Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 20

Date : le 17 juillet 2020

Numéro du dossier : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l'intimé

- et -

Chiefs of Ontario

- et -

Amnistie internationale

- et -

Nation Nishnawbe Aski

les parties interessées

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig


Table des matières

I. Contexte 1

II. Position des parties 16

A. Position de la Société de soutien 16

B. Position de l’Assemblée des Premières Nations 20

C. Position des Chiefs of Ontario 24

D. Position de la Nation Nishnawbe Aski 25

E. Position du Congrès des peuples autochtones 26

F. Position de la Commission canadienne des droits de la personne 27

G. Position d’Amnistie internationale 29

H. Position du Canada 30

I. Faits survenus après l’audience 34

III. Considérations générales sur les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan 34

A. Considérations qui ne s’appliquent qu’aux fins du principe de Jordan 34

B. Objectif du principe de Jordan et contexte d’admissibilité 36

C. Recours à l’expression « tous les enfants des Premières Nations » par la formation 41

D. Objectif du maintien de compétence par la formation 46

E. Structure 46

IV. Question I 47

A. Introduction 47

B. Identité des Premières Nations et catégories de personnes des Premières Nations admissibles aux fins de l’application du principe de Jordan 49

C. Droit des Premières Nations à l’autodétermination 50

D. Droit international 51

E. Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis 61

F. Loi sur les Indiens 65

G. Traités et article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 68

H. Portée de la plainte 79

I. Conclusion 83

J. Ordonnance 89

V. Question II 89

A. Cadre juridique 89

B. Effet discriminatoire du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et traitement défavorable qui en résulte pour les enfants des Premières Nations 98

C. Projet de loi S‑3 et dispositions sur l’émancipation 104

D. Ordonnance 105

VI. Question III 105

A. Structure 106

B. Analyse 106

VII. Ordonnances 121

VIII. Maintien de la compétence 122

 


I. Contexte

[1] Les plaignantes, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») et l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN »), ont déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle elles allèguent que le financement inéquitable des services d’aide à l’enfance dans les réserves des Premières Nations équivaut à de la discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »).

[2] Dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « Décision sur le bien‑fondé »), la formation a conclu que les plaignantes avaient établi le bien‑fondé de leur plainte selon laquelle les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon se voient refuser l’égalité des services à l’enfance et à la famille ou sont défavorisés dans la fourniture de services à l’enfance et à la famille, en violation de l’article 5 de la LCDP.

[3] Dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a jugé que la définition et l’application du principe de Jordan par le Canada étaient restreintes et inadéquates, ce qui entraînait des lacunes en matière de services, des retards et des refus pour les enfants des Premières Nations. Des retards étaient inhérents au processus de traitement des cas potentiels visés par le principe de Jordan. En outre, l’approche du gouvernement du Canada à l’égard des cas visés par le principe de Jordan était axée uniquement sur les conflits entre les gouvernements fédéral et provinciaux concernant des enfants atteints de multiples déficiences, plutôt que sur les conflits de compétence (y compris entre les ministères du gouvernement fédéral) visant tous les enfants des Premières Nations (et pas seulement ceux souffrant de déficiences multiples). Par conséquent, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (« AADNC »), maintenant Services aux Autochtones Canada (les « SAC »), s’est vu donner l’ordre d’appliquer immédiatement le principe de Jordan, dans sa pleine signification et sa pleine portée (voir la Décision sur le bien‑fondé, aux par. 379 à 382, 458 et 481).

[4] Trois mois après la Décision sur le bien‑fondé, AANC et Santé Canada ont indiqué avoir entamé des discussions concernant ce processus en vue d’élargir la définition du principe de Jordan, d’améliorer sa mise en œuvre et de cibler d’autres partenaires qui devraient prendre part à ce processus. Ils ont prévu qu’un délai de 12 mois serait nécessaire pour amener les Premières Nations, les provinces et les territoires à participer à ces discussions et à présenter des options en vue d’apporter des modifications au principe de Jordan.

[5] Dans une décision sur requête subséquente (2016 TCDP 10), la formation a précisé que son ordonnance enjoignait au gouvernement de mettre en œuvre immédiatement la pleine signification et la pleine portée du principe de Jordan et non pas d’entamer sur‑le‑champ des discussions pour revoir la définition à long terme. La formation a fait observer qu’il existe déjà une définition valable du principe de Jordan, qui a été adoptée par la Chambre des communes, et qu’il n’y a aucune raison pour laquelle cette définition ne pourrait pas être mise en œuvre immédiatement. AANC s’est vu ordonner de considérer immédiatement le principe de Jordan comme incluant tous les conflits de compétence (y compris ceux qui opposent des ministères fédéraux) et visant tous les enfants des Premières Nations (pas seulement ceux atteints de déficiences multiples). La formation a également indiqué que l’organisme gouvernemental qui est contacté en premier devrait payer pour les services sans procéder à un examen des politiques ni tenir de conférences sur le cas avant de fournir le financement (voir 2016 TCDP 10, aux par. 30 à 34).

[6] Par la suite, AANC a indiqué avoir pris les mesures suivantes afin de mettre en œuvre l’ordonnance de la formation :

  • le Ministère a corrigé son interprétation du principe de Jordan pour qu’il ne se limite plus aux enfants des Premières Nations qui vivent dans les réserves et qui ont des déficiences multiples nécessitant des soins de différents fournisseurs de services;
  • il a corrigé son interprétation du principe de Jordan pour qu’il s’applique à tous les conflits de compétence et qu’il englobe désormais ceux qui opposent les ministères fédéraux;
  • les services pour tout cas visé par le principe de Jordan ne devront pas être retardés en raison de conférences sur le cas ou d’examens des politiques;
  • des comités de travail comprenant des fonctionnaires, des directeurs généraux et des sous‑ministres adjoints de Santé Canada et d’AANC assureront la supervision et guideront la mise en œuvre de la nouvelle application du principe de Jordan et offriront une fonction d’appel.

[7] En outre, le Ministère a précisé qu’il entamerait des discussions avec les Premières Nations, les provinces et le Yukon concernant une stratégie à long terme. De plus, AANC a indiqué qu’il produirait un rapport annuel sur le principe de Jordan, qui ferait état, entre autres, du nombre de cas suivis et du montant des fonds dépensés pour traiter des cas particuliers. AANC a également mis à jour son site Web pour refléter les changements ci‑dessus et a affiché les coordonnées des personnes à contacter dans les cas visés par le principe de Jordan.

[8] Bien que la formation se soit réjouie de ces changements et des investissements prévus en vue d’appliquer la pleine signification et la pleine portée du principe de Jordan, elle avait encore quelques questions concernant les consultations et l’application intégrale du principe. Dans la décision 2016 TCDP 16, la formation a demandé des renseignements supplémentaires à AANC concernant les consultations tenues à l’égard du principe de Jordan et le processus de gestion des cas visés par ce principe. En outre, AANC a reçu l’ordre de fournir à l’ensemble des Premières Nations et des organismes des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN) les noms et les coordonnées des responsables du principe de Jordan dans chacune des régions.

[9] Enfin, la formation a fait remarquer que la nouvelle formulation du principe de Jordan par AANC semblait, encore une fois, plus restrictive que celle retenue par la Chambre des communes. Plus précisément, AANC limitait l’application du principe aux « enfants des Premières Nations vivant dans les réserves » (plutôt que de l’appliquer à tous les enfants des Premières Nations), de même qu’à [traduction] « ceux atteints de problèmes de santé et ceux qui présentent un problème spécifique à court terme qui nécessite une aide sociale et médicale ». La formation a ordonné à AANC d’appliquer immédiatement le principe de Jordan à tous les enfants des Premières Nations et non pas seulement à ceux qui vivent dans les réserves. Pour être en mesure d’évaluer pleinement les répercussions de la formulation d’AANC du principe de Jordan, la formation a également ordonné au Ministère d’expliquer pourquoi il a formulé sa définition du principe de manière à ce qu’elle s’applique uniquement aux enfants des Premières Nations [traduction] « atteints de problème de santé et à ceux qui présentent un problème spécifique à court terme qui nécessite une aide sociale et médicale » (voir 2016 TCDP 16, aux par. 107 à 120).

[10] En mai 2017, la formation a tiré des conclusions supplémentaires à la lumière des nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés et elle en reproduit partiellement quelques‑unes ci‑dessous par souci de commodité :

Par conséquent, la formation conclut que la preuve présentée dans le cadre de la présente requête démontre que la définition du principe de Jordan appliquée par le Canada ne tient pas complètement compte des conclusions de la décision [sur le bien‑fondé] et qu’elle ne donne pas suffisamment suite aux ordonnances de la formation. Bien que le Canada ait élargi son application du principe de Jordan depuis la décision [sur le bien‑fondé] et qu’il ait éliminé certaines des restrictions qui existaient quant à l’utilisation du principe, il continue de restreindre l’application du principe à certains enfants des Premières Nations.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 67)

Par ailleurs, de nombreuses versions du principe de Jordan mettent l’accent sur les normes en matière de soins et les services comparables, mais cela ne répond pas aux conclusions de la décision [sur le bien-fondé] pour ce qui touche l’égalité réelle et le besoin d’offrir des services adaptés aux cultures (voir la décision [sur le bien‑fondé] au paragraphe 465). Ces normes ne devraient être utilisées que pour établir le niveau minimal de service. Pour assurer l’égalité réelle et la prestation de services adaptés aux cultures, il faut tenir compte des besoins particuliers des enfants et les évaluer; il faut également tenir compte des besoins qui découlent des désavantages historiques et du manque de services dans les réserves et autour de celles‑ci (voir la décision [sur le bien‑fondé] aux paragraphes 399 à 427).

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 69)

Toutefois, les normes en matière de soins ne ciblent pas les lacunes dans les services offerts aux enfants des Premières Nations, que des services semblables soient offerts aux autres enfants canadiens ou non. Comme le document The Way Forward for the Federal Response to Jordan’s Principle – Proposed Definitions l’indique, dans la section sur les facteurs à considérer pour l’option no 1 : [Traduction] « L’accent qui est mis sur un conflit [paiement de services entre les administrations ou au sein de celles-ci] ne tient pas compte des lacunes potentielles dans les services lorsqu’aucune administration ne fournit les services requis. »

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 71, ajout à la citation dans l’original)

Cette lacune potentielle dans les services a été soulignée dans l’affaire Pictou Landing [Conseil de la bande de Pictou Landing c. Canada (Procureur général), 2013 CF 342] et dans la décision [sur le bien‑fondé]. Lorsqu’une politique provinciale a empêché un adolescent des Premières Nations lourdement handicapé de recevoir des soins à domicile parce qu’il vivait dans une réserve, la Cour fédérale a jugé que le principe de Jordan existait précisément pour corriger ce genre de situation (voir Pictou Landing aux paragraphes 96 et 97).

Par ailleurs, les enfants des Premières Nations peuvent avoir besoin de services dont n’ont pas besoin les autres Canadiens, comme l’a expliqué la formation dans la décision [sur le bien‑fondé], aux paragraphes 421 et 422 :

[421] Lors d’une vaste recherche qu’elle a récemment menée afin d’évaluer la santé et le bien-être des membres des Premières Nations vivant dans une réserve, Dre Bombay a constaté que les enfants des survivants des pensionnats indiens avaient vécu davantage d’expériences négatives durant l’enfance et de plus grands traumatismes à l’âge adulte. Ces facteurs semblaient avoir contribué à la manifestation de symptômes de dépression plus importants chez les descendants des survivants des pensionnats indiens (voir l’annexe, pièce 53, p. 373; voir également la Transcription, vol. 40, aux pages 69 et 71).

[422] Le témoignage de Dre Bombay permet de comprendre les besoins des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille. De manière générale, il montre que ces besoins sont plus grands pour les Autochtones qui vivent dans les réserves. En mettant l’accent sur la prise en charge des enfants, le Programme des SEFPN, les modèles de financement correspondants et les autres ententes provinciales/territoriales connexes perpétuent les dommages causés par les pensionnats indiens plutôt que de tenter d’y remédier. L’histoire du système des pensionnats indiens et le traumatisme intergénérationnel qu’il a engendré s’ajoutent aux autres facteurs de risque qui touchent les enfants et familles autochtones, comme la pauvreté et les infrastructures médiocres, et montre bien que les membres des Premières Nations ont davantage besoin de recevoir des services à l’enfance et à la famille adéquats, incluant les mesures les moins perturbatrices et, surtout, des services adaptés aux particularités culturelles.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 72)

[11] De plus, dans la décision sur requête 2017 TCDP 14, la formation a tiré des conclusions supplémentaires qui sont pertinentes au regard des questions dont elle est saisie dans le cadre de la présente décision :

Par conséquent, il est inquiétant que le fait d’aller au-delà de la norme établie pour ce qui touche les soins soit « exceptionnel » compte tenu des conclusions de la décision [sur le bien‑fondé], que le Canada a acceptées et auxquelles il ne s’est pas opposé. La discrimination ciblée dans la décision [sur le bien‑fondé] est en partie causée par le manque de coordination entre les programmes, les politiques et les formules de financement sociaux et de santé et par la façon dont ils sont conçus et utilisés. Le but de ces programmes, de ces politiques et de ces formules de financement devrait être de répondre aux besoins des enfants et des familles des Premières Nations. Il faudrait améliorer la coordination entre les ministères fédéraux afin de s’assurer qu’ils répondent à ces besoins, qu’ils ne causent pas d’effets néfastes et que les services ne sont pas retardés ou refusés aux Premières Nations. Au cours de la dernière année, la formation a accordé au Canada une certaine souplesse pour mettre un terme à la discrimination ciblée dans la décision [sur le bien‑fondé]. Une réforme a été exigée. Toutefois, en se fondant sur les éléments de preuve présentés dans le cadre de cette requête concernant le principe de Jordan, on constate que le Canada veut continuer d’offrir des politiques et des pratiques qui ressemblent à celles qui ont été jugées discriminatoires. Les nouveaux programmes, politiques, pratiques et formules de financement mis en œuvre par le Canada devraient tenir compte des lacunes précédemment ciblées et ne devraient pas être une simple extension de pratiques antérieures qui n’ont pas fonctionné et qui étaient discriminatoires. Ces programmes, politiques, pratiques et formules de financement devraient être utiles, et corriger et prévenir la discrimination de façon efficace.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 73)

[Non souligné dans l’original.]

L’interprétation étroite que fait le Canada du principe de Jordan, le manque de coordination entre ses programmes axés sur les enfants et les familles des Premières Nations [...], l’accent qui est mis sur les politiques existantes et le fait d’éviter les coûts potentiellement élevés des services n’est pas l’approche appropriée pour mettre un terme à la discrimination. Au contraire, les décisions doivent être prises dans l’intérêt supérieur des enfants. Bien que les ministres de la Santé et des Affaires autochtones se soient engagés à soutenir l’intérêt supérieur des enfants, les renseignements qui proviennent de Santé Canada et d’AANC, comme le souligne la présente décision, ne cadrent pas avec ce qu’ont affirmé les ministres.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 74)

Dans l’ensemble, la formation estime que le Canada ne se conforme pas complètement aux ordonnances rendues précédemment relativement au principe de Jordan dans la présente affaire. Le Canada a adapté ses documents, ses communications et ses ressources pour les harmoniser avec sa définition et son utilisation élargies, mais encore trop étroites, du principe de Jordan. Le fait de présenter une définition fondée sur des critères, sans mentionner qu’il s’agit seulement d’une orientation, ne tient pas compte de tous les enfants des Premières Nations conformément au principe de Jordan. Par ailleurs, le fait de mettre l’accent sur les normes en matière de soins ne garantit pas une réelle égalité pour les enfants et les familles des Premières Nations, ce qui est particulièrement problématique puisque le Canada a avoué avoir eu de la difficulté à cibler les enfants qui satisfont aux critères du principe de Jordan et à encourager les parents d’enfants qui ont des besoins non satisfaits à se manifester (voir la transcription du contre‑interrogatoire de Mme Buckland à la page 43, lignes 1 à 8).

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 75)

[12] Plus loin dans la décision, la formation a écrit ce qui suit :

En attendant qu’une réforme soit entreprise, le principe de Jordan demeure un moyen efficace de combler certaines des lacunes liées à la prestation des services aux enfants et aux familles des Premières Nations qui ont été cernées dans la décision [sur le bien‑fondé]; cependant, l’approche du Canada risque de perpétuer la discrimination et les lacunes relevées dans la décision [sur le bien‑fondé], surtout en ce qui a trait à l’allocation des fonds et des ressources réservés au règlement de certains de ces problèmes (voir la décision [sur le bien‑fondé] au paragraphe 356).

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 78)

En dépit de cela, près d’un an depuis la décision d’avril 2016 et plus d’un an depuis la décision [sur le bien‑fondé], le Canada continue de restreindre la signification et l’objet du principe de Jordan. La formation estime que le Canada ne se conforme pas entièrement aux ordonnances rendues précédemment relativement au principe de Jordan. La formation doit rendre d’autres ordonnances en vertu des alinéas 53(2)a) et b) de la Loi pour s’assurer que le Canada applique le principe de Jordan dans toute sa signification et toute sa portée.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 80)

Les ordonnances rendues dans la présente décision doivent être lues conjointement avec les conclusions susmentionnées et avec les conclusions et les ordonnances contenues dans la décision [sur le bien‑fondé] et les décisions antérieures (2016 TCDP 2, 2016 TCDP 10 et 2016 TCDP 16). Le fait de séparer les ordonnances du raisonnement qui les sous‑tend n’aidera pas à mettre en œuvre les ordonnances de façon efficace et utile afin de répondre aux besoins des enfants des Premières Nations et de mettre un terme à la discrimination.

(Voir 2017 TCDP 14, au par. 133)

[13] Dans le même esprit que celui du paragraphe 16 de la décision 2019 TCDP 7, ce qui précède éclairera également certains des motifs de la présente décision sur requête.

[14] L’ordonnance rendue par le Tribunal le 26 mai 2017 (2017 TCDP 14) exigeait du Canada qu’il se fonde sur des principes clés pour définir et appliquer le principe de Jordan, l’un d’eux étant que le principe de Jordan est un principe qui place l’intérêt de l’enfant en priorité et qui s’applique également à tous les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non.

[15] Le Canada a contesté certains aspects de la décision 2017 TCDP 14 au moyen d’un contrôle judiciaire qui s’est ensuite terminé suivant une ordonnance par consentement du Tribunal modifiant essentiellement certains aspects des ordonnances, avec le consentement des parties, et traitant des délais et des conférences de gestion de cas clinique. Aucune partie à ce contrôle judiciaire n’a remis en question ou contesté l’ordonnance du Tribunal selon laquelle le Canada doit définir et appliquer le principe de Jordan également à tous les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non.

[16] Dans la décision sur requête 2017 TCDP 35, le Tribunal a modifié ses ordonnances pour tenir compte des changements de formulation proposés par les parties. La définition du principe de Jordan ordonnée par la formation et acceptée par les parties est reproduite en caractère gras ci‑dessous :

B. En date de la présente décision, la définition utilisée par le Canada se fondera sur les principes clés suivants afin de définir et d’appliquer le principe de Jordan :

i. Le principe de Jordan est un principe qui place l’intérêt de l’enfant en priorité et qui s’applique également à tous les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non. Il n’est pas limité aux enfants qui sont en situation de déficience ou qui ont, à court terme, des affections médicales ou sociales particulières générant des besoins critiques à recevoir des services de santé et des services sociaux ou ayant une incidence sur leurs activités de la vie quotidienne.

ii. Le principe de Jordan répond aux besoins des enfants des Premières Nations en s’assurant qu’il n’y a pas de lacunes dans les services gouvernementaux qui sont offerts à ces enfants. Il peut notamment répondre aux lacunes dans la prestation des services de santé mentale, d’éducation spécialisée, de kinésithérapie, d’orthophonie et de physiothérapie, ainsi que dans l’obtention d’équipement médical.

iii. Lorsqu’un service gouvernemental, y compris une évaluation de service, est offert à tous les autres enfants, le ministère contacté en premier doit payer pour les services, sans tenir de conférence de gestion administrative de cas, procéder à un examen des politiques, naviguer à travers les différents services, ou toute autre procédure administrative semblable avant que le service recommandé soit approuvé et qu’un financement soit fourni. Le Canada peut uniquement tenir des conférences de gestion de cas cliniques avec des professionnels possédant des compétences et une formation pertinentes avant l’approbation et le financement du service recommandé, dans la mesure où de telles consultations sont raisonnablement nécessaires pour déterminer les besoins cliniques du demandeur. Si des professionnels possédant des compétences et une formation pertinentes sont déjà assignés au dossier d’un enfant d’une Première Nation, le Canada consulte ces professionnels et ne fait appel à d’autres professionnels que si ceux assignés au dossier ne sont pas en mesure de fournir l’information clinique nécessaire. Le Canada peut également consulter la famille, la collectivité de la Première Nation ou les fournisseurs de services pour financer les services dans les délais impartis aux sous‑alinéas 135(2)(A)(ii) et 135(2)(A)(ii.1) lorsque les services sont disponibles. Le Canada déploiera tous les efforts raisonnables afin de s’assurer que le financement est fourni dans un délai qui correspond autant que possible au délai imparti si le service n’est pas disponible. Après l’approbation et le financement du service recommandé, le ministère contacté en premier pourra se faire rembourser par un autre ministère ou gouvernement.

iv. Lorsqu’un service gouvernemental, y compris une évaluation de service, n’est pas nécessairement offert à tous les autres enfants ou, s’il excède la norme en matière de soins, le ministère contacté en premier doit évaluer les besoins particuliers de l’enfant afin de déterminer s’il est opportun de lui offrir le service demandé au nom du principe de l’égalité réelle en matière de fourniture de services, par souci de prestation de services adaptés aux particularités culturelles et/ou de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque de tels services sont offerts, le ministère contacté en premier doit payer pour les services, sans tenir des conférences de gestion de cas administratives, procéder à un examen des politiques, naviguer à travers les différents services ou toute autre procédure administrative semblable avant l’approbation et le financement du service recommandé. Une conférence de gestion de cas clinique peut être tenue seulement aux fins prévues au sous‑alinéa 135(1)(B)(iii). Le Canada peut également consulter la famille, la collectivité de la Première Nation ou les fournisseurs de services pour financer les services dans les délais impartis aux sous‑alinéas 135(2)(A)(ii) et 135(2)(A)(ii.1) lorsque les services sont disponibles. Le Canada déploiera tous les efforts raisonnables afin de s’assurer que le financement est fourni dans un délai qui correspond autant que possible au délai imparti si le service n’est pas disponible. Une fois que le service recommandé aura été fourni, le ministère contacté en premier pourra demander à un autre ministère ou au gouvernement de le rembourser.

v. Bien que le principe de Jordan puisse s’appliquer aux conflits de compétence entre les gouvernements (c.‑à‑d. entre les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux) et aux conflits de compétences entre les ministères d’un même gouvernement, un tel conflit n’est pas une condition nécessaire à l’application du principe de Jordan.

C. Le Canada n’utilisera pas ni ne diffusera une définition du principe de Jordan qui restreigne d’une manière quelconque les principes énoncés au point 1B.

[17] La formation a conclu que bien qu’il soit exact de dire que le Tribunal n’a pas fourni de définition d’« enfant d’une Première Nation » dans ses ordonnances, il est également vrai de dire qu’aucune des parties, y compris le Canada, n’a demandé de clarification sur ce point jusqu’au dépôt de la présente requête. Par souci d’équité, sur cette question, la formation estime, dans l’intérêt supérieur des enfants, qu’elle devrait s’attacher davantage à s’assurer que ses ordonnances de réparation sont efficaces et effectives à la lumière de la preuve dont elle dispose qu’à s’assurer de la conformité du Canada (voir 2019 TCDP 7, au par. 20).

[18] Les parties ont discuté de la question en dehors de la procédure du Tribunal, mais elles ne sont pas encore parvenues à un consensus. Par conséquent, la Société de soutien a demandé au Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la définition d’un « enfant d’une Première Nation » donnée par le Canada aux fins de l’application du principe de Jordan est conforme aux ordonnances du Tribunal.

[19] Dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation s’est dite d’avis que la meilleure façon d’aborder la question de la définition d’un « enfant d’une Première Nation » était de tenir une audience en bonne et due forme. La présidente de la formation a demandé aux parties de présenter des arguments fondés sur le droit international, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA »), les récentes conclusions du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le « CDHNU ») dans la décision McIvor – selon lesquelles la discrimination fondée sur le sexe persiste dans la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, ch. I-5) –, le droit autochtone, les droits de la personne et l’égalité réelle, le droit constitutionnel, etc., afin que la formation puisse prendre une décision éclairée concernant la définition d’un « enfant d’une Première Nation » après cette prochaine audience. Il est primordial d’effectuer cette analyse dans une optique multidimensionnelle, étant donné les incompatibilités probables entre la DNUDPA et la Loi sur les Indiens (voir 2019 TCDP 7, au par. 22).

[20] La formation a ajouté ce qui suit :

[…] si la version actuelle de la Loi sur les Indiens est discriminatoire et exclut des groupes de femmes et d’enfants, il est possible que, n’eût été cette discrimination fondée sur le sexe, les enfants exclus soient considérés comme admissibles à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 22)

[21] Elle a ensuite écrit ce qui suit :

Dans ces circonstances, l’enfant serait évalué par le Canada en vertu des critères d’admissibilité du principe de Jordan pour l’inscription des enfants des Premières Nations ne vivant pas habituellement dans les réserves et qui n’ont pas le statut d’Indien. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une décision finale sur la politique actuelle du Canada en vertu du principe de Jordan, la formation veut aussi s’assurer de concevoir des réparations efficaces qui mettent un terme à la discrimination et empêchent qu’elle ne se reproduise. Inutile de dire qu’elle ne peut tolérer une autre forme de discrimination pendant qu’elle rend ses ordonnances de réparation. D’où la nécessité d’une audience en bonne et due forme sur cette question, au cours de laquelle toutes les parties se pencheraient sur ce qui précède.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 22)

Au cours de l’audition de la requête du 9 janvier 2019, Mme Marchildon, la présidente de la formation, a exprimé le désir de la formation de respecter les droits inhérents des peuples autochtones à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, y compris leur droit de déterminer leur citoyenneté, dans l’élaboration de toutes ses mesures de réparation. Un autre point important est que la formation reconnaît non seulement que ces droits sont inhérents aux peuples autochtones, mais qu’ils sont aussi des droits de la personne d’une importance primordiale. Dans la décision [sur le bien‑fondé] et celles qui ont suivi, la formation a reconnu les pratiques racistes, oppressives et coloniales exercées par le Canada à l’égard des peuples autochtones et enchâssées dans les programmes et systèmes canadiens (voir par exemple la décision 2016 TCDP 2, au paragraphe 402). Par conséquent, elle n’ignore pas que toute réparation qu’elle ordonne doit prendre ces éléments en considération. En fait, dans la décision 2018 TCDP 4, la formation a élaboré une ordonnance créative et novatrice pour s’assurer d’offrir des mesures de réparation immédiates efficaces aux enfants des Premières Nations tout en respectant les principes de la DNUDPA, la relation de nation à nation, les droits des Autochtones à l’autonomie gouvernementale et les droits des détenteurs de droits autochtones. Elle a demandé aux parties de lui faire part de leurs observations, et les parties n’ont formulé aucune suggestion ou observation au sujet de ces ordonnances en particulier. La formation a toujours insisté sur la nécessité de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté dans ses mesures de réparation et sur la nécessité d’éliminer la discrimination et d’empêcher qu’elle ne se reproduise.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 23)

La formation continue de superviser la mise en œuvre et les actions d’AANC, maintenant Services aux Autochtones Canada, en réponse aux conclusions révélant que les enfants et les familles des Premières Nations des réserves et ceux du Yukon se voient refuser les services à l’enfance et à la famille (dont bénéficient les autres Canadiens) et/ou sont traités défavorablement dans la fourniture de services à l’enfance et à la famille, au sens de l’article 5 de la LCDP [voir la décision [sur le bien‑fondé]].

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 24)

Lors de l’audience des 30 et 31 octobre 2019 (audience d’octobre), le témoin du Canada, Dre Valerie Gideon, sous‑ministre adjointe principale de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits au ministère des Services aux Autochtones Canada, a admis dans son témoignage que la décision 2017 TCDP 14, rendue en mai par le Tribunal, ainsi que ses ordonnances sur la définition du principe de Jordan et les mesures de publicité, ont entraîné une forte hausse des affaires concernant des enfants des Premières Nations. En fait, de juillet 2016 à mars 2017, il y a eu environ 5 000 services approuvés selon le principe de Jordan. Après la décision de la formation, ce nombre est passé à un peu moins de 77 000 services approuvés selon le principe de Jordan en 2017‑2018. Ce nombre ne cesse d’augmenter. Au moment de l’audience d’octobre, plus de 165 000 services visés par le principe de Jordan ont maintenant été approuvés en vertu de ce même principe, comme l’a ordonné le Tribunal. Ces données sont confirmées par le témoignage de Dre Gideon et ne sont pas contestées par la Société de soutien. En outre, elles font également partie de la nouvelle preuve documentaire présentée lors de l’audience d’octobre et sont maintenant intégrées au dossier de la preuve du Tribunal. Ces services représentent les lacunes du service et n’auraient pas été fournis aux enfants des Premières Nations sans la définition large du principe de Jordan, telle qu’elle a été ordonnée par la formation. En réponse aux questions de la présidente de la formation, Sophie Marchildon, Dre Gideon a également déclaré que le principe de Jordan n’est pas un programme; il est plutôt considéré comme une règle juridique par le Canada. Ceci est également confirmé dans un document joint comme pièce à l’affidavit de Dre Gideon. Dre Gideon a déclaré avoir rédigé ce document (voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 24 mai 2018, pièce 4, à la page 2). Sous l’en‑tête Our Commitment, ce document, intitulé Jordan’s Principle Implementation-Ontario Region, énonce ce qui suit :

[Traduction]
Le principe de Jordan ne disparaîtra pas.

Le principe de Jordan est une obligation juridique et non un programme et il ne disparaîtra pas […]. Il ne peut y avoir de rupture dans la réponse du Canada à la pleine mise en œuvre du principe de Jordan.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 25)

[Caractères gras ajoutés dans l’original]

La formation est ravie d’apprendre que des milliers de services ont été approuvés depuis qu’elle a rendu ses ordonnances. Il est maintenant prouvé que cette importante mesure de réparation égalitaire a entraîné des changements substantiels pour les enfants des Premières Nations et qu’elle est efficace et mesurable. Bien qu’on puisse encore faire mieux, elle suscite aussi l’espoir. Nous aimerions rendre hommage à Jordan River Anderson et à sa famille pour leur legs. Nous remercions également la Société de soutien, l’APN et la Commission canadienne des droits de la personne d’avoir porté cette question devant le Tribunal, ainsi que la Société de soutien, l’APN, Chiefs of Ontario, la Nation Nishnawbe Aski et la Commission pour leurs efforts inlassables. Nous sommes également reconnaissants envers la Commission de vérité et de réconciliation pour ses conclusions et ses recommandations. Enfin, la formation reconnaît qu’il reste encore beaucoup à faire pour éliminer la discrimination à long terme, mais que le Canada a déployé des efforts considérables pour fournir des services aux enfants des Premières Nations en vertu du principe de Jordan, surtout depuis novembre 2017. Ces efforts sont déployés par des gens comme Dre Gideon et l’équipe du principe de Jordan, et la formation estime qu’ils sont dignes de mention. La Société de soutien l’a également reconnu dans une lettre datée du 17 avril 2018 déposée en preuve (voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, en date du 21 décembre 2018, à la pièce A). Il ne s’agit pas de véhiculer le message selon lequel il faut louanger un système colonial qui a engendré de la discrimination raciale dans tout le pays pour avoir commencé à le corriger. Il s’agit plutôt de reconnaître les efforts déployés par les décideurs et les fonctionnaires pour mettre en œuvre les ordonnances du Tribunal, lesquels ont des répercussions réelles sur la vie des enfants.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 26)

[22] Le 21 février 2019, le Tribunal a rendu une ordonnance de mesures provisoires relativement au principe de Jordan (voir 2019 TCDP 7), dans laquelle il a conclu ce qui suit :

[85] En outre, la formation croit qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants non inscrits vivant hors réserve de rendre une ordonnance temporaire assortie de paramètres qui s’appliqueraient jusqu’à ce que la définition d’un « enfant d’une Première Nation » ait été établie, afin d’éviter des situations comme celle qui s’est produite dans le cas de S.J. D’autant plus qu’il faudra peut-être quelques mois avant que la question soit résolue.

[86] Enfin, la formation constate que les exigences du Canada en matière d’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens sont en corrélation directe avec les personnes qui reçoivent des services en vertu du principe de Jordan, et confirment donc l’importance d’une audience complète sur cette question :

[traduction]
La reconnaissance de l’identité autochtone est une question complexe. En août 2015, le projet de loi S‑3 a modifié la Loi sur les Indiens en créant sept nouvelles catégories d’inscription, en réponse à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en août 2015 dans l’affaire Descheneaux c. Canada. Ces dispositions sont entrées en vigueur en décembre 2017 et, à juste titre, le Canada a réexaminé les demandes présentées en vertu du principe de Jordan pour les enfants qui pourraient avoir été touchés par la décision. (Voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, au paragraphe 15.)

D’autres modifications à la définition en vertu de la Loi sur les Indiens seront élaborées après une période de consultation avec les Premières Nations. Lorsque la partie B du projet de loi S-3 entrera en vigueur, les demandes fondées sur le principe de Jordan seront traitées conformément à la définition qui découlera de ce processus, quelle qu’elle soit. (Voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, au paragraphe 16.)

[87] À la lumière de ses conclusions et de ses motifs, de son approche à l’égard des mesures de réparation et de ses ordonnances antérieures dans la présente affaire, mentionnées ci‑dessus, et, conformément aux alinéas 53(2)a) et b) de la LCDP, la formation ordonne que, en attendant la décision concernant la conformité aux ordonnances du Tribunal de la définition du Canada de l’expression « enfant d’une Première Nation » aux fins de l’application du principe de Jordan, et afin de s’assurer que les ordonnances du Tribunal sont efficaces, le Canada fournisse aux enfants des Premières Nations vivant hors réserve qui ont des besoins urgents ou mettant leur vie en danger, mais qui n’ont pas de statut en vertu de la Loi sur les Indiens (et ne sont pas admissibles à ce statut), les services nécessaires pour répondre à ces besoins urgents ou mettant leur vie en danger, conformément au principe de Jordan.

[88] Cette ordonnance sera exécutée conformément aux principes suivants :

[89] La présente ordonnance de mesures provisoires s’applique à ce qui suit : 1. les enfants des Premières Nations sans statut en vertu de la Loi sur les Indiens qui vivent hors réserve, mais qui sont reconnus comme membres par leur nation, et 2. les enfants qui ont des besoins urgents ou mettant leur vie en danger. Lors de l’évaluation des besoins urgents ou mettant la vie en danger, il faut tenir compte de la gravité de l’état de l’enfant et de l’évaluation de l’enfant faite par un médecin, un professionnel de la santé ou tout autre professionnel participant à l’évaluation de l’enfant. Le Canada doit veiller à ce que la nécessité de combler les lacunes dans les services et celle d’éliminer toutes les formes de discrimination, de même que le principe de l’égalité réelle, les droits de la personne, y compris les droits des Autochtones, l’intérêt supérieur de l’enfant, la DNUDPA et la Convention relative aux droits de l’enfant, guident les décisions concernant les enfants des Premières Nations.

[90] La formation ne se prononce pas sur la question de l’admissibilité au principe de Jordan en fonction du statut ou de l’absence de statut. Cette question sera examinée plus en détail lors d’une audience en bonne et due forme sur le fond de cette question.

[91] La formation souligne l’importance des questions relatives à l’autodétermination et à la citoyenneté des Premières Nations, et la présente ordonnance de mesures provisoires ou toute autre ordonnance ne vise pas à outrepasser les droits des Premières Nations ou à y porter atteinte.

[92] La présente ordonnance de mesures provisoires ne s’applique que jusqu’à la tenue d’une audience en bonne et due forme sur la question de la définition d’un « enfant d’une Première Nation » en vertu du principe de Jordan et jusqu’à ce qu’une ordonnance définitive soit rendue.

[23] La présente décision sur requête traite de la question sur le fond.

II. Position des parties

A. Position de la Société de soutien

[24] La Société de soutien allègue que le Canada restreint de manière inacceptable la portée de l’expression « tous les enfants des Premières Nations » dans le contexte du principe de Jordan, expression formulée dans l’ordonnance de la formation 2017 TCDP 14, au sous‑alinéa 135(1)(B)(i). Plus précisément, la Société de soutien affirme que l’interprétation du Canada n’est pas conforme à l’ordonnance rendue à l’alinéa 135(1)(C) de la même décision sur requête, selon laquelle le « Canada ne doit pas utiliser [...] une définition du principe de Jordan qui restreint d’une manière quelconque les principes énoncés au point B ».

[25] La Société de soutien relève trois catégories d’enfants des Premières Nations que le Canada a, selon elle, accepté d’inclure dans la portée de l’ordonnance :

  1. les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui ont le statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens;
  2. les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui sont admissibles au statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens;
  3. les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui sont visés par un accord ou une entente sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations.

[26] Elle ajoute trois autres catégories d’enfants des Premières Nations qui, à son avis, sont exclues à tort par le Canada, et qui sont au cœur de ses observations :

  1. les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qu’un groupe, une communauté ou un peuple des Premières Nations reconnaît comme membres, conformément aux coutumes ou aux traditions de ce groupe, de cette communauté ou de ce peuple des Premières Nations;
  2. les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations en raison du système des pensionnats indiens, de la rafle des années 60 ou de la discrimination au sein du programme des SEFPN;
  3. les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui n’ont pas le statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens et qui n’y sont pas admissibles, mais dont le parent ou le tuteur a le statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens ou y est admissible.

[27] La Société de soutien ne cherche pas à élargir la portée du principe de Jordan au‑delà des catégories qu’elle mentionne. Plus précisément, elle ne cherche pas, dans le cadre de la plainte, à obtenir réparation pour les personnes qui se déclarent membres des Premières Nations, mais qui ne présentent pas l’un des trois marqueurs objectifs, ni pour les enfants inuits et métis.

[28] Selon la Société de soutien, les ordonnances du Tribunal ont toujours fait référence à « tous les enfants des Premières Nations » sans aucune restriction quant au statut d’Indien aux termes de la Loi sur les Indiens (le « statut d’Indien ») ou au fait de vivre dans une réserve ou non. Elle affirme que le statut d’Indien ou le fait de vivre dans une réserve ne correspondent pas aux motifs de discrimination en l’espèce, qui sont « la race ou l’origine nationale ou ethnique » (2016 TCDP 2, aux par. 6, 23, 395, 396, 459 et 473). Elle prétend que l’application du principe de Jordan à tous les enfants des Premières Nations est conforme aux principes des droits de la personne qui sont axés sur les besoins des enfants. Ne pas tenir compte des demandes présentées à l’égard d’enfants des Premières Nations qui vivent hors réserve et n’ont pas de statut d’Indien donne lieu à de la discrimination fondée sur le fait de vivre dans une réserve ou non. La Société de soutien fait valoir que l’accent devrait être mis sur l’intérêt supérieur et sur les besoins particuliers de chaque enfant d’une Première Nation, et que le statut d’Indien et le fait de vivre dans une réserve ne suffiront pas à cibler tous les enfants des Premières Nations dans le besoin. Elle souligne que le principe de Jordan ne signifie pas que chaque enfant se verra accorder des services. Il prévoit plutôt que les besoins particuliers de tous les enfants des Premières Nations doivent être évalués sur le fond.

[29] La Société de soutien affirme que la définition d’enfant d’une Première Nation appliquée par le Canada ne tient pas compte des enfants qui ont été reconnus comme membres par une Première Nation. Elle fait d’ailleurs remarquer que la présidente de la formation a déjà déclaré, dans le cadre de la présente affaire, que les enfants sont au cœur des communautés des Premières Nations. La Société de soutien affirme que la définition appliquée par le Canada ne reconnaît pas que « [l]es étiquettes culturelles et ethniques ne permettent pas d’établir des limites définies » (Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, au par. 17 [Daniels]). Dans une relation de nation à nation, il est tout indiqué de tenir compte des points de vue des communautés des Premières Nations quant à leur identité. Cette position est conforme à celle de l’Assemblée générale des chefs de même qu’aux principes d’autodétermination qui sous‑tendent l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c. 11. La Société de soutien invoque également l’obligation de fiduciaire du Canada envers les enfants des Premières Nations pour justifier le devoir du Canada de fournir les services visés par le principe de Jordan aux enfants des Premières Nations qui sont reconnus comme membres par leur communauté.

[30] La Société de soutien affirme que les critères d’admissibilité appliqués par le Canada quant au principe de Jordan excluent les enfants des Premières Nations qui ont perdu leurs liens avec leur communauté en raison du système des pensionnats indiens, de la rafle des années 60 ou de la discrimination au sein du programme des SEFPN. Elle renvoie à la conclusion tirée par la formation dans la décision 2018 TCDP 4, au paragraphe 452, selon laquelle « [c]omme il est reconnu qu’une Nation est également formée de sa population, le retrait systématique d’enfants d’une Nation affecte son existence même ». La Société de soutien fait valoir que les enfants des Premières Nations sont victimes de désavantages historiques, peu importe qu’ils aient le statut d’Indien ou qu’ils vivent dans une réserve. Ces désavantages importants sont reconnus dans d’autres contextes, notamment dans le système de justice pénale (voir R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13). Plus précisément, le traumatisme intergénérationnel découlant du déracinement culturel entraîne des désavantages particuliers pour les enfants des Premières Nations (voir Daniels).

[31] La Société de soutien fait valoir que le principe de Jordan doit s’appliquer aux enfants des Premières Nations dont l’un des parents a le statut d’Indien au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, mais qui ne sont eux‑mêmes pas admissibles à ce statut [1] . Les parents et les tuteurs ont un rôle important à jouer en ce qui concerne l’obtention de services pour leurs enfants, et leur statut d’Indien peut rendre difficile l’accès à ces services. Le fait de traiter deux enfants des Premières Nations différemment selon qu’un de leur parent a ou non le statut d’Indien au titre des paragraphes 6(1) ou 6(2) de la Loi sur les Indiens constitue une discrimination fondée sur la situation de famille. La Société de soutien avance que les enfants qui pourraient obtenir le statut d’Indien par suite de la mise en œuvre du projet de loi S‑3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), L.C. 2017, c. 25, ne devraient pas avoir à attendre jusqu’à la mise en œuvre de la Loi pour recevoir des services offerts en vertu du principe de Jordan.

[32] La Société de soutien est d’accord avec les observations d’Amnistie internationale quant aux obligations juridiques internationales du Canada.

[33] La Société de soutien rejette l’argument du Canada suivant lequel le principe de Jordan ne s’inscrit pas dans la portée de la plainte. Elle renvoie à des mentions du principe de Jordan dans son propre exposé des précisions ainsi que dans celui du Canada. En outre, elle s’appuie sur l’arrêt Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44, pour affirmer que, dans une affaire comme celle‑ci, le Tribunal se doit d’adopter une « approche fonctionnelle » à l’égard des actes de procédure. De la même façon, elle rejette l’argument du Canada selon lequel les pouvoirs de supervision du Tribunal se limitent aux enfants et aux familles des Premières Nations qui vivent habituellement dans une réserve, soulignant que le Canada n’a pas demandé le contrôle judiciaire des ordonnances rendues par le Tribunal en lien avec le principe de Jordan.

B. Position de l’Assemblée des Premières Nations

[34] L’APN soutient que l’interprétation que fait le Canada de l’expression « tous les enfants des Premières Nations » ne tient pas adéquatement compte de la compétence des Premières Nations en matière de citoyenneté et de leurs droits à l’autonomie gouvernementale pour déterminer qui devrait être considéré comme un « enfant d’une Première Nation ». Elle avance que l’expression « tous les enfants des Premières Nations » inclut les enfants qui sont reconnus comme membres par leur Première Nation. L’APN souligne que les enfants des Premières Nations qui ont perdu le statut d’Indien et leur lien avec leur communauté des Premières Nations par suite d’actes discriminatoires, comme le système des pensionnats indiens et la rafle des années 60, doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part de la formation. L’APN prétend que la portée de la plainte ne s’étend pas aux autres enfants non inscrits qui vivent hors réserve ni aux enfants métis ou inuits.

[35] Plus précisément, l’APN demande qu’une ordonnance soit rendue afin que le principe de Jordan s’applique aux groupes suivants :

  1. les Indiens inscrits;
  2. les personnes ayant le droit de s’inscrire au registre des Indiens;
  3. les personnes reconnues comme membres par leur Première Nation;
  4. les personnes visées par une entente sur l’autonomie gouvernementale.

[36] L’APN ne se prononce pas sur la question de savoir si les enfants des Premières Nations qui ne sont pas admissibles au statut d’Indien, mais dont l’un des parents a le statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, devraient être visés par l’ordonnance.

[37] L’APN soutient que la Loi sur les Indiens ne reconnaît pas le droit des Premières Nations à l’autodétermination ni l’engagement du Canada quant à la réconciliation et à l’établissement d’une relation de nation à nation avec les Premières Nations. L’APN affirme que l’utilisation faite par le Canada de la Loi sur les Indiens pour déterminer l’appartenance à une Première Nation et pour identifier les enfants des Premières Nations perpétue des politiques coloniales, oppressives et racistes. Le Canada devrait transférer aux Premières Nations la responsabilité de déterminer l’appartenance à une Première Nation. Cette affirmation est appuyée par les lois internationales et nationales, notamment le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, et par les traités conclus avec les Premières Nations. Plus particulièrement, bon nombre des traités accordent à tous les descendants des signataires l’accès aux services gouvernementaux, et les restrictions fondées sur le statut d’Indien vont à l’encontre des dispositions de ces traités. Les rapports fondés sur des traités, en particulier sur les traités numérotés, sont très importants pour de nombreuses communautés des Premières Nations et pour l’identité de leurs membres. Les traités devraient être pris en compte dans la définition d’un enfant des Premières Nations.

[38] L’APN fait valoir que tant les enfants des Premières Nations qui sont reconnus comme membres par leur communauté que ceux qui ont droit au statut d’Indien devraient être inclus dans la définition d’un enfant d’une Première Nation. Malgré les lacunes de la Loi sur les Indiens, notamment en ce qui concerne la discrimination fondée sur le sexe comme celle qui a été reconnue dans la décision McIvor (CDHNU), il n’existe pas d’autre loi qui régit la détermination du statut d’Indien inscrit. Pour ce qui est des enfants des Premières Nations non inscrits qui vivent hors réserve, l’APN fait valoir qu’un lien avec une communauté des Premières Nations est requis. L’APN soutient que le fait de définir « enfant d’une Première Nation » a une incidence sur la compétence des Premières Nations en matière de citoyenneté, même si la définition est établie dans le contexte d’un programme particulier.

[39] L’APN affirme que l’honneur de la Couronne exige du Canada qu’il garantisse la pleine participation des Premières Nations à l’exercice de reconnaissance d’un enfant des Premières Nations. Reconnaître leur droit de déterminer leur citoyenneté de cette manière est conforme à l’obligation de la Couronne de traiter honorablement avec les Premières Nations.

[40] L’APN prétend que même si les critères d’admissibilité du principe de Jordan se concentrent avant tout sur les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant, les droits détenus collectivement par les Premières Nations en matière d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale sont aussi touchés. En outre, l’APN craint que des Premières Nations soient saisies de contestations judiciaires de la part de personnes que des Premières Nations refuseraient de reconnaître comme membres de leur communauté. Elle craint également que l’élargissement des critères d’admissibilité ait pour effet d’épuiser des ressources financières et de priver de services des enfants déjà reconnus comme étant des enfants des Premières Nations. L’APN souligne qu’il arrive souvent que les Premières Nations qui ont des ententes sur l’autonomie gouvernementale ne reçoivent pas de financement pour les membres des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien. Elle affirme qu’un enfant qui n’a pas le statut d’Indien et qui vit hors réserve aurait normalement accès aux services provinciaux ou territoriaux auxquels n’a pas accès un enfant ayant le statut d’Indien et vivant dans une réserve. L’APN reconnaît que le Tribunal peut ordonner au Canada de fournir des ressources supplémentaires afin de maintenir la disponibilité des services visés par le principe de Jordan pour les enfants des Premières Nations ayant déjà été reconnus comme étant admissibles.

[41] L’APN affirme qu’il est difficile de définir qui est membre des « Premières Nations » parce que l’expression décrit plus de 63 groupes organiques, politiques ou culturels plutôt qu’un groupe de personnes d’une même race provenant de diverses régions. Les Premières Nations sont des peuples distincts en vertu du droit international coutumier, ce qui donne lieu à des questions uniques en matière d’identité collective dans un contexte de droits de la personne. En outre, la définition de « Premières Nations » continue d’évoluer à mesure que celles‑ci exercent leur droit à l’autodétermination. Compte tenu de la difficulté de définir l’expression « enfant d’une Première Nation », aucune définition ne devrait être imposée ou dictée aux Premières Nations; la définition devrait plutôt intégrer les points de vue de leurs communautés.

[42] L’APN soutient qu’il serait inapproprié d’adopter des critères liés à l’identité autochtone qui auraient été établis dans d’autres circonstances. Par exemple, il serait inapproprié de s’appuyer sur le critère établi dans l’arrêt R. c. Powley, 2003 CSC 43 quant à l’identité métisse ou sur le critère établi dans R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 quant à l’identité autochtone, aux fins de l’application du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.

[43] L’APN reconnaît que les enfants métis, inuits ou autochtones non inscrits peuvent être victimes de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, mais elle affirme qu’une telle discrimination devrait faire l’objet d’une plainte et d’un dossier de preuve distincts. La plupart des éléments de preuve présentés à l’égard de la plainte sont propres aux membres des Premières Nations ayant un statut d’Indien, et les enfants des Premières Nations vivant dans des réserves ont été reconnus par la formation comme étant particulièrement vulnérables.

[44] Selon l’APN, pour déterminer si un demandeur de services en vertu du principe de Jordan est un membre d’une communauté des Premières Nations, il serait approprié d’appliquer une méthode de validation semblable à celle prévue à la partie X de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. C.11, pour les consultations avec les Premières Nations. Une demande doit être traitée en présumant qu’il existe un lien avec la communauté des Premières Nations. Si la communauté des Premières Nations ne reconnaît pas l’appartenance du demandeur, il revient au Canada de déterminer s’il est admissible. De plus, l’APN signale que l’admissibilité au statut d’Indien fait actuellement l’objet de modifications et elle soutient que ces modifications devraient être prises en compte par la formation. Enfin, l’APN soutient que la participation des Premières Nations au processus de validation pourrait aussi atténuer les préoccupations soulevées par les Chiefs of Ontario et par la Nation Nishnawbe Aski (la « NNA »).

C. Position des Chiefs of Ontario

[45] Dans leurs observations, les Chiefs of Ontario ont voulu présenter les facteurs pratiques à prendre en compte avant d’ordonner que l’expression « tous les enfants des Premières Nations » englobe les enfants reconnus comme membres par leur nation. Plus particulièrement, les Chiefs of Ontario souhaitent contribuer à l’élaboration d’une ordonnance qui peut être mise en œuvre sans retarder la prestation des services offerts aux enfants en vertu du principe de Jordan et qui respecte la compétence des Premières Nations en matière de citoyenneté. Les Chiefs of Ontario demandent notamment que les Premières Nations ne soient pas tenues — par leur devoir de diligence ou toute autre obligation légale — de confirmer la citoyenneté ou de reconnaître des individus d’une façon qui est incompatible avec leurs traditions, leurs lois ou leurs coutumes; que les Premières Nations n’aient pas à mettre en œuvre de nouveaux processus ou systèmes et qu’elles puissent reconnaître la qualité de membre d’un enfant par courriel, lettre ou téléphone; que le Canada accorde du financement aux Premières Nations et aux organisations pertinentes afin d’éduquer les Premières Nations au sujet de l’ordonnance du Tribunal et de renforcer leur capacité à reconnaître la citoyenneté quand des demandes fondées sur le principe de Jordan sont présentées.

[46] Les Chiefs of Ontario ne prennent pas position sur les réparations que demande la Société de soutien pour les enfants qui ont perdu contact avec leur groupe, leur communauté ou leur peuple des Premières Nations.

[47] Les Chiefs of Ontario appuient le droit des Premières Nations de déterminer leur citoyenneté au moyen de leurs propres lois, traditions et coutumes. Le fait qu’il subsiste des difficultés d’ordre pratique ne signifie pas que les Chiefs of Ontario approuvent ou acceptent la Loi sur les Indiens, ni qu’ils cherchent à perpétuer le statu quo dans les cas visés par le principe de Jordan.

[48] Les Chiefs of Ontario cernent les obstacles qui empêchent les Premières Nations d’exercer leur compétence en matière de citoyenneté : le régime de la Loi sur les Indiens, le défaut du Canada de fournir des ressources aux membres des Premières Nations reconnus selon des codes d’appartenance coutumiers, les dérogations aux lois sur la citoyenneté résultant du système des pensionnats indiens, la marginalisation forcée, la rafle des années 60 et le programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. La plupart des Premières Nations n’ont pas de code d’appartenance coutumier, et celles qui n’en ont pas n’ont pas nécessairement des lois, des coutumes ou des traditions codifiées ou établies en matière de citoyenneté.

[49] Les Chiefs of Ontario affirment que toute ordonnance portant sur la reconnaissance d’un enfant par une Première Nation devrait être axée seulement sur le mécanisme permettant de prouver cette reconnaissance, et non sur le moment ou la façon dont les Premières Nations peuvent exercer leur compétence en matière de citoyenneté.

[50] Les Chiefs of Ontario soulignent que, même si les Premières Nations devraient pouvoir exprimer leur point de vue sur la citoyenneté d’un enfant, elles n’ont pas toujours la capacité d’intervenir. C’est particulièrement vrai étant donné les délais de 12 à 48 heures prévus dans l’application du principe de Jordan. Selon les Chiefs of Ontario, les Premières Nations ont besoin de financement pour pouvoir répondre aux questions d’appartenance qui découlent de l’application du principe de Jordan et devraient idéalement avoir la possibilité et la capacité d’élaborer leurs propres codes de citoyenneté ou d’appartenance.

D. Position de la Nation Nishnawbe Aski

[51] La NNA appuie la position de la Société de soutien. Elle soutient que le principe de Jordan doit être appliqué d’une manière non discriminatoire qui respecte la compétence inhérente aux Premières Nations en matière de citoyenneté et qui n’impose pas un fardeau administratif ou une responsabilité juridique aux Premières Nations. Elle souscrit aux observations de la Société de soutien et d’Amnistie internationale, sous réserve de certaines préoccupations concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle souscrit également aux observations des Chiefs of Ontario quant à la compétence et à la capacité des Premières Nations. La NNA appuie les observations de la Société de soutien et de la Commission selon lesquelles le principe de Jordan a toujours fait partie de la plainte.

[52] La NNA fait valoir qu’il est discriminatoire et contraire à l’autodétermination des Premières Nations d’exclure de l’application du principe de Jordan les enfants reconnus par une Première Nation. Le fait que le Canada continue à utiliser le statut d’Indien et la résidence dans une réserve comme critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan est incompatible avec la DNUDPA, l’engagement de réconciliation du Canada, les principes en matière de droits de la personne qui interdisent la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, ainsi que la résidence dans une réserve.

[53] La NNA souligne que toute analyse de « l’intérêt supérieur de l’enfant » commande l’appréciation de la façon dont le principe a été appliqué pour justifier des actes préjudiciables tels que le système des pensionnats indiens, la rafle des années 60 et le système de protection de l’enfance.

E. Position du Congrès des peuples autochtones

[54] De manière générale, le Congrès des peuples autochtones (le « CPA ») appuie la position de la Société de soutien. Le CPA soutient que, pour promouvoir l’égalité réelle, la définition d’« enfant d’une Première Nation » doit être fondée sur l’honneur de la Couronne et, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, devrait privilégier l’inclusion plutôt que l’exclusion. Le CPA demande que des consultations fassent partie des réparations ordonnées.

[55] Le CPA représente les Indiens inscrits et non inscrits, les Métis et les Inuits du Sud vivant hors réserve. Il recense les différents désavantages socio-économiques que subissent ses membres dans la société canadienne. Selon le CPA, les politiques canadiennes constituent l’une des principales raisons pour lesquelles bon nombre de ses membres n’ont pas de liens avec leurs familles et communautés autochtones. Il soutient que ses membres sont particulièrement désavantagés et devraient participer à un processus de réparation axé sur l’égalité réelle.

[56] Le CPA soutient que l’honneur de la Couronne est un principe constitutionnel qui a une incidence sur la façon dont la Couronne doit s’acquitter de ses obligations envers les peuples autochtones. L’honneur de la Couronne commande une négociation de bonne foi et doit être interprété de manière libérale et généreuse.

[57] Le CPA ajoute que, suivant l’arrêt Daniels, la définition d’enfant d’une Première Nation doit être inclusive pour être conforme à la Constitution.

F. Position de la Commission canadienne des droits de la personne

[58] La Commission ne prend pas position sur la requête concernant la définition d’« enfant d’une Première Nation », mais présente plutôt des observations sur la compétence du Tribunal et fournit des éléments de preuve de fond qu’elle estime pertinents aux fins de la décision de la formation.

[59] La Commission déclare que le principe de Jordan s’est toujours inscrit dans la portée de la plainte, soulignant que les plaintes ne devraient pas être considérées comme des actes de procédure. L’exposé des précisions ne limitait pas les réparations demandées relativement au principe de Jordan aux personnes ayant le statut d’Indien ou vivant dans une réserve. La formation a déjà traité de la portée du principe de Jordan, notamment en déclarant qu’il s’applique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves, ce que le Canada ne devrait pas pouvoir contester indirectement.

[60] La Commission souligne qu’il règne une certaine incertitude quant à savoir si le Canada applique actuellement le principe de Jordan aux enfants des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien, mais qui sont reconnus par le code d’appartenance d’une Première Nation visée par un accord sur l’autonomie gouvernementale ou une loi sur l’autonomie gouvernementale. La Commission fait remarquer que le personnel de SAC a récemment indiqué que ces enfants sont admissibles alors que, dans ses observations sur la présente requête, le Canada semble les exclure.

[61] La Commission présente des concepts et des sources de droit susceptibles de se rapporter à la citoyenneté des Premières Nations. Le statut d’Indien en vertu de la Loi sur les indiens en est une représentation, bien qu’il ait été jugé discriminatoire. Les codes d’appartenance coutumiers, reconnus par la Loi sur les Indiens, peuvent être plus ou moins inclusifs que le statut conféré par la loi. Bien souvent, les accords sur l’autonomie gouvernementale conclus par les Premières Nations contiennent des dispositions permettant de déterminer l’appartenance de leurs membres. Les Premières Nations peuvent aussi avoir des lois traditionnelles en matière de citoyenneté. Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et la DNUDPA reconnaissent les principes d’autodétermination.

[62] La Commission soutient qu’il existe un test à deux étapes, élaboré dans l’arrêt Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, qui est habituellement utilisé pour déterminer si les critères d’admissibilité aux prestations ont des effets discriminatoires. La première étape consiste à définir l’objet du régime de prestations en question. La deuxième étape consiste à déterminer si les critères d’admissibilité aux prestations permettent de verser adéquatement les prestations aux personnes que le régime vise sur le plan des besoins et de la situation.

[63] La Commission soutient que, suivant des décisions rendues antérieurement par la formation, le principe de Jordan a pour but de garantir que les services offerts aux enfants des Premières Nations ne sont pas retardés en raison de problèmes de compétence et de promouvoir l’égalité réelle en proposant des services qui vont au-delà de la norme en matière de soins et répondent aux besoins réels des enfants des Premières Nations. La Commission estime que la formation devrait se demander si les critères établis par le Canada conviennent pour cibler les enfants des Premières Nations dont les besoins sont ceux visés par le principe de Jordan. La Commission n’est pas en mesure de trouver des éléments de preuve dans le dossier démontrant que les enfants de Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et vivant hors réserve font face à des conflits de compétence lorsqu’ils veulent obtenir des services. Toutefois, la formation devrait tenir compte de tout élément prouvant que ces enfants ont des besoins réels qui vont au-delà de la norme en matière de soins et trouvent leur source dans le désavantage historique et contemporain qui sous-tend l’analyse de l’égalité réelle. La Commission relève des passages tirés des arrêts Daniels et Lovelace c. Ontario, 2000 CSC 37, de la Cour suprême du Canada, portant sur la situation des membres des Premières Nations vivant hors réserve qui n’ont pas le statut d’Indien.

[64] En ce qui concerne les Premières Nations qui sont tenues de confirmer l’appartenance d’un enfant qui sollicite des services offerts en application du principe de Jordan, la Commission s’oppose à l’inclusion dans l’ordonnance finale d’une disposition limitant la responsabilité ou l’indemnisation. Selon elle, une ordonnance annulant de futures obligations de diligence ou responsabilités ou ordonnant au Canada d’indemniser les Premières Nations outrepasse les pouvoirs que la loi confère au Tribunal. La Commission fait valoir qu’un tel cas pourra être traité de manière appropriée quand il se présentera, s’il se présente.

G. Position d’Amnistie internationale

[65] Amnistie internationale soutient que l’interprétation faite par le Canada de l’expression « enfant d’une Première Nation » est trop étroite pour respecter les obligations que lui impose le droit international en matière de droits de la personne. Suivant l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, la présomption de conformité signifie que les tribunaux devraient privilégier une interprétation du droit national qui est conforme au droit international. Amnistie internationale affirme que la Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 nº 3 et la DNUDPA s’appliquent tout particulièrement.

[66] Amnistie internationale soutient que le droit international protège le droit à la culture et à l’identité culturelle, qui serait bafoué si le Canada imposait sa définition d’« enfant d’une Première Nation » aux communautés de Premières Nations. Elle souligne que les organisations internationales de défense des droits de la personne ont refusé d’adopter une définition officielle de « peuples autochtones » en raison du préjudice causé par les définitions d’appartenance imposées de l’extérieur. La DNUDPA prévoit expressément l’obligation de maintenir des liens culturels pour les enfants vivant à l’extérieur de leur communauté.

[67] Amnistie internationale souligne que le droit à l’autodétermination des peuples autochtones est protégé par le droit international, notamment par la DNUDPA. Ce droit comprend le droit qu’ont les groupes autochtones de déterminer leurs propres règles d’appartenance conformément à leurs coutumes et traditions.

[68] Amnistie internationale soutient que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant s’applique ici. Ce critère vise à éliminer les obstacles auxquels se heurtent les enfants qui reçoivent des services et oblige le Canada à ne pas créer d’obstacles limitant la capacité des enfants vulnérables à obtenir des services.

[69] Amnistie internationale fait valoir que le droit international, notamment la DNUDPA, oblige les États à prendre des mesures spéciales pour éradiquer la discrimination, notamment des mesures qui visent à redresser les torts ayant eu pour effet de priver les peuples autochtones de leur culture et de leur identité. Les mesures spéciales, dont le but est d’assurer une égalité réelle, doivent être appliquées de manière non discriminatoire.

[70] Amnistie internationale affirme que les considérations budgétaires ne devraient pas avoir d’incidence sur l’étendue des obligations du Canada en matière de droits de la personne, car les États doivent s’efforcer de faire respecter les droits dans la pleine mesure des ressources dont ils disposent.

H. Position du Canada

[71] Le Canada soutient que les critères d’admissibilité qu’il applique pour respecter le principe de Jordan sont conformes aux ordonnances de la formation et qu’ils permettent non seulement d’éviter les conflits de compétence, mais aussi d’assurer l’égalité réelle en finançant des services qui ne sont pas offerts à tous les autres enfants. Plus particulièrement, le Canada ajoute qu’il respecte les ordonnances en rendant admissibles aux services, conformément au principe de Jordan :

  1. les membres inscrits des Premières Nations, vivant à l’intérieur ou à l’extérieur des réserves;
  2. les enfants des Premières Nations qui ont le droit d’être inscrits;
  3. les enfants autochtones, y compris les enfants autochtones non inscrits qui résident ordinairement dans une réserve.

[72] Le Canada déclare qu’il n’est pas approprié d’étendre la portée du principe de Jordan de manière à englober les trois catégories d’enfants des Premières Nations proposées par la Société de soutien. Le Canada soutient que l’absence de consensus entre les parties reflète le fait que la Société de soutien cherche à obtenir une ordonnance élargissant l’application du principe de Jordan au-delà des limites du litige, tel qu’il ressort de la plainte, de l’exposé des précisions et des éléments de preuve, et au-delà de la compétence du Tribunal. Le Canada constate que les autres parties sont assez d’accord pour inclure les enfants de Premières Nations reconnus comme membres par leur groupe, communauté ou peuple, mais il souligne qu’elles ne s’entendent guère sur la façon de procéder à cette reconnaissance. Le Canada déclare que le Tribunal n’a pas compétence pour exiger des Premières Nations qui ne sont pas parties à la présente instance qu’elles participent à un processus visant à reconnaître des demandeurs de services en vertu du principe de Jordan.

[73] Le Canada soutient qu’il a élargi sa définition des critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan pour combler l’écart de financement relevé par la formation et qu’il se conforme à la directive d’appliquer le principe de Jordan « également à tous les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non » (2017 TCDP 14, au par. 135 1.B.i). Le Canada affirme qu’il faut interpréter l’expression « tous les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non » dans le contexte de la plainte et de la preuve entendue, lesquelles étaient axées sur les enfants assujettis au régime de financement du Canada plutôt que sur tous les enfants canadiens qui s’identifient comme membres d’une Première Nation. Le Canada indique que le fait que le régime couvre les enfants inscrits qui vivent à l’extérieur d’une réserve signifie qu’il reconnaît qu’il peut y avoir des lacunes dans les services offerts aux enfants qui, selon les provinces, relèvent de la compétence fédérale. Le fait que soient couverts les enfants autochtones qui vivent dans une réserve et n’ont pas le statut d’Indien montre que la plupart des programmes fédéraux sont fondés sur la résidence et qu’il pourrait y avoir une lacune dans les services si ces enfants n’étaient pas couverts. Le Canada soutient que sa définition des critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan satisfait au test à deux étapes que propose la Commission pour déterminer si un programme de prestations est trop restrictif.

[74] Selon le Canada, la demande de la Société de soutien d’étendre la couverture à d’autres d’enfants des Premières Nations outrepasse la portée de la plainte et la preuve. La plainte fondée sur le principe de Jordan portait sur le fait que le régime de financement du Canada entraînait des lacunes dans la prestation des services aux enfants et aux familles des Premières Nations vivant dans une réserve. Toujours selon le Canada, la formation a reconnu que la plainte déposée contre le Canada était liée au financement des programmes de protection de l’enfance dans les réserves, ce qui constitue une fourniture de services au sens de l’article 5 de la LCDP. Les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et qui résident hors réserve ne reçoivent aucun service du Canada puisqu’ils relèvent exclusivement de la compétence provinciale. Le Canada soutient que la plainte initiale, les exposés des précisions et les segments clés des motifs de la formation font référence aux enfants des Premières Nations vivant dans des réserves. Le Canada affirme que la formation ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et qui résident hors réserve font face aux mêmes problèmes de compétence ou de services que ceux visés par le principe de Jordan. Le Canada soutient que la formation n’a reçu aucune preuve de la part d’un gouvernement provincial ou territorial quant aux services que reçoivent les enfants des Premières Nations vivant hors réserve, ni quant au fait que les enfants vivant hors réserve se butent à des problèmes de compétence lorsqu’ils veulent obtenir des services. Quels que soient les besoins de ces enfants, ils ne sont pas visés par la plainte. Le Canada soutient que les questions vastes et complexes de l’identité et de l’autodétermination des Premières Nations devraient faire l’objet d’une consultation plus large, au-delà de la portée de la plainte.

[75] Le Canada ajoute que son interprétation du principe de Jordan est conforme à la DNUDPA et aux autres obligations internationales en matière de droits de la personne, car il s’assure que les enfants des Premières Nations qui reçoivent un financement fédéral ne sont pas victimes de discrimination. Le Canada indique que la décision McIvor (CDHNU) ne soutient pas une approche plus large dans la définition d’un « enfant d’une Première Nation » admissible aux fins de l’application du principe de Jordan, puisque les modifications apportées au statut d’Indien ne feront pas augmenter le nombre de Premières Nations admissibles à ce statut et n’auront pas non plus d’incidence sur la capacité d’une personne à transmettre à ses enfants le droit au statut d’Indien. Le Canada ne souscrit pas à l’argument soulevé par Amnistie internationale selon lequel le droit international élargit la définition d’« enfant d’une Première Nation » au-delà des enfants visés par la plainte.

[76] Le Canada rejette l’argument selon lequel il a l’obligation de fiduciaire d’élargir l’application du principe de Jordan. Il maintient que l’analyse qu’a faite la formation de cette obligation dans la décision 2016 TCDP 2 se limitait aux enfants et aux familles des Premières Nations qui recevaient des services dans une réserve. Le Canada souligne qu’aucune des trois caractéristiques énoncées dans l’arrêt Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, n’est respectée dans le cas des enfants des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien et vivent hors réserve. Le Canada n’exerce pas le degré de contrôle ou de pouvoir discrétionnaire requis pour donner naissance à une relation de fiduciaire.

[77] Le Canada soutient que le principe de l’honneur de la Couronne ne facilite pas l’interprétation d’« enfant d’une Première Nation ». Il reconnaît que ce principe l’oblige à agir honorablement, mais affirme que les obligations particulières qui surviennent dans le contexte de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers les peuples autochtones ou qui découlent d’obligations de fiduciaire envers les peuples autochtones ou de la conclusion de traités ne s’appliquent pas en l’espèce.

[78] Le Canada est d’avis que l’arrêt Daniels n’aide pas à définir l’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que le partage constitutionnel des pouvoirs permet au Canada de promulguer des lois concernant les Métis et les peuples autochtones sans statut d’Indien, mais ne l’oblige pas à le faire. Dans l’affaire Daniels, les plaignants souhaitaient qu’un jugement déclaratoire soit rendu pour remédier au fait que le Canada n’avait pas reconnu sa responsabilité à l’égard des Métis et des peuples autochtones sans statut d’Indien, ce qui, selon les plaignants, avait privé ces groupes de programmes, de prestations ou de possibilités découlant de traités dont pouvaient bénéficier les personnes ayant un statut d’Indien.

[79] Le Canada estime qu’il n’y a aucune raison d’étendre l’admissibilité à l’application du principe de Jordan au-delà de l’âge de la majorité applicable dans la province ou le territoire concerné. Aucune preuve n’a été présentée lors de l’audience à propos des services offerts aux adultes, et hausser l’âge d’admissibilité aurait des conséquences importantes sur les autres programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux, qui n’ont pas été étudiés.

I. Faits survenus après l’audience

[80] Depuis que la formation a tenu une audience sur cette question et rendu une ordonnance de mesures provisoires, la Société de soutien a informé le Tribunal d’un changement dans le contexte factuel de sa requête en ce qui concerne l’exclusion des enfants des Premières Nations vivant hors réserve qui ne sont pas inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens, ou qui n’ont pas le droit de l’être, de la définition d’« enfant d’une Première Nation » donnée par le Canada aux fins de l’application du principe de Jordan.

[81] Comme il est ressorti du contre-interrogatoire de M. Sony Perron, le 9 mai 2018, le projet de loi S-3 n’est pas pleinement entré en vigueur à la date de la sanction royale. L’entrée en vigueur des articles 2.1, 3.1, 3.2 et 10.1 a été reportée à une date qui sera fixée par le gouverneur en conseil.

[82] La Société de soutien a avisé le Tribunal que les autres dispositions du projet de loi S-3 sont entrées en vigueur le 15 août 2019 conformément au décret C.P. 2019-116, qu’elle a également déposé auprès du Tribunal. Les SAC ont avisé la Société de soutien qu’ils ne disposaient d’aucune projection quant au nombre de personnes touchées par l’entrée en vigueur de ces dispositions, car la quantité de données et d’hypothèses possibles ne permet pas de faire des estimations précises.

[83] La formation a demandé au Canada et aux autres parties s’ils souhaitaient présenter d’autres observations sur cette question en particulier. Ils ont répondu qu’ils n’avaient aucune autre observation à formuler sur cette question.

III. Considérations générales sur les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan

A. Considérations qui ne s’appliquent qu’aux fins du principe de Jordan

[84] Dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation a reconnu qu’il existe une « différence importante » entre le fait de déterminer qui est un « enfant d’une Première Nation » en tant que citoyen d’une Première Nation et qui est un « enfant d’une Première Nation » ayant le droit de recevoir des services en vertu du principe de Jordan, et quels sont les critères d’admissibilité appropriés à utiliser dans ce dernier cas (voir 2019 TCDP 11, au par. 49). Dans la présente décision sur requête, le Tribunal est saisi de la question des critères d’admissibilité à respecter pour bénéficier des services offerts en vertu du principe de Jordan, mais pas de la question de la citoyenneté, qui relève des Premières Nations, et non du Tribunal ou du Canada. Malgré tout, certaines Premières Nations qui sont parties à la présente instance sont préoccupées, car elles considèrent que les deux questions sont étroitement liées. Par conséquent, la formation examinera leurs préoccupations dans la présente décision, comme cela sera expliqué plus en détail ci-après.

[85] La formation a déjà déclaré qu’elle reconnaît les droits de la personne et les droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale inhérents aux Premières Nations, ainsi que l’importance de faire valoir ces droits (voir 2019 TCDP 7, aux par. 23, 89 et 91).

[86] De plus,

[a]u cours de l’audition de la requête du 9 janvier 2019, Mme Marchildon, la présidente de la formation, a exprimé le désir de la formation de respecter les droits inhérents des peuples autochtones à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, y compris leur droit de déterminer leur citoyenneté, dans l’élaboration de toutes ses mesures de réparation. Un autre point important est que la formation reconnaît non seulement que ces droits sont inhérents aux peuples autochtones, mais qu’ils sont aussi des droits de la personne d’une importance primordiale. Dans la décision [sur le bien-fondé] et celles qui ont suivi, la formation a reconnu les pratiques racistes, oppressives et coloniales exercées par le Canada à l’égard des peuples autochtones et enchâssées dans les programmes et systèmes canadiens (voir par exemple la décision 2016 TCDP 2, au paragraphe 402). Par conséquent, elle n’ignore pas que toute réparation qu’elle ordonne doit prendre ces éléments en considération. En fait, dans la décision 2018 TCDP 4, la formation a élaboré une ordonnance créative et novatrice pour s’assurer d’offrir des mesures de réparation immédiates efficaces aux enfants des Premières Nations tout en respectant les principes de la DNUDPA, la relation de nation à nation, les droits des Autochtones à l’autonomie gouvernementale et les droits des détenteurs de droits autochtones. Elle a demandé aux parties de lui faire part de leurs observations, et les parties n’ont formulé aucune suggestion ou observation au sujet de ces ordonnances en particulier. La formation a toujours insisté sur la nécessité de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté dans ses mesures de réparation et sur la nécessité d’éliminer la discrimination et d’empêcher qu’elle ne se reproduise.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 23)

[Soulignement omis.]

[87] Aussi, dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation a souligné « l’importance des questions relatives à l’autodétermination et à la citoyenneté des Premières Nations » et a ajouté que « la présente ordonnance de mesures provisoires ou toute autre ordonnance ne vise pas à outrepasser les droits des Premières Nations ou à y porter atteinte » (voir 2019 TCDP 7, au par. 91, caractère gras omis).

B. Objectif du principe de Jordan et contexte d’admissibilité

[88] La présente décision sur requête n’a pas pour but de modifier de quelque façon la définition formulée par le Tribunal dans les décisions sur requête 2017 TCDP 14 et 35, ni de revoir les conclusions qui avaient mené à ces décisions. Elle vise plutôt, en se basant sur ces ordonnances antérieures, à préciser qui peut recevoir des services en vertu du principe de Jordan conformément aux ordonnances du Tribunal et à déterminer qui devrait définir, et comment définir, qui est un enfant d’une Première Nation aux fins de l’application du principe de Jordan.

[89] Le principe de Jordan est un principe des droits de la personne fondé sur l’égalité réelle. Le critère exposé dans la définition élaborée par le Tribunal dans la décision 2017 TCDP 14, qui vise la fourniture de services « au-delà de la norme établie », favorise l’égalité réelle des enfants des Premières Nations en se concentrant sur leurs besoins particuliers, ce qui doit tenir compte du traumatisme intergénérationnel et d’autres éléments importants qui découlent de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé, ainsi que d’autres désavantages tels que le désavantage historique qu’ils peuvent subir. La définition et les ordonnances reflètent les besoins particuliers et la situation unique des Premières Nations. Le principe de Jordan vise à honorer les obligations nationales et internationales positives du Canada envers les enfants des Premières Nations en application de la LCDP, de la Charte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la DNUDPA, entre autres. De plus, la formation, en s’appuyant sur le dossier de la preuve, a estimé que ce principe est le mécanisme en place le plus rapide pour commencer à éliminer la discrimination constatée en l’espèce dont sont victimes les enfants des Premières Nations, pendant la réforme du programme national. D’autant plus que son objectif d’égalité réelle tient également compte de l’effet cumulé des divers aspects de la discrimination dans tous les services gouvernementaux, qui affecte les enfants et les familles des Premières Nations. L’égalité réelle est tant un droit qu’une réparation en l’espèce : un droit qui est dû aux enfants des Premières Nations à titre de réparation constante et durable de la discrimination et afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Cela s’inscrit bien dans la portée de la plainte.

[90] Les décisions sur requête de la formation portaient sur les services gouvernementaux destinés aux enfants des Premières Nations relevant des champs de compétence fédéral-provincial, fédéral-fédéral et fédéral-territorial. Bien que la formation n’ait pas compétence sur les provinces et territoires, elle a compétence en ce qui concerne l’application par le Canada du principe de Jordan à tous les services fédéraux offerts aux enfants des Premières Nations.

[91] En outre, la portée du principe de Jordan va au-delà du cadre de la plainte déposée devant le Tribunal, puisque la formation a conclu dans la Décision sur le bien-fondé que, bien qu’il ne s’agisse pas à strictement parler d’un concept concernant l’aide à l’enfance, le principe de Jordan est indissociable de la prestation de services à l’enfance (voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 362). Par conséquent, le raisonnement général de la formation sur la protection de l’enfance s’applique aussi aux cas visés par le principe de Jordan. Toutefois, il n’apporte pas toutes les réponses. En ce qui concerne le principe de Jordan, la formation a rendu d’autres décisions sur requête et ordonnances qui font partie de l’analyse.

[92] Par ailleurs, comme l’a déjà indiqué la formation, le principe de Jordan constitue une question distincte dans la présente affaire. Il ne se limite pas au programme de protection de l’enfance; il vise à régler toutes les inégalités et lacunes des programmes fédéraux destinés aux enfants et aux familles des Premières Nations et à faciliter l’accès à ces services qui, selon des décisions précédentes, manquaient de coordination et avaient des effets préjudiciables sur les enfants et les familles des Premières Nations (voir 2016 TCDP 2, 2017 TCDP 14 et 2018 TCDP 4).

[93] De plus,

[l]a discrimination ciblée dans la décision [sur le bien-fondé] est en partie causée par le manque de coordination entre les programmes, les politiques et les formules de financement sociaux et de santé et par la façon dont ils sont conçus et utilisés. Le but de ces programmes, de ces politiques et de ces formules de financement devrait être de répondre aux besoins des enfants et des familles des Premières Nations.

(2017 TCDP 14, au par. 73).

[94] Il convient d’examiner de plus près les différences entre le programme des SEFPN et le principe de Jordan, lequel n’est pas un programme, mais plutôt une règle de droit et un mécanisme juridique qui vise à permettre aux enfants des Premières Nations de recevoir des services sûrs et adaptés à leur culture et à surmonter les obstacles qui découlent souvent des conflits de compétence inhérents à l’organisation des programmes fédéraux du Canada et au cadre constitutionnel du Canada, y compris les conflits propres au partage des pouvoirs.

[95] De plus, bien qu’un conflit de compétences ne soit pas nécessaire pour obtenir des services en vertu du principe de Jordan, l’existence de tels conflits est reconnue depuis la motion 296 (Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes, 43e législature, 1re session, vol. 149, nº 5 (11 décembre 2019), à la p. 279) et elle l’a été dans les décisions sur requête antérieures de la formation. Cela comprend également les conflits entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux.

[96] Par ailleurs, la formation convient avec le Canada que le dossier de preuve et les conclusions sont axés sur les programmes financés par le gouvernement fédéral, le manque de coordination et les lacunes dans les programmes fédéraux offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations et qu’il s’agit là aussi d’un aspect important de l’analyse de services faite selon l’article 5 de la LCDP, auquel le Canada a été tenu de remédier.

[97] Les conclusions du Tribunal quant au principe de Jordan portent également sur le manque de services connexes pour les enfants des Premières Nations qui oblige les parents/pourvoyeurs de soins de ces enfants ou les organismes des SEFPN à aller chercher des services à l’extérieur des réserves. La formation a conclu à un lien entre le fait que les programmes fédéraux ne comblent pas les lacunes dans les services offerts aux enfants vivant dans les réserves et le sous-financement du programme des SEFPN, ce qui entraîne la prise en charge des enfants des Premières Nations ou les oblige à recevoir souvent des services hors réserve. Pour arriver à ses conclusions, la formation a pris en considération les conflits de compétences qui surviennent selon que les enfants vivent dans les réserves ou hors des réserves. Par exemple, dans le dossier de preuve, les lacunes dans les services de santé mentale offerts aux enfants des Premières Nations pris en charge à l’extérieur des réserves ont été examinées. Santé Canada a fourni du financement à court terme pour la crise en santé mentale et la province de la Colombie-Britannique a versé un financement limité pour subvenir aux besoins en santé mentale de longue durée des enfants des Premières Nations pris en charge. Voilà un exemple clair du principe de Jordan où la province devrait offrir le service pour ensuite recouvrer les fonds auprès du gouvernement fédéral. Cette situation s’est produite hors réserve dans le système provincial.

[98] Le document évoqué fait également référence à des scénarios provinciaux vécus dans la région de la Colombie-Britannique et à différentes définitions d’une résidence en réserve ou hors réserve relativement à des lacunes dans la prestation des services (voir Gaps in Service Delivery to First Nation Children and Families in BC Region, aux p. 2 et 3; voir aussi la Décision sur le bien-fondé, au par. 372).

[99] Le principe de Jordan vise à faire en sorte que les enfants des Premières Nations reçoivent les services dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin, et il s’adresse à tous les enfants des Premières Nations du Canada. Ce principe, comme l’a précédemment ordonné la formation, s’applique à tous les services publics, y compris ceux qui dépassent les normes en matière de soins, afin de garantir une égalité réelle, des services adaptés à la culture et afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Autrement dit, les services qui vont au-delà des normes provinciales et territoriales intègrent le principe d’égalité réelle pour les enfants des Premières Nations, vu toute la discrimination constatée dans la présente affaire et plus amplement décrite dans les décisions sur requête de la formation, en particulier les décisions 2017 TCDP 14 et 35. Ces ordonnances lient le Canada, dans les réserves et hors réserve. En outre, selon le principe de Jordan, le gouvernement ou ministère qui reçoit la demande en premier doit payer les services nécessaires et recouvrer les fonds par la suite. Une approche trop stricte du partage des pouvoirs perpétue la discrimination à l’égard des enfants des Premières Nations et crée le préjudice auquel le principe de Jordan cherche à remédier.

[100] Il faut se concentrer sur l’enfant de façon personnalisée et en fonction de ses besoins particuliers afin qu’il reçoive des services adéquats et en temps opportun, sans être pénalisé par des conflits de compétence ou d’autres facteurs incompatibles avec ses besoins. Les enfants des Premières Nations font face à ces obstacles du fait de leur race et de leur origine nationale ou ethnique. C’est ce qui provoque des conflits entre gouvernements et ministères sur la question de savoir qui paiera pour le service.

[101] Cela commande une approche au cas par cas qui tienne compte, par exemple, de la question de savoir si la province ou le territoire considère les enfants des Premières Nations comme une responsabilité fédérale en se fondant uniquement sur le statut d’Indien ou si cette province ou ce territoire tient compte de critères plus larges pour éviter de fournir des services ou d’avoir à réclamer un remboursement de la part du gouvernement fédéral. Une analyse de cas fondée sur le principe de Jordan révélerait probablement si les critères utilisés par la province, le territoire et le gouvernement fédéral provoquent des lacunes dans les services.

L’analyse visant à déterminer s’il y a des effets réellement discriminatoires doit également être menée de manière téléologique, afin de « […] tenir compte de l’ensemble des contextes social, politique et juridique dans lesquels l’allégation est formulée » (voir l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, par. 30). Dans le cas des peuples autochtones du Canada, ce contexte englobe l’héritage de stéréotypes et préjugés découlant du colonialisme, des déplacements de populations et du système des pensionnats (voir les arrêts R. c. Turpin, [1989] 1 RCS 1296, p. 1332; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, par. 66; Lovelace c. Ontario, [2000] 1 RCS 950, par. 69; R. c. Kapp, [2008] 2 RCS 483, par. 59, et R. c. Ipeelee, [2012] 1 RCS 433, par. 60).

(Décision sur le bien‑fondé, au par. 402)

[Non souligné dans l’original.]

C. Recours à l’expression « tous les enfants des Premières Nations » par la formation

[102] Le recours à l’expression « tous les enfants des Premières Nations » dans les décisions du Tribunal, que l’on retrouve aussi dans la preuve présentée au Tribunal, n’était pas basé sur un critère issu de la Loi sur les Indiens. Aucune des décisions sur requête de la formation ne porte sur la Loi sur les Indiens ou sur l’inscription au registre en vertu de la Loi sur les Indiens. Comme l’ont démontré la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête qui ont suivi, la formation comprend le contexte historique et son lien avec la discrimination constatée en l’espèce, et en a tenu compte; c’est ce qui a donné lieu à des ordonnances visant la prestation de services adaptée à la culture. Ce contexte transcende la Loi sur les Indiens et son approche colonialiste à l’égard des gouvernements des Premières Nations.

[103] Ceci étant dit, le Tribunal n’a pas fourni de définition d’« enfant d’une Première Nation » par rapport au principe de Jordan. Il a plutôt défini le principe de Jordan et son applicabilité, y compris la façon dont il sert à éradiquer la discrimination constatée en l’espèce.

[104] La décision sur requête 2016 TCDP 16 a permis de clarifier que l’expression « tous les enfants des Premières Nations » ne s’applique pas seulement aux enfants qui vivent dans des réserves, d’autant plus que le programme même du Canada avait une portée plus large et que les expériences vécues par les enfants des Premières Nations, à cause de la discrimination raciale pratiquée par le Canada, ont poussé plusieurs familles des Premières Nations à faire prendre en charge les enfants hors des réserves dans le but d’accéder aux services. D’ailleurs, l’expression [traduction] « qui vivent habituellement dans une réserve » englobe en partie cet aspect. Une autre réalité de cette affaire est le fait que certains enfants des Premières Nations qui vivent dans une réserve peuvent ne pas avoir le statut d’Indien. Pourtant, ils vivent dans une réserve, ou vivent habituellement dans une réserve, et font face aux mêmes difficultés d’accès aux services dans leurs communautés que les autres enfants vivant dans une réserve qui ont le statut d’Indien, en raison des effets préjudiciables et du manque de services rapprochés exposés dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête qui ont suivi. Ces décisions ont également précisé que l’état de santé d’un enfant ne devrait pas entrer en ligne de compte dans la définition. En d’autres termes, une analyse descendante exigeant qu’un enfant présente des problèmes de santé précis ne constitue pas un critère objectif approprié, puisqu'il est trop restrictif.

[105] De plus, la formation a utilisé l’expression « tous les enfants des Premières Nations » mentionnée dans la motion 296 par laquelle la Chambre des communes a adopté le principe de Jordan. Par conséquent, la formation n’a pas défini qui est un « enfant des Premières Nations » à des fins d’admissibilité à l’application du principe de Jordan. Elle s’est fondée sur la même terminologie que celle employée dans la motion 296 de la Chambre des communes. Elle n’a pas mis l’accent sur la Loi sur les Indiens, le statut d’Indien ou la résidence dans les réserves puisque le principe de Jordan s’applique aux ministères et aux programmes du gouvernement fédéral qui touchent les enfants (voir 2016 TCDP 2, aux par. 391-392; 2017 TCDP 14, aux par. 2, 73-74, 98 et 135). La formation a reconnu dans une décision sur requête précédente, qui a été acceptée par le Canada, le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et l’objectif du Canada de rebâtir la relation de nation à nation, ainsi que la recommandation de la Commission de vérité et réconciliation (la « CVR ») d’utiliser la DNUDPA comme cadre de réconciliation (voir 2018 TCDP 4, au par. 114).

[106] Par ailleurs, la formation a, dans la même décision sur requête, énoncé son objectif d’éliminer la discrimination constatée en l’espèce et a souligné qu’elle « appuie entièrement l’intention du Parlement d’établir une relation de nation à nation et le fait que la réconciliation est l’objectif que vise le Parlement (voir Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), [2016] 1 R.C.S. 99), et [qu’]elle le félicite d’avoir adopté cette démarche » (2018 TCDP 4, au par. 66).

[107] De plus, dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête qui ont suivi, la formation a reconnu les pratiques racistes, oppressives et coloniales exercées par le Canada à l’égard des peuples autochtones et enchâssées dans les programmes et les systèmes canadiens (voir par exemple 2016 TCDP 2, au par. 402). Par conséquent, la formation n’ignore pas que toute réparation qu’elle ordonne doit prendre ces éléments en considération (voir 2019 TCDP 7, au par. 23).

[108] La formation a toutefois précisé dans ses décisions sur requête antérieures que l’expression « tous les enfants des Premières Nations » ne s’applique pas seulement aux enfants qui vivent dans une réserve, mais également à ceux qui vivent hors réserve. La formation a ordonné à AANC, maintenant les SAC, d’appliquer immédiatement le principe de Jordan à tous les enfants des Premières Nations, et pas seulement à ceux qui vivent dans des réserves (voir 2016 TCDP 16, aux par. 107 et 117).

[109] De plus, la formation a conclu ce qui suit :

En ce qui concerne la portée de la nouvelle formulation du principe de Jordan d’AANC, la formation mentionne que la motion adoptée unanimement par la Chambre des communes ne limitait pas l’application du principe aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves, mais à tous les enfants des Premières Nations : « le gouvernement devrait immédiatement adopter le principe de l’enfant d’abord, d’après le principe de Jordan, afin de résoudre les conflits de compétence en matière de services aux enfants des Premières Nations » (voir décision [sur le bien-fondé], au paragraphe 353, non souligné dans l’original). La formulation du principe de Jordan d’AANC n’est pas conforme aux exigences d’admissibilité de son propre Programme des SEFPN, qui s’applique aux Premières Nations « des enfants et des familles des Premières Nations vivant ordinairement dans une réserve » (voir les articles 1.3.2 et 1.3.7 du Manuel national des programmes sociaux du SEFPN 2015 et l’article 1.1 du Manuel national des programmes sociaux 2012 aux par. 52-53 de la décision [sur le bien-fondé]). Ainsi, l’application du principe de Jordan uniquement aux enfants des Premières Nations vivant dans les réserves est plus limitée que la définition du Programme des SEFPN d’AANC. Ce type de restriction entraînera des lacunes en matière de services aux enfants des Premières Nations et ne correspond pas avec la décision [sur le bien-fondé] (voir paragraphes 362, 364 à 382 et 391).

(Voir 2016 TCDP 16, au par. 117)

[110] En outre, dans la Décision sur le bien‑fondé, 2016 TCDP 2, au paragraphe 151, la formation indique :

L’EPN explique le contexte dans lequel les services à l’enfance et à la famille sont offerts aux Premières Nations. Ce contexte inclut les graves traumatismes subis par les membres des Premières Nations et leur famille, traumatismes qui se sont traduits par des problèmes d’identité et des difficultés de fonctionnement pour bon nombre d’entre eux. Ces traumatismes sont notamment attribuables au régime historique des pensionnats indiens et à ses répercussions d’une génération à l’autre. Ils découlent aussi de la migration des membres des Premières Nations à l’extérieur des réserves, un phénomène qui a perturbé le concept traditionnel de la famille (EPN, p. 32 et 33). Comme l’EPN explique, à la page 33 :

[traduction]

Les familles des Premières Nations ont été au centre d’une lutte historique entre, d’une part, les gouvernements coloniaux, qui voulaient éradiquer leur culture, leur langue et leur vision du monde et, d’autre part, la famille traditionnelle, qui croyai[t] en un monde équilibré pour ses enfants et les générations à venir. Cette lutte a entraîné des dysfonctionnements sociaux, un taux de suicide élevé et de la violence, ce qui a eu de vastes répercussions intergénérationnelles.

[111] Il s’agit d’une question grave qui nécessite également une réparation d’ordre non pécuniaire et qui est justifiée par les conclusions et les éléments de preuve de la présente affaire. Dans la Décision sur le bien‑fondé, le Tribunal a ordonné au Canada de cesser ses actes discriminatoires.

[112] Cela étant dit, le Canada, en interprétant les conclusions et les ordonnances de la formation, considère actuellement un enfant des Premières Nations comme admissible à recevoir des services en vertu du principe de Jordan s’il appartient aux catégories suivantes :

a) les enfants des Premières Nations inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens, qui vivent dans une réserve ou hors réserve;

b) les enfants des Premières Nations ayant le droit d’être inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens, qui vivent dans une réserve ou hors réserve;

c) les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien qui vivent habituellement dans une réserve (l’APN semble contester cette catégorie, toutefois elle fait partie des conclusions du Tribunal, au paragraphe 117 de la décision 2016 TCDP 16, précitée);

d) les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien qui vivent hors réserve, mais qui sont reconnus comme membres par leur nation, et qui ont des besoins urgents ou mettant leur vie en danger conformément à l’ordonnance de mesures provisoires 2019 TCDP 7, aux paragraphes 88 et 89.

[113] La formation confirme que les enfants de toutes ces catégories sont admissibles à recevoir des services en vertu du principe de Jordan.

[114] La question à trancher en l’espèce consiste à savoir si les critères d’admissibilité actuels du Canada aux fins de l’application du principe de Jordan réparent les actes discriminatoires, et s’ils tiennent suffisamment compte des motifs, conclusions et ordonnances de la formation.

[115] Comme mentionné dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation est toujours d’avis qu’il serait injuste de conclure que le Canada ne s’est pas conformé aux ordonnances du Tribunal, puisque bien que ce dernier n’ait pas utilisé les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens comme critère d’admissibilité ni limité l’application du principe de Jordan aux enfants vivant dans les réserves, il n’a pas non plus fourni de définition d’un enfant des Premières Nations admissible aux termes de ses ordonnances relatives au principe de Jordan (voir 2019 TCDP 7, au par. 20). Bien qu’il soit exact de dire que le Tribunal n’a pas fourni de définition d’« enfant d’une Première Nation » dans ses ordonnances, il est aussi vrai qu’aucune des parties, y compris le Canada, n’a demandé de clarification sur ce point avant la présente requête. Par souci d’équité sur cette question, la formation estime, dans l’intérêt supérieur des enfants, qu’elle devrait s’attacher davantage à s’assurer que ses ordonnances de réparation sont efficaces à la lumière de la preuve dont elle dispose, qu’à s’assurer de la conformité du Canada. Sur ce point, la formation convient avec la NNA et l’APN que les intérêts supérieurs des enfants devraient être interprétés selon un point de vue autochtone. La formation tient compte des points de vue des Premières Nations quant à l’intérêt supérieur de leurs enfants dans l’analyse des questions de la présente affaire.

[116] La formation est d’avis que le Canada a, dans une large mesure, répondu aux ordonnances du Tribunal relatives au principe de Jordan et qu’il a travaillé dans le but de remédier à la discrimination. Le Canada est passé d’un nombre nul de cas visés par le principe de Jordan en date de l’audience à quelques centaines après la publication de la Décision sur le bien‑fondé, puis à des milliers de demandes approuvées en juillet 2016, pour atteindre plus de 607 000 demandes de services approuvées en date de la présente décision, et ce, pour des enfants des Premières Nations qui autrement n’auraient pas reçu ces services depuis l’ordonnance 2017 TCDP 14 dans laquelle le Tribunal a formulé la définition du principe de Jordan. Cela s’est produit deux ans après la parution du rapport final de la CVR et un an et demi après la publication de la Décision sur le bien‑fondé. Il convient de souligner que cette réussite a été rendue possible par le fait que la formation a conservé sa compétence, ce qui a permis aux parties de présenter des éléments de preuve et de soumettre des requêtes supplémentaires.

[117] À la lumière de ce qui précède, la formation ne tire pas de conclusion de non-conformité à l’encontre du Canada en l’espèce. Elle évaluera plutôt si les critères d’admissibilité du Canada répondent au principe de Jordan, y compris à l’objectif du principe de Jordan établi auparavant par la formation et dont il a déjà été question, ainsi qu’aux ordonnances antérieures de la formation. La formation, suivant l’approche utilisée précédemment, évaluera s’il est nécessaire de rendre d’autres ordonnances dans le but de préciser ses ordonnances antérieures afin d’assurer leur efficacité.

D. Objectif du maintien de compétence par la formation

[118] En conservant sa compétence, la formation évalue si le Canada remédie à la discrimination de manière appropriée et efficace sans répéter les erreurs du passé (voir 2018 TCDP 4, au par. 50).

[119] La formation peut juger nécessaire de rendre d’autres ordonnances si le Canada ne corrige pas les pratiques discriminatoires du passé de manière efficace. Il serait inéquitable que les plaignants, la Commission et les parties intéressées, qui ont eu gain de cause dans la présente affaire, après de nombreuses années et des instances différentes, aient à déposer une autre plainte pour obtenir la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal et la réforme du système de bien‑être à l’enfance des Premières Nations (voir 2018 TCDP 4, au par. 53).

E. Structure

[120] La première question portera sur les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qu’un groupe, une communauté ou un peuple des Premières Nations reconnaît comme membres, conformément aux coutumes ou aux traditions de ce groupe, de cette communauté ou de ce peuple des Premières Nations.

[121] La deuxième question traitera des enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui n’ont pas le statut d’Indien et qui n’y sont pas admissibles, mais dont le parent ou le tuteur a le statut d’Indien ou y est admissible.

[122] La troisième question traitera des enfants des Premières Nations qui vivent à l’extérieur d’une réserve et qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations en raison du système des pensionnats indiens, de la rafle des années 60 ou de la discrimination au sein du programme des SEFPN.

IV. Question I

Les enfants, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qu’un groupe, une communauté ou un peuple des Premières Nations reconnaît comme membres, conformément aux coutumes ou aux traditions de ce groupe, de cette communauté ou de ce peuple des Premières Nations

A. Introduction

[123] La formation considère cette première partie de la présente décision comme un exercice d’interprétation de ce qu’elle entendait couvrir par l’application du principe de Jordan dans ses conclusions et décisions sur requête précédentes, par opposition aux deux autres parties qui, elles, soulèvent de nouvelles questions à l’égard desquelles la formation fera non seulement un exercice d’interprétation, mais tirera également des conclusions à la lumière de la preuve, ou de l’absence de preuve, au dossier.

[124] Dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a appliqué le critère énoncé au paragraphe 33 de l’arrêt Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore] et aux paragraphes 44 à 52 de l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier] (voir 2016 TCDP 2, aux par. 22 à 25).

Dans le contexte de la présente plainte, les plaignantes doivent, selon l’article 5 de la LCDP, démontrer : (1) que les Premières Nations possèdent une ou plusieurs caractéristiques protégées contre la discrimination; (2) qu’AADNC les a privées de services ou les a défavorisées à l’occasion de la fourniture de ces services; (3) que la ou les caractéristiques protégées constitue(nt) un facteur qui a joué dans le refus des services ou de l’effet préjudiciable (Moore c. British Columbia (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33 [Moore]).

(Voir la Décision sur le bien‑fondé, au par. 22)

[125] La formation a appliqué le critère Moore comme suit et a conclu que la plainte était fondée :

C’est donc sous cet angle et en tenant compte de ces principes que le Tribunal a examiné la preuve et les arguments des parties en l’espèce. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’AADNC fournit des services à l’enfance et à la famille aux Premières Nations dans des réserves et au Yukon. De plus, les Premières Nations sont défavorisées à l’occasion de la fourniture de ces services par AADNC et, dans certains cas, elles sont privées de ces services en raison de la participation d’AADNC. Enfin, la race ou l’origine nationale ou ethnique constitue un facteur dans ce refus ainsi que dans les effets préjudiciables subis lors des services offerts par AANDC.

(Voir la Décision sur le bien‑fondé, au par. 28)

[126] En outre, la formation a utilisé un cadre juridique international pour étayer ses motifs quant à l’égalité réelle dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête qui ont suivi.

[127] La formation conclut qu’il n’est pas nécessaire de refaire la même analyse dans la première partie de la présente décision étant donné que les Premières Nations plaignantes se sont acquittées de leur fardeau de preuve et que la discrimination a été établie. Par ailleurs, les refus de service, retards et effets préjudiciables ont tous été établis et faisaient partie de l’analyse de la formation relative au principe de Jordan. Le principe de Jordan forme une partie distincte de la plainte, a une portée plus large que le programme des SEFPN dans les réserves et il s’applique à tous les programmes fédéraux destinés aux enfants des Premières Nations. La formation clarifiera l’emploi de l’expression « tous les enfants des Premières Nations » dans le contexte du droit et de la preuve ayant mené aux conclusions tirées et aux ordonnances antérieures rendues dans le cadre de la présente instance.

[128] Le cadre applicable relatif aux droits de la personne sera abordé plus en détail aux questions II et III de la présente décision. À la lumière des conclusions, motifs, décisions sur requête et ordonnances antérieurs de la formation, et pour les motifs exposés ci-dessous, la formation précise que l’expression « tous les enfants des Premières Nations » englobe également les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien, qui vivent ou non dans des réserves et qui sont reconnus comme citoyens ou membres de leur Première Nation respective en vertu d’ententes ou de traités, de coutumes, de traditions et de lois autochtones, et qui font face aux mêmes obstacles que les enfants des Premières Nations qui vivent dans des réserves et qui ont le statut d’Indien, ou qui y sont admissibles. La situation de ces enfants des Premières Nations peut être soumise à un examen au cas par cas, selon une analyse de l’égalité réelle et conformément aux ordonnances du Tribunal concernant le principe de Jordan.

B. Identité des Premières Nations et catégories de personnes des Premières Nations admissibles aux fins de l’application du principe de Jordan

[129] La formation a reconnu dans son ordonnance de mesures provisoires qu’il existe une « différence importante » entre le fait de déterminer qui peut être qualifié d’« enfant d’une Première Nation » en tant que citoyen d’une Première Nation et qui est un « enfant d’une Première Nation » ayant le droit de recevoir des services en vertu du principe de Jordan, et quels sont les critères d’admissibilité appropriés à utiliser dans ce dernier cas (voir 2019 TCDP 11, au par. 49). Dans le cadre de la présente décision, le Tribunal doit examiner la question des critères d’admissibilité à des services offerts en vertu du principe de Jordan, mais pas celui de la citoyenneté, qui relève des Premières Nations et du Tribunal ou du Canada. Par ailleurs, l’APN, les Chiefs of Ontario et la NNA ont tous présenté des arguments en ce sens, qui doivent être examinés. Les Premières Nations qui sont parties à la présente instance sont préoccupées par ces deux questions et sont fermement convaincues qu’elles sont étroitement liées. Par conséquent, la formation examinera leurs préoccupations dans le cadre de la présente décision. À cet égard, la formation utilisera délibérément la terminologie [traduction] « critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan » pour la distinguer de l’expression [traduction] « définition d’enfant d’une Première Nation » afin d’éviter tout malentendu qui laisserait penser que la formation tente de définir qui est un enfant des Premières Nations pour d’autres raisons que celle de l’admissibilité aux services offerts en application du principe de Jordan.

C. Droit des Premières Nations à l’autodétermination

[130] La formation a déjà indiqué qu’elle reconnaît les droits de la personne et les droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale inhérents aux Premières Nations ainsi que l’importance de respecter ces droits (voir 2019 TCDP 7, aux par. 23, 89 et 91).

[131] Par ailleurs,

[a]u cours de l’audition de la requête du 9 janvier 2019, Mme Marchildon, la présidente de la formation, a exprimé le désir de la formation de respecter les droits inhérents des peuples autochtones à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, y compris leur droit de déterminer leur citoyenneté, dans l’élaboration de toutes ses mesures de réparation. Un autre point important est que la formation reconnaît non seulement que ces droits sont inhérents aux peuples autochtones, mais qu’ils sont aussi des droits de la personne d’une importance primordiale. Dans la décision et celles qui ont suivi, la formation a reconnu les pratiques racistes, oppressives et coloniales exercées par le Canada à l’égard des peuples autochtones et enchâssées dans les programmes et systèmes canadiens (voir par exemple la décision 2016 TCDP 2, au paragraphe 402). Par conséquent, elle n’ignore pas que toute réparation qu’elle ordonne doit prendre ces éléments en considération. En fait, dans la décision 2018 TCDP 4, la formation a élaboré une ordonnance créative et novatrice pour s’assurer d’offrir des mesures de réparation immédiates efficaces aux enfants des Premières Nations tout en respectant les principes de la DNUDPA, la relation de nation à nation, les droits des Autochtones à l’autonomie gouvernementale et les droits des détenteurs de droits autochtones. Elle a demandé aux parties de lui faire part de leurs observations, et les parties n’ont formulé aucune suggestion ou observation au sujet de ces ordonnances en particulier. La formation a toujours insisté sur la nécessité de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté dans ses mesures de réparation et sur la nécessité d’éliminer la discrimination et d’empêcher qu’elle ne se reproduise.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 23)

[Soulignement omis.]

[132] De plus, dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation a souligné « l’importance des questions relatives à l’autodétermination et à la citoyenneté des Premières Nations » et elle a ajouté que « la présente ordonnance de mesures provisoires ou toute autre ordonnance ne vise pas à outrepasser les droits des Premières Nations ou à y porter atteinte » (voir 2019 TCDP 7, au par. 91, caractère gras omis).

[133] Dans la décision 2018 TCDP 4, la formation a conclu que :

les lois nationales, telles que la LCDP, doivent être interprétées de manière à ce qu’elles s’harmonisent avec les engagements du Canada exprimés dans le droit international, ce qui inclut la DNUDPA.

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 81)

[134] La formation a également reconnu « le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et l’objectif du Canada de rebâtir la relation de nation à nation, ainsi que la recommandation de la CVR d’utiliser la DNUDPA comme cadre de réconciliation » (voir 2018 TCDP 4, au par. 114).

[135] Finalement, à cet égard, la formation conclut que l’ensemble des différents instruments juridiques nationaux et internationaux examinés précédemment appuient le droit à l’autodétermination des Premières Nations et donc celui de déterminer qui sont leurs citoyens et leurs membres en dehors du cadre étroit de la Loi sur les Indiens. Cette approche est notamment cohérente avec la notion de protection des droits de la personne individuels et collectifs des Premières Nations exposée dans la DNUDPA et d’autres instruments internationaux pertinents, à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et dans la quasi constitutionnelle LCDP. Elle est également cohérente avec l’engagement public du Canada de mettre en œuvre les recommandations de la CVR, de rebâtir une relation de nation à nation avec les Premières Nations et de faire progresser la réconciliation. Finalement, elle est cohérente avec les approches précédentes du Tribunal, en particulier celles adoptées dans la Décision sur le bien‑fondé et dans la décision 2018 TCDP 4.

D. Droit international

[136] Le Canada a adhéré à la DNUDPA sans réserve, mais ne l’a pas encore adoptée dans le droit interne. Toutefois, le Canada y a entièrement souscrit et s’est engagé à l’appliquer par la révision de ses lois et politiques ainsi que par d’autres initiatives et actions collaboratives. En outre, il importe de souligner que le Tribunal a déjà présenté une analyse de la DNUDPA et montré sa pertinence dans la présente instance.

[137] Dans la décision 2018 TCDP 4, la formation a également réitéré les conclusions tirées dans la Décision sur le bien‑fondé selon lesquelles la LCDP est le fruit de la mise en œuvre en droit interne des principes internationaux en matière de droits de la personne (voir la Décision sur le bien‑fondé, aux par. 437-439 et 2018 TCDP 4, au par. 69).

[138] Par ailleurs, la formation a conclu que

[l]e Canada a été trouvé responsable en vertu de la LCDP d’avoir fait preuve de discrimination à l’endroit des enfants des Premières Nations et de leurs familles. Le Canada est tenu, de par ses obligations internationales et internes, de respecter l’intérêt supérieur des enfants. Le Canada a d’autres obligations à l’égard des enfants autochtones en vertu de la DNUDPA, du principe de l’honneur de la Couronne, de l’article 35 de la Constitution et de sa relation fiduciaire, pour en nommer quelques-uns. Tous ces points ont été analysés dans la Décision [sur le bien-fondé].

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 131)

[139] Comme il a déjà été mentionné dans la Décision sur le bien‑fondé,

[d]ans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 239 [Baker], un appel à l’encontre d’une mesure d’expulsion fondé sur la situation des enfants de Baker, nés au Canada, la Cour suprême a conclu que l’équité procédurale obligeait le décideur à prendre en considération des lois et des conventions internationales, dont la Convention relative aux droits de l’enfant, Can. T.S. 1992 No 3 des Nations Unies (la CNUDE). La Cour a conclu que la décision du ministre devrait suivre les valeurs relevées dans le droit international en matière de droits de la personne.

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 70)

Comme l’a décrit la Société de soutien, les droits de l’enfant sont des droits de la personne, qui reconnaissent que l’enfance est une période de développement importante, assortie de circonstances spéciales.

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 71)

[140] La formation a également conclu ce qui suit :

Revêt une importance particulière, surtout en l’espèce, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Rés. AG 61/295, Doc. off. AG NU, soixante et unième session, Suppl. no 49 Vol. III, UN Doc A/61/49 (2007) (la DNUDPA). Cette déclaration décrit les droits individuels et collectifs des peuples autochtones. En mai 2016, le Canada a entériné la DNUDPA, en disant : « le Canada appuie maintenant pleinement, et sans réserve, la déclaration ».

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 72)

[De plus,] [l]es articles 3, 4, 5, 14, 15, 18 et 21 de la DNUDPA soutiennent les droits des Autochtones à des programmes et à des services justes et équitables, avec des consultations sur leurs institutions sociales, économiques et politiques.

(2018 TCDP 4, au par. 73)

[En outre,] [l]es articles 7, 21(2), 22(1) et 22(2) de la DNUDPA indiquent que les peuples autochtones ont le droit de vivre dans la liberté et de ne pas faire l’objet d’un acte de violence, y compris du transfert forcé de leurs enfants, que les peuples autochtones ont droit à l’amélioration de leur situation économique et sociale, et que les États prennent des mesures en vue d’améliorer les droits et les besoins particuliers des enfants et d’y accorder une attention spéciale.

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 74)

[Soulignement omis.]

[Par ailleurs,] [l]es articles 2, 7 et 22 de la DNUDPA ont directement trait à la protection des enfants autochtones et au droit de ces derniers d’être libres de toute forme de discrimination.

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 75)

Article 7

1. Les autochtones ont droit à la vie, à l’intégrité physique et mentale, à la liberté et à la sécurité de la personne.

2. Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la sécurité en tant que peuples distincts et ne font l’objet d’aucun acte de génocide ou autre acte de violence, y compris le transfert forcé d’enfants autochtones d’un groupe à un autre.

(Voir la DNUDPA)

[141] De plus,

[l]’article 8 de la DNUDPA rappelle aux gouvernements qu’ils ont la responsabilité de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’assimilation forcée et que l’on mette en place des mécanismes efficaces pour éviter de priver les peuples autochtones de leur identité culturelle et de leurs caractéristiques distinctives, de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources, et d’éviter les transferts de population qui violent ou érodent les droits des Autochtones, l’assimilation ou l’intégration forcée, ainsi que la propagande discriminatoire

(Voir 2018 TCDP 4, au par. 76)

[142] Ainsi, l’autodétermination est codifiée à l’article 3 de la DNUDPA, qui prévoit ce qui suit

Article 3

Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

[143] De plus, l’autonomie gouvernementale est codifiée à l’article 4 de la DNUDPA, qui prévoit ce qui suit :

Article 4

Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.

[144] Bien que la DNUDPA doive être interprétée dans son ensemble en tenant compte du fait que tous les droits énoncés sont interdépendants, les articles 5, 9, 15, 18, 19, 23, 33, 34 et 37 de la DNUDPA revêtent une importance particulière :

Article 5

Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État.

Article 9

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit.

Article 15

1. Les peuples autochtones ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations.

2. Les États prennent des mesures efficaces, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones concernés, pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la compréhension et de bonnes relations entre les peuples autochtones et toutes les autres composantes de la société

Article 18

Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.

Article 19

Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés – par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives – avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Article 23

Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’élaborer des priorités et des stratégies en vue d’exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit d’être activement associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d’autres programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer par l’intermédiaire de leurs propres institutions.

Article 33

1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’État dans lequel ils vivent.

2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures.

Article 34

Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.

Article 37

1. Les peuples autochtones ont droit à ce que les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des États ou leurs successeurs soient reconnus et effectivement appliqués, et à ce que les États honorent et respectent lesdits traités, accords et autres arrangements constructifs.

2. Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée de manière à diminuer ou à nier les droits des peuples autochtones énoncés dans des traités, accords et autres arrangements constructifs.

[145] Les droits et l’approche du Tribunal mentionnés précédemment justifient qu’on s’écarte du critère prévu dans la Loi sur les Indiens comme unique moyen de déterminer qui est admissible à recevoir des services en vertu du principe de Jordan.

[146] De plus, en 2015, le Canada a accepté de mettre en œuvre l’ensemble des 94 appels à l’action de la CVR. La protection de l’enfance et le principe de Jordan forment les appels à l’action 1 à 5.

[147] Fait important, la CVR a appelé tous les paliers de gouvernement et la société civile à collaborer et à coordonner leurs efforts pour mettre en œuvre ses appels à l’action. Elle a aussi demandé que les gouvernements adoptent et mettent pleinement en œuvre la DNUDPA en tant que cadre de réconciliation.

[148] En 2018, la formation a conclu que les appels à l’action de la CVR et la DNUDPA éclairaient les motifs et les ordonnances rendues dans leur décision sur requête (voir 2018 TCDP 4, au par. 83). Fait important, cette décision a mené à un protocole de consultation signé par l’ensemble des parties et incluait l’engagement du Canada à se conformer à toutes les ordonnances de la formation, y compris celles qui figurent dans la décision 2018 TCDP 4. Ces mêmes décision et ordonnances ont reconnu la relation de nation à nation et le fait que cette relation implique que les Premières Nations peuvent choisir de diriger leurs propres services d’aide à l’enfance. Ainsi, le Canada a accepté cette décision sur requête, qui s’inspirait de la DNUDPA, dans son intégralité.

[149] Fait important, dans les observations finales de cette même décision, la présidente de la formation a rappelé ce qui suit :

Comme il est reconnu qu’une Nation est également formée de sa population, le retrait systématique d’enfants d’une Nation affecte son existence même.

L’édification d’une relation de Nation à Nation prend toute son importance en mettant un terme aux retraits inutiles des enfants autochtones, de leurs Nations respectives. Réformer la pratique du retrait d’enfants pour la transformer en une pratique consistant à garder les enfants dans leurs foyers et leurs Nations ouvrira une voie de réconciliation […]

(Voir 2018 TCDP 4, aux par. 452 et 453)

[Caractère gras omis.]

[150] De plus, dans l’interprétation des lois canadiennes, il faut présumer – selon la présomption de conformité – que le législateur agit conformément à ses obligations internationales et respecte les valeurs et les principes du droit international. Par ailleurs, en interprétant la portée de l’application de la Charte, la Cour suprême a énoncé ce qui suit dans l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26 :

Lorsque le libellé exprès de la Charte le permet, la détermination de la portée de celle‑ci doit tendre à assurer le respect des obligations du Canada en droit international.

(Voir R. c. Hape, 2007 CSC 26, au par. 56)

[151] Par conséquent, les instruments internationaux comme la DNUDPA devraient guider l’approche contextuelle de l’interprétation des lois.

[152] En conséquence,

le droit international demeure pertinent pour l’interprétation de la portée et du contenu des règles canadiennes en matière de droits de la personne, ainsi que l’a souligné à maintes reprises la Cour suprême du Canada depuis le jugement dissident du juge en chef Dickson dans l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 RCS 313.

(Voir aussi 2016 TCDP 2, au par. 431)

Il en est ainsi parce que le législateur et les assemblées législatives provinciales sont présumés respecter les principes du droit international (voir l’arrêt Baker, par. 81).

(Voir aussi 2016 TCDP 2, au par. 432)

Cette approche conduit souvent la Cour suprême à examiner les décisions et les recommandations des organismes chargés des droits de la personne pour interpréter la portée et le contenu des dispositions du droit interne à la lumière du droit international (voir, par exemple, les arrêts Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 RCS 892, p. 920; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 RCS 315, aux p. 149 et 150; Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, aux par. 26 et 27, et Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, aux par. 154 à 160).

(Voir 2016 TCDP 2, au par. 433)

[153] Dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038, aux pages 1056 et 1057, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’importance du droit international comme outil d’interprétation majeur dans l’application des lois en matière de droits de la personne telles que la Charte :

Comme on l’a dit dans l’arrêt Oakes, précité, à la p. 136, parmi les valeurs fondamentales essentielles à notre société libre et démocratique figurent “la dignité inhérente de l’être humain” et “la promotion de la justice et de l’égalité sociales”. Compte tenu particulièrement de la ratification par le Canada du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 49, Doc. A/6316 N.U. (1966), et de l’engagement qu’on y trouve de protéger notamment le droit de travailler sous ses divers aspects figurant à l’article 6 de ce traité, on ne peut douter de l’importance très grande de l’objectif en l’espèce. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), précité, j’ai affirmé à la p. 349 :

Le contenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne est, à mon avis, un indice important du sens de l’expression “bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte”. Je crois qu’il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne.

Étant donné la double fonction de l’article premier que l’on a identifiée dans l’arrêt Oakes, les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne devraient renseigner non seulement sur l’interprétation du contenu des droits garantis par la Charte, mais aussi sur l’interprétation de ce qui peut constituer des objectifs urgents et réels au sens de l’article premier qui peuvent justifier la restriction de ces droits. De plus, aux fins de cette étape de l’examen de la proportionnalité, le fait qu’une valeur ait le statut d’un droit de la personne international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d’un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter un degré élevé d’importance attaché à cet objectif. Cela est en accord avec l’importance que la Cour attribue à la protection des employés en tant que groupe vulnérable dans la société.

[Non souligné dans l’original.]

Au cours des dernières années, la Cour suprême s’est montrée disposée à élargir la pertinence du droit international et à donner effet au rôle et aux actes du Canada dans l’élaboration des normes de droit international, particulièrement dans le domaine des droits de la personne (voir les arrêts États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, par. 81 [Burns], et Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, aux par. 2 et 3). Dans l’arrêt Burns, la Cour suprême a souligné que le Canada préconisait l’abolition de la peine de mort et qu’il participait à plusieurs initiatives multilatérales visant à modifier les accords en matière d’extradition dans le cas de personnes susceptibles d’être condamnées à la peine de mort. Selon la Cour, ces actions empêchent le Canada d’extrader aux États-Unis une personne passible de cette peine sans obtenir l’assurance préalable qu’elle ne serait pas exécutée. Le même raisonnement s’applique dans la présente affaire, étant donné que le Canada a exprimé à maintes reprises à l’échelle internationale ses opinions sur l’importance des droits de la personne.

(Voir la Décision sur le bien‑fondé, au par. 434)

[154] Par ailleurs, dans l’arrêt R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 175, la Cour suprême a cité le livre « Driedger on the Construction of Statutes » (3e éd. 1994) de R. Sullivan, à la page 330 :

[traduction] … le législateur est présumé respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes.

[155] En outre, la formation a écrit ce qui suit dans la Décision sur le bien‑fondé :

Le PIDESC est considéré comme un instrument d’application progressive. Toutefois, dans l’Observation générale n° 20, le 2 juillet 2009 (E/C.12/GC/20), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) a affirmé que, eu égard à leur importance, les principes d’égalité et de non-discrimination doivent recevoir une application immédiate, malgré les dispositions de l’article 2 du PIDESC (voir les par. 5 et 7). Le CDESC a précisé que le PIDESC vise à garantir l’égalité réelle en portant « …une attention suffisante aux groupes de population qui sont en butte à des préjugés hérités de l’histoire ou tenaces, plutôt que de simplement se référer au traitement formel des individus dont la situation est comparable » (par. 8; voir également les par. 9 et 10). Le CDESC a ajouté que l’exercice des droits visés par le Pacte ne doit pas être subordonné au lieu de résidence d’une personne (par. 34).

(2016 TCDP 2, au par. 442)

[Non souligné dans l’original.]

 

En plus d’être partie aux pactes qui protègent les droits de la personne de manière générale, le Canada est partie à des instruments juridiques qui mettent l’accent sur des sujets précis ou qui visent à protéger des groupes de personnes précis. Ainsi, le Canada est partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 660 R.T.N.U. 195 (la CIEDR), ratifiée en 1970. La CIEDR clarifie l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Déclaration universelle, à laquelle elle renvoie dans son préambule. Les articles 1 et 2 définissent la discrimination raciale et enjoignent aux États de prendre toutes les mesures nécessaires pour « assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d’individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d’égalité, le plein exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales », y compris des mesures spéciales, si les circonstances l’exigent. L’article 5 précise la portée de l’interdiction de la discrimination dans la jouissance de certains droits, notamment le droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux.

(2016 TCDP 2, au par. 444)

[Non souligné dans l’original.]

[156] Dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a écrit qu’« [i]l ne faut pas que les déclarations et les engagements du Canada, qu’ils soient exprimés sur la scène internationale ou nationale, ne soient rien de plus qu’un exercice de rhétorique » (voir 2016 TCDP 2, au par. 454).

[157] Bien que la formation ne conclue pas à la violation du droit international puisque le Canada a fait valoir que le Tribunal n’a pas cette compétence, la formation a effectivement compétence pour se fonder sur le droit international pour interpréter la LCDP et les droits de la personne sur le plan national. Encore une fois, c’est ce qu’elle a fait dans la Décision sur le bien‑fondé et les décisions sur requête antérieures, qui n’ont pas été contestées, en particulier à l’égard de l’égalité réelle, qui est au cœur du principe de Jordan. Compte tenu de ce qui précède, la formation conclut que les pratiques et les critères d’admissibilité du Canada aux fins de l’application du principe de Jordan sont restrictifs et incompatibles avec les droits de la personne protégés à l’échelle internationale et qui sont consacrés dans la DNUDPA. Plus important encore, ils ne tiennent pas compte des droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale inhérents aux Premières Nations, des droits de la personne de la plus haute importance que le Canada s’est publiquement engagé à respecter et qui figurent dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, c. 24, dont il sera question ci-dessous.

E. Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis

[158] Bien que l’APN ait indiqué qu’elle militait en faveur de l’inclusion d’un renvoi à la décision du Tribunal dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, c. 24, ce que le Canada a refusé, la formation reconnaît que des termes semblables à ceux utilisés dans sa décision 2016 TCDP 2 se retrouvent dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, particulièrement en ce qui concerne l’égalité réelle.

[159] La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis est entrée en vigueur seulement le 1er janvier 2020, après que la présente requête eut été débattue. Toutefois, elle avait été invoquée par l’APN, et d’autres parties ont eu l’occasion d’en discuter dans le cadre de la présente requête. À ce moment-là, elle avait fait l’objet de la deuxième lecture. Bien que la formation reconnaisse que la loi n’était pas en vigueur au moment de l’audience et qu’aucune disposition ne lui donne un effet rétroactif, elle est d’avis qu’il convient de tenir compte des buts et des intentions du législateur, et des raisons qui ont mené à l’adoption de la loi. De plus, la formation tient compte des règles de droit applicables au moment où elle rend ses ordonnances. À la date où elle rend la présente décision sur requête, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis a force de loi au Canada. Le même raisonnement s’applique au projet de loi S‑3 dont il sera question plus loin. Il est loisible au Tribunal de tenir compte de l’état du droit au moment où il rend ses décisions, en particulier, comme c’est le cas en l’espèce, lorsque les parties ont été en mesure d’anticiper le changement et ont eu l’occasion de présenter des observations pertinentes. Toutefois, le Tribunal ne tiendra pas compte des sources secondaires, comme des rapports publics, qui n’ont pas été invoquées par les parties et qui n’étaient pas disponibles à la date de l’audience.

[160] Le préambule est particulièrement révélateur de l’objectif qu’avait le Parlement quand il a adopté ce texte de loi important.

Préambule

Attendu :

que le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones;

que le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale;

que le Parlement reconnaît les séquelles découlant des pensionnats indiens ainsi que les torts, notamment les traumatismes intergénérationnels, causés aux peuples autochtones par les politiques et les pratiques coloniales;

que le Parlement reconnaît les bouleversements subis par les femmes et les filles autochtones en lien avec les systèmes de services à l’enfance et à la famille et l’importance de les aider à surmonter les désavantages historiques auxquels elles sont confrontées;

que le Parlement reconnaît l’importance de réunir avec leurs familles et leurs collectivités les enfants autochtones qui en ont été séparés dans le cadre de la fourniture de services à l’enfance et à la famille;

que la Commission de vérité et de réconciliation du Canada a lancé des appels à l’Action demandant aux gouvernements fédéral, provinciaux et autochtones de travailler ensemble pour le bien-être des enfants autochtones et demandant l’édiction de dispositions législatives fédérales qui établissent des normes nationales à cette fin;

que le Parlement affirme le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille;

que le Parlement affirme la nécessité :

de respecter la diversité de tous les peuples autochtones, notamment en ce qui a trait à leurs lois, à leurs droits, à leurs traités, à leur histoire, à leur culture, à leur langue, à leurs coutumes et à leurs traditions,

de reconnaître la situation et les besoins propres aux aînés, aux parents, aux jeunes, aux enfants, aux femmes ou aux hommes autochtones, ainsi que ceux propres aux Autochtones ayant un handicap, de diverses identités de genre ou bispirituels,

de combler les besoins des enfants autochtones et d’aider à faire en sorte que les services qui sont fournis à leur égard ne comportent pas de lacune, et ce, qu’ils résident ou non dans une réserve,

[…]

que le gouvernement du Canada reconnaît la demande constante d’obtention d’un financement des services à l’enfance et à la famille qui soit prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones, […].

Par ailleurs, conformément à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis :

corps dirigeant autochtone [signifie un] [c]onseil, un gouvernement ou une autre entité qui est autorisé à agir au nom d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtone qui détient des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

peuples autochtones [s]’entend au sens de peuples autochtones du Canada qui figure au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[161] Le libellé s’apparente à celui de l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés :

25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

L’article 2 de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis prévoit ce qui suit :

La présente loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elle n’y porte pas atteinte.

[162] L’article 7 de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis stipule que « [l]a présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province ».

[163] L’article 8 mentionne :

La présente loi a pour objet :

a) d’affirmer le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille;

b) d’énoncer des principes applicables à la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard des enfants autochtones, et ce, à l’échelle nationale;

c) de contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

[164] À la lumière de ce qui précède, l’intention du législateur était clairement de faire respecter les droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale inhérents aux Premières Nations, aux Inuits et aux Nations métisses, relativement à la protection de l’enfance et à l’égalité réelle, domaines visés par le principe de Jordan et le droit national et international en matière de droits de la personne. Le tout est cohérent avec l’approche de la formation dans cette affaire. De plus, cette intention claire du législateur guide les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan et appuie l’idée de s’écarter des critères prévus dans la Loi sur les Indiens comme seuls moyens de déterminer qui est admissible à recevoir des services en vertu du principe de Jordan.

F. Loi sur les Indiens

[165] La formation se penchera maintenant sur la Loi sur les Indiens, puis sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et les traités.

[166] La Cour suprême du Canada a récemment examiné la Loi sur les Indiens, au paragraphe 4 de l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 :

Depuis son adoption, en 1876, la Loi sur les Indiens régit la reconnaissance du statut d’« Indien ». Dans sa version actuelle, cette loi établit un régime d’inscription prévoyant une liste exhaustive de critères d’admissibilité au statut d’« Indien ». Cependant, les conditions relatives au droit à l’inscription prévues dans la Loi sur les Indiens ne correspondent pas nécessairement aux coutumes propres à chaque communauté autochtone pour ce qui est de définir l’appartenance de ses membres. Elles ne cadrent pas non plus nécessairement avec l’identité ou le patrimoine autochtones. Reste que le statut procure indubitablement des avantages, aussi bien tangibles qu’intangibles.

[167] Comme l’a reconnu la juge Masse dans la décision Descheneaux c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 3555, au paragraphe 230 :

[…] il faudrait aussi considérer que la logique de l’article 6 de la Loi, en prévoyant un « second generation cut off », implique selon l’expert Stewart Clatworthy, qu’en ce qui concerne les bandes des demandeurs, aucun nouvel enfant n’aura droit d’être inscrit au Registre d’ici environ 100 ans dans l’état actuel des choses. S’il y a davantage de personnes inscrites sous 6(1), cela retarde quelque peu l’évolution mais, éventuellement, à cause de la nature du mécanisme prévu à l’article 6, il ne naîtra plus d’enfants ayant droit d’être inscrits au Registre. Aucune preuve ne porte spécifiquement sur les autres bandes indiennes, mais il faut comprendre que le même mécanisme est à l’œuvre.

[168] Les modifications apportées récemment au paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens seront examinées plus loin. Néanmoins, il demeure est que les « Indiens » inscrits au registre en vertu du paragraphe 6(2) ne peuvent pas transmettre le statut d’Indien à leurs enfants, ce qui entraînera inévitablement la situation que la juge Masse décrit plus haut.

[169] L’assemblée des chefs de l’APN a adopté d’importantes résolutions concernant la Loi sur les Indiens et ses effets sur les Premières Nations. Ainsi, les résolutions 30/2017, 71/2016 et 53/2015 prévoient ce qui suit :

Résolution 30/2017

ATTENDU QUE :

[…]

B. Les peuples autochtones subissent depuis longtemps des préjudices et sont victimes de discrimination en raison des dispositions de la Loi sur les Indiens régissant le statut d’Indien.

C. Les lois fédérales promulguées dans le passé, mais toujours en vigueur aujourd’hui, avaient pour objectif d’assimiler les membres des Premières Nations et d’éliminer leur citoyenneté.

[…]

E. Les enfants autochtones perdent leur statut d’Indien après deux générations de mariage avec un non-Indien. Par conséquent, étant donné le nombre actuel de ces mariages, de nombreuses communautés des Premières Nations disparaîtront d’ici quelques générations en raison du déclin rapide du nombre d’Indiens inscrits.

F. Les Premières Nations ont toujours revendiqué leur compétence de déterminer et de définir leur citoyenneté, malgré l’imposition unilatérale par le Canada de la Loi sur les Indiens qui détermine le statut d’Indien.

POUR CES MOTIFS, les Chefs en Assemblée :

1. Confirment la compétence des Premières Nations de déterminer leur propre citoyenneté et admissibilité à leur statut d’Indien inscrit.

71/2016

[…]

POUR CES MOTIFS, les Chefs en Assemblée :

[…]

3. Appellent le Canada à abroger entièrement la disposition invalide et à transférer l’autorité exercée sur la citoyenneté et l’identité aux Premières Nations.

53/2015

ATTENDU QUE

[…]

B. Les citoyens des Premières Nations se sont toujours autogouvernés selon leurs coutumes, leurs lois et leurs traditions, qui comprennent la détermination de leurs identités individuelles et collectives. Le gouvernement fédéral s’est unilatéralement immiscé dans les affaires des peuples autochtones et a enfreint leurs droits inhérents en déterminant quelles personnes sont des Indiens inscrits ou non en vertu des dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens.

[…]

F. Le gouvernement fédéral doit cesser de porter atteinte au droit des Premières Nations de déterminer leurs propres identités individuelles et collectives et reconnaître les personnes qui sont acceptées par les Premières Nations en tant que membres des Premières Nations selon leurs coutumes, lois et traditions.

POUR CES MOTIFS, les Chefs en Assemblée :

3. Enjoignent le gouvernement fédéral de cesser immédiatement d’imposer les critères d’inscription de la Loi sur les Indiens aux Premières Nations et de reconnaître leurs citoyens tels que déterminés par les Premières Nations.

[…]

6. Enjoignent le gouvernement fédéral de fournir des ressources aux Premières Nations pour soutenir l’exercice de leur compétence en matière de citoyenneté.

(Voir l’affidavit de Mme Cindy Blackstock, souscrit le 5 décembre 2018, à titre de pièce « E », onglet 2 du DRSS du 9 janvier).

[170] Dans le cas des conseils de bande constitués aux termes de la Loi sur les Indiens (qui ne sont pas des institutions de conception autochtone), le ministre des Affaires indiennes conserve un vaste pouvoir de révision et d’intervention quant à leurs décisions (voir, par exemple, les art. 66, 67, 79 et 83 de la Loi sur les Indiens).

[171] Tel qu’il a été démontré précédemment, la Loi sur les Indiens visait l’assimilation des peuples des Premières Nations et ne tient pas compte de la façon dont ces peuples se définissent en tant que nations.

[172] Compte tenu de ce qui précède, l’APN et la Société de soutien font valoir qu’un régime législatif qui mènera éventuellement à la formation d’une génération d’enfants des Premières Nations nés sans aucun statut d’Indien ne saurait constituer le seul moyen de désigner les enfants des Premières Nations qui doivent être protégés par le principe de Jordan. La formation souscrit à cette assertion.

G. Traités et article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982

[173] L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et les droits issus de traités des peuples autochtones au Canada, à savoir les Premières Nations, les Inuits et les Métis :

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

[174] La formation est d’accord avec l’APN pour dire que la question de la citoyenneté correspond à l’un des droits ancestraux et issus de traités protégés en vertu du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. En outre, comme on l’a vu, la DNUDPA et d’autres instruments internationaux ratifiés par le Canada confèrent une protection encore plus grande aux droits ancestraux (voir la Décision sur le bien‑fondé, aux par. 431 à 455).

[175] Enfin, les traités jouent également un rôle important dans la protection des droits des Premières Nations. Les traités sont des ententes conclues entre le gouvernement du Canada (ou la Couronne britannique et dont a hérité le Canada), les groupes autochtones et souvent les provinces et les territoires, qui définissent les droits et obligations permanents de toutes les parties. Ces traités énoncent les droits et avantages permanents de chacun des groupes. Les droits issus de traités et les droits ancestraux (communément appelés droits des Autochtones) sont reconnus et confirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et constituent également une portion clé de la DNUDPA que le gouvernement du Canada s’est engagé à adopter. Parmi les traités conclus avec les peuples autochtones se trouvent les traités historiques avec les Premières Nations et les traités modernes (aussi appelés ententes sur les revendications territoriales globales) avec les groupes autochtones. Les traités conclus entre Premières Nations et le Canada, la Constitution, la DNUDPA et la LCDP ont tous préséance sur la Loi sur les Indiens.

[176] La formation se sert de l’importante analyse qui précède lorsque le Canada lui demande de respecter le fait que la Loi sur les Indiens a force de loi au Canada et qu’elle doit l’appliquer. Lorsqu’elle doit appliquer une loi fédérale qui n’est pas quasi constitutionnelle, la formation doit prendre en compte les effets de cette loi sur les droits de la personne quasi constitutionnels sur lesquels elle est appelée à se prononcer. Comme le Canada, la formation estime qu’il ne lui appartient pas en l’espèce de conclure au caractère inopérant de certaines dispositions de la Loi sur les Indiens. Certaines parties ont invoqué la Charte, mais le Tribunal n’est pas saisi d’une contestation fondée sur la Charte dans le cadre de la présente requête.

[177] Cela étant dit, la formation estime qu’il faut se livrer à un exercice d’interprétation pour déterminer si le renvoi à la Loi sur les Indiens, pour établir des critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan, permet ou non d’atteindre l’objectif d’égalité réelle visé par les ordonnances rendues relativement à ce principe, ainsi que l’objectif de la formation d’éliminer la discrimination et de prévenir la récurrence de tels actes.

[178] Ce raisonnement appuie également la réponse de la formation à l’argument du Canada selon lequel celle-ci n’est pas habilitée à élaborer des politiques. L’objectif de la formation est d’éliminer, par rapport au principe de Jordan et non à la Loi sur les Indiens, la discrimination constatée en l’espèce dans la prestation de services. L’interprétation de la formation est axée sur les droits de la personne et l’exécution de ses ordonnances d’une façon efficace et non discriminatoire, et non sur l’élaboration de politiques. Le Tribunal ne cherche pas à élaborer des politiques. Il analyse l’approche adoptée par le gouvernement pour respecter les ordonnances lui enjoignant de mettre fin aux actes discriminatoires en cause et, si les circonstances le justifient, donne des indications sur la manière de mettre fin aux pratiques qui demeurent discriminatoires.

[179] Le Tribunal a compétence pour examiner la présente requête et la requête connexe pour l’obtention d’autres ordonnances, étant donné qu’il demeure saisi du dossier pour surveiller l’exécution de ses ordonnances, garantir leur efficacité et éliminer la discrimination constatée. Ce mécanisme a une portée suffisamment générale pour permettre à la formation d’examiner la question et de rendre des ordonnances de clarification, le cas échéant, si la preuve le justifie.

[180] La formation rejette l’argument du Canada voulant que cet exercice d’interprétation ait pour effet d’élargir la portée de la plainte. Premièrement, la plainte fait partie de la demande, mais ne constitue pas son entièreté. Deuxièmement, le principe de Jordan correspond à un aspect plus général de la demande, vu qu’il englobe la totalité des services gouvernementaux offerts aux enfants des Premières Nations et donne lieu à une interaction avec les provinces et les territoires. Les plaignantes, qui ont eu gain de cause dans la présente affaire, et les éléments de preuve qu’elles ont présentés ne permettent pas de conclure que les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan sont circonscrits par la Loi sur les Indiens.

[181] Enfin, sur ce point, les éléments de preuve et le cadre juridique examinés dans le contexte de la présente requête confirment la compétence du Tribunal pour rendre des ordonnances de clarification, comme on le verra plus loin.

[182] Pour revenir à la question des traités, la formation tient à souligner que, dans ses recommandations, la Commission royale sur les peuples autochtones a défini la citoyenneté comme un droit ancestral protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, en affirmant ceci :

À notre avis, le droit d’une nation autochtone de déterminer ses propres conditions de citoyenneté est un droit ancestral et issu de traités existant au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. En même temps, toutes les règles et les modalités régissant la citoyenneté doivent répondre à certains critères constitutionnels fondamentaux découlant du libellé de l’article 35 lui‑même. Ces critères ont pour objet d’éviter qu’un groupe autochtone puisse exclure injustement qui que ce soit de la participation à l’exercice des droits collectifs ancestraux et issus de traités garantis au paragraphe 35(1), y compris le droit à l’autonomie gouvernementale. En d’autres termes, la garantie accordée à ces droits à l’article 35 pourrait être compromise si une nation était libre de refuser arbitrairement la citoyenneté à certaines personnes, les empêchant ainsi de profiter au même titre que d’autres des droits collectifs reconnus à cet [a]rticle.

[183] En outre, dans l’arrêt R. c. Sioui, 1990 CanLII 103, [1990] 1 R.C.S. 1025, le juge Lamer a fait observer que la Proclamation royale reconnaissait le droit des nations autochtones à l’autonomie dans leurs affaires internes (voir les p. 1052 et 1053). De même, dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010 [Delgamuukw], au paragraphe 145, la Cour suprême du Canada a rappelé que l’affirmation de la souveraineté britannique sur les terres autochtones n’a pas eu pour effet d’écarter les régimes juridiques autochtones préexistants, mais de les protéger.

[184] L’APN soutient que les tentatives de restreindre la portée de la définition d’« enfant d’une Première Nation » en fonction d’idées colonialistes préconçues sur le statut d’Indien, au lieu de s’en remettre à la citoyenneté des Premières Nations et à l’appartenance à celles‑ci, portent atteinte à la compétence des Premières Nations en la matière. L’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 non seulement prévoit que les personnes qui ont un statut d’Indien ou les personnes qui résident dans les réserves relèvent de la compétence fédérale, et qu’elles ont donc droit aux services fédéraux, mais confirme aussi de façon générale que « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens » relèvent de cette même compétence fédérale.

[185] L’APN ajoute que la Cour suprême du Canada a expliqué dans l’arrêt Daniels que l’article 35 a pour objet de protéger les droits des communautés des Premières Nations, alors que le paragraphe 91(24) porte sur les relations du gouvernement fédéral avec les peuples autochtones du Canada (voir Daniels, au par. 49).

[186] De plus, l’APN soutient que Mme Gideon a confirmé dans son affidavit du 24 mai 2018 que, pour les onze Premières Nations autonomes qui sont visées par un accord sur l’autonomie gouvernementale, l’admissibilité à l’application du principe de Jordan dépend de la question de savoir si l’enfant est reconnu par le code d’appartenance de la Première Nation autonome. Cette pratique est confirmée dans un courriel envoyé le 9 janvier 2019 par le directeur régional intérimaire, bureau régional du Nord de SAC. Ainsi, le Canada a convenu que l’appartenance à une Première Nation autonome a été reconnue comme un critère d’admissibilité pouvant être appliqué.

[187] Dans l’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 RCS 507 [Van der Peet], la Cour suprême a déclaré que l’un des objets fondamentaux du paragraphe 35(1) est la conciliation de la préexistence de sociétés autochtones distinctives avec l’affirmation de la souveraineté de Sa Majesté (voir le par. 49; voir aussi le par. 50 quant à l’importance de tenir compte du point de vue des Autochtones pour réaliser la conciliation).

[188] Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne (voir Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Nation haïda], au par. 20).

[189] Dans les arrêts Van der Peet, au paragraphe 42, et Delgamuukw, au paragraphe 112, la Cour suprême du Canada a défini les droits des Autochtones comme une forme de droit « intersociétal », découlant de l’interaction des systèmes juridiques autochtones préexistants et du système de common law. La Cour a également reconnu, notamment dans l’arrêt Nation Haïda, au paragraphe 20, que les nations autochtones jouissent d’une souveraineté préexistante. La Cour suprême a laissé entendre l’existence du droit à l’autonomie gouvernementale, en reconnaissant par exemple dans l’arrêt Delgamuukw que le titre autochtone est détenu collectivement, situation qui nécessite une certaine forme d’autonomie gouvernementale pour réglementer l’utilisation par la collectivité de ses terres (voir Delgamuukw, au par. 115).

[190] Qui plus est, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 [Renvoi relatif à la sécession], au paragraphe 114, la Cour suprême du Canada a examiné le droit des peuples à l’autodétermination en droit international :

L’existence du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes est aujourd’hui si largement reconnue dans les conventions internationales que ce principe a acquis un statut supérieur à celui d’une « convention » et est considéré comme un principe général du droit international. (A. Cassese, Self‑determination of peoples: A legal reappraisal (1995), aux pp. 171 et 172; K. Doehring, « Self‑Determination », dans B. Simma, éd., The Charter of the United Nations: A Commentary (1994), à la p. 70.)

[191] Si l’on comprend que la conciliation de la souveraineté préexistante des peuples autochtones et de la souveraineté proclamée de la Couronne constitue un principe fondamental de notre ordre constitutionnel, la Constitution, tant écrite que non écrite, doit être interprétée dans le contexte de ce principe de conciliation. En effet, pour reprendre les propos de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession, au paragraphe 50, « [c]haque élément individuel de la Constitution est lié aux autres et doit être interprété en fonction de l’ensemble de sa structure ».

[192] Il importe à cet égard de ne pas oublier que la Constitution ne constitue pas un simple regroupement de lois constitutionnelles énumérées à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme le fait observer la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession :

Même si ces textes jouent un rôle de premier ordre dans la détermination des règles constitutionnelles, ils ne sont pas exhaustifs. La Constitution « comprend des règles non écrites ‑‑ et écrites ‑‑ », comme nous l’avons souligné récemment dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, au par. 92. Enfin, selon le Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 874, la Constitution du Canada comprend

le système global des règles et principes qui régissent la répartition ou l’exercice des pouvoirs constitutionnels dans l’ensemble et dans chaque partie de l’État canadien.

Ces règles et principes de base […] font nécessairement partie de notre Constitution, parce qu’il peut survenir des problèmes ou des situations qui ne sont pas expressément prévus dans le texte de la Constitution. Pour résister au passage du temps, une constitution doit comporter un ensemble complet de règles et de principes offrant un cadre juridique exhaustif pour notre système de gouvernement. Ces règles et principes ressortent de la compréhension du texte constitutionnel lui‑même, de son contexte historique et des diverses interprétations données par les tribunaux en matière constitutionnelle.

(Voir Renvoi relatif à la sécession, au par. 32)

[193] La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a statué, dans la décision Campbell v. British Columbia (Attorney General), 2001 BCSC 1400, que l’autonomie gouvernementale autochtone constitue un droit existant et que la compétence autochtone existe indépendamment de la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux prévue à la Loi constitutionnelle de 1867. Voir, par exemple, R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821. La décision Campbell de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique constitue vraisemblablement le plus important cas d’espèce sur l’existence du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, même si cette décision n’a jamais été portée en appel. Il ressort des affaires susmentionnées que les tribunaux pourraient retourner à une interprétation antérieure de la relation entre la Couronne et les peuples autochtones, à savoir une relation entre les cocréateurs autonomes de l’ordre constitutionnel canadien plutôt qu’une relation entre un souverain et ses sujets. Les traités témoignent de l’opinion de la Couronne au sujet des nations autochtones en tant que nations suffisamment indépendantes et autonomes pour justifier le recours aux traités, ce qui suppose que la Couronne reconnaît depuis fort longtemps le pouvoir des peuples autochtones d’exercer leur autonomie gouvernementale. Ces principes n’ont jamais été tout à fait abrogés et continuent donc de soutenir la structure juridique canadienne (voir Patrick Macklem, Normative Dimensions of an Aboriginal Right to Self-Government (1995) 21 Queen’s L.J. 173, à la p. 197).

[194] Dans l’arrêt Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, la Cour suprême s’est penchée sur l’interaction entre le Traité de 1752 entre les Micmacs et la Couronne et l’article 88 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, qui prévoit l’application générale des lois provinciales aux Indiens « [s]ous réserve des dispositions de quelque traité ». Cet arrêt confirme que les droits issus de traités doivent être interprétés « de façon juste, large et libérale » (au par. 27).

[195] La formation estime que le droit applicable aux traités est bien résumé par Ian Peach dans l’article « More than a Section 35 Right: Indigenous Self-Government as Inherent in Canada’s Constitutional Structure » [2] . La formation souscrit entièrement au point de vue de Ian Peach et est tout à fait d’accord avec la caractérisation des traités dans le contexte historique canadien que font les auteurs John Borrows, Patrick Macklem et James Tully; elle estime qu’ils résument de façon concise ce contexte et les règles de droit applicables. L’extrait qui suit exprime l’avis de la formation sur cette question et appuie la position de l’APN sur les traités conclus entre les Premières Nations et le Canada.

[traduction]

Il est probable que la source la plus solide du pouvoir qu’exercent les peuples autochtones en matière d’autodétermination dans l’ordre constitutionnel canadien soit toutefois la confirmation et la reconnaissance par la Couronne de leur souveraineté préexistante et constante au Canada par la négociation de traités. Comme le fait remarquer John Borrows, l’un des meilleurs exemples de leur compétence en matière de gouvernance se trouve dans le pouvoir de conclure avec la Couronne des traités, dont plus de 350 datent d’avant la Confédération [3] . La légitimité de la gouvernance autochtone au Canada ne repose pas seulement sur l’occupation antérieure du territoire par les peuples autochtones, mais aussi sur la souveraineté antérieure de ces peuples; comme le fait remarquer Patrick Macklem, la souveraineté des peuples autochtones et la souveraineté de la Couronne étaient réparties, ou partagées, au moyen d’une série d’actes de reconnaissance mutuelle, sous la forme de traités [4] . Dans ces traités, les nations autochtones étaient manifestement considérées comme des communautés politiques distinctes séparées par des frontières territoriales à l’intérieur desquelles leur compétence était exclusive, de sorte qu’il y a eu reconnaissance mutuelle entre les nations autochtones et les nations colonisatrices européennes, en tant que nations égales et coexistantes qui possédaient leurs propres formes de gouvernement, leurs traditions et modes de vie caractéristiques, et qui s’engageaient à coopérer de diverses façons [5] . Il existe nombre d’exemples de traités conclus entre des nations européennes et des peuples autochtones en Amérique du Nord qui ont pris des formes juridiques autochtones. Ces traités s’inscrivaient dans une série plus large de rencontres intersociétales à travers lesquelles les participants autochtones et non autochtones avaient élaboré des normes de conduite et de reconnaissance qui régissaient leurs relations à long terme. Dans l’ensemble, les peuples autochtones avaient une compréhension relativement uniforme des traités, les percevant comme un outil qui leur permettait de conserver leur compétence traditionnelle à l’égard des territoires et de gouverner leurs communautés dans le contexte de l’expansion coloniale [6] .

À la suite de cette forme de reconnaissance mutuelle, le seul moyen dont disposait la Couronne pour acquérir des terres et affirmer sa souveraineté en Amérique du Nord consistait à obtenir le consentement des nations autochtones, ce qui correspond, selon Tully, à la plus fondamentale convention constitutionnelle, celle du consentement du peuple [7] .

Malheureusement, comme le fait observer J.R. Miller, peu de Canadiens non autochtones comprennent à présent que ces traités, qui ont permis d’établir cette reconnaissance mutuelle et ce consentement, sont un élément important du fondement de l’État canadien [8] .

Les traités conclus entre la Couronne et les Autochtones constituaient, pour les deux parties, les fondements d’ententes normatives, opinion qui est confirmée par la pratique traditionnelle consistant à renouveler les engagements passés et à redéfinir la conduite politique acceptable, par exemple au moyen de la pratique annuelle consistant à « polir » la chaîne d’alliance lors des conseils de nation à nation [9] . Comme le fait remarquer Mark Walters, les autorités britanniques concernées savaient parfaitement comment les peuples autochtones interprétaient leur conduite lors de la pratique de polissage de la chaîne d’alliance, afin qu’il n’y ait pas de doute quant à l’existence d’une compréhension commune ou d’un « accord des volontés » [10] .

De fait, le Traité de Niagara de 1764, qui a confirmé et élargi une relation de nation à nation entre la Couronne et les peuples autochtones et validé les rapports liés à la chaîne d’alliance, illustre parfaitement que les autorités britanniques saisissaient bien la signification des protocoles autochtones [11] . Ce traité, soit le premier document juridique que la Couronne a signé avec les Autochtones après la Proclamation royale, exprimait leur volonté réciproque de vivre ensemble, tout en respectant leur autonomie individuelle [12] . Dans le cadre de l’événement, les parties ont procédé à un échange de présents et les autorités britanniques se sont vu offrir des chaînes d’alliance et des ceintures wampum pour conclure un traité d’alliance et de paix [13] . L’une des ceintures échangées à cette occasion, la ceinture wampum à deux rangs, avait été utilisée par les nations autochtones pour refléter leur interprétation de la Proclamation royale et du Traité comme symboles d’une entente fondée sur la paix, l’amitié, le respect et la non‑ingérence dans les affaires internes de l’autre [14] . Une deuxième ceinture qui avait été échangée représentait une offre d’entraide et de secours mutuels, mais aussi le respect de l’indépendance de l’autre [15] .

Comme l’expliquent Barsh et Henderson, le processus de négociation des traités a généré une distribution consensuelle des pouvoirs constitutionnels et établi un pacte entre les parties, conférant ainsi aux traités le statut de documents constitutionnels [16] . L’acceptation d’une interprétation normative commune donnée aux traités à partir des déclarations et des actions des parties permet de conclure que la souveraineté des peuples autochtones et la souveraineté de la Couronne étaient vraiment interreliées au sens véritable du terme. Avec le temps, les liens ont été implicitement multipliés et consolidés à la suite de chaque cérémonie d’échange de présents, jusqu’à ce que, la veille de la Confédération, il était tenu pour acquis que les nations autochtones jouissaient d’un droit à l’autonomie gouvernementale, du moins en tant que souveraineté interne, placée sous la protection de la souveraineté de la Couronne, d’une manière qui cadre avec la conception adoptée par le juge Binnie dans l’arrêt Mitchell [17] .

Tully parle de « constitutionnalisme conventionnel », dans le cadre duquel les peuples autochtones participent à l’élaboration des normes constitutionnelles qui régissent leurs rapports avec la Couronne, et jouent ainsi un rôle actif dans l’élaboration des normes juridiques fondamentales qui régissent la répartition des pouvoirs en Amérique du Nord [18] .

[196] Bien qu’elle ne fonde pas ses motifs ni la présente décision sur requête sur les principes de doctrine susmentionnés, la formation estime qu’ils sont éclairants et qu’ils concordent avec son opinion sur le droit applicable aux traités et sur l’importance de ceux‑ci dans le cadre constitutionnel canadien. Ces principes soutiennent la primauté des traités sur la Loi sur les Indiens.

[197] En outre, dans la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, c. 30, le législateur a reconnu l’importance des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations dans l’application de la LCDP et de la Loi sur les Indiens :

Droits des Autochtones

1.1 Il est entendu que l’abrogation de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Prise en compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier

1.2 Dans le cas d’une plainte déposée au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’encontre du gouvernement d’une première nation, y compris un conseil de bande, un conseil tribal ou une autorité gouvernementale qui offre ou administre des programmes et des services sous le régime de la Loi sur les Indiens, la présente loi doit être interprétée et appliquée de manière à tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations et, en particulier, de l’équilibre entre les droits et intérêts individuels et les droits et intérêts collectifs, dans la mesure où ces traditions et règles sont compatibles avec le principe de l’égalité entre les sexes.

[198] Compte tenu de tout ce qui précède, il convient d’adopter une interprétation plus large des critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan, qui va au-delà des paramètres étroits de la Loi sur les Indiens.

H. Portée de la plainte

[199] Comme il a été indiqué précédemment, le Canada a fait valoir que le redressement recherché dans la présente requête dépassait le cadre de la plainte dont est saisi le Tribunal. Une fois de plus, la formation n’est pas d’accord.

[200] Dans des décisions sur requête antérieures, la formation s’est déjà penchée sur la portée de la demande (la plainte, l’exposé des précisions, les éléments de preuve, les arguments, etc.) par rapport à la portée de la plainte et sur les éléments qui composent la plainte (voir 2019 TCDP 39, aux par. 99 à 102) :

[99] Lorsqu’il analyse la plainte, le Tribunal examine non seulement celle‑ci, mais aussi les éléments qui ressortent de l’exposé des précisions, conformément à l’alinéa 6(1)d) des Règles de procédure du Tribunal (voir Lindor c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TCDP 14, au par. 4).

[100] En fait, lorsqu’il examine la plainte, le Tribunal le fait en accord avec les principes susmentionnés et de manière non formaliste et non rigide :

Les formules de plainte ne doivent pas être scrutées de la même façon qu’un acte d’accusation en matière criminelle (Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 CF 228 (CAF), cité dans Lindor, 2012 TCDP 14, au par. 22).

[101] De plus, le Tribunal a déjà conclu que la plainte n’est qu’un élément de la demande, une première étape, et qu’en conséquence, le Tribunal doit aller au‑delà du formulaire de plainte pour déterminer l’objet de la demande :

En application du paragraphe 6(1) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les Règles), chaque partie doit signifier et déposer un exposé des précisions indiquant notamment :

a) les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause et b) sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause. (Voir Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7, au par. 3).

[102] Il importe de se souvenir que la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au par. 9 [Casler]; voir également Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, au par. 10 [Gaucher]). En outre, comme le Tribunal l’a expliqué dans la décision Casler :

[…] [I]l faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées ». Comme l’indiquent les arrêts Gaucher et Casler, précités, la plainte déposée à la Commission n’est que sommaire : elle se précise nécessairement en cours de processus. C’est dans l’exposé des précisions que les conditions de l’audience se précisent (voir également Polhill c. Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, aux par. 34 et 36).

[201] Cette question a déjà été soulevée et a reçu une réponse. La seule autre question à trancher quant à la compétence du Tribunal consiste à savoir si la présente requête va au-delà ou non de la portée de la plainte. La réponse de la formation est non, en ce qui concerne les questions I et II de la présente décision.

[202] De plus, l’affaire dont est saisi le Tribunal concerne les Premières Nations et non les Métis, les Inuits ou les personnes qui s’identifient comme membres des Premières Nations. En fait, dans une de ses décisions sur requête antérieures, la formation a ajouté la NNA à titre de partie intéressée et a écrit ce qui suit :

L’Assemblée des Premières Nations et Chiefs of Ontario représentent diverses collectivités des Premières Nations partout au Canada et en Ontario. Les intérêts des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations, et des organismes qui leur offrent des services, sont défendus par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada. Par ailleurs, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) défend l’intérêt du public et a produit la majorité de la preuve en l’espèce, y compris la preuve sur laquelle s’est fondée la formation pour parvenir aux conclusions susmentionnées tirées dans la décision concernant les collectivités éloignées de l’Ontario.

Avec l’aide de ces parties et des parties intéressées, ainsi que de la [NNA] et d’AANC, la formation estime qu’elle disposera de suffisamment d’observations pour concevoir une ordonnance valable et efficace en réponse à la décision [sur le bien-fondé].

(Voir 2016 TCDP 11, aux par. 16 et 17)

[203] Il est ainsi démontré que la demande était axée sur les représentants des Premières Nations qui avaient qualité pour agir en l’espèce et qui sont parties à la plainte. Un exercice de clarification du sens de l’expression « tous les enfants des Premières Nations » n’est pas inéquitable et ne va pas au-delà de la plainte. Qui plus est, la formation fait référence aux communautés des Premières Nations plus de cent fois dans la Décision sur le bien‑fondé et a toujours estimé que celles‑ci devraient se définir elles‑mêmes. Cela ressort des décisions sur requête qu’elle a rendues, particulièrement dans la décision 2018 TCDP 4.

[204] Par ailleurs, les plaignantes soutiennent dans leur exposé des précisions que le sous‑financement du programme des SEFPN va à l’encontre du principe de Jordan et elles sollicitent des mesures de redressement à large portée relativement aux actes discriminatoires dans [traduction] « l’application du principe de Jordan aux programmes du gouvernement fédéral qui touchent les enfants ». Par conséquent, la demande de redressement n’était pas limitée au programme des SEFPN, ou liée au statut d’Indien ou à la résidence dans une réserve.

[205] Les questions invoquées sont donc suffisamment larges pour englober la clarification recherchée quant à l’admissibilité à l’application du principe de Jordan.

[206] De plus, le Tribunal s’est déjà prononcé sur la portée et la signification du principe de Jordan, en précisant que ce dernier ne se limite pas au règlement des conflits de compétence, mais qu’il s’applique à un vaste éventail de services fournis à la fois dans les réserves et hors des réserves. Le Tribunal a conservé sa compétence durant l’exécution de ses décisions et ordonnances et la présente requête vise essentiellement à obtenir des clarifications sur une question qui n’a pas été expressément abordée dans les décisions sur requête antérieures, celle de savoir qui peut se prévaloir des prestations que le Tribunal a déjà définies.

[207] La présente requête demande au Tribunal d’apporter des clarifications visant à faciliter l’exécution de ses décisions et ordonnances, ce qui relève directement de la compétence qu’il a conservée.

[208] Dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation s’est penchée sur les nouveaux éléments de preuve déposés au soutien de la requête provisoire en vue d’obtenir d’autres mesures de réparation, pour arriver à ses conclusions et prononcer son ordonnance. La Société de soutien est récemment intervenue pour payer le transport médical d’une jeune enfant d’une Première Nation, qui vivait hors réserve et n’avait pas le statut d’Indien, laquelle avait besoin d’un diagnostic médical et d’un examen d’imagerie essentiel pour traiter une maladie mettant sa vie en danger, et ce, parce que le Canada ne voulait pas payer du fait qu’elle vivait hors réserve et n’avait pas le statut d’Indien.

[209] La formation a estimé que l’absence de statut d’Indien était la principale raison du refus de payer les coûts du transport médical :

Le fait que l’enfant ne soit pas couverte en vertu du principe de Jordan parce qu’elle n’est pas inscrite constitue la raison du refus.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 69)

[210] La formation a conclu au caractère déraisonnable du refus du Canada :

[…] le dénouement du cas de S.J. est déraisonnable. La couverture en vertu du principe de Jordan a été refusée parce que la mère de S.J. était inscrite en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et ne pouvait lui transmettre le statut d’Indien suivant la règle de l’exclusion après la deuxième génération. C’est la principale raison pour laquelle on a refusé de couvrir les frais de déplacement de S.J. La deuxième raison, c’est que le Canada n’a pas jugé l’examen d’imagerie urgent, alors qu’en fait, la situation n’a pas été évaluée adéquatement. Enfin, personne ne semble s’être penché sur les besoins de l’enfant et sur son intérêt supérieur. Rien n’indique qu’une analyse de l’égalité réelle ait été effectuée dans ce cas. Une approche bureaucratique a plutôt été appliquée pour refuser la couverture à une enfant d’un peu plus de 18 mois (l’équipe du Canada a décrit l’enfant comme étant âgée d’un an et demi, voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, chaîne de courriels en pièce F), qui attendait cet examen d’imagerie depuis sa naissance. Ce type d’approche bureaucratique dans les programmes a été associé à de la discrimination dans la décision (voir la décision [sur le bien‑fondé] aux paragraphes 365 à 382 et 391).

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 73)

I. Conclusion

[211] La question comporte deux volets. Voici le premier :

Les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et qui sont reconnus comme citoyens ou membres de leurs Premières Nations respectives devraient‑ils être visés par le principe de Jordan?

[212] À la lumière des motifs qui précèdent, la formation répond à cette question par l’affirmative. Un mécanisme ordonné pour éliminer la discrimination doit, pour être efficace, tenir compte de la discrimination dans son ensemble et s’inscrire dans un cadre qui intègre les droits de la personne. Si des services sont offerts, ils doivent l’être d’une manière qui respecte l’égalité réelle et, dans la présente affaire, les droits de la personne inhérents aux peuples autochtones, y compris le droit à l’autodétermination. Les critères d’admissibilité aux fins de l’application du principe de Jordan doivent respecter les droits protégés examinés plus tôt, tels que les ententes sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations, les traités, les coutumes, les lois, les traditions et la DNUDPA.

[213] Le deuxième volet est le suivant :

L’inclusion par les critères d’admissibilité des enfants des Premières Nations susmentionnés leur accorde-t-elle automatiquement des services ou entraîne‑t‑elle seulement le déclenchement de la deuxième partie du processus, à savoir 1) une approche au cas par cas et 2) le respect du droit à l’autodétermination inhérent aux Premières Nations leur permettant de déterminer qui sont leurs citoyens et/ou leurs membres avant que l’enfant soit considéré comme un cas visé par le principe de Jordan?

[214] La formation croit qu’il s’agit du dernier cas. En outre, le fait de garantir que les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien, mais qui sont reconnus comme citoyens et/ou membres de leurs Premières Nations respectives, ne soient pas exclus systématiquement de l’application du principe de Jordan ne signifie pas nécessairement qu’ils recevront des services en vertu du principe de Jordan, parce qu’une analyse au cas par cas doit être effectuée. Rien n’empêche, dans cette analyse, d’évaluer les services qui sont nécessaires, si la province les fournit, si l’enfant a besoin de services qui vont au-delà des normes de soins établies, etc.

[215] Au lieu d’exclure des enfants sur la base de suppositions, il y aurait lieu d’adopter une démarche efficace, qui est conforme aux droits de la personne et au principe d’égalité réelle et qui est cohérente avec les décisions antérieures de la formation qui n’ont pas mis l’accent sur la Loi sur les Indiens ou la résidence dans une réserve. Cette démarche consisterait à appliquer le principe de Jordan à ces enfants, en leur [traduction] « ouvrant la porte » vers les services et en vérifiant ensuite chaque cas en particulier pour savoir si l’enfant est citoyen et/ou membre d’une Première Nation, le tout selon un processus proposé par les Premières Nations, mais aussi raisonnablement réalisable pour le Canada.

[216] Par conséquent, à la lumière de ce qui précède et de la définition du principe de Jordan donnée par la formation, des antécédents du Canada en matière de discrimination, des règles de droit actuelles, de la jurisprudence en évolution constante et de la nécessité d’élaborer des réparations efficaces qui ne tolèrent pas d’autres formes de discrimination, l’expression « tous les enfants des Premières Nations » comprend également les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien qui sont reconnus comme citoyens et/ou membres de leurs Premières Nations respectives, sans égard à l’endroit où ils vivent, que ce soit dans une réserve ou non.

[217] La formation précise que, conformément à l’esprit de ses conclusions, de ses motifs et de ses analyses antérieures, de la Décision sur le bien-fondé, des décisions sur requête et ordonnances antérieures ainsi que des lois en matière de droits de la personne, notamment la LCDP et la DNUDPA, il convient que le Canada considère comme admissibles aux services offerts en vertu du principe de Jordan les enfants des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien, mais qui sont reconnus comme citoyens et/ou membres de leurs Nations respectives, conformément à leurs coutumes, lois, traditions, traités et ententes sur l’autonomie gouvernementale.

[218] La formation est en désaccord avec la position du Canada sur ce point et ne considère pas que la question est en dehors du champ de sa compétence ou qu’elle dépasse la portée de la plainte, compte tenu du contexte historique et juridique propre à cette demande et, notamment, de l’acceptation par le Canada de la Décision sur le bien-fondé et des décisions sur requête ultérieures, en particulier la décision 2018 TCDP 4 où le Canada a signé et confirmé son acceptation entière des motifs et des ordonnances de la formation. Encore une fois, cette décision sur requête portait aussi sur l’importance d’harmoniser les droits de la personne garantis par la LCDP avec la DNUDPA, comme il a été expliqué précédemment. En outre, comme il a déjà été mentionné, la formation n’a pas considéré qu’il fallait restreindre la portée des services offerts aux enfants des Premières Nations en vertu du principe de Jordan en fonction de la Loi sur les Indiens.

[219] Vu les précisions apportées par la formation ci-dessus, la prochaine étape pour cette partie de la décision consiste à examiner la signification de l’expression « tous les enfants des Premières Nations » aux fins de l’application du principe de Jordan. Compte tenu des demandes des Premières Nations qui sont parties à la présente instance, la formation choisit de demander aux parties de discuter et d’établir des critères d’admissibilité possibles aux fins de l’application du principe de Jordan seulement et en tenant compte des motifs des clarifications apportées ci-dessus par la formation.

[220] En outre, des avis divergents ont découlé de l’ordonnance de mesures provisoires (2019 TCDP 7) et des discussions sur le processus visant à permettre aux Premières Nations d’identifier leurs citoyens et/ou membres sans imposer de fardeau à celles qui n’ont peut‑être pas la capacité de répondre à ces demandes dans les courts délais prescrits par le principe de Jordan. La formation a demandé les avis des parties sur le fait que le Canada doit disposer d’un moyen efficace de vérifier si un enfant des Premières Nations sans statut d’Indien est reconnu par une Première Nation. Les Chiefs of Ontario ont formulé de nombreuses inquiétudes et propositions sur la question d’une éventuelle responsabilité des Premières Nations qui, faute de moyens, peuvent ne pas répondre à temps ou ne pas répondre du tout aux demandes visant à identifier leurs citoyens ou membres. Les Chiefs of Ontario ont proposé que le Tribunal déclare que la présente décision sur requête n’impose aucune obligation de diligence ou responsabilité aux Premières Nations et/ou qu’elle ordonne au Canada d’indemniser les Premières Nations pour toute responsabilité qui pourrait leur être imputée.

[221] En résumé, la Commission soutient, en ce qui concerne la question de nier toute obligation de diligence ou responsabilité future, qu’il faut se rappeler que le Tribunal est un organisme créé par une loi. Son rôle consiste à mener des audiences sur des allégations de violation de la LCDP et, s’il conclut qu’il y a effectivement eu violation, de déterminer les réparations qu’il convient d’ordonner conformément à l’article 53. Le Tribunal n’a pas compétence pour rendre des ordonnances qui auraient pour objet de nier l’existence d’une éventuelle obligation de diligence de droit privé qui incomberait à une Première Nation en common law ou en droit civil. En outre, même dans le contexte de la LCDP, une formation du Tribunal n’a pas le pouvoir de rendre une ordonnance qui obligerait la Commission (en tant que gardienne) ou des formations ultérieures (en tant que décideurs quasi judiciaires) à parvenir à des résultats particuliers, sans égard aux faits et aux arguments qui leur seraient présentés. Cela aurait pour effet d’entraver indûment le processus décisionnel ultérieur et de restreindre injustement les droits des parties à ces éventuelles affaires ultérieures.

[222] La Commission ne croit pas non plus qu’il conviendrait à ce moment‑ci d’ordonner que le Canada indemnise toujours les Premières Nations pour toute responsabilité qui pourrait leur être imputée relativement à des demandes de reconnaissance. Une telle ordonnance échapperait vraisemblablement à la compétence du Tribunal, dans la mesure où elle viserait à imposer l’exigence d’indemniser les Premières Nations pour toute responsabilité qui pourrait leur être imputée en common law ou en droit civil. Même à l’intérieur du cadre de la LCDP, on peut penser à des situations où, à cause d’actes discriminatoires au sein d’une Première Nation, il serait plus approprié que cette Première Nation, plutôt que le Canada, assume la responsabilité de la violation. Dans l’ensemble, la meilleure démarche consisterait à permettre que ces questions soient tranchées dans le contexte d’affaires ultérieures, au moyen de mécanismes et de principes qui existent déjà en matière de droits de la personne.

[223] La formation souscrit entièrement aux observations de la Commission susmentionnées et croit que c’est l’interprétation juridique correcte qu’il faut appliquer en l’occurrence.

[224] La formation juge que la proposition de l’APN formulée ci‑après est utile et constitue une solution possible pour identifier les enfants des Premières Nations aux fins de l’application du principe de Jordan, solution qui répond à certaines inquiétudes formulées par les Chiefs of Ontario et le Canada :

[traduction]

En ce qui concerne la vérification, aux fins de l’application du principe de Jordan, des demandeurs qui sont des Indiens non inscrits sans statut, et qui vivent ou vivent habituellement à l’extérieur d’une réserve, l’APN avance qu’il existe une solution qui consiste à donner un avis écrit et/ou à consulter la communauté des Premières Nations concernée. Il s’agit d’une pratique déjà établie concernant des questions relatives à l’enfance et à la famille qui relèvent des lois provinciales sur la protection de l’enfance, telles que la partie X de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille [19] . Elle fait également partie du projet de loi C‑92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, par exemple aux articles 12, 13 et 20 [20] .

(Voir les observations de l’APN, au par. 66)

L’APN soutient qu’en donnant un avis écrit et/ou une consultation, qui pourrait prendre la forme d’une lettre standardisée ne contenant pas de renseignements personnels, elle offre à la communauté des Premières Nations une occasion de confirmer ou de nier, à son choix, qu’un demandeur est effectivement un membre de la collectivité. Pour être bien clair, le demandeur devrait établir l’existence d’un lien avec une communauté donnée des Premières Nations, et le Canada devrait aviser et/ou consulter cette Première Nation au sujet de la demande d’accès aux services offerts en vertu du principe de Jordan.

(Voir les observations de l’APN, au par. 67)

Le traitement de la demande devrait reposer sur la présomption selon laquelle il existe un lien avec une communauté des Premières Nations, de sorte que, si la communauté en question ne répond pas, la demande n’est pas affectée. Selon cette présomption, les préoccupations logistiques et opérationnelles du Canada au sujet de la [traduction] « reconnaissance en tant que membre par leur nation » sont adéquatement traitées [21] . Toutefois, si la communauté des Premières Nations répond et confirme qu’il n’existe pas de lien entre le demandeur et la communauté, le Canada devrait donc déterminer si le demandeur est effectivement admissible et s’il devrait recevoir les services.

[225] La formation est d’accord avec le Canada sur le fait qu’elle ne peut pas ordonner aux Premières Nations qui ne sont pas des parties de faire quelque chose. La formation n’impose pas aux Premières Nations l’obligation de vérifier l’identité de l’enfant d’une Première Nation, mais l’impose au Canada, qui est partie à la présente instance. C’est au Canada qu’incombe l’obligation de fournir à toutes les Premières Nations une occasion de participer à l’identification des enfants des Premières Nations à des fins d’admissibilité à l’application du principe de Jordan. En outre, l’élaboration d’un processus d’identification selon les ordonnances de la formation concerne les Premières Nations qui sont parties à la présente instance et doit reconnaître leur expertise et leur précieuse contribution à sa mise au point.

[226] Par ailleurs, un processus qui vise à obtenir les points de vue des Premières Nations sur la qualité de citoyen et/ou de membre d’un enfant d’une Première Nation est cohérent avec leur droit à l’autodétermination et vise à reconnaître leur droit de déterminer qui sont leurs citoyens et leurs membres. Un tel processus évite également que l’auto‑identification soit la seule façon d’établir l’identité des Premières Nations. La formation estime que le processus de reconnaissance proposé par l’APN pourrait permettre de dissiper les inquiétudes du Canada.

[227] Enfin, concernant l’argument du Canada selon lequel le Tribunal doit respecter le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux et que les services offerts hors des réserves sont en dehors du champ de la plainte, ce qui empêche la formation de rendre les ordonnances demandées, la formation se fonde sur l’arrêt Daniels de la Cour suprême du Canada :

En outre, la Cour a précisé que la compétence fédérale sur les Indiens prévue au par. 91(24) n’empêche pas l’instauration de régimes provinciaux valides qui ne portent pas atteinte à son contenu essentiel (NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 3).

(Voir Daniels, au par. 51)

[228] La formation conclut que la question examinée dans la présente partie est directement liée au pouvoir des Indiens et fait partie intégrante de la plainte.

J. Ordonnance

[229] Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, il est ordonné à l’APN, à la Société de soutien, à la Commission, aux Chiefs of Ontario, à la NNA et au Canada :

  1. de mener des consultations afin d’établir des critères d’admissibilité possibles pour les enfants des Premières Nations aux fins de l’application du principe de Jordan, en tenant compte des ordonnances antérieures de la formation ainsi que des précisions fournies ci-dessus;
  2. d’instaurer un mécanisme d’identification des citoyens et/ou des membres des Premières Nations qui soit rapide, efficace et qui tienne compte des préoccupations soulevées par toutes les parties concernant la mise en œuvre. Dans l’élaboration de ce mécanisme, les discussions devraient aussi porter sur la nécessité pour les Premières Nations de recevoir des fonds supplémentaires pour être en mesure de répondre aux demandes de renseignements du Canada concernant l’identification des enfants des Premières Nations et, dans certains cas, pour renforcer cette capacité. Le mécanisme devrait aussi prévoir l’octroi d’un financement supplémentaire et permanent pour tenir compte des enfants qui seront dorénavant visés par le principe de Jordan.

[230] Les parties retourneront au plus tard le 19 octobre 2020 devant le Tribunal pour lui présenter ces critères d’admissibilité ainsi que le mécanisme qu’elles proposent.

V. Question II

Les enfants des Premières Nations, qu’ils vivent dans une réserve ou non, qui n’ont pas le statut d’Indien et qui n’y sont pas admissibles, mais dont le parent ou le tuteur a le statut d’Indien ou y est admissible.

A. Cadre juridique

[231] Comme mentionné ci-dessus, la formation, dans la Décision sur le bien-fondé, a appliqué les critères énoncés dans les arrêts Moore et Bombardier (voir 2016 TCDP 2, aux par. 22 à 25). La formation juge qu’ils sont toujours applicables et qu’elle appliquera les mêmes critères aux questions II et III de la présente décision sur requête.

[232] De plus, les juges majoritaires dans l’arrêt Battlefords and District Co‑operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566 [Gibbs] ont énoncé un cadre d’analyse en deux étapes pour se prononcer sur des allégations de discrimination concernant un régime de prestation d’assurance. La première étape consiste à déterminer la nature véritable ou la raison d’être sous‑jacente du régime de prestations, en l’occurrence le principe de Jordan, ce qui a été expliqué précédemment. La deuxième étape consiste à examiner si les prestations sont différentes en raison de caractéristiques protégées non pertinentes relativement à l’objet déclaré du régime. Cette analyse a par la suite été appliquée à d’autres programmes améliorateurs (p. ex. une politique sur l’emploi dans la décision Lavoie c. Canada (Conseil du Trésor), 2008 TCDP 27, au par. 136).

[233] L’arrêt Gibbs est antérieur à l’établissement du critère à trois volets permettant d’établir une discrimination prima facie, lequel a été énoncé dans l’arrêt Moore, au paragraphe 33, et confirmé ultérieurement dans l’arrêt Bombardier, aux paragraphes 35 à 54, et dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, au paragraphe 24. Le critère exige que le plaignant démontre qu’il possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination, qu’il a subi un refus et/ou un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation du refus et/ou de l’effet préjudiciable.

[234] Dans l’arrêt Canadian Elevator Industry Welfare Trust Fund v. Skinner, 2018 NSCA 31 [Skinner], la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a expliqué de façon convaincante la manière dont le critère énoncé dans l’arrêt Gibbs pouvait être appliqué dans l’analyse du critère de discrimination prima facie établi dans l’arrêt Moore. Plus précisément, la Cour s’est fondée sur l’arrêt Gibbs pour analyser la question de savoir si la caractéristique protégée avait constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (arrêt Skinner, aux par. 52 à 70). Cette démarche est compatible avec celle qui a été adoptée par le membre Bélanger dans la décision Hicks c. Ressources humaines et Développement social Canada, 2013 TCDP 20, confirmée par la décision Canada (Procureur général) c. Hicks, 2015 CF 599, dans laquelle il a d’abord déterminé que le plaignant possédait une caractéristique protégée et avait subi un effet préjudiciable avant d’appliquer l’arrêt Gibbs.

[235] En résumé, lorsqu’il est allégué qu’un programme améliorateur est trop limitatif, il incombe au plaignant d’établir l’existence d’une discrimination prima facie. Le plaignant doit établir qu’il possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination, qu’il a subi un refus et/ou un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation du refus et/ou de l’effet préjudiciable. Pour démontrer que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation du refus et/ou de l’effet préjudiciable, il est loisible au plaignant d’utiliser le cadre établi dans l’arrêt Gibbs, dans lequel la première étape consiste à déterminer la nature véritable ou la raison d’être sous‑jacente du programme améliorateur. La deuxième étape consiste à examiner si les avantages du programme diffèrent en fonction de caractéristiques protégées non pertinentes relativement à l’objet déclaré du programme.

[236] La formation a décrit le principe de Jordan comme étant un mécanisme d’égalité réelle visant à garantir aux enfants des Premières Nations l’accès aux services gouvernementaux dont ils ont besoin sans qu’il y ait d’interruptions, de retards ou de refus. Par souci de clarté, il convient de préciser que le principe de Jordan n’est pas un programme; il est plutôt considéré comme une règle juridique par le Canada. Ce point a été antérieurement établi (voir 2019 TCDP 7, au par. 25). Toutefois, la formation conclut que le critère établi dans l’arrêt Gibbs est applicable et utile pour analyser l’admissibilité aux services offerts en vertu du principe de Jordan.

[237] Par sa position, le Canada semble considérer que les enfants autochtones, y compris ceux qui n’ont pas le statut d’Indien, qui vivent habituellement dans une réserve, sont visés par le principe de Jordan. Il s’agit notamment des enfants des Premières Nations en cause dans la question examinée ici, qui vivent habituellement dans une réserve. Par conséquent, le principal point litigieux en suspens concerne les enfants des Premières Nations vivant hors réserve et qui ne sont pas admissibles au statut d’Indien, mais dont un parent l’est.

[238] La formation croit qu’elle a effectivement compétence pour examiner cette catégorie d’enfants dans le cadre de la présente demande sans élargir indûment la portée de la plainte de quelque façon. La distinction établie par le Canada quant au principe de Jordan, fondée sur la Loi sur les Indiens, a été soulevée après la Décision sur le bien‑fondé. Comme expliqué ci-dessus, la formation n’a pas centré sa Décision sur le bien-fondé sur des considérations découlant de la Loi sur les Indiens. De plus, le principe de Jordan s’applique dans les réserves et hors des réserves, compte tenu de sa nature qui tient à l’égalité réelle et de son but qui est de permettre aux enfants des Premières Nations d’avoir accès à des services sûrs et adaptés à leur culture, qui tiennent compte des traumatismes intergénérationnels et d’autres besoins particuliers pertinents qui ne peuvent être comblés que par la prestation de services pouvant être considérés comme allant au-delà des normes établies. Bien que le principe de Jordan puisse inclure les SEFPN, il va plus loin que la partie de la plainte qui porte sur les SEFPN offerts dans les réserves. La formation a clairement établi cette distinction dans sa Décision sur le bien-fondé et dans les décisions sur requête subséquentes qui ont apporté des clarifications en fonction des éléments de preuve dont disposait le Tribunal.

[239] Compte tenu de ses conclusions et décisions sur requête antérieures ainsi que de ses motifs sur la question I, la formation a examiné si les enfants suivants étaient admissibles à des services offerts en vertu du principe de Jordan : les enfants des Premières Nations vivant hors réserve, qui n’ont pas le statut d’Indien et qui ne sont pas admissibles à ce statut, mais dont un parent ou un tuteur a le statut d’Indien, ou y est admissible, et qui ont des besoins réels de services qui (i) vont au-delà des normes en matière de soins et (ii) prennent racine dans le genre de désavantages historiques et contemporains qui alimentent l’analyse de l’égalité réelle (tels que l’héritage de stéréotypes, de préjugés, du colonialisme, du déplacement des populations et des traumatismes intergénérationnels liés aux pensionnats indiens ou à la rafle des années 60). Pour les motifs exposés ci‑après, la formation juge qu’il existe des fondements probatoires et juridiques pour conclure que les enfants vivant hors réserve, qui n’ont pas le statut d’Indien et n’y sont pas admissibles, mais dont un parent ou un tuteur a le statut d’Indien ou y est admissible, présentent les mêmes caractéristiques et ont les mêmes besoins que les autres enfants des Premières Nations qui sont admissibles à des services offerts en vertu du principe de Jordan. Toutefois, ces enfants‑là se voient refuser le bénéfice de ces services à cause des distinctions de statuts de la Loi sur les Indiens qui reposent entièrement ou en partie sur des motifs de distinction illicite fondés sur la race et/ou l’origine nationale ou ethnique.

[240] Le premier volet du critère permettant d’établir une discrimination prima facie est relativement simple en l’espèce : la race et l’origine nationale ou ethnique sont des motifs de distinction illicite en vertu de l’article 3 de la LCDP. Nul n’a contesté que les Premières Nations possèdent ces caractéristiques protégées. Dans l’arrêt Daniels, la Cour suprême du Canada a conclu que les membres des Premières Nations sans le statut d’Indien, sans égard au statut d’Indien de leurs parents, sont des « Indiens » aux fins de l’application du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, un enfant d’une Première Nation qui n’a pas le statut d’Indien et qui n’est pas admissible à ce statut, mais dont un parent ou un tuteur a ce statut ou y est admissible, possède les mêmes caractéristiques qu’un enfant d’une Première Nation qui est inscrit ou qui est admissible à l’inscription, à savoir la race et l’origine nationale ou ethnique, qui sont protégées par la LCDP. En outre, la formation n’a jamais établi cette distinction dans la Décision sur le bien-fondé, car elle a envisagé les Premières Nations et les caractéristiques protégées que sont la race et l’origine nationale ou ethnique dans une perspective plus large, compte tenu des raisons expliquées ci-dessus.

[241] Le deuxième volet du critère permettant d’établir une discrimination prima facie est que l’enfant d’une Première Nation qui n’a pas le statut d’Indien et qui n’est pas admissible à ce statut, mais dont un parent ou un tuteur a ce statut ou y est admissible, doit subir un refus et/ou des effets préjudiciables relativement aux services offerts par le Canada en vertu du principe de Jordan.

[242] Compte tenu des conclusions tirées dans l’ordonnance de mesures provisoires, il est manifeste qu’un enfant d’une Première Nation vivant hors réserve qui n’a pas le statut d’Indien et qui n’est pas admissible à ce statut, mais dont un parent ou un tuteur a le statut d’Indien ou y est admissible, est privé de services, puisqu’il n’est pas considéré comme admissible à recevoir des services en vertu du principe de Jordan, sous réserve de quelques exceptions, étant donné que le Canada considère que ces enfants reçoivent des services provinciaux. Selon la définition de l’égalité réelle formulée par la formation dans l’ordonnance 2017 TCDP 14, au paragraphe 135, le Canada doit également fournir à tous les enfants des Premières Nations vivant dans une réserve ou hors d’une réserve des services sûrs et adaptés à leur culture, qui peuvent être considérés comme dépassant les normes.

[243] Toutefois, les critères d’admissibilité du Canada excluent les enfants des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien, même si un de leurs parents possède ce statut ou y est admissible au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. La raison de cette exclusion est qu’un parent qui a le statut d’Indien au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens ne peut pas le transmettre à ses enfants. C’est ce que la résolution de l’APN susmentionnée décrit comme le déclin des Premières Nations. La question qui se pose en ce qui a trait à la fourniture de services est que, comme le Canada impose unilatéralement la Loi sur les Indiens comme critère pour avoir accès à des services en vertu du principe de Jordan, il se pourrait que deux membres d’une même fratrie qui n’ont en commun qu’un parent inscrit au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens soient traités différemment sur le plan de l’admissibilité à l’application du principe de Jordan. L’enfant dont le deuxième parent est inscrit au titre du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens peut être considéré comme admissible aux services offerts en vertu du principe de Jordan. Par contre, l’enfant dont le deuxième parent n’est pas admissible à l’inscription selon la Loi sur les Indiens peut ne pas être admissible à des services offerts en vertu du principe de Jordan. La formation conclut que les avantages dont bénéficient les enfants des Premières Nations diffèrent en raison de caractéristiques protégées non pertinentes relativement à l’objet déclaré du principe de Jordan, à savoir l’égalité réelle pour les enfants des Premières Nations. Il ne fait aucun doute que ce résultat est discriminatoire et ne devrait pas constituer le critère utilisé pour remédier à la discrimination constatée en l’espèce.

[244] Nous ne parlons pas ici d’une personne qui s’identifie comme membre des Premières Nations et dont l’ancêtre des Premières Nations remonte à douze générations. Nous parlons d’enfants des Premières Nations qui, en raison de la façon discriminatoire dont la Loi sur les Indiens les catégorise, sont privés de services en vertu du principe de Jordan, qui est censé établir l’égalité réelle. Le principe de Jordan tient compte des besoins particuliers de ces enfants ainsi que des legs reçus – stéréotypes, préjugés, colonialisme, déplacement des populations et traumatismes intergénérationnels liés aux pensionnats indiens ou à la rafle des années 60. De plus, la formation a déjà conclu que :

Le rôle d’AADNC pour faire respecter le principe de Jordan consiste à fournir divers programmes sociaux aux Premières Nations, notamment sous forme de programmes d’éducation spécialisée, d’aide à la vie autonome et de soutien du revenu et, enfin, du Programme des SEFPN (MOU on Jordan’s Principle, p. 1 et 2).

(Voir 2016 TCDP 2, au par. 355)

[245] De plus, Santé Canada et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC), maintenant les SAC, ont « un rôle à jouer pour favoriser une meilleure intégration et une meilleure coordination des services sociaux et de santé provinciaux et fédéraux (protocole d’entente de 2013 sur le principe de Jordan, p. 1) », (voir 2016 TCDP 2, au par. 358).

[246] Comme il a déjà été souligné, il ressort des éléments de preuve devant le Tribunal et de ses conclusions qu’une enfant vivant hors réserve, qui n’avait pas été reconnue comme vivant habituellement dans une réserve et n’était pas admissible à l’inscription selon la Loi sur les Indiens, s’est vu refuser des services allant au‑delà des normes en matière de soins. L’enfant, qui était un nourrisson, attendait un examen d’imagerie essentiel prescrit par un médecin devant aider à déterminer le traitement et l’opération appropriés pour une maladie rare et grave (voir 2019 TCDP 7, aux par. 64 à 72). La formation a conclu que le fait que l’enfant n’était pas couverte en vertu du principe de Jordan, parce qu’elle n’était pas inscrite, a constitué la raison du refus (voir 2019 TCDP 7, au par. 69).

[247] Ainsi, dans son ordonnance de mesures provisoires, la formation a estimé que le dénouement du cas de l’enfant était déraisonnable. La couverture en vertu du principe de Jordan a été refusée, parce que la mère de l’enfant était inscrite en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et ne pouvait pas lui transmettre le statut d’Indien suivant la règle de l’exclusion après la deuxième génération. C’est la raison principale pour laquelle on a refusé de couvrir les frais de déplacement de l’enfant (voir 2019 TCDP 7, au par. 73).

[248] En troisième lieu et comme démontré plus tôt, la race et l’origine nationale ou ethnique jouent un rôle dans le refus de services, à savoir des services allant au‑delà des normes établies en matière de soins et des services sûrs et adaptés à la culture en vertu du principe de Jordan. Un enfant dont un parent est inscrit en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et dont l’autre parent ne l’est pas, ou n’est pas admissible à l’inscription, sera traité différemment d’un enfant dont un parent est inscrit en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens. Aucun autre enfant au Canada ne sera classé ainsi, seuls les enfants des Premières Nations le sont. Par conséquent, « il peut être impossible de trouver un groupe de comparaison présentant des caractéristiques identiques, car l’allégation d’inégalité de la personne ou du groupe en cause peut reposer essentiellement sur le fait que, compte tenu de leur situation et de leurs besoins distincts, il n’existe aucun groupe analogue auquel ils puissent être comparés » (voir Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, au par. 59). En outre, les mêmes motifs et conclusions que ceux de la Décision sur le bien-fondé, en ce qui a trait à l’égalité réelle et à la race et/ou à l’origine nationale ou ethnique, s’appliquent à cette catégorie d’enfants des Premières Nations admissibles, créée unilatéralement par le Canada (voir par exemple 2016 TCDP 2, aux par. 395 à 467).

Le CDHNU a précisé le sens du mot « discrimination » utilisé dans le PIRDCP dans l’Observation générale 18, adopté lors de sa trente‑septième session, le 10 novembre 1999, au par. 7. Il doit être compris comme s’entendant :

de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance, ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En outre, la formation a invoqué l’observation générale 18 du CDHNU qui affirme « que l’objet de la protection est l’égalité réelle et que les États pourraient être tenus de prendre des mesures précises afin d’assurer cette protection » (voir les par. 5, 8, 12 et 13).

(Voir la Décision sur le bien-fondé, au par. 440)

[Non souligné dans l’original.]

[249] La formation a conclu, dans la Décision sur le bien-fondé, que bien que la définition étroite du principe de Jordan et son application inadéquate – qui a, encore une fois, entraîné des interruptions, des retards et des refus de services pour des enfants des Premières Nations – ait effectivement visé des enfants vivant dans une réserve, elle n’a pas limité son application aux seuls enfants vivant dans une réserve et n’a pas subordonné cette application aux critères de la Loi sur les Indiens (voir 2016 TCDP 2, aux par. 351 à 355, 360 à 381 et 458).

[250] De plus, la formation s’est fondée sur l’Observation générale no 20 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 993 R.T.N.U. 3 (le PIDESC) qui déclare :

Le PIDESC est considéré comme un instrument d’application progressive. Toutefois, dans l’Observation générale n° 20, le 2 juillet 2009 (E/C.12/GC/20), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) a affirmé que, eu égard à leur importance, les principes d’égalité et de non-discrimination doivent recevoir une application immédiate, malgré les dispositions de l’article 2 du PIDESC (voir les par. 5 et 7). Le CDESC a précisé que le PIDESC vise à garantir l’égalité réelle en portant « …une attention suffisante aux groupes de population qui sont en butte à des préjugés hérités de l’histoire ou tenaces, plutôt que de simplement se référer au traitement formel des individus dont la situation est comparable » (par. 8; voir également les par. 9 et 10). Le CDESC a ajouté que l’exercice des droits visés par le Pacte ne doit pas être subordonné au lieu de résidence d’une personne (par. 34),

(Voir 2016 TCDP 2, au par. 442)

[Non souligné dans l’original.]

[251] Par ailleurs, la formation avait déjà conclu :

Une coordination entre l’ensemble des ministères et des programmes fédéraux, surtout AADNC et les programmes de Santé Canada, contribuerait à éviter ces failles dans les services offerts aux enfants des Premières Nations dans le besoin.

(Voir 2016 TCDP 2, au par. 381)

[Non souligné dans l’original.]

Mais surtout, le principe de Jordan est censé s’appliquer à l’ensemble des enfants des Premières Nations.

(Voir 2016 TCDP 2, au par. 382)

[Non souligné dans l’original.]

[252] De surcroît, le Canada a lui‑même admis que les programmes fédéraux sont fondés davantage sur la résidence que sur la Loi sur les Indiens. En plus, bien que le principe de Jordan soit censé régler les conflits de compétence entre les ministères du gouvernement fédéral, il permet aussi de résoudre les conflits de compétence entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, ce qui indique clairement que la prise en compte de la résidence hors réserve fait aussi partie du processus relatif au principe de Jordan.

B. Effet discriminatoire du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et traitement défavorable qui en résulte pour les enfants des Premières Nations

[253] Sur ce point, les parties ont fait valoir que la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, appuie leur position respective. Cette décision a été rendue sur un appel combiné formé à l’issue du contrôle judiciaire de deux décisions du Tribunal : Matson et al. c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 13 [Matson] et Roger William Andrews et Roger William Andrews au nom de Michelle Dominique Andrews c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21 [Andrews].

[254] Avant d’être confirmées par une décision unanime de la Cour suprême du Canada, ces deux décisions ont d’abord été confirmées par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. La formation connaît très bien les décisions Matson et Andrews, puisque chacune a été rendue par l’un de ses membres.

[255] L’article 6 de la Loi sur les Indiens définit les différentes personnes ayant le droit d’être inscrites à titre d’« Indien ». Dans l’affaire Matson, les plaignants ont fait valoir qu’en raison de leur ascendance indienne matrilinéaire, ils étaient traités différemment dans la manière dont ils étaient inscrits au registre des Indiens au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, comparativement aux personnes qui sont de lignée paternelle et inscrites au titre du paragraphe 6(1). En effet, l’inscription au titre du paragraphe 6(2) ne permettait pas à ces plaignants de transmettre leur statut à leurs enfants. Dans l’affaire Andrews, l’enjeu était les anciennes dispositions d’émancipation de la Loi sur les Indiens. Selon le plaignant, n’eût été l’émancipation de son père, il aurait eu le droit d’être inscrit au registre en vertu du paragraphe 6(1), ce qui lui aurait conféré un statut différent de celui qu’il avait en vertu du paragraphe 6(2). Le statut visé au paragraphe 6(1) lui aurait permis de transmettre à sa fille le statut visé au paragraphe 6(2).

[256] Les deux plaintes de l’affaire Andrews étaient fondées sur l’article 5 de la LCDP et concernaient des actes discriminatoires dans la fourniture d’un « service ». Plus précisément, il était plaidé que l’inscription à titre d’Indien constituait un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP. Le Tribunal n’était pas d’accord. Si le traitement des demandes d’inscription par le ministère (AINC à l’époque) pouvait être vu comme un service, le Tribunal a conclu que le statut ou l’absence de statut qui en découlait ne le pouvait pas. AINC n’avait d’aucune façon participé – pas plus que les SAC aujourd’hui – à l’établissement des critères donnant le droit d’être inscrit ou non comme Indien en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens. Le ministère n’a d’ailleurs aucun pouvoir discrétionnaire pour décider si une personne a le droit ou non d’être inscrite au registre des Indiens selon les critères prévus à l’article 6. C’est le législateur qui a établi le droit à l’inscription en vertu de l’article 6, non le ministère, et AINC devait traiter les demandes d’inscription conformément à cet article.

[257] Par conséquent, le Tribunal était d’avis que les plaintes étaient en fait des contestations de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et rien d’autre. Suivant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence du revenu), 2012 CAF 7 [Murphy], le Tribunal a jugé que les plaintes visant les dispositions d’une loi comme telles, et rien d’autre, ne relèvent pas du champ d’application de la LCDP. Une partie qui souhaite contrer l’application d’une loi uniquement sur la base de ses effets discriminatoires devrait plutôt intenter une contestation constitutionnelle. Le Tribunal a par ailleurs rejeté des arguments supplémentaires, à savoir (1) que l’arrêt Murphy avait été supplanté par des arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur la primauté des lois en matière de droits de la personne; (2) que des instances provinciales des droits de la personne avaient reconnu que des lois pouvaient être déclarées inopérantes en raison de la primauté de la législation sur les droits de la personne; (3) que les dispositions anciennes et actuelles de la LCDP (notamment l’ancien article 67) indiquaient l’intention du législateur de permettre la contestation de lois en vertu de la LCDP.

[258] Depuis l’abrogation de l’article 67 de la LCDP, le Tribunal a compétence pour instruire les plaintes de discrimination découlant de l’application de la Loi sur les Indiens.

[259] Le Tribunal a effectué une analyse et une interprétation de la LCDP dans les décisions Matson et Andrews. L’analyse a entre autres amené le Tribunal à conclure qu’une plainte peut être rejetée parce qu’elle vise à contester une loi. Le Tribunal y a fait une interprétation du terme « services », tel qu’il est employé à l’article 5 de la LCDP, et il a statué sur la primauté des lois en matière de droits de la personne.

[260] Cependant, une distinction peut incontestablement être faite entre les décisions Matson et Andrews et la présente affaire, puisque la formation a conclu, dans la Décision sur le bien‑fondé ainsi que dans les décisions sur requête subséquentes, à l’existence d’actes discriminatoires qui doivent être éliminés. Dans la décision Andrews, la présidente de la formation, Sophie Marchildon (qui préside aussi la formation en l’espèce), a formulé des commentaires sur l’objet de la Loi sur les Indiens, dont certains sont particulièrement pertinents dans le contexte de la présente décision, notamment ceux‑ci :

Le statut d’Indien est un concept juridique créé par le gouvernement fédéral. Par diverses dispositions de la Loi sur les Indiens, L.R.C., 1985, ch. I-5 (la Loi sur les Indiens) et ses versions précédentes, le gouvernement fédéral a défini les personnes qui ont droit à l’inscription à titre d’« Indien ». Le concept juridique d’« Indien », de la jeune colonie à aujourd’hui, ne reflète pas les coutumes traditionnelles ou actuelles des peuples des Premières Nations en ce qui a trait à la définition de leur organisation sociale et de leur appartenance à cette organisation (voir McIvor v. The Registrar, Indian and Northern Affairs Canada, 2007 BCSC 827, aux paragraphes 8 à 12 (McIvor)).

(Voir Andrews, au par. 1)

[261] La question de la nécessité d’établir l’existence d’un acte discriminatoire a aussi été examinée dans cette affaire, et le constat suivant est particulièrement utile en l’espèce :

[…] je ne suis pas d’avis que ces décisions renoncent à l’exigence juridique selon laquelle le Tribunal doit conclure qu’il y a eu « acte discriminatoire » au sens de la Loi.

(Voir Andrews, au par. 78)

Cela ne fait que confirmer la conclusion que j’ai déjà tirée, soit que, bien que la Cour suprême ait confirmé la primauté des lois en matière de droits de la personne, ce principe s’applique à un « acte discriminatoire » au sens de la Loi […].

(Voir Andrews, au par. 85)

[Non souligné dans l’original.]

Bien que mon raisonnement interdise la contestation d’une décision ou d’un acte qui découle directement de la Loi sur les Indiens, les décisions ou les actes qui constituent un « acte discriminatoire » au sens des articles 5 à 25 de la Loi et qui auraient auparavant été faits « dans le cadre du régime » de la Loi sur les Indiens relèvent maintenant de la compétence du Tribunal. Le fait que le Tribunal a déjà commencé à instruire des affaires de ce genre est une preuve de plus de ce fait (voir, par exemple, Louie et Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TCDP 2).

(Voir Andrews, au par. 107)

[Non souligné dans l’original.]

[262] La présente affaire n’est pas une contestation de la Loi sur les Indiens. Elle porte sur une discrimination dans la prestation de services et l’utilisation de critères discriminatoires et discrétionnaires pour établir l’admissibilité à recevoir des services en vertu du principe de Jordan. De plus, la présente décision sur requête ne vise pas à déclarer le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens inopérant, puisque le Tribunal n’est pas dûment saisi de la question et qu’il ne s’agit pas du recours approprié pour ce faire. Cependant, dans la mesure où le paragraphe 6(2) entre en conflit avec la LCDP et les droits de la personne qu’elle protège, et vu l’existence d’une discrimination que le Tribunal cherche à éliminer, la LCDP l’emporte sur la Loi sur les Indiens en raison de son caractère quasi constitutionnel.

[263] En outre, la formation juge que le Canada exerce son pouvoir discrétionnaire en établissant, comme critères d’admissibilité, le statut d’Indien inscrit ou le droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens, de manière à restreindre l’accès aux services pouvant être obtenus en vertu du principe de Jordan, ce qui revient à refuser ces services aux enfants des Premières Nations vivant à l’extérieur d’une réserve qui n’ont pas le statut d’Indien et qui n’y sont pas admissibles, mais qui ont un parent ou un tuteur ayant ce statut ou y étant admissible. Le fait d’appliquer ces critères discriminatoires de la Loi sur les Indiens engendre une différence de traitement défavorable entre des frères et sœurs ou entre des membres d’une même famille, en raison d’une règle dite « d’inadmissibilité de la deuxième génération » qui est destinée à assimiler les Premières Nations et à éroder leur citoyenneté. Cela équivaut à de la discrimination et va à l’encontre de ce que la formation souhaite accomplir en l’espèce, soit s’assurer que le Canada met un terme aux actes discriminatoires et prend des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir les actes semblables (voir le par. 53(2) de la LCDP). Dans une décision sur requête antérieure, la présidente de la formation a d’ailleurs fait la remarque suivante dans ses observations finales : « Comme il est reconnu qu’une Nation est également formée de sa population, le retrait systématique d’enfants d’une Nation affecte son existence même. » (Voir 2018 TCDP 4, au par. 452)

[264] Pour arriver à sa conclusion, la formation suit un cadre d’analyse similaire à celui qu’a adopté le membre Lustig dans la décision Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2014 TCDP 1. Dans cette affaire, le Tribunal devait trancher la question de savoir si AINC avait agi de manière discriminatoire envers la plaignante Joyce Beattie à l’égard de son droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens. Peu après sa naissance, Mme Beattie avait été adoptée selon la coutume autochtone par des parents ayant le statut d’Indien, mais appartenant à une bande différente de celle à laquelle appartenait sa mère biologique. À la suite de modifications apportées à la Loi sur les Indiens par l’adoption de la Loi sur l’Équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, L.C. 2010, c. 18, les petits‑enfants de Mme Beattie devenaient admissibles à l’inscription au registre des Indiens si Mme Beattie avait le statut d’Indien de ses parents adoptifs par l’inscription au titre de l’alinéa 6(1)c), mais pas si elle l’avait de ses parents biologiques suivant l’inscription au titre de l’alinéa 6(1)f). Pendant environ deux ans et demi, AINC avait refusé de reconnaître l’adoption coutumière de Mme Beattie, en l’inscrivant au registre au titre de l’alinéa 6(1)f). De façon similaire, AINC avait refusé de retirer le nom de Mme Beattie de la liste des membres de la bande à laquelle appartenait sa mère biologique.

[265] Le Tribunal a jugé que la plainte était fondée. Il a conclu que le traitement d’une demande d’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens constituait un service au sens de l’article 5 de la LCDP. Les demandes d’inscription sont traitées par des employés du gouvernement pour le compte de personnes qui souhaitent être inscrites au registre des Indiens afin d’obtenir des avantages. Le Tribunal a conclu qu’AINC exerçait son pouvoir discrétionnaire pour prendre des décisions qui relevaient du champ d’application de la LCDP. La plainte n’était pas une attaque déguisée visant la Loi sur les Indiens en tant que telle. Le fait qu’AINC avait fini par reconnaître que Mme Beattie avait droit à l’inscription en raison de son lien avec ses parents adoptifs, et qu’il avait ensuite retiré son nom de la liste des membres de la bande à laquelle appartenait sa mère biologique, confirmait qu’il avait toute discrétion dans sa façon d’interpréter la Loi sur les Indiens. Ainsi, AINC avait l’obligation d’opter pour une interprétation large, libérale et téléologique qui respectait les principes relatifs aux droits de la personne et qui n’entraînait aucune discrimination fondée sur la situation familiale.

[266] De manière analogue, les SAC ont confirmé qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer quelles personnes sont admissibles à recevoir des services en vertu du principe de Jordan :

Lorsqu’une demande est présentée au nom d’un enfant non inscrit, le coordonnateur du principe de Jordan travaille avec le demandeur et le registraire des Indiens pour savoir si l’enfant serait admissible à l’inscription en prenant connaissance du statut des parents et du statut potentiel en vertu du projet de loi S‑3. En cas d’incertitude, quant à l’admissibilité de l’enfant, le coordonnateur peut pécher par excès de prudence et approuver la demande dans « l’intérêt supérieur de l’enfant », en particulier lorsqu’il existe des doutes quant au respect des délais ordonnés (voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, aux paragraphes 35 à 39).

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 42)

[267] De plus, la formation a déjà indiqué qu’elle veut s’assurer que les réparations n’occultent pas une autre forme de discrimination :

[…] la formation veut aussi s’assurer de concevoir des réparations efficaces qui mettent un terme à la discrimination et empêchent qu’elle ne se reproduise. Inutile de dire qu’elle ne peut tolérer une autre forme de discrimination pendant qu’elle rend ses ordonnances de réparation.

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 22)

[268] L’ordonnance de mesures provisoires que la formation a rendue fait état de l’analyse qui s’impose par rapport au principe de Jordan :

1. les enfants des Premières Nations sans statut en vertu de la Loi sur les Indiens qui vivent hors réserve, mais qui sont reconnus comme membres par leur nation, et 2. les enfants qui ont des besoins urgents ou mettant leur vie en danger. Lors de l’évaluation des besoins urgents ou mettant la vie en danger, il faut tenir compte de la gravité de l’état de l’enfant et de l’évaluation de l’enfant faite par un médecin, un professionnel de la santé ou tout autre professionnel participant à l’évaluation de l’enfant. Le Canada doit veiller à ce que la nécessité de combler les lacunes dans les services et celle d’éliminer toutes les formes de discrimination, de même que le principe de l’égalité réelle, les droits de la personne, y compris les droits des Autochtones, l’intérêt supérieur de l’enfant, la DNUDPA et la Convention relative aux droits de l’enfant, guident les décisions concernant les enfants des Premières Nations.

(2019 TCDP 7, au par. 89),

[Soulignement omis, caractère gras ajouté.]

C. Projet de loi S‑3 et dispositions sur l’émancipation

[269] La formation ne voit aucune raison pour laquelle les enfants des Premières Nations qui deviendront inévitablement admissibles à recevoir des services en vertu du principe de Jordan, lorsqu’ils pourront demander d’être inscrits au registre des Indiens et obtenir le statut d’Indien à la suite des modifications législatives du projet de loi S‑3, devraient attendre que le Canada entame la mise en œuvre des changements législatifs avant de pouvoir obtenir ces services, notamment des services qui vont au‑delà des normes établies et qui sont sûrs et adaptés à leur culture. Autrement, ces enfants qui auront bientôt le statut d’Indien devront attendre inutilement et pourraient, le cas échéant, demander des services rétroactivement une fois qu’ils auront obtenu le statut. Par conséquent, compte tenu des principes d’égalité réelle, des faits historiques et du traitement discriminatoire qui ont été décrits dans la Décision sur le bien‑fondé ainsi que dans les décisions sur requête subséquentes, la formation ordonne au Canada, en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, de considérer ces enfants des Premières Nations, qui pourront demander d’être inscrits au registre des Indiens et obtenir le statut d’Indien lors de la mise en œuvre du projet de loi S‑3, comme étant immédiatement admissibles à recevoir des services en vertu du principe de Jordan. La même considération s’applique dans le cas de parents qui pourront demander d’être inscrits au registre et obtenir le statut d’Indien lors de la mise en œuvre du projet de loi S‑3.

[270] Enfin, le même raisonnement devrait s’appliquer dans le cas des parents d’enfants des Premières Nations qui ont besoin de services sûrs, adaptés à leur culture et qui dépassent les normes établies, en vertu du principe de Jordan, lesquels parents, malgré leur émancipation antérieure, sont maintenant admissibles au statut d’Indien.

[271] Il appert que le Canada soulève de bonne foi une défense fondée sur des contraintes pécuniaires au titre de l’alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2) de la LCDP en avançant qu’une définition inclusive de l’expression « enfant d’une Première Nation » pourrait [traduction] « risquer de compromettre la réponse aux besoins des enfants qui sont effectivement visés par la plainte ». Or, bien que l’argument selon lequel les ressources du Canada ne sont pas illimitées semble fondé, la preuve qui a été présentée est insuffisante pour étayer une telle affirmation. Par conséquent, la formation juge que cet argument n’est pas convaincant.

D. Ordonnance

[272] En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la formation ordonne à l’APN, à la Société de soutien, à la Commission, aux Chiefs of Ontario, à la NNA et au Canada d’inclure, dans leurs consultations, suite à l’ordonnance rendue pour la question I, les enfants des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien et qui n’y sont pas admissibles, mais qui ont un parent ou un tuteur ayant ce statut ou y étant admissible.

[273] De plus, la formation ordonne au Canada de considérer les enfants des Premières Nations qui pourront demander d’être inscrits au registre des Indiens et obtenir le statut d’Indien par la mise en œuvre du projet de loi S‑3 comme étant immédiatement admissibles à recevoir des services en vertu du principe de Jordan.

VI. Question III

Les enfants des Premières Nations qui vivent à l’extérieur d’une réserve et qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations en raison du système de pensionnats indiens, de la rafle des années 60 ou de la discrimination au sein du programme des SEFPN.

A. Structure

[274] Dans cette dernière partie, deux catégories additionnelles seront traitées :

  • Les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et vivant à l’extérieur d’une réserve qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations en raison du système de pensionnats indiens, de la rafle des années 60 ou de la discrimination au sein du programme des SEFPN.
  • Les enfants des Premières Nations n’ayant pas le statut d’Indien et vivant à l’extérieur d’une réserve qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations pour d’autres raisons.

[275] Comme indiqué dans l’analyse de la question précédente, selon la compréhension de la formation, la position du Canada est qu’il considère déjà que les enfants autochtones qui habitent dans une réserve sont visés par le principe de Jordan; la formation présume qu’il en va de même pour les enfants des Premières Nations visés dans la présente partie VI qui habitent dans une réserve.

[276] La formation a tiré de nombreuses conclusions, tranché bon nombre de requêtes et rendu plusieurs ordonnances relatives au principe de Jordan, lesquelles ont été acceptées par le Canada. Elle conserve sa compétence à l’égard des ordonnances qu’elle a rendues afin de veiller à leur exécution et de s’assurer que cesse la discrimination constatée en l’espèce. Par conséquent, la formation a compétence pour examiner ces demandes afin de déterminer l’efficacité de ses ordonnances au regard de la preuve au dossier et de la discrimination constatée dans la présente affaire.

B. Analyse

[277] Il ne fait aucun doute que le Tribunal a compétence pour analyser cette requête, étant donné que le principe de Jordan s’inscrit dans la demande en l’espèce et que la formation a conservé sa compétence à l’égard des ordonnances qu’elle a rendues. La formation a donc compétence pour préciser ses ordonnances et en rendre d’autres au besoin, lorsque la preuve au dossier le justifie.

[278] La formation examinera les deux catégories susmentionnées indistinctement, puisque le cadre juridique analysé ci‑après s’applique aux deux.

[279] Les parties n’ont invoqué aucun élément de preuve pour appuyer leurs arguments concernant la demande de la question III, mais la formation a tout de même examiné attentivement la preuve au dossier. Ce faisant, la formation a tenu compte de l’exposé des précisions de chaque partie, des observations finales qui ont été formulées, des éléments de preuve sur lesquels les parties se sont appuyées pour faire valoir leurs arguments ainsi que des éléments de preuve présentés dans le cadre de la requête provisoire.

[280] Cela dit, la formation juge que la portée de la demande en l’espèce ne s’étend pas aux enfants des Premières Nations vivant hors réserve qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations pour d’autres raisons que la discrimination constatée dans la présente affaire. Il s’agit d’une catégorie d’enfants qui n’a pas été considérée avant la requête présentée en 2019, et le Tribunal ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour tirer une conclusion à l’égard de ces enfants. Comme la formation l’a noté précédemment, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Moore que la réparation doit découler de la demande qui est faite.

[281] Dans la Décision sur le bien‑fondé, la formation a conclu que les survivants des pensionnats indiens et de la rafle des années 60, qui ont souffert, comptent de nombreux enfants des Premières Nations qui pourraient avoir des besoins plus grands à cause du traumatisme intergénérationnel, du colonialisme, du racisme systémique et d’autres torts historiques imputables au Canada. Comme il a été expliqué plus haut, cette conclusion s’inscrit dans l’analyse de l’égalité réelle selon le principe de Jordan. La formation a tiré ses conclusions sans tenir compte du statut d’Indien ou du fait de résider ou non dans une réserve.

[282] Il en va de même pour les enfants des Premières Nations qui ont subi de la discrimination dans la prestation de services financés par le gouvernement fédéral et couverts par le principe de Jordan. Depuis les précisions apportées au sujet du principe de Jordan dans les décisions 2017 TCDP 14 et 2017 TCDP 35, un service fédéral peut aussi être un service qui dépasse les normes établies afin de réparer la discrimination constatée en l’espèce et qui assure l’égalité réelle en répondant aux besoins particuliers et distincts des enfants des Premières Nations.

[283] Cependant, la formation n’a tiré aucune conclusion en ce qui concerne les services que reçoivent les enfants des survivants des pensionnats indiens et de la rafle des années 60 qui vivent à l’extérieur d’une réserve et qui ne sont pas reconnus comme membres d’une communauté d’une Première Nation, car ces enfants n’ont pas été mentionnés dans la plainte ou dans les arguments des parties avant la présente requête et les éléments de preuve déposés sont insuffisants.

[284] La formation n’a pas empêché les parties de présenter des éléments de preuve au soutien de la présente requête. Toutefois, il est à noter que la Société de soutien et le Canada ont présenté des éléments de preuve pour appuyer la requête provisoire, et que la formation en a tenu compte dans la partie II de la présente décision.

[285] Comme les parties n’ont présenté aucun élément de preuve dans le cadre de la présente requête, la formation n’est pas en mesure, pour l’instant, de tirer des conclusions à l’égard des deux catégories d’enfants susmentionnées, et encore moins d’ordonner des réparations.

[286] Dans le même ordre d’idées, la formation est d’accord avec la Commission et le Canada pour dire que la preuve au dossier est insuffisante pour tirer des conclusions de fait en ce qui a trait aux enfants des Premières Nations vivant hors réserve qui n’ont pas le statut d’Indien et qui ont perdu leurs liens avec leur communauté des Premières Nations, ou dont les parents s’identifient en tant que membres d’une Première Nation. Là encore, les parties n’ont pas soulevé ni invoqué quelque demande, argument ou preuve (voir, par exemple, les observations finales formulées par la Société de soutien à l’audience de 2014 dans la Décision sur le bien‑fondé, aux par. 368‑369, 374, 394 à 396, 398, 400, 401, 403, 407, 424, 425, 439 et 453 à 456).

[287] De plus, les critères juridiques établis dans les arrêts Moore et Gibbs ne sont pas destinés à être utilisés de façon indépendante en l’absence de preuve; au contraire, ils prennent sens lorsqu’on les applique aux faits et à la preuve au dossier. Lorsque celle‑ci est insuffisante, le fardeau de la preuve n’est pas acquitté et aucune réparation n’est ordonnée.

[288] Aussi,

[c]omme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 42 (« Chopra »), « [l]a question du fardeau de la preuve ne se pose que lorsqu’il faut décider quelle partie doit subir les conséquences d’une lacune dans la preuve qui empêche le décideur des faits de tirer une conclusion particulière ». Bien que des questions particulières concernant le fardeau de la preuve puissent se poser lorsqu’elle doit trancher des requêtes comme celles dont la formation a été saisie en l’espèce, si le dossier de la preuve permet à la formation de tirer des conclusions de fait étayées par la preuve, la question de savoir qui avait le fardeau de prouver un fait est sans importance. (Voir la décision 2017 TCDP 14, au paragraphe 30.)

(Voir aussi l’ordonnance de mesures provisoires 2019 TDCP 7, au par. 47)

[289] La formation ne peut tirer la même conclusion de fait en ce qui concerne les catégories d’enfants visées dans la présente partie; elle peut uniquement conclure que ces enfants des Premières Nations se voient refuser l’accès aux services offerts en vertu du principe de Jordan. Ce refus est manifeste au vu des observations du Canada et de la preuve au dossier :

[L]a formation constate que les exigences du Canada en matière d’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens sont en corrélation directe avec les personnes qui reçoivent des services en vertu du principe de Jordan, et confirment donc l’importance d’une audience complète sur cette question :

[traduction]
La reconnaissance de l’identité autochtone est une question complexe. En août 2015, le projet de loi S‑3 a modifié la Loi sur les Indiens en créant sept nouvelles catégories d’inscription, en réponse à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en août 2015 dans l’affaire Descheneaux c. Canada. Ces dispositions sont entrées en vigueur en décembre 2017 et, à juste titre, le Canada a réexaminé les demandes présentées en vertu du principe de Jordan pour les enfants qui pourraient avoir été touchés par la décision. (Voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, au paragraphe 15.)

D’autres modifications à la définition en vertu de la Loi sur les Indiens seront élaborées après une période de consultation avec les Premières Nations. Lorsque la partie B du projet de loi S‑3 entrera en vigueur, les demandes fondées sur le principe de Jordan seront traitées conformément à la définition qui découlera de ce processus, quelle qu’elle soit. (Voir l’affidavit de Dre Valerie Gideon, daté du 21 décembre 2018, au paragraphe 16.)

(Voir 2019 TCDP 7, au par. 86)

[Caractère gras omis.]

[290] Néanmoins, ces critères juridiques doivent être appliqués à l’égard de faits établis, et ils sont intimement liés à la preuve dont dispose le Tribunal; c’est ce qui justifie une réparation. Or, contrairement aux questions I et II, la formation dispose de peu d’éléments pour tirer des conclusions qui auraient des conséquences significatives pour des détenteurs de droits non concernés par la présente affaire.

[291] L’intervention du CPA illustre cette situation. Le CPA n’a pas été autorisé à présenter d’éléments de preuve au Tribunal, car les parties ont soulevé des préoccupations en matière de diligence. La formation a examiné la demande du CPA et a maintenant une meilleure vue d’ensemble. Le CPA souhaite essentiellement faire partie des consultations au sujet de la catégorie d’enfants des Premières Nations qui vivent à l’extérieur d’une réserve et qui n’ont pas le statut d’Indien, y compris ceux qui ont perdu leurs liens avec leur Première Nation et qui s’identifient en tant que membres d’une Première Nation.

[292] De son côté, l’APN craint fortement que l’inclusion de cette catégorie puisse entraîner des demandes illégitimes faites par de soi‑disant membres de Premières Nations qui profiteraient de ressources destinées aux enfants des Premières Nations vulnérables ayant besoin de services. La formation juge que cette préoccupation est sérieuse et requiert un examen qui, pour l’instant, ne peut être fait sur la foi de la preuve dont elle dispose. L’APN fait valoir que les services allant au-delà des normes établies offerts en vertu du principe de Jordan sont attrayants pour plusieurs personnes. Elle fait aussi valoir que reconnaître ces enfants et d’autres qui appartiennent à une Première Nation, mais ont perdu leurs liens avec celle‑ci, entraînerait un gaspillage des ressources destinées à réparer la discrimination pratiquée dans les programmes et services du gouvernement fédéral et constatée en l’espèce à l’égard des enfants des Premières Nations.

[293] Bien que la formation soit d’accord avec la Société de soutien et la NNA pour dire que rien ne justifie de priver certains enfants de services – en l’absence d’une défense bien fondée au titre de l’article 15 de la LCDP, d’autant plus que les plaignantes se sont acquittées du fardeau de preuve qui leur incombait –, elle est néanmoins consciente des enjeux sociaux que l’APN a portés à son attention et du contexte élargi qui requiert non seulement des éléments de preuve à l’appui, mais aussi, comme le soutient le Canada, des discussions à l’extérieur du Tribunal. Aux yeux du Canada, pour l’instant une ordonnance comme celle qui est demandée serait impraticable, compte tenu du besoin de mener de plus larges consultations avec les Premières Nations, les Inuits, les Métis, les provinces et les organismes, pour ne nommer que ceux‑là. La formation estime que de telles consultations seraient avantageuses, pourvu qu’elles soient planifiées, organisées et tenues dans des délais raisonnables, car elles permettraient d’examiner toutes les situations qui affectent ces enfants.

[294] Cela dit, dans le cas des personnes qui appartiennent à une Première Nation, mais qui n’ont ni le statut d’Indien ni le droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens, et qui ont à la fois perdu leurs liens avec leur Première Nation et subi un déracinement culturel en raison des pensionnats indiens, de la rafle des années 60 et du programme des SEFPN, la formation est d’avis que leur admissibilité à recevoir des services offerts en vertu du principe de Jordan devrait être considérée à la lumière des conclusions du juge Phelan et de la Cour suprême du Canada.

[295] Dans l’arrêt Daniels, la Cour suprême du Canada a conclu que les Métis et les Indiens non inscrits relevaient de la compétence fédérale sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour a en fait décrit la situation où une définition large avait été donnée au terme « Indiens » lorsque celle-ci satisfaisait les besoins du Canada, tandis qu’une définition restreinte avait été donnée lorsque faire autrement aurait imposé une obligation au gouvernement fédéral. Parallèlement, les gouvernements provinciaux refusaient généralement d’acquiescer aux demandes d’aide des Métis et des Indiens non inscrits, faisant valoir qu’il s’agissait de responsabilités fédérales.

[296] De plus, la Cour a conclu que la délinéation des pouvoirs constitutionnels et leur attribution au gouvernement fédéral ou aux gouvernements provinciaux « présenteront une utilité pratique considérable pour ces deux groupes qui, jusqu’à maintenant, ont dû compter davantage sur une forme de “Noblesse oblige” que sur le respect des obligations imposées par la Constitution » (Daniels, au par. 12).

[297] La Cour a décrit la situation comme étant une espèce de « désert juridique » dans lequel les Métis et les Indiens non inscrits « n’ont personne qu’ils peuvent tenir responsable de ce statu quo inopportun » (Daniels, au par. 15).

[298] Tout en constatant l’absence de consensus sur la question de savoir quelles personnes sont considérées comme des Métis ou des Indiens non inscrits, la Cour suprême a affirmé ceci :

Ces ambiguïtés d’ordre définitionnel n’empêchent pas de décider si les deux groupes, peu importe la façon dont on les définit, sont visés par le par. 91(24). À l’instar du juge de première instance et de la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis que les contextes historique, philosophique et linguistique établissent que les « Indiens » visés au par. 91(24) englobent tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Métis.

(Daniels, au par. 19)

[299] La Cour a ajouté ceci :

De plus, bien que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne définisse pas la portée du par. 91(24), il convient de noter qu’il énonce que les Indiens, les Inuit et les Métis sont des peuples autochtones pour l’application de la Constitution. Notre Cour a récemment expliqué que « [l]a réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel » constitue « le noble objectif » de l’art. 35 (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 10). En outre, dans l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, la Cour a souligné que l’art. 35 et le par. 91(24) doivent être interprétés conjointement (p. 1109, cité dans Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), [2013] 1 R.C.S. 623, par. 69).

(Voir Daniels, au par. 34)

Le terme « Indien » ou « Indiens » a donc deux sens en contexte constitutionnel : un sens large, au par. 91(24), qui inclut tant les Métis que les Inuit et que l’on peut assimiler à celui de l’expression « peuples autochtones du Canada » employée à l’art. 35; et un sens plus restreint, qui distingue les bandes indiennes des autres peuples autochtones.

(Voir Daniels, au par. 35)

[300] La Cour suprême a affirmé sans équivoque que sa décision avait pour but de favoriser la réconciliation dans la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Selon la juge Abella, la réconciliation avec tous les peuples autochtones du Canada est aussi l’objectif du Parlement :

Les modifications constitutionnelles, les excuses pour les torts du passé, la reconnaissance grandissante du fait que les peuples autochtones et non autochtones sont des partenaires dans la Confédération, le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones ainsi que le Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada indiquent tous qu’une réconciliation avec l’ensemble des peuples autochtones du Canada est l’objectif du Parlement.

(Daniels, au par. 37)

[301] Les motifs et les conclusions de la Cour suprême portaient principalement sur la question du statut des Métis, puisque la Couronne avait reconnu, dans sa plaidoirie, que les Indiens non inscrits étaient des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24). Au terme de son analyse, la Cour a accueilli la demande de jugement déclaratoire.

[302] La Cour a reconnu l’absence de consensus sur la question de savoir quelles personnes étaient considérées comme des Métis ou des Indiens non inscrits, mais il ne s’agissait pas selon elle d’un motif valable pour refuser d’accorder le jugement déclaratoire. La Cour a refusé d’établir des critères définitoires pour les Métis et les Indiens non inscrits, affirmant plutôt de manière générale que « [l]a question de savoir si des personnes données sont des Indiens non inscrits ou des Métis, et donc des “Indiens” visés au par. 91(24) — ou encore si une collectivité en particulier est formée de telles personnes —, est une question de fait qui devra être décidée au cas par cas dans le futur […] » (Daniels, au par. 47).

[303] La Cour suprême a fait une distinction entre l’objet du paragraphe 91(24) et celui de l’article 35 de la Charte. « [L]es “Indiens” visés au par. 91(24) englobent tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Métis » (voir Daniels, au par. 19). « Les critères de l’arrêt Powley ont été établis spécialement pour l’application de l’art. 35, lequel a pour objet de protéger des droits collectifs historiques (par. 13). […] Le paragraphe 91(24) vise pour sa part un objectif constitutionnel très différent » (voir Daniels, au par. 49).

Le troisième critère — l’acceptation par la collectivité — suscite des préoccupations particulières en l’espèce. Les critères de l’arrêt Powley ont été établis spécialement pour l’application de l’art. 35, lequel a pour objet de protéger des droits collectifs historiques (par. 13). C’est la raison pour laquelle, afin de déterminer qui est un Métis visé à l’art. 35, l’acceptation par la collectivité a été jugée constituer un préalable à la reconnaissance de tels droits. Le paragraphe 91(24) vise pour sa part un objectif constitutionnel très différent. Il concerne la relation du gouvernement fédéral avec les peuples autochtones du Canada. Il est possible que, parmi les personnes visées par cette disposition, certaines ne soient plus acceptées par leurs collectivités parce qu’elles en auraient été séparées en raison, par exemple, de politiques gouvernementales comme celle relative aux pensionnats indiens. Il n’existe aucune raison logique justifiant de priver présomptivement et arbitrairement de telles personnes de la protection qu’offre le pouvoir de légiférer du Parlement sur la base d’un critère requérant leur « acceptation par la collectivité ».

(Daniels, au par. 49)

Cependant, le fait que le gouvernement fédéral ait compétence à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits ne signifie pas que toute mesure législative provinciale les concernant est intrinsèquement ultra vires. Comme l’a reconnu notre Cour, il importe que les tribunaux « privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement » (Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 37 (en italique dans l’original)). En outre, la Cour a précisé que la compétence fédérale sur les Indiens prévue au par. 91(24) n’empêche pas l’instauration de régimes provinciaux valides qui ne portent pas atteinte à son contenu essentiel (NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 3).

(Voir Daniels, au par. 51)

Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont tour à tour nié avoir le pouvoir de légiférer à l’égard des Indiens non inscrits et des Métis. Comme l’a conclu le juge de première instance, quand les Métis et les Indiens non inscrits demandent au gouvernement fédéral d’assumer compétence législative à leur égard, celui‑ci tend généralement à répondre que le par. 91(24) l’empêche de le faire. Et lorsque ces groupes s’adressent aux gouvernements provinciaux, ces derniers leur opposent souvent un refus au motif que la question relève du champ de compétence fédéral.

(Voir Daniels, au par. 13)

Ces collectivités autochtones se retrouvent donc dans une sorte de désert juridique sur le plan de la compétence législative, situation qui, comme l’a reconnu le juge Phelan, a des conséquences défavorables importantes et évidentes :

L’une des conséquences des positions adoptées par le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces, ainsi que des jeux de « ballons politiques » et de « renvoi de balle », était que les [Métis et les Indiens non inscrits] avaient été privés d’une quantité importante d’aide financière pour leurs problèmes. . .

. . . les querelles politiques et de principes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont causé des dommages collatéraux à un grand nombre de [Métis et d’Indiens non inscrits]. Ces derniers sont privés de programmes, de services et d’avantages non tangibles que tous les gouvernements reconnaissent comme étant nécessaires. [par. 107‑108]

Voir aussi Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, par. 70.

(Voir Daniels, au par. 14)

Les gouvernements fédéral et provinciaux refusant tous deux de reconnaître compétence à leur égard, les Métis et les Indiens non inscrits n’ont personne qu’ils peuvent tenir responsable de ce statu quo inopportun. La Couronne prétend toutefois que, comme le fait de conclure qu’elle a compétence en vertu du par. 91(24) ne créerait aucune obligation de légiférer, il n’y a pas lieu de répondre à la question de la compétence dans un contexte de vide législatif. Il est vrai que le fait de conclure que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » visés au par. 91(24) ne crée aucune obligation de légiférer, mais une telle conclusion a pour effet bénéfique indéniable de mettre fin au bras de fer que se livrent les gouvernements fédéral et provinciaux sur la question de la compétence législative, où ces groupes en sont réduits à se demander vers qui se tourner pour obtenir une réparation gouvernementale. L’existence d’un vide législatif reflète manifestement le fait qu’aucun ordre de gouvernement n’a reconnu sa responsabilité sur le plan constitutionnel. Un jugement déclaratoire garantirait à la fois la certitude et la responsabilité à cet égard, et satisferait ainsi facilement au seuil jurisprudentiel applicable, soit le fait de présenter l’utilité pratique tangible de régler un conflit de compétence de longue date.

(Voir Daniels, au par. 15)

Si une personne possède des caractéristiques raciales et sociales « suffisantes » pour être considérée comme une « personne autochtone », elle sera considérée comme un « Indien » [. . .] relevant de la compétence législative du gouvernement fédéral, sans égard au fait qu’elle puisse être exclue du champ d’application de la Loi sur les Indiens. [p. 43]

(Voir Daniels, au par. 33)

[304] L’affirmation suivante du juge Phelan de la Cour fédérale dans la décision Daniels est éclairante dans le cas qui nous occupe :

[84] Les circonstances qui, selon les demandeurs, avaient donné naissance au présent litige étaient bien décrites dans un mémoire au Cabinet présenté par le secrétaire d’État, en date du 6 juillet 1972 :

[traduction] Les Métis et les Indiens non inscrits, qui n’ont même pas la protection du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, sont beaucoup plus exposés à la discrimination et aux autres troubles sociaux. Il est exact d’affirmer que l’absence d’une initiative fédérale dans ce domaine fait en sorte qu’ils sont les plus désavantagés de tous les citoyens canadiens.

(Voir Daniels c. Canada, 2013 CF 6, au par. 84)

[305] La formation a déjà traité du paragraphe 91(24), de la théorie du double aspect, de la doctrine de l’arbre vivant, du fédéralisme, de la relation de fiduciaire et de l’honneur de la Couronne dans la Décision sur le bien-fondé, et ne voit pas l’intérêt de reproduire ses conclusions ici, mais conclut que celles-ci sont cohérentes avec la décision de la Cour suprême dans l’affaire Daniels et que, dans l’ensemble, le même raisonnement s’applique ici. D’ailleurs, l’arrêt Daniels confirme que les membres des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien se trouvent dans une situation de « bras de fer » semblable, laquelle peut entraîner l’application du principe de Jordan, qui est précisément conçu pour y répondre.

[306] Du reste, un examen au cas par cas basé sur la situation et les besoins particuliers de chaque enfant doit encore être effectué. Cela est cohérent avec la méthode que le Tribunal a adoptée et les directives de la Cour suprême dans l’arrêt Daniels.

[307] Dans cet arrêt, la Cour a statué sur la compétence législative du gouvernement fédéral à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits. Voici d’ailleurs ce qu’énonce l’article 2 de la LCDP :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée.

[Non souligné dans l’original.]

[308] Les arrêts de la Cour suprême du Canada sont exécutoires et nous fournissent des renseignements utiles et pertinents en l’espèce. De plus, l’alinéa 50(3)c) de la LCDP permet au Tribunal d’examiner et d’admettre en preuve les éléments qu’il juge utiles. Toutefois, la formation estime que cela n’est pas suffisant pour rendre les ordonnances demandées sans preuve à l’appui. Qui plus est, comme expliqué précédemment, la plainte présentée au Tribunal visait les Premières Nations, et non les Métis, les Inuits ou les personnes qui s’identifient comme membres d’une Première Nation. Bien que la formation croie que tous les enfants au Canada devraient pouvoir recevoir les services dont ils ont besoin, il n’en demeure pas moins que la présente affaire concerne uniquement les Premières Nations. Par conséquent, elle ne rendra aucune ordonnance à l’égard de la question posée dans cette partie, mais elle souhaite néanmoins énoncer quelques lignes directrices en s’appuyant sur la jurisprudence et en tenant compte du mécanisme et de l’objectif du principe de Jordan.

[309] Cela dit, à la lumière de ce qui précède, et compte tenu des instruments internationaux que le Canada a acceptés, signés et ratifiés, le Canada a des obligations positives envers tous les enfants des Premières Nations, qu’ils aient ou non le statut d’Indien, et il doit par conséquent mettre en œuvre des mesures précises visant à les protéger, sans distinction de statut. La formation estime par ailleurs que le terme « peuples autochtones » est plus approprié en ce qui concerne les principes que le droit international cherche à faire respecter. Les obligations nationales et internationales du Canada lui imposent de s’assurer que tous les enfants des Premières Nations ont accès à des services sûrs, adaptés à leur culture, et que le principe d’égalité réelle est respecté dans le cas de tous les enfants des Premières Nations, sans distinction de statut. Ces obligations nationales et internationales visent d’ailleurs tous les enfants canadiens, peu importe le lieu où ils vivent au Canada. Le fait que d’autres acteurs, et notamment des acteurs provinciaux, puissent intervenir dans la prestation de services ne constitue pas un motif permettant au Canada de se soustraire aux responsabilités qu’il a envers les enfants des Premières Nations aux termes du paragraphe 91(24) (voir 2016 TCDP 2, au par. 39). Dans les arrêts R. c. Gladue et R. c. Ipeelee, la Cour suprême du Canada a tenu compte du désavantage historique subi par les adultes des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien dans le contexte du système de justice pénale. La Cour suprême a appuyé l’inférence selon laquelle les membres des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien ont des besoins plus grands que la population non autochtone.

[310] En ce qui concerne les catégories d’enfants qui ont perdu leur statut d’Indien ou qui ne l’ont jamais obtenu en raison d’actes discriminatoires du Canada, la formation comprend l’argument du Canada selon lequel ils reçoivent vraisemblablement des services de la part des provinces et des territoires, et qu’ils ne connaissent probablement pas les mêmes lacunes, retards ou refus de services que les enfants qui vivent dans une réserve s’ils ne sont pas considérés comme ayant le statut d’Indien.

[311] Ce qui pose problème est le fait que de nombreux membres des Premières Nations ont été privés du droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens en raison de la discrimination constatée dans la présente affaire. Il s’agit entre autres de parents qui ont perdu leurs liens avec leur Première Nation et qui n’ont pas le statut d’Indien; leurs enfants ne sont pas admissibles au statut d’Indien. Ces enfants ont peut-être les mêmes besoins accrus, souvent supérieurs aux normes provinciales, que ceux des enfants vivant dans une réserve, notamment en ce qui concerne la santé mentale, l’éducation spécialisée, le syndrome d’alcoolisation fœtale, la perte de liens, la perte de culture, la langue, etc. Le traumatisme intergénérationnel est aussi un facteur reconnu que la formation a pris en compte pour tirer ses conclusions. En effet, la formation a conclu que le traumatisme intergénérationnel qu’ont subi les enfants des Premières Nations est souvent à l’origine de leurs besoins accrus.

[312] Un exemple fictif – mais plausible, compte tenu de la preuve au dossier mentionnée plus haut – est utile pour les besoins de l’analyse. Prenons un enfant qui n’a pas le statut d’Indien et qui n’y est pas admissible. Cet enfant d’une Première Nation (déplacé, par exemple, en raison de discrimination, de troisième ou quatrième génération, etc.) a perdu tous ses liens avec une Première Nation et a des problèmes de santé mentale en raison d’un traumatisme intergénérationnel et de discrimination raciale. Selon la norme provinciale, les enfants ayant de semblables problèmes de santé mentale peuvent obtenir 10 séances de consultation avec un psychologue pour enfant, voire 12 à 15 séances dans les cas exceptionnels. Si l’enfant a besoin de 50 séances plutôt que de 15, parce que son traumatisme est lié au traumatisme intergénérationnel qu’il a subi et au fait d’être un enfant d’une Première Nation, une analyse adéquate selon le principe de l’égalité réelle permettrait à cet enfant de bénéficier des 50 séances recommandées par les spécialistes. Mais puisque la norme établie prévoit seulement 15 séances, la province pourrait demander aux parents d’obtenir les soins de santé mentale supplémentaires par d’autres moyens. La province pourrait diriger l’enfant vers le gouvernement fédéral pour obtenir ces services allant au‑delà de la norme établie. Or, compte tenu des critères d’admissibilité actuels, le gouvernement fédéral pourrait répondre que les services devraient plutôt être fournis par le système provincial, étant donné que l’enfant n’a pas le statut d’Indien et qu’il ne s’agit pas d’une urgence ou d’une situation mettant sa vie en danger. Ce type de va‑et‑vient est précisément ce que vise à rectifier le principe de Jordan. Bon nombre de services dont ont besoin les enfants des Premières Nations découlent de leur appartenance même aux Premières Nations, indépendamment de leur statut sous le régime de la Loi sur les Indiens, et du fait qu’ils requièrent, en vertu des principes d’égalité réelle, une approche autochtone et des services sûrs et adaptés à leur culture. Lorsque le service nécessaire va au‑delà de la norme établie, par exemple en raison d’un traumatisme intergénérationnel, le besoin en matière de service ne peut être dissocié de la nationalité de l’enfant, peu importe comment le gouvernement la définit.

[313] Par ailleurs, le Canada a accepté le rapport de la CVR et s’est engagé à mettre en œuvre les 94 appels à l’action. Ce rapport a été déposé en preuve dans le cadre de cette affaire et la formation y a fait référence à maintes reprises. L’appel à l’action 20 est particulièrement instructif :

Afin de régler les conflits liés à la compétence en ce qui a trait aux Autochtones vivant à l’extérieur des réserves, nous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître les besoins distincts en matière de santé des Métis, des Inuits et des Autochtones hors réserve, de respecter ces besoins et d’y répondre.

[314] De plus, la formation juge pertinent le rapport intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place : Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Cependant, puisqu’il n’avait pas encore été publié au moment de l’audience et que les parties n’ont pas pu l’invoquer dans leurs arguments, la formation n’en a pas tenu compte pour tirer ses conclusions. Cela dit, étant donné que le Canada l’a accepté publiquement, la formation souhaite attirer l’attention sur l’appel à la justice 12.10 :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d’adopter immédiatement les normes prescrites par le Tribunal canadien des droits de la personne (décision 2017 TCDP 14) concernant la mise en œuvre du principe de Jordan relativement à tous les enfants métis, inuits et des Premières Nations (inscrits ou non inscrits).

[315] Ces normes intègrent la définition ainsi que l’analyse du principe de l’égalité réelle selon lequel le Canada devrait fournir des services au‑delà de la norme établie lorsque ceux‑ci sont nécessaires pour répondre aux besoins de l’enfant.

[316] La formation est d’accord avec la Société de soutien pour dire que si l’on se concentre sur le fait qu’un enfant des Premières Nations qui n’a pas le statut d’Indien vit hors réserve, sans chercher à savoir pourquoi il vit hors réserve, on omet de reconnaître que le fait qu’il vit hors réserve pourrait bien découler de la discrimination antérieure pratiquée par le Canada dans sa prestation de services dans les réserves. La formation est aussi d’accord avec la Société de soutien pour dire que la discrimination chronique au sein du programme des SEFPN soulève l’enjeu du déracinement culturel, et que c’est à bon droit que la présidente de la formation a formulé l’observation suivante dans sa conclusion de la décision du 1er février 2018 : « Comme il est reconnu qu’une Nation est également formée de sa population, le retrait systématique d’enfants d’une Nation affecte son existence même » (voir 2018 TDCP 4, au par. 452).

[317] Par conséquent, les enfants des Premières Nations qui ont perdu leurs liens avec leur communauté, ou qui pourraient même ne pas savoir à quelle communauté ils appartiennent, en raison de politiques colonialistes ou discriminatoires comme celles qui sous-tendent les pensionnats indiens, la rafle des années 60 et la discrimination dans le programme des SEFPN, ne devraient pas être exclus de la portée du principe de Jordan. En effet, vu le traumatisme intergénérationnel attribuable aux expériences qu’ils ont vécues, ces enfants risquent de subir une discrimination fondée sur leur « race ou origine nationale ou ethnique », que les enfants non autochtones ne subissent pas.

[318] Compte tenu de ce qui précède, la formation conclut que le Canada a une obligation positive envers « tous les enfants des Premières Nations », et ce, qu’ils aient ou non le statut d’Indien ou le droit d’être inscrits au registre des Indiens sous le régime de la Loi sur les Indiens.

[319] Cette obligation pourrait nécessiter des ressources et du financement additionnels pour faire en sorte que les enfants des Premières Nations visés par les ordonnances que la formation a rendues, notamment celles de la présente décision qui sont basées sur la preuve au dossier, puissent continuer de recevoir des services offerts en vertu du principe de Jordan d’une manière durable, pour les années à venir.

[320] La formation encourage le Canada à mettre en œuvre des mesures particulières et à agir de façon proactive en permettant la tenue de discussions en temps opportun afin d’assurer le respect de l’égalité réelle pour tous les enfants des Premières Nations du Canada.

VII. Ordonnances

[321] En vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la formation ordonne à l’APN, à la Société de soutien, à la Commission, aux Chiefs of Ontario, à la NNA et au Canada :

  1. de mener des consultations afin d’établir des critères d’admissibilité possibles pour les enfants des Premières Nations aux fins de l’application du principe de Jordan en tenant compte des ordonnances antérieures de la formation ainsi que des précisions fournies dans les parties I et II ci-dessus;
  2. d’instaurer un mécanisme d’identification des citoyens et/ou des membres des Premières Nations qui soit opportun, efficace et qui tienne compte des préoccupations soulevées par toutes les parties concernant la mise en œuvre. Dans l’élaboration de ce mécanisme, les discussions devraient aussi porter sur la nécessité pour les Premières Nations de recevoir des fonds supplémentaires pour être en mesure de répondre aux demandes de renseignements du Canada concernant l’identification des enfants des Premières Nations et, dans certains cas, pour renforcer cette capacité. Le mécanisme devrait aussi prévoir l’octroi d’un financement supplémentaire et permanent pour tenir compte des enfants qui seront dorénavant visés par le principe de Jordan.

[322] Les parties reviendront devant le Tribunal pour présenter, en réponse à l’ordonnance qui précède, les critères d’admissibilité et le mécanisme d’identification qu’elles proposent aux fins de l’application du principe de Jordan, au plus tard le 19 octobre 2020. D’ici là, et jusqu’à ce que la formation rende une ordonnance définitive à cet égard (sur consentement ou autrement), l’ordonnance de mesures provisoires 2019 TCDP 7 demeure en vigueur.

[323] De plus, toujours en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, la formation ordonne au Canada :

  1. de considérer les enfants des Premières Nations qui pourront demander d’être inscrits au registre des Indiens et obtenir le statut d’Indien lors de la mise en œuvre du projet de loi S‑3 comme étant immédiatement admissibles à recevoir des services offerts en vertu du principe de Jordan.

VIII. Maintien de la compétence

[324] La formation conserve compétence à l’égard des ordonnances qu’elle a rendues relativement au principe de Jordan, y compris celles qui ont été formulées ci‑dessus. Une fois que les parties auront formulé les critères d’admissibilité possibles aux fins de l’application du principe de Jordan et le mécanisme d’identification susmentionnés, conformément à l’ordonnance qui précède, et qu’elles seront revenues devant le Tribunal, la formation réexaminera la nécessité de maintenir sa compétence sur les questions entourant le principe de Jordan. Cela n’a cependant aucune incidence sur le maintien de sa compétence à l’égard des autres questions soulevées dans la présente affaire.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 juillet 2020

 


Tribunal canadien
des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 17 juillet 2020

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par:

David Taylor, Sarah Clarke, and Barbara McIsaac, c.r., avocats de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

David Nahwegahbow, Stuart Wuttke et Thomas Milne, avocats de l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Frater, c.r., Jonathan Tarlton et Patricia MacPhee, avocats de l’intimé

Maggie Wente et Sinéad Dearman, avocates de Chiefs of Ontario, partie intéressée

Julian N. Falconer et Akosua Matthews, avocats de la Nation Nishnawbe Aski, partie intéressée

Robert Bertrand, chef national du Congrès des peuples autochtones, partie intéressée

 



[1] Si l’un des parents d’un enfant est inscrit au titre du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens et que l’autre parent n’est pas inscrit, l’enfant a le droit d’être inscrit au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. En revanche, si l’un des parents est inscrit au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et que l’autre parent n’est pas inscrit, l’enfant n’a pas le droit d’être inscrit.

[2] Canadian Political Science Association, https://www.cpsa-acsp.ca/papers-2011/Peach.pdf.

[3] John Borrows, « Tracking Trajectories: Aboriginal Governance as an Aboriginal Right » (2005) 38 U.B.C. L. Rev. 285, p. 296.

[4] Patrick Macklem, « Distributing Sovereignty: Indian Nations and Equality of Peoples » (1993) 45 Standford L. Rev. 1311 [« Distributing Sovereignty »], p. 1333.

[5] Ibid., p. 124.

[6] John Borrows, « Indigenous Legal Traditions in Canada » (2005) 19 Wash. U. J. L. & Pol’y 167, p. 179 [« Indigenous Legal Traditions in Canada »] et Patrick Macklem, « Indigenous Difference and the Constitution of Canada » (Toronto: University of Toronto Press, 2001) [« Indigenous Difference »], p. 137, 152 et 153 pour une analyse de ces questions.

[7] James Tully, Strange Multiplicity: Constitutionalism in an age of diversity (Cambridge: Cambridge University Press, 1995), p. 122 [James Tully, « Une étrange multiplicité : le constitutionnalisme à une époque de diversité » (Ste-Foy (Québec) : Presses de l’Université Laval; Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, 1999), traduction de l’anglais par Jude Des Chênes.]

[8] J.R. Miller, « Compact, Contract, Covenant: Aboriginal Treaty-Making in Canada » (Toronto: University of Toronto Press, 2009), p. 3.

[9] Mark Walters, « Brightening the Covenant Chain: Aboriginal Treaty Meanings in Law and History After Marshall » (2001) 24 Dalhousie L.J. 75, p. 129.

[10] Ibid., p. 130.

[11] John Borrows, « Constitutional Law From a First Nation Perspective: Self-Government and the Royal Proclamation » (1994) 28 U.B.C. L. Rev. 1 [« Constitutional Law From a First Nation Perspective »], p. 20.

[12] John Borrows, « Creating an Indigenous Legal Community » (2005) 50 R.D. McGill 153, p. 163.

[13] John Borrows, « Constitutional Law From a First Nation Perspective: Self-Government and the Royal Proclamation » (1994) 28 U.B.C. L. Rev. 1 [« Constitutional Law From a First Nation Perspective »], p. 23.

[14] John Borrows, « Constitutional Law From a First Nation Perspective: Self-Government and the Royal Proclamation » (1994) 28 U.B.C. L. Rev. 1 [« Constitutional Law From a First Nation Perspective »], p. 24.

[15] Borrows, « Recovering Canada: The Resurgence of Indigenous Law » (Toronto: University of Toronto Press, 2002) [« Recovering Canada »], p. 127.

[16] Russel Lawrence Barsh et James Youngblood Henderson, « The Road: Indian Tribes and Political Liberty » (Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1980), p. 270 et 271; voir aussi Macklem, « Indigenous Difference and the Constitution of Canada » (Toronto: University of Toronto Press, 2001) [« Indigenous Difference »], p. 154.

[17] Ibid., p. 137 et 138.

[18] James Tully, « Strange Multiplicity: Constitutionalism in an age of diversity » (Cambridge: Cambridge University Press, 1995), p. 117 [James Tully, « Une étrange multiplicité : le constitutionnalisme à une époque de diversité » (Ste-Foy (Québec) : Presses de l’Université Laval; Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, 1999), traduction de l’anglais par Jude Des Chênes.]

[19] Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, c. C.11, partie X (Services aux familles et aux enfants indiens et autochtones).

[20] Projet de loi C‑92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 1re session, 42e législature, Canada, le 3 décembre 2015, articles 12, 13 et 20, Chambre des communes, deuxième lecture.

[21] Affidavit de Leila Gillis, souscrit le 7 mars 2019, par. 5 à 9.

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