Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Tribunal a décidé que l’instance devrait se poursuivre et qu’elle ne devrait pas être ajournée pour une période indéterminée.

Mme Taylor et son fils adulte sont membres de la Première Nation de St. Theresa Point, au Manitoba. Mme Taylor prend soin de son fils adulte, lequel vit avec ses parents. Il est atteint de paralysie cérébrale. En 2010, Mme Taylor a déposé une plainte dans laquelle elle alléguait que Services aux Autochtones Canada et Santé Canada n’offraient pas à son fils le soutien dont il avait besoin, vu ses déficiences. Elle alléguait également que les obstacles rencontrés par son fils faisaient partie de problèmes systémiques plus vastes touchant la prestation de services, par le gouvernement, aux adultes handicapés des Premières Nations qui vivent dans les réserves au Manitoba.

Durant plus de cinq ans, les parties ont tenté de régler les plaintes, avec un médiateur nommé par le Tribunal, mais elles ne sont pas parvenues à une entente. Finalement, le Tribunal a avisé les parties qu’il devait procéder à l’instruction des plaintes. Il a fixé des dates limites pour le dépôt des documents par les parties. Cependant, ces dernières ont continué à demander des prorogations de délai parce qu’elles tentaient toujours d’en arriver à un règlement. Elles se sont vu accorder plusieurs prorogations, mais le Tribunal a fini par leur dire que l’instance ne pouvait pas continuer à être reportée. Les parties ont alors indiqué au Tribunal que Services aux Autochtones Canada et Santé Canada avaient accepté de régler toutes les demandes de réparation financière de la famille Taylor, à la condition que le Tribunal accepte d’ajourner l’instance pour une période indéterminée. Si le Tribunal acceptait la demande des parties, le gouvernement s’engageait à financer un projet de recherche visant à améliorer les services offerts aux adultes handicapés des Premières Nations qui vivent au Manitoba.

Le Tribunal a rejeté la demande des parties d’ajourner l’instance pour une période indéterminée. Il a déclaré que la procédure devant le Tribunal ne constituait pas une monnaie d’échange dans les négociations entre les parties.

Il est vrai que le Tribunal encourage les parties à s’entendre pour parvenir à un règlement, mais il n’est pas vrai que le paiement d’indemnités à la famille Taylor et le projet de recherche sont conditionnels à la suspension de l’instruction, par le Tribunal, pour une période indéterminée. Les parties ont eu plus de cinq ans pour régler les plaintes et elles étaient libres de proposer une solution qui n’était pas conditionnelle à un ajournement pour une période indéterminée. Ce n’est que dans des circonstances très rares que le Tribunal accepte de suspendre ses échéances sans date limite, car il est tenu d’instruire les plaintes de façon expéditive et équitable.

Les parties ont conclu une entente définitive moins d’un mois après le prononcé de cette décision.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 10

Date : le 27 avril 2020

Numéros des dossiers : T1990/7013 et T1991/7113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Alice Taylor (au nom de Kevin Taylor)

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et Santé Canada

les intimés

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I.  Aperçu

[1]  La plaignante, Alice Taylor, et son fils Kevin sont membres de la Première Nation de St. Theresa Point, située dans le nord du Manitoba. Kevin Taylor vit dans la réserve avec ses parents, qui sont ses principaux fournisseurs de soins. Il souffre de paralysie cérébrale et a besoin de soutien et de services liés à ses déficiences d’ordre physique, intellectuel et cognitif. En 2010, Mme Taylor, au nom de Kevin, a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne les présentes plaintes, où elle alléguait que l’approche des intimés en matière de prestation de services ne permettait pas de répondre aux besoins de son fils. Elle y soutenait en outre que les obstacles rencontrés par celui-ci pour obtenir le soutien dont il avait besoin faisaient partie de problèmes systémiques plus vastes touchant la prestation de services aux adultes handicapés des Premières Nations qui vivent habituellement dans les réserves au Manitoba.

[2]  En janvier 2014, la Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal. Celui-ci a nommé un médiateur pour aider les parties à régler les plaintes. En septembre 2019, soit plus de cinq ans plus tard, le président du Tribunal a retiré le soutien à la médiation offert par le Tribunal et m’a confié la gestion de l’instance dans la présente instruction. Depuis, comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, les parties ont demandé, et obtenu, plusieurs prorogations de délai destinées à leur permettre de communiquer et déposer leurs exposés des précisions et de procéder à la divulgation.

[3]  La présente décision sur requête tranche la demande conjointe présentée par les parties afin d’obtenir l’ajournement de l’instance pour une période indéterminée. Dans leur demande, les parties ont fait savoir qu’elles avaient réglé toutes les demandes de réparation personnelle et financière de Mme Taylor, mais que ce règlement était conditionnel à ce que le Tribunal ajourne l’instance à une date indéterminée. Un tel ajournement déclencherait par ailleurs l’engagement des intimés à financer un projet de recherche (le « projet de recherche ») qui consisterait à mesurer et évaluer les services offerts aux adultes handicapés des Premières Nations dans la région d’Island Lake, au Manitoba, et à formuler des recommandations en vue de les améliorer.

II.  Question à trancher

[4]  L’instruction devrait-elle être ajournée pour une période indéterminée? Si la réponse est non, y a-t-il lieu de reporter les dates limites actuellement prévues pour le dépôt des exposés des précisions des intimés et les répliques à ceux-ci?

III.  Décision

[5]  La demande des parties d’ajourner l’instruction des présentes plaintes pour une période indéterminée est rejetée. Le Tribunal est tenu par la loi d’instruire les plaintes de façon expéditive et équitable, et les « ajournements pour une période indéterminée » ne sont accordés que dans des circonstances exceptionnelles. On ne peut se servir de la procédure devant le Tribunal comme d’une monnaie d’échange dans le cadre de la médiation. Les parties ont eu plus de six ans pour régler les plaintes, ce qui aurait pu permettre à la famille Taylor de tourner la page, d’une part, et d’autre part, de répondre aux allégations de nature systémique et d’intérêt public plus larges qui sous‑tendent ces plaintes.

[6]  Les dates limites prévues pour la communication des exposés des précisions des intimés et pour toute réplique à ceux-ci sont précisées ci-dessous, tout comme les prochaines étapes du processus .

IV.  Demandes des parties

[7]  Le 21 avril 2020, au nom de toutes les parties, la Commission a envoyé au Tribunal une lettre l’informant que celles-ci avaient conclu une entente conditionnelle (l’« Entente ») qui permettrait de régler entièrement, et pour de bon, toutes les demandes de réparation personnelle et financière de la famille Taylor, de même que, espérait‑on, de [traduction] « régler entièrement tous les aspects [des plaintes] en temps opportun ». Or, l’Entente ne règle pas les aspects systémiques des plaintes, dans lesquelles il est allégué que les adultes handicapés des Premières nations seraient victimes de discrimination dans le cadre de la fourniture de divers services de soins de santé et de soins à domicile et en milieu communautaire, ainsi que de services d’aide à la vie autonome.

[8]  Les parties sollicitent un ajournement de l’instruction pour une période indéterminée pour permettre l’entrée en vigueur de l’Entente. Selon leurs dires, l’ajournement demandé a pour objet de permettre au Canada de financer le projet de recherche, après quoi les parties seront en mesure de discuter des prochaines étapes possibles. Elles espèrent que le projet de recherche débouchera sur des [traduction] « réformes concertées », qui aboutiront elles-mêmes à la résolution des plaintes et à l’éventuel retrait des allégations de discrimination systémique. Les parties sollicitent également une ordonnance qui permettrait à Mme Taylor de revenir devant le Tribunal à un certain moment dans l’avenir pour demander la levée de l’ajournement, mais pas avant six mois à compter de la date de la présentation, prévue en décembre 2020, du rapport final issu du projet de recherche.

[9]  Les parties ont subordonné l’Entente à la décision du Tribunal d’accueillir leur demande visant à obtenir un ajournement de l’instruction des plaintes pour une période indéterminée. Si le Tribunal refuse de donner suite à cette condition des parties, l’Entente sera considérée comme nulle et non avenue. En clair, à moins que le Tribunal ne fasse ce que les parties lui demandent, la famille Taylor ne recevra pas l’indemnité financière convenue entre les parties et énoncée dans le compte-rendu du règlement. Selon les conditions de l’Entente, les intimés pourraient toujours choisir de maintenir leur financement du projet de recherche même si le Tribunal rejette la demande d’ajournement.

[10]  Les parties joignent à leur demande une copie de l’Entente, dont les modalités financières sont caviardées. L’Entente est signée par les parties et a été approuvée par la Commission en application du paragraphe 48(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H‑6 (la « Loi »). Par ailleurs, les parties demandent au Tribunal de rendre une ordonnance sous la forme de l’ébauche jointe à leur demande.

[11]  En faisant parvenir au Tribunal une copie de l’Entente, même expurgée des montants du règlement financier, les parties ont choisi de rendre publics les éléments des conditions qu’ils ont négociées.

V.  Motifs

[12]  La demande des parties visant à ajourner l’instruction pour une période indéterminée est refusée. J’estime qu’il n’y a pas, en l’espèce, de circonstances exceptionnelles qui justifieraient un tel ajournement.

[13]  L’instruction des plaintes par le Tribunal doit se faire de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle (par. 48.9(1) de la Loi et al. 1(1)c) des règles de procédure du Tribunal). Ce n’est que dans les circonstances les plus exceptionnelles qu’il y a lieu de suspendre l’instruction des plaintes (Bailie et al. c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6, au par. 22).

[14]  Il est loisible au Tribunal de contrôler sa procédure, et il est tenu de protéger celle‑ci contre tout abus et de veiller à ce que les parties respectent les règles et les délais fixés. Voir, par exemple, les décisions Labelle c. Rogers Communications Inc., 2012 TCDP 4, au paragraphe 83 [Labelle] et Johnston c. Forces armées canadiennes, 2007 TCDP 42, au paragraphe 31 [Johnston].

[15]  Les parties font valoir que l’ajournement est raisonnable et approprié dans les circonstances, puisqu’il est dans l’intérêt supérieur des parties et dans l’intérêt du public pour les quatre raisons suivantes :

  1. L’ajournement demandé permettra à la famille Taylor d’obtenir le règlement de ses demandes de réparation financière, en plus de déclencher l’engagement des intimés à financer un important projet de recherche qui pourrait aider à déterminer la façon de résoudre les aspects restants de la plainte;
  2. Le Tribunal a encouragé maintes fois des parties à un litige de ce genre à travailler de concert pour régler les questions en litige. L’ajournement serait aussi un pas de plus vers l’atteinte de l’important objectif de réconciliation entre les Premières Nations et la Couronne;
  3. Même si le projet de recherche et les discussions subséquentes ne permettent pas de résoudre les aspects systémiques des plaintes, l’Entente aura au moins permis de restreindre la portée de l’instruction en réglant les demandes de réparation financière personnelles et en procurant des connaissances utiles qui pourraient aider à éclairer les délibérations du Tribunal;
  4. Il s’agit d’une demande inusitée, mais elle n’est pas non plus une première. Dans [traduction] « au moins deux affaires antérieures », le Tribunal, afin de permettre la réalisation de travaux de recherche et de nourrir des discussions ultérieures, a ajourné pour une période indéterminée des instructions comportant des allégations analogues de discrimination systémique dans le cadre de la prestation de services aux peuples des Premières Nations.

[16]  Je ne peux retenir les arguments présentés par les parties.

[17]  Les parties demandent au Tribunal de suspendre l’instruction pour une période indéterminée, soi-disant pour permettre à la famille Taylor d’obtenir le règlement de ses demandes de réparation financière et personnelle, mais aussi pour donner aux intimés la possibilité de financer un important projet de recherche.

[18]  Pourtant, ce sont les parties elles-mêmes qui ont créé cette condition et qui en ont fait une exigence à respecter pour pouvoir parvenir à un règlement des demandes particulières, et pour déclencher l’engagement des intimés à l’égard du projet de recherche. Plutôt que d’assujettir le paiement d’une indemnité financière à une décision du Tribunal sur un ajournement, on aurait pu privilégier un règlement des plaintes, en tout ou en partie, afin d’amener cette affaire à un dénouement pour Mme Taylor. Mais les parties ont choisi de mettre en jeu le règlement des demandes personnelles de la famille Taylor en faisant en sorte que la prise d’effet de l’Entente soit conditionnelle à l’acceptation, par le Tribunal, d’un ajournement dont les parties n’étaient pas sans savoir — ou auraient dû savoir — qu’il pouvait être refusé, surtout au regard du mandat conféré par la loi au Tribunal d’instruire les plaintes de façon expéditive.

[19]  Je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel un ajournement par le Tribunal serait nécessaire pour permettre la réalisation de ce que l’on décrit comme un projet de recherche potentiellement précieux et important, qui serait susceptible non seulement de circonscrire les questions d’ordre systémique en litige, mais aussi d’éclairer les délibérations du Tribunal ou d’aboutir à des recommandations pour améliorer la prestation de services de santé aux adultes handicapés des Premières Nations. Comme le prévoit l’Entente, les intimés ont la possibilité de financer ce projet, quelle que soit la décision rendue par le Tribunal sur la demande d’ajournement. Rien dans la décision du Tribunal n’empêche les intimés de concrétiser cet engagement dans un esprit de réconciliation entre les Premières Nations et la Couronne, comme ils le mentionnent dans leurs observations.

[20]  Les parties ont déjà consacré beaucoup de temps et d’énergie à ce dossier et, dans l’intervalle, un tel projet de recherche aurait pu être entrepris. Pourtant, elles demandent maintenant un ajournement des procédures pour une période indéterminée afin de [traduction] « permettre la réalisation du projet de recherche », en laissant ainsi entendre que ce serait le Tribunal qui empêcherait les intimés de respecter cet engagement ou de s’entendre avec la famille Taylor. Une telle proposition est absolument fausse, et j’estime que les arguments des parties sont dénués de sincérité.

[21]  Les parties soutiennent que le Tribunal a souvent encouragé des parties à travailler de concert pour résoudre un litige, et elles citent à cet égard des décisions rendues dans le dossier Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Voir, par exemple, 2016 TCDP 10, aux paragraphes 41 et 42; 2016 TCDP 16, au paragraphe 12.

[22]  Il est vrai que le Tribunal encourage les parties à travailler ensemble autant que possible, à toutes les étapes du processus d’audience, que ce soit dans le cadre de la gestion de l’instance ou de la médiation, ou au stade des réparations proposées, à la suite d’une conclusion de responsabilité. À mon avis, toutefois, encourager les parties à travailler de concert pour résoudre les questions ne doit pas être assimilé à ce que les parties présentent ici comme de la [traduction« collaboration », soit, en l’occurrence, faire en sorte que le règlement financier offert à la famille soit conditionnel à l’ajournement de cette même instruction qui vise à permettre à des victimes de discrimination présumées d’obtenir réparation. Si les parties sont résolues à collaborer, elles peuvent poursuivre leurs démarches de règlement à l’amiable en même temps qu’elles se préparent en vue de l’audience, sans qu’il faille laisser tout le dossier en suspens pour une période indéfinie.

[23]  Enfin, les parties font valoir que la demande ne constitue pas [traduction« une première » et s’appuient à cet effet sur deux décisions non publiées dans lesquelles le Tribunal a accordé un ajournement pour une période indéterminée, sur consentement, à la suite de demandes très semblables qui faisaient dépendre des efforts de recherche et le règlement de demandes personnelles d’une décision accordant l’ajournement de l’instance pour une période indéterminée. (Ces ordonnances sur consentement non publiées ont été rendues dans les affaires Première Nation des Mississaugas de New Credit c. Procureur général du Canada (représentant Affaires autochtones et du Nord Canada) [Mississaugas], dossier du Tribunal T/1810/4012; et Pruden c. Santé Canada et Affaires autochtones et Développement du Nord canadien [Pruden]; dossiers du Tribunal 1992/7213 et T1993/7313). Je ne suis pas liée par ces décisions du Tribunal et, de toute façon, il s’agit d’ordonnances sur consentement. Aucun motif écrit n’a été fourni pour justifier l’acceptation des demandes et conditions des parties par le Tribunal.

[24]  Le modèle suggéré dans ces deux dossiers ne m’incite pas à accepter les arguments des parties selon lesquels une telle solution est dans l’intérêt supérieur de toutes les parties, voire même dans l’intérêt du public, surtout si je tiens compte du mandat conféré par la loi au Tribunal et du temps que Mme Taylor a passé à attendre que sa plainte soit entendue.

[25]  Dans le dossier Mississaugas, où il est question d’allégations de discrimination systémique au sein du système d’éducation spécialisée des Premières Nations en Ontario, le Tribunal a accordé l’ajournement en 2016. Quatre ans plus tard, l’affaire n’a toujours pas repris, et elle demeure ajournée. Dans le dossier Pruden, le Tribunal a accordé l’ajournement sur consentement le 1er avril 2019. Les plaintes dans ces dossiers portaient sur des allégations de discrimination dans le cadre de la prestation de services d’éducation spécialisée et de services de santé aux enfants des Premières Nations au Manitoba. Elles concernaient également la promesse de réaliser un projet de recherche visant à améliorer l’éducation spécialisée et les services de santé offerts aux enfants des Premières Nations au Manitoba. L’affaire est toujours pendante, et la levée de l’ajournement n’a pas encore été demandée, et encore moins accordée.

[26]  Je compatis avec Mme Taylor et les membres de sa famille. Ils sont engagés dans ce litige depuis 10 ans et ont investi une énergie et des ressources considérables à la présentation de leurs plaintes. La procédure du Tribunal et le degré de complexité de l’instruction doivent être déroutants pour eux. Kevin Taylor avait 28 ans lorsque les plaintes ont été déposées, et il en a aujourd’hui 38. Je le répète : le Tribunal a l’obligation d’instruire les plaintes de façon expéditive, et, dans les circonstances présentes, l’ajournement de la procédure pour une période indéterminée ne favorisera pas la réalisation de cet objectif.

[27]  Je reconnais que la plaignante a consenti à l’Entente et à ses conditions. Toutefois, il n’appartient pas aux parties de suspendre l’instruction de la présente plainte pour une période indéterminée en raison de la façon dont elles ont négocié les modalités d’un règlement financier. Encore une fois, les intimés ont le droit de régler les aspects particuliers de ses demandes avec Mme Taylor, s’ils le désirent.

[28]  Au reste, je concède que l’objectif invoqué pour justifier l’ajournement pour une période indéterminée est de financer un projet de recherche qui déboucherait sur des recommandations quant à la façon d’améliorer les services offerts aux adultes handicapés des Premières Nations. J’estime qu’aussi bien intentionné que soit cet objectif, l’approche adoptée par les parties dans cette demande est malavisée et va à l’encontre du mandat conféré par la loi au Tribunal, qui consiste à instruire les plaintes que lui renvoie la Commission (par. 49(1) de la Loi).

[29]  Les parties continuent de faire valoir qu’il vaut mieux pour elles en arriver à un règlement, sans quoi le présent litige concernant une affaire complexe comme celle de Mme Taylor sera long, coûteux et éprouvant. Un règlement complet ou partiel des éléments des plaintes pourrait rendre le processus plus efficace. Je suis d’accord. Les parties pouvaient parfaitement régler cette affaire, au moins en partie, sans imposer de conditions, mais elles en ont décidé autrement. De plus, comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal leur a fourni des services de médiation pendant cinq ans. Bien que le Tribunal ait sa part de responsabilité pour avoir laissé traîner le processus aussi longtemps, c’est également vrai pour les parties. Les retards comportent des coûts, et ils ont des répercussions non seulement sur les parties à une plainte qui continuent d’attendre un règlement, mais aussi sur le Tribunal, les contribuables et les autres demandeurs.

[30]  Dans mon ordonnance, ci‑dessous, je précise ce qui est attendu des parties à l’avenir.

VI.  Prochaines étapes

[31]  En juillet 2019, les parties se sont entendues, à la demande du médiateur, sur un calendrier pour la divulgation et la communication des exposés des précisions respectifs, qui devaient ainsi être terminées en décembre 2019.

[32]  En septembre 2019, à la suite du retrait des services de médiation du Tribunal, le président m’a confié la gestion de l’instance dans le présent dossier.

[33]  Lors d’une conférence préparatoire téléphonique tenue le 2 octobre 2019, les parties m’ont demandé d’annuler les dates d’échéance restantes afin de leur permettre de se concentrer sur une rencontre prochaine. Elles ont proposé de nouvelles dates qui feraient en sorte que la divulgation et la communication des exposés des précisions soit achevées en février 2020. À l’appui de leur demande de délai supplémentaire, elles ont invoqué les élections fédérales, le temps nécessaire pour permettre au nouveau gouvernement de transmettre ses directives aux avocats des intimés, les aspects systémiques des plaintes et la disponibilité des avocats. J’ai acquiescé à cette demande.

[34]  Le 6 novembre 2019, les parties ont de nouveau adressé au Tribunal une demande écrite, sur consentement, pour solliciter une prorogation supplémentaire. Elles ont alors invoqué le [traduction] « mandat de règlement » qui incombait aux intimés en ce qui a trait aux aspects personnels des plaintes, de même qu’une rencontre prochaine qui aurait lieu entre elles. Les parties ont fait valoir que, si elles pouvaient arriver à un règlement sur les aspects personnels des plaintes, ce règlement pourrait avoir une incidence importante sur les exposés des précisions en plus de simplifier l’instruction. Comme le délai supplémentaire qu’elles demandaient était raisonnable, et qu’il permettait de disposer d’un mois de plus après la rencontre des parties, j’ai accordé la prorogation. Dans ma décision communiquée par courriel le 6 novembre 2019, j’ai indiqué qu’[traduction« à moins de circonstances exceptionnelles, aucune autre prorogation pour le dépôt des exposés des précisions et la divulgation ne sera accordée, compte tenu du temps déjà consacré à la médiation dans la présente affaire ».

[35]  Le 11 décembre 2019, soit deux jours avant la première date limite pour le dépôt des exposés des précisions et la divulgation par la plaignante et la Commission, les parties ont de nouveau écrit au Tribunal, sur consentement, afin de lui demander de suspendre les dates limites actuelles relatives au dépôt des documents, en raison de récents progrès réalisés dans le cadre des discussions en vue d’un règlement. Les parties ont indiqué qu’elles avaient conclu une entente de principe concernant toutes les demandes de réparations personnelles, et qu’elles discutaient activement d’un certain projet de résolution des aspects systémiques de la plainte concernant la prestation des services généralement offerts aux adultes handicapés des Premières Nations vivant dans les réserves au Manitoba. Elles prévoyaient tenir une rencontre et proposaient de présenter au Tribunal un autre compte‑rendu en janvier 2020.

[36]  Compte tenu de la date à laquelle la demande a été faite, c’est-à-dire deux jours avant l’échéance pour le dépôt, j’ai convoqué une conférence préparatoire téléphonique. Les parties ont été invitées à faire le point sur leurs récents efforts et à préciser les dates prévues pour le règlement des plaintes. À la suite de cette conférence téléphonique, j’ai accordé une brève prorogation des délais, encore une fois dans l’optique de circonscrire la portée des plaintes. Le calendrier prévoyait désormais que le dépôt des exposés des précisions et la divulgation soient achevés à la fin mars 2020.

[37]  Cependant, le 14 janvier 2020, les intimés ont écrit au Tribunal pour lui demander encore plus de temps pour déposer leurs exposés des précisions et procéder à la divulgation. Ils ont indiqué qu’ils avaient déjà demandé, et obtenu, 60 jours de grâce — à compter de la date où ils avaient reçu les exposés des précisions de la plaignante et de la Commission — pour déposer leurs propres exposés des précisions. Aux dires des intimés, ils [traduction] « n’[avaient] pas été en mesure de préparer une réponse dans le délai prévu ». Comme dates butoirs, les intimés ont proposé le 4 mai 2020, la date limite actuelle pour leurs exposés des précisions, et le 19 mai 2020 pour les répliques. J’ai accueilli cette demande.

[38]  Dans un courriel daté du 31 janvier 2020, la Commission a fait le point sur l’état d’avancement des discussions en vue d’un règlement tenues au 30 janvier 2020. À ce moment‑là, j’ai rappelé que, même si lesdites discussions pouvaient se poursuivre en parallèle, à moins que les parties ne règlent complètement et pour de bon le litige, les dates limites pour le dépôt des exposés des précisions et la divulgation demeureraient inchangées.

[39]  La Commission et la plaignante ont toutes deux présenté leurs exposés des précisions et procédé à la divulgation dans les délais impartis.

[40]  Le 9 avril 2020, l’avocat de Services aux Autochtones Canada a demandé la suspension de la date limite pour le dépôt de son exposé des précisions ou, subsidiairement, une prorogation du délai. À l’appui de sa demande, l’intimé renvoie au compte‑rendu du règlement signé qui avait été soumis à la Commission. Il a également mentionné les efforts déployés par Services aux Autochtones Canada pour réagir à la pandémie de la COVID‑19.

[41]  Le 14 avril 2020, j’ai rejeté cette demande. J’ai indiqué qu’en l’absence d’un avis de la Commission indiquant que le compte‑rendu avait été approuvé aux du règlement des deux plaintes, les échéanciers demeureraient les mêmes. J’ai aussi indiqué que le Tribunal n’était pas disposé à accepter des reports à une date indéterminée. J’ai répété que, si les intimés demandaient une prorogation, ils devaient fournir les raisons précises justifiant la demande et proposer une autre date raisonnable pour une brève prorogation. J’ai précisé qu’une évocation générale de la pandémie en cours ne serait pas une justification suffisante. Il peut être nécessaire de faire preuve de souplesse dans certains cas, étant donné la crise de la COVID‑19, mais les parties sont censées continuer de travailler dans le respect des échéances pour permettre l’avancement des dossiers. J’ai souligné que cela était particulièrement valable dans la présente instruction, où les parties ont déjà demandé et obtenu des délais supplémentaires, dont une longue période pour en arriver à un règlement, et où l’instance est pendante depuis une décennie.

[42]  La plaignante et la Commission ont communiqué et déposé leurs exposés des précisions et procédé à la divulgation en respectant les délais.

[43]  Les parties demandent aujourd’hui, une fois de plus, que le Tribunal suspende les dates limites encore prévues pour le dépôt des exposés des précisions des intimés et pour toute réplique à ceux-ci, jusqu’à ce que le Tribunal ait rendu sa décision sur l’ajournement demandé. Elles demandent également au Tribunal d’organiser une conférence préparatoire téléphonique afin de fixer [traduction« de nouvelles dates d’échéance raisonnables ».

[44]  Les parties ont eu de nombreuses années pour réfléchir à leurs observations et mesurer la complexité du présent dossier et, en fait, pour régler les plaintes. J’ai signalé, tant au cours des conférences téléphoniques de gestion de l’instance que par écrit, qu’il était maintenant temps d’instruire les plaintes. Comme l’indique la chronologie précédemment dressée, les parties ont demandé, et se sont vu accorder, plusieurs prorogations de délai.

[45]  Depuis que j’ai pris en charge ce dossier, en septembre 2019, le Tribunal a reçu cinq demandes sur consentement — y compris la plus récente demande des intimés en date du 9 avril 2020 — qui émanaient de l’une des parties ou de l’ensemble d’entre elles, et qui visaient à proroger ou à suspendre les dates limites qu’elles devaient respecter.

[46]  Compte tenu des défis posés par la crise sanitaire actuelle, je suis prête à accorder une brève prorogation aux intimés, soit jusqu’à la fin de mai 2020. Les répliques doivent être communiquées dans les trois semaines suivant la réception des réponses, comme il est précisé ci‑dessous.

[47]  En conséquence, la demande visant la tenue d’une conférence préparatoire téléphonique aux fins de l’établissement d’autres dates limites est refusée. Deux telles conférences téléphoniques ayant trait à d’autres prorogations de délai ont déjà eu lieu dans le présent dossier depuis septembre 2019.

[48]  Une conférence préparatoire téléphonique sera organisée après le dépôt des documents.

VII.  ORDONNANCE

[49]  La demande conjointe des parties visant l’ajournement de la présente instruction pour une période indéterminée est rejetée.

  1. Au plus tard le 25 mai 2020, les intimés sont tenus de déposer auprès du Tribunal et de communiquer aux autres parties leurs exposés des précisions, les documents sur lesquels ils comptent s’appuyer à l’audience et une liste de leurs témoins et des résumés des témoignages anticipés.
  2. Au plus tard le 15 juin 2020, la plaignante et la Commission doivent déposer leurs répliques, le cas échéant.

[50]  Les parties sont tenues de participer à une conférence préparatoire téléphonique après réception de l’exposé des précisions des intimés et des répliques, le cas échéant. Le registraire communiquera avec les parties pour organiser cette conférence téléphonique et leur enverra un ordre du jour avant sa tenue.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 avril 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T1990/7013 et T1991/7113

Intitulé de la cause : Alice Taylor (au nom de Kevin Taylor) c Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et Santé Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 27 avril 2020

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Joëlle Pastora Sala, pour la plaignante

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kevin Staska et Dhara Drew, pour les intimés

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