Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 12

Date : le 17 mars 2021

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l'intimé

- et -

Chiefs de l’Ontario

- et -

Amnistie internationale

- et -

Nation Nishnawbe Aski

- et -

Nation innue

les parties interessées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



Communautés qui ne reçoivent pas de services de la part d’un organisme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations

I. Contexte

[1] La présente décision sur requête est une ordonnance sur consentement qui fait l’objet de la requête déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») visant à faire statuer que les enfants et familles des Premières Nations qui vivent dans les réserves et au Yukon et qui reçoivent des services d’un organisme ou d’un fournisseur de services provincial ou territorial entrent dans le champ d’application des actuelles ordonnances de réparation du Tribunal.

[2] La Société de soutien et l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») ont déposé une plainte contre le Canada, au nom des enfants des Premières Nations, que le Tribunal a jugé fondée dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « Décision sur le bien-fondé »). Le Tribunal a conclu que le Canada s’était livré à des actes discriminatoires au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi ») dans le contexte de la fourniture de services aux enfants des Premières Nations, et il a ordonné au Canada de mettre fin aux actes discriminatoires, de s’abstenir de commettre de tels actes et de remédier à la discrimination exposée dans la Décision sur le bien-fondé, notamment en ordonnant la réforme complète du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN ») conformément aux conclusions du Tribunal. Par ailleurs, le Tribunal a déjà indiqué à plusieurs reprises qu’il allait traiter de la question de la réparation en quatre étapes : les mesures de réparation immédiates, les mesures de réparation à moyen terme, les mesures d’indemnisation et de réparation à long terme (voir par exemple, 2016 TCDP 10, au par. 5 et 2018 TCDP 4, aux par. 387 et 388). Le Tribunal a rendu plusieurs décisions dans lesquelles il a ordonné au Canada de remédier à la nature discriminatoire de sa prestation de services aux enfants et à la famille des Premières Nations (voir en particulier 2016 TCDP 10, 2016 TCDP 16, 2017 TCDP 14 et 2018 TCDP 4).

[3] Le Tribunal a conservé sa compétence pour pouvoir statuer sur les autres questions de réparation, y compris les mesures de réparation à long terme. Ces mesures constituent un aspect important de l’instance, car elles visent à éliminer complètement la discrimination systémique exposée dans la Décision sur le bien-fondé et que le Canada s’est vu ordonner de cesser. Vu le manque d’études et de données récentes (voir, par exemple, 2018 TCDP 4, aux par. 259, 264, 411, 415, 417 et 421), les parties ont demandé qu’on leur laisse le temps de réaliser des études et de les analyser, afin de pouvoir présenter des demandes d’ordonnances à long terme en toute connaissance de cause. De plus, certaines parties ont indiqué que la mise en œuvre des mesures de réparation immédiates et à moyen terme les aiderait également à déterminer quelles mesures à long terme devraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal. Compte tenu du contexte factuel, juridique et procédural particulier de cette affaire nationale complexe et multifacettes, le Tribunal a convenu de conserver sa compétence jusqu’à ce que les ordonnances à long terme aient été rendues ou jusqu’à ce que les parties aient réglé les questions et sollicité une ordonnance définitive sur consentement sur toutes les questions toujours en litige, y compris la réparation à long terme et la réforme du Programme des SEFPN. Cette ordonnance sur consentement s’inscrit dans ce contexte particulier de l’affaire.

[4] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a présenté quelques-uns des différents modèles de financement utilisés pour offrir des services à l’enfance et à la famille aux Premières Nations. Bon nombre des communautés reçoivent des services de la part d’un organisme délégué de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (un « organisme de SEFPN »). Ces organismes ont une entente avec la province ou le territoire où ils se trouvent afin de fournir des services à l’enfance et à la famille à une ou plusieurs communautés des Premières Nations. Lorsque l’entente est en vigueur, Services aux Autochtones Canada (« SAC ») finance l’organisme de SEFPN conformément à ses directives en matière de financement (Décision sur le bien-fondé, aux par. 121 à 148). Dans d’autres cas, la province ou le Yukon s’engage plus activement dans la prestation de services à l’enfance et à la famille. En général, la province ou le Yukon paie pour les services offerts dans les communautés visées par les ententes, puis ils sont remboursés par le Canada conformément aux ententes (Décision sur le bien-fondé, aux par. 217 à 254).

[5] Dans sa requête, la Société de soutien demande au Tribunal de conclure que les enfants et les familles des Premières Nations qui vivent dans les réserves et au Yukon et qui reçoivent des services d’un organisme ou d’un fournisseur de services provincial ou territorial entrent dans le champ d’application des actuelles ordonnances de réparation du Tribunal.

[6] La Société de soutien est d’avis que la portée de la plainte et de la Décision sur le bien-fondé couvrait le Programme des SEFPN, les modèles de financement correspondants et les autres ententes visant à procurer des services de bien-être à l’enfance et à la famille aux enfants des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon. La Société de soutien cite divers passages tirés de la Décision sur le bien-fondé pour appuyer l’allégation selon laquelle il a été ordonné au Canada de s’attaquer au problème du financement discriminatoire des services à l’enfance et à la famille fournis aux enfants des Premières Nations dans le cadre d’ententes provinciales et territoriales :

[383] Le Programme des SEFPN, les modèles de financement correspondants et les autres ententes provinciales/territoriales connexes visent à procurer des fonds destinés à assurer la sécurité et le bien-être des enfants des Premières Nations qui résident dans les réserves, [par] le biais de services d’aide à l’enfance et à la famille adaptés à la culture des enfants des Premières Nations. […] Toutefois, il ressort de la preuve susmentionnée qu’AADNC est loin d’atteindre les objectifs visés et qu’en fait, les Premières Nations sont défavorisées et dans certains cas, privées de services d’aide à l’enfance adéquats, par l’application du Programme des SEFPN et des autres méthodes de financement.

[394] […] les effets préjudiciables découlant du Programme des SEFPN, des modèles de financement correspondants et des autres ententes provinciales/territoriales connexes perpétuent les désavantages historiquement subis par les Premières Nations.

[458] La conception, la gestion et le contrôle du Programme des SEFPN par AADNC, ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves.

[459] Le Programme des SEFPN, les modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes ne s’appliquent qu’aux membres des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon. C’est uniquement en raison de leur race, ou de leur origine nationale ou ethnique, qu’ils subissent les effets préjudiciables que nous avons énumérés, à l’occasion de la prestation de services à l’enfance et à la famille. De plus, ces effets préjudiciables perpétuent les désavantages historiques et les traumatismes subis par les peuples autochtones, notamment en raison du système des pensionnats indiens.

[Soulignement ajouté par la Société de soutien.]

[7] La Société de soutien affirme que le Canada n’a pas pris de mesures appropriées pour s’occuper de la nature discriminatoire des ententes de financement provinciales et territoriales. Selon elle, la position du Canada est que les ordonnances réparatrices prononcées par le Tribunal dans la présente instance ne s’appliquent qu’aux organismes de SEFPN et pas aux enfants et aux familles des Premières Nations qui reçoivent des services d’un organisme ou d’un fournisseur provincial ou territorial financé par Services aux Autochtones Canada.

[8] La Nation innue a soulevé une autre question dans sa requête en intervention, qui a été accueillie (voir 2020 TCDP 31). Pour bien comprendre la question soulevée par la Nation innue, il faut connaître de façon générale les services à l’enfance et à la famille.

[9] Comme le Tribunal l’a souligné dans la Décision sur le bien-fondé, les services à l’enfance et à la famille sont fournis aux enfants des Premières Nations conformément aux lois de la province ou du territoire où est située la Première Nation (au par. 5). De ce fait, il est possible qu’il y ait des incohérences dans l’application du cadre législatif aux différents enfants des Premières Nations. La Nation innue relève une telle incohérence.

[10] À titre de mise en contexte, les services à l’enfance et à la famille sont divisés en deux principaux volets : la prévention et la protection. Les services de prévention consistent notamment à soutenir les familles afin que les enfants puissent grandir dans un environnement sain et sécuritaire avec leur famille. Il peut s’agir de services de counseling personnel et de mentorat par un aîné, de programmes de développement de la petite enfance ou de programmes visant à améliorer les aptitudes parentales. Les services de protection comprennent le fait de retirer un enfant de son milieu familial, de façon temporaire du moins, parce que le risque pour l’enfant est trop important pour être géré dans le milieu familial existant (Décision sur le bien-fondé, aux par. 115 à 120). La Nation innue a créé un organisme chargé de fournir des services de prévention, distinct de celui qui offre des services de protection de l’enfance aux communautés de sa nation. Elle soutient que la loi sur les services à l’enfance et à la famille de Terre-Neuve-et-Labrador ne couvre pas les services de prévention. Par conséquent, la province ne peut pas signer d’entente avec l’organisme des services à l’enfance et à la famille de la Nation innue afin qu’il puisse être reconnu comme un organisme de SEFPN couvert par le Programme des SEFPN du Canada. La Nation innue affirme que le Canada estime ne pas pouvoir financer l’organisme pour qu’il fournisse des services de prévention (voir 2020 TCDP 31, au par. 14).

[11] Comme il a été résumé, les questions soulevées dans la présente requête touchent les modèles de financement. Cependant, la question sous-jacente reste de savoir si les enfants et les familles des Premières Nations se voient privés d’un accès équitable aux services en raison de leur race. La question au cœur du litige consiste à savoir si les modèles de financement discutés dans la présente décision sur requête empêchent les fournisseurs de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations de protéger l’intérêt supérieur des enfants des Premières Nations, dans le respect des principes d’égalité réelle, et de manière adéquate et adaptée à la culture.

A. Historique procédural

[12] L’audience de la présente requête était prévue pour le 10 mars 2021. À l’exception du Canada, toutes les parties ont présenté des observations écrites selon l’échéancier fixé par le Tribunal. Or, à la date limite pour la présentation de ses observations, le Canada a avisé le Tribunal qu’il souhaitait proposer un projet d’ordonnance sur consentement en vue de régler la requête et a demandé l’annulation de l’audience fixée. Le Tribunal a demandé des renseignements additionnels aux parties afin de bien analyser l’ordonnance demandée. Par la suite, les parties ont fourni les renseignements demandés et le Tribunal les a examinés conjointement avec le projet d’ordonnance sur consentement proposé. Après avoir examiné attentivement le tout, la formation accepte la proposition.

B. Projet d’ordonnance

[13] Le dispositif de l’ordonnance, tel qu’il a été approuvé par la formation, est reproduit dans la section Ordonnance de la présente décision. Un bref résumé est présenté ici.

[14] Le projet d’ordonnance passe brièvement en revue les ordonnances établies dans la Décision sur le bien-fondé et dans les décisions sur requête 2016 TCDP 10, 2016 TCDP 16 et 2018 TCDP 4, dans lesquelles la formation enjoignait au Canada de remédier à la discrimination constatée en l’espèce.

[15] Aux termes du projet d’ordonnance, Services aux Autochtones Canada, en consultation avec l’APN et la Société de soutien, devrait rapidement concevoir un modèle de financement provisoire pour les communautés des Premières Nations qui reçoivent des services dans le cadre du Programme des SEFPN, mais pas par l’entremise d’un organisme de SEFPN. Le financement serait rétroactif au 26 janvier 2016. Par la suite, des consultations seraient menées pour s’assurer que le financement répond aux besoins des Premières Nations jusqu’à la mise en œuvre de la réforme à long terme. Le financement assurerait l’égalité réelle, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et la prise en compte de l’inflation, de la croissance de la population, de l’éloignement et de la capacité de gouvernance. Le modèle de financement provisoire s’appliquerait jusqu’à ce que l’une des options suivantes se réalise : la conclusion d’une entente de nation à nation sur l’autonomie gouvernementale, qui couvre les services à l’enfance et à la famille; la conclusion d’une entente avec une nation spécifique qui est plus avantageuse pour celle‑ci; l’achèvement de la réforme du programme, conformément aux pratiques exemplaires; des circonstances imprévues nécessitant d’autres ajustements (2018 TCDP 4, au par. 413). Une évaluation des besoins sera réalisée pour soutenir la réforme à long terme.

II. Observations et correspondance des parties

[16] Dans une lettre datée du 25 février 2021, le Canada a demandé – en son nom et au nom de la Société de soutien et de l’APN – l’approbation du projet d’ordonnance sur consentement. Le Canada a expliqué que le règlement était basé sur les données obtenues dans le cadre du remboursement des dépenses réelles des organismes de SEFPN rétroactivement à 2016, sur les fonds alloués dans les budgets de 2016 et 2018, sur la nécessité de renforcer la gouvernance et la capacité et, enfin, sur la population des réserves. Le Canada a souligné que les mesures de réparation immédiates tiennent compte de l’accroissement de la population, de l’éloignement et de l’inflation. L’étude viendra étayer la réforme à long terme.

[17] La Nation Nishnawbe Aski (la « NNA ») a donné son consentement dans un document distinct.

[18] La Nation innue a indiqué qu’elle ne s’opposait pas au projet d’ordonnance, compte tenu tout particulièrement de la possibilité pour une Première Nation de conclure une entente distincte, comme il est précisé au paragraphe 413 de la décision sur requête 2018 TCDP 4. Elle a fait remarquer que le projet d’ordonnance ne précisait pas quel organisme était reconnu comme un organisme de SEFPN. Elle a affirmé que les critères permettant de déterminer si un organisme est un organisme de SEFPN ne sont pas bien définis, ne sont pas uniformes, ne sont pas suffisamment souples pour refléter la situation régionale, créent des obstacles qui ne servent pas l’intérêt supérieur de l’enfant et ne tiennent pas compte des lois, y compris la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, LC 2019, ch. 24.

[19] En réponse à la demande de la formation visant à obtenir des précisions, la Société de soutien a indiqué que les modalités du projet d’ordonnance sur consentement ont été établies peu avant la date à laquelle le Canada devait répondre à la requête. Le projet d’ordonnance a été approuvé par la Société de soutien, l’APN et le Canada puis il a été transmis aux autres parties. La Société de soutien a expliqué qu’elle appuyait le projet d’ordonnance sur consentement parce qu’elle jugeait insuffisants les efforts déployés jusqu’à présent par le Canada pour réformer les services à l’enfance et à la famille offerts aux communautés des Premières Nations qui ne reçoivent pas de services d’un organisme de SEFPN. Elle a ajouté que le Tribunal devrait conserver sa compétence à l’égard des questions soulevées dans l’ordonnance sur consentement puisque des réformes à long terme sont prévues. S’agissant des commentaires de la Nation innue concernant la définition des organismes de SEFPN, la Société de soutien a convenu que c’était un problème et a recommandé que le modèle utilisé à l’Île-du-Prince-Édouard, où la délégation provinciale n’est pas requise, soit appliqué à la Nation innue.

[20] L’APN a fait savoir qu’elle souhaiterait que le Tribunal conserve sa compétence sur les questions soulevées dans l’ordonnance sur consentement. Plus particulièrement, elle a indiqué que les parties allaient discuter du modèle de financement pour les Premières Nations qui n’ont pas reçu de services de 2016 à la date de l’ordonnance, et que cette question pourrait nécessiter d’autres directives de la part de la formation, notamment l’approbation d’une entente conclue entre les parties. L’APN a précisé qu’elle appuyait la demande de la Nation innue visant à savoir quel organisme est reconnu comme un organisme de SEFPN, ainsi que le modèle utilisé à l’Île-du-Prince-Édouard.

[21] Le Canada a indiqué que le Tribunal n’avait pas besoin de conserver sa compétence, puisque le Canada était tenu de se conformer totalement à l’ordonnance sur consentement. Il a fait valoir que les parties pourraient, si elles venaient à croire que le Canada ne respecte pas l’ordonnance, soulever la question auprès du Comité de consultation sur la protection de l’enfance et faire part de leurs préoccupations au Tribunal si elles ne peuvent pas être traitées de façon collaborative. Le Canada a ajouté qu’il était prêt à discuter des questions soulevées par la Nation innue.

[22] La Commission a réaffirmé son rôle en tant que partie à part entière et a indiqué qu’elle n’avait vu la proposition de projet d’ordonnance que peu de temps avant qu’elle ne soit présentée au Tribunal. Cependant, elle a trouvé encourageant qu’une entente ait été conclue et était désormais en mesure de consentir à l’ordonnance proposée. Selon elle, le projet d’ordonnance visait des réparations immédiates et à moyen terme. Elle jugeait donc approprié, conforme à l’approche antérieure de la formation et dans l’intérêt public que le Tribunal conserve sa compétence jusqu’à l’achèvement de la réforme à long terme. La Commission a ajouté que la question de savoir comment un organisme peut être reconnu comme un organisme de SEFPN n’est pas abordée dans l’ordonnance sur consentement proposée et qu’elle appuie les suggestions faites par le Canada dans le but de déterminer quel organisme peut être considéré comme un organisme de SEFPN.

[23] Les Chefs de l’Ontario ont indiqué qu’ils n’avaient pas été consultés sur la teneur du projet d’ordonnance sur consentement qui a été proposé. Ils ont ajouté qu’ils étaient d’accord avec les autres parties sur la question du maintien de la compétence du Tribunal sur cette question.

[24] La NNA a indiqué avoir examiné le projet d’ordonnance sur consentement proposé, mais elle ne se prononce pas sur la question de fond, car la présente requête ne concerne pas les Premières Nations de la NNA. Elle a ajouté qu’elle considérait ce projet d’ordonnance comme provisoire, en attendant une réforme à long terme. Selon elle, l’approche relative à l’éloignement qui est adoptée dans cette ordonnance provisoire ne devrait pas servir de précédent à l’échelle nationale ou pour la NNA. En fait, elle s’attendait à ce que les approches relatives à l’éloignement soient examinées plus en détail à la Table sur le quotient d’éloignement. Elle a aussi convenu avec la Nation innue que plus d’efforts devaient être déployés pour déterminer les critères applicables à un organisme de SEFPN.

III. Analyse

[25] À titre de mise en contexte de l’ordonnance sur consentement, la Société de soutien, l’APN et l’intimée reconnaissent :

l’ordonnance du 26 janvier 2016 du Tribunal (2016 TCDP 2) enjoignant au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires et de réformer le Programme des SEFPN dans le but de refléter les conclusions tirées dans cette décision;

l’ordonnance du 26 avril 2016 du Tribunal (2016 TCDP 10) enjoignant au Canada de prendre immédiatement des mesures pour donner suite aux conclusions tirées dans sa décision du 26 janvier 2016;

l’ordonnance du 14 septembre 2016 du Tribunal (2016 TCDP 16) enjoignant au Canada de mettre à jour ses politiques, ses procédures et ses ententes pour se conformer aux conclusions tirées par le Tribunal dans la décision du 26 janvier 2016;

le fait que le Tribunal était conscient, lorsqu’il a prononcé l’ordonnance du 14 septembre 2016 (2016 TCDP 16), que la réforme par le Canada des politiques, des procédures et des ententes, pour se conformer aux conclusions tirées par le Tribunal dans sa décision du 26 janvier 2016, serait menée à plus long terme, et que certaines mesures provisoires seraient mises en place entre-temps;

les principes applicables aux réparations immédiates, qui sont établis dans l’ordonnance du 4 février 2018 du Tribunal (2018 TCDP 4), plus particulièrement ceux énoncés aux paragraphes 127, 168, 415, 417, 421, 423 et 430.

[26] Compte tenu de ce qui précède et conformément aux conclusions détaillées du Tribunal dans la Décision sur le bien-fondé – lesquelles portaient notamment sur d’autres ententes provinciales/territoriales connexes et d’autres modèles de financement – à toutes les décisions sur requête subséquentes et à l’approche du Tribunal en matière de réparation décrite précédemment, et en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la formation estime avoir compétence pour accorder l’ordonnance sur consentement demandée par l’APN, la Société de soutien et le Canada.

[27] La formation a déjà examiné dans la présente instance la responsabilité qu’a le Canada de remédier aux actes discriminatoires :

Dans sa Décision [sur le bien-fondé] et ses décisions sur requête, la formation a conclu que le Canada était responsable du financement et des coûts liés à la prestation de services de bien-être à la famille et à l’enfance aux Premières Nations vivant dans les réserves. Elle a conclu que cette responsabilité comprenait le financement des coûts de la prestation de services aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves de manière équitable par rapport aux services fournis aux enfants non autochtones au Canada. De plus, ces services se doivent d’être culturellement appropriés et doivent viser l’atteinte du principe de l’égalité réelle. La formation a conclu que le Canada fournissait le financement sur la base de calculs erronés et inadéquats, ce qui donnait lieu à un financement insuffisant (un sous-financement) pour fournir les services ainsi que pour répondre aux besoins des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves. Elle a conclu que le Canada ne finançait pas suffisamment les services. Les parties requérantes demandent maintenant que l’on paie les coûts réels des services, à titre de mesure de réparation immédiate. La formation a tranché que le Canada savait qu’il ne finançait pas suffisamment les services et que le sous-financement des services de prévention, en particulier, créait une incitation abusive à retirer de leurs foyers et de leurs familles, un trop grand nombre d’enfants des Premières Nations, vivant dans les réserves. Parallèlement, le Canada finançait entièrement les coûts réels des dépenses de retraits et de placement, de garde et d’entretien des enfants autochtones. La formation a tranché que le sous-financement des services était l’une des pratiques discriminatoires auxquelles se livrait le Canada dans la présente affaire et, que ce dernier, devait prendre des mesures immédiates pour éliminer ce sous-financement discriminatoire et réformer entièrement le Programme à long terme.

(2018 TCDP 4, au par. 215)

[28] De plus,

[l]e Canada a souscrit à la Décision [sur le bien-fondé] et aux décisions sur requête du Tribunal selon lesquelles il fait preuve de discrimination à l’endroit des enfants des Premières Nations en sous-finançant les services. De plus, le Canada concède qu’il est nécessaire, à la fois, qu’il prenne des mesures immédiates et, qu’il procède à une réforme à long terme, en vue d’éliminer le sous-financement discriminatoire des services, destinés aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves.

(2018 TCDP 4, au par. 216)

[29] Comme la formation l’a précédemment indiqué,

[t]outes les parties conviennent que lorsque la plainte est jugée fondée et, qu’une ordonnance de cesser la pratique discriminatoire est rendue, les pouvoirs de réparation du Tribunal doivent être interprétés de manière large et libérale pour donner plein effet aux objectifs de la LCDP soit, l’élimination de la discrimination. Ceci vise notamment à prévenir la récurrence des pratiques discriminatoires.

(2018 TCDP 4, au par. 217)

[30] En outre, la formation a précédemment écrit ce qui suit :

Il a fallu des années avant que les enfants des Premières Nations obtiennent justice. La discrimination a été prouvée. La justice inclut des mesures de réparation concrètes. Le Canada doit certainement le comprendre. La formation ne peut pas simplement rendre des ordonnances définitives et clore le dossier. Elle a déterminé qu’il était nécessaire de recourir à une approche progressive à l’égard des mesures de réparation afin de s’assurer que l’on allouait premièrement des mesures de réparation à court terme et, ensuite, des mesures de réparation à long terme, ainsi qu’une réforme complète du programme qui prend nettement plus de temps à mettre en œuvre. La formation a reconnu que si le Canada prenait cinq ans ou plus pour réformer le Programme, il y avait donc un besoin crucial de remédier à la discrimination immédiatement, de la manière la plus concrète possible, avec les éléments de preuve dont on dispose jusqu’à présent.

 

(2018 TCDP 4, au par. 387)

[31] La formation a ajouté ceci :

[…] élaborer des redressements efficaces et utiles pour résoudre un différend complexe, comme c’est le cas en l’espèce, est une tâche délicate. En effet, comme la Cour fédérale du Canada l’a affirmé dans Grover c. Canada (Conseil national de recherches du Canada) (1994), 1994 CanLII 18487 (CF), 24 CHRR D/390 (CF) au par. 40 [Grover], [traduction] « une telle tâche demande de l’innovation et de la souplesse de la part du Tribunal dans l’élaboration de mesures de redressement efficaces, et la Loi est structurée de manière à favoriser cette souplesse ».

(2016 TCDP 10, au par.15)

[32] La formation a aussi indiqué que :

[m]is à part les ordonnances d’indemnisation, cette souplesse dans l’élaboration de mesures de redressement efficaces trouve sa source principalement dans les alinéas 53(2)a) et b) de la LCDP. Ces dispositions confèrent au Tribunal le pouvoir d’ordonner des mesures pour mettre fin à l’acte discriminatoire ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables [voir l’al. 53(2)a)] et d’ordonner que soient accordés à la victime d’un acte discriminatoire les droits, chances ou avantages dont l’acte discriminatoire l’a privée [voir l’al. 53(2)b)].

(2016 TCDP 10, au par. 16)

[33] Dans la Décision sur le bien-fondé initiale, la formation a présenté l’approche qu’elle adopte quand une plainte est fondée :

Comme le Tribunal juge la plainte fondée, il peut rendre une ordonnance contre AADNC en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP. Le prononcé d’une ordonnance en vertu du paragraphe 53(2) ne vise pas à punir AADNC, mais à supprimer la discrimination (Robichaud, par. 13). Pour y parvenir, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation sur une base rationnelle, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, par. 37). En d’autres termes, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation de manière raisonnable, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et en tenant compte de la preuve présentée (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, par. 50).

Il est également important de rappeler que la LCDP consacre des droits qui revêtent une importance primordiale. Ces droits doivent être pleinement reconnus et mis en œuvre par le biais de la Loi. Lorsqu’il s’agit d’élaborer des réparations sous le régime de la LCDP, il convient d’interpréter les pouvoirs qui sont conférés au Tribunal en vertu du paragraphe 53(2) de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation des objets de la Loi. Lorsqu’on applique une méthode d’interprétation téléologique, les réparations prévues par la LCDP devraient promouvoir efficacement le droit à protéger et défendre utilement les droits et libertés de la victime de l’acte discriminatoire (CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114, p. 1134; et Doucet-Boudreau, par. 25 et 55).

(Décision sur le bien-fondé, aux par. 468 et 469)

[34] La formation s’est aussi penchée sur ses pouvoirs de réparation dans la décision 2018 TCDP 4 :

Dans la décision 2016 TCDP 10 (par. 10 à 19), qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire, la formation a fait un survol des pouvoirs de réparation vastes et souples du Tribunal.

Pour rendre ses ordonnances, le Tribunal ne cherche pas à usurper les pouvoirs d’autres branches du gouvernement. Il agit sous le régime de sa loi habilitante, qui lui permet de traiter de pratiques discriminatoires antérieures et d’éviter toute récidive. C’est ce qui est prévu dans la Loi, à l’alinéa 53(2)a), où il est écrit qu’il est possible d’ordonner à la personne « mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables […] ».

(2018 TCDP 4, aux par. 31 et 32)

[Soulignement omis.]

[35] Comme on peut le lire au paragraphe 40 de la décision 2018 TCDP 4, « [d]ans la [Décision sur le bien-fondé], le Tribunal a tiré des conclusions exhaustives et a motivé de manière très détaillée de quelle façon elle était arrivée à ces dernières. » Ces conclusions démontrent, comme il est mentionné dans la Décision sur le bien-fondé, que « [l]a conception, la gestion et le contrôle du Programme des SEFPN par AADNC, ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, se sont traduits par des refus de services et ont créé divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves » (Décision sur le bien-fondé, au par. 458) [non souligné dans l’original]. Le Tribunal a aussi conclu que « [l]’absence de coordination du Programme des SEFPN et des autres ententes provinciales/territoriales connexes avec d’autres ministères et d’autres programmes et services du gouvernement destinés aux Premières Nations dans les réserves, a entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations » (2016 TCDP 2, au par. 458) [non souligné dans l’original]. Plus tard, « [l]a formation a expressément mentionné qu’une réforme devait traiter des conclusions tirées dans la Décision [sur le bien-fondé]. Il est question en l’espèce de sous-financement, de politiques, d’autorisations et du Programme national qui, a-t-il été conclu, étaient discriminatoires » (voir 2018 TCDP 4, au par. 40). La longue Décision sur le bien-fondé fait autorité en l’espèce, et les conclusions susmentionnées figurent dans cette décision et ne seront pas reproduites ici. Le Tribunal les expose ici pour justifier qu’il a compétence pour rendre la présente ordonnance sur consentement puisque l’objet de cette ordonnance fait partie de la preuve et des conclusions tirées dans la présente instance.

[36] En outre,

[l]’article 53(2)a) de la LCDP confère au Tribunal la compétence de rendre une ordonnance « de ne pas faire ». Par ailleurs, si le Tribunal estime qu’il convient de le faire pour éviter qu’une pratique identique ou semblable survienne dans l’avenir, il peut ordonner certaines mesures, dont l’adoption de programmes, de plans ou d’arrangements spéciaux mentionnés à l’article 16(1) de la LCDP (voir National Capital Alliance on Race Relations (NCARR) c. Canada (Department of Health & Welfare) T.D.3/97, aux p. 30 et 31). Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la portée de cette compétence.

(2018 TCDP 4, au par. 34).

[37] Par la suite, la formation a souligné ce qui suit :

En fait, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 (CanLII), la Cour suprême a aussi prescrit que les tribunaux des droits de la personne doivent veiller à ce que leurs réparations soient efficaces, originales s’il le faut, et qu’elles répondent à la nature fondamentale des droits en question.

(2018 TCDP 4, au par. 51).

[38] Par ailleurs,

[l]a formation peut juger nécessaire de rendre d’autres ordonnances […]. Il serait inéquitable que les plaignants, la Commission et les parties intéressées, qui ont eu gain de cause dans le cas de la présente plainte, après de nombreuses années et des instances différentes, aient à déposer une autre plainte pour obtenir la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal et la réforme du système de bien-être à l’enfance des Premières Nations.

(2018 TCDP 4, au par. 53).

En conservant sa compétence, la formation évalue si le Canada remédie à la discrimination de manière appropriée et efficace sans répéter les erreurs du passé.

(2018 TCDP 4, au par. 50)

[Soulignement omis.]

[39] Dans les décisions McKinnon v. Ontario (Ministry of Correctional Services), [1998], OHRBID, nº 10, 1998 CanLII 29849 (TDP Ont.), 32 CHHR D/1 et [2002] OHRBID, nº 22, confirmées en appel, le TDPO a suivi une approche semblable à l’égard des réparations, qui était éclairée par les faits particuliers de l’affaire (voir Ontario v. McKinnon, 2004 CanLII 47147 (CA Ont.)). Le Tribunal s’est fondé sur cette affaire dans la décision sur requête 2018 TCDP 4 (voir par. 24 et 388). Le Tribunal a statué qu’« [à] l’instar de ce qui a été fait dans l’affaire McKinnon, il peut être nécessaire de demeurer saisi de l’affaire afin de s’assurer que la discrimination a été éliminée et que les mentalités ont aussi changé. Cette affaire a été réglée en fin de compte après une période de dix ans. La formation espère que ce ne sera pas le cas ici » (2018 TCDP 4, au par. 388).

[40] Dans une décision récente, Ontario v. Association of Ontario Midwives, 2020 ONSC 2839, la Cour divisionnaire de l’Ontario s’est penchée sur la présente affaire et s’est prononcée sur le suivi et la mise à jour des politiques, des programmes et des modèles de financement dans les affaires de nature systémique pour assurer l’égalité réelle :

[traduction]

Les conclusions tirées par le Tribunal à cet égard sont raisonnables. En fait, elles sont conformes à la décision rendue par la CSC dans l’arrêt Moore et à celle rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Société de soutien, soit deux affaires portant sur la discrimination systémique dans les politiques de financement du gouvernement. Il ressort clairement des décisions Moore et Société de soutien que les gouvernements ont l’obligation, en matière de droits de la personne, d’empêcher la discrimination de manière proactive, notamment en s’assurant que leurs politiques, programmes et modèles de financement sont fondés dès le départ sur une analyse de l’égalité réelle et qu’ils font régulièrement l’objet de suivis et de mises à jour. Ces décisions sont tout à fait incompatibles avec la position du ministère de la Santé et des Soins de longue durée selon laquelle il peut attendre pour agir que les sages‑femmes – qui exercent une profession profondément ségrégée selon le sexe et particulièrement sujette à la discrimination systémique fondée sur le sexe en ce qui concerne la rémunération – aient prouvé que sa conduite constitue de la discrimination fondée sur le sexe.

(Association of Ontario Midwives, au par. 189.)

[Renvois omis.]

[41] En somme, ces décisions suivent l’approche initialement adoptée par la formation en matière de réparation dans ses décisions sur requête précédentes.

IV. Ordonnance

[42] Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne que la requête de la Société de soutien datée du 7 août 2020 soit réglée comme suit :

1. Dans les 30 jours suivant le prononcé de l’ordonnance du Tribunal, Services aux Autochtones Canada préparera un plan en consultation avec la Société de soutien et l’Assemblée des Premières Nations afin de mettre en œuvre une version provisoire du modèle de financement révisé (lequel est joint à la présente ordonnance en annexe A) pour les communautés des Premières Nations qui reçoivent des services dans le cadre du Programme des SEFPN, mais qui n’ont pas reçu ces services de la part d’un organisme de SEFPN de 2016 à la date de la présente ordonnance.

2. D’autres consultations avec les parties et des consultations avec les Premières Nations concernées, qui ne reçoivent pas de services de la part d’un organisme de SEFPN, devront être menées après la mise en œuvre de la version provisoire du modèle de financement révisé pour garantir que ce modèle répond à leurs besoins en attendant la réforme à long terme.

3. La version provisoire du modèle de financement révisé devra accorder, dans les 90 jours suivant le prononcé de l’ordonnance du Tribunal, un financement rétroactif au 26 janvier 2016 aux Premières Nations admissibles ayant conclu une nouvelle entente avec Services aux Autochtones Canada ou ayant mis à jour une entente. Si des Premières Nations admissibles n’ont pas conclu une telle entente, Services aux Autochtones Canada prendra des mesures afin de conclure ces ententes avec elles.

4. La version provisoire du modèle de financement révisé devra être suffisamment souple pour garantir le respect des principes d’égalité réelle (en prenant en considération la situation et les besoins historiques, culturels et géographiques des communautés) et de l’intérieur supérieur de l’enfant, tout en tenant compte de l’inflation, de la croissance démographique, des difficultés rencontrées par les Premières Nations éloignées et de la nécessité de soutenir la gouvernance et le développement des capacités pour la prestation des services à l’enfance et à la famille dans ces communautés.

5. La version provisoire du modèle de financement révisé devra demeurer en vigueur jusqu’à ce que l’une des quatre options énoncées au paragraphe 413 de l’ordonnance du Tribunal datée du 4 février 2018 (2018 TCDP 4) se réalise.

6. Pour appuyer la réforme à long terme et veiller à ce que la version provisoire du modèle de financement révisé soit conforme aux principes énoncés au paragraphe 4 ci-dessus, le Canada, en consultation avec la Société de soutien et l’Assemblée des Premières Nations, soutiendra un exercice d’évaluation des besoins de chacune des Premières Nations qui ne reçoivent pas de services de la part d’un organisme de SEFPN, afin de déterminer leurs besoins en matière de prévention et de fonctionnement et de mieux cerner les lacunes qui doivent être comblées par la réforme à long terme.

V. Maintien de la compétence

[43] En attendant les mesures de réparation à long terme, sur consentement ou autrement, conformément à l’approche en matière de réparation qui a été adoptée en l’espèce et mentionnée précédemment, et à la demande de l’APN, de la Société de soutien, des Chefs de l’Ontario et de la Commission, la formation conserve sa compétence sur l’ordonnance sur consentement contenue dans la présente décision sur requête. La formation réexaminera la question du maintien de sa compétence quand le plan préparé par le Canada en consultation avec la Société de soutien et l’APN, et visant à mettre en œuvre une version provisoire du modèle de financement révisé, aura été déposé auprès du Tribunal ou quand la formation le jugera approprié compte tenu de l’évolution de l’affaire.

[44] La formation conserve sa compétence sur toute autre question soulevée et ordonnance rendue dans la présente affaire.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

 

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 mars 2021


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 17 mars 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

David Taylor et Sarah Clarke , avocats pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Stuart Wuttke , avocat pour l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Brian Smith et Jessica Walsh, avocats pour la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Frater, c.r., Jonathan Tarlton, Patricia MacPhee, Kelly Peck, Max Binnie et Meg Jones , avocats pour l'intimé

Maggie Wente et Sinéad Dearman , avocats pour les Chefs de l’Ontario, la partie intéressée

Julian Falconer, Molly Churchill et Akosua Matthews , avocats pour la Nation Nishnawbe Aski, la partie intéressée

Judith Rae , avocate pour la Nation innue, la partie intéressée


Annexe A

Mesures permettant le règlement de la requête demandant des mesures de réparation immédiates pour les communautés qui ne bénéficient pas des services d’un organisme

Méthode

  • La méthode est une mesure provisoire visant à garantir que les enfants des Premières Nations vivant dans une communauté qui ne bénéficie pas des services d’un organisme puissent tout de même bénéficier d’un financement qui soit cohérent avec celui reçu par les organismes délégués des Premières Nations, conformément à l’ordonnance rendue dans la décision 2016 TCDP 2 et les ordonnances subséquentes.

  • L’analyse des demandes de remboursement des dépenses réelles engagées par des organismes délégués des Premières Nations a permis de déterminer un montant par personne. Pour arriver à ce montant, SAC a examiné toutes les demandes des organismes délégués des Premières Nations, y compris les demandes relatives aux services de prévention, aux services d’accueil et d’enquête, aux réparations des bâtiments, aux frais juridiques et à tous les coûts admissibles pour les petits organismes.

  • Pour s’assurer que le financement est cohérent avec celui reçu par les organismes délégués des Premières Nations pour les services de prévention, le montant par personne qui reflète les récentes initiatives budgétaires a été ajouté. Le budget de 2016 prévoyait 40,4 millions de dollars par an pour les services de prévention offerts par les organismes délégués des Premières Nations, ce qui représente un montant de 90 $ par personne.

  • Le budget de 2018 prévoyait 15,6 millions de dollars par an pour les petits organismes et les services de prévention, ce qui représente un montant de 35 $ par personne (15 600 000 $/446 219).

  • Le volet de financement du BCIC introduit dans le budget de 2018 n’est pas inclus dans cette méthode puisque ces fonds n’ont pas été alloués aux organismes.

  • Pour établir le financement qui sera accordé à une communauté en particulier, le montant par personne est multiplié par le nombre d’habitants de la réserve, selon les données fournies par le service de recherche et d’analyse socioéconomique du Ministère qui fournit des renseignements sur les peuples autochtones du Canada. Les données proviennent du Système d’inscription des Indiens.

  • Pour s’assurer que le financement s’adapte au rythme de croissance future de la population, on augmente de 1,1 % les données démographiques des prochaines années, ce qui représente le taux de croissance moyen depuis 2015, puis on les augmente d’une valeur additionnelle de 0,01 %.

  • Pour refléter la nécessité pour les communautés de soutenir la gouvernance de base et la capacité à mettre en œuvre des activités de prévention et d’intervention précoce, le financement des coûts administratifs (c.-à-d. des frais d’administration) a aussi été ajouté. Ces chiffres sont basés sur le total des budgets de fonctionnement des organismes délégués des Premières Nations, dans le cadre du Programme des SEFPN, en 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019 respectivement (selon les Comptes publics du Canada)[1], ce qui exclut les demandes de remboursement présentées au TCDP qui ont déjà été prises en compte dans le calcul. Étant donné que les derniers Comptes publics accessibles datent de 2018‑2019, le montant par personne est reporté sur les années suivantes.

  • Toutes les Premières Nations ont vu leur financement majoré d’un autre 10 %, pour tenir compte de l’éloignement et de tout autre facteur lié à la localisation, et de 2 % pour tenir compte de l’inflation prévue au cours des prochaines années.

  • Les intérêts courus sur les montants des exercices 2016-2017, 2017-2018, 2018‑2019 et 2019-2020 sont calculés sur la base de la moyenne mensuelle du taux d’intérêt de la Banque du Canada au cours de ces années.

  • Grâce à ces majorations, le montant est passé à 947 $ par personne.

Évaluation des besoins des Premières Nations requise pour guider la réforme structurelle et durable du programme

Comme il s’agit d’une mesure transitoire, il faudra trouver des experts techniques et des experts en recherche qui connaissent les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et les pratiques autochtones en matière de collecte de données et de propriété intellectuelle, afin de continuer à soutenir les efforts déployés pour procéder à une réforme structurelle et durable complète du programme

À cette fin, nous proposons que SAC verse 25 000 $ à chaque Première Nation qui ne reçoit pas de services d’un organisme délégué des Premières Nations afin de mener une évaluation des besoins, de préciser ses besoins en matière de prévention et de fonctionnement et de constater les écarts entre la situation actuelle et la situation voulue. Bien que le montant du financement soit conforme à l’évaluation des besoins financée pour les organismes à la suite des ordonnances de 2016, SAC – en consultation avec les parties et les experts convenus – veillera à la cohérence, à la fiabilité et à la validité de la collecte de données. L’évaluation des besoins devrait être terminée à l’automne 2021. Le nouveau programme sera en vigueur d’ici le 30 avril 2023.


 

Annexe A

Conformément à la huitième ordonnance dans la décision sur requête 2022 TCDP 8, le Tribunal a accepté de modifier la décision sur requête 2021 TCDP 12.

Dans la décision sur requête 2022 TCDP 8, le Tribunal a déclaré que conformément au point 5 du paragraphe 42 de la décision sur requête 2021 TCDP 12, le paragraphe suivant est ajouté à l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42.1] À titre de modification du point 1 du paragraphe 42, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices pour les Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme (au sens de la décision sur requête 2021 TCDP 12) à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans une réserve et au Yukon, aux mêmes conditions que celles décrites au paragraphe 421.1 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 en ce qui concerne les organismes des SEFPN.

Ordonnance initiale dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42] Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal ordonne que la requête de la Société de soutien datée du 7 août 2020 soit réglée comme suit :

1. Dans les 30 jours suivant le prononcé de l’ordonnance du Tribunal, Services aux Autochtones Canada préparera un plan en consultation avec la Société de soutien et l’Assemblée des Premières Nations afin de mettre en œuvre une version provisoire du modèle de financement révisé (lequel est joint à la présente ordonnance en annexe A) pour les communautés des Premières Nations qui reçoivent des services dans le cadre du Programme des SEFPN, mais qui n’ont pas reçu ces services de la part d’un organisme de SEFPN de 2016 à la date de la présente ordonnance.

Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal rend l’ordonnance modifiée dans la décision sur requête 2021 TCDP 12 :

[42.1] À titre de modification du point 1 du paragraphe 42, le Canada doit financer, à compter du 1er avril 2022, les mesures de prévention ou les mesures les moins perturbatrices pour les Premières Nations qui ne bénéficient pas des services d’un organisme (au sens de la décision sur requête 2021 TCDP 12) à hauteur de 2 500 $ par personne résidant dans une réserve et au Yukon, aux mêmes conditions que celles décrites au paragraphe 421.1 de la décision sur requête 2018 TCDP 4 en ce qui concerne les organismes des SEFPN.



[1] Note : Les organismes délégués des Premières Nations n’avaient pas accès au processus de remboursement des dépenses réelles en 2016-2017 ou 2017-2018 et ont dû appliquer une approche progressive à la suite du budget de 2016. Bien que des demandes de remboursement rétroactif se soient ajoutées à ces budgets et que le budget de 2018 ait accéléré le financement, les budgets de fonctionnement de 2016-2017 et 2017-2018 ne tiennent compte que des fonds disponibles à ce moment-là.

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