Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 6

Date : le 11 février 2021

Numéros des dossiers : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

l’intimé

- et -

Chefs de l’Ontario

- et -

Amnistie internationale

- et -

Nation Nishnawbe Aski

les parties interessées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



Décision sur requête concernant le processus d’indemnisation en vue de régler quatre questions en suspens et de finaliser le Projet de cadre d’indemnisation

I. Contexte

[1] La présente décision sur requête s’inscrit dans le contexte d’une plainte déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») et l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») au motif que le financement offert par le Canada aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon était inéquitable et discriminatoire. Plus particulièrement, la discrimination en question résidait dans le financement insuffisant des services de bien‑être à l’enfance ainsi que dans l’application inappropriée du principe de Jordan. Le Tribunal a convenu avec la Société de soutien et l’APN que la conduite du Canada était discriminatoire, et ce, pour les raisons exposées dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) 2016 TCDP 2 (la « Décision sur le bien-fondé »). Le Tribunal a conservé sa compétence pour examiner les questions de réparation complexes qui se posent dans la présente affaire (voir surtout la Décision sur le bien-fondé, aux par. 493 et 494, et la décision 2016 TCDP 10, aux par. 1 à 5).

[2] Le Tribunal a conclu que la plainte était fondée. Plus précisément, il a jugé que la conduite du Canada avait un caractère discriminatoire systémique parce que sa conception, sa gestion et son contrôle du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN »), ainsi que ses modèles de financement correspondants et les autres ententes provinciales et territoriales connexes, ont entraîné des refus de services et de nombreux effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans des réserves partout au Canada. Le Tribunal a relevé un certain nombre de torts causés par la discrimination dont le Canada a fait preuve dans sa méthode de financement et dans la manière dont il a contrôlé et géré le Programme. Le Tribunal a conclu, de plus, que le Canada sous-finançait toute une gamme de services à l’enfance et à la famille fournis aux enfants des Premières Nations. Par exemple, il accordait un financement fixe et insuffisant pour les frais d’exploitation et les services de prévention. En conséquence, les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (les « organismes de SEFPN ») étaient incapables d’assurer les niveaux de service prescrits par la province ou le territoire. Le modèle de financement incitait en outre à retirer les enfants de leur foyer plutôt que d’offrir des mécanismes de soutien visant à favoriser leur bien-être auprès de leurs parents ou de leurs pourvoyeurs de soins existants. Le défaut de coordonner le Programme des SEFPN avec d’autres programmes fédéraux, provinciaux ou territoriaux, tout comme la définition étroite du principe de Jordan et son application inadéquate, a entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations.

[3] Le Tribunal a convenu avec la Société de soutien et l’APN que la conduite du Canada était discriminatoire, et ce, pour les raisons exposées dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 [Décision sur le bien-fondé]. Le Tribunal a conservé sa compétence pour examiner les questions de réparation complexes qui se posent dans la présente affaire. (Voir surtout la Décision sur le bien-fondé, aux par. 493 et 494, et la décision 2016 TCDP 10, aux par. 1 à 5).

[4] Le Tribunal a ordonné au Canada de verser une indemnité aux enfants des Premières Nations qui ont subi le préjudice moral attribuable au fait d’être séparés de leurs foyers, de leurs familles et de leurs communautés, ou qui ont été victimes d’interruptions, de retards et de refus de services par suite de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé. Il lui a également ordonné d’indemniser leurs parents ou leurs grands-parents prenant soin d’eux, pour le préjudice moral qu’ils ont subi en raison du retrait inutile des enfants de leurs foyers, de leurs familles et de leurs communautés, ou pour les interruptions, retards et refus de services dont ils ont été victimes par suite de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé (voir la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39 [Décision sur l’indemnisation]). Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal a ordonné aux parties de négocier un processus adapté à la culture et tenant compte des traumatismes subis en vue d’indemniser les victimes de l’acte discriminatoire en cause (par. 269). Le Tribunal s’est tenu à la disposition des parties pour régler tout désaccord susceptible de survenir au cours du processus de rédaction du cadre d’indemnisation. Les parties ont ainsi entrepris un processus collaboratif en vue de créer le Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39 (le « Projet de cadre d’indemnisation »). Elles ont demandé au Tribunal de leur donner des directives lorsqu’elles ne sont pas parvenues à s’entendre (voir p. ex. les décisions 2020 TCDP 7, 2020 TCDP 15 et 2020 TCDP 20). Enfin, elles ont fait savoir qu’elles étaient sur le point de finaliser le Projet de cadre d’indemnisation et qu’elles le soumettraient ensuite à l’approbation du Tribunal.

[5] La présente décision sur requête porte sur quatre questions soulevées par le Projet de cadre d’indemnisation présenté le 2 octobre 2020 par les parties. Premièrement, ces dernières ont expressément demandé au Tribunal de leur donner des directives relativement à une question en litige liée à la création d’un fonds en fiducie pour certaines catégories de bénéficiaires. L’APN, la Société de soutien et la Nation Nishnawbe Aski (la « NNA ») se sont dites d’avis que la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C (1985) ch. H‑6 (la « LCDP », ou la « Loi ») conférait la compétence voulue pour mettre en place un fonds en fiducie à l’intention des victimes se trouvant dans l’incapacité, sur le plan juridique, de gérer leurs propres finances. Deuxièmement, la NNA a demandé à ce que le Projet de cadre d’indemnisation soit modifié de façon à tenir compte de ses droits de participation en tant que partie intéressée intervenante dans la présente affaire. Troisièmement, la NNA a réclamé une modification au Projet de cadre d’indemnisation afin de changer la période pour laquelle les enfants des Premières Nations seraient admissibles à une indemnité fondée sur le principe de Jordan. Quatrièmement, le Tribunal a demandé à ce qu’on lui présente des observations afin de s’assurer que le rôle qu’il avait joué relativement au Projet de cadre d’indemnisation relevait bien de sa compétence.

[6] Le Tribunal a envoyé aux parties une lettre de décision datée du 14 décembre 2020, avec motifs à suivre. Ce genre de décision est analogue à une décision orale avec motifs à suivre, méthode que la formation a déjà utilisée pour accélérer la finalisation du cadre d’indemnisation. La présente décision sur requête présente les motifs prévus dans la lettre du 14 décembre 2020 de la formation. Une fois cette lettre de décision reçue, les parties ont pu mettre la dernière main au Projet de cadre d’indemnisation et, le 23 décembre 2020, elles ont présenté la version finale du projet en vue d’obtenir une ordonnance sur consentement définitive sur la question du processus d’indemnisation.

II. Dispositions fiduciaires

(i) Contexte

[7] Il a été conclu, dans la Décision sur l’indemnisation, que les indemnités seraient payables directement aux victimes de l’acte discriminatoire plutôt que versées dans un fonds en fiducie pour financer des services dont elles pourraient bénéficier. Le Tribunal a toutefois reconnu qu’« il ne conv[enait] pas de verser une indemnité de 40 000 $ à un enfant de trois ans », et qu’il était donc nécessaire d’établir un processus permettant de verser les fonds aux bénéficiaires mineurs (par. 261). Il a conclu, dans la décision 2020 TCDP 7, que c’était l’âge de la majorité établi dans la province ou le territoire applicable qui déterminerait à quel moment les enfants des Premières Nations pourraient administrer eux-mêmes leurs indemnités (par. 8 à 36).

[8] Le Projet de cadre d’indemnisation comporte des dispositions relatives aux indemnités à être versées aux personnes n’ayant pas la capacité juridique de gérer leurs propres finances, lesquelles s’appliquent uniquement à elles :

[traduction]

10.1. Dans le cas où le bénéficiaire a la capacité juridique de gérer ses propres affaires financières, l’indemnité lui sera versée directement.

[…]

10.3. Dans le cas où le bénéficiaire n’a pas la capacité juridique de gérer ses propres affaires financières, l’indemnité sera détenue en fiducie pour son compte.

[9] L’article 10.3 vient préciser que, pour ce type de bénéficiaires, l’indemnité qui leur est destinée doit être détenue en fiducie.

[10] Les articles 10.4 et 10.5 prévoient la nomination d’un nombre maximal de trois fiduciaires désignés pour gérer les fonds en fiducie conformément à une convention de fiducie :

[traduction]

10.4. Les Parties choisiront jusqu’à trois (3) entités commerciales ayant pour spécialité de détenir, d’administrer et de distribuer des fonds détenus en fiducie au profit des bénéficiaires qui n’ont pas la capacité juridique de gérer leurs propres affaires financières (les « fiduciaires désignés »). Les frais d’administration facturés par les fiduciaires désignés seront payés par le Canada et non prélevés sur le montant auquel ont droit les bénéficiaires.

[ Non souligné dans l’original. ]

10.5. Les fiduciaires désignés détiendront les fonds en fiducie conformément à une convention de fiducie convenue entre les parties (la « Convention de fiducie »). La Convention de fiducie décrira les exigences suivantes :

a) les pouvoirs, les responsabilités et les obligations des fiduciaires relativement à la détention et à la gestion des fonds au profit des bénéficiaires;

b) les dispositions relatives à la distribution des revenus et du capital;

c) les critères du prélèvement sur le capital;

d) la révocation et le remplacement des fiduciaires;

e) les exigences en matière de comptabilité et de production de rapports;

f) toute autre disposition connexe appropriée.

[11] Le Canada n’approuve pas le projet de nomination de fiduciaires désignés au titre d’une convention de fiducie et, en conséquence, les parties demandent au Tribunal de statuer sur les précédentes dispositions du Projet de cadre d’indemnisation.

A. Position des parties

(ii) Le Canada

[12] Le Canada s’oppose aux dispositions du Projet de cadre d’indemnisation relatives au paiement de fonds en fiducie à l’intention des enfants qui n’ont pas la capacité juridique de gérer leurs propres affaires. Il reconnaît les avantages des mesures proposées, mais n’est pas d’accord pour dire que le Tribunal a compétence pour les mettre en œuvre. Selon le Canada, les mesures prévues dans le Projet de cadre d’indemnisation toucheraient inévitablement à des domaines pleinement couverts par des dispositions expresses de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5 ou par des dispositions législatives provinciales relatives aux biens des enfants.

[13] Le Canada soutient qu’aux termes de la Loi sur les Indiens, le ministre a le pouvoir exclusif de prendre des mesures à l’égard des biens de tout bénéficiaire n’ayant pas la capacité juridique de gérer ses propres biens. Dans le cas des adultes se trouvant dans une telle situation, c’est l’article 51 qui confère ce pouvoir au ministre. Dans le cas des enfants, ce pouvoir prend sa source dans l’article 52, et des dispositions supplémentaires, aux articles 52.1 et 52.2, prévoient la possibilité pour les conseils de bande et les parents de jouer un rôle à cet égard.

[14] Le Canada cite des lois de la Saskatchewan, de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario pour souligner à qui devrait revenir l’administration des biens d’un enfant qui relèvent de la compétence provinciale. Il ne traite d’aucune autre loi provinciale. En Saskatchewan, l’article 45 de la Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, L.S. 2020, c. 2, confère les pouvoirs relatifs aux biens d’un enfant à ses parents, sauf ordonnance contraire du tribunal. En Ontario, les articles 47 à 51 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c. C. 12 donnent la préférence aux parents à titre de tuteurs aux biens d’un enfant. Enfin, en Colombie‑Britannique, la Family Law Act, SBC 2011, c. 25 prévoit, aux articles 175 à 181, que le fiduciaire des biens d’un enfant doit être nommé par un tribunal.

[15] Le Canada fait valoir qu’il existe de nombreux textes de loi précis portant sur les biens des mineurs. Rien n’indique, dans les paragraphes 53(2) et (3) de la LCDP, que le Parlement avait l’intention d’autoriser le Tribunal à imposer les dispositions fiduciaires contenues dans le Projet de cadre d’indemnisation. De plus, les dispositions provinciales et celles de la Loi sur les Indiens prouvent qu’il n’est pas nécessaire que le Tribunal impose le cadre juridique d’une fiducie. Le Canada ajoute par ailleurs que le Tribunal est tenu de respecter les lois régissant la propriété qui sont en vigueur et qui s’appliquent aux bénéficiaires.

(iii) La Société de soutien

[16] La Société de soutien appuie les dispositions fiduciaires du Projet de cadre d’indemnisation. Elle est d’avis que ces dispositions offrent une approche claire, uniforme et sensible à la culture et aux traumatismes subis, qui ferait défaut si l’on adoptait la position du Canada.

[17] La Société de soutien considère qu’en l’espèce, les bénéficiaires dépourvus de capacité juridique font partie des victimes les plus vulnérables. Or, les fiduciaires désignés que l’on propose assureraient la protection des indemnités destinées à ce groupe. Par ailleurs, l’approche centralisée envisagée établira un cadre qui est à la fois prévisible, clair et universel pour tous les bénéficiaires dépourvus de capacité juridique au Canada, et qui offre en outre des mécanismes clairs de protection et de surveillance.

[18] La Société de soutien invoque les conclusions du rapport de Youth in Care Canada, auquel la formation a déjà souscrit, pour faire valoir qu’il est indispensable que les personnes incapables de gérer leurs propres affaires financières reçoivent des services sensibles à leur culture et aux traumatismes subis pour éviter d’autres préjudices.

[19] La Société de soutien décrit le fardeau qui incomberait aux familles en l’absence de fiduciaire désigné. Elle convient qu’une indemnité ne peut pas être versée directement aux personnes dépourvues de capacité juridique. Les régimes des provinces, des territoires et celui de la Loi sur les Indiens envisagent la désignation d’un tuteur aux biens comme régime par défaut de dernier recours. Les fiduciaires désignés proposés, en revanche, offrent une solution de rechange aux régimes législatifs par défaut de « dernier recours », qui permettra d’exécuter de manière plus efficace les ordonnances du Tribunal.

[20] La formule du fiduciaire désigné permet d’éviter quatre obstacles auxquels se heurteraient les bénéficiaires dépourvus de capacité juridique. Premièrement, elle évite le défi d’avoir à déterminer les dispositions législatives qui s’appliquent à la personne sous les régimes législatifs provinciaux ou territoriaux ou sous le régime de la Loi sur les Indiens. La tâche complexe que représenterait l’analyse des dispositions législatives applicables obligerait peut-être les bénéficiaires à recruter un conseiller juridique, ce qui diminuerait d’autant leur montant d’indemnité. Deuxièmement, le régime législatif applicable dans une province ou un territoire aux personnes dépourvues de capacité juridique diffère souvent, selon qu’il s’agit d’adultes ou d’enfants. Troisièmement, les mesures administratives imposées aux familles par les régimes provinciaux ou territoriaux et celui de la Loi sur les Indiens peuvent avoir pour résultat que certaines familles ne prennent pas toutes les mesures nécessaires et qu’en conséquence, les bénéficiaires ne reçoivent pas leur indemnité. Quatrièmement, les régimes par défaut ne contiennent pas de dispositions garantissant que les bénéficiaires reçoivent des services sensibles à leur culture et aux traumatismes subis.

[21] La Société de soutien expose ensuite en détail certaines barrières auxquelles pourraient se heurter les tuteurs aux biens des mineurs dans le cadre des régimes par défaut. Ces barrières portent atteinte aux principes qui consistent à protéger l’intérêt supérieur des enfants bénéficiaires et à simplifier le plus possible le processus de paiement pour les bénéficiaires. Premièrement, le processus de demande est souvent lourd. Dans la plupart des cas, le parent ou le tuteur sera tenu de présenter une demande pour être nommé tuteur aux biens. Cette démarche pourrait l’obliger à procéder devant un tribunal, à payer des frais judiciaires connexes, et même à retenir les services d’un avocat. Le processus variera d’une province à une autre, et même, dans certains cas, au sein d’une même province, suivant le montant de l’indemnité qu’un bénéficiaire touchera. Le Québec, en particulier, applique des procédures différentes, selon que la valeur du bien est supérieure ou inférieure à 25 000 $. Deuxièmement, les mécanismes comptables représentent, pour un tuteur aux biens, un lourd fardeau administratif. De fait, les exigences comptables particulières diffèrent entre les provinces et territoires et, au Québec du moins, à l’intérieur même de la province, suivant le montant de l’indemnité reçue. Troisièmement, les tuteurs aux biens d’un mineur sont souvent tenus de déposer une caution. Les exigences, là encore, varient d’une région du pays à l’autre. Cette obligation de déposer une caution représente une entrave de plus à l’obtention d’une indemnité.

[22] La Société de soutien observe, de plus, qu’il y a aussi des contraintes pour les personnes désireuses d’être désignées comme tuteurs aux biens d’un adulte dépourvu de capacité juridique. Il y a, tout d’abord, un processus de demande qui présente en grande partie les mêmes défis que ceux des processus relatifs aux mineurs. Il s’y ajoute toutefois l’obligation de prouver l’absence de capacité, obligation qui augmente le risque de contestation litigieuse. On trouve aussi des dispositions comparables relatives à des garanties financières exigées du tuteur. Dans certains cas, il est obligatoire de présenter un plan de gestion des biens. La Société de soutien signale que quelques lois, telle l’Adult Capacity and Decision-making Act, SNS 2017, c. 4, à l’alinéa 7(1)c), exigent de convaincre le tribunal que la désignation d’un tuteur aux biens constitue la mesure la moins restrictive qui soit. Ensuite, les normes que les tuteurs aux biens sont censés respecter sont élevées; elles requièrent un jugement éclairé et la tenue de dossiers. Les tuteurs aux biens s’exposent au risque d’être tenus juridiquement responsables si les fonds sont mal gérés.

[23] Dans l’ensemble, la Société de soutien fait valoir que les dispositions fiduciaires proposées concordent avec une interprétation large de la LCDP, qui vise à remédier de façon efficace aux actes discriminatoires en cause. Ces dispositions sont celles qui protègent le mieux les intérêts propres au groupe particulièrement vulnérable des bénéficiaires qui n’ont pas la capacité juridique requise de gérer leurs propres finances.

(iv) L’Assemblée des Premières Nations

[24] L’APN appuie les dispositions fiduciaires du Projet de cadre d’indemnisation. Ces dispositions établissent une approche nationale dotée de règles et de normes claires sur la manière dont les fonds doivent être distribués aux bénéficiaires.

[25] L’APN est consciente du risque que les parents ou les tuteurs épuisent les fonds qu’ils détiennent en fiducie pour le compte d’un enfant; cependant, les dispositions proposées protègent les bénéficiaires vulnérables contre ce risque. Les dispositions fiduciaires visent à ce que les fonds soient préservés en totalité jusqu’à ce que l’enfant bénéficiaire atteigne l’âge de la majorité. Elles font contraste avec les régimes provinciaux ou territoriaux et avec celui de la Loi sur les Indiens, qui envisagent la possibilité de prélever des fonds de la fiducie, pour autant que les prélèvements sont faits dans l’intérêt supérieur du bénéficiaire. Plus particulièrement, il est possible, dans le cadre de quelques régimes provinciaux du moins, d’utiliser les fonds en fiducie pour payer des dépenses liées à l’entretien et aux frais de subsistance. Il est possible d’en faire autant pour des activités qui bénéficient directement à l’enfant, comme les soins de santé, les études et les activités sportives. Ces prélèvements sont particulièrement problématiques quand c’est l’État qui est le tuteur. L’APN s’inquiète d’un processus qui ferait vraisemblablement en sorte que certains bénéficiaires n’aient plus de fonds au moment d’atteindre l’âge de la majorité.

[26] Les dispositions fiduciaires établissent un régime national cohérent, qui permet de donner des directives uniformes quant à la manière de gérer les fonds en fiducie. Ces dispositions allègent également le fardeau des tuteurs aux biens individuels qui doivent « naviguer » dans le processus afin d’administrer les fonds eux‑mêmes. L’APN signale, tout comme la Société de soutien, les régimes différents en vigueur d’un bout à l’autre du Canada, et même, dans certains cas, au sein d’une même province ou d’un même territoire, en fonction du montant de l’indemnité en question. L’APN se dit préoccupée par le fait que les exigences en matière de rapports prévues dans les lois existantes ne sont pas suffisantes pour protéger les fonds d’indemnisation parce que, si quelqu’un en fait une utilisation abusive, il sera difficile de rectifier la situation avant qu’un bénéficiaire mineur n’atteigne sa majorité. À ce stade‑là, tout recours entraînera sans doute des procédures coûteuses. Dans le cas de la Loi sur les Indiens en particulier, les fonds ne seront pas investis de manière à produire des rendements raisonnables.

[27] L’APN soutient que le Tribunal a compétence pour approuver les dispositions fiduciaires que comporte le Projet de cadre d’indemnisation. La compétence réparatrice du Tribunal découle de la nature quasi constitutionnelle de la LCDP et du vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 53 pour ce qui est des réparations. L’APN invoque la décision Merrill Petroleums Ltd. v. Seaboard Oil Co., 1957 CanLII 631 (AB QB), 22 W.W.R. 529, à la page 557, à l’appui de la thèse qu’un acte de fiducie peut avoir préséance sur une loi provinciale. Les diverses lois sur les fiduciaires qu’ont adoptées des provinces et des territoires renforcent la primauté des actes de fiducie sur les dispositions législatives de nature générale. Par exemple, au Manitoba, la Loi sur les fiduciaires, C.P.L.M. c. T160 prévoit, à l’article 4, ce qui suit :

La présente loi n’autorise pas un fiduciaire à accomplir un acte qu’une disposition expresse de l’instrument créant la fiducie lui interdit d’accomplir ni à ne pas accomplir un acte qu’une disposition expresse de l’instrument créant la fiducie l’oblige à accomplir.

Dans le même ordre d’idées, en Ontario, la Loi sur les fiduciaires, LRO 1990, c. T.23 prévoit, à l’article 68, que :

La présente loi n’a pas pour effet d’autoriser un fiduciaire à faire ce qui lui est expressément interdit ni à ne pas faire ce qu’il est expressément obligé de faire aux termes de l’acte constitutif de fiducie.

[28] L’APN croit que les dispositions fiduciaires du Projet de cadre d’indemnisation font partie des mesures de réparation dont le Tribunal dispose. De plus, elles donneront effet à la directive du Tribunal selon laquelle les parties étaient tenues d’établir un processus garantissant que l’indemnité accordée aux mineurs « sera placée dans un fonds auquel ils auront accès à leur majorité » (Décision sur l’indemnisation, au par. 261).

(v) Les autres parties

[29] La NNA a indiqué qu’elle appuyait la position de la Société de soutien et de l’APN au sujet des dispositions fiduciaires. La Commission et les Chefs de l’Ontario n’ont pas pris position.

B. Analyse

[30] Le Tribunal a compétence, en vertu de l’article 53 de la LCDP, pour approuver les dispositions fiduciaires du Projet de cadre d’indemnisation, et ce, pour les raisons présentées ci‑après.

(i) La portée du droit des fiducies et du droit des tutelles

a) Les principes généraux

[31] L’APN décrit correctement le principe général selon lequel les régimes législatifs qui s’appliquent aux fiducies prévoient que, dans un acte de fiducie, des dispositions précises peuvent avoir préséance sur la plupart des aspects d’une loi. En particulier, la décision Merrill Petroleums Limited v. Seaboard Oil Company, 1957 CanLII 631 (AB QB), à la page 557, conf. par 1958 CanLII 499 (AB CA), étaye la thèse selon laquelle, s’il est vrai que les lois et la common law peuvent imposer certaines obligations aux fiduciaires, les dispositions précises de la fiducie sont régies par l’acte de fiducie :

[traduction]

Bien qu’il soit vrai aussi que la loi impose certaines obligations générales à n’importe quel fiduciaire (p. ex., l’obligation de ne pas tirer profit de la fiducie aux dépens des bénéficiaires), les obligations et les devoirs plus précis du fiduciaire sont énoncés dans l’acte de création de la fiducie autrement dit, exception faite des obligations générales que la loi impose à tous les fiduciaires, les modalités d’une fiducie sont établies dans l’acte de fiducie.

[32] Les lois provinciales et territoriales qui régissent les fiducies prévoient la possibilité qu’une fiducie distincte soit créée et gérée par un autre fiduciaire, une fiducie différente de celle des régimes définis dans les lois provinciales ou territoriales en matière de tutelle. Dans le même ordre d’idées, il n’existe dans la Loi sur les Indiens aucune disposition qui empêcherait une personne dépourvue de capacité juridique de bénéficier d’un acte de fiducie et de voir ses biens gérés par un fiduciaire d’une manière conforme à cet acte.

[33] La Société de soutien a fourni au Tribunal l’ouvrage intitulé Whaley Estate Litigation on Guardianship, dans lequel l’auteur Lionel J. Tupman indique, à la page 85, que la constitution d’une fiducie est une solution de rechange aux dispositions applicables par défaut de la loi ontarienne, qui portent sur la désignation d’un tuteur aux biens :

[traduction]

Modalités d’une fiducie

Il peut y avoir d’autres solutions ayant une incidence sur la désignation d’un tuteur en vertu de [la Loi portant réforme du droit de l’enfance de l’Ontario], dont diverses conventions de fiducie pouvant permettre que les biens soient détenus en fiducie par un parent ou un autre particulier/fiduciaire, un testament renfermant des dispositions fiduciaires, la désignation d’un fiduciaire ou une fiducie ou un acte constitutif de fiducie (fiducie entre vifs).

(Lionel J. Tupman, « Guardianship of Property », dans Whaley Estate Litigation on Guardianship, Kimberley A. Whaley et WEL, sous la dir. de Laura Cardiff (2015), disponible en ligne à l’adresse https://welpartners.com/resources/WEL-on-guardianship.pdf)

[34] La proposition de mettre en place une convention de fiducie expresse plutôt que de se fonder sur les dispositions législatives en matière de tutelle est générale. Elle ne se limite pas aux particularités de la loi ontarienne; elle s’applique à toutes les législations provinciales ou territoriales et à la Loi sur les Indiens, ainsi qu’à toutes les dispositions en matière de tutelle.

[35] Une étude des lois provinciales étaye la thèse voulant que le droit des fiducies prévoie de façon générale qu’une convention de fiducie peut avoir préséance sur les dispositions législatives en matière de fiducie. Par exemple, la Loi sur les fiduciaires de l’Ontario, LRO 1990, c. T.23, aux articles 67 et 68, dispose que les pouvoirs qui y sont prévus s’ajoutent à ceux conférés par l’acte constitutif de fiducie, et que rien dans cette loi n’autorise un fiduciaire à faire ce qui lui est expressément interdit de faire aux termes de l’acte constitutif de fiducie. En Alberta, la Trustee Act, RSA 2000, c. T‑8 ne comporte pas de disposition générale qui explique le rapport existant entre cette loi et les conventions de fiducie, mais elle en comporte certaines, telles que le paragraphe 35(6), qui confirment que des dispositions précises de la loi sont restreintes par les modalités de la convention de fiducie. Dans le même ordre d’idées, en Colombie‑Britannique, la Trustee Act, RSBC 1996, c. 464 comporte diverses dispositions, notamment le paragraphe 27(5), qui mentionne que celui-ci ne s’applique que si la convention de fiducie n’exprime pas d’intention contraire. Il paraît évident que, de manière générale, les lois provinciales visent une application qui s’harmonise avec celle d’une convention de fiducie. En fait, il semble que la plupart des lois aient été rédigées de manière à offrir une série de règles applicables par défaut au cas où une convention de fiducie ne traiterait pas d’une question particulière. Une lecture de ces lois n’étaye pas l’affirmation du Canada selon laquelle les lois provinciales empêchent le Tribunal de formuler une mesure de réparation qui revêtirait la forme d’une fiducie. Au contraire, ces lois constituent plutôt un cadre qui donnerait pleinement effet à n’importe quelle fiducie constituée.

b) Le régime prévu par la Loi sur les Indiens

[36] Le Canada dit douter que la Loi sur les Indiens offre un régime complet traitant des biens des personnes assujetties à cette Loi qui n’ont pas la capacité juridique de gérer leurs propres biens. Le Canada indique que les articles 51, 52 et les paragraphes 52.1 à 52.5 de la Loi sur les Indiens énoncent le régime applicable. Les observations du Canada sur cette question donnent peu d’indications, hormis la mention de ces dispositions législatives.

[37] À première vue, les dispositions de la Loi sur les Indiens semblent confirmer la thèse que seul le ministre peut gérer les biens d’une personne qui a le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens et qui est frappée d’incapacité juridique. Par exemple, le paragraphe 51(1) dispose que, « [s]ous réserve des autres dispositions du présent article, la compétence à l’égard des biens des Indiens mentalement incapables est attribuée exclusivement au ministre ». De même, pour ce qui est des enfants, l’article 52 prévoit que « [l]e ministre peut administrer tous biens auxquels les enfants mineurs d’Indiens ont droit, ou en assurer l’administration, et il peut nommer des tuteurs à cette fin ». Bien qu’il existe des dispositions portant sur la nomination d’une autre personne pour gérer les biens, les pouvoirs dont disposent les tuteurs aux biens désignés découlent de l’approbation du ministre (al. 51(2)a) et par. 52.2).

[38] Les dispositions en matière de fiducie contenue dans la Loi sur les Indiens sont nettement moins étoffées que les dispositions des lois provinciales et territoriales sur le sujet. Elles ne donnent aucune indication explicite sur leur interaction avec les dispositions d’une convention de fiducie. Cependant, une partie de la jurisprudence et des principes généraux relatifs aux fiducies fournissent un éclairage pertinent et étayent la conclusion voulant que la Loi sur les Indiens n’empêche pas le Tribunal d’ordonner les dispositions fiduciaires proposées.

[39] Premièrement, il ressort d’un certain nombre d’affaires que le ministre a appliqué de manière large les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens afin de permettre à d’autres de gérer des biens visés. Dans la décision Desmoulin (Committee of) v. Blair, 1991 CanLII 8345 (ON SC), le ministre a ordonné, en vertu du paragraphe 51(3) de la Loi sur les Indiens, que les biens de la personne soient gérés conformément aux lois de l’Ontario et, en conséquence, par un tuteur aux biens. Dans la décision Dickson (Estate of), 2012 YKSC 71, les faits mettent en évidence les efforts faits par le ministre pour trouver une autre personne pour gérer les biens en cause. D’autre part, dans la décision Polchies c. Canada, 2007 CF 493, des fonds destinés aux enfants ont été versés aux parents. En effet, des parents avaient créé des fonds en fiducie pour leurs enfants. Par ailleurs, le paragraphe 62 de la décision confirme que le ministre n’a pas la responsabilité exclusive des biens de tous les enfants qui ont le statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens et qui vivent dans une réserve :

[…] comme le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 52 peut naître de la simple existence de deux conditions (l’existence de biens sur lesquels des enfants mineurs des Indiens ont des droits et le fait qu’ils habitent dans une réserve), on obtiendrait un résultat absurde en disant que le ministre doit administrer tous les biens de tous les enfants indiens habitant dans des réserves ou organiser l’administration de tous ces biens.

De la même façon, la décision 1985 Sawridge Trust v. Alberta (Public Trustee), 2012 ABQB 365 portait sur un litige entourant une fiducie dont les bénéficiaires étaient des enfants qui avaient le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens. Ensemble, ces affaires étayent l’inférence selon laquelle le régime prévu par la Loi sur les Indiens s’applique en dernier recours, tout comme les régimes par défaut que prévoient les lois provinciales. La Loi sur les Indiens n’empêche pas l’existence d’une convention de fiducie en vertu de laquelle un fiduciaire agirait plutôt qu’en vertu de la Loi sur les Indiens.

[40] Deuxièmement, par nature, la fiducie de common law emporte dédoublement de la propriété. Le fiduciaire a la maîtrise juridique du bien, mais il n’a pas le droit de bénéficier de ses fruits. Quant au bénéficiaire, il n’a pas la maîtrise juridique du bien, mais il a droit aux bénéfices qui en découlent. Il existe un principe général du droit des biens selon lequel nul ne peut donner ce qu’il ne possède pas. Suivant les dispositions fiduciaires projetées en l’espèce, le Canada verserait les indemnités au fiduciaire, lequel en aurait la maîtrise juridique, tandis que le bénéficiaire obtiendrait le droit de bénéficier des indemnités. Le droit de propriété du fiduciaire sur les biens – c’est-à-dire la maîtrise juridique du fonds d’indemnisation – n’aura pas encore été transféré au bénéficiaire. Ainsi, les biens ne seront pas visés par la Loi sur les Indiens, parce que le bénéficiaire n’aura pas encore été investi de la maîtrise juridique des biens. Les bénéficiaires dépourvus de capacité juridique ne pourront pas confier l’administration du fonds d’indemnisation au ministre au titre de la Loi sur les Indiens, car ils n’auront pas la maîtrise juridique de leurs fonds d’indemnisation tant que les indemnités ne leur auront pas été versées conformément aux modalités de la convention de fiducie.

[41] De la même façon, le patrimoine détenu dans une fiducie de droit civil ne tomberait pas sous le coup de la Loi sur les Indiens, car le bénéficiaire n’aurait pas encore été investi de la maîtrise juridique des biens. Comme la Cour suprême du Canada (la « CSC ») l’a expliqué : « [la fiducie] de droit civil québécois ne découle pas d’un partage de la propriété d’un bien, mais plutôt du transfert de biens à un patrimoine créé à une fin particulière et dépourvu de titulaire » (Yared c. Karam, 2019 CSC 62, par. 17).

[42] En conclusion, les pratiques antérieures, aussi bien que la nature du droit des fiducies, étayent la thèse selon laquelle la Loi sur les Indiens n’empêche pas de créer les dispositions fiduciaires que propose le Projet de cadre d’indemnisation.

c) Les régimes législatifs provinciaux

[43] Le Canada fait aussi valoir que les lois provinciales établissent un régime législatif complet qui empêche le Tribunal d’imposer les dispositions fiduciaires proposées. Le Canada cite expressément à cet effet la Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, L.S. 2020, c. 2 de la Saskatchewan, de même que la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c. C‑12 de l’Ontario, et la Family Law Act, SBC 2011, c. 25 de la Colombie‑Britannique. Sans exposer de manière exhaustive chacun des régimes provinciaux et territoriaux, l’analyse qui suit prend en compte toutes les lois invoquées par le Canada au soutien de son argument selon lequel le Tribunal n’aurait pas compétence. Du reste, si l’on procède par analogie, la structure généralement similaire de ces dispositions de common law porte à croire que le rôle des fiducies est essentiellement le même dans les provinces et les territoires non visés par l’analyse.

[44] La loi actuellement en vigueur en Saskatchewan est la Loi de 1997 sur le droit de l’enfance, L.S. 1997, c. C‑8.2. La Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, L.S. 2020, c. 2 a reçu la sanction royale le 16 mars 2020, mais, comme l’indique son article 93, elle est censée entrer en vigueur par décret du lieutenant-gouverneur en conseil, ce qui n’était pas encore le cas à la date de la présente décision sur requête. Quoi qu’il en soit, les dispositions pertinentes sont les mêmes que dans la loi de 1997, la seule différence tenant à leur renumérotation. Ainsi, les renvois à la loi de 2020 apparaissent entre crochets immédiatement après les renvois à la loi de 1997 actuellement en vigueur.

[45] Dans la loi de 1997 de la Saskatchewan, la disposition clé est l’article 32 [article 47]. Aux termes de cette disposition, les « sommes exigibles et payables à l’enfant » seraient payables au tuteur aux biens de l’enfant sous le régime de la loi. Toutefois, si une fiducie est créée, aucune somme ne deviendrait exigible et payable à l’enfant avant d’avoir été versée par prélèvement sur les fonds détenus en fiducie conformément aux dispositions de la convention de fiducie. C’est donc dire que les dispositions de cette loi n’entrent pas en jeu. L’analyse faite selon la Loi sur les Indiens, à savoir que la nature de la fiducie fait en sorte que l’enfant ne peut pas accorder un droit de propriété qu’il ne détient pas, s’applique également au regard de cette loi. Comme le Canada le dit à juste titre, l’article 30 [article 45] prévoit que ce sont les parents qui, par défaut, agissent comme tuteurs aux biens d’un enfant. N’est pas pour autant exclue la possibilité pour l’enfant d’être le bénéficiaire d’une fiducie administrée par un fiduciaire autre que ses parents ou un autre tuteur désigné par le tribunal.

[46] En Ontario, les deux lois applicables sont la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c. C.12 et la Loi sur les fiduciaires, LRO 1990, c. T.23. La Loi portant réforme du droit de l’enfance n’envisage pas expressément le cas où l’enfant serait le bénéficiaire d’une fiducie distincte. Les seules dispositions se rapportant précisément au paiement, à un enfant, d’une indemnité supérieure à 10 000 $ figurent dans la Loi sur les fiduciaires, laquelle prévoit, au paragraphe 36(6), que cette indemnité doit être consignée au tribunal. Cependant, selon le Bureau du Tuteur et curateur public, qui chapeaute le poste de comptable de la Cour supérieure de justice, responsable d’administrer les fonds consignés au tribunal, il est possible d’exiger, dans une convention de fiducie, que les fonds de l’enfant soient gérés par un fiduciaire désigné plutôt que d’être consignés au tribunal ou payés à un tuteur nommé par le tribunal :

1. Pourquoi l’argent des enfants est‑il conservé au tribunal?

La loi de l’Ontario exige que les biens des enfants soient conservés au tribunal, à moins :

  • qu’une loi ou une ordonnance judiciaire n’en dispose autrement;

  • qu’un document, tel qu’un testament ou une fiducie, n’en dispose autrement;

  • qu’un tribunal ait nommé un tuteur aux biens de l’enfant.

(Bureau du Tuteur et curateur public « Comptable de la Cour supérieure de justice », question no 1, p. 3 (p. 5 du document pdf), http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/family/pgt/ascj.pdf).

[47] Bien que le Canada ait encore une fois raison de dire que les articles 47 à 51 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance de l’Ontario donnent préséance aux parents à titre de tuteurs aux biens d’un enfant, cela n’empêche pas la possibilité que l’enfant soit le bénéficiaire d’un fonds en fiducie. De plus, dans une affaire récente, Santella v. Bruneau (Litigation Guardian of), 2020 ONSC 2937, la Cour a refusé de nommer un parent comme tuteur aux biens, non pas à cause d’une preuve quelconque que ce parent risquerait de faire une utilisation abusive de la fiducie, mais parce que la consignation au tribunal de l’héritage en cause permettrait de mieux protéger les fonds, dans le cas peu probable où le parent perdrait sa capacité juridique ou ferait faillite. Il n’apparaît pas évident que la jurisprudence actuelle penche en faveur de la gestion, par les parents, d’importantes sommes d’argent placées en fiducie pour le compte de leurs enfants.

[48] En Colombie‑Britannique, la loi applicable est la Family Law Act, SBC 2011, c. 25. L’article 177 énonce qu’[traduction] « [u]ne personne ayant l’obligation de transmettre un bien à un enfant peut s’en acquitter en le remettant à un fiduciaire autorisé à le recevoir ». Selon les définitions qui figurent à l’article 175, un fiduciaire s’entend notamment d’une personne autorisée à jouer ce rôle aux termes d’une convention de fiducie. Ainsi, la loi rend possible que le Canada s’acquitte des obligations d’indemnisation imposées par les ordonnances du Tribunal en effectuant un paiement à un fiduciaire autorisé. Par ailleurs, il ressort de la présente analyse que le Canada a tort d’affirmer que les dispositions en question exigent qu’un fiduciaire soit désigné par ordonnance judiciaire.

[49] Les lois précises auxquelles le Canada fait référence n’étayent pas la thèse qu’il est préférable – et encore moins exigé – qu’une indemnité versée à des bénéficiaires mineurs le soit conformément aux dispositions énoncées dans les diverses lois de common law, plutôt qu’au moyen des dispositions fiduciaires proposées dans le Projet de cadre d’indemnisation.

d) Conclusion

[50] Les lois en matière de fiducie et de tutelle auxquelles le Canada a fait référence n’empêchent pas le Tribunal d’entériner les dispositions fiduciaires contenues dans le Projet de cadre d’indemnisation. Premièrement, la structure générale du droit des fiducies est telle que le cadre législatif en vigueur peut coexister harmonieusement avec une convention de fiducie. Ce cadre législatif n’est pas destiné à exclure ni à restreindre la constitution de fiducies. Deuxièmement, la Loi sur les Indiens permet l’existence de fiducies constituées autrement que sous son régime. La Loi sur les Indiens doit plutôt être considérée comme comportant des dispositions qui s’appliquent s’il n’existe pas d’autres mécanismes pour gérer les biens d’une personne dépourvue de capacité juridique. Et, enfin, les régimes provinciaux envisagent, souvent de manière explicite, des versements dans des comptes en fiducie plutôt que la désignation en dernier recours d’un tuteur aux biens.

(ii) La portée des dispositions réparatrices de la LCDP

[51] L’article 53 de la LCDP indique ce qui suit :

53 (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

[52] À l’article 54, le législateur impose des limites à l’application de l’article 53 de la LCDP :

54 L’ordonnance prévue au paragraphe 53(2) ne peut exiger :

a) le retrait d’un employé d’un poste qu’il a accepté de bonne foi;

b) l’expulsion de l’occupant de bonne foi de locaux, moyens d’hébergement ou logements.

[53] La LCDP ne fait état d’aucune autre limite aux mesures de réparation.

[54] En conséquence, la formation s’inspire de la méthode préconisée par Driedger et estime que, dans n’importe quelle analyse relative aux droits de la personne, il est justifié, selon une approche entérinée par la Cour suprême, d’interpréter la Loi de manière large et axée sur la finalité :

Selon le principe moderne d’interprétation des lois, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Elmer A. Driedger, The Construction of Statutes, (Toronto, Butterworths, 1974), à la page 67.

(Andrews et al. c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21, par. 58)

[55] Le Tribunal a donné des précisions sur cette méthode d’interprétation dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14, aux par. 12 et 13 :

[12] La règle d’interprétation législative de base est la suivante : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Elmer Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87; voir également Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21).

[13] La nature de la législation relative aux droits de la personne est également prise en compte lors de son interprétation :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l’essor des droits individuels d’importance vitale, lesquels sont susceptibles d’être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu’en interprétant la Loi, les termes qu’elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façon à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu’offre la Loi d’interprétation fédérale lorsqu’elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

((CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114, à la p. 1134)

Dans le même ordre d’idées, dans B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, au paragraphe 44, la Cour suprême a réitéré ce qui suit :

Plus généralement, notre Cour a dit à maintes reprises que les lois sur les droits de la personne possèdent un caractère unique et quasi constitutionnel, et qu’il faut leur donner une interprétation libérale et téléologique, propre à favoriser le respect des considérations de politique générale qui les sous‑tendent : voir, à titre d’exemple, Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, par. 120; Université de la Colombie‑Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, p. 370; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, p. 89‑90; Insurance Corp. of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, p. 157‑158.

(B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, au paragraphe 44)

[Non souligné dans l’original.]

[56] L’article 2 de la LCDP énonce en ces termes l’objet de la Loi :

2 La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée.

[57] L’article 3 de la LCDP interdit la discrimination (distinction illicite), et les articles 5 à 14.1 énoncent les actes discriminatoires illicites.

[58] Aux dires de la Cour suprême du Canada, les lois relatives aux droits de la personne sont « le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation » (voir Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 1992 CanLII 67 (CSC), [1992] 2 RCS 321; voir aussi la décision 2018 TCDP 4, au par. 44).

[59] Le paragraphe 53(2) de la LCDP mentionne que le membre instructeur peut « ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire : » [make an order … and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate] [non souligné dans l’original]. Cet énoncé dénote que le Parlement a accordé aux membres instructeurs une grande latitude pour ce qui est de remédier à un acte discriminatoire et d’éviter qu’il se répète. Il concorde avec l’approche au cas par cas et avec les programmes spéciaux dont il est question à l’article 16 de la LCDP, et que la Cour suprême a analysés dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]. Dans cette affaire, l’appelante, le groupe Action Travail des Femmes, alléguait que le CN s’était rendu coupable d’actes discriminatoires en matière d’embauche et de promotion, au sens de l’article 10 de la LCDP, en refusant aux femmes la possibilité d’occuper certains emplois manuels non spécialisés. Un tribunal des droits de la personne constitué sous le régime de la Loi a instruit la plainte, a jugé qu’il ressortait clairement de la preuve que les politiques du CN en matière de recrutement, d’embauche et de promotion empêchaient et dissuadaient les femmes d’exercer des emplois manuels, et a conclu qu’il était essentiel d’imposer au CN un programme spécial d’emploi. Il a été demandé à la CSC de décider si le tribunal était habilité par l’alinéa 41(2)a) (aujourd’hui l’alinéa 53(2)a) de la LCDP) à imposer à un employeur un « programme d’équité en matière d’emploi » pour remédier au problème de la « discrimination systémique » dans l’embauche et la promotion des membres d’un groupe désavantagé, en l’occurrence les femmes.

[60] La CSC a tout d’abord exclu un recours à la méthode d’interprétation grammaticale stricte dans l’affaire qui lui était soumise :

Je ne pense pas qu’on puisse répondre à la question soulevée dans le présent pourvoi au moyen d’une interprétation grammaticale stricte de l’expression « prévenir les actes semblables » de l’al. 41(2)a), et ce, pour au moins trois raisons. En premier lieu, une telle solution fait perdre tout son sens à la référence expresse au par. 15(1) que fait l’al. 41(2)a). Le paragraphe 15(1) de la Loi vise à protéger les programmes d’équité en matière d’empli contre toute contestation pour le motif qu’ils constituent de la « discrimination à rebours ». Si l’al. 41(2)a) était interprété de façon à limiter la portée de ces programmes, aucun programme d’équité en matière d’emploi obligatoire et efficace ne pourrait être mis en œuvre dans quelques circonstances que ce soit et la garantie législative apportée au principe de l’équité en matière d’emploi se trouverait annulée. En deuxième lieu, en ne s’intéressant qu’à l’aspect limité des objectifs de l’al. 41(2)a) lui-même, on oublie le but premier de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(Action Travail des Femmes, à la page 1133)

[61] Au contraire, pour interpréter la LCDP, il est important de prendre en compte son objet, qui est de compléter la législation canadienne actuelle, comme il est indiqué à l’article 2, afin de donner effet au principe selon lequel tout être humain devrait avoir des chances égales de vivre sa vie sans discrimination (Action Travail des Femmes, à la page 1133). Il convient de rappeler que la législation en matière de droits de la personne vise à donner effet à des droits d’importance vitale, susceptibles d’être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice (Action Travail des Femmes, à la page 1134). Par conséquent, si le sens des mots employés dans la LCDP est important, le fait de reconnaître et de donner pleinement effet aux droits qui y sont énoncés l’est tout autant (Action Travail des Femmes, à la page 1134). Cela concorde aussi avec une autre loi fédérale, la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, selon laquelle les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent donc s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets (Action Travail des Femmes, à la page 1134).

[62] Cette méthode globale d’interprétation de la législation en matière de droits de la personne a été énoncée pour la première fois dans l’arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, 1982 CanLII 27 (CSC), [1982] 2 RCS 145, où le juge Lamer a reconnu la nature fondamentale de telles lois : un code des droits de la personne ne doit pas être considéré « comme n’importe quelle autre loi d’application générale; il faut le reconnaître pour ce qu’il est, c’est‑à‑dire une loi fondamentale » (Action Travail des Femmes, aux pages 1135 et 1136, citant l’arrêt Heerspink, à la page 158). Ce principe d’interprétation a plus tard été confirmé et précisé dans l’arrêt Winnipeg School Division No. I c. Craton, 1985 CanLII 48 (CSC), [1985] 2 RCS 150, à la page 156, où le juge McIntyre, s’exprimant au nom d’une Cour unanime, a écrit :

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d’intérêt général. Elle n’est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu’elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d’une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l’abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions.

(Extrait cité dans l’arrêt Action Travail des Femmes, à la page 1136.)

[63] La même année, dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536 [O’Malley], le juge McIntyre, s’exprimant là encore au nom d’une Cour unanime, a établi les principes régissant l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne :

Ce n’est pas, à mon avis, une bonne solution que d’affirmer que, selon les règles d’interprétation bien établies, on ne peut prêter au Code un sens plus large que le sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés. Les règles d’interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l’objet spéciaux de ce texte législatif […] et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une loi de ce genre est d’une nature spéciale. Elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire. II appartient aux tribunaux d’en rechercher l’objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppression de la discrimination.

(O’Malley, aux pages 546 [et 547], cité dans Action Travail des Femmes, à la page 1136.)

[64] La LCDP est axée sur les actes discriminatoires et leurs effets (Action Travail des Femmes, à la page 1138, faisant référence à l’arrêt Bhinder c. CN, 1985 CanLII 19 (CSC), [1985] 2 RCS 561, et à l’arrêt O’Malley).

[65] Il faut également appliquer ces principes pour interpréter les pouvoirs réparateurs que la LCDP confère au Tribunal. Dans l’arrêt Action Travail des Femmes, la CSC a été saisie de preuves de discrimination systémique, dont la définition a été établie comme suit :

[…] la discrimination systémique en matière d’emploi, c’est la discrimination qui résulte simplement de l’application des méthodes établies de recrutement, d’embauche et de promotion, dont ni l’une ni l’autre n’a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l’exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l’exclusion favorise la conviction, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe, qu’elle résulte de forces « naturelles ».

(Action Travail des Femmes, à la page 1139 faisant référence à Abella, Rosalie S. Rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi, Ottawa : Ministère des Approvisionnements et Services du Canada, 1984).

[66] De l’avis de la CSC, le paragraphe 2 de l’ordonnance relative à des mesures temporaires spéciales, qui ordonnait au CN de mettre en œuvre un programme d’emploi spécial, était expressément conçu pour s’attaquer et remédier au genre de discrimination systémique qui, dans l’affaire en cause, visait les femmes. La CSC a donc traité de la question précise de la portée des pouvoirs de réparation établis par l’alinéa 41(2)a) (aujourd’hui l’alinéa 53(2)a)) de la LCDP, en tenant compte du pouvoir accordé au Tribunal d’ordonner des mesures concernant « l’adoption d’une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux visés au paragraphe 15(1) » (aujourd’hui le paragraphe 16(1)), pour « prévenir les actes semblables » (Action Travail des Femmes, à la page 1139).

[67] Souscrivant à l’opinion dissidente du juge MacGuigan, de la Cour d’appel fédérale, dans la cause en appel, la CSC a décrété que l’alinéa 41(2)a) (aujourd’hui l’alinéa 53(2)a)) était « conçu pour permettre aux tribunaux des droits de la personne d’empêcher que des groupes protégés identifiables ne soient à l’avenir victimes de discrimination » (Action Travail des Femmes, à la page 1141). Dans les affaires de discrimination systémique, pour prévenir la répétition de pratiques discriminatoires, il est souvent nécessaire de se reporter à des régimes historiques de discrimination pour concevoir les stratégies qui seront appropriées à l’avenir (Action Travail des Femmes, à la page 1141). De plus, la CSC a déclaré que le genre de mesures que le Tribunal avait ordonnées dans cette affaire pouvait être le seul moyen de réaliser l’objet de la LCDP, soit combattre et prévenir toute discrimination future (Action Travail des Femmes, aux pages 1141 et 1145).

[68] Dans de telles affaires, on ne peut dissocier la « réparation » de la « prévention », étant donné qu’« il ne peut y avoir de prévention sans une forme quelconque de réparation » (Action Travail des Femmes, à la page 1142). Dans ce contexte, les réparations que prévoit l’alinéa 53(2)a) de la LCDP sont axées sur un groupe protégé bien précis, et elles sont non seulement de nature compensatoire, mais aussi de nature prospective. Cela étant, pour atteindre l’objectif de prévention de la LCDP, « mettre en œuvre des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux », comme il est indiqué au paragraphe 16(1) de la LCDP, répond à trois grands objectifs : 1) contrecarrer les effets de la discrimination systémique, 2) s’attaquer au problème des attitudes stéréotypées et 3) créer une masse critique, qui « permettrait au système de continuer à se corriger par lui-même » (Action Travail des Femmes, aux pages 1143 et 1144).

[69] En somme, tout en décrétant que le Tribunal avait le pouvoir d’ordonner une telle mesure spéciale, la CSC a résumé ses conclusions en ces termes :

Pour des motifs de commodité, je vais résumer mes conclusions sur la validité du programme d’équité en matière d’emploi ordonné par le tribunal. Pour rendre vaine toute discrimination future, détruire les stéréotypes discriminatoires et créer la « masse critique » requise d’intégration du groupe visé à la main-d’œuvre, il est essentiel de combattre les effets de la discrimination systémique antérieure. Ce faisant, on crée des possibilités d’amélioration permanente des chances d’emploi pour le groupe autrefois exclu. L’objet dominant des programmes d’équité en matière d’emploi est toujours d’améliorer la situation future du groupe visé. Le juge MacGuigan souligne, dans ses motifs de dissidence, qu’« on peut raisonnablement s’attendre à ce que la prévention de la discrimination systémique exige des sanctions à caractère systémique » (p. 120). Les sanctions systémiques doivent être fondées sur l’expérience du passé, afin d’empêcher la discrimination future. Des objectifs d’embauche précis, comme l’a reconnu le juge Hugessen, constituent une tentative rationnelle d’imposer un correctif systémique à un problème systémique. L’ordonnance de mesures spéciales temporaires du tribunal est donc conforme à l’al. 41(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle constitue un « programme, plan ou arrangement spécial » au sens du par. 15(1), qui peut donc être ordonné en vertu de l’al. 41(2)a). L’ordonnance d’équité en matière d’emploi est logiquement conçue pour combattre la discrimination systémique dans la région du St‑Laurent du Canadien National par la prévention d’« actes semblables ».

(Action Travail des Femmes, aux pages 1145 et 1146)

[70] La formation s’est fondée à plusieurs reprises sur les principes que la Cour suprême du Canada a établis dans l’arrêt Action Travail des Femmes; voir, par exemple, les décisions 2016 TCDP 2, au paragraphe 468, 2016 TCDP 10, aux paragraphes 12 à 18, 2018 TCDP 4, aux paragraphes 21 à 39 et 2019 TCDP 39, au paragraphe 97.

[71] Dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), [1987] 2 RCS 84 [Robichaud], la CSC avait à décider si, sous le régime de la LCDP, un employeur était responsable des actes discriminatoires accomplis sans autorisation par ses employés dans le cadre de leur emploi. Selon la CSC, pour pouvoir déterminer le régime juridique de responsabilité qui s’appliquait en vertu de la LCDP, il était nécessaire de commencer par examiner la Loi elle-même, dont « le texte, à l’instar de celui des autres lois, doit être interprété en fonction de sa nature et de son objet » (Robichaud, au par. 7).

[72] Conformément à l’arrêt Robichaud, au paragraphe 8, l’objet de la LCDP, énoncé à l’article 2, est de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement, sans discrimination. Il faut donc considérer que la LCDP assure la promotion des considérations de politique générale qui la sous-tendent (arrêt Robichaud, au par. 8, en faisant référence à l’arrêt O’Malley). Étant donné que la LCDP intègre certains objectifs fondamentaux de la société, son interprétation doit donc se faire selon la méthode juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets (arrêt Robichaud, au par. 8, en faisant référence à l’arrêt Action Travail des Femmes).

[73] Le Tribunal a également examiné l’article 16 de la LCDP en ce qui a trait à l’adoption d’un programme, d’un plan ou d’un arrangement spécial ainsi qu’à la prévention de la discrimination, en citant la décision Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), 1997 CanLII 14[33] (TCDP) dans la décision 2018 TCDP 4, au paragraphe 34 :

L’article 53(2)a) de la LCDP confère au Tribunal la compétence de rendre une ordonnance « de ne pas faire ». Par ailleurs, si le Tribunal estime qu’il convient de le faire pour éviter qu’une pratique identique ou semblable survienne dans l’avenir, il peut ordonner certaines mesures, dont l’adoption de programmes, de plans ou d’arrangements spéciaux mentionnés à l’article 16(1) de la LCDP (voir National Capital Alliance on Race Relations (NCARR) c. Canada (Department of Health & Welfare) T.D.3/97, aux p. 30 et 31). Dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 RCS 1114 [Action Travail des Femmes]), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la portée de cette compétence. En faisant sienne l’opinion dissidente du juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale, la Cour a décrété :

[…] l’al. 41 (2) a) [aujourd’hui l’al. 53(2)a)] a été conçu pour permettre aux tribunaux des droits de la personne d’empêcher que des groupes protégés identifiables ne soient à l’avenir victimes de discrimination, mais il a jugé que le terme « prévention » est fort général et qu’il est souvent nécessaire de se référer à des régimes historiques de discrimination pour concevoir les stratégies appropriées à l’avenir. (à la p. 1141)

[Non souligné dans l’original.]

[74] Conformément à ces principes d’interprétation, les réparations possibles de sous le régime de la LCDP doivent être efficaces et « compatibles avec la nature “quasi constitutionnelle” des droits protégés » (Robichaud, au par. 13). Dans l’affaire dont elle était saisie, la CSC a donc conclu que les vastes pouvoirs de réparation que prévoit la LCDP devaient pouvoir être exercés contre l’employeur. Une interprétation plus étroite de la Loi aurait pour effet d’annuler ses pouvoirs de réparation :

Qui d’autre que l’employeur pouvait ordonner la réintégration? Il en va de même de l’al. c) qui prescrit l’indemnisation pour les pertes de salaire et les dépenses. En fait, si la Loi s’intéresse aux effets de la discrimination plutôt qu’à ses causes (ou motifs qui la sous‑tendent), force est de reconnaître que seul l’employeur peut remédier à des effets peu souhaitables; seul l’employeur est en mesure de fournir le redressement le plus important, celui d’un milieu de travail sain. La Loi met l’accent sur la prévention et l’élimination de conditions peu souhaitables plutôt que sur la faute, la responsabilité morale et la punition, c’est pourquoi il convient d’assurer l’efficacité des redressements soigneusement conçus par le législateur. Cela indique que l’intention de l’employeur n’est pas pertinente, du moins aux fins du par. 41(2). Il importe d’ailleurs de souligner que le par. 41(3) prévoit des redressements supplémentaires pour le cas où l’acte discriminatoire a été commis avec négligence ou de propos délibéré (c.‑à‑d. intentionnellement). Bref, je suis convaincu que l’objet de la Loi ne peut être atteint que si la Commission est investie du pouvoir de s’attaquer au cœur du problème, d’empêcher qu’il ne se pose de nouveau et d’exiger que des mesures soient prises pour améliorer le milieu de travail.

(Robichaud, au par. 15)

[Non souligné dans l’original]

[75] La formation s’est fondée à plusieurs reprises sur les principes que la Cour suprême du Canada a établis dans l’arrêt Robichaud; voir, par exemple, les décisions 2016 TCDP 2, aux paragraphes 43 et 468; 2016 TCDP 10, aux paragraphes 11 à 18; 2018 TCDP 4, aux paragraphes 26 et 28; et 2019 TCDP 39, au paragraphe 94.

[76] De plus, le libellé de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP est d’une portée suffisamment large pour englober l’ordonnance relative aux indemnités à être versées dans un fonds en fiducie. L’idée, ici, est que l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP autorisent chacun le versement d’une somme maximale de 20 000 $, et que la formation a conclu que la discrimination exercée dans la présente affaire est la pire qui soit, ce qui justifie l’octroi du montant maximal autorisé par la Loi (voir la décision 2019 TCDP 39, aux par. 242, 247, 249, 250 et 258).

[77] Ordonner que des indemnités soient versées en fiducie n’est pas une situation inédite, et une telle mesure s’inscrit dans la portée des vastes pouvoirs de réparation de la LCDP.

[78] Il est arrivé qu’un tribunal ordonne qu’une réparation pécuniaire soit versée dans une fiducie plutôt que directement au bénéficiaire, dans la mesure où cet arrangement était plus avantageux pour ce dernier :

Je ferais également droit à la demande de S.A. pour que la MVHC verse les dépens accordés dans une fiducie assortie des mêmes modalités et ayant les mêmes bénéficiaires et les mêmes fiduciaires que la fiducie en cause en l’espèce.

(S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, au par. 73.)

[79] Le fait que, dans cette affaire, l’ordonnance ait été rendue par la Cour suprême du Canada en appel d’une Cour supérieure n’est pas une caractéristique distinctive. Les motifs ne l’indiquent pas, mais la Cour s’en remet à la compétence inhérente des cours supérieures pour ordonner que les dépens soient versés dans la fiducie. Il semble que des tribunaux aient rendu des ordonnances semblables dans les décisions Otis Canada Inc. v. International Union of Elevator Constructors, 1991 CanLII 12578 (NS LA) et dans l’instance relative à l’affaire Vermilion Resources Ltd. (Re), 2011 CanLII 95455 (AB SRB), en amont de la décision rendue. De façon plus générale, une indemnité ou des dommages-intérêts sont souvent payés en fiducie à l’avocat représentant la partie qui a eu gain de cause, plutôt que directement à cette dernière. On peut procéder ainsi même quand l’ordonnance n’autorise pas expressément le versement dans un fonds en fiducie. De plus, le Tribunal a compétence pour mettre en application le vaste pouvoir de réparation que lui confère la loi quasi constitutionnelle qu’est la LCDP (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 RCS 789, au par. 26, et Hughes, James Peter c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au par. 50). À l’article 53, il est question aussi, de façon plus générale, d’ordonner à une personne « d’indemniser la victime » d’un acte discriminatoire. Cet article ne limite pas l’indemnisation à un paiement versé directement à la victime. Le fait de bénéficier de fonds versés en fiducie et administrés par un fiduciaire est certainement une forme d’indemnisation. Par conséquent, une interprétation appropriée des vastes pouvoirs de réparation que prévoit l’article 53 de la LCDP confirme le fait que le Tribunal peut exercer pareils pouvoirs et ordonner que les indemnités soient versées dans une fiducie, s’il est dans l’intérêt du bénéficiaire qu’il en soit ainsi.

(iii) Application

[80] La formation considère le fonds en fiducie comme une mesure de réparation hybride. D’une part, une indemnité est versée. D’autre part, le processus que l’on privilégie pour payer cette indemnité prend en compte d’autres facteurs pertinents, comme la création d’un processus sûr du point de vue culturel et tenant compte des circonstances précises de l’affaire, de la vulnérabilité des victimes ou des survivants qui sont des mineurs ou des adultes dépourvus de capacité juridique, de l’accès à la justice, de la nécessité d’un processus clair et équitable dans l’ensemble du Canada, de la protection des fonds contre le prélèvement de frais administratifs, etc. Cet aspect de la réparation peut donc être considéré comme un « programme, plan ou arrangement spécial » prévu par la LCDP et expliqué par la Cour suprême et le Tribunal dans les décisions susmentionnées. Bref, le fonds en fiducie est également une mesure de réparation qui tient compte des besoins précis des victimes ou des survivants dans le cadre d’une affaire où les legs du colonialisme, des pensionnats, de la « rafle des années soixante » et des préjugés historiques ont été constatés par le Tribunal. Pour ces raisons, l’analyse et le raisonnement de la LCDP exposés aux paragraphes 51 à 75, soit la section qui traite de la portée des dispositions réparatrices de la LCDP, s’appliquent à l’aspect « fonds en fiducie » de l’indemnisation.

[81] La formation convient qu’il est indispensable que des personnes qui ne peuvent gérer leurs propres affaires financières bénéficient de services adaptés sur le plan culturel et sensibles aux traumatismes vécus pour éviter d’autres préjudices. Ce point de vue concorde avec les propos tenus par la Cour suprême, et mentionnés plus haut, quant au besoin de se reporter à des « régimes historiques de discrimination » pour concevoir les stratégies qui seraient appropriées à l’avenir (Action Travail des Femmes, à la page 1141). Il cadre également avec l’approche privilégiée dans les décisions sur requête que la formation a rendues.

[82] La formation convient avec la Société de soutien que, sans un fiduciaire désigné, un fardeau serait imposé aux familles. Elle convient également que les régimes provinciaux et le régime prévu par la Loi sur les Indiens, auxquels les parties font référence, prévoient la désignation d’un tuteur aux biens à titre de régime par défaut de dernier recours. La formule du fiduciaire désigné qui est proposée offre une solution de rechange aux régimes législatifs par défaut de « dernier recours » qui permettra d’exécuter de manière plus efficace les ordonnances du Tribunal. Il n’y a donc pas de contradiction entre, d’une part, la formule du fiduciaire désigné et des dispositions fiduciaires qui est proposée dans le Projet de cadre d’indemnisation et approuvée en vertu de la LCDP et, d’autre part, le droit en matière de fiducie et de tutelle auquel le Canada renvoie.

[83] Enfin, la formation souscrit à l’argument de la Société de soutien selon lequel la formule du fiduciaire désigné permet d’éviter les quatre obstacles mentionnés plus tôt, auxquels se heurteraient les bénéficiaires dépourvus de capacité juridique. Premièrement, elle évite le défi d’avoir à déterminer les dispositions législatives qui s’appliquent à la personne sous les régimes législatifs provinciaux ou territoriaux ou sous les régimes statutaires. La tâche complexe que représenterait l’analyse des dispositions législatives applicables obligerait peut-être les bénéficiaires à recruter un conseiller juridique, ce qui diminuerait d’autant leur montant d’indemnité. Deuxièmement, le régime législatif applicable dans une province ou un territoire aux personnes dépourvues de capacité juridique diffère souvent, selon qu’il s’agit d’adultes ou d’enfants. Troisièmement, les mesures administratives imposées aux familles par les régimes provinciaux ou territoriaux et celui de la Loi sur les Indiens peuvent avoir pour résultat que certaines familles ne prennent pas toutes les mesures nécessaires et qu’en conséquence, les bénéficiaires ne reçoivent pas leur indemnité. Quatrièmement, les régimes par défaut ne contiennent pas de dispositions garantissant que les bénéficiaires reçoivent des services sensibles à leur culture et aux traumatismes subis.

[84] L’approche adoptée par la formation pour résoudre la prétendue incompatibilité entre la LCDP, loi quasi constitutionnelle, et la législation provinciale se fonde en partie sur l’analyse suivie dans l’arrêt Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67. Il est souligné dans cet arrêt que, dans la mesure où les législateurs n’ont pas l’intention d’adopter des dispositions législatives contradictoires, les lois sont présumées fonctionner comme un tout cohérent :

Premièrement, les tribunaux adoptent une interprétation restrictive de ce qui constitue un conflit dans un tel contexte. Deuxièmement, les tribunaux estiment qu’il y a conflit seulement lorsque le conflit, au sens strict du terme, ne peut être évité par l’interprétation. Le chevauchement n’est pas en soi un conflit dans ce contexte, de sorte que, même si les champs d’application de deux dispositions se chevauchent, on présume qu’elles sont censées s’appliquer, pourvu qu’elles puissent le faire sans que cela mène à un résultat absurde. Cette présomption peut être réfutée si l’une des dispositions est censée traiter la matière de façon exhaustive. Troisièmement, ce n’est que si le confit est inévitable que le tribunal doit recourir aux dispositions légales et aux principes d’interprétation permettant de déterminer quelle loi prime l’autre.

(Thibodeau, au par. 92.)

[85] La Cour fait ensuite remarquer qu’il n’y a conflit que si l’application concurrente de deux textes de loi crée un résultat absurde, ou s’il existe une contradiction directe, comme dans cet exemple où un texte de loi ne permettait d’obtenir une prorogation de délai qu’avant l’expiration de ce délai, alors qu’une autre loi prévoyait la possibilité d’obtenir une telle prorogation après l’expiration du délai (Thibodeau, aux par. 94 à 96).

[86] Comme il a été indiqué plus tôt, il est possible d’interpréter le droit provincial en matière de fiducie et de tutelle d’une manière qui s’harmonise avec la LCDP. Cela s’applique également à la Loi sur les Indiens, si l’on procède par analogie avec les lois de common law provinciales qui soulignent que les dispositions en matière de tutelle sont censées constituer un régime par défaut pouvant être bonifié par la création de fiducies. Conformément à l’analyse faite dans l’arrêt Thibodeau, il s’agit là de l’approche qu’il convient d’adopter.

[87] Il est vrai que l’arrêt Thibodeau concernait de prétendues incompatibilités entre des dispositions législatives adoptées par un même gouvernement. Dans la présente affaire, le Canada affirme qu’il existe de tels conflits entre la LCDP fédérale et les lois provinciales en matière de fiducie et de tutelle. Le résultat est le même.

[88] Premièrement, quand on examine s’il y a conflit entre des lois adoptées par des gouvernements provinciaux et celles adoptées par le gouvernement fédéral, le principe comparable est celui du fédéralisme coopératif; la doctrine vise à « faciliter l’intégration des régimes législatifs fédéraux et provinciaux » (Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, au par. 17). La conclusion selon laquelle les lois provinciales et fédérales peuvent fonctionner en harmonie s’appuie sur des bases solides.

[89] Deuxièmement, même si l’argument du Canada selon lequel les lois provinciales limitent la portée réparatrice de la LCDP était fondé, le Tribunal serait assujetti aux exigences du paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 :

Questions constitutionnelles

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

[90] Le Canada n’ayant pas signifié d’avis de question constitutionnelle, le Tribunal ne serait pas en mesure de conclure que les dispositions de LCDP sont inapplicables ou inopérantes, au vu des lois provinciales sur lesquelles le Canada se fonde. La formation a clairement démontré dans son analyse que, selon une interprétation appropriée de la LCDP, les modalités de fiducie proposées s’inscrivent dans la portée des dispositions réparatrices de la LCDP.

[91] Dans les faits, adhérer à la proposition du Canada selon laquelle il y a lieu de s’appuyer sur les lois provinciales pour verser des indemnités à des mineurs et à des adultes dépourvus de capacité juridique revient à permettre que d’autres lois viennent restreindre la portée d’une ordonnance rendue par notre formation, laquelle a déterminé que les sommes dues aux victimes de l’acte discriminatoire étaient justifiées. Comme mentionné plus tôt, de nombreuses lois provinciales permettent de soustraire des frais administratifs et autres dépenses des fonds versés aux bénéficiaires. Or, agir de la sorte risquerait d’épuiser le montant à verser aux victimes et réduirait l’indemnité que notre formation a jugée appropriée, compte tenu du préjudice moral occasionné aux victimes par la discrimination raciale exercée. Un tel résultat ne saurait être l’intention du Parlement. En fait, autoriser que les lois provinciales permettent une réduction du montant que la formation a ordonné au Canada de payer aux victimes ou aux survivants équivaudrait à laisser les provinces exercer leur compétence d’une manière faisant obstacle aux ordonnances du Tribunal, ce qui est inadmissible. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 RCS 230 [Matson et Andrews], n’a pas éliminé le principe de la primauté de la LCDP sur d’autres lois d’application générale en présence d’une conclusion de discrimination (voir la décision 2020 TCDP 20, aux par. 253 à 265).

[92] Même si le Canada n’a attiré l’attention de notre formation que sur trois régimes législatifs provinciaux, il convient de conclure que ces régimes législatifs sont représentatifs du droit des fiducies et du droit des tutelles en vigueur dans tout le Canada. Plus précisément, aucun autre régime provincial ou territorial n’est plus favorable à la position du Canada. Si tel avait été le cas, le Canada l’aurait mis de l’avant dans ses observations. Si la formation cherchait à examiner en détail les autres régimes législatifs provinciaux et territoriaux en matière de fiducie et de tutelle, cela aurait pour effet de priver les parties d’une possibilité de présenter leurs arguments au sujet de ces régimes et de priver la formation du bénéfice de toute aide que les observations des parties pourraient lui apporter, pour ce qui est d’examiner les nuances à distinguer dans de tels régimes. Par ailleurs, la common law s’applique en général de la même manière dans l’ensemble des provinces et des territoires. S’il y avait des différences marquées dans d’autres lois provinciales et territoriales de common law, il aurait fallu que le Canada les porte à l’attention du Tribunal et des autres parties. Les dispositions en matière de fiducie prévues au Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, ne sont peut-être pas semblables en tout point à celles de la common law, étant donné que le Québec applique le droit civil. Mais si ces dispositions québécoises confirmaient sa position selon laquelle les lois provinciales empêchent de créer une fiducie sous le régime de la LCDP, il aurait fallu que le Canada invoque un argument fondé sur le droit québécois. Là encore, en l’absence d’un tel argument, la formation peut conclure que le résultat auquel on arriverait en regard du droit québécois serait le même que dans les provinces de common law, même si le raisonnement peut être différent en droit civil.

[93] Dans l’exercice de sa compétence pour accorder des réparations en présence d’un acte discriminatoire établi, la formation se fonde sur une loi de nature quasi constitutionnelle qui, en cas d’incompatibilité, a préséance sur les autres lois fédérales. Cependant, comme il a été établi, une interprétation législative effectuée selon la méthode appropriée révèle qu’il n’y a pas de conflit, d’une part, entre la LCDP et les dispositions en matière de tutelle de la Loi sur les Indiens et, d’autre part, entre la LCDP et les lois provinciales en matière de tutelle et de fiducie auxquelles le Canada a renvoyé.

(iv) Effets pervers d’un recours à la Loi sur les Indiens pour accorder une indemnité

[94] De plus, la formation croit que le fait de recourir à la Loi sur les Indiens pour distribuer les indemnités aurait des effets pervers. Aux yeux de nombreux peuples des Premières Nations, la Loi sur les Indiens est un instrument d’oppression et de racisme qui vise à éliminer les Premières Nations au fil du temps (voir la décision 2020 TCDP 20, aux par. 167‑169 et 171). Il ne s’agit pas là de la meilleure option pour promouvoir la réconciliation et éliminer la discrimination, dans la mesure où il existe une voie plus sûre. En l’espèce, la formation indemnise des enfants et des familles pour le préjudice moral lié aux importants effets préjudiciables qu’elles ont subi, notamment en raison du retrait des enfants de leurs foyers, de leurs communautés et de leurs Nations à cause de la discrimination systémique et raciale exercée par le Canada. La formation a également conclu, dans la Décision sur le bien-fondé, qu’il s’agissait là d’un prolongement du système des pensionnats, pour lequel le premier ministre a présenté des excuses en 2008. La formation estime important d’éviter de causer un préjudice moral supplémentaire aux victimes en les assujettissant à la Loi sur les Indiens pour pouvoir toucher leur indemnité. Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, le régime prévu par la Loi sur les Indiens confère au ministre les pouvoirs de gérer les biens d’une personne dépourvue de capacité juridique qui a le statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens. De l’avis de la formation, il ne conviendrait pas que des victimes ou des survivants ayant souffert de discrimination raciale et systémique de la part du Canada voient leurs indemnités gérées par le Canada et soient forcés d’obtenir son autorisation pour y accéder. Dans le contexte de la présente affaire, cette façon de procéder ne serait pas culturellement sûre.

[95] Rien dans la LCDP ne donne à penser que le fait d’ordonner le versement d’une indemnité dans un fonds en fiducie excède la compétence que cette loi confère au Tribunal. En réalité, compte tenu des faits particuliers de ce dossier, il s’agit peut-être du moyen le plus acceptable de garantir aux victimes et aux survivants des Premières Nations un processus d’indemnisation culturellement sûr et adapté.

[96] L’approche que propose le Canada ne tient pas compte de l’importance de recourir à des processus adaptés à la culture, lorsqu’on a affaire à des victimes de discrimination, ni de la tâche complexe rattachée à la communication de renseignements non contradictoires relativement à l’accès aux indemnités, ni du fait que la plupart des lois provinciales autorisent l’administrateur à facturer des frais d’administration payables à même les fonds d’indemnisation. Dans le processus mis au point par les Premières Nations parties à l’instance, c’est le Canada qui assumerait ces frais d’administration; ainsi les fonds ne seraient pas épuisés. Cette façon de procéder serait conforme aux intentions qu’avait le Tribunal quand il a statué que les agissements du Canada relevaient des pires formes de discrimination raciale et systémique possibles, et qu’ils justifiaient l’octroi de l’indemnité maximale prévue par la LCDP. Permettre que les frais d’administration soient payables aux administrateurs des fonds en vertu d’une loi provinciale se traduirait en réalité par une réduction des indemnités accordées par le Tribunal. Par ailleurs, cela créerait aussi des inégalités entre les bénéficiaires mineurs et les bénéficiaires adultes n’ayant pas capacité, car les frais d’administration varient d’une province à une autre.

III. Rôle de la NNA dans le processus d’indemnisation

A. Contexte

[97] La NNA s’est vu attribuer le statut de partie intéressée dans la décision 2016 TCDP 11, et a ainsi pu prendre part à la présente affaire à titre d’intervenante. La participation de la NNA a été limitée à « des considérations particulières touchant la prestation de services à l’enfance et à la famille à des collectivités éloignées du Nord de l’Ontario et les mesures nécessaires qui permettraient de fournir des services appropriés à ces collectivités » (2016 TCDP 11, au par. 5).

[98] Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal a donné à la Société de soutien, à l’APN et au Canada l’instruction de consulter les parties intéressées :

La Commission et les personnes intéressées devraient être consultées dans le cadre de ce processus, mais elles sont libres de ne pas y participer.

(Décision sur l’indemnisation, au par. 269.)

[99] Le Projet de cadre d’indemnisation comporte une disposition qui envisage l’élaboration d’outils visant à guider la mise en œuvre du cadre d’indemnisation. L’article 13.2 permet la consultation de la NNA dans le cadre de ce processus :

[traduction]

13.2. Les parties discuteront de l’élaboration de ces outils avec la Commission et les parties intéressées, le cas échéant, conformément à la portée du statut de partie intéressée qui leur a été conféré dans la présente affaire.

[100] La NNA propose de supprimer l’article 13.2 et de modifier plutôt l’article 1.4 en y ajoutant l’article 1.4.1, ici souligné :

[traduction]

1.4 Dans le présent document, le mot « Parties » désigne collectivement les plaignantes, l’APN et la Société de soutien, de même que l’intimé, le Canada.

1.4.1 Lorsqu’il est utilisé dans le contexte de l’amélioration ou de la modification par les parties d’un processus, d’un outil ou d’un document se rapportant au processus d’indemnisation, notamment le présent Cadre, le terme « Parties » désigne collectivement l’APN, la Société de soutien et le Canada, en consultation avec la CCDP, les COO et la NNA; toutefois, la CCDP, les COO et la NNA ne sont pas tenus de participer à ces travaux supplémentaires d’élaboration ou de modification.

Et la note de bas de page suivante :

[traduction]

Conformément à l’ordonnance du Tribunal concernant la mise au point du processus d’indemnisation, au par. 269 de la décision 2019 TCDP 39.

B. Position des parties

[101] La NNA s’inquiète de ce que les dispositions actuelles de l’article 13.2 du Projet de cadre d’indemnisation ne protègent pas convenablement ses droits de participation tels qu’ils sont établis dans la Décision sur l’indemnisation. Elle exprime le besoin de réitérer fermement son souhait de participer à la mise au point du Projet de cadre d’indemnisation. Elle estime que son action a permis de renforcer les dispositions relatives aux Premières Nations éloignées. De plus, les questions liées à l’éloignement ne peuvent pas être traitées dans une case à part, de sorte qu’il est important que la NNA participe à tous les aspects de l’élaboration du processus d’indemnisation.

[102] L’APN, la Société de soutien et le Canada ont fourni des observations conjointes en réponse. Tout en reconnaissant l’apport important de la NNA, des Chefs de l’Ontario et de la Commission, ils s’opposent à la modification demandée. Ils font valoir que l’article 1.2 garantit que les droits de participation de la NNA seront entièrement respectés, car il y est précisé que le Projet de cadre d’indemnisation est conforme aux ordonnances du Tribunal et qu’il est impossible d’y déroger. Les parties signalent qu’aux termes de l’article 13.2, la NNA sera consultée, au besoin, [traduction] « conformément à la portée du statut […] qui [lui] a été conféré dans la présente instance », tandis que la modification que propose la NNA lui accorderait des droits de participation allant au-delà de ceux que le Tribunal lui a accordés.

C. Analyse

[103] La formation convient avec la NNA que les questions d’éloignement ne peuvent pas être traitées dans une case à part, et elle reconnaît que la NNA a contribué de manière importante à la présente instance. La formation est également convaincue que la participation de la NNA au processus d’indemnisation a permis de renforcer les dispositions relatives aux Premières Nations éloignées. Les questions d’éloignement ont toujours été présentes dans ce dossier, et elles ont une incidence importante sur la prestation des services. La formation en est consciente, et elle est reconnaissante à la NNA pour son expertise en la matière. Cependant, la formation ne considère pas que l’article 13.2 du Projet de cadre d’indemnisation porte atteinte aux droits de participation de la NNA ni qu’elle entre en conflit avec la décision sur requête concernant l’indemnisation. Cette disposition prévoit que l’on consultera la NNA [traduction] « au besoin », ce qui constitue une approche raisonnable si l’on veut progresser efficacement. La formation est consciente des préoccupations de la NNA, car l’article 13.2 confère à l’APN, à la Société de soutien et au Canada le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui requiert une consultation, plutôt que de réitérer que la NNA « devrait » être consultée, comme le prévoit la décision sur requête. La formation réitère que l’APN, la Société de soutien et le Canada devraient consulter la NNA, les Chefs de l’Ontario et la Commission sur tous les aspects importants qui les concernent. Par ailleurs, le cadre d’indemnisation est censé être conforme à l’ordonnance du Tribunal sur le droit à l’indemnisation. En cas de divergences entre ce cadre et cette ordonnance ou d’autres ordonnances que le Tribunal pourrait rendre au besoin, ce sont ces dernières qui auront préséance et demeureront exécutoires (voir l’article 1.2 du Projet de cadre d’indemnisation). La formation croit que cette section est claire et protège les droits de participation de la NNA au processus.

[104] Par ailleurs, comme il a été mentionné dans la lettre de décision du 14 décembre 2020, rien dans les ordonnances du Tribunal ne vise à porter atteinte aux droits inhérents des Premières Nations du Canada à l’autodétermination et à l’autogouvernance. Le Canada est tenu de consulter de manière significative les Premières Nations sur toutes les questions qui les concernent, qu’elles prennent part ou non à la présente instance.

IV. Période visée par l’application discriminatoire du principe de Jordan

A. Contexte

[105] Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal a examiné la question de la période visée par l’application discriminatoire du principe de Jordan, c’est-à-dire la période sujette à l’indemnisation qui y est ordonnée. Par la suite, dans la décision 2020 TCDP 7, le Tribunal a pris conscience d’autres problèmes qui se posaient relativement à la durée de la période sujette à l’indemnisation. Même si le Tribunal avait tenu compte de la question des enfants des Premières Nations pris en charge en date du 1er janvier 2006, mais retirés de leurs foyers avant cette date, il s’est rendu compte que des problèmes semblables se posaient dans le cas des enfants des Premières Nations qui, en date du 12 décembre 2007, étaient en attente de recevoir des services visés par le principe de Jordan, ou qui étaient par ailleurs victimes d’un traitement discriminatoire à cette date. Le Tribunal a donc demandé qu’on lui fasse part d’observations supplémentaires sur la question (2020 TCDP 7, aux par. 152 à 155). Après avoir reçu les observations des parties, il a confirmé l’ordonnance découlant de la Décision sur l’indemnisation dans la décision 2020 TCDP 15, aux paragraphes 7 à 11.

[106] Les paragraphes 250 à 257 de la Décision sur l’indemnisation énoncent ainsi le droit à une indemnité pour cause de discrimination liée au principe de Jordan :

Indemnités à verser aux enfants des Premières Nations et à leurs parents ou grands‑parents en cas de retrait inutile d’un enfant dans le but d’obtenir des services essentiels ou à cause d’interruptions, de délais et de refus dans des services essentiels qui auraient été offerts en vertu du principe de Jordan.

[250] La formation estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve et d’autres renseignements en l’espèce pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la discrimination raciale systémique du Canada, à laquelle le Tribunal a conclu dans sa Décision [sur le bien-fondé] 2016 TCDP 2 et dans ses décisions subséquentes 2017 TCDP 7, 2017 TCDP 14, 2017 TCDP 35 et 2018 TCDP 4, a eu pour effet de léser les enfants de Premières Nations vivant dans les réserves ou hors des réserves qui, en raison d’une interruption, d’un délai ou d’un refus de service, se sont vu privés des services essentiels et ont été placés à l’extérieur de leur foyer pour pouvoir recevoir ces services, ou qui, sans avoir été retirés de leur foyer, se sont vu refuser des services et n’ont donc pas bénéficié des services visés par le principe de Jordan, tel qu’il a été défini dans les décisions 2017 TCDP 14 et 2017 TCDP 35 (par exemple, services en santé mentale et en prévention du suicide, éducation spécialisée, services dentaires, etc.). Enfin, les enfants qui ont reçu des services à la suite d’un réexamen ordonné par le Tribunal et ceux qui ont subi des retards déraisonnables dans la prestation de ces services ont également été lésés pendant la période du refus ou du retard. Tous les enfants susmentionnés ont subi un préjudice moral d’une extrême gravité justifiant le paiement du montant maximal d’indemnité de 20 000 $ permis par l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. Le Tribunal condamne le Canada à payer 20 000 $ à chaque enfant d’une Première Nation qui a été placé à l’extérieur de son foyer pour pouvoir recevoir des services, et à chaque enfant qui n’a pas été retiré de sa famille, mais qui s’est vu refuser des services ou les a reçus après un retard déraisonnable ou à la suite d’un réexamen ordonné par le Tribunal, entre le 12 décembre 2007 (date de l’adoption du principe de Jordan par la Chambre des communes) et le 2 novembre 2017 (date de la décision 2017 TCDP 35 du Tribunal sur le principe de Jordan). Le tout, en suivant le processus ci‑après exposé.

[251] La formation estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve et d’autres renseignements en l’espèce pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la discrimination raciale systémique du Canada, à laquelle le Tribunal a conclu dans sa Décision [sur le bien-fondé] 2016 TCDP 2 et dans ses décisions subséquentes 2017 TCDP 7, 2017 TCDP 14, 2017 TCDP 35 et 2018 TCDP 4, a eu pour effet de léser les parents ou les grands-parents d’enfants de Premières Nations vivant dans une réserve ou hors d’une réserve qui, en raison d’une interruption, d’un délai ou d’un refus ont été privés de services essentiels pour leur enfant et se sont vu retirer leur enfant pour qu’il soit placé dans un foyer d’accueil à l’extérieur du foyer, de la famille et de la collectivité afin de pouvoir recevoir ces services et qui n’ont donc pas bénéficié des services visés par le principe de Jordan, tel qu’il a été défini dans les décisions 2017 TCDP 14 et 2017 TCDP 35. Les parents ou grands-parents en question ont subi un préjudice moral d’une extrême gravité justifiant le paiement du montant maximal d’indemnité de 20 000 $ permis par l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. Le Tribunal condamne le Canada à payer 20 000 $ à chaque parent ou grand-parent d’une Première Nation qui a vu son enfant lui être retiré pour qu’il soit placé dans un foyer d’accueil afin de pouvoir recevoir ces services et à chaque parent ou grand-parent d’une Première Nation dont l’enfant n’a pas été retiré de sa famille, mais qui s’est vu refuser des services ou a reçu ces services après un retard déraisonnable ou à la suite d’un réexamen ordonné par le Tribunal entre le 12 décembre 2007 (date de l’adoption du principe de Jordan par la Chambre des communes) et le 2 novembre 2017 (date de la décision 2017 TCDP 35 du Tribunal sur le principe de Jordan); le tout, en suivant le processus ci‑après exposé.

[252] Il convient de préciser que l’indemnité accordée au titre du préjudice moral pour un enfant d’une Première Nation, un parent ou un grand‑parent visé par les ordonnances rendues relativement au principe de Jordan ne peut être combinée avec les autres ordonnances condamnant le Canada à verser une indemnité aux enfants retirés de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité; le retrait d’un enfant de son foyer est plutôt visé par les ordonnances rendues relativement au principe de Jordan.

[253] La formation conclut, comme elle l’a déjà expliqué, qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve et d’autres renseignements dans la présente affaire pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le Canada était au courant des effets discriminatoires de son programme de protection de l’enfance offert aux enfants et aux familles des Premières Nations, ainsi que de la difficulté pour les enfants et les familles des Premières Nations à recevoir des services visés par le principe de Jordan. La formation conclut que le Canada a fait preuve d’un comportement dénué de prudence et d’un mépris des conséquences de ce comportement pour les enfants des Premières Nations et leurs familles, ce qui justifie qu’elle ordonne le paiement de l’indemnité maximale permise par le paragraphe 53(3) de la LCDP à chaque enfant et parent ou grand-parent d’une Première Nation visé par les ordonnances qui précèdent.

[254] Le Tribunal condamne le Canada à payer 20 000 $ à chaque enfant, parent ou grand-parent d’une Première Nation visé par les ordonnances qui précèdent pour la période comprise entre le 1er janvier 2006 et le premier en date des événements suivants : la conclusion, par la formation, à la lumière des renseignements fournis par les parties et de la preuve, que le retrait inutile des enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité en raison de la discrimination constatée en l’espèce a cessé, et que des mesures correctives et concrètes à long terme ont été mises en place; l’intervention, entre les parties, d’une entente de règlement visant des mesures correctives et concrètes à long terme; le dessaisissement de l’affaire par la formation, après avoir modifié la présente ordonnance en ce qui a trait à toutes les ordonnances qui précèdent, à l’exception de celles relatives au principe de Jordan, étant donné que les ordonnances rendues relativement au principe de Jordan visent la période comprise entre le 12 décembre 2007 et le 2 novembre 2017, comme nous l’avons déjà expliqué. Le tout, en suivant le processus ci‑après exposé.

[255] Par l’utilisation du terme « parents ou grands-parents », le Tribunal reconnaît le fait que certains enfants pouvaient être orphelins et se trouver sous la garde de leurs grands‑parents lorsqu’ils ont été retirés du foyer ou qu’ils ont subi des retards, des interruptions de services ou des refus de services. Le Tribunal condamne le Canada à indemniser chacun des parents ou grands‑parents qui s’occupaient de l’enfant au foyer. Si le père et la mère s’occupaient tous les deux de l’enfant, chacun d’eux a droit à l’indemnité déjà précisée. Si deux grands-parents s’occupaient de l’enfant, ils ont droit tous les deux à l’indemnité déjà précisée.

[256] Il demeure entendu, pour les motifs précédemment exposés, que les parents ou les grands-parents qui ont agressé sexuellement, physiquement ou psychologiquement leurs enfants n’ont droit à aucune indemnité dans le cadre du processus.

[257] Le parent ou le grand-parent qui a droit à une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et qui s’occupait d’un enfant ayant été retiré inutilement a droit, en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, à une indemnité de 20 000 $ par enfant qui a été pris en charge ou qui a été privé inutilement de services essentiels.

[107] Le Tribunal a ordonné que les parties se consultent pour déterminer la façon d’identifier les enfants des Premières Nations aux fins du processus d’indemnisation (Décision sur l’indemnisation, ordonnance, au par. [269]). Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre et ont demandé au Tribunal de leur donner des instructions supplémentaires. Ce dernier leur a fourni les indications demandées quant à la manière d’établir les critères d’admissibilité, dans la décision 2020 TCDP 20. Enfin, dans la décision 2020 TCDP 36, il a rendu une ordonnance sur consentement à laquelle toutes les parties, dont la NNA, ont pris part et souscrit. Comme pour ces décisions antérieures, la présente décision traite uniquement de l’admissibilité à l’application du principe de Jordan : elle ne définit pas l’identité des Premières Nations.

[108] Le Canada, la Société de soutien et l’APN ont ajouté l’article [4.2.5] et ses alinéas au Projet de cadre d’indemnisation, en réponse aux indications données par le Tribunal dans la décision 2020 TCDP 20. Ces dispositions sont les suivantes :

[traduction]

4.2.5. « Enfant des Premières Nations » Enfant qui, selon le cas :

a) était inscrit ou était admissible à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens;

b) avait un parent ou un tuteur inscrit ou admissible à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens;

c) était reconnu par sa nation pour l’application du principe de Jordan;

d) vivait habituellement dans une réserve ou dans une communauté visée par un accord sur l’autonomie gouvernementale.

4.2.5.1 Les enfants mentionnés à l’alinéa 4.2.5 d) (qui vivent habituellement dans une réserve ou dans une communauté visée par un accord sur l’autonomie gouvernementale (« communauté des Premières Nations »)) qui ne répondent à aucun des critères d’admissibilité énoncés aux alinéas 4.2.5 a) à c) n’auront droit à une indemnité que s’ils avaient un lien significatif avec la communauté des Premières Nations. Les facteurs qu’il convient de prendre en considération et de soupeser soigneusement (sans qu’aucun d’eux ne soit déterminant à lui seul) comprennent les suivants :

a) si l’enfant est né dans une communauté des Premières Nations ou si ses parents vivaient dans une telle communauté au moment de la naissance;

b) la période où l’enfant a vécu dans une communauté des Premières Nations;

c) si l’enfant a vécu de manière continue dans une communauté des Premières Nations;

d) si l’enfant avait le droit de recevoir des services et des mesures d’aide de la communauté de la Première Nation pendant qu’il y vivait (p. ex., école, services de santé, logement social, en gardant à l’esprit que les services fournis dans la communauté des Premières Nations étaient peut-être inadéquats ou inexistants à l’époque);

e) l’importance du lien entre les parents ou les autres pourvoyeurs de soins de l’enfant et la communauté de la Première Nation, à l’exclusion des personnes non inscrites travaillant dans une réserve (c.‑à‑d., membres de la GRC, enseignants, professionnels de la santé et travailleurs sociaux).

4.2.5.2 La période à l’égard de laquelle les enfants visés aux alinéas 4.2.5 b) à d) ci‑dessus ont droit à une indemnité relativement aux interruptions, retards déraisonnables et refus de services essentiels est du 26 janvier 2016 au 2 novembre 2017.

4.2.5.3 Les enfants mentionnés aux alinéas 4.2.5 b) à d), ainsi que leurs parents (ou leurs grands-parents qui s’occupaient d’eux), sont admissibles à une indemnité d’un montant de 20 000 $ en vertu l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne au titre du préjudice moral causé par les interruptions, les retards déraisonnables et les refus de services essentiels. Ils n’ont cependant pas droit à l’indemnité pour discrimination délibérée ou inconsidérée visée au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

D. Position des parties

[109] Le Canada, l’APN et la Société de soutien ont fourni des observations initiales conjointes à l’appui des dispositions proposées. Ils expliquent que l’article 4.2.5.1 garantit que tout enfant qui n’a pas le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens, qui vit dans une communauté des Premières Nations, qui n’est pas reconnu par sa communauté pour l’application du principe de Jordan, mais qui a un lien significatif avec cette communauté, a droit à une indemnité. L’article 4.2.5.2 définit la période d’indemnisation applicable. La disposition reprend la date de fin fixée dans la Décision sur l’indemnisation, soit le 2 novembre 2017, et retient la date de début du 26 janvier 2016, suivant la conclusion du Tribunal selon laquelle le « principe de Jordan est censé s’appliquer à l’ensemble des enfants des Premières Nations » (Décision sur le bien-fondé, par. 382) et l’ordonnance du Tribunal enjoignant au Canada « de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre des mesures pour appliquer immédiatement le principe de Jordan en lui donnant sa pleine portée et tout son sens » (Décision sur le bien-fondé, au par. 481). Les trois parties soutiennent que la date indiquée dans la Décision sur le bien-fondé constitue une « rupture nette avec le passé », pour reprendre les propos employés par la CSC dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, aux paragraphes 81 à 108, pour ce qui est des enfants visés aux alinéas 4.2.5 b) à d). L’article 4.2.5.3 reflète la conclusion que le Tribunal a tirée dans la décision 2020 TCDP 20, au paragraphe 115, à savoir :

[…] il serait injuste de conclure que le Canada ne s’est pas conformé aux ordonnances du Tribunal, puisque bien que ce dernier n’ait pas utilisé les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens comme critère d’admissibilité ni limité l’application du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, il n’a pas non plus fourni de définition d’un enfant des Premières Nations admissible aux termes de ses ordonnances relatives au principe de Jordan.

[110] La NNA s’oppose, d’une part, à ce que l’article 4.2.5.2 du Projet de cadre d’indemnisation restreigne la période de discrimination pour laquelle les enfants des Premières Nations non admissibles au statut d’Indien selon la Loi sur les Indiens ont droit à une indemnité et, d’autre part, à ce que l’article 4.2.5.3 impose une restriction quant à l’admissibilité de ces enfants à une indemnité pour cause de discrimination délibérée ou inconsidérée, au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP. La NNA s’oppose à l’idée qu’on prenne pour base la loi coloniale qu’est la Loi sur les Indiens pour différencier les catégories de bénéficiaires. Elle se fonde sur ses observations antérieures, datées du 20 mars 2019, au sujet de l’identification des enfants des Premières Nations en vue de l’application du principe de Jordan. Elle fait valoir qu’elle a toujours été d’avis que le principe de Jordan s’appliquait à tous les enfants des Premières Nations, et que cela aurait dû être aussi le point de vue du Canada. Elle se fonde à cet égard sur les éléments de preuve cités dans la décision Daniels c. Canada, 2013 CF 6, pour montrer que le Canada était au courant de la situation. De plus, les relations fondées sur les traités, que le Canada reconnaît, ne permettent pas à ce dernier de définir unilatéralement l’identité des membres des Premières Nations. Par ailleurs, la NNA ne trouve pas convaincant que le Canada ait prétendu croire qu’une disposition conçue pour éviter que des conflits de compétence affectent les services destinés aux enfants des Premières Nations ne s’appliquait qu’aux enfants des Premières Nations admissibles au statut d’Indien au sens de la Loi sur les Indiens. En ce sens, la Décision sur le bien-fondé ne pourrait représenter une rupture nette avec le passé, pour citer l’arrêt Hislop. La NNA fait valoir qu’il était déraisonnable de la part du Canada d’exclure les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien selon la Loi sur les Indiens, au regard des critères établis dans l’arrêt Hislop, au paragraphe 107. De plus, elle ajoute que les périodes différentes pour lesquelles les bénéficiaires ont droit à une indemnité vont compliquer le processus.

[111] Le Canada, l’APN et la Société de soutien ont présenté une réponse conjointe dans laquelle ils s’opposent à la demande de la NNA visant le retrait des articles 4.2.5.2 et 4.2.5.3 du Projet de cadre d’indemnisation. Ils signalent que ces dispositions n’ont pas été rédigées dans le but de priver d’une indemnité des bénéficiaires admissibles, et qu’à moins d’une incompatibilité quelconque avec les ordonnances du Tribunal, celles-ci ont préséance aux termes de l’article 1.2. Ils ajoutent que, même si la NNA préférerait que la date du début de la période d’indemnisation soit antérieure à celle précisée à l’article 4.2.5.2, la question a déjà été débattue, et il n’y a pas lieu de la reconsidérer. Le Canada, l’APN et la Société de soutien jugeaient déraisonnable d’accorder des dommages-intérêts pour une conduite délibérée ou inconsidérée, alors que les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan n’étaient pas clairs. Ils ajoutent que, même si les articles 4.2.5.2 et 4.2.5.3 ne reprennent pas le libellé exact des ordonnances du Tribunal, tout bénéficiaire potentiel qui désapprouve ces dispositions aura la possibilité de les contester.

E. Analyse

[112] La formation reconnaît de manière générale le bien-fondé des observations supplémentaires de la NNA. Par ailleurs, elle prend note du fait que la NNA s’oppose au recours à la loi coloniale qu’est la Loi sur les Indiens pour différencier les catégories de bénéficiaires.

[113] Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, l’admissibilité aux indemnités selon les ordonnances relatives au principe de Jordan est une question qui a déjà été débattue, et sur laquelle le Tribunal s’est déjà prononcé. Par ailleurs, la formation est d’avis que la réponse conjointe de l’APN, de la Société de soutien et du Canada, mentionnée au paragraphe 111 qui précède, est acceptable, compte tenu surtout des articles 1.2 et 9.6 du Projet de cadre d’indemnisation.

V. Maintien de la compétence et rôle du Tribunal

F. Contexte

[114] Depuis qu’il a rendu la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a toujours conservé sa compétence pour pouvoir examiner les diverses questions de réparation susceptibles d’être soulevées dans la présente affaire. Comme il l’a fait remarquer dans la décision 2016 TCDP 10, le processus de réparation est complexe et a des conséquences d’une grande portée. Le Tribunal a structuré le processus de façon à mettre en œuvre un mécanisme de réparation qui est pratique, sérieux et efficace, conformément à la LCDP. Ce faisant, il s’est engagé à s’occuper en premier lieu de réformes immédiates à apporter au Programme des SEFPN ainsi qu’à l’Entente de 1965, et à s’attaquer par la suite aux réformes à plus long terme des programmes. Le Tribunal a aussi conservé sa compétence pour examiner les demandes d’indemnisation financière des victimes de l’acte discriminatoire. La présente décision sur requête fait partie du processus d’indemnisation financière pour lequel le Tribunal a conservé sa compétence au fil des diverses décisions sur requête rendues en l’espèce.

[115] Dans les observations qu’elle a présentées préalablement à la Décision sur l’indemnisation, l’APN a demandé à ce que ce soit un organisme indépendant qui gère la distribution des indemnités aux victimes. Elle a soutenu que ce processus permettrait d’indemniser les victimes de manière efficace et expéditive (Décision sur l’indemnisation, aux par. 39 à 44). Le Tribunal a concédé qu’il s’agissait là d’une démarche appropriée, et les parties l’ont intégrée au Projet de cadre d’indemnisation, à l’article 9.

[116] En ce qui a trait au processus d’indemnisation indépendant qui est proposé dans le Projet de cadre d’indemnisation, l’article 9.6 prévoit la possibilité que le Tribunal révise des décisions d’indemnisation individuelles :

[traduction]

9.6. Les bénéficiaires potentiels qui se voient refuser une indemnité peuvent demander au comité d’examen de deuxième niveau de reconsidérer la décision si de nouveaux renseignements pertinents à l’égard de celle-ci sont fournis, ou faire appel devant un organe d’appel formé de personnes acceptées par les parties, lequel relèvera de l’administrateur central. L’organe d’appel sera apolitique et indépendant de la fonction publique fédérale. Les parties conviennent que les décisions de l’organe d’appel sont susceptibles de révision par le Tribunal. Le processus de révision et d’appel sera décrit en détail dans le Guide.

[Non souligné dans l’original.]

[117] Le Projet de cadre d’indemnisation ne comporte pas d’autres indications sur ce que l’on entend par [traduction] « susceptibles de révision par le Tribunal ».

[118] Par une lettre datée du 20 octobre 2020, la formation a demandé à la Commission de formuler des observations sur le pouvoir qu’a le Tribunal de conserver sa compétence suivant l’article 9.6 du Projet de cadre d’indemnisation. La formation a en outre indiqué qu’elle accueillerait les commentaires des autres parties sur la question.

G. Observations de la Commission

[119] La Commission a répondu à la lettre de la formation du 20 octobre 2020 demandant des observations sur la question. Quant aux autres parties, soit elles ont souscrit aux observations de la Commission, soit elles n’ont pas abordé la question.

[120] La Commission fait valoir que le Projet de cadre d’indemnisation, qui inclut le processus d’appel détaillé et la participation de tiers décideurs, est en adéquation avec l’objet de la LCDP et reprend l’approche suivie dans des affaires antérieures.

[121] La Commission considère que le rôle d’appel du Tribunal s’inscrit dans le cadre de la compétence qu’il conserve. Cette compétence fait elle-même partie du vaste pouvoir discrétionnaire que prévoit l’article 53 de la LCDP, pour ce qui est de la conception des mesures de réparation, et qui autorise le Tribunal à ordonner aux parties d’essayer de mettre en œuvre une mesure de réparation, tout en conservant la possibilité d’intervenir si les parties n’y parviennent pas.

[122] La structure proposée pour la supervision qu’exercerait le Tribunal est analogue à celle qui a été établie dans des affaires antérieures telles que Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20, Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 1998 CanLII 3995 (TCDP) et Walden et al. c. Procureur général du Canada, ordonnance sur consentement datée du 31 juillet 2012. Dans toutes ces affaires, le Tribunal avait conservé sa compétence pour trancher les désaccords entre les parties. Ce n’est pas différent dans la présente affaire, où le Projet de cadre d’indemnisation prévoit des procédures permettant aux parties d’essayer de s’entendre et où, en cas d’échec, le Tribunal aura compétence pour trancher tout différend irrésolu. En particulier, dans l’affaire Walden, le Tribunal avait exercé sa compétence pour statuer sur des demandes déposées par des personnes qui n’étaient pas des plaignants (Walden et al. c. Procureur général du Canada, 2016 TCDP 19 et 2018 TCDP 20). La Commission ne voit aucune distinction, sur le plan juridique, entre l’affaire Walden, où la tentative initiale de conclusion d’une entente avait eu lieu entre le gouvernement et une partie non plaignante, et le Projet de cadre d’indemnisation en l’espèce, qui prévoit qu’un administrateur des demandes indépendant s’efforcera de faciliter une entente, notamment au moyen d’un processus d’appel.

[123] La Commission reconnaît qu’il est possible que l’on fasse appel à la compétence que conserve le Tribunal au cours d’une période d’environ trois ans et demi à compter du début du processus d’indemnisation. Elle indique qu’il n’existe aucune limite législative ou jurisprudentielle quant à la durée de la compétence que conserve le Tribunal.

H. Analyse

[124] La formation souscrit à la description faite par la Commission du rôle de supervision que joue le Tribunal dans le cadre de la compétence qu’il conserve. Ce maintien de compétence fait partie du vaste pouvoir discrétionnaire que prévoit l’article 53 de la LCDP, pour ce qui est de la conception de réparations efficaces. Elle permet au Tribunal d’ordonner aux parties d’essayer de mettre en œuvre une mesure de réparation, tout en conservant la possibilité d’intervenir si les parties n’y parviennent pas. La formation a exercé ce pouvoir à quelques reprises en fournissant à l’appui des motifs détaillés qui, dans la présente affaire, n’ont jamais été contestés. La formation s’appuie sur ses décisions sur requête antérieures, qu’elle ne reproduira pas toutes ici. À titre d’exemple, en 2016, elle a écrit :

Les ordonnances de redressement visant à s’attaquer à des cas de discrimination systémique peuvent être difficiles à mettre en œuvre, et, par conséquent, il se peut qu’elles requièrent un contrôle continu. En réservant sa compétence dans ces circonstances, le Tribunal se donne les moyens de s’assurer que ses ordonnances de redressement sont mises en œuvre efficacement (voir Grover aux par. 32‑33).

(Voir la décision 2016 TCDP 10, au par. 36, et l’analyse supplémentaire figurant aux par. 12 et 18.)

[125] Plus tard, en 2017, la formation a donné d’autres indications :

[…] Conformément aux principes de réparation exposés précédemment, lorsque la formation formule des ordonnances quant aux mesures d’aide immédiates requises et conserve compétence pour superviser leur mise en œuvre, son rôle consiste plutôt à s’assurer que les effets préjudiciables et les refus de services ciblés dans la décision [sur le bien‑fondé] sont provisoirement éliminés, dans toute la mesure du possible, en attendant la fin de la réforme des programmes de protection de l’enfance des Premières Nations par AANC. Cela dit, pour formuler d’autres ordonnances visant à prévenir la discrimination dénoncée dans la décision [sur le bien-fondé] ou à y mettre fin immédiatement, il est nécessaire que la formation examine les mesures prises jusqu’à présent par le Canada pour donner suite aux ordonnances qu’elle a rendues, et elle peut tirer des conclusions à savoir si ces mesures sont conformes ou non à ces ordonnances.

Comme l’a indiqué la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Grover c. Canada (Conseil national de recherches), [1994] 24 CHRR D/390 (CF), au paragraphe 32, « [d]ans bien des cas, le tribunal serait peut-être mieux avisé de donner des directives pour permettre aux parties d’arranger elles-mêmes [les détails de l’ordonnance] plutôt que de leur imposer une ordonnance qu’elles n’arriveront pas à mettre à exécution ». Cette déclaration est conforme à l’approche adoptée par la formation jusqu’à maintenant à l’égard des mesures de redressement requises dans la présente affaire. Afin de faciliter la mise en œuvre immédiate des mesures de redressement générales prévues dans la décision [sur le bien-fondé], la formation a demandé des renseignements supplémentaires aux parties, a surveillé la mise en œuvre par le Canada de ses ordonnances et a fourni des directives additionnelles aux parties, dans ses décisions sur requête subséquentes, et a rendu un certain nombre d’autres ordonnances fondées sur les conclusions et le raisonnement détaillés déjà énoncés dans la décision [sur le bien-fondé].

(Décision 2017 TCDP 14, aux par. 31 et 32.)

[126] En 2018, la formation a rendu une décision importante qui a mené à la signature d’un protocole de consultation par certains ministres du Canada et les parties, dont le chef national de l’APN. Dans ce protocole, le Canada a accepté sans réserve de mettre en œuvre la décision sur requête 2018 TCDP 4 du Tribunal ainsi que les décisions sur requête antérieures. Il convient de signaler que la formation, se fondant sur ses décisions sur requête antérieures, et en accord avec l’approche adoptée à l’égard des réparations depuis la Décision sur le bien-fondé, a déclaré ceci :

En fait, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 (CanLII), la Cour suprême a aussi prescrit que les tribunaux des droits de la personne doivent veiller à ce que leurs réparations soient efficaces, originales s’il le faut, et qu’elles répondent à la nature fondamentale des droits en question :

« Malgré des désaccords ponctuels sur les modalités des réparations appropriées, […] la jurisprudence de notre Cour a insisté sur la nécessité de la flexibilité et de la créativité dans la conception des réparations à accorder pour les atteintes aux droits fondamentaux de la personne […] Ainsi, dans le cadre de l’exercice des recours appropriés devant les organismes ou les tribunaux compétents, la mise en œuvre de ce droit peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise » (voir au par. 26).

(Voir 2018 TCDP 4, aux par. 51 et 52.)

Comme il a été mentionné plus haut, les objectifs prévus à la LCDP aux articles 2 et 53 consistent non seulement à éliminer la discrimination mais aussi à empêcher qu’elle ne se reproduise. Si la formation conclut que certains des mêmes comportements et modèles qui ont mené à une discrimination systémique se perpétuent, elle se doit d’intervenir. C’est le cas ici.

(2018 TCDP 4, au par. 165.)

[127] L’article 9.6 du Projet de cadre d’indemnisation reflète, mais ne crée pas, le pouvoir que détient le Tribunal de réviser les décisions de l’organe d’appel. Ce pouvoir découle plutôt, à juste titre, de la compétence qu’il conserve. Cette disposition tient compte, comme il se doit, de l’importance de donner aux parties la possibilité de régler elles-mêmes des aspects du litige, tout en confirmant la responsabilité ultime qu’a le Tribunal de veiller à ce que son processus d’instruction mène à une résolution, conformément aux dispositions de la LCDP.

[128] Déterminer si un plaignant individuel a droit à une indemnité sous le régime de la LCDP et, dans l’affirmative, selon quel montant, est un aspect fondamental du processus décisionnel suivi par le Tribunal pour trancher les plaintes. Ce principe reste vrai dans les circonstances particulières de la présente affaire, où la plainte a été déposée par la Société de soutien et l’APN pour le compte d’un groupe de victimes non identifiées par leur nom (LCDP, au par. 40(2)).

[129] Le Tribunal a produit un certain nombre de décisions et de décisions sur requête qui traitaient directement de la question du droit des victimes à une indemnité pour cause de conduite discriminatoire. Tout particulièrement, il a été conclu, dans la Décision sur le bien-fondé, que les programmes et le financement du Canada étaient discriminatoires envers les enfants des Premières Nations et assimilables à une conduite discriminatoire. Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal a conclu que les victimes au nom desquelles la plainte était déposée avaient droit à une indemnité. Le Tribunal a traité du montant de l’indemnité et a pris en compte quelques paramètres d’admissibilité de nature générale, comme les catégories de membres de la famille qui avaient droit à une indemnité. Le Tribunal a également reconnu qu’il était important de donner aux parties l’instruction de négocier d’autres aspects du processus d’indemnisation. Il a aussi fourni d’autres orientations dans des décisions sur requête ultérieures. En particulier, dans la décision 2020 TCDP 7, il s’est penché sur les questions de l’âge auquel les enfants victimes de Premières Nations seraient en droit de recevoir une indemnité; de l’admissibilité à l’indemnité pour les enfants qui ont été retirés de leurs foyers et pris en charge avant le 1er janvier 2006, et qui l’étaient encore à cette date; de l’indemnité destinée à la succession des victimes décédées. Puis, dans la décision 2020 TCDP 15, le Tribunal a résolu des litiges qui opposaient les parties relativement à l’indemnisation des enfants des Premières Nations vivant hors réserve, en plus de se pencher sur les difficultés propres aux victimes vivant dans des communautés éloignées, l’étendue de la catégorie des pourvoyeurs de soins familiaux ayant droit à une indemnité, ainsi que sur les définitions de certains termes liés au principe de Jordan. Enfin, dans la décision 2020 TCDP 20, le Tribunal a aidé les parties à mettre au point des mécanismes permettant de définir les critères d’admissibilité à l’application du principe de Jordan, par rapport à l’identité des Premières Nations. En accord avec les principes de réconciliation et du droit des Premières Nations à l’autodétermination, le Tribunal a préféré donner aux parties des indications à suivre dans le cadre de leurs discussions et éviter de définir qui pouvait être considéré comme un enfant des Premières Nations aux fins de l’admissibilité à l’application du principe de Jordan.

[130] Au fil de toutes ces précédentes décisions et décisions sur requête, le Tribunal a réglé des questions contestées et encouragé les parties à négocier les questions sur lesquelles elles pouvaient progresser. L’article 9.6 du Projet de cadre d’indemnisation traduit le fait que le Tribunal a encouragé les parties à arriver à un règlement négocié, tout en conservant sa compétence au cas où les négociations échoueraient. La structure générale de la LCDP est ainsi faite que les parties sont encouragées à régler leurs différends par voie de négociation, et l’importance de ce processus ressort avec d’autant plus d’évidence dans la présente affaire. Cependant, il y a toujours une possibilité que des négociations achoppent. Cela étant, le Tribunal est obligé de conserver sa compétence afin de pouvoir résoudre un différend impossible à régler par la voie de la négociation. Cela concorde avec la démarche que le Tribunal a suivie dans les affaires Grant, Fonction publique du Canada et Walden que la Commission lui a renvoyées, et dans lesquelles il avait fourni des directives et un cadre de négociation, tout en réservant sa compétence en cas d’échec des négociations. Une telle réserve de compétence s’accorde aussi avec des affaires instruites par d’autres tribunaux, comme dans la décision Alberta (Labour Relations Board) v. International Woodworkers of America, Local 1‑207, 1989 ABCA 7, où, au paragraphe 16, la Cour avait expliqué qu’il était approprié que la Commission des droits de la personne de l’Alberta ordonne aux parties de négocier pendant qu’elle conservait compétence pour imposer une réparation si les parties ne parvenaient pas à s’entendre. Il a même été jugé acceptable que la Commission propose que les parties se soumettent à un arbitrage pour arriver à un règlement, et ce, malgré le fait que la Commission n’était pas habilitée à ordonner la tenue d’un arbitrage exécutoire. La stipulation, à l’article 9.6, selon laquelle le Tribunal peut réviser les décisions de l’organe d’appel reflète simplement le fait que, grâce à la compétence qu’il conserve, le Tribunal est capable de donner d’autres directives ou d’imposer une réparation advenant que les parties, même par l’intermédiaire de l’administrateur central et de l’organe d’appel, ne parviennent pas à s’entendre avec un bénéficiaire potentiel au sujet de son droit à une indemnité. Le Tribunal ne tire pas le pouvoir dont il est question à l’article 9.6 de cette disposition ou du consentement des parties.

[131] Les autres dispositions de l’article 9, dont certains aspects de l’article 9.6 qui n’ont pas trait à la compétence du Tribunal, expriment le fait que ce sont les parties qui négocient le versement d’une indemnité avec des bénéficiaires individuels, conformément aux directives que le Tribunal leur a données dans ses ordonnances.

[132] Dans la présente affaire, à cause du fort volume de demandes d’indemnisation individuelles que l’on anticipe, il serait difficile, voire impossible, pour le Tribunal de trancher rapidement chacune d’entre elles. Les parties seraient sans doute confrontées à des difficultés semblables si elles tentaient d’examiner et de négocier elles-mêmes chacune des demandes individuelles d’indemnisation. Cependant, il ressort de l’article 9 que les parties délèguent leur pouvoir de négocier le droit à l’indemnisation des bénéficiaires individuels à l’administrateur central, qui peut mettre en œuvre un processus plus expéditif. Les avantages du processus indépendant sont évidents, mais la principale chose à souligner, ici, est que les parties cèdent à l’administrateur central leur pouvoir de négociation afin de régler des différends dans le cadre d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[133] Bien qu’il soit important d’accorder aux parties la liberté de négocier elles‑mêmes, le Tribunal est chargé, au bout du compte, de veiller à ce que la LCDP soit respectée. Le Tribunal peut donc, dans de rares cas, refuser d’entériner une position que les parties ont négociée (p. ex., Taylor (au nom de Kevin Taylor) c. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et Santé Canada, 2020 TCDP 10). L’article 9.6 prévoit que le Tribunal peut réviser une décision que l’organe d’appel a rendue, sans égard à l’approbation des parties et du bénéficiaire potentiel quant au résultat.

[134] En conclusion, l’article 9.6 reflète l’existence de deux sources de pouvoir différentes. La disposition qui traite de la capacité du Tribunal à réviser les décisions de l’organe d’appel n’a pas pour effet de créer ce même pouvoir pour le Tribunal. Elle reflète plutôt, à bon droit, la compétence que conserve le Tribunal. Par contraste, le pouvoir dont dispose l’administrateur central est créé par l’article 9, et découle de la capacité qu’ont les parties de négocier des aspects d’une plainte fondée sur les droits de la personne.

I. Conclusion

[135] Le Tribunal conserve sa compétence à l’égard de toutes les ordonnances d’indemnisation qu’il a rendues dans la présente affaire, y compris pour ce qui est de l’approbation et de la mise en œuvre du processus d’indemnisation. Cette compétence maintenue relativement à la question de l’indemnisation n’a pas d’incidence sur la compétence que la formation conserve à l’égard de tout autre aspect de l’affaire.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

 

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 11 février 2021


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 11 février 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

David Taylor et Sarah Clarke, avocats de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Stuart Wuttke, Julie McGregor et Adam Williamson, avocats de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Brian Smith et Jessica Walsh, avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Frater, c.r., Jonathan Tarlton, Patricia MacPhee, Max Binnie, Kelly Peck et Meg Jones, avocats de l'intimé

Maggie Wente et Sinéad Dearman, avocates des Chefs de l’Ontario, la partie intéressée

Julian Falconer, Akosua Matthews et Molly Churchill, avocats de la Nation Nishnawbe Aski, la partie intéressée

 

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