Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 34

Date : le 22 octobre 2020

Numéros des dossiers : T2231/5317 et T2232/5417

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Roger Khouri et Francois Khouri

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Virgin Mobile Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington



I. Introduction

[1] Le 5 octobre 2020, j’ai rendu une ordonnance enjoignant à Virgin Mobile Canada (« Virgin Mobile » ou l’« intimée ») de communiquer immédiatement certains documents aux autres parties. J’ai précisé que les motifs de mon ordonnance seraient exposés ultérieurement dans une décision sur requête. Voici les motifs pour lesquels j’ai rendu cette ordonnance.

II. Contexte de la présente requête

[2] Roger et Francois Khouri (les « plaignants ») sont frères. Ils sont tous les deux aveugles au sens de la loi. En 2016, ils ont déposé des plaintes pour atteinte aux droits de la personne dans lesquelles ils alléguaient que Virgin Mobile [1] faisait preuve de discrimination à leur endroit en fonction de leur déficience visuelle, au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [2] (la « LCDP » ou la « Loi »). L’un des aspects de leurs plaintes est lié à leur capacité d’utiliser l’application Mon compte de Virgin Mobile.

[3] Depuis 2018, je m’occupe de gérer l’instance relative à ces plaintes en vue de la tenue d’une audience. En 2019, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a déposé une requête afin d’obtenir une ordonnance enjoignant à Virgin Mobile de produire certains documents en rapport avec les faits, les questions, les défenses et les mesures de réparation déterminés par les parties. J’ai rendu une décision sur requête et une ordonnance à cet égard le 12 juin 2019 [3] .

[4] Aux termes de l’ordonnance de 2019, l’intimée a été sommée de produire « [t]ous les documents pour lesquels aucun privilège n’est revendiqué, y compris les notes d’enquêtes relatives à la mise à jour des applis Mon compte et Mes avantages de Virgin Mobile en 2015 et 2016 dans lesquels figurent les mesures visant à remédier aux problèmes soulevés par les plaignants. Cela comprend les documents montrant quels problèmes ont été réglés et toute preuve d’autres mises à jour de ces applis relatives à l’accessibilité des clients aveugles ou ayant une déficience visuelle depuis cette époque jusqu’à ce jour. »

[5] Afin de se conformer à l’ordonnance de 2019, Virgin Mobile a communiqué un affidavit de David Deskin, gestionnaire principal, conception et livraison chez Bell Canada, souscrit le 8 mars 2019, dans lequel M. Deskin déclare : [traduction] « Virgin Mobile travaille actuellement à rendre l’application de Virgin Mobile conforme au niveau AA des WCAG 2.0 [Règles pour l’accessibilité des contenus Web 2.0]. Nous espérons que ce projet sera achevé au cours de la prochaine année. »

[6] Virgin Mobile affirme qu’en octobre 2019, elle s’était conformée à l’ordonnance de 2019. Depuis ce moment, les parties et le Tribunal ont tenu plusieurs conférences téléphoniques de gestion de l’instance (les « CTGI »). La question du respect de l’ordonnance de 2019 par l’intimée et celle de savoir si elle avait respecté, et continuait de respecter, ses obligations de divulgation continue ont été abordées lors de chacune de ces CTGI. Les parties ont déployé des efforts pour résoudre entre elles les questions de divulgation en suspens avant l’audition des plaintes, qui doit avoir lieu du 2 au 6 novembre 2020 et du 18 au 22 janvier 2021.

[7] Avant la CTGI prévue pour le 20 août 2020, les plaignants ont écrit à l’intimée pour lui demander de leur fournir une liste des dates auxquelles des mises à jour avaient été apportées à l’application de Virgin Mobile et d’indiquer [traduction] « en quoi consistait précisément chaque mise à jour ». À cette demande, l’intimée a répondu ce qui suit : [traduction] « Nous ne voyons pas en quoi les mises à jour sont pertinentes dans la présente affaire. Nous refusons respectueusement d’accéder à cette demande. » Par conséquent, Francois Khouri a fait savoir que les plaignants déposeraient une requête demandant au Tribunal d’exiger la production de ces renseignements.

[8] Lors de la CTGI du 20 août 2020, M. Khouri a expliqué qu’il cherchait à obtenir des renseignements liés précisément aux mises à jour qui avaient été apportées à l’application afin de régler les problèmes d’inaccessibilité pour les clients aveugles ou ayant une déficience visuelle. À ce moment‑là, plutôt que de procéder par voie de requête, les parties ont convenu que l’avocate de l’intimée, Me Dinning, s’efforcerait d’obtenir les renseignements demandés auprès de sa cliente.

[9] Le 28 août 2020, Me Dinning a écrit pour dire qu’elle s’était entretenue avec des experts internes au sujet des mises à jour apportées à l’application Mon compte de Virgin Mobile, [traduction] « plus précisément celles pour lesquelles il est indiqué, dans une boutique d’applications, que des “bogues” ont été corrigés ». Selon sa compréhension, il s’agissait généralement de mises à jour techniques mineures, qui n’entraînaient parfois que la modification d’un mot, et qui concernaient souvent des questions de codage ou d’autres questions techniques. Elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « Il ne semble pas que ces mises à jour soient apportées dans l’intention de régler des problèmes liés à l’expérience des utilisateurs, comme des problèmes d’accessibilité. » Me Dinning a ajouté que d’autres processus avaient été mis en place relativement aux [traduction] « nouvelles versions de l’application » qui, à son avis, concernaient des modifications plus importantes apportées à l’application. Elle s’est engagée à obtenir davantage de renseignements quant à la mesure dans laquelle l’accessibilité était prise en compte dans ces modifications plus importantes.

[10] Le 23 septembre 2020, Me Dinning a envoyé un courriel dans lequel elle disait qu’elle avait effectué un suivi auprès de sa cliente pour savoir si les notes de version de l’application traitaient d’accessibilité et si elles pouvaient, par conséquent, être produites. Elle a mentionné ce qui suit : [traduction] « D’après les discussions que j’ai eues, aucun renseignement sur l’accessibilité n’a jamais été inclus dans les notes de version de nos applications. Par conséquent, nous n’avons aucun document pertinent à produire en ce qui concerne les mises à jour de l’application. »

[11] Le 25 septembre 2020, les plaignants ont déposé leur requête en divulgation auprès du Tribunal et, le 1er octobre 2020, le Tribunal a convoqué une audience téléphonique afin que les parties puissent présenter leurs observations sur la requête.

[12] Par leur requête, les plaignants cherchent à obtenir une ordonnance enjoignant à Virgin Mobile de produire des documents s’inscrivant dans les trois catégories suivantes :

  1. les documents d’information liés précisément aux travaux en matière d’accessibilité effectués par l’intimée en ce qui concerne l’application Mon compte de Virgin Mobile depuis le 8 mars 2019;
  2. des versions accessibles des relevés de compte mensuels des plaignants;
  3. des copies de tous les textos promotionnels que les plaignants ont reçus de Virgin Mobile depuis qu’ils en sont clients.

[13] Ce sont les documents de la première catégorie – concernant les efforts déployés par Virgin Mobile pour améliorer l’accessibilité de son application Mon compte – qui sont en litige et sur lesquels je me pencherai dans la présente décision sur requête.

[14] Le Tribunal avait explicitement ordonné la production des documents des deux dernières catégories (les relevés mensuels et les textos promotionnels) dans l’ordonnance de 2019, et les plaignants ont indiqué qu’ils cherchaient à faire exécuter les dispositions de l’ordonnance se rapportant à ces documents. L’intimée ne s’oppose pas à la production de ceux-ci; elle s’est d’ailleurs engagée à les fournir aux plaignants immédiatement. Ainsi, je n’examinerai pas davantage la question des documents concernés dans la présente décision sur requête, même s’il est vrai que j’ai ordonné, dans l’ordonnance du 5 octobre 2020, qu’ils soient produits.

III. Position des parties

A. Plaignants

[15] Dans leur requête, les plaignants demandent que leur soient fournis des renseignements portant précisément sur les travaux de l’intimée en matière d’accessibilité concernant l’application Mon compte de Virgin Mobile, du 8 mars 2019 à ce jour. Ils affirment n’avoir réussi à obtenir aucune note sur de tels travaux de l’intimée depuis la date de l’affidavit de M. Deskin.

[16] Selon les plaignants, des documents contenant de tels renseignements devraient être disponibles, malgré ce que Me Dinning a déclaré dans son courriel daté du 23 septembre 2020. Ils s’appuient à cet égard sur un courriel envoyé par le témoin expert proposé par la Commission, Fred Stam, à l’avocat de la Commission, courriel dans lequel M. Stam se disait d’avis que la définition de l’expression [traduction] « notes de version » utilisée par Me Dinning dans son courriel du 23 septembre pouvait [traduction] « être très étroite et ne renvoyer qu’aux notes rendues publiques sur le site de la boutique d’applications. Toutefois, il est juste de dire que si des modifications avaient été apportées pour rendre l’application conforme à l’un ou l’autre des niveaux des WCAG 2.0, ces modifications auraient fort probablement été mentionnées (voire proclamées) dans les notes de version rendues publiques par l’intimée ».

[17] M. Stam a ajouté qu’en règle générale, lorsque le codage d’un logiciel (ou d’une application) doit être modifié, une telle modification est généralement précédée de documents expliquant les changements requis et les correctifs à apporter aux bogues connus. Par la suite, une fois les modifications apportées, celles-ci sont également documentées et figurent dans le registre de révision de l’application. M. Stam a expliqué que [traduction] « ces registres ont tendance à être de nature très technique, mais [qu’]ils feraient sans aucun doute mention de toute modification de codage en lien avec les WCAG ». M. Stam a souligné qu’il avait mis à l’essai la version 4.3 de l’application de Virgin Mobile pour produire son rapport en février 2019, et que l’intimée utilisait maintenant la version 7.0.1.

B. Intimée

[18] Lors de l’audition de la requête, l’intimée a fait valoir qu’elle ne devrait pas être contrainte de communiquer des renseignements sur l’application Mon compte dont la date est ultérieure à celle de l’ordonnance de 2019, puisqu’aux termes de celle-ci, elle n’était tenue de communiquer que les documents concernant ses applications pour la période allant de 2015 jusqu’à « ce jour ». L’intimée soutient que l’expression « ce jour » utilisée dans l’ordonnance renvoie au 12 juin 2019, soit la date de l’ordonnance. Elle ajoute que tout argument avancé par les plaignants selon lequel le Tribunal devrait faire appliquer l’ordonnance de 2019 en imposant une obligation de divulgation continue est inapproprié, puisque l’ordonnance de 2019 [traduction] « a été exécutée » et ne peut être invoquée pour exiger la communication d’autres renseignements concernant l’application Mon compte.

[19] En outre, l’intimée affirme qu’au moment où les plaignants ont déposé leurs plaintes pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission, en 2016, ces plaintes portaient sur une version de l’application Mon compte qui n’est plus déployée par Virgin Mobile. Elle soutient qu’au moment où le Tribunal a rendu l’ordonnance de 2019, Virgin Mobile travaillait à la conception d’une application entièrement nouvelle. Au moment où Virgin Mobile communiquait les renseignements demandés aux autres parties, à l’automne 2019, le déploiement de cette nouvelle application était en cours. Par conséquent, même si elle avait l’obligation continue de communiquer les documents liés à l’application Mon compte, l’intimée affirme qu’il n’y aurait rien eu à communiquer, puisqu’il ne pouvait y avoir de mise à jour de l’application originale qui existait au moment des plaintes. Elle soutient qu’il n’aurait pas été logique pour Virgin Mobile d’apporter des modifications à une application ayant été retirée et remplacée par un produit complètement différent.

[20] Virgin Mobile affirme que, du point de vue de la divulgation continue, toute discussion qu’elle a pu avoir avec les autres parties après l’automne 2019 était de nature purement volontaire, sauf s’il était question de sujets explicitement visés par l’ordonnance de 2019, comme c’est le cas des courriels de Me Dinning présentés par les plaignants dans le cadre de la présente requête. L’intimée affirme que, même si les renseignements demandés par les plaignants dépassent la portée de l’ordonnance de 2019, elle est disposée à envisager de telles discussions. Cependant, malgré ses efforts faits de bonne foi, elle n’a pu trouver aucune note de version de l’application qui faisait allusion à l’accessibilité.

[21] Lorsqu’elle s’est vu demander si elle comptait invoquer cette nouvelle application dans le cadre de sa preuve, l’intimée a répondu qu’il était possible qu’elle le fasse et que, le cas échéant, elle pourrait produire les documents pertinents, s’ils existent, dans un délai de quelques jours.

[22] De l’avis de l’intimée, comme nous ne sommes qu’à quelques semaines de l’audience, il serait inapproprié de rendre une nouvelle ordonnance à ce stade-ci.

[23] L’intimée me demande de rejeter la requête des plaignants.

C. Commission

[24] La Commission dit qu’elle ne s’est pas jointe aux plaignants pour présenter la requête parce qu’elle ne le jugeait pas nécessaire. La Commission est d’avis qu’en exigeant, dans l’ordonnance de 2019, que certains documents soient communiqués jusqu’à « ce jour », le Tribunal enjoignait à l’intimée de produire les documents potentiellement pertinents pour les questions soumises au Tribunal jusqu’à la date de l’audience. Comme l’accessibilité de l’application Mon compte est l’une des questions que le Tribunal est appelé à trancher, tout renseignement concernant les efforts déployés jusqu’à la date de l’audience pour rendre l’application accessible est pertinent, et les documents concernés devraient être communiqués aux parties.

[25] La Commission ignorait auparavant la position de l’intimée selon laquelle l’application qui était visée par l’ordonnance de 2019 avait été remplacée à l’automne 2019. Quoiqu’il en soit, elle est d’avis que cela ne change rien, puisque dans les présentes plaintes, sa préoccupation en matière d’intérêt public tient à l’accessibilité de l’application de Virgin Mobile pour les personnes ayant une déficience visuelle. Si Virgin Mobile dispose de documents quelconques concernant ses efforts pour améliorer l’accessibilité pour cette clientèle, même s’il ne s’agit pas de notes de version, ces documents doivent être communiqués.

[26] La Commission souligne que, si Virgin Mobile entend soutenir devant le Tribunal que sa nouvelle application, déployée à l’automne 2019, est plus accessible que la version précédente, elle doit produire des documents qui appuient cette prétention. La Commission affirme que si l’intimée tente de présenter des documents pour la première fois au cours de l’audience, elle s’opposera vigoureusement à ce qu’ils soient admis en preuve.

D. Réponse des plaignants

[27] Les plaignants sont en désaccord avec la position de l’intimée, laquelle affirme qu’ils demandent au Tribunal de faire exécuter l’ordonnance de 2019 en ce qui concerne les mises à jour de l’application relatives à l’accessibilité qui sont visées par la requête. Ils disent plutôt que l’affidavit de M. Deskin a été produit par suite de la requête en divulgation présentée par la Commission et de l’ordonnance de 2019. Ils affirment que M. Deskin a prédit un résultat dans son affidavit – à savoir une amélioration de l’accessibilité de l’application Mon compte dans un délai d’un an à compter de mars 2019 –, et ils veulent savoir ce que l’intimée a fait à cet égard. Ils ajoutent qu’ils ont agi de bonne foi dans leurs rapports avec l’intimée durant de nombreux mois, plutôt que de présenter une requête en divulgation, mais qu’ils ont été contraints de déposer leur requête en raison des renseignements vagues fournis par l’intimée en réponse à leurs demandes d’information supplémentaire.

[28] Les plaignants affirment aussi que leurs plaintes ne sont pas devenues caduques au moment où la nouvelle application a été créée, soit à l’automne 2019. Ils soutiennent que, fondamentalement, leurs plaintes portent sur l’accessibilité, et que le fait que l’intimée ait décidé de réinventer la roue et de créer une toute nouvelle application ne change rien à l’affaire. Même si l’application a été repensée, le produit final offert aux utilisateurs demeure essentiellement le même. Les plaignants précisent que l’application est toujours le moyen qu’utilisent les clients pour accéder à leurs renseignements, que le nom de l’application n’a pas changé et qu’elle est toujours offerte dans la boutique d’applications. En outre, chaque fois que l’application a été mise à jour depuis que les plaignants sont devenus clients en 2015, le numéro de version de l’application a augmenté; la version 7.0.1 est maintenant utilisée.

IV. Décision

[29] L’article 6 des Règles de procédures du Tribunal exige de toutes les parties qu’elles énumèrent et produisent, initialement et de façon continue, tous les documents en leur possession, pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’est invoqué, et qui sont potentiellement pertinents quant à un fait, une question ou une forme de réparation demandée en l’occurrence. Pour qu’un document puisse être considéré comme potentiellement pertinent au sens de l’article 6, il doit y avoir un « lien rationnel » entre le document demandé et un fait, une question ou une forme de redressement mentionnés par une partie à l’instance [4] . La pertinence possible d’un document doit être déterminée au cas par cas [5] . Cependant, le seuil en ce qui concerne la production de documents potentiellement pertinents est peu élevé et la tendance favorise une divulgation plus générale à cette étape [6] .

[30] Comme il est mentionné dans l’ordonnance de 2019, si l’on demande aux parties d’échanger des documents avant l’audience, c’est afin qu’elles aient une possibilité suffisante de présenter leur cause et de se préparer convenablement en vue de l’audience. Le fait de recevoir tous les documents pertinents à l’avance permet aussi d’éviter les surprises et les retards durant l’audience.

[31] Je reconnais que j’aurais dû être plus claire dans l’ordonnance de 2019. En exigeant de l’intimée qu’elle fournisse certains renseignements jusqu’à « ce jour », j’avais en tête un délai raisonnable avant l’audience, mais ce n’est pas exactement ce que j’ai exprimé. Cependant, je supposais qu’une fois l’ordonnance rendue et la divulgation terminée, l’audience aurait lieu en temps utile, et non au‑delà d’un an plus tard. Depuis notre première CTGI, les plaignants demandent qu’une audience ait lieu rapidement. Ils ne sont responsables d’aucun retard. Par contre, Virgin Mobile n’a pas cessé, tout au long du processus de gestion de l’instance, de demander des délais supplémentaires pour permettre à ses divers avocats de prendre connaissance du dossier, car les avocats ont changé assez fréquemment. En tout, huit avocats différents ont travaillé sur le dossier à divers moments depuis que j’ai pris l’affaire en charge.

[32] Toutefois, malgré un manque de clarté dans l’ordonnance de 2019, les plaignants et la Commission ont raison de dire que les plaintes portent sur l’expérience vécue par les plaignants en tant que clients ayant une déficience visuelle, dans leurs tentatives d’accès aux services de Virgin Mobile. Je ne suis pas d’accord avec l’intimée pour dire que la question en litige se limite à déterminer les efforts qui ont ou n’ont pas été déployés par Virgin Mobile au moment du dépôt des plaintes, en fonction des produits que celle‑ci utilisait alors. Les deux plaintes déposées auprès de la Commission faisaient mention d’une discrimination [traduction] « continue ». Dans la décision sur requête que j’ai rendue en juin 2019, j’ai admis que « les obligations de divulgation de Virgin Mobile s’étend[aient] à tous les aspects des interactions des plaignants avec Virgin Mobile dans lesquelles ils ont eu un problème d’accessibilité en tant que clients ayant une déficience visuelle. Cela comprend les textos envoyés par Virgin Mobile, son site Web et toute appli de Virgin utilisée par les plaignants, en plus des frais et crédits relatifs au service 411, ainsi que la fourniture de contrats de service et de relevés mensuels accessibles. » [7]

[33] Il est injuste de la part de l’intimée de laisser entendre que les plaignants ont soulevé la question tard dans le processus. Les plaignants affirment que l’intimée était au courant de ce qu’ils demandaient depuis des mois et qu’ils avaient accepté de bonne foi, à sa demande, de la laisser d’abord chercher les renseignements avant de déposer une requête. Mais compte tenu de la réponse reçue de la part de l’avocat de l’intimée, ils se sont sentis contraints de déposer la requête.

[34] Les plaignants demandent que leur soient fournis les documents concernant les efforts faits par l’intimée pour rendre l’application de Virgin Mobile plus accessible pour les utilisateurs ayant une déficience visuelle. Comme ils le soulignent, M. Deskin a déclaré, dans un affidavit en lien avec la présente instance, que Virgin Mobile s’efforçait de rendre l’application conforme au niveau AA des WCAG 2.0. En prévision de l’audience, l’intimée a présenté une lettre datée du 23 avril 2019 provenant de son témoin expert proposé, Lisa Liskovoi. Il est dit dans cette lettre : [traduction] « J’ai étudié les renseignements sur l’accessibilité contenus dans les documents de conception que l’équipe utilise pour développer l’application Mon compte à venir et, si l’application est mise en œuvre dans le respect des critères du niveau AA des WCAG 2.0, je peux confirmer qu’elle est conçue de façon à être accessible et à respecter la réglementation actuelle en matière d’accessibilité. » J’ai souligné, lors de l’audition de la requête, que les plaignants avaient précédemment demandé les renseignements sur lesquels Mme Liskovoi s’était appuyée pour formuler cette opinion, et Me Dinning a confirmé que Virgin Mobile avait communiqué les renseignements sur l’accessibilité contenus dans les documents de conception auxquels Mme Liskovoi renvoie dans sa lettre.

[35] Je le mentionne puisque, dans le cadre de sa preuve, Virgin Mobile semble invoquer les améliorations qu’elle apporte ou qu’elle a apportées à son application pour la rendre plus accessible. M. Deskin et Mme Liskevoi font tous deux mention du niveau de conformité AA aux WCAG 2.0 en ce qui a trait à l’application. Il est difficile de comprendre en quoi des documents portant sur les efforts déployés par Virgin Mobile à cet égard ne sont pas potentiellement pertinents à un fait, une question, un moyen de défense ou une forme de réparation demandée en l’occurrence. Que la communication de ces documents soit exigée par l’ordonnance de 2019 ou non, l’intimée est tenue de communiquer tous les documents potentiellement pertinents au sens de l’article 6 des Règles de procédure du Tribunal.

[36] Je ne vois pas comment la mise en œuvre d’une nouvelle version de l’application à l’automne 2019 pourrait dispenser l’intimée de respecter son obligation de communiquer les documents potentiellement pertinents quant à l’objet des plaintes.

V. Conclusion

[37] Je conviens que l’intimée doit divulguer tous les documents pour lesquels aucun privilège n’est revendiqué et qui contiennent des renseignements sur les travaux effectués par l’intimée ou pour celle‑ci en vue d’améliorer l’accessibilité de l’application Mon compte de Virgin Mobile pour les utilisateurs aveugles ou ayant une déficience visuelle, pour la période allant du 8 mars 2019 jusqu’à la date de l’audition de la présente affaire. Sont également visés les documents portant sur la nouvelle version de l’application lancée à l’automne 2019 ainsi que sur toutes les mises à jour ou les versions de cette application, jusqu’à la date de l’audience.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 22 octobre 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T2231/5317 et T2232/5417

Intitulé de la cause : Roger Khouri et Francois Khouri c. Virgin Mobile Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : le 22 octobre 2020

Date et lieu de l’audience : le 1 er octobre 2020

Audience tenue par téléconférence

Comparutions :

Roger Khouri et Francois Khouri, pour les plaignants

Caroline Carrasco et Jessica Walsh, pour la Commission canadienne des droits de la personne

François Longpré et Bethan Dinning, pour l'intimée



[1] Virgin Mobile Canada est une marque exploitée par Bell Mobilité inc.

[2] L.R.C. (1985), ch. H-6.

[3] Khouri et Khouri c. Virgin Mobile Canada, 2019 TCDP 26 (l’« ordonnance de 2019 »).

[4] Clegg c. Air Canada, 2017 TCDP 27, par. 21; Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 1, par. 30, 31.

[5] Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, par. 6.

[6] Turner, précité, note 4, par. 30 à 33; Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, par. 31.

[7] Précité, note 3, par. 34.

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