.

D. Déficiences alléguées de M. Chisholm

[43] M. Chisholm a témoigné que, le 13 octobre 2015, il avait eu un accident de voiture. Il s’est rendu à l’urgence ce jour‑là et, selon le formulaire d’admission à l’urgence, il a déclaré qu’il était assis à l’arrière d’un VUS lorsque celui-ci a été percuté à basse vitesse. Depuis l’accident, il éprouvait de plus en plus une rigidité du bas du dos et une certaine raideur dans le haut du dos. Le Dr Burnstein a aidé le Tribunal à comprendre certains éléments du formulaire, notamment le fait que M. Chisholm avait une amplitude normale des mouvements de la tête ainsi que des sensations et une amplitude des mouvements normales dans les extrémités, et que des résultats normaux avaient été obtenus lors de l’examen du système nerveux central ainsi que des systèmes rachidien et musculaire, à l’exception d’une légère réduction de l’extension du cou et une légère sensibilité au toucher des vertèbres du bas du cou et du bas du dos. Le médecin à l’urgence a noté que la douleur au bas du dos de M. Chisholm était de 5/10, sa douleur au cou de 4/10 et son mal de tête de 5/10. Un diagnostic de coup de fouet cervical a été établi et on a dit à M. Chisholm de prendre du Tylenol et de l’ibuprofène, de faire un suivi auprès de son médecin de famille une semaine plus tard et de revenir à l’urgence [traduction] « en cas d’aggravation des symptômes ou de nouvelles paresthésies ».

[44] M. Chisholm a témoigné qu’il n’avait pas fait de visite de suivi chez un médecin, mais qu’il avait reçu des traitements de massothérapie pendant plusieurs semaines après l’accident.

[45] Le 1er décembre 2015, M. Chisholm a consulté un médecin qui a signé un formulaire l’autorisant à participer au test d’arrimage dans le cadre du processus d’embauche. En signant le formulaire, le médecin a indiqué qu’elle avait vu et examiné M. Chisholm et qu’elle était au courant des exigences physiques du test, qui nécessitait de travailler de façon répétitive avec des barres de saisissage de métal de 3 à 10 mètres pesant jusqu’à 50 livres, de travailler en hauteur, de grimper, de se pencher, de faire des torsions et de soulever des charges pendant une période de 30 minutes à une heure. Elle a attesté qu’à sa connaissance, M. Chisholm n’avait [traduction] « aucun handicap physique ou psychologique qui l’empêcherait » de participer au test d’arrimage.

[46] Le Dr Burnstein indique dans son rapport que, lorsque M. Chisholm a obtenu cette autorisation médicale pour effectuer le test d’arrimage, [traduction] « selon les normes de pratique, le médecin effectuant l’examen devait se renseigner quant à tout symptôme neuromusculaire et à toute blessure récente et effectuer un examen neuromusculaire. Si le patient a signalé l’accident de voiture et les symptômes persistants comme la faiblesse des mains ou les sensations ou la dextérité réduites, ou si le médecin a constaté un trouble neuromusculaire lors d’un examen physique, j’estime qu’il est peu probable que le médecin signerait un document autorisant le patient à effectuer des activités physiques exigeantes (des activités qui imposeraient un stress sur la colonne vertébrale), sans effectuer d’abord d’autres évaluations, comme une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cou ou des tests de conduction nerveuse ». Les documents médicaux soumis ne révèlent pas que de tels examens ont été prescrits, ce qui, selon le Dr Burnstein, [traduction] « laisse entendre que les symptômes n’ont pas été signalés ou que l’examen physique était normal et qu’aucun handicap ni aucune déficience n’existait à ce moment‑là ».

[47] Le Dr Burnstein a également témoigné que M. Chisholm aurait peu eu à utiliser beaucoup son cou ou son dos pour effectuer le test d’aptitude, contrairement au test d’arrimage, qui était très exigeant physiquement.

[48] Après avoir passé en revue toute la preuve médicale, le Dr Burnstein a conclu qu’il n’existait aucune preuve que M. Chisholm, en janvier 2016, avait des limitations découlant de problèmes permanents occasionnés par l’accident de voiture. Il n’a pas nié que M. Chisholm ait pu ressentir certains symptômes et a reconnu qu’il était possible qu’il ait encore des douleurs au dos et au cou plusieurs semaines après l’accident. Il a conclu qu’aucun document médical ne permettait de l’affirmer, toutefois, dans le dossier fourni au Tribunal.

E. Âge

[49] M. Moore a témoigné que 29 des 80 candidats recommandés à la HEA par le Syndicat avaient plus de 40 ans. Il a également témoigné que, contrairement à ce que croyait M. Chisholm, soit que la plupart des candidats de plus de 40 ans avaient été éliminés à l’étape 1 du processus d’embauche à en raison de la nature chronométrée des tests, en réalité 50 % d’entre eux ont réussi les tests et sont passés à l’étape 2, tandis que 57 % des candidats de moins de 40 ans sont passés à l’étape 2.

VI. Position des parties

(i) Plaignant

[50] M. Chisholm allègue que la HEA a refusé de l’employer au moins en partie en raison de sa déficience ou de son âge. Selon M. Chisholm, il était discriminatoire pour la HEA d’exiger que les candidats participant au processus d’embauche présentent leurs demandes de mesures d’adaptation pour des raisons médicales avant de savoir exactement en quoi consistait le test d’aptitude.

(a) Déficience

[51] M. Chisholm affirme qu’au moment où il a passé le test d’aptitude, le 18 janvier 2016, il avait au moins une déficience qui avait eu une incidence sur ses résultats. Dans sa plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée auprès de la Commission en avril 2016, il a déclaré que l’accident de voiture survenu en octobre 2015 avait occasionné une limitation de ses capacités. Il a déclaré : [traduction] « Je peux toujours faire le travail, mais pas à la même vitesse qu’avant. Mes mains ont aussi perdu de leur dextérité. »

[52] À l’audience, il a témoigné qu’il avait échoué le test d’aptitude en raison de déficiences apparues après l’accident d’octobre 2015. Il a décrit ces déficiences comme i) une blessure au dos; ii) une faible dextérité manuelle; iii) une rapidité d’exécution réduite.

[53] Dans ses observations finales, il a laissé entendre qu’il avait d’autres problèmes de santé qui [traduction] « auraient pu être soulevés [s’il avait] su ce en quoi consistait le test d’aptitude », y compris le diabète, l’arthrite et le daltonisme. Il a aussi laissé entendre que des mesures d’adaptation auraient dû être prises à cet égard lors de l’administration de ce test.

[54] M. Chisholm a admis qu’il n’avait pas informé la HEA, ni les personnes qui ont réalisé le test d’aptitude, d’une quelconque déficience avant d’effectuer le test. Il a expliqué qu’il ne connaissait pas la teneur du test d’aptitude et qu’il ne pouvait donc pas savoir quelle incidence les déficiences alléguées auraient sur ses résultats.

[55] S’il n’avait pas mentionné ces déficiences, le 1er décembre 2015, au médecin qui avait rempli le formulaire l’autorisant à effectuer le test d’arrimage, c’était parce que [traduction] « le test d’arrimage fait appel à la motricité globale, alors que le test d’aptitude mesure la coordination motrice fine ». M. Chisholm a également déclaré que, comme il ne savait pas alors en quoi consisterait le test d’aptitude, il ne pouvait pas demander au médecin de recommander des mesures d’adaptation appropriées. Il a laissé entendre que le médecin n’aurait pas été en mesure de recommander des mesures d’adaptation, quoi qu’il en soit, parce qu’elle non plus ne disposait alors d’aucun renseignement sur le test d’aptitude.

[56] Dans ses observations finales, M. Chisholm a laissé entendre qu’avoir plus de temps pour effectuer le test d’aptitude aurait constitué une mesure d’adaptation appropriée, mais que, comme il était précisé dans les règles d’embauche qu’aucune prolongation ne serait accordée, ni lui ni le médecin n’avaient demandé une telle mesure.

[57] M. Chisholm fait également valoir que l’intimée [traduction] « a rendu impossible l’obtention de mesures d’adaptation », parce qu’il n’y avait pas assez de temps entre le 12 janvier, la date à laquelle il a reçu des renseignements supplémentaires sur le test d’aptitude, et le 18 janvier, la date du test, pour prendre rendez‑vous avec un médecin de famille. Il a dit qu’il n’aurait pu recourir à une clinique sans rendez‑vous, parce que le médecin n’y aurait pas eu accès à son dossier médical.

[58] En réponse à la HEA qui a laissé entendre qu’il aurait pu poser au préalable toute question qu’il avait au sujet du test d’aptitude, M. Chisholm a déclaré : [traduction] « Les règles d’embauche de la HEA prévoyaient clairement que les renseignements sur le test seraient communiqués après le test d’arrimage. Sans les renseignements en question, il était inutile de poser des questions. »

[59] Il a également indiqué que le fait de n’avoir pu fournir un rapport médical complet avant l’étape 2 du processus d’embauche avait constitué un traitement défavorable, car cela l’avait empêché de démontrer plus tôt qu’il avait une déficience. M. Chisholm affirme que ce traitement défavorable l’a empêché d’être inscrit au carton.

[60] M. Chisholm soutient que la renonciation qu’il a dû signer dès le début du test d’aptitude n’était pas volontaire parce que, s’il ne l’avait pas signée, il n’aurait pas pu participer au processus d’embauche.

[61] Il laisse également entendre que la HEA sait que son processus d’embauche de 2015 ‑2016 était discriminatoire, parce que, au cours d’un processus d’embauche subséquent, elle a fourni des renseignements plus détaillés sur le test d’aptitude dans la trousse de candidature offerte à la foire de l’emploi.

(b) Âge

[62] M. Chisholm fait également valoir qu’il a été victime d’un acte discriminatoire en raison de son âge, soit 49 ans à la date du test d’aptitude. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « En vieillissant, les gens travaillent généralement moins vite, mais l’expérience leur permet d’effectuer un travail de meilleure qualité. Un grand nombre de candidats éliminés avaient plus de 40 ans. » Il ajoute qu’il est bien connu dans les installations portuaires que [traduction] « la HEA tend à choisir les candidats plus jeunes ». Il n’a fourni aucun renseignement à l’appui de cette affirmation, mais il a demandé dans ses observations finales que l’intimée communique des documents indiquant l’âge de toutes les personnes dont la candidature n’a pas été retenue dans le cadre du processus d’embauche de 2015 ‑2016.

(ii) Intimée

(a) Déficience

[63] L’intimée soutient que le plaignant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une déficience au moment pertinent, et qu’il n’a pas établi non plus qu’il avait fait l’objet d’un traitement défavorable fondé sur une déficience dans le processus d’embauche.

[64] La HEA affirme que le plaignant a eu l’occasion de signaler une déficience lorsqu’il a rempli le formulaire d’équité en matière d’emploi, le 23 novembre 2015, dans le cadre de sa demande de recommandation. On demandait expressément dans le formulaire s’il était une personne handicapée, l’expression « personnes handicapées » étant ainsi définie : « les personnes qui ont une déficience durable ou récurrente soit de leurs capacités physiques, mentales ou sensorielles, soit d’ordre psychiatrique ou en matière d’apprentissage ». M. Chisholm a répondu par la négative à cette question. La HEA affirme également qu’il aurait pu signaler une déficience nécessitant des mesures d’adaptation avant d’effectuer le test d’aptitude le 18 janvier 2016, lorsqu’il a signé la renonciation indiquant qu’il était en bonne santé et qu’il était apte à subir le test.

[65] L’intimée fait remarquer que, lorsque M. Chisholm a obtenu l’autorisation médicale de passer le test d’arrimage, le 1er décembre 2015, son médecin n’a mentionné non plus aucune déficience qui l’aurait empêché d’effectuer le test.

[66] La HEA ajoute que le plaignant a réussi le volet dextérité manuelle du test d’aptitude, en réalité, bien qu’il prétende avoir une déficience à cet égard. Même si le plaignant a [traduction] « échoué » aux volets aptitude spatiale et coordination motrice du test, car il a obtenu des notes inférieures à la moyenne, la HEA indique qu’il n’a pas allégué avoir une déficience liée à ces aptitudes ni présenté d’éléments de preuve à ce sujet.

[67] L’intimée soutient que le plaignant n’a pas conservé, après l’accident de voiture du 13 octobre 2015, des symptômes qui auraient équivalu à une déficience lorsqu’il a effectué le test d’aptitude trois mois plus tard. Elle souligne également que, parmi la centaine de documents médicaux déposés en preuve à l’audience par le plaignant, un seul a trait à l’accident survenu en octobre 2015. Il s’agit du formulaire d’admission à l’urgence, qui ne mentionne aucune incidence négative de l’accident sur la dextérité manuelle du plaignant. Il indique plutôt que le plaignant avait une amplitude des mouvements normale dans les extrémités et qu’il n’y avait rien d’alarmant.

[68] D’après l’’intimée, les documents médicaux ne révèlent l’existence d’aucune déficience quelconque liée à la dextérité manuelle ou à la rapidité d’exécution du plaignant. L’absence de toute déficience serait étayée par le fait que le plaignant a réussi les tests chronométrés d’’arrimage et de dextérité manuelle.

[69] L’intimée fait aussi valoir la conclusion du Dr Burnstein selon laquelle aucune preuve médicale au dossier ne permet de conclure que M. Chisholm était atteint d’une déficience lorsqu’il a effectué le test d’aptitude le 18 janvier 2016.

[70] La HEA soutient qu’il n’existe aucune explication raisonnable quant à l’absence de preuve médicale au sujet des déficiences alléguées du plaignant, autre que le fait que ce dernier n’avait pas besoin de soins médicaux parce qu’il n’avait pas de déficience. Elle souligne que le plaignant n’a éprouvé aucune difficulté à obtenir des soins médicaux lorsqu’il en avait besoin. Même s’il n’avait pas de médecin de famille, il se rendait fréquemment à la clinique sans rendez‑vous près de chez lui.

[71] En ce qui a trait à l’argument du plaignant selon lequel il ne savait pas ce en quoi consistait le test d’aptitude et n’a donc pas eu le temps de demander des mesures d’adaptation, l’intimée souligne que, dans le dépliant qui lui a été remis à la suite du test d’arrimage, le 12 janvier 2016, il y avait une photo du panneau perforé utilisé lors du test d’aptitude. Elle affirme que le plaignant aurait pu l’apporter à son médecin ou demander des renseignements supplémentaires. De plus, la HEA souligne qu’elle utilise le même test d’aptitude depuis de nombreuses années, de sorte que les épreuves à accomplir sont bien connues dans le milieu portuaire.

[72] La HEA indique qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir su que le plaignant estimait avoir besoin de mesures d’adaptation aux fins du test. Elle invoque la décision Kandola c. Canada (Procureur général), 2009 CF 136 (CanLII), dans laquelle le juge Zinn a déclaré ce qui suit au premier paragraphe :

Un employé qui a besoin de mesures d’adaptation en raison d’une déficience doit en informer son employeur, à moins que la déficience ne soit évidente, puis collaborer au processus d’élaboration des mesures d’adaptation, sans quoi, c’est l’employé qui doit en subir les conséquences. Admettre une déficience et solliciter l’aide de l’employeur est difficile pour certaines personnes. Cependant, lorsque la déficience n’a pas été révélée et qu’aucune demande de mesures d’adaptation n’a été présentée, l’employé ne peut ultérieurement demander à ce que l’évaluation de son rendement effectuée par l’employeur, qui n’était pas au courant de la déficience, soit annulée, et l’employé ne peut pas non plus demander à l’employeur d’évaluer rétroactivement quel aurait été son rendement si la déficience avait été connue et si l’employé avait bénéficié de mesures d’adaptation en milieu de travail.

[73] La HEA affirme que si M. Chisholm avait demandé des mesures d’adaptation et fourni les documents médicaux demandés, des mesures d’adaptation auraient été prises à son égard. Elle fait valoir qu’il ne ressort aucunement de la preuve que le plaignant a fait l’objet d’un traitement défavorable en raison d’une déficience alléguée.

[74] La HEA indique également que le plaignant n’a mentionné aucun lien entre le test d’aptitude et son diabète, son daltonisme ou son arthrite avant l’audience, qui a été tenue plus de quatre ans après le dépôt de sa plainte auprès de la Commission. Quoi qu’il en soit, elle affirme qu’aucun élément de preuve ne permet d’étayer, non plus, une allégation de discrimination prima facie fondée sur ces problèmes de santé.

(b) Âge

[75] En ce qui concerne l’allégation de discrimination fondée sur l’âge, l’intimée affirme que le plaignant n’a présenté aucune preuve établissant un lien entre son âge et son défaut de progresser dans le processus d’embauche. Il n’existe aucun âge limite pour les candidats. Tout candidat qui satisfait aux critères minimaux et qui réussit les tests de présélection peut passer à l’étape suivante du processus d’embauche.

[76] L’intimée affirme que, selon la preuve, le taux de réussite dans le processus d’embauche était semblable pour les candidats de plus de 40 ans et pour ceux de moins de 40 ans.

[77] L’intimée affirme que le plaignant ne fait que supposer que l’âge a constitué un facteur dans le processus d’embauche et qu’une plainte doit être fondée sur autre chose que les « croyances abstraites ou [l] es soupçons ». Elle estime que le plaignant n’a pas présenté, tel qu’il est requis, « des observations concrètes ou des renseignements indépendants pour appuyer ou confirmer » ses allégations de discrimination fondée sur l’âge (Breast c. Whitefish Lake First Nation, 2010 TCDP 10 (CanLII), par. 38).

VII. Cadre juridique

[78] M. Chisholm allègue qu’il a fait l’objet de discrimination, au sens des articles 7 et 10 de la LCDP, de la part de la HEA. Les deux articles ont trait à l’emploi. L’alinéa 7a) prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu. L’article 10 prévoit que constitue un acte discriminatoire, « s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus », le fait, pour l’employeur ou l’association patronale de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite. La déficience et l’âge constituent tous les deux des motifs de distinction illicite au sens de l’article 3 de la Loi.

[79] Comme je l’ai déjà indiqué, la décision a été prise de scinder l’audience et la présente audience, la première, a pour objet de déterminer si M. Chisholm peut établir une preuve prima facie de discrimination. La Cour suprême du Canada a décrit une preuve prima facie comme « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson‑Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), par. 28).

[80] En fonction du critère préliminaire de la preuve prima facie, dans la présente plainte, M. Chisholm doit établir ce qui suit, selon la prépondérance des probabilités :

  • (1) il possédait une ou plusieurs caractéristiques protégées contre la discrimination par la LCDP au moment pertinent (« motifs de distinction illicite » de l’âge ou de la déficience au sens de l’article 3 de la LCDP).

  • (2) la HEA l’a traité de manière défavorable (soit en refusant de l’employer, au sens de l’alinéa 7a) de la LCDP, soit en fixant des lignes de conduite qui ont annihilé ses chances d’emploi, au sens de l’article 10 de la LCDP).

  • (3) une caractéristique protégée a constitué un facteur dans le traitement défavorable de la HEA à son égard (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII) [Bombardier], par.56 et 63).

[81] La caractéristique protégée doit uniquement constituer un facteur qui a contribué au traitement défavorable. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien causal (Bombardier, précité, par. 56).

[82] Afin de déterminer s’il y a eu discrimination, le Tribunal peut prendre en compte la preuve présentée par toutes les parties. L’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination au titre de l’article 15 de la Loi, ou les deux (Bombardier, précité, par. 64). Lorsque l’intimé réfute l’allégation de discrimination, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un « prétexte » — ou une excuse — pour dissimuler l’acte discriminatoire (Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5 (CanLII), par. 38).

[83] Dans la présente affaire, l’intimée a présenté des éléments de preuve visant à réfuter les allégations de discrimination prima facie.

[84] Le Tribunal ne tiendra une deuxième audience que si le plaignant établit une discrimination prima facie. C’est au cours de cette audience que l’intimée pourrait présenter une défense au titre de l’article 15 de la Loi pour tenter de justifier la discrimination. C’est aussi à ce moment‑là que le Tribunal examinerait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, puisque « le “défaut de prendre une mesure d’adaptation” n’est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP. En vertu de cette dernière, il n’existe pas de droit d’adaptation distinct » (Moore c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 31 (CanLII), par.86).

VIII. Analyse

(i) Déficience

[85] Je dois d’abord décider si, au moment du processus d’embauche, M. Chisholm avait une déficience au sens de la LCDP. La « déficience » est définie de façon très large à l’article 25 de la Loi : « Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée […] ». Le Tribunal a dû déterminer à maintes reprises si un plaignant avait une déficience protégée par l’article 3 de la Loi. Pour faciliter sa décision, le Tribunal se réfère souvent à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (CanLII), dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 15 :

Ainsi que l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Granovsky c. Canada, 2000 CSC 28 (CanLII), […] au paragraphe 34, et dans l’arrêt Ville de Montréal, [2000 CSC 27 (CanLII)], au paragraphe 71, la déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap. [Caractères gras ajoutés]

[86] La question en litige ne concerne pas la perception d’un handicap. J’examinerai plutôt la question de savoir si M. Chisholm avait un handicap physique qui a occasionné une limitation fonctionnelle dans le cadre du processus d’embauche et, plus précisément, dans l’administration du test d’aptitude. Étant donné la nature de sa plainte, M. Chisholm doit établir qu’il avait une déficience qui nécessitait la prise de mesures d’adaptation lors du test d’aptitude.

[87] Les parties ne sont pas tenues de présenter un type de preuve particulier pour établir qu’elles ont fait l’objet de discrimination. Dans la décision Mellon c. Développement des Ressources humaines Canada, 2006 TCDP 3 (CanLII) [Mellon], le Tribunal a conclu ce qui suit au paragraphe 82 :

Une déficience n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque. Bien que la Cour suprême nous rappelle qu’il ne faut pas trop se fonder sur des renseignements médicaux pour établir s’il existe ou non une déficience, il ne suffit pas qu’une personne dise tout simplement qu’elle souffre d’une déficience pour qu’il soit satisfait au critère. Il faut prouver que la déficience existe. Cette preuve peut être tirée des renseignements médicaux et du contexte dans lequel l’acte reproché s’est produit. [Caractères gras ajoutés]

[88] Dans l’affaire Lafrenière c. Via Rail Canada Inc., 2019 TCDP 16 (CanLII), le Tribunal n’a pas exigé une preuve directe que le plaignant avait une déficience mentale; il s’est plutôt fié aux faits et aux circonstances, qui lui ont permis de conclure que le plaignant avait une déficience protégée par l’article 3 de la Loi. Le Tribunal s’est fondé sur les témoignages du plaignant et d’autres personnes, ainsi que sur des billets médicaux, pour conclure que « [l] a déficience reliée à la santé mentale, parfois mineure et qui ne se manifeste pas nécessairement de façon permanente ou continue, a aussi droit à la protection contre la discrimination » (paragraphe 93).

[89] Je ne vois pas pourquoi ce raisonnement ne s’appliquerait pas aussi aux déficiences physiques. La Loi n’exige pas qu’une déficience soit importante, permanente ou continue pour être protégée par la LCDP. Toutefois, « l’existence d’une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante » (Mellon, précitée, par. 88).

[90] M. Chisholm a témoigné au sujet de ce qu’il estimait être ses déficiences au moment du processus d’embauche. Il a témoigné que l’accident de voiture survenu en octobre 2015 lui avait occasionné trois handicaps, liés à la dextérité manuelle, à la rapidité d’exécution et à une blessure au dos. Toutefois, les documents médicaux fournis n’étayent pas son affirmation selon laquelle l’accident a nui à sa dextérité manuelle et à sa rapidité d’exécution. De plus, le plaignant a réussi à la fois le test d’arrimage, qui est exigeant physiquement, et le volet dextérité manuelle du test d’aptitude, pour lesquels il a obtenu une note moyenne. Les deux tests étaient chronométrés. Même si le plaignant estimait subjectivement que sa rapidité d’exécution était moindre qu’elle n’était avant l’accident et que sa dextérité manuelle n’était plus la même, je ne suis pas convaincue que cela constitue des déficiences au sens de la Loi.

[91] Il ne ressort de la preuve rien d’autre que la simple affirmation de M. Chisholm selon laquelle ses problèmes de dextérité manuelle ou de rapidité d’exécution constituaient des déficiences au sens de la Loi. M. Chisholm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que ces prétendus problèmes constituaient des handicaps physiques ou mentaux qui ont occasionné des limitations fonctionnelles pendant le processus d’embauche.

[92] En ce qui concerne la blessure au dos qui, selon le témoignage de M. Chisholm, constituait un handicap découlant de l’accident de voiture, j’estime qu’elle n’équivalait pas non plus à une déficience au sens de la Loi. Même si M. Chisholm a témoigné qu’il pouvait à peine marcher lorsqu’il s’est rendu à l’urgence le jour de l’accident et s’il conteste le rapport de sa visite à l’urgence qui indique que sa douleur au bas du dos était de 5/10, il a également témoigné que le seul traitement qu’il avait reçu par la suite était un traitement de massothérapie. Ce fait a été soulevé pour la première fois à l’audience, et M. Chisholm n’a fourni aucune preuve qu’il avait reçu un traitement de massothérapie, même s’il a été en mesure de fournir de nombreux autres documents médicaux.

[93] Le Dr Burnstein a témoigné que la plupart des personnes ayant subi une blessure par coup de fouet cervical, comme celle consignée par le médecin de l’urgence, se rétablissent dans les 6 à 12 semaines qui suivent et que la plupart d’entre elles, si elles ressentent toujours de la douleur, font un suivi auprès d’un médecin. M. Chisholm ne l’a pas fait.

[94] Le 1er décembre 2015, de plus, le médecin de M. Chisholm a autorisé ce dernier à effectuer le test d’arrimage le mois suivant, indiquant qu’il n’avait [traduction] « aucun handicap physique ou psychologique qui l’empêcherait » de participer à ce test, qui nécessitait de soulever de lourdes barres et de grimper, de se pencher et de faire des torsions. Le médecin ne fait état ni de l’accident de voiture ni d’une limitation quelconque des mouvements des bras, des mains, du cou ou des épaules.

[95] M. Chisholm a lui-même déclaré dans son témoignage que, lorsqu’il avait consulté ce médecin le 1er décembre 2015, il estimait que ses problèmes au dos découlant de l’accident avaient pratiquement disparu, et il ne lui en avait donc pas parlé.

[96] J’accepte le témoignage du Dr Burnstein selon lequel un médecin se conformant aux normes de pratique aurait procédé à une évaluation complète avant d’autoriser la participation au test d’arrimage. Je conviens également qu’un tel médecin n’aurait pas autorisé une personne souffrant d’une diminution soudaine de la dextérité manuelle ou d’une blessure au dos, causées par un accident de voiture survenu six semaines plus tôt, à passer un test exigeant physiquement sans effectuer d’autres examens.

[97] Le 12 janvier 2016, M. Chisholm a effectué le test d’arrimage et l’a réussi. Je ne peux raisonnablement conclure que, moins d’une semaine plus tard, une blessure au dos qu’il aurait subie trois mois auparavant dans un accident de voiture l’aurait rendu moins apte à faire le test d’aptitude, qui concernait des tâches sédentaires et ne sollicitait pas de manière significative le cou ou le dos.

[98] Je conclus que M. Chisholm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la blessure au dos qu’il aurait subie constituait un handicap physique qui a occasionné une limitation fonctionnelle pendant le processus d’embauche. À mon avis, il n’a pas présenté une preuve suffisante pour étayer l’existence d’une déficience, causée par l’accident de voiture survenu en octobre 2015, qui l’aurait rendu moins apte à participer au processus d’embauche ou qui aurait nécessité la prise de mesures d’adaptation lors de l’administration du test d’aptitude.

[99] Je n’accepte pas non plus l’argument de M. Chisholm, soulevé pour la première fois dans ses observations finales, selon lequel son diabète, son arthrite ou son daltonisme constituaient des déficiences qui ont nui à sa participation au processus d’embauche ou qui nécessitaient la prise de mesures d’adaptation pour qu’il puisse réussir le test d’aptitude. En ce qui concerne le daltonisme, M. Chisholm n’a fourni aucune preuve montrant qu’il l’aurait rendu moins apte à effectuer un volet quelconque du test d’aptitude, notamment le test fait au moyen d’un panneau perforé. Il n’a pas témoigné au sujet des couleurs qu’il n’est pas en mesure de voir ni des couleurs des tiges utilisées lors du test d’aptitude. De plus, selon les éléments de preuve dont est saisi le Tribunal, M. Chisholm a réussi le test fait au moyen d’un panneau perforé, qui visait à évaluer sa dextérité manuelle.

[100] En ce qui concerne l’arthrite, le seul document faisant état de cette affection est un formulaire d’auto‑évaluation du diabète de 2017. Les dossiers médicaux ne confirment pas qu’un diagnostic de d’arthrite a été établi pour M. Chisholm avant les événements en cause et celui-ci n’a pas non plus indiqué quelle partie de son corps était touchée par l’arthrite. M. Chisholm n’a pas témoigné non plus que l’arthrite l’avait rendu moins apte à effectuer le test d’aptitude.

[101] En ce qui concerne le diabète, enfin, même s’il ressort clairement de la preuve médicale qu’en janvier 2016, M. Chisholm avait déjà fait l’objet d’un diagnostic de diabète pour lequel des médicaments lui avaient été prescrits, il n’a présenté aucune preuve quant aux incidences de son diabète à l’époque. Il n’a pas déclaré que le diabète lui occasionnait des limitations fonctionnelles dans sa vie en général, ou lui en avait occasionné lors du processus d’embauche.

[102] M. Chisholm déclare dans ses observations finales que le diabète [traduction] « est un problème médical qu’un médecin aurait mentionné dans une demande de mesures d’adaptation, s’il avait su ce en quoi consistait le test ». Il s’agit là d’une conjecture, qui n’est étayée par aucun élément de preuve. Il est bien établi qu’une « simple croyance, sans éléments de preuve à l’appui, n’est pas suffisante pour justifier une plainte de discrimination » (Wilson c. Agence des services frontaliers du Canada, 2015 TCDP 11 (CanLII), par. 19). M. Chisholm n’a appelé aucun médecin à témoigner au sujet de son état de santé, et le Dr Burnstein a témoigné que, d’après les dossiers médicaux antérieurs au test d’aptitude, son taux de glycémie était bien maîtrisé.

[103] M. Chisholm demande au Tribunal de conclure que plusieurs de ses maux ou problèmes de santé constituaient des déficiences qui nécessitaient la prise de mesures d’adaptation au moment du test d’aptitude, mais je refuse de le faire. Lorsqu’il a rempli le formulaire de demande, le 23 novembre 2015, en vue d’être recommandé par le Syndicat pour participer au processus d’embauche de la HEA, M. Chisholm a déclaré expressément qu’il n’avait aucune déficience. Il n’a jamais fourni de renseignements médicaux pouvant étayer son allégation, même après avoir été éliminé du processus d’embauche.

[104] M. Chisholm laisse entendre que, après avoir reçu des renseignements supplémentaires sur le test d’aptitude le 12 janvier 2016, il n’aurait pas eu suffisamment de temps pour obtenir un rendez‑vous avec un médecin et demander des mesures d’adaptation. Selon son propre témoignage, toutefois, il était en mesure d’obtenir des soins médicaux lorsqu’il en avait besoin.

[105] M. Chisholm a également déclaré dans son témoignage que, après avoir reçu la lettre d’acceptation au processus d’embauche, le 29 décembre 2015, il n’avait pas communiqué avec la HEA pour connaître la teneur du test d’aptitude. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas fait, M. Chisholm a déclaré qu’il avait appris qu’il n’était pas toujours facile de communiquer avec la HEA et qu’il avait supposé qu’elle lui demanderait de toute façon d’attendre après le test d’arrimage. Toutefois, M. Moore a témoigné que la HEA aurait pu fournir des renseignements sur le test au médecin de M. Chisholm, avant qu’il ne soit administré, si ces renseignements avaient été demandés.

[106] M. Moore a témoigné que trois autres candidats avaient obtenu des demandes de mesures d’adaptation pour des raisons médicales de leur médecin, puis avaient bénéficié de mesures d’adaptation lors du test d’aptitude mené dans le cadre du processus d’embauche de 2015‑2016. Manifestement, l’obligation de présenter une demande de mesures d’adaptation avant le test d’aptitude n’a pas constitué un obstacle pour ces candidats ayant des déficiences.

[107] M. Chisholm n’a pas satisfait au premier volet du critère préliminaire de l’existence prima facie d’une discrimination fondée sur la déficience. Je conclus que, lorsque s’est déroulé le processus d’embauche de 2016, il n’avait pas une déficience qui aurait nui aux résultats alors obtenus, ou qui nécessitait la prise de mesures d’adaptation lors du test d’aptitude. Étant donné que M. Chisholm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une déficience, je n’ai pas à examiner les autres volets du critère de la discrimination prima facie fondée sur ce motif de distinction illicite.

(ii) Âge

[108] De même, je dois appliquer le critère à trois volets de la discrimination prima facie pour déterminer si M. Chisholm a établi l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge. Même si j’accepte que son âge — soit 49 ans au moment du test d’aptitude — constituait un motif de distinction illicite au sens de l’article 3 de la Loi, je dois examiner si son âge a constitué un facteur dans le traitement défavorable dont il aurait fait l’objet dans le processus d’embauche. M. Chisholm allègue l’existence d’une discrimination visée à l’alinéa 7a) et à l’article 10 de la Loi.

[109] L’alinéa 7a) de la LCDP énonce que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer un individu. La HEA a refusé d’employer M. Chisholm parce qu’il avait [traduction] « échoué » au test d’aptitude, n’ayant pas obtenu la note minimale requise à chacun des trois volets du test. J’estime que M. Chisholm n’a pas établi qu’il avait obtenu, en raison de son âge, des notes inférieures à la moyenne aux volets aptitude spatiale et coordination motrice du test d’aptitude.

[110] M. Chisholm fait valoir que les gens deviennent plus lents en vieillissant, et que les tests d’aptitude sont tous fondés sur la vitesse. Toutefois, M. Chisholm n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer sa simple affirmation selon laquelle il était devenu plus lent en vieillissant, et que cela l’avait rendu moins apte à réussir les volets coordination motrice et aptitude spatiale du test.

[111] Même si M. Chisholm a l’impression subjective que sa rapidité d’exécution est moindre maintenant qu’elle n’était dans sa jeunesse, il n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait obtenu pour ce motif des notes inférieures à la moyenne à ces deux volets du test, ni qu’il avait besoin de mesures d’adaptation dans le cadre du processus d’embauche en raison de son âge. Je répète qu’il a réussi le test d’arrimage et le volet de la dextérité manuelle, tous deux chronométrés. Ces considérations sont également valables pour l’allégation de discrimination visée à l’article 10 de la Loi.

[112] Afin d’établir une discrimination au sens de l’article 10 de la LCDP, il faut établir que l’employeur a fixé des lignes de conduite annihilant, sur le fondement d’un motif de distinction illicite, les chances d’emploi d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

[113] M. Chisholm fait valoir que l’obligation faite par la HEA, aux candidats, de présenter leurs demandes de mesures d’adaptation avant de connaître la teneur exacte du test d’aptitude a annihilé ses chances individuelles d’emploi. Il soutient que, s’il avait connu la teneur du test d’aptitude, il aurait su que ses problèmes de rapidité d’exécution liés à l’âge le rendraient moins apte à le réussir et, par conséquent, il aurait vraisemblablement demandé des mesures d’adaptation. Toutefois, cet argument a pour prémisses que la rapidité d’exécution de M. Chisholm est moindre en raison de son âge et que ce dernier a échoué à deux volets du test d’aptitude à cause de ce problème. Encore une fois, cette allégation n’est pas étayée par la preuve.

[114] M. Chisholm soutient également que l’intimée a commis un acte discriminatoire visé à l’article 10 de la Loi lorsqu’elle a fixé des lignes directrices qui annihilaient les chances d’emploi d’une catégorie d’individus en fonction de leur âge. Il allègue que la plupart des candidats de plus de 40 ans ont été éliminés à l’étape 1 du processus d’embauche en raison de la nature chronométrée des tests, car la rapidité d’exécution des personnes de plus de 40 ans est moindre que celle des personnes de moins de 40 ans. Cette allégation n’est pas non plus étayée par la preuve.

[115] M. Moore a témoigné que 50 % des personnes de plus de 40 ans qui avaient été recommandées par le Syndicat à la HEA aux fins de son processus d’embauche étaient passées à l’étape 2. Cela signifie qu’elles ont réussi le test d’aptitude, ainsi que les autres tests, et rempli les autres exigences de l’étape 1. Parmi les personnes de moins de 40 ans recommandées par le Syndicat, 57 % ont progressé dans le processus d’embauche. Le fait qu’environ 38 % seulement des personnes recommandées par le Syndicat à la HEA avaient plus de 40 ans n’est pas un enjeu, car la plainte vise la HEA et non le Syndicat. En outre, M. Moore a témoigné que le Syndicat ignorait l’âge et l’identité des candidats, car ces renseignements ont été expurgés au cours du processus de sélection.

[116] Quant à la demande formulée par M. Chisholm dans ses observations finales pour que l’intimée communique des documents indiquant l’âge de tous les candidats non retenus dans le cadre du processus d’embauche de 2015 ‑2016, cette demande est beaucoup trop tardive. L’audience est terminée. Je prête foi au témoignage de M. Moore concernant le pourcentage de personnes de plus de 40 ans et le pourcentage de personnes de moins de 40 ans qui ont réussi à l’étape 1 du processus d’embauche en 2016.

[117] Lorsqu’il s’agit de décider s’il y a eu discrimination, il est utile de garder à l’esprit la définition formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), à la page 174 :

[L] a discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

[118] Dans l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 (CanLII), la Cour suprême a déclaré en outre « qu’une pratique, une norme ou une exigence du milieu de travail ne [peut] pas désavantager un individu par l’attribution de caractéristiques stéréotypées ou arbitraires » (paragraphe 48). Au paragraphe 49, la Cour a ajouté :

Il en résulte une différence entre discrimination et distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. […] La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet — qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur.

[119] M. Chisholm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a été défavorisé pendant le processus d’embauche, particulièrement dans l’administration du test d’aptitude, en raison de son âge. Il devait établir plus qu’une simple croyance que son âge avait contribué à son élimination du processus d’embauche. Il ne l’a pas fait. Je ne peux pas déduire qu’il a obtenu une note inférieure à la moyenne dans deux volets du test d’aptitude parce qu’il était âgé de plus de 40 ans.

[120] Il n’a pas non plus établi, selon la prépondérance des probabilités, que la nature chronométrée du test d’aptitude était, de façon générale, discriminatoire à l’égard des personnes de plus de 40 ans.

[121] Enfin, le fait que la HEA a fourni des renseignements sur le test d’aptitude dans la trousse de candidature remise à la foire de l’emploi tenue dans le cadre d’un processus d’embauche ultérieur ne permet pas d’établir que M. Chisholm a été victime d’un acte discriminatoire de la HEA dans le cadre du processus d’embauche de 2015‑2016. M. Chisholm n’a pu établir qu’il avait une déficience nécessitant la prise de mesures d’adaptation pour qu’il réussisse le test d’aptitude ou que son âge avait contribué à son élimination du processus d’embauche.

IX. Conclusion

[122] Évidemment, ce ne sont pas toutes les personnes qui ont effectué le test d’aptitude dans le cadre du processus d’embauche qui ont obtenu une note moyenne ou supérieure à la moyenne pour les trois volets du test. Le fait que M. Chisholm a [traduction] « échoué » à deux volets du test d’aptitude ne permet pas d’établir qu’il avait une déficience qui nécessitait la prise de mesures d’adaptation, ni que son âge a constitué un facteur.

[123] Étant donné que M. Chisholm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une déficience au moment du processus d’embauche ni que son âge avait contribué à son élimination du processus d’embauche, il n’a pas satisfait au critère préliminaire de l’existence prima facie d’une discrimination fondée sur la déficience ou l’âge. Par conséquent, je rejette sa plainte. Il n’est donc pas nécessaire de tenir une deuxième audience.

 

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 30 mars 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2291/4618

Intitulé de la cause : Graham Chisholm c. Halifax Employers Association

Date de la décision du Tribunal : Le 30 mars 2021

Date et lieu de l’audience : Audience tenue par vidéoconférence

17 au 19 août 2020

Comparutions :

Graham Chisholm , pour le plaignant

Brian G. Johnston, c.r., et Jennifer Thompson , pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.