Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

 

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

 

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP  11

Date : le 13 mai 2020

Numéros des dossiers : T2255/1018 et T2389/4819

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Kelli Windsor‑Brown

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : George E. Ulyatt

 



I.  Faits

[1]  Le Tribunal est saisi d’une requête que la plaignante a présentée en vertu de l’article 3 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal »), en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC » ou l’« intimée ») de divulguer tous les documents potentiellement pertinents se trouvant en sa possession ou sous sa garde et se rapportant aux questions soulevées dans la présente plainte.

[2]  Deux plaintes relatives à des actes visés aux articles 7, 10 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »), et fondés sur les motifs de distinction illicite que sont le sexe, l’état matrimonial et la déficience (articles 3 et 3.1 de la Loi) ont été renvoyées au Tribunal. Dans ces plaintes, la plaignante allègue avoir été victime de traitement défavorable; plus précisément, elle affirme que la GRC ne lui a pas offert un environnement de travail exempt de harcèlement, en plus d’appliquer des politiques et des pratiques discriminatoires.

[3]  La plaignante sollicite une ordonnance du Tribunal enjoignant à la GRC de divulguer tous les documents auxquels la plaignante fait référence à la page 97 de son exposé des précisions (« EDP »).

[4]  La requête de la plaignante vise à obtenir ce qui suit :

  1. les horaires des quarts de travail des caporaux, de 2011 à 2014, dans les autres détachements du Manitoba de taille semblable à celui d’East St. Paul, notamment ceux de Grand Marais et de St. Pierre;
  2. les dossiers relatifs à toute formation à la prévention du harcèlement et à la sensibilité exigée du sergent Gilligan après octobre 2013;
  3. une copie des observations du sergent Gilligan à l’appui du grief qu’il a présenté le 20 janvier 2015, dans la mesure où ces observations traitent de l’allégation de fond de la plaignante concernant le harcèlement. Sinon, la plaignante demande que l’intimée confirme que les observations ne traitent d’aucune manière des allégations de fond relatives au harcèlement;
  4. une copie non caviardée des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues qu’il a eues avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul (remarque : une copie lourdement caviardée a été fournie);
  5. des copies de tous les documents et de toutes les déclarations audio examinés par les enquêteurs de la GRC dans le cadre de l’enquête sur les plaintes déposées en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail à l’encontre du surintendant Mehdizadeh, de l’inspecteur LeMaistre et du sergent Gilligan;
  6. les rapports finaux et les comptes rendus de décisions — non caviardés — concernant les enquêtes sur les infractions au code de conduite menées à l’égard de Leavy, Reilly et McKenna (remarque : des versions caviardées ont été fournies).

[5]  L’intimée nie les allégations de traitement défavorable. Elle nie également tout défaut de fournir un environnement exempt de harcèlement, ainsi que les allégations avancées relativement aux motifs de plainte visés aux articles 7, 10 et 14 de la Loi. L’autre motif de distinction illicite invoqué à titre secondaire — la déficience — est aussi en litige.

[6]  Dans son EDP, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») évoque principalement les problèmes existant de longue date dans l’environnement de travail visé par la présente plainte.

[7]  Dans son EDP, la plaignante explique qu’elle a commencé à travailler pour l’intimée en 1992; d’abord à Montréal, au Québec, où elle a suivi une formation linguistique, et qu’une fois celle‑ci terminée, on l’a envoyée à Regina suivre une autre formation. À la suite de cette formation, la plaignante a été mutée à Surrey, en Colombie‑Britannique, après quoi, vers 1998, on l’a mutée à Stonewall, au Manitoba. En 2005, elle a été promue au grade de caporale puis mutée à Oakbank, au Manitoba. Le poste de caporale était un poste de supervision, ce qui l’a amenée à être mutée à la Division des enquêtes criminelles, au quartier général de la Division D de la GRC à Winnipeg, au Manitoba, où elle est restée de 2008 à 2011.

[8]  En 2011, à sa demande, la plaignante été mutée, en tant que caporale superviseure, du quartier général de la Division D, à Winnipeg, à East St. Paul, au Manitoba, auprès d’un détachement faisant lui-même partie du grand détachement de Selkirk.

[9]  D’avril à décembre 2011, la plaignante a occupé un poste temporaire auquel, normalement, un sergent est affecté.

[10]  À East St. Paul, son supérieur immédiat dans la chaîne de commandement était le sergent Gilligan qui, lui‑même, relevait du sergent d’état‑major Doyle, du détachement de Selkirk. Le sergent d’état‑major Doyle, à son tour, relevait de l’inspecteur Mark LeMaistre qui, lui aussi, travaillait au détachement de Selkirk.

[11]  Le 12 mars 2013, la plaignante est partie en congé de maladie en raison d’un stress émotionnel et psychologique attribuable à des problèmes conjugaux. Elle a ainsi fait l’expérience du stress psychologique, de la dépression et de l’anxiété.

[12]  La plaignante affirme qu’après mars 2013, elle a été victime de harcèlement en milieu de travail. En janvier 2014, elle a donc déposé à la Commission une plainte dans laquelle elle affirmait que la GRC avait contrevenu aux dispositions de la Loi. Outre le fait qu’elle avait subi du harcèlement sexuel, elle affirmait aussi que les superviseurs visés lui assignaient des horaires de travail inusités et déraisonnables, qui s’écartaient des pratiques usuelles et acceptées pour une personne occupant son poste et ayant son grade.

[13]  En février 2018, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour qu’elle soit instruite, et le processus de divulgation a rapidement commencé. Comme la plaignante était d’avis que l’intimée ne divulguait pas tous les documents pertinents, en décembre 2019, elle a déposé une requête en vue de la production de certains documents.

[14]  Dans sa réponse à la requête de la plaignante, l’intimée a accepté de produire les éléments a) et c) demandés par la plaignante, mais elle s’est opposée à la production des quatre autres éléments.

[15]  Par conséquent, quatre questions demeurent en suspens, notamment la divulgation :

  1. des dossiers relatifs à toute formation à la prévention du harcèlement et à la sensibilité exigée du sergent Gilligan après octobre 2013;
  2. d’une copie, non caviardée, des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues qu’il a eues avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul;
  3. des copies de tous les documents et de toutes les déclarations audio examinés par les enquêteurs de la GRC dans le cadre de l’enquête sur les plaintes déposées en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail à l’encontre du surintendant Mehdizadeh, de l’inspecteur LeMaistre et du sergent Gilligan;
  4. les rapports finaux et les comptes rendus de décisions — non caviardés — concernant les enquêtes sur les infractions au code de conduite menées à l’égard de Leavy, Reilly et McKenna.

II.  Questions en litige

[16]  La question dont je suis saisi consiste à savoir si le Tribunal devrait ordonner à l’intimée de divulguer les documents que la plaignante a demandés dans sa requête. Plus précisément, le Tribunal est appelé à déterminer : a) si les documents demandés par la plaignante et mentionnés ci‑dessus sont potentiellement pertinents à l’égard des faits, des questions ou des formes de réparation mentionnés par chacune des parties dans la présente affaire; b) si l’existence d’un lien suffisant entre les renseignements demandés et les questions en litige a été établie; et c) si la valeur probante des éléments de preuve demandés ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Enfin, le Tribunal aura à décider si certains documents doivent être divulgués sans le caviardage déjà fait par l’intimée.

Examen des arguments des parties

Dossiers relatifs à toute formation à la prévention du harcèlement et à la sensibilité exigée du sergent Gilligan après octobre 2013

[17]  La plaignante fait valoir que ces documents sont potentiellement pertinents, car elle affirme que l’intimée a mené une enquête inadéquate sur l’inconduite du sergent Gilligan, et que les lignes directrices opérationnelles utilisées étaient insuffisantes. De plus, la plaignante affirme que sa position était fondée, puisqu’en fin de compte, on a demandé au sergent Gilligan de suivre une formation à la sensibilité.

[18]  L’intimée soutient que tous les documents pertinents ont déjà été produits. De plus, elle affirme que les renseignements concernant la formation à la sensibilité exigée du sergent Gilligan ne sont pas pertinents, et que rien de ce qui concerne cette formation ne devrait être révélé.

[19]  L’intimée ajoute que le sergent Gilligan n’a pas signé de formulaire de consentement en vue de la communication de ces renseignements, et invoque à cet égard les articles 7, 8 et 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, l’intimée soutient qu’une telle divulgation serait contraire aux Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) (les « Consignes du commissaire »), qui traitent de la non-production des enquêtes et des règlements de plaintes de harcèlement. Enfin, elle soutient qu’il s’agit là d’une proverbiale « partie de pêche » dans la vie privée du sergent Gilligan.

[20]  En réplique, la plaignante fait valoir que le paragraphe 6(5) des Consignes du commissaire traite seulement de l’exigence que la décision finale soit signifiée au plaignant. Cet article est libellé ainsi :

Copie de la décision, y compris celle rendue par écrit par le comité de déontologie agissant à titre de décideur pour l’application des présentes consignes, est signifiée au plaignant. Elle comprend l’exposé des conclusions, les motifs de la décision ainsi qu’une mention indiquant si une ou plusieurs mesures disciplinaires sont imposées.

[21]  Enfin, la plaignante avance que, s’il est vrai que les Consignes du commissaire ont pour effet d’interdire la communication de documents potentiellement pertinents dans la présente instance — ce qui est contesté —, la Loi a préséance sur elles. Étant donné que la Loi est quasi constitutionnelle, lorsqu’elle est incompatible avec une autre loi (ou, dans ce cas-ci, un règlement d’application), les dispositions législatives sur les droits de la personne prévalent (voir Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145).

Copies de tous les documents et de toutes les déclarations audio examinés par les enquêteurs de la GRC dans le cadre de l’enquête sur les plaintes déposées en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail à l’encontre du surintendant Mehdizadeh, de l’inspecteur LeMaistre et du sergent Gilligan

[22]  La plaignante fait valoir que la production de ces dossiers est justifiée, car les personnes visées seront toutes appelées à comparaître comme témoins, et que ces éléments de preuve sont donc potentiellement pertinents.

[23]  L’intimée soutient pour sa part que tous les documents pertinents ont été produits, que la protection de la vie privée des parties est primordiale et que le consentement des parties n’a pas été obtenu. Elle fait valoir en outre que tous les documents pertinents ont déjà été fournis, et que la plaignante n’a pas donné d’explication quant aux raisons pour lesquelles ces documents ou enregistrements sont pertinents.

Rapports finaux et comptes rendus de décisions — non caviardés — concernant les enquêtes sur les infractions au code de conduite menées à l’égard de Leavy, Reilly et McKenna

[24]  La plaignante est d’avis que ces rapports finaux non caviardés sont pertinents pour établir le harcèlement pratiqué au fil des ans à la GRC. Elle veut aussi démontrer quel genre de comportements elle a subi, et elle croit que ces documents peuvent situer le contexte de sa plainte.

[25]  L’intimée soutient quant à elle que tous les documents pertinents ont été fournis à la plaignante en ce qui concerne les membres Leahy, Reilly et McKenna. De plus, l’intimée affirme que les prétentions quant au caractère pertinent de la demande ne sont pas fondées, dans la mesure où la plaignante est déjà au courant des décisions prises relativement à ces membres. En outre, l’intimée soutient que, dès qu’il est question d’emploi ou de dossiers personnels, les membres visés ont des attentes en matière de protection de leur vie privée. L’intimée fait également observer qu’aucun des membres ne témoignera lors de l’audience prévue. Enfin, elle se fonde sur le paragraphe 40(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC), qui prévoit le droit de refuser la production du contenu des extraits caviardés des rapports finaux et comptes rendus de décisions concernant les membres.

[26]  Inversement, la plaignante soutient que le paragraphe 40(3) de la Loi sur la GRC vise seulement les « réponses ou déclarations faites à la suite des questions visées au paragraphe (2) », lequel est libellé ainsi :

Obligation du membre de répondre

(2) Au cours d’une enquête tenue en vertu du paragraphe (1), aucun membre n’est dispensé de répondre aux questions portant sur l’objet de l’enquête, lorsque la personne menant l’enquête l’exige, au motif que sa réponse peut l’incriminer ou l’exposer à une procédure ou action pénale, civile ou administrative.

[27]  La plaignante invoque l’arrêt Gustar v. Wadden, 1992 Carswell BC 354 (CA), pour affirmer que le paragraphe 40(3) de la Loi sur la GRC ne vise que les « réponses ou les déclarations faites à la suite des questions visées au paragraphe (2) ». Dans l’arrêt Gustar la Cour d’appel a écrit ceci :

[traduction]

[…] la question visée au paragraphe (2) est une question pour laquelle la réponse peut incriminer le membre ou l’exposer à des poursuites ou à une peine. Si la disposition législative était censée inclure toutes les questions de l’enquête, alors le paragraphe (2) pourrait se terminer après le terme « enquête », la deuxième fois qu’il apparaît, immédiatement avant les mots « l’exige, au motif ». (Paragraphe 10.)

[28]  La plaignante plaide que les rapports finaux et les comptes rendus de décisions ne sont pas plus importants que l’intérêt du public de s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents sont divulgués.

Copie non caviardée des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues qu’il a eues avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul

[29]  Le sergent d’état‑major Doyle s’était vu confier la tâche d’enquêter sur les plaintes du gendarme Steinke à l’égard de la manière dont le sergent Gilligan traitait les employés du détachement d’East St. Paul. La plaignante demande des copies de l’ensemble des documents et déclarations audio se rapportant aux entrevues menées par le sergent d’état‑major Doyle.

[30]  La plaignante soutient que l’enquête réalisée par le sergent d’état‑major Doyle et les notes qu’il a prises sont, de toute évidence, pertinentes à l’égard des questions soulevées dans la présente affaire, notamment en ce qui a trait à [traduction] « l’enquête menée par l’intimée sur les allégations concernant le harcèlement et les actes discriminatoires du sergent Gilligan », au cours de laquelle le sergent d’état‑major Doyle a interviewé un certain nombre de membres et d’employés du détachement d’East St. Paul.

[31]  L’intimée affirme quant à elle que ces éléments ne sont pas potentiellement pertinents, et qu’ils sont en outre protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’intimée soutient que la plaignante a fait ressortir en quoi les préoccupations du gendarme Steinke concernant le leadership et les relations du sergent Gilligan n’étaient pas pertinentes ni étayées par les documents mis à la disposition du Tribunal.

[32]  L’intimée fait aussi valoir l’existence d’une attente raisonnable de protection de la vie privée en ce qui concerne les dossiers d’emploi personnels des employés, car les membres Leahy, Reilly et McKenna n’ont fourni aucun consentement à la divulgation. Elle invoque également la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme elle l’a déjà fait, pour justifier son refus de communiquer d’autres renseignements.

[33]  En réponse, la plaignante soutient que les notes et les renseignements recueillis par le sergent d’état‑major Doyle n’étaient pas restreints à sa situation à elle, mais qu’ils étaient, de toute évidence, pertinents pour évaluer l’allégation de l’intimée selon laquelle elle aurait agi de manière appropriée.

[34]  L’intimée fait aussi remarquer que l’un des membres témoignera à l’audience qui se tiendra devant le Tribunal.

III.  Cadre juridique

[35]  Le paragraphe 50(1) de la Loi énonce les obligations des parties dans les termes suivants :

50(1) Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

Les paragraphes 6(1) à 6(5) des Règles de procédure du Tribunal sont rédigés ainsi :

Exposé des précisions

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause;

sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause;

le redressement recherché;

les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

les noms des divers témoins – autres que les témoins experts – qu’elle a l’intention de citer ainsi qu’un résumé du témoignage prévu de chacun d’eux.

Réplique

6(2) Le plaignant et la Commission doivent signifier et déposer une réplique dans le délai fixé par le membre instructeur,

s’ils ont l’intention de prouver des faits ou de soulever des questions afin de réfuter l’exposé des précisions de l’intimé;

si ces faits ou questions n’ont pas été mentionnés dans l’exposé des précisions qu’ils ont présenté en vertu du paragraphe 6(1).

Production de documents

6(4) Si une partie a fait mention d’un document conformément à l’alinéa 6(1)d), elle doit en fournir une copie à toutes les autres parties. Elle ne dépose pas le document au greffe.

Divulgation et production continues

6(5) Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires

si de nouveaux faits ou de nouvelles questions ou formes de redressement sont soulevés dans l’exposé des précisions ou la réplique d’une autre partie; ou

si elle constate qu’elle ne s’est pas conformée correctement ou complètement aux alinéas 6(1)d), 6(1)e) et 6(1)f) ou aux paragraphes 6(3) ou 6(4).

[36]  Dans la décision Allan Shaw c. Bell Canada, 2019 TCDP 24 (Shaw), le Tribunal a cité la décision Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, comme suit :

59 La décision Brickner c. GRC, 2017 TCDP 28, citée par la Commission, énonce en ces termes les principes clés relatifs au critère appelé à régir la divulgation lors d’instances instruites par le Tribunal :

Principes applicables en matière de divulgation

[4] Selon l’article 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (Loi), les parties qui se présentent devant le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments. Pour avoir cette possibilité, les parties doivent obtenir, entre autres choses, la divulgation de renseignements potentiellement pertinents et qui sont en la possession ou sous les soins de la partie adverse avant l’audition de l’affaire. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de renseignements permet à chaque partie de savoir ce qui lui est reproché et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audition.

[5] Pour décider de la divulgation des renseignements, le Tribunal doit déterminer la pertinence des éléments d’information en cause (voir Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6). Cette norme vise à « empêcher qu’on se lance dans des demandes de production “qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires” » (voir Day c. Ministère de la Défense nationale et Hortie, décision no 3, 2002/12/06). Cela garantit également le caractère probant des éléments de preuve.

[6] Il ne s’agit pas d’une norme particulièrement élevée à satisfaire pour la partie requérante. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués conformément aux articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04) (Règles) (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 (Guay)Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 28; et Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, au paragraphe 6 (Seeley)).

[7] Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (voir Guay, au paragraphe 43). Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise. Le Tribunal est d’avis que, dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence probable des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte (voir Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8407 (CF), au paragraphe 13; voir également l’article 48.9(1) de la Loi).

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 4; Seeley, au paragraphe 7; voir aussi R. c. Seaboyer 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, aux pages 609 à 611).

[9] Il convient également de souligner que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve lors de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

[37]  Dans la décision Shaw, le Tribunal cite aussi la décision Egan c.  Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, en ce qui a trait aux critères sur lesquels le Tribunal se fonde pour décider si une demande de divulgation devrait être accordée :

[40] Comme il a été mentionné précédemment, la jurisprudence servant à statuer sur les demandes de divulgation se fonde habituellement sur les critères suivants :

Aux termes de l’article 50(1) de la Loi, les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve.

À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les documents potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’instruction de l’affaire.

Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation des documents permet à chacune des parties de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, ainsi, de se préparer adéquatement pour l’audience.

Pour cette raison, s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, questions ou formes de redressement demandées par les parties dans l’affaire, le document doit être divulgué aux termes des articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles.

La partie qui sollicite la divulgation doit démontrer qu’il existe un lien et qu’il s’agit de documents probants et potentiellement pertinents à l’égard d’une question soulevée à l’audience, ce qui ne constitue pas une norme particulièrement élevée.

La demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents doivent être décrits de manière suffisamment précise.

La divulgation de documents potentiellement pertinents ne signifie pas qu’ils seront admis en preuve à l’audience ou qu’on leur accordera une importance significative dans le processus décisionnel.

[38]  La Loi est conçue de manière à assurer une divulgation complète et encadrée, afin que les parties puissent préparer leur cause, la présenter et la défendre devant le Tribunal.

[39]  Également dans la décision Shaw, le Tribunal a reconnu qu’il devait chercher à savoir si les éléments d’information en cause sont potentiellement pertinents (voir Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6).

[40]  Comme il est aussi mentionné dans la décision Shaw, le critère énoncé ci‑dessus ne constitue pas une norme particulièrement élevée à satisfaire pour la partie requérante. En effet, dans la mesure où celle-ci démontre qu’il existe un lien rationnel entre les documents demandés et les faits, les questions ou les formes de réparation mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués conformément aux alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04).

[41]  Cela dit, le Tribunal doit faire preuve de prudence à l’égard des demandes de divulgation qui sont spéculatives ou qui équivalent à une proverbiale « partie de pêche » (voir la décision Guay, au par. 43). Cela signifie que la partie requérante doit être en mesure de décrire les documents de manière suffisamment précise. Comme indiqué ci‑dessus, au paragraphe 7 de la décision Brickner, il est important de noter que, malgré la pertinence potentielle d’éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, « dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte ». De plus, le Tribunal peut refuser d’ordonner la divulgation de documents si cette divulgation risque de faire en sorte que son effet préjudiciable sur l’instance l’emporte sur la valeur probante des documents.

[42]  En l’espèce, l’intimée a fait valoir qu’à part l’argument relatif aux documents potentiellement pertinents, deux autres motifs empêchant la divulgation des documents devraient être pris en compte. En effet, selon elle, la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, et les Consignes du commissaire empêchent la divulgation de ces renseignements.

[43]  L’intimée invoque les articles 7, 8, et 26 comme justification pour le défaut de produire les éléments b, d, e et f, et affirme ainsi que ces éléments ne devraient pas être produits. En somme, elle fait valoir que les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les Consignes du commissaire doivent l’emporter sur les dispositions de la Loi et que, par conséquent, sans le consentement des parties, les renseignements ne peuvent pas être divulgués.

[44]  La plaignante réplique en se référant à la décision Larose c. Commission canadienne des droits de la personne, 2006 TDFP 1, où l’on peut lire ce qui suit, au paragraphe 7 :

Or, une institution fédérale est autorisée à divulguer des renseignements personnels lorsqu’elle est exigée par assignation ou ordonnance d’un organisme comme le Tribunal ou dans ses règles de procédures. Ainsi, l’alinéa 8(2)c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que la communication des renseignements personnels relevant d’une institution fédérale est autorisée lorsqu’elle est « exigée par subpoena, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédures se rapportant à la production de renseignements ».

[45]  Par conséquent, l’alinéa 8(2)c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans le cas d’une « communication exigée par subpoena, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production » de tels renseignements.

[46]  En outre, dans la décision Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26, le Tribunal a décidé que la Loi sur la protection des renseignements personnels n’avait pas pour effet d’empêcher la divulgation dans le contexte des plaintes déposées en vertu de la Loi. Dans cette décision, l’intimé avait avancé les mêmes arguments que ceux de la GRC relativement à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et le Tribunal avait écrit :

[23] De même, le Tribunal considère que les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels L.R.C., n’interdisent pas la production de documents comme ceux recherchés par le plaignant dans sa requête, en autant que le caractère confidentiel des candidatures soumises soit protégé.

[47]  Le Tribunal ne tiendra donc pas compte des arguments de la GRC relatifs à la Loi sur la protection des renseignements personnels pour rendre sa décision.

[48]  Enfin, il est important de mentionner que tous les documents communiqués seront soumis à la règle de l’engagement implicite, comme cela est expliqué au paragraphe 12 de la décision Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396) c. Société du Musée canadien des civilisations, 2004 TCDP 38 :

[12] Les parties conviennent que la règle de l’engagement implicite s’applique à tous les documents ou renseignements divulgués par le Musée. La justification de cette règle est qu’une partie à un litige devrait avoir le plein droit à une divulgation et à un examen des renseignements pertinents, y compris de ceux qui sont confidentiels, comme cela est nécessaire pour trancher équitablement l’affaire. Cependant, une partie ne peut pas utiliser ce droit à la divulgation pour une fin autre que le litige. S’il existe un véritable risque d’une telle utilisation en dépit de l’engagement, des restrictions additionnelles peuvent être imposées quant à la façon selon laquelle les renseignements divulgués peuvent être utilisés. (Voir Zellers Inc. c. Venta Investments Ltd. [1998] O.J. no 2118, (C.J.O.); Reichmann c. Toronto Life Publishing Co. [1990], 44 C.P.C. (2d) 206, aux pages 207 à 210 (H.C.J.); Alberta (Treasury Branches) c. Leahy 2000 ABQB 575 (CanLII), [2000] A.J. no 993, aux pages 54 et 55 (B.R.).

IV.  Analyse

Dossiers relatifs à toute formation à la prévention du harcèlement et à la sensibilité exigée du sergent Gilligan après octobre 2013

[49]  Après avoir examiné les arguments des parties, le Tribunal estime que la plaignante a établi la pertinence des documents demandés et leur lien avec les allégations dont le Tribunal est saisi. Le Tribunal souscrit à l’avis que les documents demandés par la plaignante sont liés à ses allégations selon lesquelles la GRC a mené une enquête inadéquate sur l’inconduite du sergent Gilligan, et que les lignes directrices opérationnelles étaient une réponse insuffisante dans les circonstances. En outre, ces documents ont un lien suffisant avec la prétention générale de la plaignante quant à l’absence de mesures prises par la GRC pour donner suite aux allégations de harcèlement en milieu de travail. Enfin, le Tribunal n’est pas convaincu par les arguments de l’intimée fondés sur la Loi sur la protection des renseignements personnels ni par l’idée que les Consignes du commissaire l’emporteraient sur la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Une copie non caviardée des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues qu’il a eues avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul.

[50]  Après examen, il s’avère difficile pour le Tribunal de déterminer si certaines parties caviardées de ces documents sont potentiellement pertinentes.

[51]  Par conséquent, l’intimée devra produire au Tribunal une copie caviardée et une copie non caviardée des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues menées avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul. Cela permettra au Tribunal de déterminer si les parties caviardées des documents sont potentiellement pertinentes en l’espèce.

Enregistrements audio et documents concernant les interrogatoires de certains membres et employés menés par les enquêteurs de la GRC relativement aux plaintes déposées à l’encontre du surintendant Mehdizadeh, de l’inspecteur LeMaistre et du sergent Gilligan

[52]  Dans les présentes circonstances, le Tribunal n’est pas convaincu que les documents recherchés à l’encontre de ces personnes sont utiles et qu’ils satisfont à la norme de « potentiellement pertinents ». À titre de partie requérant la divulgation, il incombe à la plaignante de démontrer en quoi ces documents sont potentiellement pertinents quant à sa plainte, et d’établir l’existence d’un lien suffisant entre ces documents et enregistrements et les questions soulevées dans son EDP.

[53]  Pour le Tribunal, il appert que cette demande équivaut plutôt à une « partie de pêche » de la part de la plaignante. De plus, comme la plaignante a l’intention d’appeler le surintendant Mehdizadeh, l’inspecteur LeMaistre et le sergent Gilligan comme témoins à l’audience, elle aura l’occasion de les interroger et d’obtenir des réponses à ses questions.

Rapports finaux et comptes rendus de décisions — non caviardés — concernant les enquêtes sur les infractions au code de conduite menées à l’égard de Leavy, Reilly et McKenna

[54]  Le Tribunal a du mal à trouver l’existence d’un lien ou d’un argument qui établirait la pertinence potentielle des documents sollicités par la plaignante en l’occurrence. Comme l’intimée l’a fait remarquer, les décisions concernées sont bien connues de la plaignante, et chacune des personnes mentionnées n’a pas de lien avec les affaires en question.

[55]  Le Tribunal est d’avis que la divulgation de ces documents a une trop large portée, qu’elle ne satisfait pas à la norme des documents « potentiellement pertinents » et n’établit pas de lien avec les allégations formulées dans la plainte. Pour le Tribunal, cette demande particulière équivaut plutôt à une « partie de pêche » relative à la cause de la plaignante.

V.  Ordonnances

[56]  Le Tribunal ordonne à l’intimée de produire les dossiers relatifs à toute formation à la prévention du harcèlement et à la sensibilité suivie par le sergent Gilligan après octobre 2013.

[57]  Le Tribunal ordonne à l’intimée de produire au Tribunal, d’ici le 15 juin 2020, des copies caviardées et non caviardées des notes prises par le sergent d’état‑major Doyle lors des entrevues qu’il a réalisées avec le gendarme Steinke et d’autres membres du détachement d’East St. Paul.

Signée par

George E. Ulyatt

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 13 mai 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

  Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T2255/1018 et T2389/4819

Intitulé de la cause : Kelli Windsor‑Brown c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 13 mai 2020

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Shannon Carson, pour la plaignante

Sasha Hart , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Raymond Lee, pour l'intimée

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