Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2021 TCDP
Date : le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
- et -
Assemblée des Premières Nations
les plaignantes
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
Procureur général du Canada
(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)
l'intimé
- et -
Chefs de l’Ontario
- et -
Amnistie internationale
- et -
Nation Nishnawbe Aski
les parties interessées
Décision sur requête
Membres :
Table des matières
Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39
A. Décisions sur requête antérieures
B. Projet de cadre d’indemnisation
V. Le Tribunal conserve sa compétence
Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39
I. Contexte
[1] L’affaire qui nous occupe concerne la discrimination systémique exercée à l’endroit des enfants des Premières Nations et de leurs familles relativement à la prestation de services à l’enfance et à la famille. La présente décision sur requête approuve un processus d’indemnisation pour les enfants des Premières Nations et leurs parents ou leurs grands‑parents pourvoyeurs de soins qui ont été victimes de cette discrimination.
[2] Dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « Décision sur le bien‑fondé »), le Tribunal a conclu que la plainte déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») et l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») était fondée. Autrement dit, le Tribunal a jugé que la conduite du Canada était discriminatoire sur un plan systémique, parce que sa conception, sa gestion et son contrôle du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN »), ainsi que ses modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes, ont entraîné des refus de services et divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans des réserves partout au Canada, au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »). Le Tribunal a relevé un certain nombre de torts causés par la discrimination dont le Canada a fait preuve dans sa méthode de financement et dans la manière dont il a contrôlé et géré le Programme. En outre, le Tribunal a conclu que le Canada avait sous-financé divers services à l’enfance et à la famille offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations. Par exemple, le Canada fournissait un financement fixe insuffisant pour les frais d’exploitation et les services de prévention, ce qui a nui à la capacité des organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (les « organismes de SEFPN ») de se conformer aux normes de service provinciales et territoriales. Entre autres choses, la formule de financement utilisée incitait à retirer les enfants de leur milieu familial et de leur communauté, au lieu de prévoir un financement suffisant pour offrir des services de prévention qui auraient permis d’éviter ce retrait. L’absence de coordination entre le Programme des SEFPN et d’autres programmes fédéraux, provinciaux ou territoriaux ont entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour les enfants des Premières Nations, tout comme la définition étroite et l’application inadéquate du principe de Jordan pour les enfants et les familles des Premières Nations.
[3] Compte tenu de ses conclusions, le Tribunal a ordonné au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires et de procéder à une réforme du Programme des SEFPN et du Protocole d’entente sur les programmes d’aide sociale pour les Indiens conclu entre le gouvernement fédéral et la province de l’Ontario (l’« Entente de 1965 »), en tenant compte des conclusions tirées dans la décision. Le Tribunal a également enjoint au Canada de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre des mesures pour appliquer immédiatement le principe en lui donnant sa pleine portée et tout son sens.
[4] La Société de soutien et l’APN ont demandé que des modifications soient apportées au Programme des SEFPN du Canada, au processus de financement des services à l’enfance et à la famille pour les Premières Nations, ainsi qu’à l’application du principe de Jordan. Elles ont aussi demandé une indemnité individuelle pour les enfants des Premières Nations et leurs pourvoyeurs de soins. La présente décision sur requête porte sur le processus d’indemnisation des enfants des Premières Nations et de leurs parents ou leurs grands‑parents (les « bénéficiaires »).
A. Décisions sur requête antérieures
[5] Dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39 (la « Décision sur l’indemnisation »), le Tribunal a conclu que les enfants des Premières Nations et, de façon générale, les parents ou les grands‑parents qui en prenaient soin étaient admissibles à une indemnité financière. Le Tribunal a jugé que la nature de la discrimination et du préjudice subis par les enfants des Premières Nations était d’une extrême gravité, du fait que les enfants avaient été retirés de leur milieu familial et de leur communauté. En conséquence, en se fondant sur l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP, il a déclaré qu’ils avaient droit à un montant de 20 000 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral ainsi qu’à un montant supplémentaire de 20 000 $ à titre d’indemnité pour la conduite délibérée ou inconsidérée du Canada. En outre, le Tribunal a estimé que la preuve était amplement suffisante pour lui permettre de conclure que chaque enfant des Premières Nations qui avait été inutilement retiré de son foyer, de sa famille et de sa communauté avait subi un préjudice et avait droit à une indemnité. Il a déclaré que tout enfant qui avait été retiré de sa famille pour la retrouver ultérieurement avait subi un préjudice pendant la période de séparation, mais aussi en raison des effets durables du traumatisme causé par la séparation. Il a établi que les enfants étaient admissibles à une indemnité s’ils avaient été retirés de leur foyer ou s’ils avaient subi des interruptions, des retards ou des refus quant aux services dont ils auraient dû bénéficier si le principe de Jordan avait été correctement interprété. Enfin, le Tribunal a ordonné qu’une indemnité soit versée aux parents et aux grands‑parents qui s’occupaient d’un enfant ayant été inutilement retiré de son foyer par les services à l’enfance et à la famille. Il a aussi jugé admissibles à une indemnité les parents ou les grands‑parents qui s’occupaient d’un enfant ayant subi une interruption, un retard ou un refus quant aux services dont il aurait dû bénéficier en vertu du principe de Jordan. Dans les deux cas, les parents ou les grands‑parents pourvoyeurs de soins ont été déclarés admissibles à un montant de 20 000 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral ainsi qu’à un montant de 20 000 $ à titre d’indemnité pour la conduite délibérée ou inconsidérée du Canada. Dans les cas où il avait été nécessaire de retirer des enfants de la garde de parents ou de grands‑parents pour cause de violence physique, sexuelle ou psychologique, ces parents ou grands‑parents n’ont pas eu droit à une indemnité.
[6] La formation a adopté une approche en matière d’indemnisation qui s’apparentait à celle du Paiement d’expérience commune, prévu dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Le Paiement d’expérience commune reconnaissait qu’un séjour dans les pensionnats indiens avait eu des répercussions sur tous les élèves ayant fréquenté ces établissements. Dans le cadre de ce programme, tous les anciens élèves ayant fréquenté des pensionnats indiens ont été indemnisés pour les violences psychologiques qu’ils avaient subies, le fait d’avoir été privés de leur famille, de leur culture et de leur langue, etc. De même, en l’espèce, tous les enfants, les parents et les grands‑parents qui ont été victimes de la discrimination décrite précédemment sont admissibles à une indemnité à titre de bénéficiaires.
[7] En ce qui concerne les bénéficiaires qui sont maintenant décédés, l’indemnité doit être versée à leur succession.
[8] Après avoir tenu compte des facteurs d’accès à la justice, en particulier pour les bénéficiaires vulnérables, de l’efficacité, de la célérité ainsi que de l’importance de ne pas victimiser de nouveau les enfants des Premières Nations en les obligeant à témoigner sur le préjudice qu’ils ont subi, la formation a choisi d’éviter une évaluation au cas par cas du degré de préjudice subi par chaque enfant, parent ou grand‑parent. Comme il a été mentionné précédemment, la formation tient à souligner qu’elle a conclu que les victimes et les survivants en l’espèce avaient fait l’objet d’une discrimination d’une extrême gravité.
[9] Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal a reconnu l’importance de donner aux parties l’occasion de négocier les détails du processus d’indemnisation. Un processus négocié était particulièrement avantageux dans la présente affaire, à laquelle prennent part plusieurs parties des Premières Nations qui possèdent de l’expérience, des connaissances et une expertise, et qui ont présenté au Tribunal différents arguments quant à l’approche qui servirait le mieux les intérêts des enfants des Premières Nations, d’une manière sûre et adaptée sur le plan culturel.
[10] Les parties ont travaillé de concert pour produire le projet de Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39 (le « Projet de cadre d’indemnisation »). Les parties ont maintenant soumis leur version finale du Projet de cadre d’indemnisation au Tribunal pour approbation. Avant de soumettre cette version actuelle du Projet de cadre d’indemnisation au Tribunal, les parties se sont adressées à lui pour obtenir son aide lorsqu’elles n’arrivaient pas à s’entendre sur les dispositions. Le Tribunal a signalé son soutien quant à la direction adoptée par les parties au cours de l’élaboration du Projet de cadre d’indemnisation en approuvant en principe les premières versions, sous réserve des révisions ultérieures que les parties comptaient faire.
[11] Dans la décision sur requête 2020 TCDP 7, le Tribunal s’est penché sur la question de l’âge auquel les enfants bénéficiaires pouvaient avoir accès à l’indemnité et a statué que l’âge approprié était l’âge de la majorité établi dans la province ou le territoire où le bénéficiaire réside actuellement (aux par. 8 à 36). Il s’est également penché sur la date de début de l’admissibilité. Dans la Décision sur l’indemnisation, le Tribunal avait ordonné le versement d’une indemnité aux enfants qui avaient été retirés de leur foyer à compter du 1er janvier 2006. Dans cette décision, le Tribunal a établi que les enfants qui avaient été retirés de leur foyer avant le 1er janvier 2006, mais qui étaient toujours pris en charge à cette date, étaient aussi visés par la Décision sur l’indemnisation, et donc admissibles à une indemnité (aux par. 37 à 76). Enfin, le Tribunal y a établi que l’indemnité devait être versée à la succession des bénéficiaires qui ont été victimes de la conduite discriminatoire du Canada, mais qui sont décédés avant de recevoir leur indemnité (aux par. 77 à 151).
[12] Dans la décision sur requête 2020 TCDP 15, le Tribunal a examiné les demandes des Chefs de l’Ontario et de la Nation Nishnawbe Aski (la « NNA ») visant à élargir la portée de l’admissibilité au titre de la Décision sur l’indemnisation. Le Tribunal a rejeté une demande visant à étendre l’indemnisation aux enfants des Premières Nations vivant hors réserve en Ontario qui ont été pris en charge par les organismes de services à l’enfance et à la famille, puisqu’il a jugé insuffisante la preuve qui lui avait été présentée relativement à cette question. D’ailleurs, les parties n’avaient pas cherché à soulever cette question lors de l’audience relative à la Décision sur l’indemnisation (2020 TCDP 15, aux par. 14 à 27). De même, les Chefs de l’Ontario et la NNA ont demandé à ce que des pourvoyeurs de soins autres que les parents et les grands‑parents soient admissibles à l’indemnité si la garde d’un enfant leur a été retirée. Or l’approche proposée par les Chefs de l’Ontario et la NNA nécessiterait de faire passer l’indemnisation d’un processus administratif à un processus juridictionnel (aux par. 28 à 50). L’approche choisie par la formation, qui suit le modèle du Paiement d’expérience commune de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, crée un processus administratif simplifié qui ne nécessite pas la démonstration d’un quelconque préjudice personnel. Cette approche permet aussi d’éviter les différends potentiellement traumatisants concernant la question de savoir quels pourvoyeurs de soins devraient recevoir l’indemnité. Bien que le Tribunal ait reconnu le rôle important que jouent différents pourvoyeurs de soins auprès des enfants des Premières Nations, il a confirmé sa décision de n’indemniser parmi eux que les parents ou les grands‑parents. Enfin, le Tribunal a demandé aux parties d’examiner une modification au Projet de cadre d’indemnisation proposée par la NNA pour tenir compte des difficultés auxquelles sont confrontées les communautés éloignées des Premières Nations. Il a reconnu les réalités propres à ces communautés et a encouragé les parties à veiller à ce qu’elles soient prises en compte dans le Projet de cadre d’indemnisation (par. 51 à 57).
[13] Toujours dans la décision sur requête 2020 TCDP 15, le Tribunal a aussi fourni des instructions relativement aux définitions des termes « service essentiel », « interruption de service » et « retard déraisonnable ». Ces termes sont pertinents aux fins de la détermination de l’admissibilité à recevoir une indemnité liée à l’interprétation étroite et discriminatoire du principe de Jordan faite par le Canada. Le Tribunal a donné des indications aux parties afin que leurs définitions reflètent la portée de l’indemnité adaptée à la discrimination décrite dans ses diverses décisions et, plus particulièrement, dans la Décision sur le bien‑fondé (2020 TCDP 15, aux par. 61 à 175).
[14] Dans la décision sur requête 2020 TCDP 20, le Tribunal a donné des indications aux parties pour les aider à identifier les enfants des Premières Nations aux fins de l’application du principe de Jordan. Les parties ont ensuite intégré au Projet de cadre d’indemnisation leur formulation de l’admissibilité au principe de Jordan. La formation était, et est toujours, consciente de l’importance de l’autodétermination en tant que droit de la personne fondamental et protégé, enchâssé dans de nombreux instruments internationaux signés et ratifiés par le Canada (voir la Décision sur le bien‑fondé), et confirmé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les ordonnances ou les motifs du Tribunal ne visent pas à définir l’identité des Premières Nations, mais seulement à fournir des indications aux fins de l’admissibilité à l’application du principe de Jordan. De façon générale, le Tribunal a demandé aux parties de négocier un cadre relatif au principe de Jordan qui comprendrait les enfants qu’un groupe, une communauté ou un peuple des Premières Nations reconnaît comme membres et qui reconnaîtrait les enfants des Premières Nations qui ne sont pas admissibles au statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens, mais dont un parent l’est. En outre, le Canada a été prié de reconnaître le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens sur le fondement des dispositions du projet de loi S‑3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), L.C. (2017), ch. 25.
[15] Dans la décision sur requête 2020 TCDP 36, les parties ont proposé des critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan qui tenaient compte des indications fournies par le Tribunal dans la décision sur requête 2020 TCDP 20. Ces critères ont été intégrés au Projet de cadre d’indemnisation.
[16] Dans la décision sur requête 2021 TCDP 6, rendue le 11 février 2021, le Tribunal s’est penché sur l’approche à adopter pour l’indemnisation des victimes ou des survivants qui sont dépourvus de la capacité juridique requise pour gérer leurs propres finances. Le Tribunal a estimé qu’il était approprié, et conforme au pouvoir que lui confère la loi, d’approuver un régime d’indemnisation dans le cadre duquel il reviendrait à un fiduciaire désigné selon les termes du Projet de cadre d’indemnisation, de gérer les fonds d’indemnisation des victimes ou des survivants qui n’ont pas la capacité juridique voulue pour le faire eux‑mêmes. Par ailleurs, le Tribunal a rejeté une demande de la NNA contestant les critères d’admissibilité à l’indemnité, en indiquant qu’il avait déjà tranché la question, et a maintenu la portée des versements d’indemnité établie dans le Projet de cadre d’indemnisation. Le Tribunal a aussi rejeté une demande de la NNA visant à modifier le Projet de cadre d’indemnisation pour y intégrer le libellé qu’elle avait formulé afin de préciser son rôle consultatif à l’égard de toute modification apportée à l’entente, étant donné que les ordonnances du Tribunal ont préséance sur le cadre d’indemnisation en cas d’incompatibilité. Enfin, le Tribunal s’est penché sur la réelle portée de sa compétence.
[17] Le Tribunal a initialement communiqué aux parties les conclusions tirées dans la décision sur requête 2021 TCDP 6 dans une brève lettre, soit l’équivalent écrit d’une décision orale avec motifs à suivre. À la suite de cette lettre de décision, et avant la publication de la décision 2021 TCDP 6, les parties ont négocié la version définitive du Projet de cadre d’indemnisation, qu’elles ont maintenant présentée au Tribunal en vue d’une ordonnance finale.
B. Projet de cadre d’indemnisation
[18] Le Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39 est détaillé. Bien que la partie qui suit souligne quelques aspects de la version définitive du Projet de cadre d’indemnisation, elle ne peut se substituer au document original.
[19] Le Projet de cadre d’indemnisation a pour objectif [traduction] « de faciliter et d’accélérer le versement des indemnités » aux bénéficiaires (1.3). II se veut conforme et subordonné aux ordonnances du Tribunal (1.2).
[20] Le processus d’indemnisation sera supervisé par un administrateur central (2.1). Les fonctions de l’administrateur central seront régies par un guide préparé par les parties. Le processus d’indemnisation tiendra compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et sera mené d’une façon adaptée à la culture (2.2 et 2.3). Globalement, le processus vise à favoriser la simplicité pour les bénéficiaires (2.3, 2.5.1 et 2.6).
[21] Les bénéficiaires ont la possibilité de se retirer du processus d’indemnisation (3.1 à 3.3).
[22] L’article 4 précise qui sont les enfants des Premières Nations et les pourvoyeurs de soins admissibles à une indemnité. Il traite des enfants qui ont été, de façon nécessaire ou non, retirés de leur milieu familial (4.2.1). En lien avec le principe de Jordan, il définit ce qui constitue un service essentiel, une interruption de service et un retard déraisonnable (4.2.2). Il explique également la signification de l’expression « enfant des Premières Nations » dans le contexte de l’indemnisation (4.2.5). De façon générale, est un enfant des Premières Nations l’enfant qui est inscrit à titre d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens ou qui est admissible à l’inscription, dont un parent est inscrit à titre d’Indien en vertu de la Loi sur les Indiens ou est admissible à l’inscription, qui est reconnu comme membre par sa Première Nation aux fins de l’application du principe de Jordan, ou qui vivait habituellement dans une réserve ou au sein d’une communauté visée par un accord sur l’autonomie gouvernementale (4.2.5).
[23] L’article 5 énonce les diverses dispositions visant l’identification des bénéficiaires admissibles.
[24] Quant à l’article 6, il prévoit que le Canada financera des mesures de soutien pour les bénéficiaires tout au long du processus d’indemnisation. Ces mesures de soutien comprennent une ligne téléphonique sans frais, les services d’accompagnateurs, du soutien en santé mentale et du soutien culturel (6.1).
[25] L’article 7 fixe les délais pour le dépôt des demandes d’indemnisation. Le délai initial sera de deux ans à compter de la publication de l’avis (7.2), et pourra être prolongé dans certaines circonstances (7.3).
[26] À l’article 8 sont énoncées les exigences en matière de conservation des dossiers, notamment l’exigence que les dossiers personnels des bénéficiaires soient détruits cinq ans après le versement de l’indemnité (8.2). Cet article comporte également des dispositions relatives à l’identification des bénéficiaires en fonction des dossiers existants (8.3).
[27] Le Projet de cadre d’indemnisation contient des dispositions sur le traitement des demandes. Le processus comporte un examen à plusieurs niveaux et un processus d’appel (9.1 à 9.6). Le processus demeure assujetti au contrôle ultime du Tribunal (9.6).
[28] Le Projet de cadre d’indemnisation prévoit aussi des dispositions relatives au versement de l’indemnité à des successions (10.2) et aux bénéficiaires qui n’ont pas la capacité juridique pour gérer leurs propres finances, y compris celles relatives à la détermination du rôle et des pouvoirs des fiduciaires désignés (10.3 à 10.5). S’ajouteront à l’indemnité versée des ressources en matière de littératie financière et des renseignements sur les façons d’accéder à d’autres mesures de soutien (10.6 à 10.8).
[29] L’indemnité ne peut être versée à une autre personne (11.1).
[30] L’article 12 renferme des dispositions concernant la supervision de la mise en œuvre du processus et le traitement des questions susceptibles de se poser. L’article 13 contient des dispositions concernant la création d’outils supplémentaires visant à appuyer la mise en œuvre du Projet de cadre d’indemnisation.
[31] Le Projet de cadre d’indemnisation contient deux annexes. L’annexe A est un Plan de notification pour prendre contact avec les bénéficiaires. L’annexe B établit une taxinomie des catégories de bénéficiaires conçue pour faciliter leur identification en fonction des dossiers existants.
II. Observations des parties
[32] Le Canada a présenté de brèves observations au nom de toutes les parties. Il a indiqué que les parties avaient apporté des modifications au Projet de cadre d’indemnisation en réponse à la lettre de la formation datée du 14 décembre 2020. Outre les modifications découlant de cette lettre, les parties ont supprimé l’annexe A jointe à la version antérieure du Projet de cadre d’indemnisation. Les parties ont fait valoir que l’annexe était inutile. En conséquence, les renvois aux autres annexes ont été mis à jour.
III. Analyse
[33] La formation a examiné le Projet de cadre d’indemnisation présenté le 23 décembre 2020. Elle reconnaît que les modifications appropriées y ont été apportées pour tenir compte des récentes ordonnances du Tribunal concernant l’indemnisation.
[34] La formation a exposé l’approche à adopter pour examiner une demande d’ordonnance sur consentement, dans la décision 2020 TCDP 36, au paragraphe 51 :
[35] La formation a déjà effectué la première étape de l’analyse et elle a établi qu’elle avait compétence, en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, pour rendre les ordonnances contenues dans les décisions sur requête 2019 TCDP 39, 2020 TCDP 7, 2020 TCDP 15, 2020 TCDP 20 et, plus récemment, dans la décision sur requête 2021 TCDP 6. Le même raisonnement et la même interprétation de la LCDP que ceux exposés par la formation aux paragraphes 51 à 80 de la décision 2021 TCDP 6, relativement à la question des fonds en fiducie, s’appliquent en l’espèce à la totalité de l’ordonnance sur consentement. Le Tribunal a jugé que l’utilisation de fiducies pour la mise en œuvre des réparations s’inscrivait dans le cadre des vastes pouvoirs de réparation que lui confère la LCDP, loi de nature quasi constitutionnelle et, plus précisément, que les dispositions fiduciaires étaient conformes à l’approche de réparation approuvée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1987 CanLII 109 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1114. De même, le Tribunal s’est fondé sur l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 84 pour conclure que les pouvoirs de réparation conférés par la LCDP devaient être interprétés de façon large afin de pouvoir remédier efficacement à la discrimination. Par conséquent, le Tribunal a conclu que le fait, pour le Canada, de verser les indemnités aux victimes dans une fiducie était conforme au libellé de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP, où il est question d’ordonner à une personne « d’indemniser […] la victime ». Le Tribunal a conclu que, relativement aux mineurs et aux personnes dépourvues de capacité juridique, les régimes législatifs des provinces, des territoires et de la Loi sur les Indiens ne limitaient en rien sa capacité à autoriser le Canada à verser, dans une fiducie, les indemnités des victimes n’ayant pas la capacité juridique de gérer leurs propres affaires.
[36] En outre, la formation juge que le processus d’indemnisation, dans son ensemble, prévoit non seulement l’octroi d’une indemnité financière, mais tient compte également d’autres facteurs pertinents comme la nécessité de créer un processus d’indemnisation sûr et adapté à la culture, compte tenu des circonstances propres à cette plainte, y compris les régimes historiques de discrimination, la vulnérabilité des victimes et des survivants qui sont des mineurs ou des adultes dépourvus de capacité juridique, l’accès à la justice, l’établissement d’un processus clair et équitable pour l’ensemble du Canada et l’importance de ne pas imposer des fardeaux administratifs inutiles. Par conséquent, la formation estime qu’en l’espèce, le processus d’indemnisation peut être considéré comme « un programme, un plan ou un arrangement spécial » établi en collaboration avec les Premières Nations qui sont parties à l’instance, et comme une interprétation large et libérale du paragraphe 16(1), des alinéas 53(2)a) et 53(2)e), et du paragraphe 53(3) de la LCDP ainsi que des décisions de la Cour suprême et du Tribunal examinées aux paragraphes 51 à 79 de la décision sur requête 2021 TCDP 6. Enfin, sur ce point, la formation estime que l’analyse et le raisonnement concernant la LCDP, exposés dans l’article traitant de la portée des réparations prévues par la LCDP, aux paragraphes 51 à 79 et 80 de la décision 2021 TCDP 6, s’appliquent au Projet de cadre d’indemnisation dans son ensemble et qu’ils justifient l’approbation, par la formation, du Projet de cadre d’indemnisation daté du 23 décembre 2020.
[37] Après un examen approfondi des éléments de la demande d’ordonnance sur consentement, qui sont résumés ci‑dessus, la formation conclut qu’une telle ordonnance est juste et appropriée à la lumière des faits particuliers de l’affaire, de la preuve présentée, de ses ordonnances précédentes et des détails de l’ordonnance sollicitée.
[38] De plus, le Tribunal a le pouvoir, en vertu de l’article 53 de la LCDP et de ses décisions antérieures, de rendre cette ordonnance sur consentement, comme le précise le Projet de cadre d’indemnisation déposé le 23 décembre 2020.
[39] La formation remercie la Société de soutien, l’APN, les Chefs de l’Ontario, la NNA, la Commission et le Canada de leurs efforts qui ont mené à la création du Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39 et de ses annexes.
IV. Ordonnance
[40] En vertu de l’article 53 de la LCDP, et conformément à ses décisions antérieures, le Tribunal approuve le Cadre relatif au paiement des indemnités visées par la décision 2019 TCDP 39 et les annexes qui y sont jointes, tels qu’ils ont été présentés par les parties le 23 décembre 2020. Le Tribunal mettra ce document à la disposition du public sur demande.
V. Le Tribunal conserve sa compétence
[41] La formation conserve sa compétence relativement à toutes ses ordonnances d’indemnisation, y compris l’ordonnance contenue dans la présente décision sur requête, et elle réévaluera ce maintien de compétence au besoin, en fonction de l’évolution du dossier ou une fois que les demandes individuelles d’indemnité auront été réglées.
[42] La formation demeure compétente à l’égard de toute autre question soulevée dans ce dossier.
Signée par
Présidente de la formation
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Dossier du tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparutions des parties
Représentations écrites par :
Annexe A
Dans la décision 2023 TCDP 44, le Tribunal a apporté des précisions quant à la décision sur requête 2021 TCDP 7.
Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal rend l’ordonnance avec précisions dans la décision sur requête 2021 TCDP 7 :
C) Le Tribunal rend une ordonnance qui précise son ordonnance dans la décision sur requête 2021 TCDP 7 comme suite au Cadre d’indemnisation et qui prévoit que l’indemnisation totale de l’ensemble des parents et des grands-parents fournisseurs de soins pour un même enfant sera limitée à 80 000 $, quel que soit le nombre de fois consécutives que ce même enfant a été retiré de leur milieu familial;
F) Le Tribunal rend une ordonnance qui prévoit que le processus de réclamation énoncé dans la Convention de règlement révisée, ainsi que les mesures supplémentaires qui seront élaborées par les avocats du recours collectif en collaboration avec des experts (dont la Société de soutien) et qui devront être approuvées par la Cour fédérale, répond aux exigences prévues au Cadre d’indemnisation, conformément aux ordonnances rendues dans les décisions sur requête 2019 TCDP 39 et 2021 TCDP 7. La présente ordonnance remplace celle rendue par le Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 7;