Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Mme André a porté plainte contre Matimekush-Lac John Nation Innu (la « Nation »), son ancien employeur. Elle allègue que la Nation a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience pendant qu’elle y travaillait comme monitrice au centre de conditionnement physique. Elle dit aussi y avoir subi du harcèlement fondé sur le sexe. Le Tribunal a accueilli sa plainte.

Tout d’abord, le Tribunal a déterminé que Mme André avait effectivement une déficience liée à sa santé mentale. Mme André a présenté une preuve médicale abondante pour appuyer son diagnostic. Le Tribunal a aussi reconnu qu’elle est une femme et s’identifie comme telle.

Ensuite, le Tribunal a conclu qu’elle avait subi du harcèlement de la part de son superviseur, M. Pilot, entre février 2017 et avril 2017. Mme André a pu prouver le comportement toxique de M. Pilot. Ce dernier était un homme contrôlant qui avait créé un environnement de travail malsain pour la plaignante. Le Tribunal a aussi pu conclure que le harcèlement subi par Mme André était, entre autres, fondé sur son sexe.

Mme André a aussi prouvé qu’elle avait été traitée défavorablement en cours d’emploi et lors de son congédiement par la Nation. En effet, quelques mois après le début de son congé de maladie, la Nation a décidé d’abolir son poste. Le Tribunal a conclu que l’abolition du poste n’était qu’un prétexte pour mettre fin à l’emploi de Mme André. Il a aussi conclu que la déficience de Mme André avait été un facteur dans les agissements de la Nation.

La Nation n’a pas participé à l’audience et n’a présenté aucune défense.
Le Tribunal a ordonné à la Nation de payer à Mme André 17 000 $ pour le préjudice moral subi et 15 000 $ en tant qu’indemnité spéciale. Il a ordonné le paiement d’intérêts sur ces deux sommes. Le Tribunal a aussi ordonné à la Nation de mettre fin à ses pratiques discriminatoires et de créer des politiques contre le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail. Enfin, le Tribunal a ordonné à la Nation d’offrir à tous ses agents, mandataires, administrateurs, membres de la direction et employés une formation sur les politiques qui seront mises en place. La Nation a douze mois pour se conformer à l’ordonnance du Tribunal.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 8

Date : le 18 février 2021

Numéro du dossier : T2452/0920

 

Entre :

Marie-Renée André

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Matimekush-Lac John Nation Innu

l'intimée

Décision

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la plainte

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») disposant de la plainte de Mme Marie-Renée André (la « plaignante ») contre Matimekush-Lac John Nation Innu (l’« intimée » ou la « Nation ») au titre des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »).

[2] Mme André est d’origine innue et elle est membre et résidente de la Nation qui se situe au nord de la ville de Sept-Îles (Québec). Mme André allègue avoir été discriminée par son ancien employeur, la Nation, alors qu’elle était à son emploi (article 7 LCDP), et ce, en raison de sa déficience. Elle allègue également avoir été victime de harcèlement fondé sur le sexe de la part de son superviseur et affirme que la Nation ne lui a pas offert un environnement de travail exempt de harcèlement (alinéa 14(c) LCDP).

[3] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a participé pleinement à l’audience du Tribunal et appuie les prétentions de Mme André.

[4] La Nation, quant à l’elle, n’a pas comparu dans la procédure du Tribunal et ne s’est pas non plus présentée à l’audience. Sa participation dans la procédure fut inexistante, et ce, malgré les multiples tentatives des parties et du Tribunal d’entrer en communication avec elle. Le Tribunal a ainsi procédé par défaut. L’absence de l’intimée dans la procédure est traitée dans la Section II de cette décision.

[5] L’audience s’est tenue les 13 et 14 janvier 2021 par visioconférence afin de respecter les restrictions gouvernementales mises en place considérant la crise sanitaire qui affecte le Canada et le monde entier.

[6] Les parties ont collaboré avec le Tribunal dans la préparation de cette audience virtuelle qui s’est déroulée sans anicroche. Le Tribunal avait émis des règles précises quant à la gestion de l’audience virtuelle, de la preuve documentaire, du dépôt des pièces, de la participation des témoins, de la présentation des arguments finaux et du dépôt de la jurisprudence. Les parties ont bien respecté ses directives. Elles n’ont pas non plus manifesté avoir vécu de grandes difficultés avec l’utilisation de la visioconférence et la qualité du son et de la vidéo était adéquate.

[7] Considérant la preuve qui a été présentée à l’audience par Mme André et la Commission, le Tribunal conclut que la plainte est fondée (paragraphe 53(2) de la LCDP).

II. Remarque préliminaire – Absence de participation de la Nation

[8] Le Tribunal considère nécessaire de faire quelques remarques préliminaires quant à l’absence de participation de la partie intimée dans la procédure du Tribunal. Le Tribunal a déjà rendu une décision interlocutoire, le 6 janvier 2021, détaillant les différentes démarches visant à entrer en contact avec l’intimée et les divers documents qui lui ont été transmis par la poste.

[9] En résumé, la plainte de Mme André a été reçue par le Tribunal le 23 décembre 2019. La plaignante et la Commission ont déposé leur exposé des précisions en juin 2020. Le Tribunal et les parties ont tenté, par divers moyens, d’entrer en communication avec la Nation, soit par fax, téléphone, courriel et même par la poste, mais sans succès.

[10] Le 28 septembre 2020, le Tribunal a envoyé par la poste à M. Réal McKenzie, chef actuel de la Nation, et à l’attention des représentants du conseil de bande de la Nation, une correspondance les informant que la Nation était impliquée dans une plainte devant le Tribunal en tant que partie intimée et que des audiences allaient avoir lieu les 13 et 14 janvier 2021. Le Tribunal leur demandait d’entrer en communication rapidement avec le greffe afin de discuter de la situation. Cette correspondance fut récupérée en main propre par le chef lui-même le 6 octobre 2020. La preuve de réception de Purolator fait partie du dossier officiel du Tribunal. La Nation ne s’est pas manifestée.

[11] Le Tribunal a envoyé une seconde correspondance, encore par la poste, à M. Réal McKenzie, chef de la Nation, et à l’attention des représentants du conseil de bande de la Nation, le 28 novembre 2020. Cette correspondance comprenait un avis d’audience informant officiellement la Nation des dates d’audience du 13 et 14 janvier 2021 et partageait toutes les informations permettant à l’intimée, ou à son représentant de se joindre à l’audience qui allait être tenue par visioconférence. Le chef a reçu personnellement la correspondance du Tribunal le 8 décembre 2020. La preuve de délivrance de Postes Canada fait partie du dossier officiel du Tribunal. La Nation ne s’est pas manifestée.

[12] La Commission a également fait parvenir à la partie intimée deux envois par la poste, comprenant entre autres une requête en élargissement de la plainte et en autorisation d’amendements et les pièces appuyant ladite requête, un sommaire d’une conférence téléphonique du Tribunal, l’avis officiel d’audience, ainsi qu’un cahier contenant les pièces qui allaient être déposées en preuve à l’audience. La Commission a déposé dans le dossier officiel du Tribunal la preuve de délivrance de ces deux envois, qui furent reçus par M. Réal McKenzie personnellement, les 10 et 23 décembre 2020. La Nation ne s’est pas manifestée.

[13] Malgré les efforts déployés pour entrer en contact avec la partie intimée, ainsi que l’envoi de plusieurs correspondances et un avis officiel d’audience au chef de la Nation, celle-ci ne s’est pas présentée à l’audience du Tribunal les 13 et 14 janvier 2021. La Commission a donc demandé au Tribunal, vue les circonstances, de procéder en son absence.

[14] Le Tribunal était en accord avec la Commission. Le Tribunal considère que l’intimée a été formellement informée, par le biais de son chef, que l’audience allait avoir lieu les 13 et 14 janvier 2021, et ce, à plusieurs reprises.

[15] Afin de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, le Tribunal devait offrir à la Nation la possibilité pleine et entière de comparaître dans la procédure et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que des observations (paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la LCDP). L’intimée, bien qu’elle fût formellement informée, a choisi de ne pas se prévaloir de cette opportunité.

[16] Le Tribunal est donc convaincu que la partie intimée a dûment été avisée de la tenue de l’audience et c’est pourquoi il pouvait donc procéder en son absence, comme le prescrit la règle 9(8) des Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les « Règles »)).

III. Question en litige

[17] La question en litige dans la présente plainte est simple et claire : est-ce que Mme André a été victime de discrimination de la part de la Nation, son employeur, ou de l’un de ses agents sous sa responsabilité, en application de l’article 7 et 14(c) de la LCDP, et ce, en raison de sa déficience ou de son sexe?

IV. Droit en matière de discrimination

[18] La LCDP vise à garantir à tout individu la jouissance du droit à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de ses besoins, dans la mesure compatible avec ses devoirs et obligations au sein de la société, indépendamment de quelconques considérations fondées sur des motifs de distinction illicite (article 2 de la LCDP).

[19] Il est de jurisprudence constante que la partie plaignante a, dans un premier temps, un fardeau de preuve à rencontrer selon la prépondérance des probabilités. Elle doit présenter une preuve suffisante, jusqu’à preuve contraire, et qui porte « sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28 [Simpsons-Sears]).

[20] De manière plus précise, Mme André doit établir selon la prépondérance des probabilités que :

1) Elle a un ou des motifs de distinction illicite prévus au paragraphe 3(2) de la LCDP (dans le cas actuel, le sexe et la déficience);

2) Elle a subi un ou des effets préjudiciables de la part de la partie intimée, au titre de l’article 7 (domaine de l’emploi) et du paragraphe 14(c) (harcèlement en matière d’emploi) de la LCDP;

3) Le ou les motifs de distinction illicite ont été des facteurs dans la manifestation de ces effets préjudiciables;

(Voir notamment Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (CanLII), au paragraphe 33 [Moore] et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 789 (CanLII), au paragraphe 63 [Bombardier]; Simpsons‑Sears, au paragraphe 28).

[21] La preuve d’intention de discriminer n’est pas nécessaire tout comme il n’est pas nécessaire de démontrer que le motif de distinction illicite est le seul facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable qu’aurait subi Mme André (Bombardier, aux paragraphes 40 et 44).

[22] Le Tribunal a répété à de multiples reprises que la discrimination n’est généralement pas exercée ouvertement ou intentionnellement. Ainsi, le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de la plainte afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination (Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) [Basi]).

[23] Le Tribunal peut ainsi tirer des inférences à partir de preuves circonstancielles lorsque la preuve présentée au soutien des allégations rend une telle inférence plus probable que les autres inférences ou hypothèses possibles. Cela dit, la preuve circonstancielle doit demeurer tangiblement liée à la décision ou la conduite reprochée à l’intimée (Bombardier, au paragraphe 88).

[24] De plus, lorsque le Tribunal doit décider si une partie plaignante a rencontré le fardeau de son dossier, il doit analyser la preuve dans son ensemble, incluant la preuve soumise par l’intimée, le cas échéant. En conséquence, il pourrait, entre autres, déterminer que la partie plaignante n’a pas rencontré le fardeau de son dossier si la preuve présentée n’est pas suffisamment complète ou si l’intimée a été en mesure de présenter une preuve qui, par exemple, réfute les allégations de la plaignante (Dulce Crowchild c. Nation Tsuut’ina, 2020 TCDP 6 (CanLII), au paragraphe 10; Brunskill c. Société canadienne des postes, 2019 TCDP 22 (CanLII), aux paragraphes 64 et 65 [Brunskill]; Nielsen c. Nee Tahi Buhn Indian Band, 2019 TCDP 50 (CanLII), au paragraphe 47 [Nielsen]; Tracy Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2019 TCDP 42 (CanLII), au paragraphe 58; Willcott c. Freeway Transportation Inc., 2019 TCDP 29 (CanLII), au paragraphe 12 [Willcott]).

[25] Au contraire, si la partie plaignante est en mesure de rencontrer son fardeau de la preuve, l’intimée pourrait se prévaloir d’une défense codifiée notamment à l’article 15 de la LCDP, ou limiter sa responsabilité, lorsqu’applicable, en vertu du paragraphe 65(2) de la LCDP. Dans le cas en l’espèce, la Nation, par son absence, ne s’est prévalue d’aucune défense ou limitation de responsabilité.

[26] C’est en gardant ces principes à l’esprit que le Tribunal analysera la preuve qui lui a été présentée à l’audience par Mme André et la Commission.

V. Analyse

[27] Le Tribunal reconnaît les efforts et le travail de Mme André dans le processus du Tribunal et pendant l’audience, et ce, malgré ses problèmes de santé. Avec le support réconfortant et important de sa représentante et amie, Mme Martine Gagnon, Mme André a fait preuve d’une grande persévérance et de courage afin d’amener à terme sa plainte devant le Tribunal.

[28] Le Tribunal est aussi d’avis que le témoignage de Mme André est probant. Malgré le fait que Mme André ait pour langue maternelle l’innue, elle fut en mesure de très bien s’exprimer en français. Elle a témoigné devant le Tribunal avec émotions et sensibilité. Elle a accompagné son témoignage de gestes et d’intonations permettant de bien démontrer et comprendre les actions et attitudes qu’elle a subies, notamment de la part de son superviseur. Malgré tout, elle a fait preuve de retenue, n’a pas exagéré les faits, et rien dans la preuve ne permet au Tribunal de conclure que sa crédibilité devrait, de quelconque manière, être remise en doute.

[29] La preuve présentée par Mme André est prépondérante dans son ensemble et il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de reprendre chaque événement en détail. En analysant les éléments de preuve présentés par la plaignante et la Commission dans leur contexte global, le Tribunal est en mesure de conclure, selon la prépondérance des probabilités que Mme André a subi un traitement défavorable en cours d’emploi et a été congédiée en raison de sa déficience (article 7 de la LCDP) et qu’elle a subi du harcèlement de la part de son superviseur en raison de son sexe (alinéa 14(c) de la LCDP).

[30] Le Tribunal se concentrera sur les éléments de preuve les plus pertinents et utiles afin de rendre sa décision (Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159 (CanLII), au paragraphe 40; Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3 (CanLII), au paragraphe 54).

A. Motifs de distinction illicite (paragraphe 3(1) LCDP)

(i) La déficience

[31] Mme André a déposé à l’audience une preuve extensive appuyant l’existence d’une déficience. À cet effet, elle a déposé plusieurs évaluations médicales de différents médecins ainsi que des lettres de ses psychologues.

[32] La preuve révèle que Mme André a reçu un diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur dépressive et anxiété généralisée à la suite du harcèlement qu’elle a subi de la part de son superviseur. Le premier diagnostic de Mme André a été posé par le docteur Mathieu Foster dans son rapport du 18 avril 2017. Ce premier diagnostic a été posé lorsque Mme André est tombée en congé de maladie au début du mois d’avril 2017, et ce, en raison de sa détresse psychologique liée à l’environnement de travail.

[33] Le Dr Foster a détaillé les conséquences sur la santé de Mme André, notamment de l’anxiété, mais aussi de l’insomnie, des troubles de panique ainsi qu’une baisse de la concentration. Une médication lui a alors été prescrite et un suivi aux deux semaines, soit avec son psychologue ou son médecin, lui a été recommandé.

[34] Deux autres docteurs, Claude Lafortune et Josée Larochelle, ont tous deux confirmé un diagnostic similaire, respectivement les 9 mai et 14 juillet 2017, comme l'appuient les rapports médicaux déposés à l’audience. Le Dr Foster a aussi revu la plaignante le 20 juin 2017 et a confirmé, encore une fois, son diagnostic de trouble d’adaptation, mais a aussi ajouté le diagnostic de PTSD (« post-traumatic stress disorder »), soit un syndrome de stress post-traumatique (« SSPT »). Pendant ce temps, Mme André est restée en congé de maladie, et ce, à partir du 4 avril 2017.

[35] En 2019, Mme André était encore affligée de problèmes de santé mentale. Le 9 juillet 2019, Dr Larochelle a signé un formulaire pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») dans lequel elle a affirmé que la dépression majeure de Mme André avait refait surface. Dr Larochelle maintenait toujours le diagnostic de SSPT. Le 27 août 2019, un autre formulaire a été rempli par un autre docteur, qui a repris essentiellement les mêmes informations que Dr Larochelle.

[36] Le Tribunal a aussi eu l’occasion de consulter les rapports des psychologues de la plaignante, soit Mme Annik Riverin et Mme Danielle Descent. Trois rapports ont été déposés en preuve, datés du 3 avril 2017, du 21 septembre 2018 et du 26 août 2019. Les rapports consultés par le Tribunal appuient les diagnostics des médecins et détaillent davantage l’état psychologique de la plaignante.

[37] À cet effet, les symptômes détaillés par Mme Riverin et Mme Descent sont cohérents. Elles expliquent toutes deux que les impacts sur Mme André sont clairement multiples. De plus, les différents docteurs ayant traité Mme André ont, eux aussi, détaillé ces symptômes dans leurs différents rapports. Mme André m’a aussi expliqué, lors de son témoignage, et ce souvent avec grandes émotions, les symptômes qui sont liés à son état de santé mentale.

[38] Entre autres, Mme André a souffert et souffre toujours de certains de ces symptômes, notamment de détresse, de tristesse, de fatigue récurrente, de perte d’appétit, de difficulté d’attention et de concentration, d’insécurité, de dévalorisation et de dépréciation personnelle, d’insomnie et de réveils nocturnes, de tremblements, de perte d’espoir, de perte d’intérêts, et, à certaines reprises, d’idéations suicidaires.

[39] Cela étant précisé, le Tribunal rappelle que la définition de « déficience » se retrouve à l’article 25 de la LCDP et prévoit que :

déficience Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

[40] Le Tribunal a écrit dans Temple c. Horizon International Distributors, 2017 TCDP 30 (CanLII), aux paragraphes 38 à 40 :

[…] que le motif de la « déficience » a fait l’objet d’interprétation notamment dans la décision Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 25, au para. 39 [Audet]. Dans Audet, l’interprétation de la « déficience » qu’a faite la Cour fédérale d’appel dans Desormeaux c. La Corporation de la Ville d’Ottawa, 2005 CAF 31, au paragraphe 15, est reprise. La Cour l’a défini comme étant « […] tout handicap physique ou mental qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap ».

[41] Le même raisonnement a aussi été repris dans Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18 (CanLII), aux paragraphes 181 à 183 [Duverger] ainsi que dans Brunskill, aux paragraphes 71 et 72.

[42] Selon la preuve présentée, le Tribunal est convaincu que Mme André et la Commission ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, que Mme André souffrait d’une déficience au sens de la LCDP, et plus spécifiquement, concernant son état de santé mentale (paragraphe 3(1) de la LCDP).

(ii) Le sexe

[43] Enfin, Mme André invoque aussi le sexe, soit le fait d’être une femme, comme motif de distinction illicite dans le cas du harcèlement qu’elle aurait subi de la part de son superviseur. Il y a peu à dire quant à ce motif, puisque Mme André s’identifie comme étant une femme (paragraphe 3(1) de la LCDP).

[44] Comme ces éléments ont été établis, le Tribunal peut maintenant passer à la prochaine étape de l’analyse établie dans Moore, précitée.

B. Effets préjudiciables et lien avec les motifs de distinction illicite (article 7 et paragraphe 14(c) de la LCDP)

(i) Les faits

[45] Mme André a travaillé pour la Nation, son employeur, pendant plusieurs années en tant que monitrice du centre de conditionnement physique. Plus spécifiquement, le centre est situé dans la communauté de Matimekush-Lac John ou, comme l’a expliqué Mme André, aussi appelé Schefferville (Québec).

[46] Mme André y a travaillé à temps plein pendant sept ans, débutant en 2010. Mais c’est seulement en juin 2012 qu’elle fût reconnue comme employée permanente pour la Nation. Cela lui donnait alors l’opportunité de bénéficier de plus d’avantages liés à l’emploi.

[47] En tant que monitrice du centre de conditionnement physique, elle accueillait les clients et elle préparait des plans de conditionnement physique et de nutrition. Elle s’occupait aussi de son entretien.

[48] Mme André était la seule employée du centre de conditionnement physique, qui se situait dans un immeuble de type multifonctionnel. La salle était adjacente à une salle communautaire dans laquelle d’autres femmes y travaillaient, notamment pour faire le ménage. La plaignante a expliqué que la salle communautaire servait au bénéfice des membres de la communauté pour différents rassemblements et événements.

[49] Jusqu’en février 2017, Mme André relevait directement de la supervision de la Nation. Elle a expliqué qu’elle n’avait jamais eu de problèmes dans son emploi et transigeait alors avec le conseil directement. Néanmoins, en février 2017, Mme André a appris qu’un nouveau superviseur avait été engagé par le conseil afin, entre autres, de la superviser ; il s’agit de M. Peshu Pilot (« M. Pilot »).

[50] C’est à l’entrée en fonction de M. Pilot que la situation a commencé à se dégrader dans l’environnement de travail de Mme André, menant finalement à son congé de maladie, qui débuta la 4 avril 2017. Ainsi, entre l’entrée en fonction de M. Pilot et le départ de Mme André en congé maladie, moins de trois mois se sont écoulés.

[51] Pendant cette période (entre février et début avril 2017), Mme André a témoigné à l’audience de différents événements qui se sont produits dans l’environnement de travail et a également décrit les actions et l’attitude de M. Pilot.

[52] L’un des premiers événements qui se sont produits était lié à l’horaire de Mme André. M. Pilot voulait changer son horaire de travail et réduire ses heures sans raison apparente, alors qu’elle avait toujours eu le même horaire et le même nombre d’heures de travail lorsqu’elle relevait du conseil. Mme André a dû faire intervenir le conseil afin de s’assurer que son horaire demeure le même, ce qui allait à l’encontre des désirs et intentions de M. Pilot.

[53] Malgré cela, le 24 mars 2017, M. Pilot a changé l’horaire de la plaignante unilatéralement et sans avertissement, et ce, contrairement aux indications du conseil. Mme André, dans ses propres mots, a décrit ses horaires comme étant « méchants ». Autrement dit, elle croit que M. Pilot voulait tout simplement la narguer et la rabaisser en lui donnant des horaires impossibles.

[54] De plus, Mme André a expliqué que durant ces trois mois à travailler sous la supervision de M. Pilot, il la menaçait, ici et là, de réduire ses heures. M. Pilot lui a même ordonné de faire le ménage après ses huit heures de travail quotidiennes, sans rémunération.

[55] Mme André a également témoigné que M. Pilot la surveillait à la salle de conditionnement. Il voulait s’assurer que la plaignante était toujours présente au travail. Si la voiture de la plaignante n’était pas dans le stationnement, il entrait en trombe dans l’immeuble afin de s’enquérir de sa présence. Si elle était présente, il lui faisait le commentaire que sa voiture n’était pas dans le stationnement.

[56] M. Pilot a également accusé Mme André de vols et de bris de divers matériels dans la salle de conditionnement. Elle a témoigné que M. Pilot avait déjà laissé de l’argent trainer sur le comptoir de la salle de conditionnement. Mme André a pris l’argent ne sachant pas à qui il appartenait et l’a rangé en arrière du comptoir, en dessous de l’évier. Elle voulait s’assurer que l’argent ne soit pas pris par quelqu’un d’autre. M. Pilot l’a alors accusée d’avoir volé l’argent et Mme André lui a expliqué qu’elle l’avait simplement rangé, en lui indiquant l’endroit où le retrouver. Elle a dit devant le Tribunal être certaine que son superviseur la testait, la narguait, et essayait de la prendre sur le fait, de la piéger.

[57] À une autre reprise, il l’a aussi accusée d’avoir volé son lunch, un sous-marin. Il lui a demandé, en criant, si c’était elle qui avait volé son lunch. Après cet événement, M. Pilot a interdit à la plaignante d’accéder à la cuisine, qui était dans la salle communautaire adjacente à la salle de conditionnement.

[58] Mme André y faisait réchauffer ses repas, puisque le micro-ondes s’y trouvait. Puisqu’il lui était désormais interdit d’aller dans la cuisine et de se servir du micro-ondes, elle a installé son propre four à micro-ondes dans la salle électrique, qui se situait dans le couloir entre la salle de conditionnement et la salle communautaire. Quand M. Pilot s’est rendu compte de cet arrangement, il a tout simplement barré à clé la salle électrique, empêchant la plaignante d’y avoir accès. Par le fait même, Mme André était empêchée de réchauffer ses repas lorsqu’elle travaillait. Mme André devait alors prendre quelques minutes lors de sa pause pour aller rapidement chez elle et faire réchauffer ses repas, tout en sachant qu’elle était surveillée par son superviseur et qu’il lui était interdit de quitter son lieu de travail.

[59] À cet effet, M. Pilot refusait catégoriquement que Mme André sorte de l’immeuble pendant ses heures de travail, incluant pendant ses heures de repas, la cloitrant littéralement dans l’environnement de travail. Mme André se retrouvait donc dans une situation sans issue. Elle a expliqué, lors de l’audience, que lorsqu’elle était dans son environnement de travail, elle étouffait : elle se sentait, selon ses propres mots, « en prison ».

[60] Mme André a aussi témoigné que M. Pilot lui faisait souvent la remarque, lors de discussions, que c’était lui « le boss ». Il pouvait lever le ton et crier après elle. Il avait des excès de colère, frappait sur le bureau ou dans les cadrages de porte.

[61] La plaignante a témoigné qu’elle avait peur de lui et craignait le moment où il allait se présenter sur le milieu de travail. Elle pleurait après son départ, tout en essayant de cacher ses larmes aux clients qui venaient profiter de la salle de conditionnement. Mme André avait peur de M. Pilot, de ses cris, de ses excès de rage et de son attitude imposante. Elle a décrit son superviseur comme étant gros, costaud, et qu’il était facile de voir s’il n’était pas de bonne humeur.

[62] Elle a aussi clairement mimé au Tribunal, pendant son témoignage, les regards qu’il lui faisait, les coups de poing sur la table et sur les cadres de porte. Lorsque Mme André en parle, les larmes coulent : elle est encore, aujourd’hui, affectée par les humeurs, les attitudes et les actions de son ancien superviseur.

[63] M. Rodrigue, un ancien client de la salle de conditionnement, est venu témoigner à l’audience de la détresse de Mme André. Il a expliqué avoir vu Mme André pleurer, alors qu’il allait s’entraîner régulièrement à la salle de conditionnement.

[64] M. Rodrigue a rendu un témoigne probant, empreint de sincérité et d’empathie pour ce que la plaignante a vécu. Il a confirmé que Mme André lui avait raconté plusieurs événements qu’elle avait vécus en lien avec M. Pilot, mais il avoue ne jamais avoir été témoin de ces événements ou des attitudes de M. Pilot. Il vient, cela dit, corroborer le fait que Mme André, au moment des événements, s’est confiée à lui.

[65] Il est important de préciser que Mme André a expliqué que M. Pilot agissait agressivement aussi envers les autres femmes qui travaillaient dans la salle communautaire et surtout, les employées qui faisaient le ménage. Elle a précisé qu’une autre femme, une employée de la salle communautaire, est venue lui parler de sa détresse psychologique, en raison des agissements de M. Pilot.

[66] Par exemple, l’employée lui a raconté que pendant qu’elle faisait le ménage, M. Pilot a passé son doigt sur le mur afin de s’assurer que c’était bien propre et exempt de poussière. Puisqu’il n’était pas satisfait du résultat, il lui a ordonné sur un ton autoritaire de reprendre son ménage. Mme André a expliqué qu’elle et l’autre employée ont échangé sur ce qu’elles vivaient respectivement. Mme André a pris le temps de m’expliquer qu’elle s’est plainte des agissements de M. Pilot, mais pas les autres femmes travaillant dans l’immeuble.

[67] De plus, Mme André a également relaté le fait qu’elle se retrouvait parfois dans des situations délicates en raison des ordres de M. Pilot. Elle avait peur de lui désobéir. Par exemple, M. Pilot était responsable de la location de la salle communautaire aux autres membres de la communauté. Il était alors responsable de débarrer les portes, ce qu’il ne faisait pas toujours. Alors les personnes ayant loué la salle se présentaient dans la salle adjacente, la salle de conditionnement. Le Tribunal rappelle que ces deux salles communiquent via un couloir.

[68] La plaignante a alors expliqué, candidement, qu’elle pouvait laisser passer les locateurs par le couloir pour qu’ils se rendent à la salle communautaire. Mais, quand M. Pilot a décidé que c’en était assez, il lui a interdit de laisser passer quiconque par ce chemin. Mme André se sentait alors mal à l’aise avec cette décision sachant que des aînés pouvaient attendre dehors, au grand froid, que la porte de la salle communautaire soit débarrée par M. Pilot.

[69] Mme André a relaté une autre série d’événements en lien avec l’utilisation de l’internet à la salle de conditionnement physique. Elle a expliqué que l’utilisation de l’internet était nécessaire lors de son travail puisqu’elle devait parfois effectuer des recherches. Celles-ci visaient à la préparation des plans d’entraînement ou de nutrition pour les clients. En ayant cet accès, elle pouvait alors trouver des réponses pour les clients du centre. Selon Mme André, le conseil avait installé l’internet dans la salle de conditionnement afin qu’elle puisse effectuer son travail.

[70] M. Pilot, lui, a plutôt décidé de couper l’accès à l’internet, en lui mentionnant que si elle y avait accès, elle serait toujours en train d’y naviguer. M. Pilot a effectivement privé Mme André de l’accès à l’internet.

[71] Mme André a expliqué qu’un jour, elle a vu M. Pilot ainsi qu’un technicien qui, justement, s’occupait de l’installation de l’internet dans l’immeuble. Elle lui a demandé s’il pouvait installer l’internet dans son bureau. M. Pilot lui a répondu que cela n’était pas possible. Mme André, ne le croyant pas, s’est directement adressée au technicien, qui lui a confirmé que c’était, au contraire, possible de le faire. Elle a expliqué que M. Pilot lui a alors jeté un regard avec « ses gros yeux », pour reprendre ses mots.

[72] Mme André s’est plainte au conseil, au chef et aux conseillers, quant à la privation de l’internet par M. Pilot. Le conseil lui a donné raison et lui a demandé d’informer M. Pilot qu’elle devait y avoir accès. Cela dit, M. Pilot était bien déterminé à la priver de l’internet puisqu’il trainait avec lui le routeur appartenant au conseil et qui distribuait le réseau dans l’immeuble. Lorsqu’il passait tout près de Mme André avec le routeur dans les mains, il la regardait, souriait, riait. La plaignante y voyait définitivement de la moquerie et du mépris de la part de son superviseur. Mme André en a parlé à une responsable des ressources humaines, Mme d’Arc, qui lui a confirmé, tout comme le conseil l’avait fait, qu’elle avait le droit d’avoir accès à l’internet.

[73] Les événements avec le routeur ont eu des impacts importants pour la plaignante, qui n’en pouvait plus. Mme André a témoigné avoir perdu connaissance en entrant chez elle à la suite des agissements de son superviseur. Elle a expliqué s’être rendue chez elle, sans se souvenir de quelle façon elle s’y était rendue. Elle est tombée par terre et voyait tout en noir. Elle a pu reprendre ses esprits et s’asseoir, tout en ne comprenant pas ce qu’il se passait.

[74] Mme André a témoigné avoir beaucoup pleuré à la suite de ces événements et a contacté son amie Martine Gagnon le 28 mars 2017 alors que cette dernière était à Rouyn-Noranda (Québec). Mme André lui a mentionné qu’elle voulait tout lâcher et qu’elle n’en pouvait plus de son travail en raison des agissements de M. Pilot. Mme Gagnon lui a alors suggéré d’aller voir un médecin et un psychologue afin de l’aider.

[75] Mme André a témoigné qu’elle s’est adressée à différentes reprises au conseil de la Nation, au chef et aux conseillers, afin de les informer des difficultés qu’elle vivait avec M. Pilot. Elle a sollicité le conseil quant à son problème d’horaire et l’installation de l’internet, entre autres choses. Le Tribunal précise que Mme André s’est aussi confiée à un conseiller de la Nation, M. Paco Vachon, qui habitait tout en face de la salle de conditionnement. M. Vachon lui disait alors d’oublier M. Pilot, sans que d’autres actions soient prises.

[76] Elle s’est aussi adressée à M. Noël André, qui est son frère, mais aussi un conseiller du conseil de bande de la Nation, afin de lui parler de la situation. M. André lui a conseillé d’aller en parler au conseil. Mme André a exprimé comprendre que son frère se trouvait dans une situation délicate, comme il était un conseiller, mais aussi son frère.

[77] La preuve ne démontre pas que la Nation soit intervenue de quelconque manière auprès de M. Pilot. Pourtant, Mme André s’est plainte à plusieurs reprises pour différents événements et M. Vachon, un conseiller, a reçu les confidences la plaignante.

[78] Mme André a finalement réussi à prendre contact avec sa psychologue, Mme Descent, directement chez elle, alors qu’elle n’était pas dans la communauté. Mme Descent lui a conseillé de ne prendre aucune décision hâtive et d’aller consulter la psychologue sur place, Mme Riverin, le temps qu’elle revienne travailler dans la communauté.

[79] Mme André a aussi consulté un médecin et c’est lui qui l’a mise en congé de maladie à partir du 4 avril 2017. Mme André est demeurée en congé de maladie plusieurs mois pendant lesquels elle a continué à rencontrer les différents médecins présents dans la communauté soit les Drs Foster, Larochelle et Lafontaine ainsi que les psychologues, Mmes Riverin et Descent.

[80] La plaignante a fait une demande à son assureur, la SSQ Groupe financier, afin de bénéficier de l’assurance-salaire alors qu’elle était en congé maladie, ce qui lui a été accordé. L’assurance-salaire lui a été octroyée pendant plusieurs mois, ce qui lui a permis d’avoir un revenu malgré tout.

[81] Cela étant dit, entre juin et juillet 2017, Mme André a témoigné avoir été avertie par son assureur qu’elle devait plutôt appliquer à la CNESST puisque son absence au travail était, selon lui, due à un accident de travail ou une lésion professionnelle. C’est alors que Mme André, avec le support de la Dr Larochelle, a rempli les formulaires lui permettant de faire une demande à la CNESST. La CNESST a rejeté sa demande, décision que Mme André a contestée devant le Tribunal administratif du travail.

[82] Ultimement, le juge administratif Daniel Louis a rendu un jugement, daté du 21 janvier 2019 (numéro de dossier 651223-09-1711), et qui a été déposé dans le dossier du Tribunal. Il donne raison à Mme André et infirme la décision de la CNESST. M. Louis déclare que la plaignante a effectivement subi une lésion professionnelle en date du 4 avril 2017 et qu’elle a donc droit à une compensation. Mme André recevra donc rétroactivement les sommes auxquelles elle avait droit.

[83] Cela dit, Mme André a expliqué que durant l’été 2017, alors que son assureur et la CNESST se renvoyaient la balle quant à savoir qui devait payer pour son absence au travail, elle s’est retrouvée dans une situation financière précaire. Comme son assureur avait mis fin à ses prestations en la référant à la CNESST qui, elle, a rejeté sa demande initiale, Mme André s’est retrouvée sans revenu.

[84] Elle s’est alors tournée vers la Nation, son employeur, au mois d’août 2017, en lui demandant une aide, un support financier, afin de passer à travers ces moments difficiles. Alors qu’elle était toujours absente du travail, la plaignante a reçu certaines informations que la Nation voulait abolir son poste de monitrice à la salle de conditionnement. Elle a expliqué que l’annonce de son employeur quant à l’abolition de son poste l’a fâchée alors qu’elle allait plutôt lui demander de l’aide financière.

[85] Mme André a poursuivi dans cette veine et a témoigné qu’elle allait au conseil de bande très régulièrement afin de s’enquérir de la situation. Néanmoins, Mme André s’est butée à de l’information contradictoire de la part de l’intimée, tantôt se faisant dire que son poste n’était pas aboli, tantôt se faisant confirmer que son poste allait effectivement être aboli.

[86] Cette confusion a affecté Mme André puisqu’elle sentait qu’elle devait se battre pour avoir ce qui lui était dû. Elle savait que si son poste était aboli, non seulement recevrait-elle une compensation pour la cessation de son emploi, mais elle pourrait également réclamer de l’assurance-emploi. Le Tribunal rappelle que Mme André était en difficulté financière et qu’afin de subvenir à ses besoins, elle a même dû retirer des montants dans ses épargnes de retraite.

[87] La preuve révèle aussi que la Nation a pris un certain temps afin de prendre une décision définitive. Mme André attribue ce délai au fait que la Nation avait l’intention d’adopter une nouvelle politique traitant de la cessation d’emploi et des compensations à verser. Selon cette future politique, elle aurait reçu moins d’argent que dans la politique qui était alors en vigueur.

[88] Mme André, qui souffrait toujours de problème de santé mentale et qui était toujours en congé maladie, a expliqué qu’ultimement, elle s’est rendue au conseil de la Nation et, pour reprendre ses mots, elle leur « a fait une crise ». Elle a témoigné vouloir que tout cela s’arrête et qu’elle ne pouvait plus gérer la situation d’incertitude dans laquelle elle se trouvait. Elle voulait que la Nation prenne une décision, quitte à ce que son poste soit aboli, afin qu’elle puisse passer à autre chose. Après cet événement, le chef de la Nation à cette époque, M. Ambroise, s’est rendu chez les parents de Mme André afin de les informer de la situation et des agissements de leur fille.

[89] Mme André a affirmé que puisque ses parents sont des aînés et « qu’ils sont sa vie », pour reprendre ses mots, elle ne voulait pas les impliquer dans ses difficultés avec son employeur ni les informer de ses problèmes de santé. Elle ne voulait pas les blesser ni les rendre inquiets. Toutefois, M. Ambroise a rencontré ses parents pour leur expliquer la situation, sans en informer la plaignante.

[90] Le père de Mme André l’a contactée, lui affirmant être au courant qu’elle était allée « crier » au conseil. Il l’a informée que le chef avait confirmé que son poste n’était pas aboli, ce qui contredisait ce que des agents de la Nation lui avaient dit auparavant.

[91] Le lendemain, la plaignante s’est rendue aux bureaux du conseil afin de rencontrer M. Ambroise. Elle a insisté pour le rencontrer et ce dernier lui a demandé de sortir de son bureau. Elle lui a alors demandé pourquoi il avait rencontré ses parents et pourquoi il leur avait alors dit que son poste n’était pas aboli, ce qui contredisait les autres informations qu’elle avait reçues. Le chef a insisté pour qu’elle quitte son bureau, lui disant qu’elle avait « une tête dure » et que ses problèmes financiers n’étaient pas son problème.

[92] Malgré les propos du chef et les informations contradictoires de la Nation, Mme André a reçu le 29 septembre 2017 une lettre d’abolition de son poste de monitrice. Par le fait même, il s’agissait d’une cessation d’emploi. Mme André avait donc droit de recevoir une compensation pour la cessation de son emploi, ce qui lui causa d’autres difficultés. En effet, elle a expliqué que les différents employés responsables de lui fournir ses relevés de cessation d’emploi et les montants dus ont commis plusieurs erreurs. Mme André a dû se rendre au bureau du conseil à plusieurs reprises afin de faire corriger les différentes erreurs commises par l’administration. Éventuellement, une employée l’a menacée d’appeler la police si elle ne quittait pas son bureau alors que Mme André voulait simplement que ses relevés d’emploi soient corrigés.

[93] La plaignante, qui vit toujours des difficultés en lien avec sa santé mentale, a expliqué avoir trouvé ces moments particulièrement difficiles. Le Tribunal comprend que malgré l’abolition de son poste, ce qui aurait pu permettre à Mme André de clore cette étape de sa vie, elle s’est encore butée à des difficultés avec son ancien employeur.

[94] Mme André a tout de même pu bénéficier de l’assurance-emploi lorsque son poste fut aboli. Toutefois, les multiples erreurs qui ont été commises par l’administration de la Nation ont eu des répercussions collatérales puisque les sommes qui lui ont été versées par Emploi et Développement social Canada n’étaient pas exactes. La plaignante a donc cumulé un trop-perçu, ce qu’elle a dû rembourser ensuite.

(ii) Le harcèlement (alinéa 14(1)(c) de la LCDP)

[95] Cela étant précisé, le Tribunal est effectivement d’avis que la preuve appuie les prétentions de Mme André, en ce qu’elle a subi du harcèlement de la part de M. Pilot, son superviseur et que selon la prépondérance des probabilités, le sexe de Mme André fut un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Bombardier, au paragraphe 48).

[96] Dans Nielsen, aux paragraphes 115 à 120, le Tribunal a résumé les principaux éléments à considérer afin de déterminer s’il y a harcèlement au sens de la LCDP :

[115] L’alinéa 14 (1)(c) LCDP prévoit qu’est discriminatoire le fait d’harceler quelqu’un en matière d’emploi en se fondant sur un motif de distinction illicite.

[116] Le harcèlement n’est pas défini dans la LCDP. Cela dit, la jurisprudence du Tribunal apporte un éclairage utile et pertinent sur ce que constitue le harcèlement en matière d’emploi, qui est généralement défini comme une conduite non sollicitée ou importune, liée à un motif de distinction illicite et qui a des conséquences néfastes sur la victime en matière d’emploi (voir par exemple Alizadeh-Ebadi c. Manitoba Telecom Services Inc. [Alizadeh], 2017 TCDP 36, au par. 163 ainsi que Morin c. Canada (Procureur général) [Morin], 2005 TCDP 41, au par. 246).

[117] Le Tribunal a souvent écrit que le harcèlement réside essentiellement dans la création d’un climat de travail hostile qui porte atteinte à la dignité personnelle du plaignant (voir entre autres Alizadeh, précité, au par. 163, Dawson c. Société canadienne des postes, 2008 TCDP 41; Chopra c. Santé Canada, 2008 TCDP 39 ; Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9).

[118] Je nuancerais en précisant qu’à mon avis, en matière de harcèlement, la création d’un climat hostile n’est pas toujours un prérequis dans la mesure où, par exemple, dans Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro) [Duverger], 2019 TCDP 8, il fut déterminé que le harcèlement post-emploi était aussi protégé par la LCDP.

[119] Ainsi, l’élément important est plutôt celui de l’existence d’un lien suffisant avec le contexte d’emploi (voir Duverger, précité, aux par. 108 et suivants. Voir également British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2007 CSC 62, aux par. 37, 38 et 40).

[120] Cela étant précisé, je rappelle qu’une plaisanterie vulgaire, grossière ou de mauvais goût, à elle seule, ne constituera généralement pas du harcèlement. Il doit exister une forme de persistance ou de répétition dans la conduite reprochée (Alizadeh, précité, au par. 163 et Morin, précité, au par. 246). Néanmoins, un seul incident sérieux ou grave peut être suffisant (voir par exemple Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, aux par. 19 à 22 ; Alizadeh, précité, au par. 163 ; Morin, précité, au par. 246).).

[97] Dans le cas de Mme André, la preuve présentée établit que les actions et les attitudes de M. Pilot constituent une conduite inacceptable dans un environnement de travail. Mme André n’a pas sollicité cette conduite et il est on ne peut plus clair que cela a eu pour effet de créer un climat de travail toxique. Rapidement, cet environnement de travail malsain a mené à la détérioration de son état de santé mentale et, ultimement, à son absence du travail pour cause de maladie.

[98] Les actions et les attitudes de M. Pilot étaient disproportionnées et ne semblaient être fondées sur aucune justification ni aucun besoin lié à son travail en tant que superviseur. Il s’est mis en situation d’autorité absolue, défiant même les décisions de la Nation elle-même, entité de qui il relevait. M. Pilot a utilisé son autorité et ses pouvoirs afin de contrôler Mme André dans toutes les sphères de son emploi : il l’empêchait de réchauffer ses repas, il lui bloquait l’accès à certaines pièces de l’immeuble, il lui interdisait de sortir de l’immeuble, même pendant ses pauses et ses heures de dîner, il haussait le ton et criait contre elle, il frappait sur les bureaux et sur les cadrages de portes, il la dénigrait, la méprisait et la narguait, en contrôlant l’utilisation de l’internet. Bref, il la surveillait de façon complètement démesurée et était en tout point irrespectueux avec elle.

[99] Les événements tels que décrits par Mme André n’étaient pas isolés et se sont déroulés de manière intensive sur une période de trois mois. Lorsque M. Pilot est arrivé, le milieu de travail est rapidement devenu hostile, malsain. Les actions de M. Pilot ont directement porté atteinte à la dignité de Mme André, alors qu’elle n’avait jamais vécu de problèmes sous la supervision de la Nation entre 2010 et 2017. L’intensité était telle que son état de santé mentale s’est détérioré en quelques semaines, menant à son arrêt de travail. Le Tribunal rappelle que les agissements de M. Pilot ont même amené Mme André à avoir des idéations suicidaires, ce qui démontre la gravité de la situation.

[100] Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, la discrimination n’est habituellement pas exercée ouvertement et le Tribunal doit demeurer attentif aux subtiles odeurs de discrimination qui pourraient émaner de la plainte. Le Tribunal doit également évaluer la preuve dans son ensemble et peut tirer des inférences à partir de la preuve circonstancielle qui lui a été présentée (Basi, précité ; Bombardier, au paragraphe 88).

[101] Mme André a décrit M. Pilot comme étant un homme, gros et costaud. La preuve révèle qu’elle avait peur de lui, qu’elle craignait le moment où il se présenterait au travail. Il la regardait avec de « gros yeux », frappait sur son bureau et les cadrages de porte. Il haussait le ton, criait : c’était lui « le boss ». Lorsqu’il quittait la salle de conditionnement, Mme André a expliqué qu’elle pleurait souvent.

[102] La portion de son témoignage quant aux discussions qu’elle a eues avec d’autres femmes de la salle communautaire et qui vivaient les mêmes attitudes et actions inadéquates et déplacées de M. Pilot est importante et déterminante. À cet effet, elle a affirmé être la seule femme à s’être plainte des agissements de M. Pilot alors que d’autres femmes vivaient la même chose.

[103] La preuve appuie alors la conclusion que M. Pilot, un homme, le superviseur des salles de conditionnement et communautaire, avait et voulait avoir le contrôle sur ces femmes et dans notre cas, sur Mme André, sa propre employée. Ainsi, en raison de la preuve circonstancielle présentée au Tribunal, elle lui permet d’inférer, selon la prépondérance des probabilités, que le sexe était l’un des facteurs dans la manifestation de l’effet préjudiciable. La plaignante a donc subi du harcèlement en matière d’emploi, en raison de son sexe, au titre de l’alinéa 14(c) de la LCDP.

(iii) Le traitement défavorable en cours d’emploi (article 7 de la LCDP)

[104] Mme André et la Commission ont plaidé que l’effet préjudiciable subi au titre de l’article 7 de la LCDP, c’est-à-dire relatif à l’emploi, était lié au motif de distinction illicite de la déficience, soit de l’état de santé mentale de la plaignante. Le Tribunal doit donc déterminer si la déficience de Mme André fut un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[105] Quant au traitement défavorable en cours d’emploi qu’aurait subi Mme André par l’intimée (article 7 de la LCDP), le Tribunal est également d’avis que la preuve présentée est prépondérante à cet effet. Effectivement, le Tribunal conclut que Mme André a été traitée défavorablement par son employeur, non seulement pendant son emploi, mais aussi en raison de son congédiement, et que la déficience fut l’un des facteurs ayant mené à la manifestation de ces effets préjudiciables (Bombardier, au paragraphe 48).

[106] D’abord, la preuve révèle que la Nation était au courant que Mme André vivait des difficultés avec son superviseur, puisqu’elle a rencontré le conseil à différentes reprises à ce sujet. Elle a notamment tenté de régler la situation entourant son horaire, mais aussi quant à son accès à l’internet.

[107] Mme André s’est également confiée à M. Vachon, qui était un conseiller siégeant au conseil de la Nation et connaissait les difficultés que Mme André vivait avec son superviseur. Il lui a même mentionné qu’elle devrait oublier M. Pilot.

[108] De plus, Mme André a parlé avec son frère qui, lui aussi, était un conseiller. Lorsque Mme André discutait avec le conseil, M. André devait se retirer des discussions en raison des possibles conflits d’intérêts. Cela appuie les prétentions de la plaignante, qui a expliqué avoir parlé avec le conseil à certaines reprises des difficultés et des obstacles qu’elle vivait avec son superviseur, M. Pilot.

[109] De manière plus importante, la plaignante s’est absentée du travail à partir du 4 avril 2017, pour cause de maladie. Elle a bénéficié de l’assurance-salaire avec son assureur et la Nation était au courant de son absence en raison de sa maladie. Mme André a expliqué que l’intimée recevait les formulaires qui étaient remplis par les différents médecins qui la traitaient. La Nation était alors au courant de l’état de santé de Mme André.

[110] Lorsque Mme André a arrêté de recevoir de l’assurance-salaire durant l’été 2017 et que sa réclamation à la CNESST a été rejetée, elle s’est déplacée régulièrement au conseil afin de comprendre ce qui allait se passer avec son poste de monitrice. Elle voulait également explorer si la Nation pouvait lui donner un support financier considérant son manque de revenus. La confusion causée par l’intimée a exacerbé l’état de Mme André qui « leur a fait une crise », pour reprendre ses mots. Elle voulait que la situation se règle. C’est à ce moment que le chef de la Nation de cette époque, M. Ambroise, a pris la décision de rencontrer les parents de Mme André afin de leur expliquer la situation, et ce, sans en informer la plaignante.

[111] À mon avis, cette crise démontre la détresse psychologique que vivait Mme André alors qu’elle était vulnérable, fragile, sans revenu et confuse, en attente d’une décision de la Nation qui ne venait pas. L’intimée connaissait non seulement l’état de santé mentale de la plaignante en raison des informations qui lui étaient transmises afin de justifier son absence au travail, mais aussi du fait des visites répétées de Mme André aux bureaux de la Nation. Le chef était aussi au courant de la détresse psychologique de la plaignante, tout comme plusieurs autres conseillers, entre autres M. André, son frère, et M. Vachon. Le Tribunal comprend toutefois l’intervention limitée du frère de la plaignante, puisque cela le mettait dans une situation de conflit d’intérêts.

[112] J’ajoute que bien que la Nation ait été au courant de la situation, alors que Mme André s’est déplacée au conseil à plusieurs reprises, entre autres pour leur demander de l’aide notamment quant à l’utilisation de l’internet et son horaire, la preuve révèle que la Nation n’a pris aucune mesure afin de corriger la situation. La plaignante s’est vu imposer des restrictions injustifiables par son superviseur et malgré s’être plainte à différentes reprises à la Nation et que cette dernière était bien au fait de la situation, ou aurait dû l’être, elle n’a pris aucune mesure visant à corriger la situation.

[113] De plus, Mme André, qui était alors en congé de maladie, a dû gérer la confusion liée par l’abolition potentielle de son poste, alors que les agents de la Nation, incluant le chef, lui ont fourni de l’information contradictoire. Elle s’est rapidement retrouvée dans une incertitude financière, alors que son état de santé mentale était toujours précaire, exacerbant sa détresse. Mme André a finalement cédé considérant la situation et « a fait une crise » à son employeur à la fin de l’été 2017. C’est alors que le chef, M. Ambroise, a pris la décision d’aller parler aux parents de Mme André, sans son consentement, au lieu d’aborder la situation avec la principale intéressée.

[114] Tous ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent au Tribunal de déterminer que la plaignante a effectivement subi un traitement défavorable en cours d’emploi au titre du paragraphe 7(a) de la LCDP.

[115] De manière encore plus claire, la Nation a remis à Mme André la lettre confirmant l’abolition de son poste le 29 septembre 2017. Pourtant, la preuve révèle que la salle de conditionnement physique est demeurée ouverte pendant le congé de maladie de Mme André et même après l’abolition de son poste. Cela a été confirmé par le témoignage de Mme André et de M. Rodrigue. Mme André a également affirmé que les membres de sa famille lui ont confirmé que la salle était demeurée ouverte alors qu’elle avait perdu son emploi.

[116] En conséquence, la preuve circonstancielle permet au Tribunal d’inférer que l’abolition du poste de Mme André n’était en fait qu’un prétexte pour mettre fin à son emploi, alors qu’elle était en congé de maladie et que l’intimée connaissait son état de santé mentale. Au lieu de gérer la situation, la Nation a prétendu à une abolition de poste.

[117] À défaut d’une preuve prépondérante contraire, le Tribunal doit conclure que la déficience de Mme André fut l’un des facteurs dans la manifestation de l’effet préjudiciable qu’elle a subi, c’est-à-dire la décision de la Nation de mettre fin à son emploi en abolissant son poste, au titre du paragraphe 7(b) de la LCDP.

VI. Défense de la Nation et présomption (articles 15 et 65 de la LCDP)

[118] Maintenant, comme le Tribunal a déclaré que Mme André a subi du harcèlement en matière d’emploi et a subi un traitement défavorable en cours d’emploi, l’intimée aurait eu la possibilité de présenter une défense prévue à la LCDP.

[119] Comme la Nation n’a pas participé à l’audience, elle n’a fourni aucune preuve permettant au Tribunal d’établir que le harcèlement, le traitement défavorable et la cessation d’emploi de Mme André étaient justifiés au sens de l’alinéa 15(1)(a) et du paragraphe 15(2) de la LCDP.

[120] De plus, l’intimée n’a présenté aucune preuve permettant au Tribunal de renverser la présomption de l’article 65 de la LCDP. Le paragraphe 65(1) de la LCDP prévoit que :

Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

[121] Mme André a déposé sa plainte à l’encontre de la Nation. Elle ne vise pas directement M. Pilot, M. Ambroise, ni les autres employés qui ont été impliqués dans les événements menant au dépôt de la plainte.

[122] Cela dit, il est clair pour le Tribunal que tant les fonctions de chef, de superviseur, que celles des autres employés ayant été impliqués dans les différents événements sont couvertes par l’énumération « employé, mandataire, administrateur ou dirigeant » de l’article 65 de la LCDP. Il tombe sous le sens qu’il s’agisse là de fonctions rémunérées, où le travail est nécessairement fait au bénéfice, et comme représentants, employés, mandataires ou dirigeants de la Nation (voir Nielsen, aux paragraphes 126 à 132).

[123] La présomption du paragraphe 65(1) de la LCDP s’applique donc n’ayant pas été renversée par l’intimée (paragraphe 65(2) de la LCDP) et la Nation est donc responsable pour les agissements des personnes impliquées dans les événements menant à cette plainte, ce qui inclut le harcèlement de M. Pilot.

VII. Réparations

[124] Comme le Tribunal a déterminé que la plainte de Mme André est fondée (paragraphe 53(2) de la LCDP), il lui est donc possible d’ordonner, selon les circonstances, des réparations prévues à la LCDP.

A. Pertes de salaire et dépenses entraînées (alinéa 53(2)(c) de la LCDP)

(i) Pertes de salaires pour 2017, 2018 et 2019

[125] L’alinéa 53(2)(c) de la LCDP prévoit que le Tribunal peut accorder à la victime de discrimination la totalité ou une fraction des pertes de salaires et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

[126] Il faut également préciser que la Cour d’appel fédérale s’est exprimée quant aux pertes subies dans la décision Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 32 [Chopra]. À cet effet, elle rappelait qu’il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et les pertes subies. Et c’est à la partie qui demande les dommages de démontrer et d’établir ce lien (Duverger, au paragraphe 255).

[127] Cela étant précisé, Mme André réclame des pertes salariales de 15 000,00$ par année pour les années 2017, 2018 et 2019, pour un total de 45 000,00$. Elle réclame aussi une somme de 21 486,42$ à son Régime des bénéfices autochtone (RBA) puisque lorsqu’elle s’est retrouvée avec de faibles revenus, elle a dû retirer ces sommes afin de subvenir à ses besoins. Elle soutient que ces sommes n’auraient pas été retirées n'ayant pas subi de discrimination de la part de la Nation.

[128] Enfin, elle réclame une somme de 8 919,00$ pour le remboursement à Emploi et Développement social Canada pour l’assurance-emploi qu’elle a reçue en trop. Mme André a expliqué que si l’intimée et ses agents n'avaient pas commis d'erreurs dans la gestion de ses relevés d’emploi, elle n’aurait pas reçu cet argent de trop et n’aurait pas eu à le rembourser.

[129] La preuve présentée par Mme André établit que lorsqu’elle travaillait pour la Nation comme monitrice à la salle de conditionnement, elle gagnait un salaire de 15,39$ de l’heure, 40 heures par semaine, 52 semaines par année. Le total de ses revenus était donc, selon un calcul simple, de 32 011,20$ par année. Mme André arrive au même montant dans sa feuille de calcul, déposée à l’audience au bénéfice du Tribunal.

[130] La Commission et Mme André n'ont présenté aucune preuve au Tribunal lui permettant d’établir que des sommes additionnelles étaient reçues par la plaignante lorsqu’elle travaillait à la salle de conditionnement physique outre son salaire comme établi précédemment. La preuve ne me permet pas d’établir non plus la valeur des avantages sociaux que Mme André recevait ou si elle faisait des heures supplémentaires sur une base récurrente. Outre pour les années 2017, 2018 et 2019, les parties ne m’ont pas présenté de preuve afin d’établir le salaire que Mme André faisait dans les années précédant sa perte d’emploi.

[131] En conséquence, le Tribunal conclut que le salaire annuel établi de Mme André est de 32 011,20$ et ce sera à partir de ce salaire que le Tribunal établira si des pertes de revenus ont été engendrées en raison des actes discriminatoires.

[132] Mme André a déposé certains documents concernant ses revenus pour les années 2017, 2018 et 2019. Ces documents sont, entre autres, les relevés et états de rémunération des gouvernements du Canada et du Québec pour 2017, 2018, 2019, un relevé de compte ainsi qu’une lettre d’Emploi et Développement social Canada, une feuille de calculs sommaires des dommages créée par Mme André elle-même ainsi que des états de prestations d’assurance-emploi.

[133] La preuve révèle que le salaire de la plaignante, en 2017, s’est élevé à 32 505,74$. La preuve fournie par Mme André ne permet pas d’établir les sources de ses revenus ni les sommes qu’elle aurait pu recevoir via l’assurance-salaire ou l’assurance-emploi.

[134] En 2018, ses revenus se sont élevés à 24 706,30$ en rémunération et à 6 442,00$ en prestations d’assurance-emploi, pour un total de 31 148,30$. Mme André a expliqué avoir travaillé comme aide-ménagère chez ses parents, recevant alors certains salaires.

[135] Toujours en 2018, Mme André a aussi retiré des sommes de son RBA, qui est en fait l’équivalent d’un Régime enregistré d’épargne-retraite. Le montant retiré s’élève à 21 552,14$.

[136] En 2019, Mme André a reçu 6 450,00$ en prestation d’assurance-emploi, 2 028,00$ en rémunération et 39 631,71$ en indemnités pour accident de travail. Cette somme a été versée à la suite de la décision du Tribunal administratif du travail qui a ordonné le versement d’indemnités rétroactives à la date de l’accident du travail soit le 4 avril 2017. La somme totale de ses revenus pour 2019 s’élevait donc à 48 109,71$.

[137] Mme André a aussi expliqué qu’en raison des sommes reçues de la CNESST, ces sommes étant rétroactives à avril 2017, elle a dû rembourser certaines sommes reçues à l’assurance-emploi.

[138] Toutefois, la preuve qui m’a été présentée n’établit pas clairement quel est le montant exact qui a été remboursé par la plaignante en lien direct avec ces indemnités de la CNESST. Elle a présenté en preuve un remboursement de 8 919,00$ à l’assurance-emploi. Selon elle, ce montant a été remboursé en raison des erreurs commises par l’intimée dans ses relevés d’emploi, ce qui a mené à un calcul erroné des prestations auxquelles elle avait droit. Quant aux autres sommes qui auraient été remboursées, aucune preuve précise n’a été présentée à cet effet.

[139] Le Triubunal rappelle que c’est à la partie qui demande des dommages de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, un lien de causalité entre les dommages et l’acte discriminatoire (Chopra, précité). Dans le cas actuel, la preuve de Mme André présente plusieurs lacunes.

[140] Le Tribunal se retrouve dans une situation délicate puisque les documents déposés en preuve par les parties sont limités. Il faut rappeler que Mme André réclame un montant de 45 000,00$ en pertes de salaires. Par exemple, il est difficile pour le Tribunal d’établir précisément ce que Mme André a remboursé à l’assurance-emploi, outre la somme de 8 919,00$. Le Tribunal a lui-même posé des questions à Mme André et à Mme Gagnon à cet effet, mais leurs réponses manquaient de précisions et elles ont avoué avoir transmis au Tribunal les informations qu’elles avaient, autant qu'elles sachent.

[141] Le Tribunal doit se baser sur la preuve présentée à l’audience afin de déterminer les dommages qu’il peut accorder à Mme André. En se fondant sur son témoignage et la preuve documentaire qu’elle a déposée, le Tribunal peut cependant tirer certaines conclusions.

[142] D’abord, le salaire annuel de Mme André est établi à 32 011,20$. Selon la preuve déposée, elle a reçu des revenus s’élevant à 32 505,74$ en 2017, 31 148,62$ en 2018 et 48 706,62$ en 2019.

[143] Pour ces trois années, soit 2017, 2018 et 2019, s'il n'y avait pas eu de discrimination et que la plaignante avait alors conservé son emploi, elle aurait reçu une masse salariale s’élevant à 96 033,60$ (32 011,20$ par année, sur trois ans). Comme il a déjà été expliqué, rien dans la preuve ne me permet de conclure que Mme André recevait des sommes ou des salaires supplémentaires. Si le Tribunal calcule la rémunération réelle reçue par Mme André, toutes sources confondues, pour cette période de trois ans, celle-ci s’élève à 112 360,98$.

[144] Cela étant établi, si le Tribunal retranche de cette somme le salaire qu’elle aurait obtenu si elle avait conservé son emploi (112 360,98$ moins 96 033,60$), Mme André a reçu 16 327,38$ de plus que si elle avait continué à travailler comme monitrice.

[145] Maintenant, le Tribunal comprend que Mme André a remboursé des sommes à l’assurance-emploi par exemple, le montant de 8 919,00$ qui aurait été accumulé en raison des erreurs de l’intimée. En enlevant ce 8 919,00$ de remboursement à sa rémunération totale pour les années 2017, 2018 et 2019, Mme André a, dans les faits, reçu une somme de 7 408,38$ de plus que si elle avait conservé son emploi pendant la même période.

[146] Mme André a également témoigné qu’elle aurait remboursé d’autres sommes à l’assurance-emploi, notamment en raison des indemnités reçues de la CNESST rétroactivement. Cela dit, elle n’a pas pu indiquer au Tribunal le montant de ces remboursements et la preuve ne permet pas d’établir le montant de ces remboursements.

[147] À la lumière de ces calculs, le Tribunal n’est malheureusement pas en mesure d’établir comment Mme André peut réclamer des pertes salariales annuelles de 15 000$ pour ces trois années ni le montant des autres remboursements à l’assurance-emploi en raison du montant reçu de la CNESST. Mme André n’a pas accompagné le Tribunal précisément dans son raisonnement et n’a pas su établir le lien de causalité entre les pertes de salaires demandées et la discrimination subie (Chopra, précitée).

[148] Pour ces raisons, le Tribunal ne peut accorder sa demande, faute de preuve prépondérante.

(ii) Pertes de salaires futures

[149] Dans sa plaidoirie, la Commission a demandé au Tribunal d’ordonner une compensation financière pour les pertes de salaires de Mme André, et ce, pour les cinq prochaines années, considérant que la perte de son emploi a été occasionnée par les actes discriminatoires de l’intimée. De plus, la Commission a expliqué que comme le plus grand employeur de la communauté est la Nation elle-même, les chances pour Mme André de retrouver un emploi comme celui de monitrice de la salle de conditionnement sont minces. La Commission demande donc une compensation pour les pertes de salaire futures de Mme André.

[150] Le Tribunal note que cette demande de la Commission n’apparaît nulle part dans l’exposé des précisions de la Commission ni dans celui de Mme André.

[151] Bien que la Commission se soit réservé le droit de demander des réparations supplémentaires en fonction des éléments de preuve qui pourraient être présentés durant l’audience, il demeure tout de même étonnant que cette demande, surtout considérant l’importance du montant, se fasse au moment des plaidoiries. Le Tribunal se questionne à savoir pourquoi ces réparations n’ont pas été envisagées avant l’audience et n’ont pas été incluses dans les exposés des précisions des parties.

[152] Il faut rappeler que le Tribunal a autorisé l’amendement des exposés des précisions notamment afin de permettre à Mme André de préciser et de détailler les réparations personnelles qu’elle recherchait. La Commission a aussi modifié ses réparations afin de les préciser, mais n’a pas jugé nécessaire d’ajouter spécifiquement les dommages pour pertes de salaires futurs. Il faut aussi ajouter que ces amendements, en raison de leur importance et de l’impact sur la plainte, ont été signifiés à la Nation par l’entremise du chef lui-même, Réal McKenzie.

[153] Le Tribunal est tout à fait conscient que la partie intimée n’a pas participé à la procédure ni à l’audience. Mais la demande de la Commission affecte considérablement les réparations recherchées par les parties. Ce genre de demande commande, à mon avis, une grande prudence afin de s’assurer que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale soient respectés pour tous (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817).

[154] Ajouter une réparation d’une telle ampleur, ayant un si grand impact, à l’étape des plaidoiries, et ce, sans que l’intimée ait eu l’opportunité d’en prendre connaissance, pose de sérieuses inquiétudes relativement à l’équité de la procédure et au respect des principes de justice naturelle. Il faut également ajouter que Mme André n’a pas demandé ce genre de réparations, que ce soit dans son exposé des précisions ou à l’audience.

[155] Ces raisons suffisent afin de rejeter la demande.

[156] Cela dit, le Tribunal doit garder en tête que lorsqu’il tranche les demandes de réparations en vertu de la LCDP, l’objectif est de remettre la personne lésée dans la situation où elle aurait été en l'absence du préjudice subi (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2000 CanLII 16811 (CAF), [2001] 1 CF 495, aux paragraphes 120 et 121; Willcott, au paragraphe 277 à 282; Neilsen, au paragraphe 188).

[157] Autrement dit, les dommages octroyés doivent remettre la personne dans l’état où elle aurait été, n’eût été la discrimination ou le tort causé (Brooks c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2005 TCDP 14, au paragraphe 10; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2005 TCDP 39, aux paragraphe 933 et 934 [Alliance]; Canada (Attorney General) v. Morgan (C.A.), 1991 CanLII 8221 (FCA), au paragraphe 19 [Morgan]). S’éloigner de ce concept pourrait entraîner, corolairement, un enrichissement ou un appauvrissement injustifié ou sans cause (Alliance, au paragraphe 933).

[158] Dans les circonstances actuelles, la preuve révèle que la plaignante continue de recevoir des indemnités de la CNESST pour son accident de travail. À cet effet, elle a confirmé recevoir une somme de 935,63$ à chaque deux semaines. Ainsi, un calcul simple permet d’établir que Mme André reçoit une indemnité annuelle de 24 326,12$. La période durant laquelle elle recevra ces indemnités est inconnue puisque la plaignante continue d’être évaluée par ses docteurs périodiquement.

[159] Ni la Commission ni la plaignante n’ont accompagné le Tribunal dans l’analyse des dommages futurs qui pourraient être accordés à Mme André. La preuve et les représentations qui ont été faites afin d’établir les pertes de salaires futures de la plaignante sont quasi inexistantes. Les parties n’ont pas non plus abordé la question de la mitigation des dommages futurs et le Tribunal n’est pas non plus convaincu de l’expectative de retour au travail de Mme André. Il faut aussi ajouter que la preuve établit pourtant que Mme André a travaillé comme aide-ménagère en 2018, bonifiant ainsi ses revenus.

[160] Bien que le Tribunal soit très sensible à la situation de Mme André et des conditions particulières dans lesquelles elle vit, incluant le fait qu’elle vive dans une communauté autochtone nordique où les emplois sont limités et où l’employeur principal est la Nation elle-même, la preuve présentée est lacunaire. Ce qui a été présenté ne permet pas au Tribunal d’établir si effectivement, des dommages pour perte de salaires futurs devraient être accordés, quelles sommes et sur quelle base. C’était le fardeau du demandeur que d’établir ce lien de causalité (Chopra, précité).

[161] En conséquence, le Tribunal ne peut accorder cette demande faute de preuve prépondérante.

(iii) Remboursement du RBA

[162] Mme André demande également comme réparation personnelle le remboursement de son RBA d’un montant de 21 552,14$.

[163] Elle a expliqué au Tribunal qu’après sa cessation d’emploi, elle a dû recourir à l’assurance-emploi afin de pouvoir subvenir à une partie de ses besoins. Néanmoins, les sommes d’assurance-emploi étaient nettement insuffisantes afin de couvrir ses dépenses comme son loyer, l’électricité, sa nourriture et autres. Elle a également précisé que le coût de la vie dans sa communauté est élevé comparativement à ailleurs au Québec.

[164] Mme André a aussi précisé qu’Emploi et Développement social Canada lui a réclamé des sommes pour de l’assurance-emploi versée en trop et qu’elle a dû rembourser cette dette. Le retrait de son RBA aurait servi à rembourser une partie de ces sommes.

[165] Encore une fois, le Tribunal se retrouve dans une situation délicate puisque la preuve présente, encore une fois, plusieurs lacunes.

[166] D’abord, bien que le témoignage de Mme André soit crédible, la seule autre preuve qui appuie le retrait du RBA est un relevé du gouvernement du Québec de 2018 et qui établit le montant du retrait à 21 552,14$.

[167] Cela dit, le Tribunal a aussi déterminé que Mme André avait reçu, en 2018, un revenu de 24 706,30$ en salaire et 6 442,00$ en prestations d’assurance-emploi. Les revenus reçus par Mme André viennent notamment de son salaire alors qu’elle était aide-ménagère. Ainsi, toutes sources de revenus confondues, elle a reçu pour 2018 une somme totale 31 148,30$, ce qui est, selon la preuve, très près de son salaire annuel de 32 011,20$ alors qu’elle était monitrice au centre de conditionnement.

[168] Mme André a expliqué avoir dû rembourser des sommes à l’assurance-emploi en 2018 et que le RBA a notamment servi à cette fin. Toutefois, le Tribunal n’a pas reçu en preuve les montants qui auraient été remboursés précisément en 2018 à l’assurance-emploi, ni quelle proportion du montant de son RBA aurait été utilisée aux fins de ce remboursement. La preuve ne permet pas non plus d’établir si, dans le calcul des revenus de Mme André en 2018, les sommes qu’elle a retirées de son RBA y ont été incluses.

[169] Certains éléments de la preuve présentée par Mme André sont irréconciliables et le Tribunal n’est pas en mesure de se fonder sur la preuve présentée à l’audience afin de tirer des conclusions précises sur le retrait du RBA.

[170] Enfin, le Tribunal accepte le témoignage de Mme André alors qu’elle explique que l’année 2018 a été particulièrement difficile pour elle au niveau financier. Le Tribunal est très sensible à cette situation et celle-ci pourra être prise en considération lors de l’évaluation des dommages moraux et de l’indemnité spéciale, le cas échéant.

[171] Autrement, c’est à la partie qui demande des dommages de démontrer le lien de causalité avec la discrimination subie (Chopra, précité). Faute de preuve prépondérante, le Tribunal ne peut accorder la demande de la plaignante.

B. Dommage pour préjudice moral (alinéa 53(2)(e) de la LCDP)

[172] Mme André réclame le montant maximal de 20 000,00$ pour le préjudice moral découlant du harcèlement de M. Pilot et du traitement défavorable qu’elle a subi en cours d’emploi au titre de l’article 53(2)(e) de la LCDP.

[173] Généralement, le Tribunal a exercé sa discrétion quant aux dommages moraux en réservant le montant maximal de 20 000,00$ prévu à la LCDP aux situations de discrimination qui sont les plus flagrantes, frappantes, voire les pires (Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 4 avril 2002; Duverger, au paragraphe 272). De plus, et comme il l'a été rappelé à plusieurs reprises dans cette décision, la partie demanderesse doit démontrer l’existence d’un lien de causalité entre les dommages réclamés et l’acte discriminatoire (Chopra, précité).

[174] Les dommages moraux visent à compenser la victime, tant que faire se peut, pour les souffrances et les douleurs qu’elle a subies en raison de la discrimination vécue, incluant l’atteinte à sa dignité (Nielsen, au paragraphe 42; Beattie et Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019 TCDP 45 (CanLII), au paragraphe 206 [Beattie et Bangloy]; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39 (CanLII), au paragraphe 223).

[175] Il m’en faut peu pour me convaincre que Mme André a subi un préjudice moral en raison de la discrimination qu’elle a subie.

[176] En raison du harcèlement vécu sous la supervision de M. Pilot, de l’inaction de la Nation et du traitement défavorable qu’elle a vécu, Mme André a développé d’importants problèmes de santé mentale qui l’affectent tous les jours de sa vie.

[177] Les différents documents médicaux déposés en preuve ainsi que les rapports des psychologues de la plaignante détaillent précisément ces impacts et les effets sur sa vie. Mme André a d’abord été diagnostiquée avec un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive et anxiété généralisée et plus tard, avec un syndrome de stress post-traumatique.

[178] Le Tribunal réitère les nombreux symptômes de Mme André : détresse, tristesse, fatigue récurrente, perte d’appétit, difficulté d’attention et de concentration, insécurité, dévalorisation et dépréciation personnelle, insomnie, réveils nocturnes, tremblements, perte d’espoir, perte d’intérêts et même, idéations suicidaires.

[179] Au moment de l’audience, le Tribunal a aussi pu constater les impacts du harcèlement et de la discrimination vécue par Mme André. Elle avait parfois de la difficulté à se concentrer, elle perdait parfois son centre d'attention et elle avait aussi des baisses d’énergie. De plus, Mme André a témoigné avec sincérité et émotions à l’audience. Quand elle a raconté son histoire, les événements entourant sa plainte, les larmes ont parfois été abondantes, à un point où elle a dû demander de prendre des pauses afin de se ressaisir.

[180] Mme André a expliqué que même les gens autour d’elle, sa famille, lui disent qu’ils ne la reconnaissent plus, qu’elle n’est plus qui elle était avant les événements. Elle-même ne se reconnaît plus. Elle a expliqué au Tribunal qu’elle aimerait redevenir comme avant, avant que ces événements ne surviennent.

[181] Le Tribunal a aussi entendu une femme découragée, triste, mais aussi en colère, alors qu’elle a demandé de l’aide, qu’elle a demandé du support à la Nation, mais que rien ne s’est passé.

[182] Elle ne comprend pas non plus pourquoi la Nation a pris autant de temps à abolir son poste alors qu’elle était en difficulté financière. Elle a lancé un cri d’aide au conseil en août 2017. Une fois l’abolition de son poste confirmée, ses problèmes n’étaient pas réglés puisqu’elle a dû gérer les erreurs commises par la Nation dans ses relevés d’emploi. Elle a dû gérer cette situation alors qu’elle avait besoin de prendre soin d’elle-même.

[183] Mme André s’est également trouvée dans une situation financière précaire, difficile, alors que son assureur a mis fin à ses prestations d’assurance-salaire et que la CNESST a initialement refusé sa demande d’indemnités pour accident du travail. Mme André a dû attendre jusqu’en janvier 2019 afin que cette situation soit réglée. Entre temps, le stress financier s’ajoutait au fait qu’elle avait déjà de la difficulté à reprendre le contrôle de sa vie.

[184] De plus, Mme André a témoigné à propos des frustrations ressenties lorsque le chef de la Nation a rencontré ses parents afin de les informer de la situation et de son état. Mme André y a vu une atteinte à sa vie privée, alors qu’elle s’est toujours assurée de garder ses parents en dehors de ses problèmes personnels. Lorsque la plaignante parle de ses parents et de l’intervention du chef, elle pleure beaucoup. Le Tribunal ressent tout le respect de Mme André envers ses parents, qui sont des ainés, des anciens de la communauté.

[185] La détresse et le désarroi de Mme André sont palpables et corroborés tant par la preuve documentaire exhaustive présentée à cet effet, que le contenu de son témoignage durant l’audience.

[186] Les actions de M. Pilot ont anéanti Mme André et lui ont causé des problèmes de santé mentale majeurs, ce qui a aussi été déterminé par le jugement administratif de M. Louis du Tribunal administratif du travail. L’inaction de l’intimé et le traitement défavorable, incluant la cessation d’emploi de la plaignante, sont venus s’ajouter au harcèlement subi et n’ont en rien aidé à l’amélioration son état de santé.

[187] Le préjudice moral est clair pour le Tribunal et il n’en faut pas plus pour le convaincre de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice moral de Mme André et les actes discriminatoires (Chopra, précité).

[188] Considérant la gravité des événements et les impacts importants sur la santé mentale de Mme André qui, encore à la date de l’audience, subit les conséquences du harcèlement et de la discrimination, une somme de 17 000$ est amplement justifiée dans les circonstances (alinéa 53(2)(e) de la LCDP).

C. Indemnité spéciale (paragraphe 52(3) de la LCDP)

[189] Quant à l’indemnité spéciale, Mme André demande le montant maximal de 20 000,00$ pour actes inconsidérés ou délibérés, au titre de l’article 52(3) de la LCDP.

[190] Dans Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29 (CanLII), au paragraphe 192, le Tribunal écrivait :

[l]a LCDP et dautres lois antidiscriminatoires sur les droits de la personne visent à « rétablir un plaignant dans sa situation antérieure », à mettre cette personne dans une position dans laquelle elle aurait été si elle navait pas été victime de discrimination. La LCDP est une loi réparatrice. Elle vise à compenser, non pas à punir un intimé. Cela dit, les facteurs aggravants (par opposition aux facteurs punitifs) et atténuants sont pertinents le moment venu daccorder une indemnité. La réparation doit être raisonnable et avoir un lien de causalité avec lacte discriminatoire dont a constaté l’existence.

[191] De plus, dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14 (CanLII), les membres Sophie Marchildon, Réjean Bélanger et Edwards P. Lustig écrivaient au paragraphe 21 :

[l]a Cour fédérale a considéré que ce paragraphe est une « […] disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires » (Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113 (CanLII), au paragraphe 155, décision confirmée par 2014 CAF 110 (CanLII) [Johnstone CF]). Une conclusion d’agissement délibéré exige que « […] l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels » (Johnstone CF, au paragraphe 155). L’acte inconsidéré est « […] celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante » (Johnstone CF, au paragraphe 155.)

[192] Ce raisonnement a aussi été repris dans les décisions Duverger, au paragraphe 293, Beattie et Bangloy, au paragraphe 209; Willcott, au paragraphe 231. Il faut ajouter que lorsque le Tribunal traite de l’adjudication d’une indemnité spéciale, il analyse les actes de la partie intimée et non ses effets sur la victime (Beatti et Bangloy, au paragraphe 210).

[193] Dans le cas en l’espèce, le Tribunal considère que Mme André a effectivement droit à une indemnité spéciale en raison des actes non seulement intentionnels de la part de M. Pilot, mais aussi des actes inconsidérés de la Nation.

[194] La preuve révèle que M. Pilot avait l’intention de créer chez Mme André une réaction. Non seulement la preuve révèle qu’il voulait avoir le contrôle de la situation et le contrôle sur son employée, Mme André, mais il avait également l’intention de la narguer, de l’irriter, de l’agacer.

[195] Par exemple, M. Pilot a tenté de modifier l’horaire de Mme André sans lui en parler, ce qui a nécessité l’intervention de la Nation qui, elle, était en désaccord avec les décisions de M. Pilot. Malgré cela, M. Pilot n’en a fait qu’à sa tête et a tout de même modifié l’horaire de la plaignante. Mme André a qualifié l’horaire « d’impossible », considérant les heures de travail et elle savait que son superviseur voulait simplement la narguer.

[196] M. Pilot a usé à plusieurs reprises d’un ton autoritaire, en criant, frappant sur son bureau ou dans les cadrages de portes. Il a interdit à Mme André d’avoir accès à l’internet et lorsque celle-ci s’est plainte de la situation à la Nation, cette dernière a confirmé qu’elle avait le droit d’y accéder pour son travail. C’est alors que M. Pilot a changé de tactique en emportant avec lui le routeur appartenant à la Nation, empêchant l’internet d’être distribué dans l’immeuble. Quand il avait le routeur dans ses mains et passait près de la plaignante, il la regardait, lui montrait le routeur, souriait et riait.

[197] Tous ces éléments militent en faveur de la conclusion que les gestes que M. Pilot posait étaient définitivement délibérés. Cela permet ainsi au Tribunal d’ordonner une indemnité spéciale.

[198] Au surplus, le Tribunal estime que la Nation, l’employeur de Mme André, a aussi commis des actes inconsidérés. En effet, la preuve révèle que la Nation savait, ou aurait dû savoir que la situation s’envenimait entre son employée et le nouveau superviseur.

[199] Non seulement Mme André s’est-elle présentée à plusieurs reprises au conseil afin de discuter des différents événements, incluant la modification de son horaire de travail et l’accès à l’internet, mais elle s’est également confiée à deux conseillers de la Nation sur les problèmes qu’elle vivait et sur sa détresse psychologique. Pourtant, aucun représentant de la Nation n’a demandé à rencontrer Mme André afin d’en apprendre plus, afin de discuter de la situation. La preuve ne révèle pas non plus que M. Pilot aurait été rencontré afin de corriger la situation. Au contraire, les agissements de M. Pilot se sont intensifiés, menant ultimement au départ de la plaignante en congé de maladie.

[200] Il est étonnant que l’intimée n’ait rien fait et n’ait pas estimé nécessaire de discuter avec Mme André afin de comprendre ce qui était en train de se tramer dans l’environnement de travail. Le Tribunal, en se fondant sur la preuve qui lui a été présentée, estime qu’il y a eu de l’aveuglement de la part du conseil, de ses conseillers et de la Nation.

[201] De plus, lorsque Mme André est tombée en congé de maladie en avril 2017, soit à peine trois mois après l’entrée en fonction de M. Pilot, il est encore plus surprenant que la Nation n’ait pas jugé nécessaire de comprendre, encore une fois, ce qui se tramait dans l’environnement de travail.

[202] Les rapports des docteurs, qui ont été distribués à la Nation ainsi qu’à l’assureur de Mme André et qui visaient à justifier son absence au travail, étaient on ne peut plus clairs. Non seulement ces documents énonçaient-ils de façon évidente les problèmes de santé de la plaignante, mais certains rapports des docteurs détaillaient spécifiquement les causes associées à ses problèmes de santé mentale.

[203] Par exemple, dans le rapport médical du Dr Lafortune préparé le 9 mai 2017, soit à peine un mois après le début du congé de maladie de Mme André, il est écrit que les stresseurs psychosociaux sont associés au « harcèlement psychologique au travail ». Dr Lafortune a aussi écrit qu’il y avait un « stress intense avec employeur » et que cela pouvait avoir un impact sur un possible retour au travail.

[204] Le Tribunal considère que l’intimée a fait preuve d’aveuglement et n’a pas pris au sérieux la situation de Mme André.

[205] De plus, lorsque Mme André a rencontré la Nation au fil de l’été 2017, sa détresse n’est pas entendue. Plutôt, la preuve révèle que la Nation a préféré lui annoncer que son poste de monitrice allait être aboli. S’en est suivi une situation de confusion totale pour Mme André, par les hésitations de la Nation, qui à un moment lui disait que son poste était aboli, et à un autre, qu’il n’en était rien. La Nation a même ajouté à la confusion de Mme André en lui disant qu’elle attendait l’entrée en vigueur d’une nouvelle politique avant de mettre fin à son emploi, puisque celle-ci allait affecter les indemnités auxquelles elle aurait droit. Selon le témoignage de la plaignante, ces indemnités allaient être réduites dans la nouvelle politique. Elle a alors expliqué croire que la Nation attendait la mise en place de cette nouvelle politique pour réduire son indemnité de départ.

[206] Finalement, le Tribunal considère que lorsque le chef, M. Ambroise, de son propre chef, a pris la décision d’aller rencontrer les parents de Mme André afin de les informer de la situation alors que Mme André avait toujours été soucieuse de sa vie privée, il s’agit d’un autre geste inconsidéré de la part de l’intimée.

[207] Il est, encore une fois, étonnant que le chef de la Nation n’ait pas jugé nécessaire de rencontrer Mme André afin de comprendre la situation. La preuve révèle qu’il a pourtant été témoin du désespoir, de la détresse de Mme André, puisque cette dernière se déplaçait régulièrement au conseil afin de faire avancer son dossier et qui, selon ses propres dires, a fait « une crise » pour que la situation se règle. C’est après cette crise que M. Ambroise s’est déplacé chez les parents de Mme André, et ce, même s’il n’a jamais cru nécessaire de rencontrer la principale intéressée.

[208] Il n’en faut pas plus pour convaincre le Tribunal que la Nation a agi avec inconsidération dans le traitement défavorable de Mme André.

[209] Considérant que la Nation est présumée responsable des actes intentionnels commis par son superviseur, M. Pilot (paragraphe 65(1) de la LCDP) et qu’elle est aussi responsable pour les actes inconsidérés commis par le chef et le conseil, le Tribunal conclut qu’une somme de 15 000$ en tant qu’indemnité spéciale est amplement justifiée dans les circonstances (paragraphe 52(3) de la LCDP).

D. Intérêts (paragraphe 53(4) de la LCDP)

[210] Mme André a demandé au Tribunal d’accorder des intérêts sur les dommages octroyés, au titre du paragraphe 53(4) de la LCDP.

[211] Dans Willcott, aux paragraphes 278 à 282, le Tribunal écrivait ce qui suit au sujet des intérêts qu’il peut octroyer :

[278] Les intérêts constituent un élément du processus d’indemnisation. L’objectif de l’adjudication des dommages vise à remettre la personne lésée dans la situation où elle aurait été, s’il n’y avait pas eu question du préjudice subi (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. [Apotex], [2001] 1 CF 495, aux par. 120 et 121).

[279] De plus, les intérêts :

[...] sur l’indemnité ont comme objectifs, entre autres, d’empêcher la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire de tirer profit des délais qui sont engendrés par le processus quasi judiciaire et surtout, de compenser équitablement la victime de l’acte discriminatoire pour le préjudice qu’elle a subi et par le fait même, du retard à être indemnisée.

(Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18, au par. 318. La même idée est exprimée dans Apotex, précité, au par. 122).

[280] Le membre instructeur jouit d’une discrétion afin d’accorder des intérêts sur les dommages et les sommes accordées (voir Brunskill, précité, au par. 168). Le paragraphe 53(4) LCDP se lie comme suite :

Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

[Je mets l’emphase]

[281] Le Tribunal s’est aussi doté de règles en matière de calcul des intérêts sur les dommages. À cet effet, la règle 9(12) des Règles de procédure (03-05-04) prévoit que :

9(12) À moins d’ordonnance contraire de la part du membre instructeur, tous les intérêts accordés conformément au paragraphe 53(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent

a) être calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle);

b) courir de la date où l’acte discriminatoire s’est produit jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

[282] La conjonction du paragraphe 53(4) LCDP et de la règle 9(12) des Règles de procédure informent clairement les parties que lorsqu’elles procèdent devant le Tribunal, le membre instructeur a la discrétion pour ordonner des intérêts sur les indemnités. Elles sont également au courant de la manière dont il pourra calculer les intérêts et à compter de quelle date les intérêts courront, c’est-à-dire à la date où l’acte discriminatoire s’est produit, et ce, jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

[212] À mon avis, il est opportun pour le Tribunal d’octroyer des intérêts dans les circonstances afin de remettre Mme André, dans la mesure du possible, dans l’état où elle aurait été en l'absence des actes discriminatoires commis par la Nation.

[213] Ni Mme André ni la Commission n’ont précisé la date à partir de laquelle elles demandent l’adjudication des intérêts. Le Tribunal a la discrétion nécessaire afin d’établir cette date, selon les circonstances de l’affaire.

[214] Le juge administratif M. Louis a déterminé que l’accident de travail de Mme André est survenu le 4 avril 2017. Cela concorde effectivement avec la preuve présentée au Tribunal. Il s’agit en fait de la date à laquelle Mme André s’est absentée du travail pour des raisons de maladie. Il s’agit du point culminant de tous les événements qui sont survenus en raison du harcèlement subi aux mains de M. Pilot. De plus, le Tribunal a déjà déterminé que la Nation savait ou aurait dû savoir que quelque chose se tramait et que l’environnement de travail était malsain et toxique. Lorsque Mme André a quitté en congé de maladie le 4 avril 2017, il s’agissait là d’une alarme que rien n’allait plus.

[215] Le Tribunal est d’avis que la date du 4 avril 2017 est un point central de la plainte de Mme André, tant pour le harcèlement (paragraphe 14(c) de la LCDP) que pour le traitement défavorable en cours d’emploi (article 7 de la LCDP). Le Tribunal considère donc que les intérêts doivent courir à partir de cette date (paragraphe 53(4) de la LCDP).

[216] Conformément à la règle 9(12) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04), les intérêts sont calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), et ce, à partir du 4 avril 2017 et jusqu’à la date du versement des indemnités qui sont ordonnées dans ce jugement.

VIII. Réparations d’intérêt public (alinéa 52(2)(a) de la LCDP)

[217] La Commission demande au Tribunal d’ordonner à la Nation de mettre fin aux actes discriminatoires et qu’elle prenne, en consultation avec elle, des mesures destinées à prévenir des actes semblables au titre de l’alinéa 52(2)(a) de la LCDP.

[218] Plus spécifiquement, elle demande que la Nation lui fournisse ses politiques sur l’accommodement et le harcèlement en milieu de travail, afin qu’elle puisse en prendre connaissance et fournir ses commentaires. Si la Nation n’a pas de telles politiques, la Commission demande que la Nation rédige de telles politiques de concert avec elle. Enfin, elle demande que la Nation offre à ses gestionnaires une formation en matière des droits de la personne, en mettant l’accent sur l’accommodement, le harcèlement et la violence au travail.

[219] Comme l’intimée n’a pas participé aux procédures du Tribunal, il n’est pas clair si elle s’est dotée de politiques concernant le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail ou non, incluant l’obligation d’accommodement.

[220] Le Tribunal a toutefois reçu en preuve une infime partie d’une politique de la Nation et qui traitait de la cessation d’emploi et des indemnités à payer aux employés. Ainsi, le Tribunal peut assumer que la Nation s’est dotée de certaines politiques. Maintenant, est-ce que ces politiques contiennent des dispositions précises sur le harcèlement, la discrimination et l’obligation d’accommodement? La preuve ne permet pas de tirer des conclusions de faits à ce sujet.

[221] Néanmoins, le Tribunal juge que la demande de la Commission est, selon les circonstances de cette affaire, justifiée et raisonnable. Selon la preuve qui m’a été présentée et la manière dont la Nation a géré la situation, il existe de sérieuses lacunes au sein de son administration et de sa gestion. La Nation ne semble pas outillée afin de répondre efficacement aux situations de harcèlement et de discrimination qui se déroulent au sein de son organisation.

[222] La preuve révèle qu’en fait, aucune mesure n’a été prise par l’intimée afin d’aborder les problèmes entre Mme André et M. Pilot, de s’enquérir de la situation, d’enquêter et de mettre en place des mesures correctrices, et ce, afin de s’assurer que l’environnement demeure exempt d’harcèlement. La preuve révèle aussi que la Nation savait ou aurait dû savoir que Mme André avait développé des problèmes de santé mentale en raison des agissements de son superviseur et aurait dû intervenir. La Nation a fait preuve d’aveuglement et de laxisme, alors que ce genre de situation commande proactivité et actions.

[223] Et si la Nation était intervenue, avait mis en place des mesures afin de stopper le harcèlement, de soutenir Mme André et potentiellement, de lui permettre une réintégration dans l’environnement de travail qui aurait respecté ses limitations, peut-être la situation aurait-elle été bien différente de celle décrite dans cette décision.

[224] En conséquence, la preuve milite en faveur d’une ordonnance enjoignant à la Nation de mettre fin aux pratiques discriminatoires fondées sur la déficience et le sexe. De plus, la Nation doit, de concert avec la Commission, rédiger, créer, mettre en place une ou des politiques concernant le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail et l’obligation d’accommodement. Cela inclut nécessairement des procédures ou un mécanisme de dépôt de plaintes ou de dénonciations officielles, qui soient clairs et simples, concernant la discrimination et le harcèlement au travail. Un mécanisme de réponse et de traitement de ces dénonciations ou plaintes par l’administration de la Nation doit également être prévu.

[225] Si la Nation s’est déjà dotée de telles politiques, elle doit les fournir à la Commission afin que cette dernière puisse les consulter et fournir ses recommandations. La Commission doit garder en tête que les politiques doivent traiter des mêmes thèmes que ceux énumérés au paragraphe précédent.

[226] Une fois ces politiques mises en place, la Nation doit offrir à tous ses agents, mandataires, administrateurs et membres de la direction et de la gestion, incluant les membres du conseil et le chef, une formation sur ces nouvelles politiques, en mettant l’accent sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, l’obligation d’accommodement ainsi que le mécanisme de plainte ou de dénonciation ainsi que le mécanisme de réponse ou de traitement par la Nation. Elle doit offrir cette même formation à tous ses employés.

[227] La Nation doit offrir à tous ses employés, ses agents, mandataires, administrateurs et membres de la direction et de la gestion, incluant les membres du conseil et le chef, une copie des nouvelles politiques sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, l’obligation d’accommodement ainsi que le mécanisme de plainte ou de dénonciation et le mécanisme de réponse ou de traitement par la Nation.

[228] Le Tribunal est conscient et sensible du fait que la réalité de la communauté de la Nation Innu Matimekush-Lac John est intrinsèquement différente de la réalité d’autres communautés présentes sur le territoire québécois. Le Tribunal a connaissance d’office des facteurs systémiques et historiques touchant les Premières Nations (R c. Williams, 1998 CanLII 782 (CSC), [1998] 1 RCS 1128, citée dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Blais, 2007 QCTDP 11 (CanLII); Willcott, au paragraphe 234; Nielson, au paragraphe 136).

[229] Bien que cela n’offre pas un passe-droit quant aux obligations auxquelles la Nation est tenue en vertu de la LCDP, le Tribunal doit prendre en considération le contexte spécifique des communautés autochtones et les difficultés qu’elles peuvent rencontrer.

[230] Ce faisant, le Tribunal ordonne que la Nation mette en œuvre son ordonnance liée aux politiques et aux formations dans les 12 mois suivant la date de cette décision. Le Tribunal considère qu’il s’agit d’un délai raisonnable et justifié aux vues des circonstances de cette affaire.

IX. Décision

[231] Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que la plainte de Mme André est fondée et accorde certaines des réparations recherchées.

[232] Le Tribunal ordonne à l’intimée de payer un montant de 17 000,00$ à Mme André en tant que compensation pour le préjudice moral subi au titre de l’alinéa 53(2)(e) de la LCDP.

[233] Le Tribunal ordonne à l’intimée de payer un montant de 15 000,00$ à Mme André en tant qu’indemnité spéciale au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[234] Le Tribunal ordonne que les intérêts sur ces deux montants soient calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), à partir du 4 avril 2017, et ce, jusqu’à la date du versement des indemnités ordonnées dans ce jugement, au titre du paragraphe 53(4) de la LCDP.

[235] Le Tribunal ordonne à l’intimée de mettre fin aux pratiques discriminatoires fondées sur la déficience et le sexe.

[236] De plus, le Tribunal lui ordonne, de concert avec la Commission, de rédiger, créer, mettre en place une ou des politiques concernant le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail et l’obligation d’accommodement, incluant des procédures ou un mécanisme de dépôt de plainte ou de dénonciation concernant la discrimination et le harcèlement au travail ainsi qu’un mécanisme de réponse ou de traitement de ces dénonciations ou plaintes par son administration.

[237] Si l’intimée s’est déjà dotée de telles politiques, le Tribunal ordonne qu’elle les fournisse à la Commission afin que cette dernière puisse les consulter et fournir ses recommandations et le cas échéant, le Tribunal ordonne que l’intimée mette en œuvre les recommandations de la Commission.

[238] Le Tribunal ordonne à l’intimée d’offrir à tous ses agents, mandataires, administrateurs et membres de la direction et de la gestion, incluant les membres du conseil et le chef, ainsi qu’à ses employés, une formation sur ces nouvelles politiques, en mettant l’accent sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, l’obligation d’accommodement ainsi que le mécanisme de plainte ou de dénonciation ainsi que le mécanisme de réponse ou de traitement par son administration.

[239] Le Tribunal ordonne que la Nation offre à tous ses employés, ses agents, mandataires, administrateur et membres de la direction et de la gestion, incluant les membres du conseil et le chef, une copie des nouvelles politiques sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, l’obligation d’accommodement ainsi que le mécanisme de plainte ou de dénonciation ainsi que le mécanisme de réponse ou de traitement par son administration.

[240] Le Tribunal ordonne que les ordonnances relatives aux politiques, incluant la formation, soient respectées par la Nation dans un délai maximal de 12 mois à partir de la date de ce jugement.

[241] Le Tribunal ne retient pas juridiction.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 18 février 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2452/0920

Intitulé de la cause : Marie-Renée André c Matimekush-Lac John Nation Innu

Date de la décision du tribunal : Le 18 février 2021

Date et lieu de l’audience : 13 et 14 janvier 2021

Par visioconférence

Comparutions :

Marie-Renée André et Martine Gagnon, pour la plaignante

Giacomo Vigna et Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

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