Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 21

Date : le 17 juillet 2020

Numéro du dossier : T1656/01111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Chris Hughes

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Transports Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I. Contexte

[1] La présente affaire a un long historique, puisqu’elle a été portée plus d’une fois devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal »), la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Je résumerai brièvement la chronologie du dossier et j’expliquerai le contexte dans lequel s’inscrit la présente requête en ajournement.

[2] Le plaignant, Chris Hughes, a déposé sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en janvier 2008, et la Commission a demandé au Tribunal d’instruire la plainte en mars 2011. Dans sa décision du 9 juillet 2014 (la « décision sur la responsabilité »), le Tribunal a déterminé que l’intimé, Transports Canada, avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Hughes, en raison de sa déficience, au moment de pourvoir les postes d’analyste de la sûreté maritime ou d’analyste du renseignement au sein du ministère, au sens de l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. H‑6 (la « LCDP ») [1] . Bien que la décision sur la responsabilité rendue par le Tribunal ait été infirmée par la Cour fédérale, elle a été rétablie par la Cour d’appel fédérale [2] .

[3] Le Tribunal a ensuite tenu une autre audience pour décider des mesures de redressement qu’il convenait de prendre à l’égard du comportement discriminatoire de l’intimé. Dans sa décision du 1er juin 2018 (la « décision sur les mesures de redressement »), la membre Olga Luftig du Tribunal a ordonné à l’intimé d’« intégre[r] le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM-04 [3]  ». Elle a également ordonné à l’intimé de payer au plaignant une indemnité pour le salaire qu’il aurait gagné et les avantages sociaux dont il aurait bénéficié depuis le moment où il aurait dû être nommé à ce poste en mai 2006 jusqu’au moment où le Tribunal a décidé que le lien de causalité entre la conduite discriminatoire et la perte de salaire s’était rompu, soit en mai 2011. Le Tribunal a en outre accordé des dommages-intérêts pour préjudice moral et pour la conduite inconsidérée qui a entraîné la discrimination.

[4] Les deux parties ont demandé à la Cour fédérale de procéder au contrôle de la décision sur les mesures de redressement. Chaque partie a contesté la conclusion du Tribunal fixant à mai 2011 la date de fin de l’indemnité pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Le juge LeBlanc de la Cour fédérale a accueilli en partie la demande de M. Hughes; il a conclu que « la date de fin a été fixée au mois de mai 2011, parce que le Tribunal a présumé, à tort, que M. Hughes aurait quitté le poste d’analyste du renseignement après cinq ans [4]  ». La Cour n’a pu établir aucun lien rationnel entre la conclusion du Tribunal et le dossier factuel sur lequel il s’est appuyé; elle a donc estimé que cette conclusion était déraisonnable. En conséquence, la Cour a annulé la décision sur les mesures de redressement rendue par le Tribunal pour ce qui est du choix de la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux (mai 2011), et a renvoyé l’affaire à un membre instructeur différent du Tribunal pour nouvelle décision.

[5] J’ai été nommée par le président du Tribunal pour trancher de nouveau la question de la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Des dates ont été fixées pour la présentation des observations des parties, et une audience d’une journée devait avoir lieu en avril 2020. Cependant, j’ai accepté d’accueillir la requête des parties visant à faire reporter ces dates, car elles avaient convenu de participer à une séance de médiation à la fin de mai 2020. J’ai été informée que la séance de médiation avait eu lieu, mais qu’elle n’avait pas permis de régler l’affaire.

[6] À la suite de la tentative de médiation de mai 2020, j’ai tenu une conférence téléphonique préparatoire avec les parties, au cours de laquelle M. Hughes a signalé qu’une demande de contrôle judiciaire avait été déposée à la Cour fédérale concernant une autre de ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne, à l’endroit de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). En raison de la fermeture de la Cour liée à la COVID‑19, l’examen de cette demande a apparemment été reportée à la fin de juillet 2020. M. Hughes a déclaré que, selon lui, lorsque le dossier de l’ASFC aura été résolu, le Tribunal sera en mesure d’examiner conjointement le dossier de l’ASFC et celui de Transports Canada.

[7] Pendant la conférence téléphonique préparatoire, M. Hughes a mentionné qu’il avait l’intention de déposer une requête tendant à clarifier l’étendue des mesures de redressement que le Tribunal devrait envisager pendant la nouvelle audience. M. Hughes a dit qu’il déposerait cette requête dans la semaine suivant la conférence téléphonique de gestion de l’instance. Cependant, il a par la suite informé le Tribunal qu’il irait de l’avant avec cette [traduction] « requête en clarification » seulement après avoir envoyé à l’intimé une mise en demeure exigeant qu’il prenne une action immédiate. La mise en demeure porte sur les dispositions de la décision sur les mesures de redressement qui exigent qu’il soit nommé au poste d’analyste du renseignement à Esquimalt ou à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Comme ce poste particulier n’existe apparemment pas à Vancouver, M. Hugues fait valoir qu’il devrait plutôt se voir offrir un poste similaire à Vancouver. Il a informé l’intimé et le Tribunal que, s’il n’obtenait pas immédiatement un autre poste à Vancouver, il déposerait une [traduction] « accusation d’urgence et ex parte pour outrage au tribunal à l’endroit du ministre et de l’avocat de » Transports Canada. C’est pourquoi M. Hughes a proposé au Tribunal de reporter la date limite prévue pour le dépôt de sa « requête en clarification » jusqu’à ce qu’il ait reçu une réponse à la mise en demeure et, au besoin, déposé une requête pour outrage à la Cour fédérale.

[8] En réponse à la mise en demeure de M. Hughes, l’intimé a fait remarquer que, dans sa décision sur les mesures de redressement, la membre Luftig du Tribunal a ordonné que le plaignant soit intégré au poste d’analyste du renseignement PM-04 à la première occasion raisonnable, pour autant qu’il réponde à toutes les conditions d’embauche requises pour le poste, y compris la cote de sécurité. L’intimé a déclaré que M. Hughes n’a pas encore rempli les formulaires de vérification de sécurité qui lui ont été fournis en décembre 2018, comme [traduction] « il a été confirmé dans diverses décisions rendues par la Cour fédérale depuis ». L’intimé convient que le poste d’analyste du renseignement PM-04 n’existe pas à Vancouver, mais il nie que le Tribunal ait exigé dans la décision sur les mesures de redressement que le plaignant soit intégré à un autre poste à Vancouver, même s’il est disposé à déménager dans cette ville.

[9] Après les échanges avec M. Hughes au sujet du retard à déposer sa « requête en clarification », j’ai informé les parties que, même s’il était à mon avis raisonnable de leur accorder du temps pour tenter de régler la question de la perte de salaire et d’avantages sociaux par voie de médiation, il y avait maintenant près d’un an que le juge LeBlanc avait ordonné au Tribunal de réexaminer cette question. J’ai fait remarquer que M. Hughes demandait essentiellement au Tribunal de suspendre la procédure imposée par la Cour fédérale jusqu’à ce qu’il ait réglé un autre volet de la décision sur les mesures de redressement rendue par la membre Luftig, ainsi qu’une plainte distincte pour atteinte aux droits de la personne déposée à l’encontre de l’ASFC. J’ai répondu que, à moins que la Cour fédérale n’ordonne la suspension des procédures du Tribunal, j’irais de l’avant en fixant des dates pour la présentation des observations et la nouvelle audience .

[10] J’ai également précisé que, si M. Hughes souhaitait toujours déposer une requête concernant l’étendue des mesures de redressement que le Tribunal devrait envisager (sa « requête en clarification »), je serais disposée à examiner avec les parties s’il convient de la présenter et d’en décider avant la nouvelle audience ou que M. Hughes la joigne à ses observations concernant la perte de salaire.

[11] En réponse à ma directive selon laquelle les parties doivent donner leurs dates de disponibilité de septembre à novembre 2020 en vue de la tenue de la nouvelle audience, le plaignant a déposé la requête en ajournement de la présente instance. Ni l’intimé ni la Commission ne prennent position concernant cette requête.

II. Question en litige

[12] Est-il dans l’intérêt de la justice d’accueillir la requête en ajournement du plaignant, soit pour une durée indéterminée, soit jusqu’à l’été 2021, ou pour une autre période?

III. Requête en ajournement du plaignant

[13] Dans sa requête en ajournement, M. Hughes fait valoir que le fait de l’obliger à demander à la Cour fédérale de suspendre l’instance serait [traduction] « punitif et inutile » et que le Tribunal peut ajourner l’audience parce qu’il est maître de sa propre procédure.

[14] À l’appui de sa requête, M. Hughes mentionne que la décision du juge LeBlanc a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, laquelle pourrait infirmer la décision de la Cour fédérale relativement à la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Il est d’avis que [traduction] « le présent dossier est désormais moins urgent puisque les ordonnances sur la responsabilité et les mesures de redressement ont été rendues et qu’il ne s’agit que d’une nouvelle décision quant à l’ordonnance de redressement ».

[15] De plus, M. Hughes souligne que le dossier a fait l’objet de nombreux ajournements, dont un en 2016, alors que la plainte était à une étape semblable à la présente. À cette époque, la Cour fédérale avait procédé à un contrôle judiciaire de la décision sur la responsabilité rendue par le Tribunal et avait renvoyé l’affaire à un autre membre du Tribunal pour nouvelle décision [5] . Après que la décision de la Cour fédérale a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale, le Tribunal aurait accueilli la requête en ajournement du plaignant au cours d’une conférence téléphonique préparatoire tenue en janvier 2016. L’ajournement a duré jusqu’en décembre 2016, date à laquelle la Cour d’appel fédérale a annulé l’ordonnance de la Cour fédérale et confirmé la décision sur la responsabilité, estimant qu’elle était raisonnable [6] .

[16] M. Hughes soutient que le fait d’exiger qu’il s’engage dans l’audience en réexamen maintenant, alors qu’il est occupé par d’autres affaires devant la Cour fédérale, lui serait [traduction] « très préjudiciable ». Ces autres affaires sont le contrôle judiciaire de la plainte déposée à l’endroit de l’ASFC et la requête pour outrage susmentionnée, qui est liée à sa récente mise en demeure. Il dit être nettement désavantagé dans d’autres procédures judiciaires, jusqu’à ce qu’il retourne au travail, et il pense que l’intimé fait obstacle depuis deux ans à l’exécution des dispositions de la décision sur les mesures de redressement se rapportant à l’intégration. M. Hughes affirme ce qui suit :

[traduction]

Les tribunaux ont, à de nombreuses reprises, empêché une partie qui contrecarrait une ordonnance de la Cour (ordonnance de redressement) de poursuivre l’instance jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance.

La même question se pose ici. L’intimé ne devrait pas être autorisé à présenter au cours de la nouvelle audience sur les mesures de redressement des observations sur ces mesures qui sont préjudiciables au plaignant, alors qu’il n’a toujours pas respecté l’ordonnance initiale de redressement relative à l’intégration du poste.

[17] M. Hughes est d’avis qu’il devrait être autorisé à régler toutes ces questions devant la Cour fédérale, ainsi que l’appel devant la Cour d’appel fédérale, avant de s’occuper de la présente question, car il croit que les tribunaux trancheront en sa faveur. Selon lui, la nature de la décision que le Tribunal devra prendre en sera modifiée. Il formule son argument comme suit : [traduction] « Pour éviter la fragmentation de l’affaire, il est impératif que le présent dossier soit ajourné jusqu’à ce que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale se soient prononcées sur les autres dossiers; ensuite, une requête en jonction pourra être déposée auprès du Tribunal afin de combiner en une seule les audiences sur les mesures de redressement concernant respectivement l’ASFC et Transports Canada pour l’ensemble de la période concernée, soit de 2001 à 2020, de sorte qu’une seule décision serait rendue relativement à la perte de salaire, aux dates de fin, s’il en est, aux promotions, aux pensions et aux frais médicaux. »

[18] Enfin, M. Hughes fait valoir que, si je rejette sa requête en ajournement et qu’il doit demander une suspension officielle, il faudra compter des mois, car la Cour fédérale sera très occupée lorsqu’elle rouvrira le 29 juin, après sa fermeture en raison de la COVID‑19. Il conclut en ces termes : [traduction] « Je pense qu’il est plus prudent d’ajourner l’affaire indéfiniment ou, à défaut, de fixer des dates à l’été 2021. »

IV. Positions des autres parties

[19] La Commission et l’intimé ont tous deux informé le Tribunal qu’ils ne prenaient pas position à l’égard de la requête en ajournement présentée par M. Hughes. Toutefois, l’intimé a ajouté les renseignements suivants :

[traduction]

L’intimé prend acte de l’ordonnance du juge LeBlanc, datée du 31 juillet 2019, renvoyant la question au Tribunal pour nouvelle décision. L’intimé constate également que M. Hughes a interjeté appel de cette décision (A‑369‑18) et qu’il demande, à titre de redressement, un verdict imposé qui, si le redressement est consenti, éliminerait la nécessité d’une nouvelle décision du Tribunal. L’intimé a également interjeté appel de la même décision (A‑379‑19) pour demander, à titre de redressement, de rétablir l’ordonnance de la membre Luftig concernant la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. S’il est accueilli, cet appel éliminerait également la nécessité d’une nouvelle décision du Tribunal sur cette question. Afin de laisser du temps pour la médiation, laquelle a déjà eu lieu, les deux appels sont actuellement en suspens jusqu’au 31 juillet 2020, date à laquelle il est très probable que les procédures reprendront.

V. Analyse

[20] Je reconnais que la décision d’accorder un ajournement relève du vaste pouvoir discrétionnaire du Tribunal en tant que maître de sa propre procédure; cependant, je souligne que le Tribunal a clairement affirmé que les ajournements ne devraient être accordés que dans des circonstances exceptionnelles [7] . En effet, il est dans l’intérêt public que les affaires du Tribunal soient résolues de façon expéditive, comme l’exige le paragraphe 48.9(1) de la LCDP : « L’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. »

[21] Dans un cas comme celui qui nous occupe, où le Tribunal est invité à exercer son pouvoir discrétionnaire pour ajourner l’instance dans l’attente de la décision d’une cour, le Tribunal doit se demander si, vu les circonstances, l’intérêt de la justice justifie un tel retard. L’approche de « l’intérêt de la justice » a été adoptée par le Tribunal dans l’affaire Duverger [8] , où il a rejeté une requête pour suspension dans l’attente d’un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal. Cette approche repose sur une « évaluation […] raisonnable et souple des facteurs applicables aux demandes d’arrêt des procédures, notamment les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, la notion de préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients entre les parties et l’intérêt du public à ce que les plaintes en matière de droits de la personne soient instruites rapidement [9]  ». Les facteurs et les intérêts que le Tribunal doit prendre en considération peuvent varier en fonction des circonstances de chaque affaire.

[22] Dans plusieurs décisions publiées, le Tribunal a rejeté des requêtes en ajournement, souvent dans des cas où l’ajournement était demandé à un stade précoce de la procédure du Tribunal, généralement avant que l’instruction de la plainte n’ait lieu [10] . Dans certains des dossiers concernés, le Tribunal a tenu compte du fait que, plus le temps passe, plus il est difficile de préserver la preuve relative au dossier, incluant la mémoire et les souvenirs des témoins [11] .

[23] Dans le dossier Constantinescu, la plaignante demandait la suspension indéfinie de la procédure parce qu’elle estimait que l’intimé ne respectait pas ses obligations en matière de divulgation. Le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Plus le temps passe, plus grand est le préjudice pour le public. Je rappelle qu’il n’est pas dans l’intérêt du public que les plaintes en matière de discrimination s’allongent dans le temps [12] […]. » Dans ce dossier, le Tribunal, en se fondant sur le critère de l’intérêt de la justice, a jugé que le préjudice qu’aurait subi la plaignante ne justifiait pas une suspension de la procédure.

[24] Toutefois, dans d’autres dossiers, le Tribunal a conclu qu’« un ajournement de courte durée permettrait peut-être d’obtenir un gain à long terme, ainsi qu’un meilleur résultat final [13] ». Il s’agit généralement de dossiers où l’ajournement peut éviter des audiences ou des contrôles judiciaires ou encore des appels inutiles lorsque les mêmes questions ou des questions essentiellement semblables suivent leur cours dans le système de justice administrative ou le système judiciaire. C’était le cas dans la décision Bailie où le Tribunal a convenu d’accorder un ajournement étant donné qu’aucune question de justice naturelle ne se posait. Dans ce dossier, le Tribunal a déclaré que « la “directive” de procéder de la manière la plus expéditive possible doit être considérée dans un contexte plus vaste [14]  ». Le Tribunal a également souligné que le terme « expéditive », qui est utilisé au paragraphe 48.9(1) de la Loi, signifie davantage que « fait rapidement », ajoutant : « En anglais, le Canadian Oxford Dictionary définit le mot “expeditious” ainsi : “[…] acting or done with speed and efficiency…”. En français, en tant qu’expression juridique, les mots “procédure expéditive” signifient “rapide et efficace” (Le Petit Robert 2012) [15] . »

[25] Pour décider s’il convient d’accueillir la requête en ajournement de M. Hughes, je dois examiner si ses arguments, en eux-mêmes, lui permettent de s’acquitter du fardeau imposé par le critère de l’intérêt de la justice.

[26] L’argument selon lequel je devrais faire droit à la présente demande d’ajournement parce que le Tribunal a accepté de retarder ses procédures par le passé n’est pas convaincant en soi, étant donné qu’un ajournement ne devrait être accordé que dans des circonstances exceptionnelles. En outre, je n’ai pu trouver aucune décision publiée concernant l’ajournement de 2016 et je n’ai donc aucun motif sur lequel m’appuyer à cet égard. Toutefois, nous savons qu’en accordant l’ajournement à cette époque, le Tribunal n’a pas eu besoin de convoquer une deuxième audience, puisque la CAF a infirmé la décision de la Cour fédérale, qui avait ordonné que la question de la responsabilité fasse l’objet d’un nouvel examen, et qu’elle a rétabli la décision du Tribunal. Cela a évidemment permis au Tribunal et aux parties d’économiser du temps et des ressources.

[27] Pour décider s’il est dans l’intérêt de la justice de suspendre le nouvel examen pour un certain temps, j’ai pris en compte plusieurs facteurs. J’estime que le stade auquel nous en sommes dans la procédure est pertinent. Bien que la plainte ait été déposée en 2008, la question de la responsabilité a été tranchée à la suite d’une audience complète. Une audience sur les mesures de redressement a également été tenue, et une décision a été rendue. En conséquence, la préoccupation relative à la préservation de la preuve n’est pas pertinente en l’espèce.

[28] La plupart des mesures de redressement ordonnées par la membre Luftig ont été confirmées par la Cour fédérale ou ne sont tout simplement pas contestées. La seule question qui reste en suspens en ce qui concerne la présente plainte est la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. La Cour fédérale a déterminé que le raisonnement du Tribunal à cet égard était erroné et a donc annulé les dispositions de la décision s’y rapportant et renvoyé cette seule question au Tribunal pour nouvelle décision.

[29] Toutefois, la décision de la Cour fédérale a été portée en appel à la Cour d’appel fédérale. Selon l’intimé, le plaignant demande un redressement sous la forme d’un verdict imposé qui, si le redressement est consenti, éliminerait la nécessité pour le Tribunal de rendre une nouvelle décision, alors que l’intimé, pour sa part, demande à la Cour d’appel fédérale de rétablir l’ordonnance de la membre Luftig. Si la Cour fédérale d’appel ne souscrit pas à la décision de la Cour fédérale, le rôle du Tribunal dans le présent dossier en sera transformé. Si elle confirme la décision de la Cour fédérale et finit par renvoyer l’affaire au Tribunal pour nouvelle décision, ce sera toujours en ce qui concerne la seule question de la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Malgré le retard, aucune partie n’estime qu’elle en subira un préjudice.

[30] Je souligne également que, selon une décision de la Cour fédérale sur une requête pour outrage déposée par M. Hughes à l’endroit de l’intimé, [traduction] « [l]e 22 février 2019, à la suite de la publication de la décision de la juge Heneghan, le Canada a fait un chèque de 352 970,07 $ à M. Hughes en paiement des frais calculés selon la décision sur les mesures de redressement [16]  ». Au paragraphe 78 de sa décision, Kathleen M. Ring, la juge responsable de la gestion de l’instance, décrit le paiement [traduction] « comme un paiement partiel important versé à M. Hughes, même si la loi n’obligeait pas à le faire ». La Cour fédérale a conclu que M. Hughes ne s’était [traduction] « pas acquitté du fardeau de présenter une preuve prima facie que l’une ou l’autre des personnes accusées d’outrage est coupable d’outrage au tribunal parce qu’elle a désobéi » à l’ordonnance d’intégration ou à l’adjudication d’une indemnité pécuniaire dans la décision sur les mesures de redressement du Tribunal [17] .

[31] Je considère que le fait que M. Hughes a reçu au moins une partie de l’indemnité pécuniaire accordée par la membre Luftig dans sa décision sur les mesures de redressement est pertinent pour décider d’accueillir la requête en ajournement. Le plaignant est également d’avis que sa priorité actuelle est de retrouver un emploi, conformément à l’ordonnance d’intégration du Tribunal, plutôt que de s’occuper de la nouvelle audience sur la perte de salaire. Il a indiqué qu’il avait l’intention de déposer une autre requête pour outrage devant la Cour fédérale et, même si c’est son choix, je ne serais pas disposée à suspendre la nouvelle détermination de la perte de salaire et d’avantages sociaux en attendant l’issue de cette question.

[32] Je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice d’ajourner l’affaire en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale concernant l’appel de la décision du juge LeBlanc. Il sera ainsi possible d’obtenir des précisions judiciaires sur la dernière question en suspens concernant les mesures de redressement dans le présent dossier. J’admets qu’il s’agit d’un des cas exceptionnels dans lesquels un délai supplémentaire limité est justifié afin de parvenir à la résolution de la plainte comme la Loi l’exige. Rien dans ce dossier n’a été rapide, mais, pour que l’affaire aboutisse un jour, je pense qu’accorder cet ajournement maintenant mènera vraisemblablement à une résolution finale de la plainte plus efficace que si l’ajournement était refusé. La certitude qu’apportera la décision de la Cour d’appel fédérale est ce qu’il faut pour résoudre définitivement la plainte. La Cour déterminera ce que le Tribunal doit, le cas échéant, décider en dernier ressort en ce qui concerne la perte de salaire et d’avantages sociaux. Si, par suite de la décision de la Cour, le Tribunal doit convoquer une autre audience, il le fera en temps utile.

[33] Le plaignant a demandé que l’affaire soit ajournée indéfiniment, ou sans date de retour fixe. Cette demande se fonde en partie sur ses spéculations quant à l’issue de la plainte qu’il a déposée à l’encontre de l’ASFC et sur le fait que le Tribunal acceptera ultimement de joindre les dossiers de Transports Canada et de l’ASFC dans une seule audience sur les mesures de redressement. Ce degré de spéculation ne permet pas de fixer une date de fin réaliste pour la présente plainte. En conséquence, je ne consens pas à ce que le dossier soit ajourné jusqu’à l’issue de toutes les demandes du plaignant devant les tribunaux. Pour le moment, j’accepte d’ajourner l’affaire seulement jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait rendu sa décision concernant l’appel de la décision du juge LeBlanc dans le présent dossier.

VI. Ordonnance

[34] La requête du plaignant en vue de faire ajourner l’instance en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale dans la plainte Chris Hughes c. Transports Canada est accueillie aux conditions suivantes :

  • 1) Les parties tiendront le Tribunal informé de l’état de l’appel, y compris des motifs de jugement;

  • 2) Toute partie ou le Tribunal peut demander la tenue d’une conférence téléphonique préparatoire après la publication des motifs de jugement dans l’appel mentionné au paragraphe 1) afin de déterminer l’état de la plainte devant le Tribunal.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 juillet 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1656/01111

Intitulé de la cause : Chris Hughes c. Transports Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 17 juillet 2020

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Chris Hughes, pour le plaignant

 



[1] Hughes c. Transports Canada, 2014 TCDP 19 [décision sur la responsabilité].

[2] Hughes c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 271.

[3] Hughes c. Transports Canada, 2018 TCDP 15 [décision sur les mesures de redressement], à la page 118 [section XVI].

[4] Hughes c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1026, au par. 80.

[5] Canada (Procureur général) c. Hughes, 2015 CF 1302.

[6] Précité, note 2.

 

[7] L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et Acoby c. Service correctionnel du Canada, 2019 TCDP 30, au par. 14.

[8] Laurent Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2018 TCDP 5.

[9] Egan c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 29, au par. 8.

[10] Voir, par exemple, Duverger; Gilbert Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2019 TCDP 9; Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2018 TCDP 10 [Constantinescu].

[11] Voir, par exemple, Duverger et Constantinescu.

[12] Au par. 38.

[13] Bailie et al. c. Air Canada and Air Canada Pilots Association, 2012 TCDP 6 [Bailie], au par. 22.

[14] Ibid, au par. 22.

[15] Ibid, au par. 23.

[17] Ibid, au par. 80.

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