Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 27

Date : le 14 août 2020

Numéros des dossiers : T2218/4017, T2282/3718 et T2395/5419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ryan Richards

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I. Contexte

[1] La présente décision sur requête concerne une requête présentée par le Service correctionnel du Canada (le « SCC ») afin, d’une part, de faire radier certaines parties de l’exposé des précisions de Ryan Richards, de même que la totalité de son exposé des précisions modifié et certaines parties de l’exposé des précisions modifié de la Commission canadienne des droits de la personne (collectivement appelées les « parties contestées des exposés des précisions », lesquelles sont décrites au paragraphe 26 ci-après) et, d’autre part, d’empêcher la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») de citer un expert proposé comme témoin.

[2] La requête en question a été introduite dans le cadre du processus de gestion de l’instance. L’objectif de ce processus est d’aider les parties à parvenir à un règlement final de la plainte pour atteinte aux droits de la personne portée devant le Tribunal, de façon expéditive, sans formalisme et dans le respect des principes de justice naturelle, ce à quoi toutes les parties ont droit (Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6 (la « LCDP »), art. 48.9).

II. Historique judiciaire

[3] Le SCC est l’intimé dans trois plaintes déposées par M. Richards auprès de la Commission, qui les a renvoyées au Tribunal. Ces trois plaintes, qui ont été regroupées pour être instruites ensemble dans le cadre de la présente instance, sont collectivement appelées « les plaintes ».

[4] M. Richards se décrit comme un musulman soufi de race noire. Il est un détenu sous la garde du SCC. Beverley Halls, la mère de M. Richards, lui apporte de l’aide dans le présent dossier, particulièrement pour ce qui est de la correspondance par courrier électronique. M. Richards continue de prendre des mesures concrètes pour assurer sa représentation, et il semble qu’il ait rédigé à la main ses observations de fond sur la requête pendant son incarcération.

[5] La Commission participe pleinement à la procédure conformément à l’article 51 de la LCDP.

[6] La première plainte, dont le numéro de dossier de la Commission est 20121069, et le numéro de dossier du Tribunal, T2218/4017, a été reçue par la Commission le 17 février 2012. Dans le résumé original de la plainte, la religion et le sexe étaient les motifs de distinction illicite invoqués. Puis, en date du 21 mars 2017, soit avant que la plainte ne soit renvoyée au Tribunal, un résumé de la plainte modifié a désigné les motifs de distinction illicite comme étant la religion, le sexe, la race et la couleur. La Commission a mené une enquête à laquelle le SCC a participé. Au cours de l’enquête, la Commission a demandé l’avis des parties à savoir si elle devait refuser d’examiner la plainte au titre de l’article 41 de la LCDP. Dans une lettre datée du 26 juillet 2017, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. La lettre de renvoi de la Commission était accompagnée du formulaire de plainte et du résumé de la plainte modifié. Le même jour, la Commission a fait parvenir une lettre à M. Richards pour l’informer de sa décision de renvoyer la plainte. La Commission a précisé qu’une lettre similaire avait été envoyée au SCC, et celui-ci ne le conteste pas. Ni la lettre de renvoi au Tribunal ni la lettre adressée à M. Richards ne précisent une quelconque limite quant à la portée de la plainte renvoyée au Tribunal. Aucune des parties n’a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal.

[7] De façon générale, la première plainte fait état de multiples incidents survenus dans quatre des établissements du SCC, l’Établissement Fenbrook, l’Établissement de Springhill, le Pénitencier de Dorchester et l’Établissement de Matsqui, mais la plupart des incidents se seraient produits à l’Établissement de Springhill. Les incidents concernent un lien allégué entre la religion et la cote de sécurité attribuée; le non-respect d’objets religieux; le harcèlement fondé sur le port d’un couvre-chef à caractère religieux; le manque d’accès et d’appui à l’égard de la prière; le manque de mesures d’adaptation à l’égard des pratiques religieuses; le fait d’être ciblé en tant que musulman; le transfèrement dans un établissement à sécurité maximale en raison de la religion; des commentaires désobligeants fondés sur la religion; le manque d’accès à un régime alimentaire inspiré de la médecine et de la religion; des dommages causés aux livres musulmans et à ceux de la Black Inmates and Friends Association; des mesures d’isolement constantes pendant le Mois de l’histoire des Noirs et le fait d’être soumis aux pires conditions d’isolement et de subir du harcèlement sexuel et des actes de violence en établissement.

[8] La deuxième plainte, qui correspond au dossier de la Commission no 20150411 et au dossier du Tribunal no T2282/3718, a été reçue par la Commission le 15 juin 2015. Le résumé original de la plainte désignait les représailles comme motif de distinction illicite. Un résumé de la plainte modifié, daté du 29 août 2017, désignait les motifs de distinction illicites comme étant des représailles, mais aussi du harcèlement et une différence de traitement défavorable [1] . La question de savoir si la Commission devrait examiner la plainte au titre de l’article 41 de la LCDP s’applique également à cette plainte. Dans une lettre datée du 5 juin 2018, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. La lettre de renvoi était accompagnée du formulaire de plainte et du résumé de la plainte modifié. La Commission a envoyé des lettres à M. Richards et au SCC le même jour pour les informer de sa décision de renvoyer la plainte. Ni la lettre de renvoi au Tribunal ni les lettres adressées aux parties ne précisaient une quelconque limite quant à la portée de la plainte renvoyée au Tribunal. Aucune des parties n’a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal.

[9] Dans l’introduction de la deuxième plainte, il est fait référence à des problèmes éprouvés à l’Établissement de Matsqui. Y sont également allégués le refus de donner accès à la Commission et aux tribunaux ainsi que des gestes qui ont eu une incidence sur la santé de M. Richards. Les incidents concerneraient des problèmes de régime alimentaire; le retrait de documents juridiques et le refus de donner accès à des ressources juridiques; l’entrave au dépôt d’une plainte; le comportement provocateur et agressif d’agents correctionnels et le caractère inadéquat des services de santé. Certains des incidents mentionnés font précisément référence à des problèmes découlant de la religion de M. Richards, tandis que d’autres font état, à titre de contexte, de ses tentatives d’aide auprès de détenus noirs et musulmans.

[10] La troisième plainte, dont le numéro de dossier de la Commission est 20171002, et le numéro de dossier du Tribunal, T2395/5419, a été reçue par la Commission le 16 novembre 2017. Le formulaire de plainte signé par M. Richards mentionnait la race, la couleur et la religion en tant que motifs de discrimination illicite et, dans le résumé de la plainte, la déficience était indiquée comme motif supplémentaire. La Commission a mené une enquête à laquelle le SCC a participé. Dans une lettre datée du 28 juin 2019, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. Cette lettre de renvoi était assortie du formulaire de plainte et du résumé de la plainte modifié. La Commission a fait parvenir des lettres à M. Richards et au SCC le même jour pour les informer de sa décision de renvoyer la plainte. Ni la lettre de renvoi au Tribunal ni les lettres adressées aux parties ne précisaient une quelconque limite quant à la portée de la plainte renvoyée au Tribunal. Toutefois, dans une lettre de la Commission au SCC datée du 27 novembre 2017, il est indiqué que [traduction] « les allégations du paragraphe 2 de la plainte ne feront pas l’objet d’une enquête, car il s’agit de questions relatives aux langues officielles ». Aucune des parties n’a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal.

[11] Dans l’introduction de la troisième plainte, des préoccupations sont soulevées au sujet de représailles et d’une discrimination fondée sur la langue et la religion exercées aussi bien à l’Établissement de Donnacona qu’à l’Établissement Archambault. La première partie de la plainte fait état de problèmes liés au régime alimentaire de M. Richards, décrit comme inspiré de la médecine et de la religion. Et dans la deuxième partie de la plainte, des difficultés d’accès à des services en anglais et un manque de soutien de la part de l’agent de libération conditionnelle de M. Richards sont invoqués.

[12] La Commission a déposé le 1er mars 2019 son exposé des précisions concernant les deux premières plaintes, tandis que M. Richards a déposé le sien le 30 avril 2019. Le 1er août 2019, M. Richards a déposé un exposé des précisions modifié concernant la troisième plainte, tandis que la Commission a déposé le sien le 16 août 2019 [2] . Quant au SCC, il a déposé son exposé des précisions le 18 mai 2020.

[13] Le 24 décembre 2019, la Commission a fait part de son intention de faire entendre un témoin expert, Akwasi Owusu‑Bempah. Elle a indiqué que le témoignage proposé inclurait, entre autres, les sujets suivants : [traduction] « l’application de la discipline en établissement; le recours à la force; la cote de sécurité; l’isolement et les conditions de détention restrictives; l’accessibilité aux programmes correctionnels adaptés sur le plan culturel et leurs répercussions sur les détenus noirs incarcérés dans les établissements fédéraux ».

[14] Le 13 février 2020, le SCC a déposé sa requête auprès du Tribunal. Comme je l’exposerai plus en détail ci-après, le Tribunal a demandé au SCC d’y apporter des précisions supplémentaires afin de l’aider à cerner exactement les passages des exposés des précisions qu’il souhaitait voir radier par le Tribunal. Dans un courriel de réponse à cette demande, daté du 7 avril 2020, le SCC a fourni des observations supplémentaires à l’appui de sa requête. La Commission ainsi que Mme Halls, agissant au nom de M. Richards, se sont opposées à ces observations supplémentaires. Dans un courriel daté du 8 avril 2020, le SCC a réitéré ses arguments supplémentaires et exprimé son intention de les soulever dans ses observations en réplique. Dans un courriel daté du 8 avril 2020, le Tribunal a demandé à M. Richards et à la Commission d’inclure, dans leurs observations relatives à la requête, tout argument à propos de l’utilisation des courriels en question par le Tribunal.

[15] Le Tribunal tiendra compte des arguments supplémentaires contenus dans les courriels du SCC des 7 et 8 avril 2020 dans le cadre de son examen des observations en réplique du SCC. Cette démarche s’accorde avec l’affirmation faite par le SCC dans son courriel du 8 avril 2020, selon laquelle il avait initialement eu l’intention de soulever les questions pertinentes dans le cadre de sa réplique. En outre, les observations manuscrites de M. Richards sont datées du 16 mars 2020, et rien n’indique qu’il ait reçu copie des courriels des 7 et 8 avril 2020 de manière à pouvoir modifier ses observations ni que cela ait pu être faisable pour lui. M. Richards reçoit la correspondance en format papier et n’est pas inclus comme destinataire des courriels. Les parties ont pour pratique, à raison, de fournir des copies papier de leurs arguments de droit directement à M. Richards, ainsi qu’une copie à Mme Halls. Le fait de traiter les courriels du SCC des 7 et 8 avril comme des observations en réplique reflète plus exactement la façon dont ils semblent avoir été reçus par M. Richards.

[16] La Commission a déposé ses observations le 22 avril 2020. Le Tribunal a reçu à la même date, par l’intermédiaire de la Commission, une copie électronique des observations manuscrites de M. Richards; celles-ci sont datées du 16 mars 2020.

[17] Mme Halls a déposé des observations supplémentaires le 29 avril 2020, soit après la date limite fixée pour le dépôt des observations du plaignant. Ces observations visent à fournir des renseignements supplémentaires sur le témoignage prévu, renseignements que le Tribunal a demandés dans le cadre de la gestion de l’instance. Par conséquent, le Tribunal les examinera dans le courant de la gestion de l’instance plutôt que dans son processus de décision sur la requête.

[18] Le SCC a déposé tardivement ses observations en réplique, le 4 mai 2020, puis, le 6 mai 2020, il a apporté quelques corrections mineures à sa réplique.

[19] Bien que le Tribunal reconnaisse le défi que représente pour les parties le fait de mener ce litige dans les circonstances actuelles, il prie instamment chacune d’entre elles de faire tout son possible pour respecter les délais prescrits. Le Tribunal rappelle aux parties qu’il peut refuser de prendre en considération des observations tardives, lorsque cela risque de porter atteinte aux droits d’une autre partie à une procédure équitable ou lorsqu’un délai supplémentaire risque de compromettre les dates d’audience.

A. Les parties contestées des exposés des précisions

[20] Lorsque le SCC a déposé sa requête en radiation le 13 février 2020, il a d’abord défini les parties contestées des exposés des précisions comme suit :

[traduction]

48) L’exposé des précisions du plaignant va au-delà du contenu des plaintes (les parties qui outrepassent ainsi la portée de la plainte sont soulignées ci-après).

a) L’exposé des précisions du plaignant fait référence aux problèmes de discrimination ci-après, qui, selon ce dernier, doivent faire l’objet d’une instruction par le Tribunal :

(i) Le SCC a pris des mesures discriminatoires qui ont eu une incidence sur ma cote de sécurité [par. 21 à 23 [3] ]

[…]

(iv) Les détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités par le SCC [par. 30 à 45]

[…]

[Souligné par le SCC.]

b) L’exposé des précisions du plaignant fait référence aux réparations d’intérêt public ci‑dessous, dont plusieurs n’ont pas de lien avec les plaintes (les parties concernées sont soulignées ci-après).

(i) Cote de sécurité [par. 92 à 95]

(ii) Isolement [par. 96 à 98]

(iii) Accusations d’infraction disciplinaire et recours à la force [par. 99 à 105]

[…]

(vi) Politiques et pratiques relatives aux mesures d’adaptation [par. 109]

(vii) Accès aux services religieux pour les détenus musulmans [par. 110 à 113]

[…]

(ix) Collecte et communication des données [par. 117 à 119].

[Souligné par le SCC.]

49) Vu le lien insuffisant et l’absence de proportionnalité avec les plaintes, et compte tenu du principe d’équité procédurale, les références et les passages suivants de l’exposé des précisions du plaignant devraient être radiés :

a) les questions de discrimination relatives à la « cote de sécurité » mentionnées à l’al. 48a)(i) [par. 21 à 23]

b) les questions de discrimination selon lesquelles les « détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités » mentionnées à l’al. 48a)(iv) [par. 30 à 45]

c) les réparations relatives à la « cote de sécurité » mentionnées à l’al. 48b)(i) [par. 92 à 95]

d) les réparations relatives à l’«isolement » mentionnées à l’al. 48)b)(ii) [par. 96 à 98]

e) les réparations concernant les « politiques et pratiques relatives aux mesures d’adaptation » mentionnées à l’al. 48)b) (vi) [par. 109]

f) les réparations relatives à l’« accès aux services religieux pour les détenus musulmans » mentionnées à l’al. 48)b)(vii) [par. 110 à 113]

g) les réparations relatives à la « collecte et communication des données » mentionnées à l’al. 48)b)(ix) [par. 117 à 119 [4] ].

[…]

51) En conséquence, pour les mêmes motifs que ceux évoqués ci‑dessus, au paragraphe 49 de la présente requête, à savoir le principe d’équité procédurale et l’absence d’un lien suffisant et de proportionnalité avec les plaintes, il convient de radier notamment les références et passages suivants de l’exposé des précisions [modifié] de la Commission :

a) les questions de discrimination liées à la « cote de sécurité » [par. 19 et 20]

b) les questions de discrimination selon lesquelles les « détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités » [par. 27 à 38]

c) les réparations relatives à la « cote de sécurité » [par. 88]

d) les réparations relatives à l’« isolement » [par. 89]

e) les réparations concernant les « politiques et pratiques relatives aux mesures d’adaptation » [par. 93]

f) les réparations concernant l’« accès aux services religieux pour les détenus musulmans » [par. 94]

g) les réparations relatives à la « collecte et communication des données » [par. 98].

[21] Le SCC a également demandé que l’exposé des précisions modifié de M. Richards soit radié dans son intégralité.

[22] Dans un courriel daté du 6 mars 2020, le Tribunal a demandé au SCC de fournir une version des exposés des précisions dans laquelle il indiquerait précisément, au moyen de biffures, les parties qu’il souhaitait voir radier. Le Tribunal a effectué le suivi de cette demande par courriel le 17 mars 2020. Il a relevé un manque de précision dans les passages que le SCC voulait faire radier, et a souligné : [traduction] « Le Tribunal préférerait ne pas avoir à deviner les intentions de l’intimé ».

[23] Le 7 avril 2020, le Tribunal a demandé au SCC s’il avait fourni la version biffée des exposés des précisions, en le priant, dans le cas contraire, de la produire avant le 9 avril 2020 afin que M. Richards et la Commission disposent de cette information au moment de soumettre leurs documents en réponse à la requête en radiation du SCC.

[24] Le 7 avril 2020, le SCC a envoyé un courriel qui, entre autres, relevait les parties contestées suivantes des exposés des précisions :

[traduction]

Exposé des précisions [modifié] [5] du plaignant

  • Radiation de l’ensemble de l’exposé des précisions [modifié] du plaignant

Exposé des précisions [modifié] de la Commission

  • Les paragraphes 19 et 20 de l’exposé des précisions [modifié] de la Commission et leurs titres respectifs

  • Les paragraphes 88 (cote de sécurité), 89 (isolement) et 93 (collecte et communication des données) et leurs titres respectifs

  • Radiation du titre « Le SCC a pris des mesures discriminatoires qui ont eu une incidence sur la cote de sécurité de M. Richards »

  • Radiation des paragraphes 37 et 38 de l’exposé des précisions [modifié] de la Commission

Exposé des précisions du plaignant

  • Le paragraphe 42 de l’exposé des précisions [modifié] de la Commission [sic] et son titre

  • Les paragraphes 88 (cote de sécurité), 89 (isolement) et 98 (collecte et communication des données) et leurs titres respectifs

[25] Outre l’erreur commise au passage mentionnant l’exposé des précisions modifié de la Commission au lieu de l’exposé des précisions du plaignant, les paragraphes 88, 89 et 98 ne correspondent pas aux rubriques indiquées dans l’exposé des précisions de M. Richards. De même, le paragraphe 93 de l’exposé des précisions modifié de la Commission ne correspond pas à la rubrique mentionnée. Le Tribunal partage malheureusement l’avis de la Commission quant au fait qu’[traduction] « il n’est toujours pas possible de savoir avec certitude […] quelles phrases ou quels paragraphes [le SCC] souhaite faire radier [6] ».

[26] Aux fins de la présente requête, le Tribunal examinera la demande du SCC visant à faire radier les parties contestées ci-dessous des exposés des précisions :

[traduction]

Exposé des précisions de M. Richards

  • Paragraphes 21 à 23, sous la rubrique « Le SCC a pris des mesures discriminatoires qui ont eu une incidence sur ma cote de sécurité »

  • Paragraphe 42, sous la rubrique « Les détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités par le SCC »

  • Paragraphes 92 à 95, sous la rubrique « Cote de sécurité »

  • Paragraphes 96 à 98, sous la rubrique « Isolement »

  • Paragraphes 117 à 119, sous la rubrique « Collecte et communication des données »

Exposé des précisions modifié de M. Richards

  • L’intégralité du document

Exposé des précisions modifié de la Commission

  • Paragraphes 19 et 20, sous la rubrique « Le SCC a pris des mesures discriminatoires qui ont eu une incidence sur la cote de sécurité de M. Richards »

  • Paragraphes 37 et 38, sous la rubrique « Les détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités par le SCC »

  • Paragraphe 88, sous la rubrique « Cote de sécurité »

  • Paragraphe 89, sous la rubrique « Isolement »

  • Paragraphe 98, sous la rubrique « Collecte et communication des données »

[27] Malgré le manque de précision et les erreurs du SCC dans l’indication des passages dont il souhaite obtenir la radiation, le Tribunal observe que M. Richards et la Commission ont déjà abordé, pour l’essentiel, les sujets concernés et certaines parties des exposés des précisions dans leurs réponses à la requête en radiation. En particulier, la Commission a relevé des passages similaires et légèrement plus larges qu’à son avis, le SCC voulait voir radier [7] . Ni M. Richards ni la Commission n’ont indiqué que le manque de précision du SCC les avait empêchés de répondre à la requête.

III. Résumé des positions des parties

B. Position du SCC

[28] Le SCC soutient que la compétence du Tribunal est liée à la plainte. Il fait valoir que les éléments de preuve ne devraient pas être pris en compte par le Tribunal s’il n’existe pas de lien suffisant entre ceux-ci et la plainte. De même, le Tribunal ne devrait pas admettre des éléments de preuve qui ne sont pas proportionnels à la plainte ou qui en débordent le cadre. Le SCC affirme que le champ d’application actuel pourrait mener à l’examen de tous ses processus administratifs, sans exception, malgré la portée limitée des plaintes. Selon le SCC, le fait de ne pas restreindre la portée des plaintes entraînerait une iniquité procédurale envers lui et nuirait à l’administration efficace de la justice.

[29] Le SCC craint qu’à défaut de s’assurer que les éléments de preuve présentés au Tribunal se rapportent bel et bien à la plainte, on risque de se retrouver dans une situation où l’instruction d’une plainte relative à un incident précis conduirait à une instruction élargie du Tribunal qui porterait sur une question dénuée de tout lien. En effet, élargir indûment la portée de la plainte soumise au Tribunal équivaudrait à autoriser une nouvelle plainte qui n’aurait pas suivi, comme il se doit, le processus de la Commission.

[30] Le SCC s’appuie sur les paragraphes 40(1), 41(1), 43(1), 44(1), 44(2) et 44(3) et sur l’alinéa 41(1)a) de la LCDP pour soutenir que l’enquête de la Commission et le processus du Tribunal sont limités par la portée de la plainte. Il invoque en outre les décisions Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7; l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints c. Société canadienne des postes, 2018 TCDP 3 [Association des maîtres de poste]; Tabor c. La Première nation Millbrook, 2013 TCDP 9 [Tabor] et Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, pour étayer la proposition selon laquelle le Tribunal a compétence pour limiter la portée d’une plainte, et même l’obligation de le faire, notamment lorsqu’une modification de la plainte est demandée.

[31] Le SCC soutient que la proportionnalité est un point important à prendre en considération au moment de déterminer la portée de l’instruction. En l’espèce, le SCC fait valoir que la nature essentielle de la plainte — la discrimination fondée sur la religion —, la nature hypothétique de la discrimination alléguée et les questions qui se posent au sujet de la crédibilité de M. Richards sont autant de facteurs qui ont une incidence sur l’analyse de la proportionnalité. Le SCC souligne que le paragraphe 1(1) des Règles de procédure du Tribunal exige que les procédures se déroulent de façon efficace. Il cite les commentaires extrajudiciaires de l’ancienne juge en chef Beverley McLachlin au soutien de son argument selon lequel la proportionnalité est un concept fondamental aux litiges (Proportionality, Justification, Evidence and Deference: Perspectives from Canada, colloque judiciaire de 2015 à la Cour d’appel de Hong Kong).

[32] Le SCC a dressé un résumé des plaintes dans lequel il invoque le nombre d’incidents allégués qui seraient liés à des motifs touchant la race, la religion et le sexe. Le SCC y confirme également le nombre d’incidents liés aux mesures disciplinaires, au recours à la force, à la cote de sécurité, à l’isolement et aux mesures d’adaptation religieuses et culturelles. Le SCC ne précise pas à quels incidents précis il fait allusion pour chaque catégorie.

[33] Interprétant l’exposé des précisions modifié de M. Richards, le SCC affirme qu’il porte sur de nombreux incidents dont peu sont liés à la race ou à la religion, tandis que les autres ne sont liés à aucun motif de distinction illicite. Le SCC ne précise pas à quels incidents il fait référence pour chaque catégorie. Il estime que ces incidents ajoutés à la plainte donnent naissance à une plainte essentiellement nouvelle qui contourne le processus de renvoi de la Commission.

[34] Le SCC affirme qu’un grand nombre des incidents allégués dans l’exposé des précisions modifié de M. Richards ont été examinés dans une décision rendue par une cour du Québec, décision qui sera décrite dans la section suivante.

[35] Le SCC soutient que tout document relatif à la cote de sécurité devrait être rejeté ou radié, au motif que la question de la cote de sécurité n’a pas de lien avec les plaintes et qu’elle a été soulevée sans succès dans Richards c. Giordano (Établissement Archambault), 2018 QCCS 4271, conf. par 2019 QCCA 560 [Richards QCCS].

[36] Le SCC soutient que ces décisions ont réglé la question du changement de la cote de sécurité de M. Richards, qui était passée de moyenne à maximale, et de son transfèrement dans un établissement à sécurité maximale. La Cour a estimé que le comportement de M. Richards justifiait les décisions relatives à la cote de sécurité et au transfèrement.

[37] Le SCC affirme qu’étant donné que les questions relatives à la cote de sécurité ont déjà été tranchées, il est vexatoire de les soulever à nouveau devant le Tribunal.

[38] Le SCC relève, parmi les sujets censés être abordés par M. Owusu-Bempah dans son témoignage, l’effet sur les détenus noirs de l’application de mesures disciplinaires en établissement, le recours à la force, la cote de sécurité, l’isolement et les conditions restrictives de détention ainsi que l’accès à des programmes adaptés à la culture.

[39] Le SCC fait valoir que le témoignage de M. Owusu-Bempah à titre d’expert proposé n’a pas de lien suffisant avec les plaintes et qu’il outrepasse la portée de celles-ci et des exposés des précisions. Le témoignage n’est pas non plus proportionnel, puisque les plaintes portent essentiellement sur la discrimination fondée sur la religion plutôt que sur la race, que leur bien-fondé n’a pas été établi et qu’un tel élément de preuve disproportionné entraînera des coûts et des délais supplémentaires. Advenant que le Tribunal ne rejette pas entièrement le témoignage de l’expert proposé, le SCC demande à ce qu’il limite la portée du témoignage aux seuls sujets pour lesquels il existe une preuve suffisante de discrimination.

[40] Le SCC reprend le raisonnement et l’argument de proportionnalité qu’il a déjà utilisés au soutien de la radiation des parties contestées des exposés des précisions, afin de justifier également l’exclusion du témoignage de l’expert proposé. En outre, le SCC s’oppose à l’admission du témoignage d’expert dans la mesure où aucune discrimination fondée sur la race n’a été démontrée. Il se dit préoccupé par le fait que la dépense de temps et d’argent que représentent les rapports d’expert n’est pas justifiée, vu le manque d’éléments de preuve fiables, notamment en ce qui a trait aux questions liées à la crédibilité de M. Richards en tant que témoin.

[41] Le SCC s’appuie sur la décision sur requête Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2016 TCDP 14 pour affirmer que l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott et Haliburton Co., 2015 CSC 23 énonce le bon critère pour établir si un témoin expert devrait être autorisé à témoigner devant le Tribunal. Celui qui veut présenter le témoignage doit d’abord démontrer qu’il satisfait aux quatre critères d’admissibilité, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. Dans un deuxième temps, le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si le témoignage proposé, même s’il a satisfait aux critères d’admissibilité, est suffisamment avantageux pour justifier les divers risques et frais liés au fait de le recevoir (White Burgess, par. 23 et 24).

(i) Observations en réplique

[42] Dans son courriel du 7 avril 2020, le SCC fournit une analyse plus détaillée des parties contestées des exposés des précisions. Il soutient que la rubrique de l’exposé des précisions modifié de la Commission intitulée [traduction] « Le SCC a pris des mesures discriminatoires qui ont eu une incidence sur la cote de sécurité de M. Richards » est trop générale par rapport aux éléments de preuve présentés. Le SCC affirme que le titre de la rubrique ne devrait pas influencer la portée de l’instruction.

[43] De même, le courriel en question soulève des objections quant au paragraphe 19 de l’exposé des précisions modifié de la Commission, au motif qu’il repose sur la croyance erronée de M. Richards selon laquelle les photos de lui versées dans son dossier de sécurité ont eu une incidence sur sa cote de sécurité, alors que les plaintes ne soulevaient pas de préoccupations quant à la cote de sécurité dans ce contexte-là.

[44] Par ailleurs, en ce qui concerne le paragraphe 20 de l’exposé des précisions modifié de la Commission, le SCC soutient que M. Richards n’a jamais prétendu que l’offre de programmes présentait des lacunes discriminatoires. Pour ce qui est des allégations relatives aux mesures disciplinaires en établissement, le SCC affirme qu’il fournira, dans son exposé des précisions, la longue liste des accusations d’infraction disciplinaire auxquelles M. Richards fait face. Le SCC ajoute que M. Richards a déposé un grief en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la « LSCMLC »] pour nombre de ces infractions, et que de les contester à nouveau constitue un abus de procédure. En outre, le fait de réexaminer les décisions en cause après qu’un temps considérable se soit écoulé prive le SCC de la possibilité de défendre correctement les mesures qu’il a prises. De même, les questions relatives à la cote de sécurité peuvent être examinées au moyen du recours prévu par la LSCMLC, qui tient également compte des questions relatives à la Charte. Le SCC soutient que les tribunaux ont reconnu l’expertise spécialisée qui sous-tend le recours offert par la LSCMLC, et qu’ils sont rarement intervenus en ce qui le concerne.

[45] Le SCC expose plus en détail ses préoccupations relatives à la partie des exposés des précisions où il est affirmé que [traduction] « les détenus noirs et musulmans sont systématiquement maltraités par le SCC ». En particulier, les éléments de preuve ne démontrent pas de mauvais traitements systémiques fondés sur la race; en effet, un seul paragraphe fait référence à une discrimination raciale systémique, laquelle repose sur les croyances de M. Richards. Le SCC demande que le paragraphe 42 de l’exposé des précisions de M. Richards et les paragraphes 37 et 38 de l’exposé des précisions modifié de la Commission soient radiés, au motif que, sauf pour une partie de la troisième plainte, les plaintes ne font aucune allusion aux mesures de soutien destinées aux libérés conditionnels ni aux programmes pour les détenus. Le SCC a précisé que la Commission avait déjà adopté la position selon laquelle cette partie de la plainte concernait les langues officielles, et qu’elle ne serait donc pas examinée.

[46] Dans le courriel, le SCC explique les raisons pour lesquelles il demande que soient radiées des exposés des précisions les réparations liées à la cote de sécurité, à l’isolement ainsi qu’à la collecte et à la communication de données. Le SCC affirme que ces réparations débordent le cadre des plaintes et que la demande relative à la communication et à la collecte des données est disproportionnée.

[47] Par ailleurs, dans son courriel du 7 avril 2020, le SCC résume ses préoccupations liées à l’exposé des précisions modifié de M. Richards en disant qu’il contient de nouveaux faits fondés en grande partie sur les sentiments et les impressions de ce dernier, et qu’il contourne le processus d’enquête de la Commission.

[48] Dans ses observations en réplique officielles, le SCC affirme chercher essentiellement à limiter la portée de la procédure aux allégations contenues dans les trois plaintes. Il précise que ses principaux arguments ont trait à la nécessité de maintenir une proportionnalité et de s’assurer qu’il existe un lien suffisant entre les allégations et les plaintes.

[49] Le SCC renvoie à l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore] en ce qui concerne la proposition selon laquelle une enquête doit être axée sur les questions appropriées et les réparations doivent s’inscrire dans le cadre de la plainte. Le SCC affirme que l’arrêt Moore empêche qu’une allégation de discrimination systémique mène à l’élargissement d’une enquête au-delà de la portée de la plainte.

[50] Le SCC fournit des éléments de preuve documentaire supplémentaires. Il résume une lettre de la Commission où celle-ci indique qu’elle n’enquêtera pas sur la partie de la troisième plainte traitant des langues officielles. Il fournit également une correspondance faisant état d’un différend entre le SCC et la Commission sur la question de savoir si le SCC a collaboré ou non pendant l’enquête. Le SCC réitère sa position selon laquelle il n’est pas responsable du retard dans l’enquête. Il produit aussi des échanges par courriel montrant des différends entre les parties au sujet de la portée appropriée de la plainte et comprenant une demande détaillée de divulgation de la part de la Commission.

[51] Le SCC indique que sa réponse aux observations de la Commission s’applique également aux questions similaires soulevées par M. Richards dans ses observations. En outre, il soutient que M. Richards demande au Tribunal de revenir sur les résultats de la décision Richards QCCS et d’élargir la portée de l’instruction de manière à ce que la question de la cote de sécurité soit prise en considération, en dépit des autres recours adéquats possibles. Il fait également valoir que le traitement défavorable subi par M. Richards n’est pas discriminatoire, compte tenu de son dossier disciplinaire chargé.

[52] Le SCC mentionne qu’il ne comprend pas l’objectif des observations de Mme Halls.

[53] Le SCC reproche à la Commission d’avoir fourni des arguments trop peu détaillés et d’avoir traité les trois plaintes globalement plutôt qu’individuellement. En particulier, le SCC s’inquiète du fait que la Commission adopte une approche globale quant à la portée de l’enquête, au lieu de déterminer la façon dont chaque allégation de discrimination qui définit la portée de la plainte est présentée dans les exposés des précisions. En fait, de l’avis du SCC, la Commission n’a fourni aucun exemple pour illustrer en quoi l’une des questions contestées était liée aux plaintes. Il soutient que le fait d’examiner les trois plaintes globalement plutôt que séparément permet d’élargir la portée de l’une quelconque de ces plaintes et d’ainsi étendre de manière inappropriée la portée des autres plaintes. Dans la même veine, le fait qu’un incident allégué peut se rapporter à un motif de discrimination ou un sujet donné ne veut pas dire que ce soit le cas de tous les incidents.

[54] De plus, le SCC affirme que les éléments de preuve que la Commission cite dans ses observations sont pris hors contexte. Il affirme aussi que la Commission n’a pas abordé la question de la proportionnalité dans ses observations.

[55] Enfin, le SCC fournit une réponse détaillée aux observations de la Commission. Dans ses objections, il soutient à maintes reprises que la Commission a mal interprété l’une ou plusieurs des plaintes, les observations du SCC ou les éléments de preuve à l’appui. Le SCC laisse régulièrement entendre que l’on peut se reporter aux documents de sa requête originale pour interpréter correctement les questions en litige. À une occasion, le SCC soutient que la Commission donne une représentation inexacte des ordonnances demandées dans sa requête. Ailleurs, il nie se livrer à une attaque illégitime contre la décision de la Commission de renvoyer les plaintes. Il affirme accepter cette décision et fournit divers détails procéduraux visant à démontrer sa coopération au processus d’enquête. Même si le SCC a consenti à ce que les plaintes soient regroupées pour faire l’objet d’une seule instruction, dans le but d’assurer l’efficacité du processus décisionnel, cela ne revient pas à consentir à un élargissement de la portée des plaintes. Le SCC soutient que celles-ci concernent une série d’incidents sans rapport entre eux, et qu’elles ne peuvent pas être liées d’un point de vue systémique, parce que les employés du SCC n’ont pas accès à tous les aspects du dossier et ne peuvent donc pas s’en servir pour perpétuer des actes discriminatoires ou des représailles. Par ailleurs, le fait qu’un incident présente une dimension raciale ne veut pas dire que toutes les plaintes comportent un élément racial. Le SCC présente à de nombreuses reprises des variantes de l’argument selon lequel la portée d’une plainte ne peut être élargie indéfiniment. Il demande que la portée de l’instruction soit déterminée maintenant, au lieu que le Tribunal juge la question prématurée et la reporte en conséquence.

C. Position de M. Richards

(ii) Observations de M. Richards

[56] M. Richards demande au Tribunal de rejeter la requête du SCC dans son intégralité. Il précise que l’affaire met en évidence le fait que les détenus noirs sont victimes d’abus et de harcèlement et subissent des représailles lorsqu’ils portent plainte.

[57] M. Richards affirme que, si la portée de l’instruction s’est élargie au-delà de la plainte originale qu’il a déposée, c’est en raison des représailles exercées à son endroit par le SCC. L’isolement, les accusations portées contre lui en tant que détenu et la cote de sécurité qui lui a été attribuée s’inscrivaient dans ces représailles du SCC. La possibilité de modifier l’exposé des précisions permet au Tribunal de prendre en considération les violations continues des droits de la personne. M. Richards cite le livre d’Evelyn Kallen intitulé Ethnicity and Human Rights in Canada, ouvrage qui traite des obligations internationales en matière de droits de la personne imposées au Canada par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la capacité des personnes qui ont épuisé les recours juridiques nationaux de demander à ce que leur cause soit entendue par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

[58] M. Richards s’oppose à la demande visant à exclure la discrimination raciale de la plainte et à limiter celle-ci à la discrimination fondée sur la religion. Il rappelle qu’il est un homme noir et conteste l’affirmation selon laquelle il manquerait de crédibilité; selon lui, le dossier de preuve étaiera sa position. Il laisse entendre que la discrimination raciale peut être plus subtile que la discrimination fondée sur la religion. Des témoignages d’expert permettront de démontrer que les mauvais traitements qu’il a subis aux mains du SCC correspondent aux mauvais traitements systémiques infligés aux détenus noirs. Il cite Béatrice Vizkelety et son ouvrage intitulé Proving Discrimination In Canada, qui explique la différence entre le préjudice, qui est fondé sur l’intention, et la discrimination, qui repose plutôt sur un effet. M. Richards affirme qu’il dispose d’éléments de preuve attestant le fait que les cotes de sécurité et l’évaluation des risques sont disproportionnées pour les détenus noirs par rapport aux détenus blancs, ce que le SCC n’est pas en mesure d’expliquer.

[59] M. Richards conteste l’argument du SCC selon lequel la question de sa cote de sécurité a été tranchée par les cours du Québec. En effet, les jugements ne portaient que sur une seule décision relative à la cote de sécurité, et cette question n’a pas été abordée de façon plus générale. Il mentionne une politique informelle consistant à exiger des détenus condamnés pour meurtre de passer au moins deux ans dans un établissement à sécurité maximale. Cette politique a eu des effets préjudiciables pour les jeunes détenus noirs, qui ont été soumis de manière disproportionnée à de telles peines et qui étaient ainsi exposés aux violences raciales des autres détenus. M. Richards avance qu’il existe un lien entre son transfèrement de Cowansville à Donnacona le 22 novembre 2019 et son allégation d’agression et de harcèlement sexuels. En outre, il soulève d’autres préoccupations au sujet des jugements en question, par rapport à la qualité de la représentation assurée par son avocat de l’époque, mais il concède que le Tribunal n’est pas saisi des questions soulevées dans la requête d’habeas corpus et l’appel interjeté dans cet autre contexte.

[60] M. Richards conteste l’affirmation selon laquelle la procédure de règlement des griefs des détenus offre une option de recours adéquate. Il soutient que bien plus de 90 % de ses plaintes et griefs sont rejetés par le SCC, et que la procédure donne au personnel la possibilité d’user de représailles. Il fait valoir que cette procédure n’est ni équitable sur le plan procédural ni juridiquement contraignante. Il cite la décision Spidel c. Canada (Procureur général), 2012 CF 958 et l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 pour ce qui est des différentes lacunes de la procédure de règlement des griefs.

[61] En réponse aux arguments du SCC relatifs à l’équité procédurale, M. Richards soulève des préoccupations quant à la collaboration du SCC à l’enquête initiale de la Commission sur la plainte et au non-respect des délais par le SCC, tant pendant la procédure de la Commission que devant le Tribunal. Il accuse également le SCC de parjure. Étant donné la nature de cette allégation, il serait inapproprié d’accueillir la requête du SCC. Ce serait également contraire au principe d’une saine et efficace administration de la justice que de radier quelque partie du dossier sans explication de la conduite du SCC. M. Richards cite à ce propos l’ouvrage Proving Discrimination In Canada, où il est mentionné que le défaut d’un intimé de fournir une explication quant à la discrimination alléguée peut appuyer une inférence selon laquelle les éléments de preuve de l’intimé auraient été défavorables. Il cite aussi les arrêts C.U.P.E. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29; Therrien (Re), 2001 CSC 35 et Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 RCS 471, relativement aux exigences en matière d’équité procédurale.

[62] En ce qui concerne le témoignage d’expert, M. Richards souligne que la formation, l’expérience et les connaissances de M. Owusu-Bempah le rendent apte à fournir les éléments de preuve nécessaires en l’espèce. Les preuves statistiques sont particulièrement difficiles à produire par d’autres moyens. Le plaignant renvoie aux arrêts R. c. Mohan, 1994 CanLII 80, [1994] 2 RCS 9 et AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2002 CAF 421 ainsi qu’aux décisions Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302 et Merck Frosst Canada & Co. c. Apotex Inc., 2005 CF 755, en ce qui concerne le rôle des témoignages d’expert. Il cite également la section de l’ouvrage Proving Discrimination in Canada portant sur l’objectif des preuves statistiques.

(iii) Observations de Mme Halls

[63] Dans ses observations, Mme Halls expose les témoignages et les éléments de preuve qu’elle entend présenter à l’audience. Elle mentionne également, en termes généraux, certaines des questions sur lesquelles d’autres membres de la famille témoigneront à l’audience.

D. Position de la Commission

[64] La Commission s’oppose à l’ensemble des ordonnances demandées par le SCC.

[65] La Commission croit comprendre que la requête du SCC équivaut à une demande de radier toute référence à des politiques, à des pratiques et à la discrimination systémique. En particulier, la Commission estime que la requête du SCC cible des questions de discrimination individuelle et systémique liées à la sécurité, des aspects systémiques des mauvais traitements réservés aux détenus noirs et musulmans ainsi que diverses réparations d’ordre systémique.

[66] Selon la Commission, la requête soulève deux questions. La première est celle de savoir si le Tribunal devrait limiter de manière considérable la portée de l’instruction à titre préliminaire et rejeter les allégations de discrimination raciale et systémique qui lui ont été renvoyées à des fins d’instruction. La deuxième question est celle de savoir si M. Richards et la Commission devraient être privés d’une possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et des avis juridiques pertinents quant à l’instruction et à l’objet des plaintes.

[67] La Commission fait valoir que le pouvoir du Tribunal de radier les exposés des précisions à titre préliminaire ne devrait être exercé que dans les cas les plus clairs. La présente affaire ne constitue pas un tel cas. La Commission laisse entendre que le SCC cherche à exclure tout examen des questions de savoir si les stéréotypes négatifs véhiculés à l’endroit des hommes noirs ont pu jouer un rôle dans le traitement de M. Richards et si les pratiques et les politiques du SCC ont pu avoir des effets négatifs disproportionnés sur les détenus noirs ou musulmans. Cette requête priverait la Commission de sa capacité de faire valoir ses arguments d’intérêt public. La plainte serait réduite à une plainte individuelle concernant l’accès à un régime alimentaire pour motifs religieux.

[68] La Commission souligne l’obligation du Tribunal, prévue par la loi et confirmée par les Règles de procédure et la jurisprudence, de veiller à ce que chaque partie ait la possibilité pleine et entière d’être entendue. En conséquence, les arguments du SCC concernant la crédibilité de M. Richards et l’insuffisance des éléments de preuve touchant la discrimination raciale ne permettent pas d’appuyer la requête en radiation des exposés des précisions. Par ailleurs, le fait que la Cour du Québec se soit prononcée sur une cote de sécurité donnée ne justifie pas le fait d’empêcher le Tribunal d’examiner l’administration des cotes de sécurité par le SCC.

[69] En faisant valoir que le pouvoir du Tribunal de radier les exposés des précisions à titre préliminaire devrait être exercé avec prudence, et uniquement dans les cas les plus clairs, la Commission attire l’attention sur des situations similaires analysées dans les décisions sur requête Connors c. Forces armées canadiennes), 2019 TCDP 6 [Connors]; AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33 [AA]; Desmarais c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 5 [Desmarais] et Sugimoto c. Banque royale du Canada, 2006 TCDP 2, dans lesquelles le Tribunal n’avait pas radié les exposés des précisions en litige.

[70] La Commission avance que toutes les parties contestées des exposés des précisions découlent des allégations contenues dans les plaintes. Les formulaires de plainte ne représentent que le point de départ d’une plainte, qui sera inévitablement étoffée par de nouveaux faits et de nouvelles circonstances et par les éclaircissements apportés dans les exposés des précisions. Pour établir si une partie de l’exposé des précisions est suffisamment liée à la plainte, le Tribunal doit vérifier si l’allégation a un lien raisonnable avec les plaintes sous‑jacentes. Il doit examiner à la fois les plaintes et la lettre de renvoi de la Commission pour déterminer quelles sont les questions essentielles en litige opposant les parties.

[71] La Commission soutient que les parties des exposés des précisions que le SCC souhaite voir radier sont fondées sur les plaintes, lesquelles soulèvent des questions de discrimination individuelle et systémique et de discrimination fondée sur des motifs interreliés de race, de couleur, de religion et de déficience. La Commission mentionne un certain nombre d’incidents documentés dans la première plainte, qui font état d’actes de discrimination raciale et systémique à l’endroit de détenus noirs et musulmans, notamment ceux décrits au paragraphe 7 ci‑dessus. Selon la Commission, le formulaire de plainte énonce les motifs suivants : la religion, le sexe, la race, la couleur et la déficience.

[72] La Commission résume un certain nombre d’allégations dans la deuxième plainte, y compris celles décrites au paragraphe 9 ci‑dessus. Elle ajoute que le formulaire de plainte fait état de représailles, de harcèlement et de discrimination préjudiciable.

[73] La Commission résume les incidents visés par la troisième plainte, notamment ceux décrits au paragraphe 11 ci‑dessus. Elle précise que le formulaire de plainte mentionne les motifs suivants : la race, la couleur, la religion et la déficience. Elle souligne que l’exposé des précisions modifié de M. Richards décrit des événements postérieurs à sa troisième plainte qui dénotent une discrimination continue similaire à celle décrite dans les plaintes, et qui ont donc un lien suffisant avec celles-ci.

[74] La Commission soutient que son exposé des précisions modifié rend correctement compte des faits concrets sur lesquels elle s’appuiera. Elle précise qu’il y a de véritables références à des actes de discrimination systémique dans les plaintes et les exposés des précisions.

[75] La Commission soutient, encore une fois, que le fait que les tribunaux québécois aient examiné une décision relative à la cote de sécurité n’empêche pas le Tribunal d’examiner les questions de discrimination individuelle et systémique liées à la cote de sécurité. La Commission fait valoir qu’en demandant au Tribunal de radier les références à la race, à la discrimination systémique et à la cote de sécurité, le SCC cherche à priver le Tribunal de la possibilité d’examiner des motifs de discrimination interreliés. Selon la jurisprudence, il est important de tenir compte de l’effet combiné de multiples motifs de discrimination dans les affaires concernées. Aux dires de la Commission, le SCC a reconnu que les allégations de discrimination raciale faisaient partie des plaintes déposées devant la Commission au cours de l’enquête menée par celle-ci. On en trouve confirmation dans la réponse du SCC au rapport d’enquête du 1er mai 2017, dans laquelle il a indiqué : [traduction] « M. Richards prétend avoir été victime de discrimination fondée sur la religion et sur la race, ainsi que de harcèlement sexuel. »

[76] La Commission affirme que le témoignage d’expert proposé et les passages de son exposé des précisions modifié apportent des détails supplémentaires et précisent suffisamment le contexte pour étayer les allégations d’ordre systémique. Il est particulièrement important de définir les plaintes de manière large afin de pouvoir couvrir l’historique des faits et le contexte, lorsque l’on est en présence d’allégations de discrimination systémique, car celles‑ci sont connues pour être difficiles à prouver. La Commission cite à cet effet les décisions sur requête Murray c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2018 TCDP 32 [Murray] et Starblanket c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 29, ainsi que l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 CF 789 (CAF) [AFPC]. En l’espèce, il faut que le Tribunal obtienne un portrait complet de la manière dont les stéréotypes négatifs véhiculés à l’endroit des détenus noirs et musulmans ont pu avoir une influence sur la cote de sécurité de M. Richards, sur les accusations d’infractions disciplinaires à son endroit et sur son incapacité d’avoir droit à la libération conditionnelle.

[77] La Commission fait valoir que rien ne justifie de radier à titre préliminaire les réparations d’intérêt public qu’elle a demandées. L’objectif de la LCDP de promouvoir et de sauvegarder l’égalité réelle ne peut être atteint sans des réparations adéquates, tant pour les plaignants concernés que pour la prévention de toute discrimination dans l’avenir. Selon la Commission, la LCDP précise que les réparations appropriées ne sont envisagées qu’après examen des éléments de preuve au dossier. Si le SCC s’oppose aux réparations d’intérêt public demandées par la Commission, il convient de soulever cette objection à la fin de l’audience. Écarter les réparations d’ordre systémique à ce stade-ci ouvre la possibilité qu’une discrimination systémique soit confirmée, mais que le Tribunal se retrouve dans l’impossibilité d’accorder une réparation correspondante. La Commission soutient qu’il est nécessaire d’examiner les politiques et les pratiques du SCC afin de déterminer la véritable source de la discrimination subie par M. Richards. Des rapports internationaux et nationaux, provenant notamment du Bureau de l’enquêteur correctionnel, font état de discrimination fondée sur la race au sein du système correctionnel.

[78] La Commission s’oppose à la demande du SCC d’exclure le témoignage de M. Owusu‑Bempah à titre d’expert proposé. Elle soutient que le témoignage projeté est directement lié aux plaintes et aux allégations contenues dans les exposés des précisions en ce qui a trait à la discrimination fondée sur la race ou la couleur. En outre, il n’est pas nécessaire qu’une allégation de discrimination individuelle soit prouvée avant que l’on puisse examiner les allégations d’ordre systémique. Procéder ainsi priverait le plaignant d’éléments de preuve de discrimination systémique susceptibles d’appuyer ses allégations quant à une discrimination en particulier. De plus, la Commission affirme qu’il est prématuré d’exclure le témoignage de l’expert, vu qu’il est inapproprié pour le Tribunal de procéder à un examen du bien‑fondé des allégations à ce stade-ci et que Tribunal n’aura pas pu bénéficier d’un examen du rapport de l’expert.

[79] La Commission plaide que la requête du SCC constitue une attaque indirecte et inappropriée de sa décision de renvoyer les plaintes, dans leur intégralité, au Tribunal pour qu’il rende une décision. La Commission a décidé de renvoyer l’intégralité des trois plaintes au Tribunal. Les plaintes comprennent des allégations de discrimination raciale et systémique qui ont été examinées dans le cadre de l’enquête de la Commission. Il n’est pas nécessaire qu’elles aient été pleinement exposées au cours de l’enquête de la Commission. Rien dans le présent dossier n’indique que la Commission a renvoyé certaines portions seulement des plaintes au Tribunal. Si le SCC voulait contester la portée des plaintes renvoyées au Tribunal, il aurait dû demander un contrôle judiciaire des décisions de renvoi de la Commission.

[80] La Commission soulève des arguments supplémentaires en réponse aux courriels des 7 et 8 avril 2020 du SCC. Elle soutient que l’argument du SCC selon lequel les photos de M. Richards en tenue religieuse n’auraient eu aucune incidence sur sa cote de sécurité est un argument que le SCC devrait faire valoir dans le cadre de l’audience sur le fond, au lieu d’en faire un motif pour radier une partie des exposés des précisions. De plus, la Commission affirme que l’argument du SCC selon lequel la LSCMLC prévoit un autre recours adéquat est inapproprié, parce qu’il constitue une attaque indirecte de sa décision de renvoyer la plainte après avoir dûment pris en considération les arguments pertinents, et que le SCC n’a pas fourni d’éléments de preuve convenables pour appuyer ce qu’il avance. Enfin, la Commission fait valoir que les allusions qu’elle a faites à M. Richards en tant que musulman anglophone du Québec ne visent pas à étayer une plainte d’ordre linguistique, mais qu’elles fournissent plutôt un contexte pertinent par rapport aux programmes correctionnels qui lui sont offerts.

IV. Questions en litige

[81] La requête soulève les questions suivantes :

A) Les parties contestées des exposés des précisions devraient‑elles être radiées au motif qu’elles outrepassent la portée des plaintes?

B) Devrait‑il être interdit à M. Owusu‑Bempah de fournir un témoignage d’expert au motif que son témoignage proposé déborde le cadre des plaintes?

V. Analyse

[82] Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête du SCC.

[83] La requête du SCC repose sur l’assertion selon laquelle les allégations et les éléments de preuve faisant état d’une discrimination raciale et systémique — notamment ceux concernant la cote de sécurité et les mauvais traitements systémiques que subiraient les détenus noirs et musulmans — ne sont pas raisonnablement liés aux allégations contenues dans les plaintes et sont disproportionnés par rapport à celles-ci. À ce titre, le SCC soutient que les éléments en question ont été incorrectement inclus dans les parties contestées des exposés des précisions et devraient, à titre préliminaire et avant l’audience sur le fond de l’affaire, être radiés par le Tribunal parce qu’ils outrepassent la portée des plaintes ayant été examinées par la Commission et renvoyées au Tribunal pour instruction. En outre, selon le SCC, les réparations relatives à la cote de sécurité; à l’isolement; aux accusations d’infractions disciplinaires; au recours à la force; aux politiques et pratiques liées aux mesures d’adaptation; à l’accès aux services religieux pour les détenus musulmans; à la collecte et à la communication des données devraient également être radiées des parties contestées des exposés des précisions pour les mêmes raisons. Enfin, le SCC déclare que la présentation, par la Commission, du témoignage de M. Owusu‑Bempah à titre d’expert proposé, témoignage traitant de la discrimination raciale et systémique dans le système carcéral, ne permet pas non plus d’établir un lien raisonnable avec les plaintes et que, à ce stade-ci, ce témoignage devrait donc être refusé par le Tribunal, car il déborde le cadre de l’instruction.

[84] En vertu de l’article 49 de la LCDP, le Tribunal a compétence pour instruire les plaintes qui lui sont renvoyées par la Commission. Les pouvoirs généraux du Tribunal en matière d’instruction des plaintes sont énoncés aux paragraphes 50(2) et 50(3) et comprennent le pouvoir « de trancher toute question de procédure ou de preuve » soulevée durant l’audience. Conformément au paragraphe 50(1) et à l’article 1 des Règles de procédure du Tribunal, ce dernier est tenu de veiller à ce que chaque partie à une plainte ait la possibilité pleine et entière de se faire entendre.

[85] Le Tribunal a le pouvoir de modifier, de clarifier ou de déterminer l’étendue des plaintes pour discrimination initiales, pourvu que les autres parties n’en subissent pas de préjudice (Connors, par. 6 et 7). Dans l’exercice de son pouvoir de déterminer la portée de la plainte, le Tribunal peut supprimer les parties des exposés des précisions qui dépassent la portée légitime d’une plainte (Association des maîtres de poste).

[86] Au moment d’exercer son pouvoir de radier des précisions à titre préliminaire avant la tenue d’une audience complète, comme le demande le SCC en l’espèce, le Tribunal doit procéder avec prudence, et seulement dans les « cas les plus clairs » (Desmarais, par. 83; voir également Buffet c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 16, par. 40).

[87] Par souci d’équité procédurale et d’efficacité, et conformément au mandat que lui confère l’article 50 de la LCDP, le Tribunal ne radiera pas les affirmations de fait qui sont pertinentes pour l’instruction tant qu’un dossier de preuve n’aura pas été établi à l’audience, particulièrement dans les cas où les questions de fait et de droit sont complexes et interreliées (Desmarais, par. 55 et 56; voir également Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, par. 141 et 142).

[88] Une description de l’approche adoptée par le Tribunal et des principes sur lesquels il s’appuie pour examiner les requêtes visant à limiter la portée d’une instruction se trouve dans la décision AA, aux paragraphes 55 à 59, libellés comme suit :

[55] Il ne s’agit pas en l’espèce d’une requête de modification puisque les paragraphes et les renvois en question se trouvent déjà dans l’exposé des précisions et la réplique, et que l’on demande leur radiation. Par conséquent, il s’agit de l’inverse d’une requête de modification. Toutefois, bon nombre des principes qui s’appliquent dans les situations où une modification est demandée s’appliquent aussi en l’espèce.

[56] La plainte est l’élément déclencheur du processus pouvant mener à une instruction par le Tribunal sur renvoi de la Commission, sous le régime de la LCDP. Le plus souvent, un éventuel plaignant, comme AA, dépose une plainte sans obtenir un soutien ou des conseils juridiques indépendants. À ce stade-ci, le plaignant ne fait que donner le résumé de sa version des faits dans un formulaire prescrit. Il relate ce qui s’est produit à sa connaissance à ce moment-là et qui l’a amené à croire qu’il a fait l’objet de discrimination au sens de la LCDP, et que cette discrimination pouvait persister.

[57] Il est bien établi que les lois en matière de droits de la personne sont considérées comme étant quasi-constitutionnelles. Elles doivent être interprétées de façon large et en fonction de l’objet visé, afin de donner plein effet aux droits des personnes de vivre leur vie sans discrimination. Compte tenu de ce contexte, il ne faudrait pas restreindre indûment une plainte en faisant primer la forme sur le fond et le juridisme sur la réalité pratique.

[58] Bien que la plainte donne lieu à une enquête par la Commission et, qu’en fin de compte, elle soit renvoyée au Tribunal, s’il y a lieu, elle ne constitue pas un acte de procédure. Les actes de procédure sont les exposés des précisions et les répliques, car ils énoncent les faits de l’affaire permettant d’établir les modalités à l’étape de la décision par le Tribunal dans sa recherche de la vérité relativement aux questions réelles et essentielles en litige.

[59] Cela étant dit, la plainte doit avoir un fondement factuel qui établit un lien raisonnable avec le contenu de l’exposé des précisions. Il ne s’agit donc pas d’avoir toute nouvelle allégation sans lien raisonnable avec un élément de la plainte et qui, par conséquent, constituerait une nouvelle plainte. Pour déterminer la portée d’une instruction lorsqu’une question en litige se pose, comme c’est le cas en l’espèce, le Tribunal doit examiner tant la plainte que la demande d’enquête de la Commission. Voici les observations formulées à cet égard dans la décision Casler, aux paragraphes 7 à 11 :

[7] Le rôle du Tribunal est d’instruire les plaintes qui lui sont déférées par la Commission (voir les articles 40, 44 et 49 de la Loi). Par conséquent, pour déterminer la portée d’une plainte et s’il faut autoriser des modifications à celle-ci, il convient d’examiner la plainte originale et la demande d’enquête de la Commission, laquelle demande comprend généralement une lettre du président, la plainte originale et le formulaire de résumé de la plainte préparé par la Commission. Lors de cet examen, le Tribunal s’assure qu’il existe un lien avec les allégations qui ont donné lieu à la plainte originale et que cela n’outrepasse pas le mandat conféré à la Commission, en vertu de la Loi, en ce qui a trait au renvoi. Autrement dit, la décision concernant la portée ou les modifications ne peut pas introduire une plainte fondamentalement nouvelle, qui n’a pas été examinée par la Commission [voir Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 au paragraphe 30 Parent »); Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7 aux paragraphes 29 et 30Kanagasabapathy »); Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1 au paragraphe 9Gaucher »)].

[8] Cela dit, il faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. Un ensemble de faits plus ou moins exacts sont alors avancés et doivent être examinés plus avant par la Commission. Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. »

[9] En effet, la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie dans le processus juridictionnel du Tribunal, menant à une audience. Au contraire, ce sont les exposés des précisions déposés devant le Tribunal qui énoncent les conditions plus précises de l’audience. Dans la mesure où le fond de la plainte originale est respecté, la plaignante et la Commission devraient être autorisées à clarifier et à expliquer les allégations initiales avant la tenue d’une audience à l’égard de l’affaire (voir Gaucher, au paragraphe 10).

[10] Le rôle du Tribunal dans une requête comme celle présentée en l’espèce consiste à examiner les documents et les observations concernant la portée ou les modifications demandées, à déterminer la teneur même de la plainte et à décider si la définition de la portée ou les modifications demandées sont liées à l’objet principal de la plainte et si elles sont nécessaires pour permettre au Tribunal d’enquêter sur les questions essentielles en litige. Ce faisant, il n’incombe pas au Tribunal de réexaminer l’enquête menée par la Commission ou sa décision de déférer la plainte sur la base des résultats de l’enquête. Cette compétence relève exclusivement de la Cour fédérale (voir Waddle c. Chemin de fer Canadien Pacifique et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 TCDP 8, aux paragraphes 32 à 38).

[11] Comme lors de toutes ses interventions lorsqu’il s’agit de rendre une décision concernant la portée et les modifications, le Tribunal doit respecter les principes de justice naturelle et s’assurer que chacune des parties a la possibilité pleine et entière de présenter sa preuve [voir les paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la Loi]. Toute modification qui porte à l’une des parties un préjudice grave et irréparable ne devrait pas être autorisée [voir Cook c. Première Nation D’Onion Lake, 2002 CanLII 61849 (TCDP), au paragraphe 20].

Aussi, comme cela a été énoncé dans la décision Gaucher, aux paragraphes 9 à 13 :

[9] La compétence du Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne vient du fait que la Commission a renvoyé la plainte. Cela donne le contexte général dans lequel toute demande de modification doit être examinée. La Commission, lorsqu’elle a renvoyé la plainte au Tribunal, doit avoir examiné la situation essentielle qui constitue le sujet de l’affaire à instruire. Cela crée certaines limites à l’égard des modifications qui doivent avoir leur historique dans les circonstances soumises à la Commission.

[10] Ce n’est toutefois qu’un aspect de l’affaire. Je pense qu’il faut être conscient de la réalité de la situation lors de l’examen d’une demande de modification. Le formulaire de plainte existe principalement pour les besoins de la Commission. Il est une première étape nécessaire qui soulève une série de faits qui requièrent une enquête plus à fond. Le formulaire de plainte fournit un point de départ important et il est approximatif en soi. Il n’a jamais eu pour but de servir aux fins d’une plaidoirie dans un processus adjudicatif qui mène à une audience. Ce sont les exposés des précisions, plutôt que la plainte initiale, qui énoncent les conditions plus précises de l’audience.

[11] Les parties doivent être conscientes qu’il n’y a rien d’inhabituel dans la demande d’une modification. Les formulaires soumis au Tribunal sont habituellement remplis avant que la plainte ait été correctement examinée et que tous les faits pertinents soient exposés. Il est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. Dans la mesure où le fond de la plainte initiale est respecté, je ne vois pas pourquoi la plaignante et la Commission ne devraient pas être autorisées à clarifier et à expliquer les allégations initiales avant la tenue d’une audience à l’égard de l’affaire.

[12] Je pense que les tribunaux qui traitent des droits de la personne ont adopté une démarche libérale à l’égard des modifications. Ce choix est conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne qui est une loi réparatrice. Elle ne devrait pas être interprétée d’une manière étroite ou technique. Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 A.C.S. no 75 (QL), au paragraphe 50, par exemple, la Cour suprême a approuvé une modification à une plainte qui « a simplement rendu la plainte conforme aux procédures ». Je pense que la situation qui m’est soumise est similaire. Il s’agit simplement de s’assurer que la forme de la plainte reflète avec précision le fond des allégations qui ont été renvoyées au Tribunal.

[13] La Cour fédérale a également souscrit à cette démarche. Dans la décision La Commission canadienne des droits de la personne et al. c. Bell Canada, 2002 CFPI 776, au paragraphe 31, M. le juge Kelen suggère que la règle devant le Tribunal et la Cour fédérale devrait être la même. La jurisprudence en matière des droits de la personne :

[...] est reprise dans les décisions de la Cour fédérale quant aux modifications de plaidoirie selon la règle 75 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je fais référence à l’arrêt Rolls Royce plc c. Fitzwilliam (2000), 2000 CanLII 16748 (CF), 10 C.P.R. (4th) 1 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Blanchard a établi, en tant que règle générale, que les modifications proposées soient autorisées lorsque la partie adverse ne subit aucun préjudice [...]

Le juge Kelen cite ensuite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canderel Ltée c. Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10, au même effet. Dans la mesure où elles peuvent se retrouver dans les allégations et les faits soumis à la Commission et où elles ne portent pas préjudice à l’intimée, les modifications devraient être autorisées. Cela aide toutes les parties à déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties.

[89] Les trois plaintes en l’espèce ont été regroupées pour être examinées ensemble dans le cadre de l’instruction. À ce titre, je suis d’avis que les trois plaintes renvoyées par la Commission au Tribunal doivent être analysées globalement, et non pas séparément, pour qu’il soit possible de comprendre les questions essentielles en litige dans le présent dossier. Cela est vrai non seulement pour faire ressortir les allégations de discrimination individuelles qui relèvent bel et bien de l’instruction, mais aussi pour établir si les allégations de discrimination systémique fondée sur la race, la couleur et la religion s’inscrivent à bon droit dans le cadre de l’instruction. De même, il est nécessaire d’examiner les trois plaintes dans leur ensemble pour établir si l’une ou l’autre des allégations de discrimination individuelle découle en partie de politiques, de pratiques et de comportements du SCC qui auraient donné lieu à la discrimination systémique présumée. Ce dernier point est important, car la LCDP prévoit expressément, à l’article 3.1, qu’une pratique discriminatoire peut comprendre « l’effet combiné de plusieurs motifs ». Dans l’arrêt Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, aux paragraphes 48 et 49, la Cour d’appel fédérale a souligné en ces termes l’importance de prendre en considération les motifs de distinction illicite combinés ou interreliés :

[48] […] Toujours selon la notion des motifs combinés ou interreliés, des analyses distinctes de chacun de ces motifs multiples minimisent ce qui, en fait, constitue de la discrimination composée. Lorsqu’ils sont analysés séparément, il se peut que chacun des motifs pris individuellement ne justifie pas une conclusion de discrimination, mais, lorsque les motifs sont pris ensemble, il se peut qu’un tableau différent s’en dégage.

[49] […] bien qu’une plainte de discrimination puisse être principalement axée sur la race, l’analyse de ce motif principal ne doit pas faire en sorte de négliger ni les autres motifs de plainte, comme la déficience, ni l’existence possible de la discrimination composée résultant de la combinaison de ces motifs.

[90] Comme il est souligné au paragraphe 67 ci‑dessus, la Commission soutient que le fait d’exclure — comme le demande le SCC dans sa requête — la question de savoir si les stéréotypes négatifs véhiculés à l’endroit des hommes musulmans noirs ont pu jouer un rôle dans le traitement de M. Richards la priverait de sa capacité de présenter sa cause d’intérêt public et d’une possibilité pleine et entière d’être entendue à un stade préliminaire de la procédure, avant la tenue de l’audience sur le fond de l’affaire. Comme il est mentionné au paragraphe 7 ci‑dessus, au moment d’interpréter et d’examiner les plaintes, compte tenu de la LCDP et du droit et des principes susmentionnés et eu égard au statut de la LCDP en tant que loi quasi constitutionnelle, l’approche à adopter doit être large et axée sur l’objet, et les plaintes ne doivent pas être restreintes indûment en faisant primer la forme sur le fond et le juridisme sur la réalité pratique. Cependant, en statuant sur une requête préliminaire visant à limiter la portée de l’instruction, comme en l’espèce, le Tribunal doit tout de même établir s’il existe un lien raisonnable entre les allégations contenues dans les plaintes qui lui sont soumises et les détails et éléments de preuve contestés et visés par la requête en radiation. Il s’assurera ainsi de ne pas statuer sur de nouvelles plaintes, ce qui reviendrait à contourner le rôle de la Commission consistant à enquêter sur les plaintes et à les renvoyer au Tribunal (Tabor, par. 5). Bien qu’il ait rejeté la requête, le Tribunal ne tient pas pour acquis que les incidents de discrimination allégués par M. Richards sont liés par une discrimination systémique ou par un dénominateur commun associé à la race; il incombera à M. Richards et à la Commission de prouver ces éléments lors de l’audience.

[91] Il n’est pas contesté que le SCC fournit des services correctionnels aux détenus et qu’il doit, en ce sens, le faire d’une manière exempte de discrimination. Dans le cas contraire, cela pourra être considéré comme une violation de l’article 5 de la LCDP pour refus de service, de l’article 14 pour harcèlement et de l’article 14.1 pour représailles exercées en raison du dépôt d’une plainte. Il s’agit d’ailleurs des articles de la LCDP précisés dans les plaintes déposées en l’espèce.

[92] Le SCC soutient que, puisqu’elle est d’avis que M. Richards manque de crédibilité, les affirmations de celui-ci concernant les faits et les incidents qui seraient survenus dans divers établissements et qui, selon la Commission et lui, étaient discriminatoires, ne devraient pas être prises en considération en l’espèce. Il va sans dire qu’à ce stade-ci de la procédure, je n’ai entendu aucun témoignage, et je ne suis pas en mesure de tirer de conclusions quant à la crédibilité de M. Richards ou à la véracité, à l’exactitude ou à la pertinence de quelque affirmation. C’est le but d’une audience : le Tribunal doit pouvoir évaluer la crédibilité des témoins sous serment, tirer des conclusions de fait après avoir reçu les éléments de preuve pertinents et ensuite appliquer la loi pour se prononcer sur le fond de l’affaire, y compris les réparations, le cas échéant. Rien dans la présente décision n’a pour but de priver les parties d’une audience complète, équitable et expéditive sur le fond des plaintes renvoyées au Tribunal par la Commission, audience où les faits et les allégations devront être prouvés pour être accueillis.

[93] Le SCC soutient également que les diverses affirmations des autres parties concernant la discrimination relative à la cote de sécurité de M. Richards, à son isolement et aux mesures disciplinaires prises à son endroit dans les établissements visés sont des affirmations sur lesquelles le Tribunal ne peut se prononcer, car elles ont déjà fait l’objet d’un litige. De plus, la LSCMLC offre une autre voie de recours pour contester les décisions en cause plutôt que de les porter devant le Tribunal.

[94] À mon avis, l’unique décision sur la cote de sécurité rendue contre M. Richards par la Cour supérieure du Québec, et confirmée par la Cour d’appel du Québec, ne prive pas le Tribunal de son pouvoir en vertu de la LCDP de rendre une décision en l’espèce, notamment en ce qui concerne les allégations relatives aux problèmes continus quant à la cote de sécurité, s’il conclut dans la présente décision sur requête que la question a un lien suffisant avec les plaintes et la décision de renvoi de la Commission pour s’inscrire correctement dans la portée de l’instruction. Quoi qu’il en soit, les décisions des cours québécoises semblent avoir un champ d’application beaucoup plus restreint, et l’incident concerné ne semble pas être directement soulevé dans les parties contestées des exposés des précisions visées par la requête en radiation.

[95] À mon avis, l’existence d’un recours prévu par la LSCMLC ne prive pas non plus le Tribunal de son pouvoir de rendre une décision en l’espèce, notamment pour ce qui est des allégations liées aux problèmes continus quant à la cote de sécurité, pourvu que le Tribunal conclue, dans la présente décision sur requête, que ces questions ont un lien suffisant avec les plaintes et la décision de renvoi, et qu’elles s’inscrivent correctement dans le cadre de l’audience. La jurisprudence a clairement établi que la LCDP, en tant que loi sur les droits de la personne, est une loi quasi constitutionnelle et qu’à ce titre, elle n’est pas subordonnée à d’autres lois. En outre, il existe des précédents solides selon lesquels il appartient à la Commission de décider si une plainte doit être redirigée vers un autre recours adéquat. Dans le contexte de la LCDP, c’est la Commission qui décide de ne pas donner suite à des plaintes qui pourraient être plus adéquatement instruites selon des procédures prévues par une autre loi (par. 41(1)). Ainsi, dans la décision International Longshore & Warehouse Union (section maritime), section locale 400 c. Oster, 2001 CFPI 1115, la Cour fédérale a déterminé que le Tribunal n’avait pas compétence pour réviser une décision de la Commission fondée sur le paragraphe 41(1) de la LCDP. Le Tribunal a confirmé cette approche dans la décision Pequeneza c. Société canadienne des Postes, 2016 TCDP 21, et a réaffirmé que la conclusion de la Cour fédérale ne se limitait pas aux décisions discrétionnaires de la Commission.

[96] La LCDP autorise le Tribunal à statuer sur les plaintes pour discrimination alléguée qui lui sont renvoyées par la Commission après enquête de cette dernière, y compris dans le cas de plaintes déposées par des détenus qui se seraient vu refuser un processus de classement de sécurité équitable par le SCC pour un motif de distinction illicite. En l’espèce, le SCC a soulevé en vain des objections au cours de l’enquête de la Commission sur les plaintes; il a prétendu, en se fondant sur l’alinéa 41(1)b) de la LCDP, que les plaintes de M. Richards pouvaient être traitées dans le cadre de la LSCMLC. Il a aussi invoqué l’alinéa 41(1)d) pour affirmer que de nombreuses préoccupations soulevées par M. Richards avaient déjà été réglées, et qu’elles étaient donc vexatoires. Même si le SCC a reconnu que la Commission était saisie des allégations de discrimination systémique et qu’il s’est opposé à ce que ces allégations soient prises en considération lors de l’enquête sur les plaintes, la Commission a décidé de traiter les plaintes et les a renvoyées dans leur intégralité au Tribunal pour instruction. Le SCC n’a contesté aucune des décisions de la Commission au moyen d’une demande de contrôle judiciaire.

[97] Le SCC soutient qu’il n’y a pas lieu d’inclure les allégations de discrimination systémique à l’endroit des détenus noirs et musulmans dans la portée de la présente instruction, car ces allégations ne sont pas dûment liées aux plaintes et qu’en outre, elles ne reposent que sur quelques affirmations formulées dans les plaintes qui ont été amplifiées de manière disproportionnée et injustifiée dans les parties des exposés des précisions qu’il souhaite voir radier. En conséquence, le SCC affirme qu’il serait injuste, disproportionné et inutilement accaparant pour le Tribunal d’exiger de lui qu’il réponde à ces allégations de discrimination systémique. Le SCC fait valoir qu’il faudrait que ses politiques et pratiques en établissement soient examinées en consultant une multitude de documents et de témoins de l’organisation aux fins de l’instruction, alors que les incidents mentionnés dans les plaintes et sur lesquels les autres parties fondent leurs allégations d’ordre systémique sont peu nombreux et concernent le traitement réservé à M. Richards personnellement, et non le traitement réservé à une catégorie de détenus dans son ensemble.

[98] Il incombe au SCC de démontrer au soutien de sa requête que, selon la prépondérance des probabilités, le Tribunal, à ce stade préliminaire de la procédure et sans avoir entendu aucun témoignage, devrait exercer son pouvoir de radier les divers paragraphes des exposés des précisions énoncés au paragraphe 26 ci‑dessus et de refuser le témoignage de M. Owusu‑Bempah. Pour qu’il soit fait droit à sa requête, le SCC doit établir qu’au terme d’un examen des plaintes et de leur renvoi au Tribunal par la Commission, il est évident qu’il n’existe aucun lien suffisant pour justifier que les paragraphes contestés soient conservés et que le témoignage d’expert soit déposé.

[99] Comme il est mentionné aux paragraphes 6 à 11 ci‑dessus, les plaintes qui ont été renvoyées au Tribunal par la Commission faisaient état d’un refus de services et d’une distinction défavorable fondés sur la race, la couleur, la religion, le sexe et la déficience. Elles comportaient également des allégations de représailles et de harcèlement fondées sur la LCDP. De plus, comme il est précisé au paragraphe 96 ci‑dessus, le SCC a reconnu que la Commission était saisie des allégations de discrimination systémique pendant l’enquête sur les plaintes et que, malgré les objections du SCC, la Commission a décidé de traiter les plaintes et a renvoyé l’intégralité des plaintes au Tribunal pour instruction. Si le SCC avait souhaité contester ces décisions de la Commission au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de détails pour justifier le renvoi de l’intégralité des plaintes, y compris les allégations de discrimination systémique, il aurait pu le faire en demandant à la Cour fédérale un contrôle judiciaire visant à annuler ou à limiter les renvois. À cet égard, je souscris aux observations de la Commission faites au paragraphe 79 ci‑dessus.

[100] Le SCC a choisi de ne contester aucun des renvois et, ce faisant, il s’est placé lui‑même dans une position où il soutient maintenant dans sa requête que, malgré l’inclusion de toutes les allégations mentionnées au paragraphe 99 ci‑dessus dans les lettres de renvoi, les parties contestées des exposés des précisions ainsi que le témoignage d’expert proposé n’ont pas de lien suffisant avec les allégations contenues dans les plaintes pour justifier leur examen à l’audience de l’instruction en cours. Dans ce contexte, il est difficile de voir comment on arriverait maintenant à faire valoir que la procédure d’enquête de la Commission sur les allégations contenues dans les plaintes a été contournée ou que la Commission a omis d’enquêter sur les allégations de discrimination systémique relatives à la race, à la couleur et à la religion, ou de les renvoyer au Tribunal pour instruction. Tout comme il est difficile d’imaginer pour quelle raison la Commission serait aujourd’hui aussi pleinement engagée dans la présente affaire, en tant que partie à l’instruction, dans le but de représenter l’intérêt public et de demander des réparations d’ordre systémique, si ce n’est parce qu’elle est entièrement satisfaite de son enquête sur cette question et qu’elle l’a expressément renvoyée au Tribunal pour instruction. Cela dit, il demeure nécessaire d’examiner les plaintes en détail pour voir si le lien nécessaire avec les paragraphes contestés des exposés des précisions et le témoignage d’expert proposé existe bel et bien.

[101] Compte tenu des observations ci‑dessus, j’ai examiné les plaintes, les lettres de renvoi de la Commission au Tribunal et les parties contestées des exposés des précisions visées par la requête en radiation pour vérifier l’existence d’un lien suffisant pour justifier le maintien de ces parties contestées. J’expliquerai donc les résultats de cet examen aux paragraphes 102 à 107 ci‑dessous.

[102] Dans la première plainte, outre les incidents mentionnés au paragraphe 7 plus haut, un certain nombre d’incidents documentés font état d’une discrimination raciale et systémique à l’endroit des détenus noirs et musulmans. À titre d’exemples, il n’y avait aucun chauffage dans la section de l’établissement où étaient logés les détenus musulmans; l’aumônier multiconfessionnel a refusé de tenir la prière du vendredi pour les détenus musulmans; des menaces de placement en isolement ont été proférées pour avoir posé des questions au sujet de douches pour les musulmans pratiquants; des employés du SCC ont formulé des commentaires islamophobes et endommagé des livres destinés aux détenus musulmans et noirs; les besoins culturels des détenus noirs n’ont pas été pris en considération; des isolements cellulaires injustifiés ont été imposés chaque Mois de l’histoire des Noirs; un profilage racial et religieux a été pratiqué à l’endroit de M. Richards en raison de photos de lui portant des vêtements religieux qui figuraient dans son dossier de sécurité; il a été physiquement maltraité, notamment en se faisant asphyxier par immersion et étrangler pour avoir demandé un régime alimentaire pour motifs médicaux et religieux.

[103] Dans la deuxième plainte, outre les incidents visés au paragraphe 9 ci‑haut, un certain nombre d’événements documentés font état d’une discrimination raciale et systémique à l’endroit des détenus noirs et musulmans. À titre d’exemples, M. Richards a été agressé pour avoir rédigé des griefs pour des détenus noirs et musulmans; le SCC n’a pas offert de mesures d’adaptation sur les plans religieux et culturel aux Afro‑Canadiens et aux musulmans; M. Richards s’est vu refuser son régime alimentaire pour motifs religieux et des documents juridiques ont été retirés de sa cellule.

[104] Dans la troisième plainte, outre les incidents mentionnés au paragraphe 11 plus haut, un certain nombre d’événements documentés font état d’une discrimination raciale et systémique à l’endroit des détenus noirs et musulmans. Par exemple, le SCC a offert un régime alimentaire pour motifs religieux aux détenus juifs, mais n’a pas accordé à M. Richards un régime alimentaire adapté à ses croyances musulmanes et à ses problèmes de santé, et les actes du SCC à son égard étaient motivés en partie par le fait qu’il était un homme noir anglophone provenant de l’extérieur du Québec. Il convient de noter que l’exposé des précisions modifié de M. Richards décrit des incidents postérieurs à sa troisième plainte qui font état d’une discrimination continue similaire à celle alléguée dans ses plaintes.

[105] Les plaintes et les parties contestées des exposés des précisions contiennent des références concrètes à la discrimination raciale et aux mauvais traitements systémiques infligés aux détenus noirs et musulmans, notamment les allégations selon lesquelles M. Richard a fait l’objet d’un recours à la force excessif, d’actes de violence et d’accusations d’infractions disciplinaires injustifiées pouvant faire en sorte qu’une cote de sécurité plus élevée lui soit attribuée et qu’il soit placé en isolement. On y affirme que les pratiques et les politiques du SCC en matière d’infractions disciplinaires, de recours à la force et de cote de sécurité ont des répercussions disproportionnées sur les détenus noirs et musulmans, dont M. Richards. Encore une fois, il convient de noter qu’aucune des allégations relevées dans le présent paragraphe ou dans les trois paragraphes précédents n’a été prouvée, mais les allégations sont là.

[106] En adoptant une approche large et axée sur l’objet pour examiner les plaintes et les lettres de renvoi, ainsi que les parties contestées des exposés des précisions visées par la requête en radiation, j’estime qu’il existe un lien suffisant pour permettre à l’ensemble des parties contestées des exposés des précisions d’être conservé à ce stade préliminaire, étant entendu qu’aucune allégation de discrimination n’a encore été prouvée, car le bien‑fondé des allégations sera évalué au moment de l’audience, alors que les parties auront la possibilité pleine et entière de produire leurs éléments de preuve (Saviye c. Afroglobal Network Inc. et Michael Daramola, 2016 TCDP 18, par. 18).

[107] L’essence des plaintes examinées par la Commission et renvoyées au Tribunal pour instruction concerne un détenu musulman noir qui affirme avoir été victime de discrimination pour divers motifs combinés et interreliés à l’occasion d’un certain nombre d’incidents survenus au fil des ans dans des établissements du SCC, notamment des incidents liés à sa cote de sécurité et des incidents attribuables à une discrimination systémique. À mon avis, il ne s’agit pas de nouvelles plaintes. Au contraire, les parties contestées des exposés des précisions — y compris les allégations de discrimination systémique comportant des incidents plus récents et continus —, même si elles ne sont pas toutes incluses dans les plaintes, ont néanmoins toutes un fondement, découlent de l’essence même des plaintes et sont suffisamment liées à la trame des plaintes pour se situer dans la portée de l’instruction. Compte tenu de la nécessité d’une analyse axée sur l’objet, comme mentionné ci-dessus, les parties contestées ont fonction d’expliquer, de préciser et de mettre en contexte les faits et allégations essentiels figurant dans les plaintes renvoyées pour instruction. Cette fonction est particulièrement importante dans le cas d’allégations de discrimination systémique, lesquelles sont réputées être difficiles à prouver et ont souvent un caractère continu. Et, dans le cas qui nous occupe, les allégations soulèvent des questions à savoir si la discrimination personnelle alléguée est le fruit d’un problème systémique, tel qu’on l’affirme. Le recours aux parties contestées est aussi tout à fait indiqué pour faire ressortir les détails des plaintes et mettre celles-ci à jour, afin d’aider le Tribunal dans sa recherche de la vérité dans le présent dossier (Pohill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, par. 36; voir également Blodgett v. GE‑Hitachi Nuclear Energy Canada Inc., 2013 CHRT 24, par. 57; Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TCDP 33, par. 23 à 25; Murray, par. 57 à 64; Fitzgerald v. Toronto Police Services Board, 2019 HRTO 22, par. 96; AFPC).

[108] En outre, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un cas où il soit clairement justifié de radier l’une ou l’autre des parties contestées des exposés des précisions à ce stade préliminaire de la procédure, soit avant l’audition de la preuve, en raison d’un possible défaut de la part de la Commission d’enquêter sur l’une l’autre des allégations qui y sont mentionnées. Les allégations, y compris celles concernant le racisme et la discrimination systémique, ont été examinées par la Commission et renvoyées au Tribunal pour instruction malgré les objections du SCC au moment de l’enquête, et aucun contrôle judiciaire des renvois n’a été demandé par le SCC.

[109] Je ne suis pas non plus persuadé qu’il s’agisse d’un cas où il soit clairement justifié de radier l’une ou l’autre des parties contestées des exposés des précisions pour des motifs de proportionnalité, comme le soutient le SCC, même si cela exigera plus d’efforts de la part de ce dernier pour y répondre, et peut-être plus de temps pour statuer. J’estime qu’il n’y a aucune injustice, aucun préjudice, ni aucune surprise pour le SCC dans le fait que j’autorise la poursuite de la présente affaire conformément aux plaidoiries actuelles, car il était au courant des allégations de discrimination raciale et systémique à l’étape de l’enquête. Le Tribunal met l’accent à la fois sur la convenance et sur l’équité. Même si cela peut demander plus de temps et d’efforts, si le SCC est en mesure de démontrer à l’audience qu’il n’a pas commis d’actes discriminatoires, que ce soit de manière individuelle ou systémique, il aura gain de cause.

[110] Dans l’arrêt Moore, la Cour suprême a souligné qu’il n’existe pas de distinction juridique entre la discrimination systémique et la discrimination individuelle : « La différence est uniquement de nature quantitative, à savoir le nombre de personnes défavorisées par la pratique » (par. 58). Dans tous les cas, la question est de savoir si la personne a subi un désavantage arbitraire fondé sur une caractéristique protégée et, en ce qui concerne les réparations, si elles découlent de la revendication. Une réparation pour une personne peut avoir des répercussions systémiques. Par exemple, une directive voulant qu’un demandeur particulier passe un examen de la vue pour savoir s’il est médicalement apte à obtenir un permis de conduire plutôt que de se prononcer automatiquement en fonction d’un problème de santé a des conséquences pour les autres conducteurs éprouvant des problèmes de santé similaires (voir Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), 1999 CanLII 646 (CSC), [1999] 3 RCS 868). Toutefois, il est explicitement énoncé dans l’arrêt Moore que « [l]e Tribunal était certes autorisé à tenir compte de la preuve de nature systémique afin de décider si [le plaignant] avait été victime de discrimination » (par. 64), avant une mise en garde contre l’examen de questions d’ordre systémique qui n’éclairent pas le litige entre les parties. Par ailleurs, selon la conclusion du Tribunal dans la décision Desmarais : « Il ne fait nul doute qu’une preuve de discrimination systémique […] à l’égard de détenus atteints de déficience intellectuelle […] peut appuyer la plainte individuelle de discrimination du plaignant » (par. 102).

[111] Dans le présent dossier, les multiples motifs de discrimination allégués dans les plaintes renvoyées pour instruction peuvent se recouper. Je souscris à l’observation de la Commission (voir le paragraphe 67 ci-dessus) selon laquelle, en demandant au Tribunal dans ces circonstances et à ce stade-ci de radier toute référence à la race, à la discrimination systémique et à la cote de sécurité dans les exposés des précisions des parties, le SCC lui demande d’ignorer le fait que ces références découlent des plaintes renvoyées et qu’une corrélation est possible entre les divers motifs susceptibles de se combiner et l’effet allégué des pratiques du SCC sur M. Richards et d’autres détenus noirs ou musulmans, ce qui est au cœur de sa cause sur le plan de l’intérêt public. En conséquence, je pense que les questions de fait et de droit sont complexes et possiblement interreliées, ce qui justifie la tenue d’une audience comportant une analyse appropriée de l’effet combiné de la multiplicité des motifs allégués dans les plaintes renvoyées au Tribunal pour instruction.

[112] De même, je pense que la demande du SCC de radier les réparations réclamées par la Commission est prématurée à ce stade préliminaire, car un lien suffisant a été établi, comme il est mentionné ci-dessus, entre les allégations contenues dans les plaintes, les lettres de renvoi et les parties contestées des exposés des précisions. Le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en matière de réparation pour ordonner celles qui sont appropriées pour toute discrimination qu’il pourrait constater après avoir examiné les éléments de preuve dans le cadre d’une instruction complète, y compris des réparations d’ordre systémique. Ce large pouvoir discrétionnaire vise à empêcher que des actes de discrimination identiques ou similaires se reproduisent. Le Tribunal a précédemment conclu qu’il convient de déterminer si la réparation demandée est appropriée après avoir entendu les témoignages, plutôt que dans le cadre d’une évaluation préliminaire. En particulier, dans la décision sur requête Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2013 TCDP 12, aux paragraphes 62 et 63, le Tribunal est parvenu à cette conclusion après avoir pris en considération le paragraphe 53(2) de la LCDP libellé comme suit : « À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner […] » (italiques ajoutés dans Emmett, au par. 62). Quoi qu’il en soit, rien n’empêche le SCC de s’opposer à la demande de la Commission d’accorder des réparations d’intérêt public à la fin de l’audience si cela est inapproprié d’accorder de telles réparations compte tenu des éléments de preuve.

[113] Enfin, je suis d’avis que la demande du SCC d’empêcher la Commission de déposer le témoignage de M. Owusu‑Bempah à titre d’expert proposé est prématurée. Le Tribunal n’a pas reçu le rapport d’expert, mais celui-ci peut aider le Tribunal dans son instruction sur les allégations de discrimination systémique dans le système carcéral qui pourraient être attribuables à la discrimination personnelle alléguée à l’endroit de M. Richards. À ce stade-ci, il n’est pas approprié pour le Tribunal de procéder à un examen approfondi du bien-fondé des allégations, puisque l’endroit approprié pour le faire est dans la salle d’audience, en présence de tous les éléments de preuve. Le fait de permettre à la Commission de produire à ce stade-ci le rapport d’expert proposé ne veut pas dire que le Tribunal admet ce rapport ou qu’il s’appuiera sur lui. Ces questions seront tranchées à l’audience, et le SCC aura alors la possibilité de contester l’admissibilité et la pertinence du rapport et de fournir son propre témoignage d’expert pour réfuter celui de l’expert de la Commission, après que la compétence des experts aura été reconnue.

VI. Ordonnance

[114] La requête du SCC est donc rejetée dans son intégralité.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 14 août 2020


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2218/4017, T2282/3718 et T2395/5419

Intitulé de la cause : Ryan Richards c. Service correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 14 août 2020

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Ryan Richards et Beverley Halls, pour le plaignant

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Stéphane Arcelin, pour l'intimé



[1] La version du formulaire de plainte que la Commission a transmise au Tribunal par courriel le 23 janvier 2019 ne comprenait pas la page du résumé modifié, mais celle-ci a été incluse dans la version originale soumise au Tribunal.

[2] Il convient de considérer l’exposé des précisions modifié de M. Richards comme un exposé des précisions supplémentaires, car il ajoute de nouvelles allégations à un nouveau document, plutôt que d’ajouter les allégations supplémentaires à une copie du document reproduisant l’exposé des précisions initial. Dans la présente décision, le document est désigné par l’appellation « exposé des précisions modifié de M. Richards » afin de refléter le titre du document et les termes qui semblent le plus fréquemment employés par les parties.

[3] Les paragraphes pertinents ont été ajoutés pour faciliter les renvois.

[4] Le SCC a également indiqué, au point 3 v) de ses observations, qu’il souhaitait voir radier la mention [traduction] « infractions disciplinaires et recours à la force ». Toutefois, le SCC n’a pas précisé davantage cette requête en indiquant les passages particuliers des paragraphes 48, 49 et 51 dont il souhaitait obtenir la radiation.

[5] Le SCC fait référence aux exposés des précisions supplémentaires, plutôt que modifiés, du plaignant et de la Commission. Pour faciliter la lecture et par souci de cohérence avec les titres des documents, la présente décision fait invariablement référence à ces documents en tant qu’exposés des précisions modifiés.

[6] Observations de la Commission relatives à la requête, par. 25.

[7] Observations de la Commission relatives à la requête, par. 25. Bien que le SCC ait expliqué, dans ses observations en réplique, que ce passage était une [traduction] « mauvaise interprétation des réparations que l’intimé est censé demander » (observations du SCC en réplique à la requête, par. 124), il n’a pas fourni de précisions supplémentaires quant aux passages qu’il souhaitait voir radier ou quant à ceux dont la Commission pensait, à tort, qu’il souhaitait les voir radier.

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