Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 4

Date : le 6 mars 2020

Numéro(s) du/des dossier(s) : T2207/2917

 

Entre :

Cecilia Constantinescu

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre(s) : Gabriel Gaudreault

 



I.  Contexte de la requête

[1]  Il s’agit de la sixième décision écrite du Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) dans ce dossier impliquant Mme Cecilia Constantinescu (plaignante) et Service correctionnel Canada (SCC ou intimé).

[2]  Cette décision écrite vise à trancher, dans une seule décision, six requêtes en matière de divulgation déposées par Mme Constantinescu.

[3]  Tel que résumé dans ma décision Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49, au para. 3 :

Mme Constantinescu allègue avoir été discriminée par le SCC (l’intimé) lors de sa formation du PFC-5 visant à devenir agente correctionnelle. Elle soutient avoir été victime de nombreux incidents, tant de la part de ses collègues que des gestionnaires ou instructeurs de l’intimé. Au final, la plaignante n’a pas accédé au poste d’agente correctionnelle, échouant sa formation. Ainsi, elle allègue avoir été traitée défavorablement lors de sa formation (article 7 LCDP) et avoir été victime de harcèlement (article 14(1)(c) LCDP) en raison de son sexe ainsi que de son origine nationale ou ethnique.

[4]  Le processus de divulgation est particulièrement long et complexe dans le présent dossier (voir également Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49, aux paras. 4 et 114). Il perdure depuis juillet 2017 et nous en sommes à notre 20ième téléconférence de gestion de cas. Les appels totalisent plus de 20 heures de gestion et la liste de sujets à traiter est encore bien chargée.

[5]  Je rappelle que la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) requiert que l’instruction se fasse de la manière la plus expéditive possible. C’est la raison pour laquelle le Tribunal utilise parallèlement deux voies afin de trancher les questions de procédures et de divulgation dans ce dossier : (1) lors de téléconférence et (2), à l’aide de décisions écrites.

[6]  Cela étant dit, les six requêtes déposées par la plaignante concernent :

1)  Une requête en divulgation déposée le 6 septembre 2018;

2)  Une requête concernant le rapport de la firme Presidia;

3)  Une requête concernant le caviardage de l’item #19 de la liste de documents de l’intimé;

4)  Une requête concernant les frais de M. Ouellet;

5)  Une requête concernant une capture d’écran du 6 novembre 2018;

6)  Une requête concernant les notes des recrues ayant participé à la formation du PCF-5/2014 du 5 septembre 2018.

[7]  Les dernières représentations des parties ont été déposées par Mme Constantinescu le 20 mai 2019. Les parties étaient bien au fait que le Tribunal traiterait des six requêtes, en 1 seule décision, une fois toutes les représentations reçues.

[8]  Cela dit, le 28 août 2019, la plaignante a également déposé une autre demande, visant à faire modifier plusieurs décisions du Tribunal. Comme cette demande manquait de détails, le Tribunal lui a demandé de déposer une requête détaillée, ce qu’elle a fait. Les dernières représentations des parties ont été déposées le 18 octobre 2019.

[9]  Cela dit, certaines des demandes de la plaignante chevauchaient des demandes de divulgation qui sont incluses dans la présente décision. Il était ainsi nécessaire que le Tribunal suspende le traitement de ces six requêtes, et ce, le temps que la demande en modification soit traitée : le but était d’éviter un dédoublement de décisions sur les mêmes sujets.

[10]  Maintenant que le Tribunal a rejeté la demande de la plaignante visant à modifier plusieurs de ses décisions (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49), le Tribunal traitera maintenant chacune de ces requêtes dans cette présente décision.

 

 

II.  Remarques préliminaires

[11]  Le 16 décembre 2019, le Tribunal a énoncé, dans sa récente décision Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49, que les comportements vexatoires de la plaignante ne seraient plus tolérés dans les procédures du Tribunal.

[12]  Cela dit, les requêtes et les représentations des parties ont été déposées avant que la décision du 16 décembre 2019 ne soit rendue et distribuée aux parties.

[13]  Force est de constater que plusieurs représentations de la plaignante dans les différentes requêtes, qui sont traitées dans cette décision, sont frivoles, impertinentes et inflammatoires. La plaignante a clairement manqué de retenue dans ses représentations, sans ajouter qu’elle attaque de front le Tribunal et ses décisions.

[14]  Ces comportements sont similaires voire identiques à ceux identifiés dans la récente décision 2019 TCDP 49. Il n’est pas nécessaire de les reprendre en détail. Il suffit de dire que considérant la chronologie des événements, le dépôt des requêtes et la distribution de la décision du 16 décembre 2019, le Tribunal ignorera pour cette fois-ci les commentaires et les propos de la plaignante qui s’apparentent à des représentations abusives et vexatoires.

III.  Question en litige

[15]  La question en litige est la suivante : est-ce que le Tribunal doit ordonner à l’intimé de divulguer les documents qui sont recherchés par la plaignante, en raison de leur pertinence potentielle au litige?

IV.  L’état du droit en matière de divulgation

[16]  Au Tribunal, les principes en matière de divulgation sont bien établis. Comme rappelé dans la décision Malenfant c. Vidéotron s.e.n.c., 2017 TCDP 11, aux paragraphes 25 à 29 et 36 :

[25] Chaque partie a le droit à une audition pleine et entière. À cet effet, la LCDP prévoit au para. 50(1) que :

50(1) Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. [Le Tribunal souligne]

[26] Ce droit inclut la divulgation des éléments pertinents dont les autres parties ont en leur possession ou sous leur contrôle (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34, para. 40). Les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles) prescrivent à la règle 6(1) et plus précisément aux paras. (d) et (e) que :

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

[…]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

e) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

[…]

[Le Tribunal souligne]

[27] En matière de divulgation, le Tribunal a déjà statué à plusieurs reprises que le principe directeur est celui de la pertinence probable ou possible (Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5 et Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26. Voir subsidiairement Guay, précitée; Day c. Ministère de la défense nationale et Hortie, 2002 CanLII 61833 Warman c. Bahr, 2006 TDCP 18; Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18). Le Tribunal rappelle que les parties ont l’obligation de divulguer les documents potentiellement pertinents qu’elles ont en leur possession (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, para. 17).

[28] Afin de démontrer que des documents ou informations sont pertinents, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien rationnel entre ceux-ci et les questions soulevés en l’occurrence (Warman, précitée, para. 6. Voir notamment Guay, précitée, para. 42; Hughes, précitée, para. 28; Seeley, précitée, para. 6). La pertinence s’évalue au cas par cas, en tenant compte des questions soulevées dans chaque situation (Warman, précitée, para. 9. Voir aussi Seeley, précitée, para. 6). Le Tribunal rappelle que le seuil de la pertinence potentielle est peu élevé et la tendance actuelle se veut à plus de divulgation que moins (Warman, précitée, para. 6. Voir également Rai c. Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TCDP 36 para. 18). Bien entendu, la divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une partie de pêche (Guay, précitée, para. 43).

[29] Le Tribunal rappelle que le stade de la production des documents est différent du stade de leur admissibilité en preuve à l’audition. Par le fait même, la pertinence est une notion distincte. Comme l’indique le Membre Michel Doucet, dans la décision Association des employé(e)s des télécommunications du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28 (ci-après AETM), au para. 4 :

[4] …La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n'est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu'il est dans l'intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d'une affaire comme celle en l'espèce. Une partie a le droit d'obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l'affaire ou qui pourraient l'être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu'on leur accordera une importance significative.

[…]

[36] Finalement, je rappelle aux parties que l’obligation de divulguer les documents concerne les documents qu’elles ont en leur possession. Conséquemment, l’obligation ne s’étend pas à la création de documents à des fins de divulgation (Gaucher, précité, para. 17). […]

[17]  Il existe cependant des limites à la divulgation de documents, limites qui ont été résumées au paragraphe 10 de la décision Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2019 TCDP 21, au para. 10 :

[10] Ajoutons qu’il existe des limites à la divulgation de documents, comme rappelés dans la décision du président du Tribunal, David L. Thomas, Brickner c. la Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au para. 8. Par exemple, une divulgation pourrait être rejetée si la valeur probante des éléments ne l’emporte par sur l’effet préjudiciable sur l’instance. Elle pourrait aussi être rejetée si l’étendue de la recherche et de la divulgation est particulièrement onéreuse et crée des coûts disproportionnés pour l’une des parties au litige (ou une tierce partie le cas échéant). Enfin, une demande de divulgation pourrait être refusée lorsque les documents concernent une question secondaire aux questions principales en litige ou si une telle divulgation risquerait d’entrainer un retard important dans l’instruction de la plainte. (Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP19, au para. 15).

[18]  C’est en gardant ces principes à l’esprit que je rendrai mes décisions sur les requêtes déposées par la plaignante.

V.  Analyse des demandes

[19]  Il faut mentionner que les représentations de la plaignante sont parfois difficiles à saisir et font parfois référence à des éléments qui ne sont pas pertinents et qui n’aident en rien le Tribunal à trancher les questions en litige. Cela rend inévitablement la tâche du Tribunal plus difficile.

[20]  Ainsi, dans un souci de concision et de bonne compréhension, je ne reprendrai pas la totalité des représentations des parties et je me concentrerai uniquement sur les arguments qui sont pertinents et utiles afin de trancher les questions de divulgation.

A.  Requête en divulgation déposée le 6 septembre 2018

[21]  Dans la demande du 6 septembre 2018, Mme Constantinescu effectue deux demandes de divulgations spécifiques. La première concerne des documents entourant les modifications qui auraient été apportées au rapport des enquêteurs Mme Poirier et M. Anctil. L’autre demande concerne des documents concernant des plaintes en harcèlement en milieu de travail au sein des installations de l’intimé.

(i)  Documents en lien avec le rapport des enquêteurs Mme Poirier et M. Anctil

[22]  D’abord, je comprends que lors de sa formation, Mme Constantinescu allègue avoir été victime de harcèlement sexuel de la part d’un collègue, M. Durdu, alors que les recrues effectuaient une pratique de fouille et de palpation.

[23]  La dénonciation par Mme Constantinescu de cet événement a entre autres conduit SCC à conduire une enquête disciplinaire sur les agissements de M. Durdu. Un rapport a été produit à la suite de cette enquête. Le rapport a été préparé par Mme Poirier et M. Anctil.

[24]  La plaignante affirme que l’intimé, plus précisément la direction du Collège de Laval, s’est ingéré dans l’enquête. À la suite d’une rencontre avec les enquêteurs, des modifications auraient été apportées audit rapport. Elle ajoute que le dépôt du rapport a été retardé de deux mois et qu’une partie de l’enquête s’est déroulée sans que les enquêteurs nommés aient de mandat officiel.

[25]  Elle demande au Tribunal quatre choses en lien avec ce rapport :

1)  Le rapport d’enquête initial;

2)  Les documents démontrant la date et l’endroit de la rencontre menant aux modifications du rapport;

3)  Les documents démontrant qui était présent lors de cette rencontre;

4)  Les documents démontrant qui a demandé les modifications du rapport;

5)  Les documents produits à la suite de cette rencontre menant aux modifications, par exemple des notes, correspondances ou notations.

[26]  Comme soutenu par la plaignante à  de multiples reprises, elle croit que l’intimé dissimule des éléments de preuve, qu’il lui cache des faits ainsi que des documents.

[27]  Elle croit que sa demande est pertinente et légitime et demande au Tribunal la divulgation de ces documents.

[28]  Dans un courriel daté du 8 avril 2019, l’intimé a demandé au Tribunal de suspendre cette demande. Il explique que les documents et les informations qui sont recherchés par la plaignante, qui entourent le rapport d’enquête disciplinaire visant M. Durdu, et qui existent, se retrouvent à l’Annexe B de sa liste de document. Cette liste de documents est celle qui concerne les documents pour lesquels un privilège est invoqué, conformément à ce que requiert la règle 6(1)(e) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne 03-05-04 (les Règles). Le privilège invoqué par l’intimé est celui des relations de travail.

[29]  À des fins de compréhension, je rappelle que lorsqu’un privilège est invoqué, les documents en question ne sont pas divulgués aux autres parties, et ce, malgré leur pertinence potentielle au litige (Règle 6(4) des Règles, a contrario).

[30]  Les débats entourant les documents pour lesquels l’intimé invoque certains privilèges est un sujet bien contesté dans le présent dossier. La plaignante s’oppose fermement à tous les privilèges invoqués par l’intimé. La Commission, qui ne participe pas à l’audience, veut également déposer des représentations à ce sujet.

[31]  La plaignante a répondu à la demande de l’intimé le 8 avril 2019. Elle réitère plusieurs des arguments contenus dans sa requête initiale. Quant à la demande de suspension demandée par l’intimé, les représentations de Mme Constantinescu sont lacunaires et plusieurs arguments sont impertinents afin de trancher la question. Ses représentations n’abordent pas en détail la demande en suspension. Plutôt, Mme Constantinescu confirme à nouveau s’opposer aux privilèges invoqués par l’intimé, ce qui est déjà connu.

[32]  Le Tribunal ne peut ordonner la divulgation de documents faisant l’objet d’un privilège ; à juste titre, c’est l’objectif même du privilège. Comme l’a écrit la Cour suprême du Canada dans Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, au para. 4 [Lizotte] :

[…] ce dernier [le privilège] demeure une règle fondamentale pour l’administration de la justice qui se situe au cœur du système judiciaire, tant au Québec que dans les autres provinces. Il s’agit d’un privilège générique qui empêche la divulgation forcée des communications ou documents qu’il couvre, sauf si l’une des exceptions restreintes à leur non-divulgation s’applique.

[33]  Je rappelle qu’en matière de divulgation, la divulgation concerne les documents potentiellement pertinents au litige et qui découlent des faits, des questions de droit ou des remèdes qui sont liés à la plainte.

[34]  Une fois qu’il est déterminé qu’un document existe bel et bien, il faut se demander si ce document est potentiellement pertinent au litige (c’est-à-dire, est-il lié à un fait, une question de droit, un remède?).

[35]  Si le document est potentiellement pertinent au litige, il doit être divulgué et inclut à l’Annexe A, à moins qu’un privilège ne soit invoqué. Auquel cas, le document n’est pas divulgué et  il est inclut à l’Annexe B.

[36]  Une partie peut contester le privilège invoqué par une autre partie et ce sera, finalement, au Tribunal de trancher la question. 

[37]  Dans le cas actuel, l’intimé confirme que des documents existent en lien avec la demande de Mme Constantinescu. Cela dit, il invoque un privilège, ce qui empêche la divulgation des documents identifiés (Lizotte, précité, au para. 4).

[38]  Afin de pouvoir décider si les documents doivent être divulgués, la question du privilège doit nécessairement être traitée et les questions entourant les privilèges invoqués par l’intimé ne l’ont pas encore été.

[39]  Il faut préciser que l’intimé ne demande pas à ce que la demande de la plaignante soit rejetée; il demande que la question soit suspendue le temps que les débats entourant les privilèges soient traités par le Tribunal.

[40]  Lorsque le Tribunal aura décidé si les documents concernant les modifications qui auraient été apportées au rapport d’enquête de Mme Poirier et de M. Anctil sont effectivement protégés par un privilège, cette demande pourra subsidiairement être traitée.

[41]  J’ai décidé que les débats sur les privilèges seront traités après que les autres demandes en divulgation aient été complétées, ce qui n’est pas encore le cas. Cela tombe sous le sens puisque comme la divulgation n’est pas complétée, il est toujours possible que le Tribunal ordonne aux parties de rechercher d’autres documents. Cela pourrait mener à la divulgation de documents supplémentaires. De plus, la potentielle divulgation de documents pourrait amener une partie à invoquer d’autres privilèges, privilèges qui pourraient aussi être contestés.

[42]  Pour ces motifs, je suspends cette demande et elle sera traitée lorsque les débats sur les privilèges seront abordés par les parties et le Tribunal.

(ii)  Documents en lien avec les plaintes d’harcèlement en milieu de travail

[43]  Mme Constantinescu explique que le 4 septembre 2018, à la lecture d’un article publié dans un journal, elle a appris que 65 enquêtes ont été déclenchées au sein des installations de l’intimé en raison de harcèlement en milieu de travail entre 2016 et 2018.

[44]  Elle demande ainsi la divulgation de :

1)  Toutes les plaintes de harcèlement en milieu de travail reçues par l’intimé depuis le 15 septembre 2014, incluant le lieu et l’établissement de l’intimé où ces plaintes ont été faites;

2)  Les faits allégués de ces plaintes;

3)  Les conclusions de ces plaintes;

4)  Qui a mené les enquêtes pour chacune de ces plaintes (enquêteurs internes ou externes).

[45]  Mme Constantinescu allègue que ces informations sont pertinentes en ce qu’elle veut tenter de démontrer que le harcèlement en milieu de travail était quelque chose de connu au sein des installations de l’intimé. Elle estime que SCC n’a pas prévenu et protégé les victimes contre ces pratiques discriminatoires.

[46]  Elle affirme également que les enquêtes externes ne font pas l’objet d’ingérence de la part de l’intimé, alors que dans son cas, elle estime qu’il y a bel et bien eu ingérence dans l’enquête, entre autres puisqu’il s’agissait d’une enquête interne. Plus précisément, elle affirme que la direction de SCC a influencé les enquêteurs internes en leur  demandant de modifier leur rapport.

[47]  Elle demande d’avoir accès à ces documents afin de découvrir si les témoignages qui ont été recueillis lors de ces 65 enquêtes ont été altérés. À ce sujet,  elle estime qu’en comparaison avec l’enquête qui s’est déroulée quant à ses allégations, des témoignages auraient été altérés.

[48]  Elle veut aussi voir si les enquêteurs, dans ces autres plaintes en harcèlement, ont nommé les victimes de « malades », s’ils ont agi avec ou sans mandat et si le délai pour le dépôt des rapports ont été respectés. Elle veut également découvrir si les enquêteurs externes auraient aussi affirmé, comme les enquêteurs dans son dossier, qu’ils pourraient remettre un rapport incomplet s’ils n’obtiennent pas de prolongation.

[49]  Elle a joint à sa demande des courriels échangés entre Mme Poirier et Mme Bastien en mars 2015 ainsi que ce qu’il semble être un article paru dans un média le 4 septembre 2018.

[50]  L’intimé s’oppose à cette demande puisqu’il croit qu’elle ne respecte pas la portée de la plainte dont est saisi le Tribunal et que les documents recherchés ne sont pas potentiellement pertinents au litige.

[51]  Il rappelle que la portée de la plainte concerne des allégations de harcèlement sexuel liées à une pratique de tir et à une pratique de fouille ainsi qu’à des allégations de discrimination suivant des discussion ayant eu lieu avec des recrues, et qui se fondent sur les motifs du sexe et l’origine nationale ou ethnique. L’étendue de la plainte a été élargie par le Tribunal dans la décision Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2018 TCDP 17. L’intimé ajoute qu’il s’agit d’une plainte individuelle, et non systémique, qui concerne des événements précis.

[52]  Selon lui, la demande dépasse la portée de la plainte. Il ajoute que de déposer toutes les plaintes d’harcèlement depuis septembre 2014, tant dans le cadre d’enquêtes internes qu’externes, et ce, dans le but de justifier pourquoi SCC a décidé de procéder avec une enquête disciplinaire interne concernant les allégations de Mme Constantinescu, est trop large et n’a aucun lien rationnel avec la plainte.

[53]  Enfin, l’intimé précise que l’article du 4 septembre 2018, paru dans un média, et sur lequel Mme Constantinescu fonde sa demande, porte sur des enquêtes d’harcèlement dont la nature, l’ampleur ou la portée, sont totalement inconnues. Ces enquêtes pourraient aussi inclure des informations de nature confidentielle.

[54]  L’intimé ajoute que la demande de la plaignante est spéculative ou, comme les cours et tribunaux le disent souvent, s’apparentent à une partie de pêche ou une recherche à l’aveuglette.

[55]  L’intimé se fonde également sur la décision en élargissement de la plainte du Tribunal, 2018 TCDP 17, au para. 28, dans laquelle j’ai exprimé que :

Bien que je suis ouvert à laisser une certaine marge de manœuvre à la plaignante, les parties sont avisées que le Tribunal n’est pas une instance qui vise à surveiller, superviser, réviser ou même renverser l’enquête disciplinaire qui a été menée au Collège de Laval. Le rôle du Tribunal vise à déterminer s’il existe un élément discriminatoire dans l’enquête disciplinaire et non à refaire l’enquête elle-même. Les parties devront notamment mettre l’enquête disciplinaire en contexte, en expliquer le déroulement, expliquer le choix des enquêteurs à l’interne en opposition à l’externe. Cette liste n’est pas exhaustive. Par ses propos, le Tribunal veut simplement informer les parties qu’elles auront une certaine flexibilité à ce sujet.

[56]  Ce faisant, les documents recherchés sont, à son avis, inutiles afin que le Tribunal puisse s’acquitter de sa fonction.

[57]  Mme Constantinescu réitère qu’à l’aide de ces documents, elle veut démontrer que les dirigeants du SCC ne pouvaient pas interférer dans les enquêtes ni demander que les rapports d’enquête soient changés.

[58]  De plus, elle veut également démontrer que les enquêteurs n’approuvaient pas les gestes qui auraient été commis par M. Durdu et que les enregistrements audios dans les autres enquêtes n’ont pas été altérés comme dans le cas de l’enquête visant ses allégations. Elle veut également savoir si des déclarations écrites non-datées et non-signées ont été produites dans ces autres enquêtes et si les prolongations de mandats des enquêteurs concordent.

[59]  Cela dit, le Tribunal a de la difficulté à saisir comment des informations sur les plaintes de harcèlement en milieu de travail reçues par l’intimé depuis le 15 septembre 2014, le lieu et l’établissement, les faits allégués et les conclusions de ces plaintes ainsi que la firme qui a mené les enquêtes (interne ou externe à l’établissement), permettraient à Mme Constantinescu de démontrer les éléments énumérés au paragraphe précédent.

[60]  En fait, Mme Constantinescu veut obtenir énormément d’informations sur ces plaintes et les documents qu’elle demande ne permettraient probablement pas de répondre à ses questionnements.

[61]  Ce qui s’est passé dans les autres plaintes potentielles de harcèlement ne concernent en rien la plainte qui est actuellement devant le Tribunal. Le Tribunal n’est pas une instance qui analyse et révise les enquêtes qui ont été faites ailleurs. Il est clair que le Tribunal ne doit pas agir comme une commission d’enquête royale ou comme une instance d’appel (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] SCC 61, au para. 64; Dominique, précité, au para. 26). 

[62]  Le Tribunal a plutôt pour rôle de déterminer s’il existe un élément discriminatoire dans les événements qui se sont déroulés pendant la formation, ce qui inclut l’enquête disciplinaire. C’est la conduite de l’intimé qui sera analysée par le Tribunal. Le Tribunal ne refera pas cette enquête lors de l’audience.

[63]  En fait, les parties pourront, entre autres, mettre l’enquête disciplinaire en contexte, aborder son déroulement, expliquer le choix des enquêteurs, etc.  L’intimé a effectivement consenti à ce que le choix des enquêteurs à l’enquête disciplinaire menée au Collège soit inclus dans l’objet de la plainte devant le Tribunal (2018 TCDP 17, au para. 25).

[64]  Je rappelle que le Tribunal doit analyser la trame factuelle générale de cette plainte qui est répartie sur une période précise, ce qui inclut notamment les éléments déclencheurs de la plainte (les attouchements et les commentaires allégués), et comprends aussi des faits subséquents, la conduite de l’intimé suivant ces déclarations (ce qui inclus l’enquête), etc. La plainte initiale de Mme Constantinescu déposée en octobre 2015 est claire à l’effet qu’elle estime avoir été éliminée du programme suivant sa dénonciation, ce qui est, selon elle, un traitement défavorable en application de la LCDP.

[65]  C’est à la lumière de toute cette trame factuelle que le Tribunal peut décider si, d’une part, Mme Constantinescu a rempli le fardeau de son dossier en application des articles 7 et 14 LCDP et, d’autre part, si l’intimé est en mesure de justifier sa conduite en application de l’article 15 LCDP. D’autre part, l’intimé peut aussi tenter se décharger de la présomption prévue au paragraphe 65(1) LCDP (Brunskill c. Société canadienne des postes, 2019 TCDP 22, aux paras. 64 à 66)

[66]  Ainsi, tout ce qui touche les autres plaintes alléguées en matière de harcèlement et déposée depuis septembre 2014, incluant leur contenu (enregistrements audios, déclarations), les mandats des enquêteurs, leur durée et leur date d’expiration, tout ça n’est pas pertinent au litige.

[67]  Le Tribunal comprend aussi l’approche de la plaignante : elle veut avoir accès aux documents concernant les autres enquêtes d’harcèlement afin de démontrer le modus operandi (la manière d’opérer) de l’intimé. Elle essaie de démontrer que le harcèlement, incluant celui de nature sexuelle, était quelque chose de connu au sein des installations de l’intimé et que ce dernier a échoué à prévenir et protégé les victimes.

[68]  Bien que le Tribunal n’en soit pas à admettre des documents en preuve, il faut préciser une chose : les tribunaux doivent être prudents avant d’admettre en preuve ce qui est appelé de la preuve de faits similaires. La preuve de faits similaires vise à démontrer les patterns ou les comportements antérieurs d’une partie défenderesse.

[69]  La preuve de faits similaires est importée du droit criminel et son admissibilité est considérablement limitée et restreinte tant en droit criminel que civil. Comme l’a rappelé le Tribunal dans sa décision Hewstan c. Auchinleck, D.T.7/97, 27 août 1997, aux pages 2 et 3 :

Les témoignages sur des gestes antérieurs de l'intimé similaires à ceux qui lui sont reprochés peuvent être admis en preuve sous réserve que leur valeur probante excède le préjudice qu'ils sont susceptibles de causer (R. c. Morin [1988] 2 RCS 345). La preuve de faits similaires doit faire état de faits semblables à ceux en cause dans l'affaire et non pas simplement démontrer une propension de l'accusé. A défaut d'une telle pertinence, la preuve de faits similaires n'est pas recevable.

[Le Tribunal met l’emphase]

[70]  Dans le contexte actuel, la demande de la plaignante est trop large, spéculative et la valeur probante des informations recherchées ne surpasse pas, à mon avis, le préjudice qu’une telle divulgation causera (Brickner, précité).

[71]  En effet, autoriser la divulgation de toutes les plaintes en matière de harcèlement en milieu de travail depuis septembre 2014, et tous les documents qui y sont reliés, ne feraient qu’ensevelir le Tribunal de documents qui alourdiraient considérablement voire irrémédiablement sa tâche, et ce, sans rien ajouter de pertinent sur la situation spécifique et les allégations précises soulevées par la plaignante.

[72]  Cela engendrerait aussi de longs et importants  délais dans le processus du Tribunal afin que ces documents soient cherchés, consultés, divulgués, etc. Le processus de divulgation étant déjà long et complexe, rien ne justifie de complexifier et d’allonger davantage le dossier.

[73]  Dans la même veine, Mme Constantinescu voudrait aussi établir un élément de comparaison entre les agissements de SCC dans sa plainte et les agissements de SCC dans les autres plaintes en harcèlement.

[74]  Le Tribunal précise qu’en matière de discrimination et en application de la LCDP, il est bien établi que la preuve comparative n’est pas obligatoire afin d’établir un traitement défavorable. La définition de discrimination n’inclut pas de groupes de comparaison.

[75]  Les groupes de comparaison sont parfois utiles afin d’établir l’existence de discrimination, mais dans certains cas, il est parfois difficile, voire impossible, d’identifier un groupe de comparaison approprié. C’est la raison pour laquelle la preuve comparative n’est pas un élément essentiel à prouver (Société de soutien à l’enfance et à la famille des premières nations du Canada c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au para. 290 et 327. Voir également Dominique, précitée, aux paras. 33 à 35).

[76]  Ainsi, le Tribunal est d’autant plus d’avis que la preuve comparative n’est pas nécessaire dans le dossier de Mme Constantinescu. Dans un premier temps, les faits du dossier sont précis, individuels et concernent de la discrimination et du harcèlement allégués dans un contexte bien spécifique, pour une période précise : lors d’une formation au Collège de Laval, en 2014.

[77]  Mme Constantinescu aimerait aussi que sa plainte soit caractérisée de systémique. Je me suis déjà prononcé sur cette question dans ma décision 2018 TCDP 17, au para. 38. Je suis toujours d’avis que la plainte de Mme Constantinescu n’est pas systémique.

[78]  Les allégations faites dans cette plainte sont individuelles, bien précises et spécifiques à la plaignante. Mme Constantinescu allègue avoir été discriminée et harcelée sexuellement lors de sa formation au programme PFC 5. Et c’est la conduite de l’intimé, durant cette période précise, dans ce cas bien précis, avec des faits bien spécifiques, qui sera analysée par le Tribunal. Les allégations de la plaignante, en elles-mêmes, n’ont pas de portée systémique et n’ont pas besoin d’être comparées à d’autre groupe afin d’être prouvées.

[79]  Il est important que Mme Constantinescu comprenne le fardeau qu’elle a à rencontrer, et qui est précisément lié aux faits qu’elle invoque dans sa plainte : elle doit démontrer (1) qu’elle un motif de distinction illicite protégé par la LCDP, (2) qu’elle a subi un effet préjudiciable et (3) qu’il existe un lien entre le motif et l’effet préjudiciable. Si cela est prouvé selon la prépondérance des probabilités, elle rencontre le fardeau de sa preuve (Moore, précité). Ce sera alors à l’intimé de justifier sa conduite et de limiter, le cas échéant, sa responsabilité.

[80]  Enfin, c’est seulement si la discrimination est fondée et que des réparations doivent être ordonnées, que les réparations pourraient revêtir un caractère systémique (à ce sujet, voir les motifs du Tribunal dans Dominique, précité, aux paras. 23 à 26).

[81]  Pour tous ces motifs, je rejette cette demande de la plaignante.

VI.  Requête concernant le rapport de la firme Presidia

[82]  La firme Presidia Security Consulting ((firme Presidia) a été mandatée afin d’enquêter sur des allégations d’harcèlement en milieu de travail au pénitencier d’Edmonton. À la suite de cette enquête, la firme a produit des rapports. La plaignante recherche la divulgation desdits rapports ayant été produits par la firme Presidia.

[83]  Il est important de mentionner que le Tribunal a initialement ordonné la divulgation des rapports Presidia dans une décision interlocutoire. L’ordonnance s’appuyait sur le même raisonnement que celui du rapport de TLS Enterprises (voir 2018 TCDP 17, aux paras. 23 et suivants), c’est-à-dire qu’ils étaient potentiellement pertinents pour démontrer que dans les cas des rapports de Presidia et de TLS Enterprises, SCC avait décidé de confier les enquêtes à des firmes externes, alors que pour la plainte de Mme Constantinescu, SCC a décidé de confier l’enquête à un mécanisme interne. Il s’agissait donc d’utiliser le contenant, plutôt que le contenu des rapports.

[84]  De plus, alors que dans le cas du rapport de TLS Enterprises, les avocats de l’intimé et le Tribunal avaient eu l’occasion de consulter ledit rapport, cela n’avait pas été le cas pour les rapports de Presidia. En effet, lorsqu’ils ont fait leurs représentations lors d’une téléconférence, les avocats de l’intimé n’avaient pas encore eu accès au rapport de la firme Presidia. Ils ont donc fait des représentations fondées sur les représentations de Mme Constantinescu, sans réellement savoir de quoi il s’agissait.

[85]  Toutefois, lorsque les avocats ont eu accès audit rapport, ce qui est arrivé après que j’aie rendu ma décision interlocutoire, ils ont effectué des représentations additionnelles au Tribunal afin de lui indiquer que le contenu des rapports différait grandement de ce qu’ils pensaient initialement. Les rapports contenaient des informations hautement personnelles et confidentielles. De plus, il ne s’agissait plus d’un seul rapport, mais de plusieurs rapports sur les événements allégués d’harcèlement à l’établissement d’Edmonton et qui impliquaient plusieurs employés du SCC.

[86]  À la suite des représentations des parties et des précisions de l’intimé, le Tribunal se devait de modifier sa décision interlocutoire en raison des nouveaux faits fournis et du préjudice potentiel de la divulgation de ces rapports sensibles. Le Tribunal a donc suspendu sa décision le temps que la question soit débattue et analysée plus en détail. 

[87]  Même si le Tribunal a définitivement le pouvoir de modifier ses décisions interlocutoires (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shen, 2018 CF 636, aux paras. 49 et suivants; Ching c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 839, aux paras. 36 et 37; Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, [2011] 2 R.C.F. 332, au para. 32; Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49, aux paras. 87 et suivants), les décisions interlocutoires ne sont pas modifiées avec légèreté ou par simple plaisir.

[88]  Il doit exister des faits, des motifs, des circonstances, qui justifient leurs modifications. C’était le cas en l’espèce ; à la suite des précisions pertinentes de l’intimé, il était nécessaire de revoir la question en profondeur.

[89]  Lorsque le Tribunal a donc modifié sa décision interlocutoire et a mis en suspens sa décision sur la transmission du rapport de Presidia, il n’a pas catégoriquement décidé que le rapport ne devrait jamais être transmis ; la question devait plutôt être réévaluée, avec les nouvelles informations fournies par l’intimé. Et c’est ici que nous en sommes.

[90]  Mme Constantinescu est toujours convaincue que ces rapports sont pertinents. Elle allègue avoir été victime d’agression, d’harcèlement, de discrimination, d’intimidation, d’abus et de complot, alors qu’elle effectuait sa formation PFC5 au sein du Collège de Laval. Elle estime avoir subi les mêmes agissements que les employées d’Edmonton et ajoute que les rapports de la firme Presidia devraient être accessibles au public. Elle croit que si le gouvernement a dépensé des fonds publics visant à enquêter sur ces allégations d’harcèlement, ce n’est pas dans le but d’en cacher les conclusions.

[91]  C’est pourquoi elle demande la divulgation des rapports d’enquête produits par la firme Presidia et qui visent les mêmes actes que ceux allégués dans sa plainte. Son objectif est de démontrer que les dirigeants du SCC lui ont accordé un traitement différent. Elle accepte que les noms des victimes et des personnes ayant fait l’objet d’enquêtes soient caviardés.

[92]  Elle précise que le seuil de la pertinence potentielle est un seuil très bas et que la tendance est à plus de divulgation que moins (Gaucher c. Force armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au para. 11).

[93]  La plaignante estime qu’elle a un droit élémentaire d’ajouter tous les éléments nouveaux, qui sont apparus depuis à le dépôt de sa plainte. Elle ajoute que sa demande n’est pas spéculative. Elle argue que la direction du Collège de Laval n’a pas pris les mesures appropriées en lien avec ses allégations d’harcèlement.

[94]  Mme Constantinescu croit que les rapports de la firme Presidia permettront de découvrir la mentalité de SCC et son intention de cacher des faits grave et de défavoriser les victimes de harcèlement. Elle ajoute que les faits sont similaires entre sa plainte et celles des autres victimes au pénitencier d’Edmonton et que le modus operandi (manière d’opérer) de SCC est le même.

[95]  Finalement, elle soulève plusieurs irrégularités dans l’enquête qui a été mené par SCC quant à ses allégations d’harcèlement, notamment en ce qui concerne les enquêteurs, certaines interventions alléguées de la direction et de demande de modifications au rapport. Elle croit que la divulgation des rapports de Presidia lui permettra de mettre ces irrégularités en lumière. Toutefois, comme je l’ai mentionné dans la décision 2018 TCDP 17, au para. 28, Mme Constantinescu devra présenter ce type d’arguments lors de l’audience.

[96]  Cela étant dit, l’intimé estime que la plaignante tente d’ajouter de nouveaux éléments à sa plainte d’origine, ce qui empêche la résolution expéditive de la plainte par le Tribunal. Selon lui, la plainte doit trouver sa forme définitive pour qu’elle puisse progresser et se régler (Gergoulas c. Canada, 2018 CF 652, au para. 155).

[97]  De plus, l’intimé croit qu’il n’existe aucun lien rationnel entre la plainte d’origine et les documents recherchés et que Mme Constantinescu tente continuellement d’élargir la portée de sa plainte. L’intimé admet que la firme Presidia, firme externe, a effectué une enquête au pénitencier d’Edmonton. Et, qu’à la suite des allégations de Mme Constantinescu à l’effet qu’elle aurait été touchée à la poitrine par M. Durdu lors de sa formation PFC5, l’intimé n’a pas fait affaire avec une firme externe pour faire enquête. r

[98]  L’intimé estime qu’il est spéculatif d’affirmer que les dirigeants du SCC ont accordé  à Mme Constantinescu un traitement différent alors qu’ils ont confié le mandant à la firme externe Presidia.  

[99]  L’intimé croit aussi que le Tribunal n’a pas besoin de ces rapports afin de rendre une décision sur les allégations de discrimination de Mme Constantinescu et sur les agissements de SCC dans toute cette affaire.

[100]  Il ajoute que les rapports de Presidia contiennent des renseignements personnels et confidentiels puisqu’ils visent des personnes bien spécifiques. Ainsi, les personnes qui sont nommées dans les rapports s’attendent à ce que ceux-ci demeurent confidentiels afin de respecter la Loi sur les renseignements personnels.

[101]  À la lumière des arguments des parties, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’avoir accès aux rapports de Presidia pour que Mme Constantinescu tente de rencontrer son fardeau de la preuve. Je considère effectivement que les rapports de la firme Presidia ne sont pas pertinents et utiles au litige.

[102]  J’ai déjà spécifié dans la section V(A)(ii) de cette décision (Documents en lien avec les plaintes d’harcèlement en milieu de travail) que la preuve comparative n’est pas essentielle afin de prouver l’existence de discrimination en application de la LCDP.  De plus, la plainte de Mme Constantinescu n’est pas systémique et ses allégations sont bien précises et spécifiques.

[103]  Le Tribunal a également écrit dans cette décision à propos de la preuve de faits similaires et de l’admission limitée d’une telle preuve. Il n’est pas nécessaire de reprendre les mêmes motifs ici (section V(A)(ii) de cette décision).

[104]  Le Tribunal n’est pas d’avis qu’une preuve de comportement antérieur ou de faits similaires soient nécessaires dans les circonstances. Comme je l’ai mentionné, toujours dans la décision 2018 TCDP 17, au para. 41 :

 [41] Chaque plainte devant le Tribunal doit être jugée à la face des faits spécifiques et particuliers de la plainte elle-même et qui sont admis à l’audience. Comme explicité par le Tribunal dans sa décision Hewstan c. Auchinleck, 1997 CanLII 699 (TCDP) :

Il serait inacceptable qu'un tribunal accueille favorablement une plainte en fondant uniquement sa décision sur des gestes antérieurs de l'intimé et une preuve de faits similaires ne peut ni ne doit tenir lieu de preuve à l'appui des allégations comme telles.

[Le Tribunal met l’emphase]

[105]  Les rapports de la firme Presidia et qui concerne, aux dires de la plaignante, des actes allégués similaires à sa plainte, ne sont pas pertinents afin que le Tribunal puisse se décharger de sa fonction.

[106]  De plus, le Tribunal détient suffisamment d’informations sur les rapports de la firme Presidia pour comprendre que ceux-ci concernent des enquêtes ayant eu lieu dans un milieu différent (pénitencier vs collège de formation), d’une province différente (Alberta vs. Québec), avec les membres d’une direction différente, des enquêteurs différents et impliquant des individus différents. Le Tribunal n’a pas besoin de consulter les rapports afin de considérer que les différences sont suffisamment importantes pour diluer considérablement la valeur probante de ces documents, qui ne surpasse pas le préjudice de leur divulgation (Brickner, précité).

[107]  Si de tels rapports sont divulgués afin de présenter une preuve comparative ou de faits similaires, comme l’allègue Mme Constantinescu dans sa requête, cela fera nécessairement dériver le débat. Par exemple, l’intimé pourrait tenter de mettre en preuve les circonstances entourant la production de ces rapports dans un contexte précis, soit le contexte du pénitencier d’Edmonton. Cela n’est pas l’objet de la plainte.

[108]  Ce sont la conduite, les décisions et les actions de l’intimé, au regard des allégations contenues dans la plainte spécifique de Mme Constantinescu, qui seront analysées par le Tribunal.

[109]  Cette analyse se fera dans un contexte et des circonstances bien spécifiques d’allégations qui se sont déroulées au Collège de Laval et qui appartiennent précisément à ce litige. Il n’est pas question d’analyser ou de comparer ce qui aurait pu se produire ailleurs, dans une autre enquête, dans un autre établissement, avec d’autres individus, avec une autre direction, etc.  Le Tribunal ne pourra pas non plus déterminer si ces rapports servent de fondements afin de démontrer comment l’enquête au Collège de Laval aurait dû se produire s’il n’entend pas une preuve sur le déroulement des enquêtes faites par la firme Presidia.

[110]  C’est la LCDP et la jurisprudence qui sert de fondements et qui dictent les obligations des employeurs en matière de discrimination et de harcèlement au sein de leur organisation.

[111]  Le Tribunal est d’avis que la demande de Mme Constantinescu tombe dans les limites prévues dans la décision Brickner, précité, et conséquemment, elle doit être rejetée.

[112]  Enfin, et malgré que cette demande ne soit pas réellement liée aux rapports de Presidia, Mme Constantinescu demande au Tribunal de publier sur son site internet toutes les requêtes qu’elle a déposées et ce, dans un objectif de transparence et pour permettre une bonne compréhension par le public des faits contenus dans son dossier.

Cette demande est impertinente et non-fondée. Seules les décisions du Tribunal sont publiées sur son site internet, comme les autres cours de justice et tribunaux. Cela dit, si une personne du public veut avoir accès aux représentations des parties ayant mené à une décision du Tribunal, ces représentations sont accessibles au public, à moins d’une ordonnance de confidentialité. La personne intéressée peut en faire la demande au Tribunal afin d’y avoir accès. Je rejette donc aussi cette demande.

VII.  Requête concernant le caviardage de l’item #19 de la liste de document de l’intimé

[113]  Le 3 juillet 2018, la plaignante a déposé au Tribunal une demande en divulgation. Cette demande contenait, en fait, plusieurs demandes. L’item #19 de sa demande visait à recevoir « les copies de toutes les correspondances et les documents qui ont été transmis aux autres recrues du PFC5/Que/2014, concernant le bris de sécurité du 4 et 5 octobre 2015, avant que les enquêtes débutent, pendant les enquêtes et après les enquêtes en question ».

[114]  La plaignante croit que les documents s’inscrivent dans une chronologie d’événements qui justifie leur pertinence. Je ne reprendrai pas l’entièrement de cette chronologie, mais il suffit que pendant sa formation, un bris de sécurité au sein du SCC s’est produit alors que des pratiques de tirs ont eu lieu avec le prêt non autorisé d’armes. Elle croit qu’il existe un lien entre son élimination alléguée au programme et les événements entourant ce bris.

[115]  L’item #19 a fait l’objet d’une divulgation de documents de la part de l’intimé, documents qui ont été listés dans sa liste de documents (Pièces 91 et 92). Cela dit, les documents divulgués ont été caviardés par l’intimé. Mme Constantinescu estime qu’elle a le droit d’avoir une version non caviardée de ces documents. Elle estime que le caviardage de l’intimé est excessif.

[116]  Elle souligne que ce n’est pas à l’intimé de déterminer si des informations sont pertinentes ou non. Elle ajoute que l’intimé a détruit, altéré et lui cache encore des documents qu’elle recherche, et croit qu’il tente encore de cacher des faits en caviardant excessivement les documents.

[117]  En alternative, Mme Constantinescu offre que les documents soient divulgués sans caviardage et qu’une ordonnance de confidentialité soit mise en place afin d’en protéger le contenu.

[118]  Mme Constantinescu ajoute qu’après sa demande du 3 juillet 2018, l’intimé n’a pas non plus divulgué tous les documents pertinents qu’elle demandait.

[119]  Plus précisément, elle affirme vouloir connaître le contenu des témoignages de Mme Bastien et Mme Morin, deux cadres de SCC, dans l’enquête concernant le bris de sécurité. Elle estime que le bris de sécurité a mené à son élimination du programme trois jours avant sa graduation. Elle veut aussi connaître les témoignages des autres recrues qui ont participé à cette enquête et qui, comme elle, ont participé aux pratiques de tirs illégales. Elle argue qu’elle n’a pas non plus été informée qu’une enquête était menée à ce sujet et qu’elle aurait dû être rencontrée pour témoigner comme les autres recrues. Conséquemment, elle estime ne pas avoir eu les mêmes droits que les autres recrues. Elle ajoute qu’elle demande ces renseignements parce que sa sécurité a été mise en péril alors qu’elle a participé à des pratiques de tirs illégales.

[120]  Enfin, elle estime que le caviardage des documents l’empêche de savoir si les personnes qui l’ont amené à participer aux pratiques de tirs ont dit la vérité (ou non) lors de l’enquête ayant eu lieu à ce sujet. Elle croit qu’il existe un lien entre cette chaine d’événement et son élimination abusive au programme.

[121]  L’intimé, quant à lui, estime qu’il n’existe aucun lien entre les documents supplémentaires demandés, les informations caviardées et la plainte de Mme Constantinescu. L’intimé précise que c’est pour cette raison que les documents ont été caviardés, pour n’y inclure que ce qui était pertinent selon lui.

[122]  L’intimé ajoute que les informations qui ont été caviardées sont exclues des limites énoncées par le Tribunal quant à la portée de la plainte. Il s’est fondé sur la décision 2018 TCDP 17 (aux paras. 15, 19 et 20) et des balises qui y sont incluses.

[123]  L’intimé, au para. 17 de sa réponse à la requête, affirme que « […] l’intimé n’a pas à divulguer ce que le Tribunal a considéré, dans sa décision finale, comme étant non pertinent au litige ». Je tiens d’ores et déjà à préciser que j’ai rendu une décision expliquant la différence entre une décision finale et interlocutoire (2019 TCDP 49). Il est clair pour moi que la décision 2018 TCDP 17 est une décision interlocutoire et non finale.

[124]  Cela dit, l’intimé précise qu’il ne tente pas de cacher des faits, mais qu’il divulgue uniquement ce qui est potentiellement pertinent au litige. Cela permet d’éviter que Mme Constantinescu ait accès à des renseignements auxquels elle ne peut avoir accès.

[125]  Il argue que la plaignante a eu accès aux informations concernant la pratique de tir illégale et le bris de sécurité à la suite de demandes d’accès à l’information. Grâce à ces demandes, elle a eu accès à de l’information, information qui ne devrait pas être le fondement de ses demandes de divulgation dans les procédures du Tribunal.

[126]  Il ajoute que l’enquête disciplinaire à l’égard de M. Ouellet, celui ayant coordonné les pratiques de tirs illégales, n’est pas du domaine public. Il précise que Mme Constantinescu n’avait pas être informée des détails entourant cette enquête et que ces détails n’ont aucun lien avec la plainte d’origine.

[127]  Enfin, il estime que l’argument selon lequel Mme Constantinescu demande ces documents parce qu’elle aurait été impliquée dans des pratiques de tirs illégales et que sa sécurité aurait été mise en péril, ne sont pas pertinents au litige. Il rappelle que le Tribunal a exclu ces éléments de la portée de la plainte.

[128]  Le Tribunal est d’avis que certaines représentations de Mme Constantinescu militent en la faveur que ce qu’elle recherche est exclu de la portée de sa plainte.

[129]  En effet, tout ce qui touche la sécurité de la plaignante, la légalité des pratiques de tirs, l’enquête sur M. Ouellet et les détails sur l’enquête nationale ont été exclus du litige par le Tribunal (voir 2018 TCDP 17 aux paras. 15, 19 et 20).

[130]  Cela dit, l’intimé argue que « [l]a nature des informations communiquées dans le cadre d’accès [à l’information] ne peut servir d’argument visant à ordonner la divulgation d’éléments de preuve dans le cadre du processus de divulgation devant le Tribunal qui, lui aussi, est soumis à ses propres règle » (représentations de l’intimé, datée du 28 février 2019, au para. 10).

[131]  Il est vrai que le processus en matière d’accès à l’information et le processus de divulgation du Tribunal sont deux processus totalement distincts. Ce qui se passe dans le processus d’accès à l’information ne concerne pas le Tribunal, et vice-versa.

[132]  Néanmoins, le Tribunal est d’accord avec la plaignante que, la corrélation qu’essaie d’établir l’intimé entre la nature des informations recueillies dans le processus d’accès à l’information et son utilisation dans le contexte de la divulgation, est erronée et inexacte.

[133]  Que des documents aient été découverts via un processus d’accès, qu’une personne ait eu accès aux documents via un collègue, une source anonyme, sur internet, etc., à moins qu’il y ait des restrictions ou une interdiction quant à leur utilisation, cela n’a que peu d’importance. Le Tribunal a rappelé à maintes reprises que ce sont les documents potentiellement pertinents à un fait, une question de droit ou un remède, qui doivent être divulgués, ni plus ni moins. L’origine du document n’a rien à voir avec sa pertinence potentielle.

[134]  Sans que le Tribunal se lance dans une grande étude jurisprudentielle à ce sujet, il est suffisant de mentionner qu’il existe certaines décisions de différentes cours et tribunaux appuyant l’idée que l’utilisation d’informations à des fins litigieuses n’est pas une raison pour refuser une demande d’accès à l’information (voir par exemple Wyndowe c. Rousseau, 2008 CAF 39; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 270; Waterloo (Regional Municipality) (Re), Order MO-3278, 2016 CanLII 1758 (ON IPC); Conseils scolaire public de district du Centre-Sud-Ouest (Re), Order MO-1924, 2005 CanLII 56386 (ON IPC).

[135]  Ainsi, si Mme Constantinescu a eu accès à des documents via ses demandes d’accès, et que ces documents sont potentiellement pertinents au litige, il lui est loisible de les utiliser, à moins que leur utilisation soit restreinte ou limitée. À ce sujet, l’intimé n’a pas présenté d’arguments permettant de conclure que l’utilisation des documents et informations reçus dans un processus d’accès à l’information doit être restreinte ou limitée dans un contexte litigieux comme le nôtre. 

[136]  Le Tribunal ajoute qu’il est bien reconnu que les plaintes devant le Tribunal sont sujettes à évoluer. C’est au cours du processus du Tribunal que les plaintes peuvent parfois se préciser :

[13] Il faut se rappeler que la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, par. 9  [Casler]; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, par. 10 [Gaucher]). De plus, comme il a été expliqué dans l’arrêt Casler  :

[8] […] il faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. …. Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. »

[36] […] Comme l’indiquent les arrêts Gaucher et Casler, précités, la plainte déposée à la Commission n’est que sommaire : elle se précise nécessairement en cours de processus. C’est dans l’exposé des faits que les conditions de l’audience se précisent.

(Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, aux paras. 13 et 36)

[137]  Ainsi, le fait que Mme Constantinescu ait appris certains faits à la suite du dépôt de sa plainte à la Commission, et ce, via des demandes d’accès à l’information, ne l’empêche pas d’utiliser ces faits à l’audience. Les plaintes peuvent se préciser. Et le Tribunal a effectivement permis l’élargissement de la plainte sur certains aspects entourant le bris de sécurité (voir 2018 TCDP 17, aux paras. 15 à 20). Cela dit, le Tribunal a aussi émis des balises claires sur ce qui est exclu de la plainte.

[138]  Une remarque s’impose : à l’inverse, il est reconnu que l’usage et l’utilisation des documents qui sont reçus dans le cadre de la procédure du Tribunal sont limités. Tel que le soussigné l’a écrit dans Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3, aux paras. 153 à 155;

[153] En effet, les documents qui ont été divulgués dans le cadre d’une procédure judiciaire, comme celle du Tribunal, sont régis par un principe bien établi en common law, soit celui de l’engagement implicite de confidentialité.

[154] Cette règle limite l’usage des documents qui ont été divulgués, et ce, aux seules fins de la procédure en question. Plus clairement, une partie qui a reçu des documents au stade de la communication, divulgation, interrogatoire au préalable, etc., est réputée s’être engagée auprès de la Cour à ce que lesdits documents ne soient pas utilisés à d’autres fins que pour la procédure judiciaire pour laquelle ils ont été produits. Utiliser ces documents à d’autres fins, même ultérieurement, peut constituer un outrage au tribunal (Seeflings Life Science Ventures LLC c. Pfizer Canada Inc., 2018 CF 443, au para. 3).

[155] Par contre, lorsque les documents sont déposés à titre de pièces lors de l’audience du Tribunal, ils deviennent nécessairement publics, à moins qu’il n’y ait une ordonnance de confidentialité empêchant leur distribution (paragraphe 52(1) LCDP). Ainsi, une personne du public peut donc déposer une demande au Tribunal afin d’y avoir accès.  

[139]  À moins d’arguments contraires convaincants, je suis d’avis qu’un membre instructeur du Tribunal n’a aucun pouvoir afin de déclarer un outrage au Tribunal, et ce, malgré l’utilisation de documents d’une façon contraire à l’engagement implicite de confidentialité. Les parties sont également au courant de mon avis à ce sujet.

[140]  Toutefois, la Cour suprême précise que le sursis ou le rejet de l’instance sont aussi des remèdes envisageables par les cours et tribunaux si une partie brise cet engagement implicite de confidentialité (Juman c. Doucette [Juman], 2008 CSC 8, au para. 29). Elle rappelle également que cet engagement perdure même après la fin des procédures (Juman, précité, au para. 51).

[141]  Enfin, il faut préciser que le Tribunal a traditionnellement reconnu que la règle de l’engagement implicite de confidentialité s’applique à ses propres procédures (voir entre autres Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396), 2004 TCDP 38; Warman c. Canadian Heritage Alliance, 2006 TCDP 31; Valenti c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 TCDP 31).

[142]  Maintenant, le Tribunal comprend que les documents ont été caviardés par l’intimé et que la plaignante demande d’avoir accès aux versions non caviardées, estimant que les documents sont potentiellement pertinents au litige.

[143]  Il est dommage que les parties n’aient pas joint à leur représentation lesdits documents (Pièces 91 et 92). Ainsi, je n’ai aucun document physique me permettant d’avoir une bonne compréhension de ce à quoi les parties font référence. Je n’ai qu’une brève description faite par Mme Constantinescu dans ses représentations, ce qui n’est pas en soi très aidant.  

[144]  Il est difficile d’évaluer la pertinence potentielle de documents alors que l’intimé a pris la décision unilatérale de les caviarder. Il est ainsi difficile voire impossible de déterminer si ce qui a été caviardé est pertinent ou non.

[145]  Évidemment, l’intimé ne fournit pas réellement de détails dans ses représentations écrites ni d’explications sur les éléments qui ont été caviardés. Cela tombe sous le sens puisqu’autrement, il n’aurait aucun avantage à caviarder les informations

[146]  Le Tribunal se retrouve à devoir trancher une question de divulgation, sans réellement comprendre de quoi il s’agit. J’estime que la demande de Mme Constantinescu doit être davantage approfondie et que les arguments de l’intimé ne me convainquent pas que la demande de Mme Constantinescu doit être rejetée.

[147]  Comme je l’ai rappelé à de multiples reprises, il est clair que seuls les documents potentiellement pertinents à un fait, une question de droit et un remède, doivent être divulgués. Cependant, encore faut-il que le Tribunal détienne suffisamment d’informations afin de pouvoir rendre une décision éclairée. Sans savoir ce que sont les renseignements caviardés, il est difficile de déterminer s’ils sont pertinents ou non.

[148]  Dans ce contexte, il serait imprudent de rendre une décision à cette étape-ci. Je prendrai ainsi connaissance des documents en question et je déciderai s’ils sont effectivement pertinents ou non au litige, comme l’a subsidiairement proposé l’intimé.

[149]  Pour ces motifs, j’ordonne à l’intimé de transmettre au Tribunal, en version papier, les documents en question.  

[150]  Il doit transmettre 2 versions des documents : (1) la version non caviardée et (2), la version caviardée. Ainsi, le Tribunal pourra clairement déterminer quels sont les enjeux de la présente demande.  

[151]  Les documents devront être envoyés au greffe du Tribunal, par courrier. Les documents devront être clairs, lisibles et bien divisés, le cas échéant. Une fois la décision du Tribunal rendue, les copies des documents ayant été transmises par l’intimé seront détruites.

[152]  Je suis clair à l’effet que ces documents ne font pas partie du dossier officiel du Tribunal et qu’ils ne seront pas distribués. La seule fin de la transmission est de rendre une décision sur la pertinence potentielle, et ce, dans le cadre de la demande de Mme Constantinescu.

[153]  Je rendrai une décision ultérieurement à ce sujet.

[154]  Finalement, Mme Constantinescu a précisé dans sa requête que l’intimé n’avait pas divulgué tous les documents pertinents demandés dans sa requête du 3 juillet 2018 et qui concernent l’item #19. Elle explique que des documents sont manquants, mais n’identifie pas ces documents manquants.

[155]  Le Tribunal n’a aucune autre représentation de la part de la plaignante à ce sujet. Elle ne précise pas quels sont les autres documents qu’elle recherche ou les documents qui seraient manquants. Dans cette requête, Mme Constantinescu avait l’opportunité de faire des représentations complètes à cet égard, ce qu’elle a omis de faire.

[156]  Il faut ajouter que la demande semble plutôt hâtive, dans la mesure où plusieurs informations ont été caviardées par l’intimé dans sa divulgation de documents liés à l’item #19. Mme Constantinescu plaide qu’il lui manque des documents alors qu’elle n’a pas encore en main les documents complets et non caviardés. En conséquence, il appert que la demande supplémentaire de la plaignante est spéculative.

[157]  Pour ces motifs, je rejetterai cette partie de la demande de la plaignante.

VIII.  Requête concernant une capture d’écran du 6 novembre 2018

[158]  L’intimé a inclus dans sa liste de documents la pièce 95. Cette pièce est nommée : Capture d’écran_HRMS 93557.

[159]  En lien avec cette capture, la plaignante demande des informations additionnelles entre autres :

1)  La signification de ce document;

2)  La date de création de ce document;

3)  Les conditions de sa création;

4)  Le lien entre ce document et la demande des ressources humaines ayant pour référence HRMS 93557;

5)  Les informations à l’égard du processus de sélection 2014-PEN-EA-PRA-93557;

6)  Le lien entre ce processus de sélection et la plaignante ainsi que sa date;

7)  Le lien entre ce processus de sélection et le processus de sélection 2013-PEN-EA-NAT-68703;

[160]  La plaignante affirme que son dossier de candidature au sein de SCC avait plusieurs informations manquantes. Elle précise avoir demandé à l’intimé des explications sur ces informations manquantes ou erronées (par exemple des dates), sur les confusions entourant ses résultats et sur la demande des ressources humaines liées à une offre conditionnelle d’emploi au pénitencier d’Edmonton.

[161]  Elle juge que la capture d’écran (pièce 95) de l’intimé, sans autre document, ne fait qu’augmenter la confusion. Elle ajoute que selon elle, l’intimé lui cache des documents. Elle veut aussi éviter que l’intimé ne détruise des documents, ou les altère.

[162]  Mme Constantinescu affirme également avoir reçu plusieurs documents grâce à ses demandes d’accès à l’information. Elle estime que bien que les processus d’accès à l’information et de divulgation du Tribunal soient différents, comme je l’ai rappelé aux parties un nombre incalculable de fois, les deux processus doivent converger vers un seul résultat : la divulgation totale de tous les documents et les informations pertinentes avant les audiences.

[163]  Dans ses représentations, l’intimé confirme avoir divulgué trois autres captures d’écran supplémentaires en lien avec sa pièce 95. Il affirme que cela complète toute l’information qu’il a à ce jour au sujet de cette pièce.

[164]  De plus, l’intimé croit que ce que recherche la plaignante ne sont pas des documents, mais plutôt des précisions sur des pièces. Ces précisions seront accessibles lors des interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins. Il argue que les détails qu’elle tente d’obtenir relèvent plutôt de l’administration de la preuve à l’audience que du processus de divulgation des documents.

[165]  L’intimé, se fondant sur la décision Brickner, précitée, au para. 10, ajoute que l’obligation de divulgation se limite aux documents qu’il a en sa possession, et que le Tribunal ne peut pas lui ordonner de produire ou de créer de nouveaux documents aux fins de divulgation.

[166]  Mme Constantinescu a fait une chronologie des événements en lien avec son application à un poste d’agent correctionnel au sein de SCC en 2013, des examens et tests, du recrutement, de la liaison avec les ressources humaines, et des autres procédures qui ont suivi, jusqu’en 2014.

[167]  Mme Constantinescu allègue que lors de sa formation du PFC 5, en 2014,  son processus de sélection avec un numéro bien précis. Cela dit, en 2018, elle allègue qu’un nouveau numéro de sélection lui aurait été attribué, et ce, au même moment où les bris de sécurité se sont produits au Collège (pour des faits sur le bris de sécurité, voir la décision 2018 TCDP 17, aux paras. 11 et suivants). Je comprends que le SCC lui aurait attribué un numéro rétroactivement en 2014 ce qui, pour elle, est incohérent.

[168]  Elle affirme qu’elle ne demande pas uniquement des informations, mais aussi des documents, contrairement à ce que l’intimé argue. Elle ajoute que l’intimé n’a pas nié l’existence des documents qu’elle recherche et s’oppose, par tous les moyens, à sa demande afin de ne pas divulguer les documents qu’elle demande. Elle estime que l’intimé tente de l’empêcher d’accéder à la justice, de protéger ses employés et cadres des abus qu’ils ont commis. Elle remet en question également la volonté de SCC de lui offrir un poste au pénitencier d’Edmonton.

[169]  Enfin, elle affirme que pour que la preuve soit administrée, elle doit avoir accès à cette preuve avant tout. C’est pourquoi elle demande d’avoir accès aux documents qu’elle recherche.

[170]  Le Tribunal est d’avis que les arguments de la plaignante ne sont pas convaincants. D’une part, elle affirme que dans sa demande, elle ne recherche pas uniquement des précisions, détails, informations, mais aussi des documents.

[171]  Quand le Tribunal prend connaissance de la demande de la plaignante, force est de constater qu’elle recherche bel et bien des informations, des détails et des précisions sur la capture d’écran, plutôt que des documents.

[172]  Il est opportun de reprendre à nouveau sa demande :

  • 1) La signification de ce document;

  • 2) La date de création de ce document;

  • 3) Les conditions de sa création;

  • 4) Le lien entre ce document et la demande des ressources humaines ayant pour référence HRMS 93557;

  • 5) Les informations à l’égard du processus de sélection 2014-PEN-EA-PRA-93557;

  • 6) Le lien entre ce processus de sélection et la plaignante ainsi que sa date;

  • 7) Le lien entre ce processus de sélection et le processus de sélection 2013-PEN-EA-NAT-68703;

[173]  Toutes les demandes de Mme Constantinescu sont en fait des demandes d’informations qui seront probablement partagées lors des témoignages des différents témoins à l’audience (signification, date de création, conditions de création, etc.).

[174]  Ce sont les témoins qui pourront expliquer la signification de la capture d’écran, sa date et ses conditions de création, le lien avec la demande aux ressources humaines et les autres processus de sélection, etc.

[175]  L’intimé a, de plus, divulgué trois autres captures d’écran, en lien avec cette première capture. À cette étape-ci, des captures d’écran, sans détails de la part des témoins qui pourront mettre ces documents en contexte, ne demeurent que des captures d’écran, c’est-à-dire une simple image d’un écran. Sans information de la part d’un témoin, il peut être difficile voire impossible d’en comprendre le contenu, le contexte.

[176]  Comme je l’ai rappelé à de nombreuses reprises, à l’étape de la divulgation, les documents ne constituent pas encore des éléments de preuve. Les documents sont admis en preuve par le membre instructeur, à l’audience (Règle 9(4) des Règles).

[177]  De manière générale, les documents sont mis en preuve pendant l’interrogatoire ou le contre-interrogatoire des témoins. Un témoin est alors en mesure d’expliquer le document, de le mettre en contexte, et de dire ce qu’il en comprend, etc.

[178]  Le Tribunal peut aussi se pencher, selon les arguments des parties, sur l’authenticité, l’intégrité et la fiabilité des documents qui lui sont soumis. C’est après cette analyse que le Tribunal admet un document en preuve, ou pas (alinéa 50(3)(c) LCDP). C’est ce qu’on appelle l’administration de la preuve.

[179]   Je peux comprendre que la capture d’écran soumise par l’intimé puisse soulever des interrogations pour la plaignante et c’est pourquoi il y aura des témoins à l’audience afin de l’éclairer à ce sujet.

[180]  Quant à l’argument sur l’accès à l’information, tout ce qui touche l’accès à l’information n’est pas pertinent dans le processus du Tribunal. Si Mme Constantinescu multiplie les demandes devant diverses instances pour avoir accès à des documents, il lui est loisible de le faire. Le Tribunal n’est aucunement lié aux processus d’accès à l’information, nonobstant les raisons, les motifs ou les résultats  qu’une personne recherche en soumettant de telles demandes.

[181]  Je conclus que ce que demande la plaignante ne tombe pas sous l’égide du processus de divulgation du Tribunal et qu’elle pourra appeler les témoins qu’elle désire afin d’obtenir  les explications qu’elle recherche sur les captures d’écran de l’intimé.

[182]  Pour ces motifs, je rejette cette demande de la plaignante.

IX.  Requête concernant les notes des recrues ayant participé à la formation du PFC-5/2014 du 5 septembre 2018.

[183]  La plaignante demande la divulgation des notes des recrues ayant participé à la formation PFC-5-2014. En fait, ces notes correspondent à ce que nous pourrions décrire de livre de bord ou de journal de bord.

[184]  Il faut comprendre que les formateurs tiennent des livres de bord pour chaque recrue participant à la formation. Dans ces livres de bord, les formateurs mettent des annotations en lien avec le comportement des recrues et leur évolution. Les recrues ne font pas d’annotation dans ces livres ; ils sont à l’usage des formateurs uniquement.

[185]  Mme Constantinescu allègue que son livre de bord contient plus d’annotations négatives de la part des formateurs que les autres recrues ayant suivi la formation avec elle. Elle argue qu’après la dénonciation du harcèlement sexuel allégué et des commentaires de certaines recrues en lien avec ses origines, les annotations négatives dans son propre livre ont augmenté. Cela aurait mené à son échec à la formation.

[186]  Elle demande ainsi d’avoir accès à ces livres de bord afin de comparer le traitement défavorable qu’elle a subi avec les autres recrues.

[187]  Le Tribunal comprend que Mme Constantinescu a déjà reçu les livres de bord de toutes les recrues, et ce, à la suite d’une demande d’accès à l’information. Ces livres ont été caviardés entre autre les noms, les photos, et surtout, les annotations/commentaires. Ces livres incluent ceux de deux recrues qui sont davantage impliquées dans cette plainte, soit ceux de M. Durdu et de M. Hevey. La plaignante est en mesure de déterminer que leurs livres contiennent 2 et 3 annotations respectivement alors que le sien en compte 14. Elle est également en mesure de constater que les livres de bord des autres recrues, bien que caviardés, ne contiennent pas autant d’annotations que le sien.

[188]  Elle accepte de recevoir les livres de bord des autres recrues, dans leur intégralité, sans que les noms soient divulgués. Selon elle, ces livres pourraient démontrer que la manière dont elle a été traitée durant la formation était différente des autres recrues.

[189]  Elle ajoute que lorsque M. Hevey a fait des remarques contre elle qu’elle considère discriminatoires, d’autres recrues étaient présentes. Elle se demande si ces personnes auraient pu rapporter à la direction de tels agissements. Ainsi, des annotations pourraient exister dans leurs livres respectifs. Certaines recrues auraient aussi manifesté leur croyance à l’effet que la plaignante était malade, et Mme Constantinescu croit que cela aurait aussi pu être rapporté dans leurs livres de bord.

[190]  Elle estime aussi que les premières annotations négatives ont été faites à un moment précis, soit quelques jours après les événements impliquant M. Durdu et M.  Hevey ainsi que le bris de sécurité.

[191]  L’intimé estime que la demande de la plaignante concerne des documents qui ne sont pas pertinents à sa plainte. Il estime que la décision du Tribunal dans Brickner, précitée, est pertinente en ce que la demande de la plaignante repose sur des suppositions qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires.

[192]  Il argue que c’était à la plaignante de démontrer un lien rationnel entre les documents recherchés et sa plainte, ce qui, selon lui, n’a pas été fait.

[193]  L’intimé ajoute que la version caviardée des livres de bord que Mme Constantinescu a reçue après une demande d’accès à l’information n’a pas été soumise au même processus. La division de l’accès ne se penche pas sur le critère de la pertinence.

[194]  Il précise que selon lui, le seul argument que veut tenter de faire la plaignante avec les livres de bord est à l’effet qu’elle aurait été traitée différemment sur la base du nombre d’annotations. Ainsi, les versions caviardées sont suffisantes à cette fin : nous y retrouvons la date de l’annotation ainsi que le nom de son auteur.

[195]  L’intimé ajoute que les versions caviardées l’ont été pour des raisons de confidentialité. Les noms, les photos, les commentaires, ont été caviardés en application de l’article 19(1) Loi sur l’accès à l’information, « […] mais également selon le critère de la pertinence dans le cadre du processus de divulgation devant le Tribunal.

[196]  D’ores et déjà, le lien que fait l’intimé entre le caviardage d’informations personnelles et le critère de la pertinence dans notre processus n’est pas exact. Le Tribunal n’est pas soumis au processus d’accès à l’information. Si des renseignements sont caviardés dans ce processus, ils le sont afin de respecter les exigences prévues dans les lois qui régissent l’accès à l’information de documents d’organismes publics. Cela n’a rien à voir avec le processus du Tribunal. C’est devant le Tribunal que le critère de la pertinence s’applique.  

[197]  Et comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, si Mme Constantinescu reçoit des documents via un autre processus, personne ne m’a convaincu qu’elle est empêchée de les utiliser afin d’appuyer un fait, une question de droit ou un remède, dans l’instruction de sa plainte. Attention : l’inverse n’est pas vrai, considérant la règle de l’engagement implicite de confidentialité.  

[198]  Le Tribunal doit simplement déterminer si les documents recherchés sont potentiellement pertinents au litige. Que l’accès à l’information ait déterminé autre chose ne change en rien l’analyse que doit faire le Tribunal.

[199]  Il faut tout de même demeurer sensible à la divulgation d’informations qui seraient par ailleurs personnelles. Dans le cas actuel, les informations touchent des tiers, qui ne sont pas parties au dossier du Tribunal. Il faut garder cela à l’esprit. Mme Constantinescu est d’accord à ce que les renseignements personnels demeurent caviardés, ce qui est raisonnable dans les circonstances.

[200]  Maintenant, est-ce que les livres de bord des recrues, et qui ont été remplis par les formateurs, sont potentiellement pertinents au litige ? Je suis d’avis que oui.

[201]  Mme Constantinescu a dénoncé à la direction du SCC des attouchements et des commentaires discriminatoires allégués. Après cette dénonciation, une série d’actions et d’événements s’en sont suivis. Elle estime que l’intimé a mal agi après sa dénonciation. Selon elle, il lui a caché des événements, a omis de lui rembourser des sommes, est intervenu dans l’enquête qui a été menée suivant les attouchements, etc. Elle croit que les actions et la conduite de l’intimé ont eu pour finalité de l’éjecter du programme. Ce faisant, elle n’a pas eu accès à son poste d’agente correctionnelle.

[202]  Lorsque je lis la plainte d’origine de Mme Constantinescu en date d’octobre 2015, celle-ci y fait clairement mention des annotations qu’elle considère injustes, exagérés, et qui ont augmenté à la suite de sa dénonciation. Elle y manifeste également que d’autres recrues étaient au courant des événements qui se sont produits (attouchements et commentaires allégués) voire en ont été témoins. Elle ajoute que les annotations négatives ont augmenté dans le but de l’éliminer du programme.

[203]  À la lumière de la plainte d’origine et de la compréhension que le Tribunal a des livres de bord des recrues qui sont annotés par les formateurs, j’estime qu’il existe une pertinence potentielle aux informations qui pourraient y être inclus. Le Tribunal doit non seulement traiter de l’article 14 LCDP en lien avec le harcèlement vécu et le maintien d’un environnement qui en est exempt, mais aussi du traitement défavorable qu’aurait subi Mme Constantinescu en cours d’emploi (alinéa 7(b) LCDP). Les annotations dans les livres des autres recrues peuvent amener un éclairage à ce sujet.

[204]  Je rappelle qu’à cette étape-ci, l’objectif n’est pas de se lancer dans une analyse profonde et détaillée du bien-fondé des allégations de la plaignante. Elle devra toujours rencontrer son fardeau de preuve à l’audience (voir Moore, précité).

[205]  J’ordonne ainsi que les livres de bord des recrues lors du PCF-5/2014 qui ont participé à la formation avec Mme Constantinescu soient divulgués dans leur totalité, incluant les commentaires et annotations, à l’exception des informations personnelles qui y sont contenues (nom, photo, adresse, adresse courriel, numéro de téléphone, autre identifiant personnel, etc.).

[206]  Quant à la demande de la plaignante pour les notes prises lors du PFC-5 incluant les annotations aux manuels du participant ou toutes notes personnelles, pour toutes les recrues, j’ai déjà rendu une ordonnance à cet effet le 31 août 2018. Dans cette ordonnance, j’ai déclaré que la demande visant les notes qu’auraient pu prendre les autres candidats lors du PCF-5 était spéculative et s’apparentait à une partie de pêche.

[207]  Mme Constantinescu revient à la charge dans la présente demande et demande une nouvelle fois certains documents émanant des recrues elles-mêmes, ce qui inclut les manuels utilisés pour faire leurs devoirs à la maison.

[208]  La plaignante n’a invoqué aucun motif suffisant permettant de justifier la modification de cette décision. Aucun motif, aucune circonstance, ne justifie que je modifie cette décision. Je rejette donc cette demande.

[209]  Enfin, la plaignante semble aussi demander les notes prises lors du PCF-5 incluant les annotations aux manuels du participants et les notes personnelles pour toutes les recrues et qui émanent de SCC, ses employés ou ses formateurs.

[210]  Cette demande est extrêmement large, imprécise et spéculative. J’estime que cette demande entre dans les limites que peut imposer le Tribunal quant à la divulgation des documents (voir Guay, précité, au para. 43. Voir aussi Brickner, précité).

[211]  D’autre part, j’ajoute que les parties se sont échangées une masse de documents, incluant plusieurs courriels et lettres, qui émanent directement de SCC, de ses employés et des cadres. Ainsi, plusieurs documents qui ont déjà été reçus par Mme Constantinescu sont inclus dans cette large demande.

[212]  Pour ces raisons, je rejette cette demande.

X.  Requête concernant les frais de M. Ouellet

[213]  Lors de sa formation PCF5, la plaignante, ainsi que d’autres collègues, ont participé les 4 et 5 octobre 2014 à des pratiques de tir privées qui ont été organisées par un employé de SCC et non-membre du Collège, M. Reno Ouellet, et ce, moyennant une somme d’argent. Je comprends que ces pratiques n’étaient en fait pas autorisées par SCC.

[214]  L’utilisation des armes lors de cette pratique a mené à un bris de sécurité à l’armurerie du Centre régional de réception ainsi qu’à des enquêtes concernant ce bris. Je précise que j’ai déterminé dans ma décision 2018 TCDP 17 que ces éléments n’étaient pas inclus dans la plainte de Mme Constantinescu.

[215]  Par contre, Mme Constantinescu allègue que les autres collègues ayant participé aux pratiques et qui ont versé des sommes d’argent à M. Ouellet ont été remboursés alors que ce ne fut pas le cas pour elle. Elle estime qu’il s’agit là d’un traitement différent.

 

 

[216]  Elle demande des informations spécifiques :

1)  Pourquoi le nom d’une autre recrue, qui n’a pas participé aux pratiques de tirs, apparait dans la liste des recrues ayant été remboursées;

2)  La justification de l’intimé à l’effet qu’elle est la seule des recrues ayant participé aux pratiques de tirs, qui n’a pas été remboursée;

3)  Les documents démontrant quelle est la personne ayant pris la décision de rembourser ces sommes;

4)  Le mode de remboursement;

5)  Les raisons pour lesquelles le remboursement de ces sommes s’est étendu sur une période de 3 ans;

6)  Les documents démontrant les démarches de M. Ouellet afin de rembourser les recrues et qui ont été enregistrées dans les registres appropriés du SCC;

[217]  L’intimé affirme avoir effectué des vérifications en lien avec les remboursements des frais de M. Ouellet aux recrues ayant participé aux pratiques de tirs. Il confirme que des documents ont été divulgués.

[218]  Cela dit, l’intimé estime que cette divulgation a suscité des demandes de divulgation supplémentaires de la part de Mme Constantinescu. Il croit que cette dernière n’a pas démontré le lien rationnel entre les documents recherchés et sa plainte d’origine.

[219]  L’intimé affirme que la plaignante recherche d’abord des informations, et non des documents. Les informations qui sont recherchées seront disponibles via les témoignages des différents  témoins, entre autres M. Ouellet.

[220]  Il ajoute qu’il n’existe pas de registre approprié du SCC, tel que recherché par la plaignante au point 6). Au surplus, l’intimé estime que certains documents recherchés par la plaignante dépassent la portée de sa plainte, entre autres les documents démontrant qui a pris la décision de rembourser les recrues.

[221]  Il estime que le remboursement des frais perçus n’a pas de lien avec la plainte initiale, ni avec son élargissement. L’intimé juge que la plaignante a appris que les pratiques de tirs privées posaient problèmes alors qu’elle a demandé des informations via l’accès à l’information. Ainsi, le lien qu’elle fait entre ce qui s’est produit lors de ces pratiques et sa plainte d’origine n’existe pas.

[222]  Encore une fois, une partie des demandes de Mme Constantinescu concernent effectivement des informations et non des documents. Par exemple, lorsqu’elle demande pourquoi, la justification, le mode, les raisons, il s’agit là de la recherche d’informations, ce qui n’est pas l’objectif, à cette étape-ci, de la divulgation.

[223]  La plaignante estime que des informations sont nécessairement contenues dans des documents. Cela est parfois vrai. Néanmoins, la preuve documentaire n’est qu’un  élément de preuve parmi tant d’autres.  À ce titre, les témoignages à l’audience constituent une autre partie importante de la preuve. Les témoignages contiennent aussi des informations. Il faut donc nuancer.

[224]  Le Tribunal ne répétera pas non plus les mêmes commentaires, qui se retrouvent dans la section VII de cette décision, sur le fait que ces informations pourront être obtenues lors des interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins, incluant M. Reno Ouellet lui-même.

[225]  Comme le soutient Mme Constantinescu, et sans me prononcer à ce stade-ci sur le bien-fondé des allégations, le Tribunal est effectivement d’avis que la question du remboursement des frais de M. Reno Ouellet peut avoir un lien avec la plainte d’origine.

[226]  J’ai déjà déclaré dans ma décision 2018 TCDP 17 que :

[19] À cet égard, le Tribunal n’entrera pas dans les détails de l’enquête qui a été faite concernant M Reno Ouellet et le bris de sécurité ni sur les détails de l’enquête nationale qui a suivi le bris. Pour être plus explicite, je n’ai pas l’intention de faire dériver le débat de la plainte sur la composition des enquêtes, leurs mandats, la manière dont elles ont été menées, sur leurs conclusions ou leurs recommandations. Le Tribunal n’a aucune compétence afin de revoir ces enquêtes. Je conclus que cela n’est pas pertinent aux questions en litige dans le dossier.

[20] De la même manière, le Tribunal n’entendra pas non plus de preuve sur la légalité des pratiques de tirs du 4 et 5 octobre 2014, sur le nombre d’instructeurs nécessaires pour effectuer des pratiques de tirs ni sur les normes légales et réglementaires quant à la sécurité de ce type de pratiques. Le Tribunal n’entendra pas non plus de preuve sur les compétences nécessaires pour effectuer des pratiques de tirs. J’estime que ces aspects ne sont pas liés à la plainte d’origine et qu’ils ne sont pas pertinents au litige.

[227]  Cela tient toujours. Mais par contre, ce qui pourrait être pertinent, c’est la manière dont l’intimé a géré la situation, alors que Mme Constantinescu soutient que l’intimé l’a traitée différemment des autres recrues, puisque celles-ci ont été remboursées, et pas elle. C’est ce continuum d’événements qui avait cours entre la plaignante et l’intimé et qui fera l’objet d’une preuve à l’audience.

[228]  Comme je l’ai écrit dans ma décision 2018 TCDP 17, aux paras. 12 à 15 que :

[12] Les nouveaux faits allégués s’inscrivent dans un continuum des événements qui avaient déjà cours entre la plaignante et l’intimé. Je rappelle que la plainte initiale débute avec des événements allégués tels que des commentaires dégradants faits en classe par un collègue et l’événement des palpations lors d’une fouille. Ces événements allégués ne sont que le tout début de la plainte de Mme Constantinescu. Suite à ses événements, la plaignante allègue également une multitude d’autres événements qui se sont produits, qui auraient été perpétrés par l’intimé et qu’elle estime être discriminatoire.

[13] La façon que les événements entourant le bris de sécurité, des pratiques de tirs et de l’enquête ont été gérés par l’intimé n’est qu’une autre de ces multitudes allégations discriminatoires faites par la plaignante. Encore une fois, elle estime que l’intimé, en gérant l’événement des pratiques de tir, du bris de sécurité et des enquêtes qui ont suivi, a poursuivi dans cette direction, celle d’avoir commis d’autres actes discriminatoires à son encontre. Cela constitue nécessairement un nexus avec la plainte d’origine.

[14] Je suis également en accord avec Mme Constantinescu sur le fait que le Tribunal a compétence afin d’élargir et peaufiner la plainte initialement déposée à la Commission. Le Tribunal détient également les pouvoirs afin de restreindre et limiter la portée de la plainte.

[15] Cela dit, je suis ouvert à laisser à la plaignante une certaine marge de manœuvre afin de présenter des éléments de preuve quant à ces événements allégués. Par exemple, la plaignante soumet que l’intimé lui a sciemment caché des faits quant aux bris de sécurité, mais n’aurait pas fait de même avec les autres recrues. Elle soutient également que l’intimé aurait demandé aux autres recrues de ne pas l’informer des circonstances entourant ces événements. Elle allègue également que la manière dont a agi l’intimé a contribué à son élimination dans le programme PFC 5. Elle estime qu’il s’agit là d’événements discriminatoires de la part de l’intimé. Encore une fois, sans me prononcer sur le bien-fondé de ces allégations, je suis d’avis qu’il existe un lien avec la plainte initiale. J’autorise la plaignante à présenter des éléments de preuve à ce sujet.

[229]  Les mêmes commentaires s’appliquent ici. Ce n’est pas la perception des frais de M. Reno Ouellet alors que les pratiques étaient illégales, ni le remboursement en lui-même de sommes qui n’auraient pas dû être perçues, qui est pertinent en l’instance.

[230]  C’est plutôt la manière dont l’intimé a traité Mme Constantinescu par rapport aux autres recrues en lien avec ces remboursements et suites aux événements, qui est pertinent.

[231]  Je suis cependant d’accord avec l’intimé que la divulgation des documents démontrant qui est la personne ayant décidé de rembourser les recrues n’est pas pertinent au litige. Mme Constantinescu a déposé au soutien de sa requête des confirmations (ou refus) de remboursement des recrues ayant participé aux pratiques. Cela m’apparait suffisant. Que M. Reno Ouellet ou un dirigeant du SCC ait décidé que les sommes devaient être remboursées n’apporte rien de plus au litige. Le fait est que des remboursements (ou refus de remboursement) ont eu lieu.

[232]  Enfin, la plaignante demande des documents démontrant les démarches entreprises par  M. Ouellet afin de rembourser les recrues et qui ont été enregistrées dans les registres appropriés du SCC.

[233]  D’une part, l’intimé affirme que ce registre n’existe pas. Effectivement, rien dans la preuve ne me permet de convenir que ce genre de registre existe. Il est également difficile d’établir si c’est directement M. Reno Ouellet qui a remboursé les recrues ou si c’est SCC qui a fait le remboursement. Dans les deux cas, cela n’est pas déterminant en l’instance.

[234]  Les démarches entreprises par Reno Ouellet pour effectuer le remboursement m’apparaissent aussi impertinentes dans le cas en l’espèce.

[235]  Pour les motifs, je rejette cette demande de la plaignante.

XI.  Décision

[236]  Pour les motifs précédents, le Tribunal :

[237]  SUSPEND la demande concernant les documents en lien avec le rapport des enquêteurs Mme Poirier et M. Anctil;

[238]  REJETTE la requête concernant les documents en lien avec les 65 enquêtes sur des plaintes de harcèlement en milieu de travail entre 2016 et 2018;

[239]  REJETTE la requête concernant les rapports de la firme Presidia;

[240]  Concernant la requête portant sur le caviardage de l’item #19 de la liste de document de l’intimé, le Tribunal :

-  ORDONNE à l’intimé de lui transmettre les documents en question et selon les modalités suivantes :

o  en version papier;

o  les 2 versions des documents doivent être transmises : (1) la version non caviardée et (2), la version caviardée;

o  Les documents doivent être envoyés au greffe du Tribunal, par courrier, et être déposés au greffe du Tribunal au plus tard le 27 mars 2020, 16h00;

o  Les documents doivent être clairs, lisibles et bien divisés, le cas échéant;

-  CONFIRME qu’une fois la décision du Tribunal rendue sur la pertinence potentielle des documents caviardés, les copies des documents ayant été transmises par l’intimé seront détruites;

[241]  REJETTE la demande concernant la capture d’écran du 6 novembre 2018;

 

[242]  ACCORDE EN PARTIE la demande concernant les notes des recrues ayant participé à la formation du PFC-5/2014 et :

-  ORDONNE à l’intimé la divulgation, au plus tard le 27 mars 2020, des livres de bord des recrues lors du PCF-5/2014 qui ont participé à la formation avec Mme Constantinescu, incluant les commentaires et annotations, à l’exception des informations personnelles qui y sont contenues (e.g. nom, photo, adresse, adresse courriel, numéro de téléphone, autre identifiant personnel).

[243]  REJETTE la requête concernant les frais de M. Ouellet.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 6 mars 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2207/2917

Intitulé de la cause : Cecilia Constantinescu c. Service correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 6 mars 2020

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Cecilia Constantinescu, pour la plaignante

Paul Deschênes et Patricia Gravel, pour l'intimé

 

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