Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 44

Date : le 1 novembre 2019

Numéro du dossier : T2329/8418

Entre :

Bernadette Josiane Youmbi Eken

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Réseaux Netrium Inc.

l'intimé

Décision

Membre : Marie Langlois

 



I.  Décision

[1]  Le Tribunal accueille la plainte de discrimination fondée sur le sexe et la déficience de madame Bernadette Josiane Youmbi Eken (la plaignante) en raison de son congédiement de chez Réseau Netrium inc. (l’intimé ou l’employeur), et ce, pour les motifs qui suivent.

II.  Aperçu

[2]  L’intimé est une petite entreprise de 9 employés qui fournit des services de gestion de communication réseaux à des clients. À compter de septembre 2014, la plaignante est embauchée à titre de technicienne de réseaux, niveau 2.

[3]  Le 13 ou le 16 mars 2015, elle informe son superviseur, monsieur Chivaroli, qu’elle est enceinte. Le 18 mars, elle se sent malade et quitte le travail de façon subite pour se rendre à l’hôpital. Elle est en absence maladie pour complications reliées à la grossesse jusqu’au 28 mai 2015.

[4]  Elle reprend le travail le 1er juin, date à laquelle elle est congédiée.

[5]  La plaignante estime que son état de grossesse et sa maladie constituent les motifs de son congédiement. Elle dépose une plainte à la Commission des droits de la personne dont le Tribunal est saisi.

[6]  L’intimé soutient pour sa part que le congédiement est plutôt en lien avec des manquements, le rendement au travail de la plaignante et son inconduite dans la déclaration de ses retards et absences.

III.  Questions en litige

[7]  Les questions en litige sont les suivantes;

  1. Est-ce que la plaignante possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne?
  2. Si oui, a-t-elle subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?
  3. Dans l’affirmative, est-ce que la ou les caractéristiques protégées ont été un facteur dans la décision de l’employeur de congédier la plaignante?
  4. Si tel est le cas, est-ce que l’employeur a justifié sa décision selon l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou a-t-il été en mesure de limiter sa responsabilité en vertu de l’article 65 de cette Loi?
  5. Dans le cas contraire, quelles sont les mesures de redressement applicables?

IV.  Cadre juridique

[8]  Le paragraphe 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [1] (la Loi) prévoit que le fait de refuser de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire si la décision est fondée sur un ou des motifs de distinction illicite prévus à l’article 3 de la Loi.

[9]  Avant de répondre aux questions en litige, il y a lieu de préciser que le fardeau qui incombe à la plaignante est de démontrer à première vue qu’elle est victime d’une distinction illicite (preuve prima facie). Cette preuve est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » [2] .

[10]  La jurisprudence reconnait la difficulté de faire une preuve directe des allégations de discrimination puisque la discrimination n’est généralement pas un phénomène qui se manifeste directement et ouvertement. Il appartient alors au Tribunal de tenir compte de l’ensemble des circonstances et de déterminer selon toute probabilité s’il y a discrimination ou s’il existe, comme énoncé dans l’affaire Basi [3] , de « subtiles odeurs de discrimination ». En somme, le Tribunal pourra conclure à la discrimination prima facie lorsque la preuve retenue rendra cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible [4] .

[11]  Pour rencontrer son fardeau, la plaignante devra démontrer, selon la prépondérance des probabilités [5] , qu’elle possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi, qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que la ou les caractéristiques protégées [6] ont été un des facteurs y ayant contribué [7] . Dans le cadre de sa preuve, la plaignante n’a pas à démontrer que l’intimé avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit, puisque comme le retient la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bombardier, certains comportements discriminatoires sont multifactoriels ou inconscients [8] . L’intention d’établir une distinction n’est donc pas un facteur déterminant, c’est plutôt le résultat, l’effet préjudiciable qui importe [9] .

[12]  De plus, il n’est pas essentiel que le lien entre le motif de discrimination et la décision reprochée soit exclusif, ou soit le lien causal puisqu’il suffit que le motif en question ait contribué aux décisions ou aux gestes reprochés. En somme, la preuve doit établir que le motif de distinction illicite est un facteur dans la décision en litige [10] .

[13]  En outre, il suffit que la grossesse de la plaignante soit l’un des facteurs qui ont motivé son employeur à mettre fin à son emploi [11] .

[14]  Une fois cette preuve établie, l’employeur pourra justifier sa décision en démontrant, également selon la prépondérance des probabilités, que celle-ci découle d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’article 15 de la la Loi ou il pourra limiter sa responsabilité en application de l’article 65 de la Loi. Le fardeau de preuve lui est alors transféré [12] .

V.  Analyse

A.  Est-ce que la plaignante possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[15]  La plaignante invoque la déficience et le sexe à titre de motifs de distinction illicite protégés par la Loi. Le Tribunal estime qu’elle a raison.

[16]  La Loi prévoit les motifs de distinction illicite dont la déficience et le sexe (paragraphe 3(1)). Une distinction fondée sur la grossesse est réputée être fondée sur le sexe (paragraphe 3(2)).

[17]  La plaignante est enceinte. Le 18 mars 2015, elle ressent d’importants malaises alors qu’elle est à son travail. Elle quitte le travail, se rend à l’hôpital et elle y passe quelques jours. Un certificat médical est émis à sa sortie de l’hôpital le 21 mars 2015 avec le diagnostic de hyperemesis gravidarum, une complication de grossesse. L’arrêt de travail est prolongé jusqu’au 28 mai suivant. Le tout est confirmé par des certificats médicaux.

[18]  Il ne fait donc aucun doute que la plaignante possède les caractéristiques qu’elle invoque à titre de motifs de distinction illicite, à savoir la déficience et le sexe puisque sa pathologie et son état de grossesse en font la preuve. Il faut donc répondre oui à la question A.

B.  A-t-elle subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?

[19]  La plaignante est congédiée à son retour au travail le 1er juin 2015. Une rencontre a lieu au cours de laquelle messieurs Ciambella et Bourkas, respectivement président et directeur général de l’entreprise, l’informent de sa fin d’emploi. Ils lui reprochent certains manquements dont son rendement au travail et son inconduite dans la déclaration de ses retards et absences. La plaignante proteste et les supplie de maintenir son emploi. La décision de congédiement est maintenue et une lettre lui est remise.

[20]  Le Tribunal est d’avis que la décision de l’employeur de congédier la plaignante emporte en soi un effet préjudiciable en lien avec son emploi au sens du paragraphe 7a) de la Loi qui prévoit que le fait de refuser de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire si la décision est fondée sur un motif de distinction illicite.

[21]  Il y a donc lieu de répondre oui à la question B.

C.  Dans l’affirmative, est-ce que son congédiement est en lien avec cette ou ces caractéristiques?

[22]  La plaignante est congédiée à son retour au travail le 1er juin 2015. Le Tribunal est d’avis que la grossesse et l’absence pour maladie sont les causes ou font partie des causes du congédiement, et ce, pour les motifs énoncés ci-après.

[23]  La plaignante travaille au centre d’opération réseau (NOC Network Operation Center) de l’intimé. Il s’agit du département le plus important de l’entreprise où des services sont fournis aux clients 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

[24]  Son contrat de travail prévoit un travail de jour à raison de 40 heures par semaine, de 8h00 à 17h00 du lundi au vendredi. Il indique également qu’elle bénéficie d’un horaire flexible pour ajuster les heures de travail selon ses besoins ou ceux de l’entreprise. Une période de probation de trois mois est prévue.

[25]  La plaignante explique que pendant sa période de probation de septembre à décembre 2014, elle effectue de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées ni compensées. Elle est sur appel 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Il lui arrive donc de devoir travailler en surplus de sa journée de travail sans être rémunérée ou compensée. Cette dernière information est contestée par monsieur Bourkas qui témoigne pour l’intimé. Il soutient que certaines compensations étaient accordées de façon informelle aux employés qui faisaient du temps supplémentaire.

[26]  À la fin de la période de probation, en décembre 2014 ou en janvier 2015, la plaignante informe son employeur qu’elle refuse maintenant de faire du temps supplémentaire. Elle veut s’en tenir aux termes de son contrat, à savoir 40 heures par semaine du lundi au vendredi de 8h00 à 17h00. À l’audience, l’employeur soutient que comme technicienne de niveau 2 dans un NOC, il lui appartenait de régler les problèmes urgents en dehors des heures de travail.

[27]  Le Tribunal constate que l’employeur n’a fait aucun reproche à la plaignante ni verbalement, ni par écrit pour refus d’effectuer un travail en dehors des heures normales. D’ailleurs, la preuve ne démontre pas qu’il lui a fait quelque reproche que ce soit au cours de la période de probation.

[28]  Les faits démontrent cependant que la plaignante a effectivement travaillé en dehors de ses heures normales de travail même après avoir informé son employeur de son intention à l’avenir de refuser de travailler en temps supplémentaire. En effet, dans un document déposé par l’intimé à l’audience, on retrouve un courriel envoyé par la plaignante le 26 février 2015 à 4h12 AM, en réponse à un courriel d’un client envoyé à 19h00 la veille.

[29]  Le 13 ou le 16 mars 2015, elle informe son superviseur, monsieur Chiavaroli, qu’elle est enceinte, ce que ne nie pas l’intimé. Tel que vu précédemment, elle s’absente du travail pour complications reliées à la grossesse du 18 mars au 28 mai 2015.

[30]  Lorsqu’elle quitte le travail le 18 mars 2015, elle informe monsieur Chiavaroli. Elle est transportée à l’hôpital. Le lendemain, le conjoint de la plaignante envoie un message texte au superviseur pour l’informer que celle-ci sera absente pour le reste de la semaine. Puis, le 20 mars suivant, monsieur Ciambella appelle le conjoint de la plaignante qui l’informe qu’elle est à l’hôpital.

[31]  Elle quitte l’hôpital le 21 mars 2015 avec un certificat médical qui justifie son absence depuis le 18 mars et le prolonge jusqu’au 27 mars. Elle transmet le billet médical à monsieur Chiavaroli et à monsieur Bourkas. Ce dernier contacte la plaignante pour connaître la maladie dont elle souffre. La plaignante lui dit qu’elle va demander à son médecin d’appeler monsieur Bourkas pour lui fournir les explications requises. Par la suite, le médecin confirme à la plaignante avoir parlé à monsieur Bourkas en ce sens.

[32]  L’arrêt de travail est prolongé du 27 mars au 1er mai 2015, puis jusqu’au 22 mai 2015. Des certificats médicaux justifiant les absences sont émis. La plaignante témoigne les avoir transmis à l’une ou l’autre des personnes chez l’employeur, soit monsieur Chiavaroli, Ciambella ou Bourkas.

[33]  Entretemps, autour du 23 avril 2015, monsieur Valente, un préposé de la firme qui l’avait présélectionnée avant d’être embauchée, la contacte lui mentionnant qu’elle avait disparue du travail et qu’elle l’avait abandonné. Le conjoint de la plaignante envoie alors à la firme en question le nouveau certificat médical du 22 avril 2015, de même que tous les précédents. Une nouvelle copie est également envoyée à monsieur Ciambella le 29 avril 2015. Entre temps, la plaignante communique par téléphone avec monsieur Ciambella l’informant de la prolongation de son arrêt de travail jusqu’au 1er juin.

[34]  Il y a lieu de préciser que le médecin de la plaignante indique au certificat médical du 22 avril 2015 que l’arrêt de travail est prolongé jusqu’au 22 mai 2015 et qu’une réévaluation est prévue par la suite.

[35]  Le 28 mai 2015, le médecin indique un retour au travail à temps complet possible à partir du 1er juin 2015. La plaignante envoie alors un courriel à monsieur Ciambella l’informant de son retour effectif au travail le 1er juin suivant.

[36]  Le 29 mai 2015, monsieur Bourkas envoie un courriel à la plaignante indiquant avoir appris son retour possible au travail le 1er juin. Il écrit « étant donné les constats que nous avons faits depuis votre départ et les circonstances entourant celui-ci, sachez qu’il est de notre intention de vous rencontrer dès votre arrivée au travail à 8h00. À ce moment, il sera question de votre lien d’emploi auprès de Netrium ».

[37]  Le 1er juin 2015 à son arrivée au travail, la plaignante est rencontrée par messieurs Ciambella et Bourkas qui lui font des reproches sur son travail. Ils la congédient. La plaignante proteste, les supplie de la garder à leur emploi. Leur décision est maintenue et ils lui remettent la lettre de congédiement qui se lit comme suit :

Madame Youmbi,

La présente a pour but de vous confirmer par écrit la décision que nous vous avons annoncé ce jour à l’effet de résilier votre lien d’emploi auprès de Réseaux Netrium.

Tel que nous vous l’avons relaté et explicité lors de notre rencontre, cette décision s’impose compte tenu des nombreux manquements constatés dans l’exécution de votre prestation de travail. Pris isolément, ces nombreux manquements justifient la rupture de votre lien d’emploi.

Par ailleurs, nous souhaitons également mentionné que votre inconduite dans la déclaration de vos retards et absences et ce malgré nos rappels à cet effet, justifient également notre décision.

[sic]

[38]  La plaignante témoigne qu’on ne lui a jamais rien reproché, ni pendant sa période de probation, ni par après. Jamais à sa connaissance, un client ne s’est plaint de ses services. Elle rapporte avoir même eu des félicitations de la part de monsieur Bourkas en février 2015 dans le cadre d’un travail où elle avait vérifié à deux reprises des équipements. La première fois qu’elle est informée de l’insatisfaction de son employeur c’est lors de sa rencontre de congédiement le 1er juin 2015, la journée de son retour au travail. Elle en est ébahie.

[39]  À l’audience, monsieur Bourkas soutient que la grossesse de la plaignante ou ses complications de grossesse n’ont rien à voir avec son congédiement. Il soutient qu’il comprend les femmes qui ont des grossesses difficiles et qu’il ne souhaite à personne de perdre son emploi à cause d’une grossesse.

[40]  Il explique les motifs de son congédiement, soit une inconduite dans la déclaration des retards et absences et des manquements dans l’exécution de la prestation de travail.

[41]  Eu égard à l’inconduite dans la déclaration des retards et absences, Monsieur Bourkas témoigne qu’il n’y a pas de politique de gestion des absences pour maladie ou grossesse, mais que dans le cas d’une autre employée absente pour des complications de grossesse, ils ont été informés au fur et à mesure des absences et des prolongations. Cependant, dans le cas de la plaignante, il existait un flou sur les prolongations des congés ou la date de son retour au travail, ce qui lui faisait douter de son honnêteté.

[42]  Monsieur Bourkas doute de la véracité du document médical du 21 mars 2015 qui justifie une absence antérieure ayant débuté le 18 mars. Comment un médecin, se demande-t-il, peut justifier une absence préalable à son billet médical? En outre, il infère de l’ensemble du dossier médical que la plaignante ne souhaitait plus travailler. Il a constaté que la plaignante communiquait ses documents médicaux à différentes personnes sans constance. Il y voit une mauvaise communication des documents médicaux et surtout un signe de malhonnêteté.

[43]  Le Tribunal ne peut souscrire à une telle conclusion puisque pour l’ensemble de la période d’absence, la plaignante a justifié toutes ses absences par des certificats médicaux. Elle a même demandé et permis à son médecin de communiquer directement par téléphone avec monsieur Bourkas pour l’informer de sa pathologie. Quant au billet médical du 21 mars 2015, le Tribunal n’a aucun doute de sa validité puisque la plaignante est entrée à l’hôpital le 18 mars et qu’elle en est sortie le 21 mars. C’est assurément à ce moment que le billet médical a été émis pour justifier la maladie depuis son entrée à l’hôpital quelques jours auparavant. Cela n’a rien d’exceptionnel ou de douteux.

[44]  Que le médecin prévoit des réévaluations avant de donner le feu vert de retour au travail et qu’il indique une date possible de retour au travail s’inscrit dans la nature même de l’évolution des pathologies de même que dans la durée des absences pour maladie.

[45]  De plus, l’employeur ne dispose d’aucune procédure quant aux absences pour maladie ou pour grossesse. Dans ces circonstances, il ne peut reprocher à la plaignante de ne pas avoir suivi quelque procédure que ce soit. Que la gestion d’absence d’une autre employée ait été plus simple, ne change rien au fait qu’il ne peut reprocher à la plaignante de ne pas avoir suivi une procédure qui n’existe pas. Au surplus, la plaignante a envoyé et renvoyé ses documents médicaux à plus d’une reprise, et ce, même à monsieur Valente de l’entreprise qui l’avait présélectionnée. Cela démontre que l’employeur aurait avantage à clarifier ses procédures et à les communiquer à son personnel. Aucun reproche ne peut certes être retenu à l’égard de la plaignante pour des manquements qui émanent de l’employeur lui-même.

[46]  Eu égard aux manquements dans l’exécution du travail, l’employeur dépose un document contenant une série de courriels qui sont résumés ci-après :

  • Le 12 décembre 2014 à 11h24, la plaignante écrit à un client au sujet d’une interruption d’accès au réseau. Le même jour à 11h28, monsieur Bourkas écrit à la plaignante « ce circuit et annuler svp ». [Le Tribunal peine à comprendre la teneur du reproche qui peut être attribué à la plaignante].
  • Le 29 janvier 2015, à 14h00, la plaignante écrit un courriel à un client concernant des pannes multiples. À 18h10, le même jour, monsieur Chiavaroli demande par courriel à l’Équipe de support si les pannes sont résolues. La plaignante répond le 30 janvier à 8h49 que les pannes sont toujours présentes.
  • Les 19 et 20 février 2015, un échange de courriel avec une compagnie laisse voir que des tests sont faits pour régler le problème d’un client. À 13h23, la plaignante envoie les résultats de tests et indique qu’un problème demeure. Le 26 février, la compagnie en question s’interroge à savoir si le problème est maintenant résolu.
  • Le 21 février 2015, à 15h36 un courriel est envoyé par un client concernant un problème. À 16h14, monsieur Bourkas demande par écrit à la plaignante de répondre à la demande.
  • Le 23 février 2015, à 10h16, un client envoie un courriel adressé à « Netrium Support » indiquant un problème d’accès à un serveur. Le même jour à 12h16, la plaignante accuse réception de la demande du client l’informant qu’une investigation sera faite et qu’une réponse lui sera communiquée. Le 10 mars suivant, le client demande d’obtenir une réponse à sa demande.
  • Le 25 février 2015 à 19h00, un client écrit à la plaignante concernant une panne. La plaignante répond à 4h12 le lendemain matin.
  • Le 2 mars 2015, à 9h33, monsieur Ciambella écrit à l’équipe Netrium Support au sujet « du visio » pour un autre client. La plaignante répond à 9h36 le même jour que le visio a été terminé depuis longtemps et qu’elle le renvoie.
  • Le 11 mars 2015, un client écrit à monsieur Bourkas que pour la troisième fois, le plan de migration a échoué et que la plaignante était la personne support à cette occasion. Il écrit qu’il trouve frustrant de travailler avec elle et se plaint qu’elle n’est pas capable de faire le travail correctement. Il demande qu’elle soit retirée de l’équipe de migration.
  • Le 11 mars 2015, un client écrit à monsieur Ciambella qu’il attend toujours son plan de réseau complété. Celui-ci lui transfère le message à la plaignante lui demandant de le compléter.

[47]  Monsieur Bourkas témoigne que les plaintes ou les insatisfactions des clients sont démontrées dans ces courriels. La plaignante soutient pour sa part que certains des reproches ne sont pas justifiés parce qu’elle n’était pas responsable du dossier ou encore que le travail avait déjà été fait, mais que c’est son superviseur qui devait transmettre les informations aux clients.

[48]  Dans les circonstances du présent dossier, le Tribunal n’a pas à déterminer si ces courriels font la preuve de véritables manquements dans l’exécution du travail. Le Tribunal n’a pas à trancher la question de savoir si la plaignante mérite les reproches que lui fait maintenant son employeur ou si ceux-ci devraient entraîner un congédiement. En revanche, le Tribunal constate que jamais, pendant sa période de probation ou après celle-ci, l’employeur n’a fait part à la plaignante de quelque reproche que ce soit. Elle ne savait pas que son employeur était insatisfait de ses services. Même en faisant l’hypothèse que ces reproches auraient été justifiés, l’employeur ne lui en a jamais parlé et ne lui a pas permis de s’amender.

[49]  La première fois qu’il lui en parle, c’est le jour même de son retour au travail après son congé de maladie.

[50]  Le Tribunal infère de l’ensemble de la preuve que l’absence pour maladie a joué un rôle dans la décision de mettre fin à son emploi. L’employeur se demandait si la plaignante allait revenir de son congé de maladie et à partir de quelle date. Il doutait de son honnêteté alors que cette dernière justifiait chacune des absences par des certificats médicaux valides. Il n’y aucune preuve du contraire. L’employeur ne savait pas quel jour exact elle allait revenir au travail. En effet, le billet médical du 22 avril 2015 laisse voir que l’arrêt de travail est jusqu’au 22 mai et que par la suite le médecin fera une réévaluation.

[51]  On ne peut certes reprocher à la plaignante de ne pas donner une date exacte de retour au travail alors que le médecin juge qu’une réévaluation est à faire à la fin mai. Encore là, jamais l’employeur n’a fait part de ses doutes à la plaignante au cours de son absence avant la journée de son congédiement.

[52]  Le Tribunal conclut que l’absence en maladie pour complications de grossesse constitue un des facteurs qui a justifié le congédiement de la plaignante, d’autant plus que la lettre de congédiement révèle que l’inconduite dans la déclaration des retards et absences « justifient également » la décision de l’employeur. Or, selon ce qui appert de la preuve, les seuls les retards et absences de la plaignante ont trait à sa grossesse et à sa maladie en lien avec celle-ci.

[53]  Certes, d’autres motifs existaient dans l’esprit de l’employeur, mais le Tribunal n’a pas à trancher si ces motifs étaient suffisants pour entraîner le congédiement. Il suffit que la ou les caractéristiques protégées, à savoir, la grossesse et la déficience, aient été un des facteurs dans la décision contestée de l’employeur pour accueillir la plainte de la plaignante. En l’espèce la plaignante était enceinte et s’est absentée pour maladie et cela justifie à tout le moins en partie la décision de son employeur de mettre fin à son emploi, d’ailleurs, il s’agit d’un des motifs explicites de congédiement apparaissant à la lettre du 1er juin 2015.

[54]  Tel que vu précédemment, que l’employeur n’ait eu aucune intention de discriminer la plaignante, en raison de son état de grossesse et des complications qui l’ont gardée hors du travail pendant à peu près deux mois, ne constitue pas un facteur à tenir compte dans l’analyse. Comme énoncé dans l’affaire Bombardier [13] , certains comportements discriminatoires peuvent même être tout à fait inconscients.

[55]  En somme, dans le cas sous étude, les caractéristiques protégées par la Loi, à savoir le sexe et la déficience, ont été un facteur dans la décision de l’employeur de congédier la plaignante. Celle-ci a donc subi un effet préjudiciable relativement à son emploi en raison des caractéristiques protégées par la Loi.

[56]  Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante a rencontré son fardeau de démontrer prima facie, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a été victime de discrimination, en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi.

[57]  Il y a donc lieu de répondre par l’affirmative à la question C.

D.  Si tel est le cas, est-ce que l’employeur a justifié sa décision selon l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou a-t-il été en mesure de limiter sa responsabilité en vertu de l’article 65 de la Loi?

[58]  L’employeur n’a pas soulevé de moyen de défense au sens de l’article 15 de la Loi et n’a présenté aucune preuve qui pourrait justifier sa limite de responsabilité en vertu de l’article 65 de la Loi, de sorte que le Tribunal n’a pas à se pencher sur ces aspects.

[59]  Le Tribunal répond non à la question D.

E.  Redressements

[60]  Le Tribunal ayant jugé la plainte fondée, des redressements peuvent être ordonnés par le Tribunal en application du paragraphe 53(2) de la Loi.

(a)  Perte de salaire

[61]  L’alinéa 53(2)c) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner l’indemnisation de la totalité ou d’une fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. La Cour d’appel fédérale rappelle dans l’affaire Chopra [14] qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire conféré au Tribunal. De plus, la Cour énonce qu’il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire reconnu et la perte de salaire alléguée et que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal peut tenir compte des principes qui sous-tendent l’atténuation des dommages qui pourraient s’appliquer dans d’autres contextes [15] .

[62]  La plaignante réclame un montant de 6 912,20$ pour perte de salaire. Ce montant se détaille comme suit : 3 584$ pour l’absence de revenu durant la période d’absence du 19 mars au 12 mai 2015; et 3 328,20$ pour la période du 15 juin au 1er septembre 2015. Ces montants reflètent la perte réelle puisqu’ils sont basés sur le salaire qu’elle aurait obtenu moins les montants reçus à titre d’assurance chômage ou d’assurance parentale pour cette période.

[63]  La plaignante précise au document « Détails récapitulatifs des redressements demandés », qu’elle a tenté de trouver un autre emploi au cours de la période entre son congédiement et son congé de maternité. En effet, elle indique avoir cherché de l’emploi après le 1er juin 2015 et avoir passé 2 entrevues aux mois de juin et juillet 2015. Ces entrevues n’ont pas mené à des offres d’emploi « du fait qu’il n’y avait pas d’accommodation possible de grossesse pour le poste », selon la déclaration de la plaignante. Le Tribunal considère qu’il s’agit d’une tentative honnête et raisonnable de la part de la plaignante pour atténuer ses pertes.

[64]  De plus, tout porte à croire que n’eut été de l’acte discriminatoire, la plaignante aurait conservé son emploi jusqu’au 1er septembre 2015, lui permettant ainsi de gagner les montants réclamés. Le Tribunal estime que les problèmes de rendements soulignés par la lettre de congédiement apparaissent comme des prétextes pour mettre fin à l’emploi. En effet, tel que vu précédemment, jamais l’employeur ne lui a fait part de quelque reproche que ce soit avant de se départir de ses services au retour de son congé de maladie relié à sa grossesse. Le Tribunal retient que les montants demandés pour les pertes salariales découlent effectivement de l’acte discriminatoire de l’employeur. Aucune preuve à l’effet contraire n’a été administrée.

[65]  En outre, le Tribunal considère probante la preuve des montants de pertes salariales réclamées.

[66]  La plaignante ne fait par ailleurs aucune preuve d’autres dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

[67]  Par conséquent, la plaignante a droit à la somme de 6 912,20$ à titre d’indemnité pour perte de salaire, en application de l’alinéa 53(2)c) de la Loi.

(b)  Préjudice moral

[68]  La plaignante réclame un montant de 20 000$ à titre de dommages moraux.

[69]  La Loi prévoit que le Tribunal peut accorder un montant maximal de 20 000$ pour compenser le préjudice moral subi par une victime de discrimination, en application de l’alinéa 53(2)e).

[70]  La jurisprudence établit que cette somme maximale n’est accordée que dans les cas les plus graves, quand l’étendue et la durée du préjudice moral justifient l’octroi du plein montant [16] .

[71]  Afin d’établir le montant juste du dommage moral, le Tribunal doit donc évaluer entre autres les conséquences émotionnelles, la frustration, la déception, la perte d’estime et de confiance de soi, le chagrin, le bien être affectif, le stress, l’anxiété et parfois même la dépression, les idées suicidaires et autres manifestations de nature psychologique résultant de l’acte discriminatoire. Ce type de démonstration n’est pas nécessairement facile à faire.

[72]  Rappelons que le dossier médical peut parfois être utile pour faire la preuve de l’état émotionnel de l’individu, mais il n’est certes pas obligatoire pour établir le préjudice moral. Dans certains cas, un dossier médical pourra étayer la preuve des conséquences sur la santé mentale de la victime de discrimination, et, dans d’autres cas, les témoignages de la victime elle-même, de ses collègues de travail ou de ses proches pourront porter un éclairage sur le degré, l’intensité et la durée du préjudice moral subi la victime.

[73]  En l’espèce, la plaignante témoigne du fait qu’elle a été très surprise du congédiement alors qu’on ne lui avait jamais reproché quoi que ce soit auparavant. Elle ne s’y attendait pas. Le stress lié aux conséquences financières a été important par après. Son conjoint a dû prendre un second emploi pour subvenir aux besoins de la famille. La plaignante rapporte que même aujourd’hui, quand elle y repense, ça lui fait encore de la peine. Elle a perdu un peu de confiance en elle. La situation lui a créé une angoisse, le doute quant à sa compétence et sa capacité de retrouver un emploi dans son domaine. Cependant, elle a repris le travail chez un nouvel employeur depuis 13 mois et ça va pour le mieux. L’intensité du stress émotionnel a donc eu une durée limitée.

[74]  Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’un montant de 7 000$ est une compensation juste pour le dommage moral subi par la plaignante.

(c)  Intérêts

[75]  Le montant total d’indemnité est de 13 912,20$, soit 6 912,20$ à titre d’indemnité pour perte de salaire et 7 000$ pour le préjudice moral. Un intérêt est payable sur le montant de 13 912,20$ accordé à titre de redressement, en application du paragraphe 53(4) de la Loi. Ce montant d’intérêt doit être calculé selon la règle 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits la personne (03-05-04), à savoir au taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). L'intérêt devra courir à compter de la date du congédiement jusqu'à la date du versement de l'indemnité.

(d)  Redressements systémiques

[76]  La Commission réclame que des redressements systémiques soient imposés à l’intimé.  Elle demande à ce que l’intimé mette fin aux actes discriminatoires et prenne, en consultation avec la Commission relativement à ses objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, à savoir :

Adopter des lignes de conduite concernant le traitement et l’accommodement des besoins des employées enceintes afin de créer un milieu de travail inclusif pour les employés.

Offrir une formation pour le personnel des ressources humaines et de la gestion sur les obligations en matière de droits de la personne en ce qui a trait à la grossesse en milieu de travail afin de prévenir les pratiques discriminatoires éventuelles.

[77]  Le Tribunal considère que puisque l’intimé n’a aucune politique de ressources humaines visant les congés de maladie ou de grossesse et que les responsabilités en ces matières ne sont pas bien définies, des mesures systémiques telles que demandées par la Commission s’imposent. Dans les circonstances, le Tribunal estime qu'il est indiqué d'ordonner à l'intimé de cesser immédiatement de faire preuve de discrimination à l'endroit de ses employées enceintes, ou en congés de maladie reliés à la grossesse et d’adopter en consultation avec la Commission, conformément aux dispositions énoncées à l’alinéa 53(2)a) de la Loi, dans les six mois de la présente décision, des mesures de façon à prévenir des incidents ultérieurs de discrimination fondée sur la grossesse ou la déficience.

Signée par

Marie Langlois

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 1 novembre 2019

 

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2329/8418

Intitulé de la cause : Bernadette Josiane Youmbi Eken c. Réseaux Netrium Inc.

Date de la décision du tribunal : Le 1 novembre 2019

Date et lieu de l’audience : 12 septembre 2019

Montréal (Québec)

Comparutions :

Bernadette Josiane Youmbi Eken, pour elle-même

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Normand Bourkas, pour l'intimé



[1] L.R.C.,1985, ch. H-6.

[2] Comm. ont. des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, par. 28 (« Simpsons-Sears »).

[3] Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP).

[4] Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto, Carswell, 1987), p. 142. Voir aussi Khiamal c. Canada (C.D.P.), 2009 CF 495, par. 60.

[5] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique  Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 67 («Bombardier » )

[6] Appellés « motifs de distinction illicite » par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[7] Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33.

[8]  Bombardier, précité, note 3, par. 40-41

[9] Simpsons-Sears,  précité, note 1, par. 12, 14

[10]  Bombardier, précité, note 3, par. 45 à 52.

[11] A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, par. 16.

[12] Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 (CanLII), par. 67.

[13] Bombardier, précité, note 3, par. 41.

[14] Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, par. 37.

[15] Idem, par. 37 et 40.

[16] Closs c. Fulton Forwarders Incorporated et Stephen Fulton, 2012 TCDP 30 (CanLII), au par. 81.

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