Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 13

Date : le 26 mai 2020

Numéro du dossier : T2265/2018

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Robin Lawrence

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I.  Aperçu

[1]  Le 15 juin 2014, Robin Lawrence (la « plaignante ») a commencé à travailler à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN » ou l’« intimée ») à titre d’apprentie‑chef de train. Le 14 novembre 2014, elle a été congédiée pendant qu’elle se trouvait encore dans sa période de stage. En novembre 2015, Mme Lawrence a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle elle soutenait que, durant son emploi au CN, elle avait subi du harcèlement sexuel et de la discrimination de la part de certains de ses collègues de travail.

[2]  Durant le processus de gestion de l’instance du Tribunal, les parties se sont transmis leurs exposés des précisions respectifs, qui renferment la liste des personnes que chacune prévoit citer comme témoins dans le cadre de l’instruction de la présente plainte. Au départ, Mme Lawrence avait inscrit plusieurs personnes sur sa liste, dont huit des neuf témoins qui figuraient aussi sur la liste de l’intimée. Toutefois, elle a depuis convenu qu’outre le fait de témoigner pour son propre compte, elle se contenterait de contre‑interroger les témoins du CN.

[3]  Sur les neuf témoins que le CN compte convoquer, il semble que sept soient présentement des employés du CN et que les deux autres soient d’anciens employés. Le CN a soumis au Tribunal des résumés des témoignages prévus de la part de ces témoins à l’audience. Il a déposé la présente requête en confidentialité en vue d’obtenir que l’identité des neuf témoins soit protégée, soit par le caviardage de leurs noms dans les décisions publiques du Tribunal et les documents présentés en preuve devant lui, soit par l’utilisation de leurs seules initiales pour les désigner tout au long des débats publics du Tribunal.

[4]  L’intimée soutient que, si les noms de ces témoins apparaissent dans une décision publique du Tribunal les associant aux allégations de harcèlement [traduction] « embarrassantes et de mauvais goût » formulées par la plaignante, leurs réputations et leurs carrières pourraient en souffrir. L’intimée ajoute qu’elle consentirait à une éventuelle requête de la plaignante en vue de se faire désigner par ses initiales, si cette dernière le souhaitait aussi.

[5]  La plaignante s’oppose à la requête de l’intimée en faisant valoir que l’embarras n’est pas une raison valable d’accorder l’anonymat à ces témoins. Elle affirme que le public a le droit de savoir ce qui lui est arrivé, et que le CN ne devrait pas protéger les auteurs des actes discriminatoires.

[6]  Sans prendre position sur la requête en confidentialité présentée par l’intimée, la Commission a fourni un résumé de décisions dans lesquelles sont énoncés les principes que le Tribunal doit prendre en considération pour rendre sa décision.

II.  Question en litige

[7]  Devrais‑je accueillir la requête de l’intimée visant à caviarder les noms de ses témoins ou à leur accorder l’anonymat? Pour rendre une telle décision, il me faudra en arriver à la conclusion qu’il existe un risque important que ces témoins subissent un préjudice indu si aucune ordonnance en ce sens n’est prise.

III.  Décision

[8]  La requête du CN visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité en vue de protéger l’identité des témoins qui ne sont pas des parties est rejetée. Le Tribunal doit instruire les plaintes conformément au principe de la publicité des débats judiciaires, et les ordonnances de confidentialité ne devraient être accordées que dans des circonstances exceptionnelles. Or le CN n’a pas soumis d’éléments de preuve ni de motifs convaincants qui puissent justifier la prise d’une telle ordonnance à ce stade-ci.

IV.  Analyse

[9]  La Loi canadienne sur les droits de la personne [1] (la « LCDP » ou la « Loi ») exige que l’instruction par le Tribunal des plaintes pour atteinte aux droits de la personne soit publique. Il s’agit là d’une codification de ce que l’on appelle le principe de la publicité des débats judiciaires.

[10]  Il peut y avoir des dérogations à cette exigence, sur demande et au cas par cas. Aux termes de l’alinéa 52(1)c) de la Loi, le Tribunal peut prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu qu‘« il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres » si l’instruction est publique. Il faut que la nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[11]  Les parties conviennent que le principe de la publicité des débats judiciaires contribue largement à assurer l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire, ainsi qu’à renforcer la confiance du public en l’intégrité du processus décisionnel. Selon la Commission, le principe de la publicité des débats judiciaires exige habituellement une transparence complète, y compris la divulgation des noms des personnes qui témoignent devant le Tribunal.

[12]  Le CN fait valoir que la plainte de Mme Lawrence comporte des [traduction] « allégations de nature délicate et explicite » concernant des actes de harcèlement sexuel que les témoins qui ne sont pas des parties ont peu de moyens de réfuter, sauf en donnant leurs propres témoignages. Le CN soutient que, même si ces allégations embarrassantes sont dépourvues de fondement, les témoins subiraient un préjudice indu parce que leurs familles et leurs amis pourraient consulter une décision publique qui les y associe. Le CN soutient que cela risquerait de porter atteinte à leur droit à la vie privée et de nuire à leurs réputations et à leurs carrières.

[13]  La Commission soutient qu’il incombe au CN de démontrer, au moyen d’éléments de preuve, qu’il y a lieu de déroger au principe de la publicité des débats judiciaires à la lumière de certains faits précisés. Elle fait valoir qu'en règle générale, [traduction] « plus une requête est susceptible de nuire à la capacité du public d’avoir accès à de l’information concernant une procédure, plus il doit y avoir des éléments de preuve démontrant l’existence d’un risque sérieux que la divulgation entraîne un préjudice indu ».

[14]  Le CN ne pense pas que la jurisprudence appuie pleinement cette affirmation. Selon lui, la preuve d’un préjudice indu n’est pas une exigence absolue pour l’obtention d’une ordonnance de confidentialité, car, dans certains cas, [traduction] « la nature des arguments, les questions soulevées et les circonstances entourant l’instance suffisent pour satisfaire aux conditions de délivrance d’une ordonnance de confidentialité ».

[15]  À l’appui de son argument, le CN renvoie à la décision du Tribunal dans l’affaire Day v. Department of National Defence and Michael Hortie [2] . Dans cette affaire, le Tribunal avait accepté dès le départ d’interdire la publication de tout élément de preuve ou de toute question soulevée dans le cadre de l’audience, car une telle publication [traduction] « compromettrait l’équité de l’instruction et causerait un préjudice indu aux personnes concernées [3]  ». Le CN souligne que, pour en arriver à cette décision, le Tribunal n’avait cité aucun élément de preuve en particulier, mais avait plutôt mis l’accent sur la nature des allégations, qui avaient trait à des violences sexuelles. Le CN avance que le Tribunal avait été en mesure de conclure que, pour les tiers, les allégations de nature sexuelle pouvaient engendrer la honte, l’humiliation et un préjudice énorme tant sur le plan personnel que sur le plan public. Par conséquent, il avait accordé l’interdiction de publication.

[16]  Le CN fait valoir que je peux moi aussi déduire que les allégations d’inconduite et de harcèlement sexuels formulées par Mme Lawrence entraîneront un embarras disproportionné pour les témoins qui ne sont pas des parties, et que cela suffit pour accorder l’ordonnance de confidentialité demandée.

[17]  Je signale que, dans la décision Day, le Tribunal avait accordé l’interdiction de publication à la fois en raison de la nature des allégations et parce que l’intimé prévoyait contre-interroger la plaignante de manière approfondie au sujet de sa santé mentale, en soutenant qu’elle souffrait d’une maladie mentale et d’idées délirantes. Le Tribunal était d’avis que cela soulevait [traduction] « de très graves préoccupations en matière de protection de la vie privée [4]  ». De fait, le Tribunal a annulé l’interdiction de publication dans une décision subséquente où il a également rejeté la plainte, après avoir conclu que la plaignante avait omis de présenter des éléments de preuve à l’appui de ses allégations et qu’elle était inapte à se représenter elle-même dans le cadre de la procédure [5] . En annulant l’interdiction de publier, le Tribunal a déclaré :

[24] […] Le simple fait que les allégations aient un caractère offensant ne justifie pas une interdiction de publier. M. Hortie peut interpréter le rejet de la plainte comme la consécration de sa position et quiconque reprend le récit des allégations est tenu de respecter le fait que la plainte a été rejetée. Si une personne présente faussement l'affaire, ou omet de respecter la vérité, M. Hortie et les autres disposent des recours normaux.

[18]  Toujours à l’appui de son argument selon lequel le Tribunal peut accorder des ordonnances d’anonymisation sur la base [traduction] « de la connaissance d’office et la nature des arguments, des questions soulevées et des circonstances entourant l’instance », le CN fait référence à la décision C.M. v. York Region District School Board [6] . Dans cette affaire, une demande visant à obtenir une interdiction de publication et une ordonnance d’anonymisation avait été présentée par le père d’une plaignante de 11 ans qui avait été expulsée de l’école après un traitement contre les poux de tête. L’intimée s’était opposée à la demande, en faisant valoir que son auteur n’avait pas soumis de déclaration ou d’affidavit à l’appui de la demande, pas plus qu’il n’avait démontré que l’enfant subirait un préjudice réel, ainsi qu’il devait le faire pour justifier l’interdiction de publication.

[19]  Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le « TDPO ») a rejeté la demande d’interdiction de publication, mais accordé l’ordonnance d’anonymisation. Le TDPO a conclu que l’utilisation d’initiales dans ses décisions était justifiée dans les circonstances de l’affaire en raison de la stigmatisation potentielle pour une jeune enfant résultant de la demande ainsi que du fait qu’elle n’avait aucun pouvoir décisionnel dans la procédure et de l’importance particulière de protéger les enfants dans notre système juridique [7] . Le TDPO a déclaré : [traduction] « La demanderesse est une enfant et, à mon avis, les répercussions possibles pour elle constituent un facteur qui peut être admis d’office [8]  ».

[20]  Selon le CN, il convient de noter que, dans la décision C.M., le TDPO n’avait fait mention d’aucun élément de preuve direct à l’appui de l’ordonnance d’anonymisation, et avait même rejeté la lettre d’un médecin qui soutenait l’interdiction de publication, mais qui avait été déposée tardivement. Au sujet de cette lettre, le TDPO avait déclaré : [traduction] « Je ne pense pas qu’elle apporte quelque renseignement utile supplémentaire en ce qui a trait à la question, outre ce qui fait validement l’objet de la connaissance d’office [9] . »

[21]  Je remarque que, dans la plupart des affaires mentionnées par la Commission et l’intimée, les demandes d’ordonnance de confidentialité avaient été présentées par des parties ou des témoins qui cherchaient à protéger leur propre identité [10] , à l’exception de la décision A.B. c. Eazy Express Inc. [11] . Dans cette affaire, la Commission avait demandé au Tribunal de ne pas divulguer le nom de la plaignante et celui d’un témoin. Selon la Commission, on avait abordé au cours de l’audience des sujets personnels qui ne se rapportaient pas à la question de la discrimination, et les personnes concernées subiraient un préjudice injustifié si les faits en cause étaient rendus publics. Le Tribunal avait décidé d’anonymiser leurs noms, étant donné que les questions personnelles abordées « pourraient éventuellement nuire » à ces personnes [12] .

[22]  La Commission souligne que, dans l’affaire A.B., le Tribunal avait décidé d’accorder l’anonymat après avoir entendu les témoignages lors de l’instruction de la plainte. Le CN affirme que cela n’appuie pas l’argument selon lequel il incombe à la partie requérante de prouver, éléments de preuve à l’appui, qu’il est possible de déroger au principe de la publicité des débats judiciaires. Le CN soutient que, même si le Tribunal a entendu les témoignages dans l’affaire A.B., [traduction] « cela ne signifie pas qu’il s’est prononcé sur le fait essentiel du préjudice que pourrait causer la divulgation des éléments de preuve ». Selon le CN, les motifs du Tribunal donnent à penser que celui-ci s’est fondé sur une inférence, plutôt que sur une preuve directe, de l’existence d’un préjudice potentiel pour justifier la délivrance de l’ordonnance d’anonymisation. C’est peut-être le cas, mais il ne faut pas négliger le fait que le Tribunal, au cours de l’audience dans l’affaire A.B., a entendu des témoignages à partir desquels il a pu conclure à l’existence d’un préjudice potentiel pour la plaignante et le témoin si leurs noms n’étaient pas rendus anonymes.

[23]  Vu le stade préliminaire de l’instance auquel le CN a déposé la présente requête, le Tribunal est au fait des allégations énoncées dans la plainte pour atteinte aux droits de la personne et dans les exposés des précisions, mais il n’a pas encore reçu d’éléments de preuve de la part des parties. Le CN n’a pas non plus fourni de renseignements provenant des témoins eux‑mêmes sous forme d’affidavits ou de déclarations à l’appui de sa demande visant à protéger leur identité.

[24]  Je reconnais que, dans certains cas, le Tribunal peut être en mesure de se fonder sur la connaissance d’office, la nature des arguments, les questions soulevées et les circonstances de l’instance pour accueillir des demandes d’ordonnance de confidentialité. Toutefois, il ressort clairement de la jurisprudence que, pour ce faire, le Tribunal doit disposer de renseignements suffisants pour établir que la nécessité d’assurer la confidentialité l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

[25]  Il incombe à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité d’établir qu’il y a risque sérieux que le refus de rendre une telle ordonnance cause un préjudice indu. Comme l’a déjà affirmé le TDPO dans la décision Visic v. Elia Associate Professional Corporation, [traduction] « le Tribunal doit être convaincu que le résultat d’un exercice de pondération de l’intérêt public par rapport à l’intérêt personnel est favorable à la protection de la vie privée, et l’emporte de ce fait sur le principe de divulgation et la nécessité d’assurer la transparence de la procédure en matière de droits de la personne [13] . »

[26]  Les plaintes pour atteinte aux droits de la personne comprennent souvent des renseignements de nature personnelle ou délicate. Le simple fait que des allégations se rapportent à du harcèlement sexuel n’est pas suffisant pour justifier que soit rendue une ordonnance de confidentialité. Pour que le Tribunal rende une telle ordonnance, il faut qu’il existe [traduction] « des conditions exceptionnelles, des renseignements sensibles ou confidentiels qui requièrent l’anonymat [14] . »

[27]  En l’espèce, le CN demande au Tribunal de caviarder ou d’anonymiser les noms de ses neuf témoins, au motif que certaines des allégations de la plaignante portent sur des commentaires ou des comportements de nature sexuelle. Or, la plupart de ces témoins ne sont pas accusés d’avoir eu un comportement pouvant être qualifié de harcèlement sexuel à l’égard de la plaignante. La demande du CN ne repose pas non plus sur des renseignements provenant des témoins eux‑mêmes qui permettraient de conclure à un risque sérieux de préjudice indu si leurs noms ne sont pas anonymisés ou caviardés.

[28]  Il semble peu probable que les neuf témoins soient tous exposés au même niveau de risque du fait de leur association à la présente plainte, mais le CN n’a pas fourni suffisamment de détails sur les conséquences possibles d’une audience publique sur chacun d’eux pour que je puisse établir si ce serait le cas ou non.

[29]  Je suis d’avis que la présente demande, qui vise à caviarder ou à anonymiser les noms de tous les témoins parce qu’il pourrait être embarrassant pour eux d’être associés aux allégations de harcèlement sexuel de la plaignante, est spéculative et a une portée excessive. Sans plus de renseignements de la part du CN ou, de préférence, de la part des témoins eux‑mêmes, je ne peux conclure qu’ils courent tous un risque important de subir des répercussions négatives sur leur droit à la vie privée, leur réputation et leur carrière.

[30]  Le CN affirme aussi que le fait que la plaignante ait enregistré des conversations avec certains de ces témoins à leur insu, ou sans leur consentement, représente une atteinte supplémentaire à leur vie privée dans le cadre de l’audience. J’ignore quelles conversations des témoins ont été enregistrées, sur quoi portaient ces conversations et quel préjudice — s’il en est — ces enregistrements peuvent causer à la vie privée des témoins. À défaut de renseignements supplémentaires, j’estime que le simple fait d’enregistrer des conversations ne soulève pas de préoccupations graves ou importantes en matière de protection de la vie privée qui nécessiteraient la prise d’une mesure extraordinaire telle qu’une ordonnance de confidentialité.

[31]  Si certains témoins souhaitent présenter une demande d’ordonnance de confidentialité pendant l’audience, soit de leur propre chef, soit par l’intermédiaire de l’intimée, ils peuvent le faire à ce moment‑là, mais ils doivent être disposés à fournir des renseignements à l’appui d’une telle demande.

[32]  Le CN soutient en outre que la publication des noms des témoins ne servirait pas l’objet de la Loi, car elle reviendrait à punir des personnes non parties à l’instance, [traduction] « sans servir des fins d’exemple ou de dissuasion ». Le CN a raison de dire que l’objet de la Loi est de prévenir la discrimination, et non de punir une faute [15] .

[33]  Le CN fait valoir cet argument en réponse aux commentaires de la plaignante lors d’une conférence de gestion de l’instance, selon lesquels elle souhaitait associer le public ou les médias à sa plainte, ainsi qu’aux déclarations qu’elle a faites dans sa réponse à la requête en confidentialité. Dans cette réponse, elle indiquait que les personnes qui se livrent à du harcèlement et à de la discrimination sur les lieux de travail ne devraient pas être protégées par le CN, mais devraient plutôt être [traduction] « dénoncées » et [traduction] « frappées d’une amende et congédiées ». Elle soutient que le Tribunal doit imposer des changements en tenant responsables aussi bien la compagnie que les individus, et en leur faisant assumer les conséquences de leurs actes, sans quoi [traduction] « ils ne cesseront pas. » Elle avance que, si la demande d’ordonnance de confidentialité de l’intimée est accueillie, [traduction] « cette décision créera un précédent quant aux comportements jugés acceptables de la part des employeurs. »

[34]  Le CN affirme que la nature limitée de l’ordonnance de confidentialité demandée préservera la valeur d’exemple de la décision, une fois celle‑ci publiée. Le public sera toujours en mesure de comprendre la nature de la plainte, et qui sont les parties à celle-ci. Indépendamment du fait qu’une ordonnance de confidentialité soit rendue ou non, l’audience elle-même sera toujours publique, et la décision sera affichée en ligne, ce qui permettra d’exposer les principes juridiques et les conclusions de fait. Le CN affirme que l’ordonnance de confidentialité demandée établit un juste équilibre entre l’intérêt public des audiences relatives aux droits de la personne et le droit à la vie privée des témoins.

[35]  Le CN soutient que, dans des décisions récentes, le Tribunal a reconnu que l’anonymisation d’une personne avait peu d’incidence sur les objectifs inhérents au principe de la publicité des débats judiciaires. Il renvoie à cet égard à la décision T.P. c. Forces armées canadiennes [16] , dans le cadre de laquelle le Tribunal avait accepté de protéger l’identité du plaignant après avoir conclu que cette anonymisation ne limiterait pas la capacité du public à comprendre la preuve ou les questions à trancher. Le CN déclare que sa demande en l’espèce est limitée de la même façon, et pourrait être accueillie pour les mêmes motifs.

[36]  Dans l’affaire T.P., le Tribunal a reçu du plaignant une preuve sous forme d’une déclaration sous serment dans laquelle il exposait sa préoccupation quant à la stigmatisation dont il pourrait être victime en raison de la perception que l’on avait de ses capacités cognitives et de sa santé mentale. Le Tribunal a reconnu que la maladie mentale, réelle ou perçue, continuait d’être stigmatisée dans la société, et que les inquiétudes du plaignant concernant la divulgation publique de son identité étaient fondées. Dans cette affaire, compte tenu de la nature des renseignements médicaux demandés par l’intimée, le Tribunal a convenu que les préoccupations du plaignant au sujet des conséquences d’une telle divulgation publique sur son estime de soi et ses perspectives d’emploi étaient légitimes.

[37]  Je constate que, dans la décision T.P., les autres parties ont consenti à ce que l’anonymat soit accordé au plaignant, et les éléments de preuve selon lesquels il courait le risque de subir un préjudice indu si son identité n’était pas protégée n’ont pas été contestés. Or, en l’espèce, il n’y a pas de consentement similaire entre les parties. Je n’ai pas non plus entendu les témoins eux‑mêmes au sujet de la demande de protection de leur identité.

[38]  Je conclus que le CN ne s’est pas acquitté de la tâche qui lui incombait de prouver que, sans une ordonnance de confidentialité, il existait un risque sérieux que ses témoins subissent un préjudice indu. Le CN n’a pas soulevé de préoccupations ou de problèmes particuliers au sujet de la protection de la vie privée qui justifieraient la prise d’une mesure aussi extraordinaire. En conséquence, sa demande visant à caviarder ou à anonymiser les noms de ses témoins est rejetée.

[39]  Enfin, l’intimée a fait valoir que, puisque la plupart des observations du 6 mars 2020 de la plaignante ne traitent même pas de la requête en confidentialité, je ne devrais pas en tenir compte avant la tenue d’une audience complète. Je suis du même avis, et, pour les fins de la présente décision, je n’ai pas tenu compte des parties des observations de la plaignante qui ne traitaient pas de la requête en confidentialité.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 mai 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2265/2018

Intitulé de la cause : Robin Lawrence c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 26 mai 2020

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Robin Lawrence, pour elle-même

Giacomo Vigna, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Roark Lewis, pour l'intimée

 



[1] LRC 1985, ch. H-6.

[2] 2003 CHRT 12 [Day].

[3] Ibid., par. 25.

[4] Ibid., par. 23.

[5] Day c. Canada (Ministère de la Défense nationale), 2003 TCDP 16.

[6] 2009 HRTO 735 [C.M.].

[7] Ibid., par. 26.

[8] Ibid., par. 23.

[9] Ibid. par.33.

[10] Voir, par exemple, Egan c. Agence du revenu du Canada, 2019 TCDP 27, dans laquelle une médecin qui avait traité la plaignante avait demandé que son nom soit rendu anonyme; T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 10, dans laquelle le plaignant avait demandé que son identité soit protégée; N.A. c. 1416992 Ontario Ltd. et L.C., 2018 TCDP 33, dans laquelle la plaignante et les intimés avaient demandé que leurs noms soient rendus anonymes; Clegg c. Air Canada, 2017 TCDP 27, dans laquelle une pilote ayant fait l’objet d’un rapport antérieur dont le Tribunal avait ordonné la divulgation avait demandé que son identité demeure confidentielle; A.A. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 34, dans laquelle le plaignant avait demandé à garder son identité confidentielle.

[11] 2014 TCDP 35 [A.B.]

[12] Ibid., par. 7.

[13] 2011 HRTO 1230, par. 10.

[14] Mancebo-Munoz v. NCO Financial Services Inc., 2013 HRTO 974, par. 6.

[15] Voir, par exemple, Desmarais c. Service correctionnel Canada, 2014 TCDP 5, par. 92.

[16] 2019 TCDP 10.

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