Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Originaire des Philippines, Mme Dulce-Crowchild vit avec sa famille sur le territoire de la Nation Tsuut’ina. Son époux et ses enfants sont membres de la Nation.

Mme Dulce-Crowchild travaillait comme aide-soignante. Elle exerçait ses fonctions auprès d’une aînée de la Nation, et la Nation payait son salaire.

Les parties ont convenu qu’il y avait eu une interaction entre des membres de la famille de Mme Dulce-Crowchild et le petit-fils de l’aînée. Le petit-fils a affirmé qu’il s’était senti menacé, car il avait l’impression que la famille de Mme Dulce-Crowchild s’en prenait à lui. Le Tribunal a conclu que la race et l’origine nationale de Mme Dulce-Crowchild n’avaient joué aucun rôle dans l’interaction en question. Après cette interaction, l’aînée a indiqué à la Nation qu’elle ne voulait plus que Mme Dulce-Crowchild travaille pour elle. La Nation a donc mis fin à son emploi.

Mme Dulce-Crowchild croyait qu’elle avait été congédiée uniquement parce qu’elle n’était pas membre de la Nation; elle se sentait comme une étrangère dans la communauté. Elle a affirmé que la Nation n’avait pas mené d’enquête en bonne et due forme avant de mettre fin à son emploi.

Le Tribunal a souligné que, de manière générale, la Loi canadienne sur les droits de la personne n’exige pas d’un employeur qu’il mène une enquête avant de mettre un terme aux services d’un employé. La Loi cherche à prévenir la discrimination dans les relations d’emploi. Mme Dulce-Crowchild devait prouver que sa race ou son origine nationale avait joué un rôle dans la décision de la Nation de mettre fin à son emploi. Le Tribunal a conclu que la décision de la Nation de mettre un terme aux services de Mme Dulce-Crowchild sans mener d’enquête n’avait rien à voir avec sa race ou le fait qu’elle n’était pas membre de la Nation.

Mme Dulce-Crowchild a affirmé qu’une enquête aurait appuyé sa version des faits, puisque la Nation n’aurait pas cru le petit-fils de l’aînée. De l’avis du Tribunal, une enquête n’aurait rien changé. La Nation a mis fin à l’emploi de Mme Dulce-Crowchild parce que l’aînée souhaitait dorénavant se passer de ses services. À l’époque, la Nation ne savait pas pourquoi l’aînée ne voulait plus des services de Mme Dulce-Crowchild. En outre, le Tribunal a conclu que la race et l’origine ethnique de la plaignante n’avaient joué aucun rôle dans la décision de l’aînée. La Nation considérait l’aînée comme l’employeuse de Mme Dulce-Crowchild et, lorsque l’aînée a décidé qu’elle ne voulait plus de ses services, il n’y avait pas d’autre poste pour elle.

Le Tribunal a statué que la Nation Tsuut’ina n’avait pas fait preuve de discrimination à l’endroit de Mme Dulce-Crowchild.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 6

Date : le 6 avril 2020

Numéro du dossier : T2342/0119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Amahbel Dulce‑Crowchild

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Nation Tsuut’ina

l’intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 



I.  Aperçu

[1]  Amahbel Dulce‑Crowchild (la « plaignante ») est originaire des Philippines. Son époux et ses enfants sont membres de la Nation Tsuut’ina (l’« intimée »), qui est établie à proximité de la ville de Calgary et au sein de laquelle vit la plaignante depuis 2009.

[2]  Depuis son arrivée au Canada, en 2007, la plaignante a exercé les fonctions d’aide‑soignante, principalement à Calgary. Au début de juin 2016, elle a accepté un emploi à ce titre auprès d’une aînée de la communauté intimée que je désignerai ci-après comme « l’aînée ». En novembre 2016, l’intimée a mis fin à l’emploi de la plaignante à la suite d’un appel de l’aînée, qui avait déclaré ne plus vouloir que la plaignante soit son aide‑soignante, car elle ne voulait pas d’ennuis dans sa maison. Cette décision de l’aînée faisait suite à une interaction survenue entre son petit‑fils (le « petit‑fils ») et des membres de la famille de la plaignante.

[3]  La plaignante affirme qu’elle entretenait une relation solide avec l’aînée, et n’avait rien fait de mal ; elle estime donc son congédiement injuste. Elle le croit lié d’une quelconque façon à sa race ou à son origine nationale ou ethnique, si bien qu’il est assimilable à de la discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne [1] (la « Loi » ou la « LCDP »). La plaignante allègue que, parce qu’elle n’est pas issue de la Nation Tsuut’ina et n’est pas non plus une Autochtone, l’intimée a tout simplement cru la version des faits du petit‑fils, sans mener d’enquête.

[4]  L’intimée, pour sa part, nie que le congédiement puisse avoir été discriminatoire. Elle ne conteste pas le fait que la plaignante ait eu une bonne relation avec l’aînée, mais précise que, dès son embauche, on avait clairement informé la plaignante que si l’aînée décidait qu’elle ne voulait plus de ses services, son emploi auprès d’elle prendrait fin. L’intimée affirme que la race ou l’origine nationale ou ethnique de la plaignante n’a pas joué dans la décision de mettre fin à son emploi d’aide‑soignante auprès de l’aînée.

[5]  Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la plaignante n’a pas prouvé qu’elle avait été victime d’un acte discriminatoire. La plainte est donc rejetée.

II.  Question en litige

[6]  La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’intimée a fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique, chacun étant un motif de distinction illicite sous le régime de la LCDP. Pour que sa plainte soit accueillie, la plaignante doit établir qu’au moins un de ces motifs de distinction illicite a joué un rôle dans la décision de l’intimée de procéder à son congédiement.

III.  Analyse

Cadre juridique

[7]  Aux termes de l’article 7 de la LCDP, constitue un acte discriminatoire le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu si ce refus est fondé sur un motif de distinction illicite.

[8]  Pour pouvoir établir que son congédiement était discriminatoire, la plaignante doit prouver les trois éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

1)  Elle possède une ou plusieurs caractéristiques protégées contre la discrimination par l’article 3 de la LCDP;

2)  Elle a été congédiée en contravention de l’alinéa 7a) de la LCDP;

3)  Une caractéristique protégée a constitué un facteur dans son congédiement [2] .


 

[9]  Afin de prouver le troisième élément, la plaignante doit démontrer l’existence d’un lien entre les deux premiers. Il n’est pas nécessaire que la caractéristique protégée ait été le seul facteur déterminant dans le congédiement, pas plus qu’il n’est nécessaire d’établir l’existence d’un lien de causalité [3] .

[10]  Pour déterminer s’il y a eu discrimination, le Tribunal peut tenir compte de la preuve de toutes les parties. Un intimé peut présenter des éléments de preuve pour réfuter une allégation de discrimination prima facie, présenter une défense justifiant la discrimination en vertu de l’article 15 de la Loi, ou faire les deux [4] .

[11]  En l’espèce, pour réfuter les allégations relatives à l’existence d’un lien entre les caractéristiques protégées et le congédiement, l’intimée a présenté des éléments de preuve qui tendaient à expliquer celui-ci. Soulignons que, lorsqu’un intimé réfute une allégation de discrimination, son explication doit être raisonnable ; elle ne saurait constituer un « prétexte » — ou une excuse — pour dissimuler l’acte discriminatoire [5] .

[12]  C’est en fonction de ce cadre juridique que je dois examiner la preuve présentée à l’audience.

1.   La plaignante est admissible, au titre de la LCDP, à une protection contre la discrimination fondée sur l’un ou plusieurs des motifs de distinction illicite y énoncés

[13]  Dans sa plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée auprès de la Commission le 20 mai 2017, la plaignante alléguait que l’intimée avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Il s’agit bien là de motifs de distinction illicite selon le paragraphe 3(1) de la LCDP.

[14]  Originaire des Philippines, la plaignante est mariée à un membre de la Nation Tsuut’ina. Elle n’allègue pas avoir été congédiée ou traitée injustement parce qu’elle venait des Philippines, mais bien parce qu’elle n’était pas membre de la Nation Tsuut’ina. Elle estime qu’on la considère comme une [traduction] « étrangère », parce qu’elle n’a pas la même race, origine ethnique ou origine nationale que les membres de la Nation intimée.

[15]  Dans ses observations finales, la plaignante mentionne la race et l’origine ethnique en tant que caractéristiques protégées qui s’appliquent à elle, en sa qualité d’immigrante originaire des Philippines qui vit et travaille au sein de la Nation Tsuut’ina.

[16]  Le terme « race » n’est pas défini dans la LCDP. En revanche, la Commission ontarienne des droits de la personne a publié une fiche intitulée « Discrimination raciale, race et racisme » dans laquelle on peut lire ce qui suit :

La « race » est un motif de discrimination interdit par le Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code »), qui n’en donne pas de définition spécifique (comme c’est le cas pour la discrimination raciale). La race est un construit social à partir duquel on établit des différences entre les gens d’après l’accent ou la façon de parler, le nom, les vêtements et l’apparence, le régime alimentaire, les croyances et pratiques, les préférences en matière de loisirs, le lieu d’origine, etc. Le processus de construction sociale de la race est dit « racialisation », un processus par lequel les sociétés assoient la notion que les races sont bien réelles, différentes et inégales, de façons qui importent pour la vie sociale, économique et politique.

[17]  Je reconnais que, en tant qu’immigrante des Philippines et résidente non membre de la Nation intimée, la plaignante est admissible à la protection offerte par la LCDP en raison de sa race, de son origine nationale et de son origine ethnique.

[18]  La plaignante n’a pas précisé pourquoi elle avait invoqué le motif de la « couleur » prévu par la Loi dans la plainte qu’elle avait déposée, pas plus qu’elle ne l’a soulevé en tant que motif de distinction illicite dans ses observations. Cela étant, aux fins de la présente décision, je ne tiendrai pas compte de la discrimination fondée sur la couleur, et je rejetterai la plainte quant à ce motif.

2.   L’intimée a mis fin à l’emploi de la plaignante

[19]  L’intimée reconnaît que, le 7 novembre 2016, elle a mis fin à l’emploi de la plaignante à titre d’aide‑soignante de l’aînée.

3.   Il n’existe aucun lien entre la décision de mettre fin à l’emploi et l’un des motifs de distinction illicite prévus par la Loi

IV.  Preuve

[20]  Voici un résumé des éléments de preuve qui ont été produits à l’audience, et qui sont pertinents quant aux positions respectives des parties et à la question que je dois trancher. Les conclusions de fait qui s’imposent sont formulées plus loin, sous la rubrique « Décision ».

[21]  Bien que la plaignante vive au sein de la Nation Tsuut’ina et que son époux et ses enfants soient membres de la Nation, elle a affirmé, au cours de son témoignage, qu’elle se sentait comme une étrangère dans la communauté. Elle a ajouté qu’elle ne se sentait pas la bienvenue en raison des regards qui lui jetaient les membres de la communauté, à savoir, selon ses propres mots, des regards [traduction] « pas très accueillants, comme de la tête aux pieds ». À un certain moment, elle avait essayé d’assister en compagnie de son époux à ce qu’elle croyait être une réunion communautaire ouverte à tous, mais on lui avait dit qu’elle n’était pas autorisée à y participer parce qu’elle n’était pas membre de la Nation, ce qui l’avait fait se sentir comme une intruse. Elle n’avait pas davantage eu droit à un accueil cordial lorsqu’elle avait emmené sa belle‑fille suivre des cours d’équitation dans la communauté. La plaignante a déclaré ne pas assister aux rassemblements de la communauté, en précisant : [traduction] « Le climat y est malsain ; je préfère donc rester à l’écart. »

[22]  La plaignante a néanmoins affirmé qu’en dépit de cette situation, elle désirait travailler dans la communauté non seulement parce qu’elle y vivait, mais parce qu’elle souhaitait pouvoir servir la communauté de son époux et de ses enfants. Elle pensait que le fait d’y travailler permettrait aux gens de mieux la connaître.

[23]  Selon l’exposé des précisions de l’intimée, la Division de la santé est un organisme interne de la Nation Tsuut’ina qui offre des services de santé à ses membres. La Division assure l’administration du Centre de santé, en plus de fournir des services de soins à domicile aux membres de la Nation qui résident dans la communauté. Ce sont les aides‑soignants qui assurent en grande partie les services de soins à domicile.

[24]  Au début de 2016, l’époux de la plaignante s’est adressé à la directrice de la Division de la santé de l’intimée, Mme Crowchild — une parente par alliance —, pour s’enquérir des possibilités d’emploi qui s’offraient à son épouse. Il avait apporté une copie du curriculum vitæ de la plaignante. Madame Crowchild l’a avisé qu’aucun poste d’aide‑soignante n’était offert pour l’instant, et que l’embauche pour un poste à temps plein au Centre de santé se faisait par l’entremise du Service des ressources humaines de l’intimée. Madame Crowchild a toutefois conservé dans les dossiers de l’organisme le curriculum vitæ de la plaignante.

[25]  Lorsqu’un poste occasionnel d’aide‑soignante auprès de l’aînée s’est ouvert, en juin 2016, Mme Crowchild a demandé à Mme Grosariu, coordonnatrice des soins infirmiers à domicile, si elle pouvait offrir le poste à la plaignante pour l’aider à obtenir un emploi au sein de la communauté. Or, ce n’était pas la façon de procéder habituelle du Centre de santé pour ce qui est de la prestation de services d’aides‑soignants aux aînés de la communauté. De fait, si les postes à temps plein offerts au Centre de santé étaient pourvus par le Service des ressources humaines de l’intimée, les postes occasionnels, eux, étaient pourvus par des agences de soins infirmiers à domicile avec lesquelles le Centre de santé avait conclu des contrats. Ce sont ces agences externes, et non le Centre de santé, qui assignaient les aides‑soignants aux membres de la communauté ayant besoin de soins à domicile.

[26]  Au cours de son témoignage, Mme Grosariu a déclaré que, lorsqu’un aîné fait savoir à l’une des agences sous-traitantes de soins à domicile qu’il ne veut plus des services d’un aide‑soignant en particulier, l’agence lui en assigne un autre. Elle a ajouté que les agences font de grands efforts pour trouver l’aide‑soignant qui convient le mieux à l’aîné concerné, et qu’il faut parfois plusieurs aides‑soignants avant que l’aîné en choisisse un avec lequel il est à l’aise. Madame Grosariu a précisé que les agences embauchaient des aides‑soignants provenant d’un peu partout, dont des membres de la Nation Tsuut’ina.

[27]  Selon le témoignage entendu par le Tribunal, au début de juin 2016, l’aînée, qui venait tout juste de commencer à recevoir des soins à domicile, a décidé, au bout d’une journée passée avec l’aide‑soignante assignée par l’agence, qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec cette personne. Se sentant quelque peu pressée par l’époux de la plaignante de trouver du travail à cette dernière, Mme Crowchild a décidé de rendre service à la plaignante en lui offrant le poste auprès de l’aînée, plutôt que de passer à nouveau par l’agence.

[28]  De l’avis de l’intimée, l’aînée était fondamentalement l’employeuse de la plaignante. Si l’aînée décidait qu’elle ne voulait plus que la plaignante soit son aide‑soignante, ou si l’aînée était hospitalisée, la plaignante perdrait son emploi. La directrice de la Division de la santé, Mme Crowchild, a d’ailleurs affirmé dans son témoignage que l’emploi d’un aide‑soignant était conditionnel à ce qu’il entretienne une bonne relation de travail avec son client. Lors de son témoignage, la plaignante a déclaré qu’elle était consciente de cela lorsqu’elle avait accepté le poste.

[29]  La plaignante a témoigné que, comme elle était le principal soutien de sa famille immédiate et qu’elle subvenait également aux besoins de sa famille aux Philippines, elle avait demandé, à l’occasion de son entretien d’embauche informel, ce qu’il se produirait si son emploi auprès de l’aînée prenait fin. Selon ses dires, Mme Crowchild et Mme Grosariu lui auraient répondu qu’un grand nombre d’aînés dans la communauté avaient besoin de soins, et qu’il devrait y avoir un autre poste pour elle. La plaignante a dit avoir interprété cette réponse comme une garantie d’avoir un autre poste advenant la fin de son emploi auprès de l’aînée. Pour cette raison, et parce qu’on lui offrait de travailler à temps plein pour l’aînée, elle a décidé de quitter son emploi à temps plein à Calgary, et ce, même si Mme Skaret, une infirmière autorisée en soins à domicile travaillant pour l’intimée, l’avait avisée qu’elle prenait ainsi un risque.

[30]  Madame Skaret, qui était responsable des soins prodigués à l’aînée, a témoigné avoir été très préoccupée par le fait que la plaignante ait renoncé à un poste à temps plein à Calgary afin d’occuper un poste occasionnel dans la communauté. Elle avait dit à la plaignante que la précédente aide‑soignante de l’aînée n’avait travaillé qu’une journée, et qu’il n’y avait pas de garantie d’un emploi futur avec l’intimée. La plaignante a confirmé que Mme Skaret lui avait bien dit cela, mais elle a ajouté qu’elle avait choisi de ne pas l’écouter. Elle a déclaré que, puisque Mme Skaret n’était pas sa superviseure, elle avait plutôt décidé de se fier à ce qu’elle estimait être une garantie d’emploi fournie par Mme Grosariu et Mme Crowchild. Cependant, aucun de ces deux témoins n’a déclaré avoir garanti du travail à la plaignante dans l’éventualité où elle perdrait son poste auprès de l’aînée. Elles ont indiqué au Tribunal avoir dit à la plaignante qu’en tant qu’employée occasionnelle, elle n’aurait pas d’avantages sociaux ni de journées de vacances, et que son emploi était conditionnel à la volonté de l’aînée de la vouloir comme aide‑soignante.

[31]  La plaignante a témoigné qu’avant de travailler auprès de l’aînée, elle ne connaissait ni celle-ci ni son petit‑fils. Elle a déclaré qu’elle s’entendait bien avec l’aînée, qu’elle n’avait aucun problème avec elle, et qu’elles se traitaient mutuellement avec respect. Cette affirmation n’est pas contestée. La plaignante a ajouté qu’elle n’avait éprouvé aucun ennui avec le petit‑fils pendant qu’elle travaillait pour l’aînée, si ce n’est qu’il lui avait déjà demandé de cuisiner pour lui, mais qu’elle avait refusé parce que cela ne faisait pas partie de son travail. Le petit‑fils a nié lui avoir demandé de cuisiner pour lui. La plaignante a également précisé qu’il était arrivé à une occasion, lorsqu’elle travaillait chez l’aînée, que le petit‑fils soit contrarié par quelque chose et ait proféré des jurons. Selon ses dires, il n’était pas en colère contre elle, mais l’aînée l’avait tout de même priée de partir, ce qu’elle avait fait. Dans son témoignage, le petit‑fils a déclaré ne pas se souvenir de cet incident.

[32]  D’après la plaignante, le vendredi 4 novembre 2016, deux des sœurs de son époux l’avaient déposée à son travail, chez l’aînée. Elle a mentionné que le petit‑fils de l’aînée se trouvait alors à l’extérieur de la maison et que l’une de ses belles‑sœurs, Bernadine, lui avait poliment demandé : [traduction] « Peux‑tu être gentil avec ma belle‑sœur ? » Invitée à préciser pourquoi, selon elle, sa belle‑sœur avait posé cette question au petit‑fils, la plaignante a répondu que Bernadine le connaissait depuis longtemps. Elle a ajouté que, dans la communauté, le petit‑fils était bien connu comme étant aux prises avec des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, même si elle-même ne savait rien de lui ni de son histoire. Le Tribunal n’a pas pu entendre le témoignage de Bernadine, car, malheureusement, elle est décédée. La plaignante n’a pas cité son autre belle‑sœur comme témoin, bien que celle‑ci se trouvât également à bord de la voiture au moment de la remarque adressée au petit‑fils.

[33]  La plaignante a déclaré que le petit‑fils lui avait demandé, après que les belles‑sœurs l’aient déposée et soient reparties en voiture, si elle cherchait les ennuis. Elle avait répondu [traduction] « non », après quoi il était parti. La plaignante a travaillé ce jour‑là, puis de nouveau le lundi 7 novembre 2016. Elle a affirmé que, pendant son travail ce matin‑là, l’aînée ne lui avait rien dit, et ne l’avait pas traitée différemment. À l’heure du dîner, Mme Grosariu avait téléphoné à la plaignante en lui demandant de se présenter au Centre de santé, où elle lui avait annoncé qu’elle ne travaillerait plus pour l’aînée. La plaignante a indiqué avoir demandé pourquoi, sans vraiment obtenir de réponse, et qu’on lui avait seulement dit qu’elle ne pourrait retourner travailler auprès de l’aînée.

[34]  Dans son témoignage, le petit‑fils a mentionné qu’en 2016, il vivait avec sa grand‑mère et prenait soin d’elle, étant donné que celle-ci l’avait élevé à partir de l’âge de deux ans. Il a indiqué qu’on avait décidé de faire appel à des aides‑soignantes pour s’occuper de sa grand-mère lorsqu’il se trouvait au travail. Il a confirmé qu’il ne connaissait pas la plaignante avant qu’elle ne commence à travailler auprès de sa grand‑mère, même s’il connaissait déjà les membres de la famille de son mari en tant que membres de la communauté.

[35]  Le petit‑fils a déclaré que, peu après que la plaignante avait commencé à travailler auprès de sa grand‑mère, l’époux de la plaignante s’était approché de lui à l’immeuble administratif de la Nation et lui avait dit : [traduction] « Sois gentil avec mon épouse. » Le petit‑fils a dit qu’il ne savait pas pourquoi son mari lui avait fait cette remarque, parce qu’il n’avait eu aucun accrochage ni aucune interaction négative avec la plaignante ; il lui avait tout bonnement dit [traduction] « bonjour » et [traduction] « au revoir » lorsqu’il l’avait croisée chez lui. Il a témoigné qu’avant cette rencontre à l’immeuble administratif, il était en bons termes avec son époux, qu’il a décrit comme [traduction] « un homme sympathique ». Le petit‑fils a déclaré qu’à l’époque, il n’avait pas fait part de cette rencontre à sa grand‑mère.

[36]  Dans son témoignage, l’époux de la plaignante a affirmé qu’il ne voyait aucun problème à ce que son épouse travaille auprès de l’aînée, mais qu’il n’était pas rassuré par la présence du petit‑fils de cette dernière, parce qu’il savait qu’il avait des problèmes de consommation d’alcool. Il a dit avoir parlé du petit‑fils à son épouse, parce qu’elle-même ne connaissait personne dans la communauté. Il a affirmé qu’elle ne lui avait pas parlé de son travail auprès de l’aînée ni de quelque problème qu’elle aurait pu avoir avec le petit‑fils.

[37]  En contre‑interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé s’il s’était adressé au petit‑fils à l’extérieur de l’immeuble administratif de la Nation pour lui demander de ne pas parler à son épouse, il a répondu : [traduction] « Pas que je me souvienne. »

[38]  Selon le témoignage du petit‑fils, environ un mois après l’interaction qu’il avait eue avec l’époux de la plaignante à l’immeuble administratif, la belle‑sœur de la plaignante, Tricia, s’était présentée chez lui et lui avait lancé : [traduction] « N’embête pas Amahbel. » Il a précisé ne lui avoir rien dit en retour, et l’avoir simplement laissée parler. Il a ajouté que la sœur de Tricia, Bernadine, se trouvait elle aussi à bord de la voiture et avait appuyé l’intervention de sa sœur en disant : [traduction] « Ne fais pas de bêtises. » En contre‑interrogatoire, il a indiqué que les belles‑sœurs de la plaignante lui avaient dit de ne pas [traduction] « embêter » celle-ci [traduction] « ou sinon ». Il a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi elles lui disaient cela. Il a déclaré que, lorsque la plaignante était entrée dans la maison, il lui avait demandé : [traduction] « Commencez‑vous à me causer des problèmes ? », puis il était parti.

[39]  Le petit‑fils a témoigné que, à la suite de l’échange avec les belles‑sœurs de la plaignante, il s’était senti menacé, car il avait l’impression que la famille de la plaignante s’en prenait à lui. Il a donc parlé à sa grand‑mère de cet incident, ainsi que du commentaire que lui avait déjà fait l’époux de la plaignante.

[40]  Le petit‑fils a dit que la plaignante et lui travaillaient dans un même objectif, c’est‑à‑dire prendre soin de sa grand‑mère. Il a également confirmé que la plaignante et sa grand‑mère entretenaient une bonne relation. Il a affirmé ne pas avoir dit à sa grand‑mère que la plaignante ne devrait pas travailler pour elle, et a ajouté qu’ils n’avaient pas discuté ensemble de la race ou de l’origine nationale ou ethnique de la plaignante.

[41]  Madame Skaret, l’infirmière en soins à domicile responsable de l’aînée, a affirmé au cours de son témoignage que cette dernière lui avait dit aimer la plaignante, mais ne pas vouloir d’ennuis dans sa maison. Le 10 janvier 2018, l’aînée a fait une déclaration que Mme Skaret a consignée par écrit, en présence d’un autre employé du Centre de santé comme témoin. L’aînée y disait qu’un membre de la famille de la plaignante avait tenu à son petit‑fils des propos ayant fait en sorte qu’il s’était senti menacé. Dès lors, l’aînée avait décidé qu’elle ne souhaitait plus que la plaignante travaille pour elle, car elle ne voulait pas d’ennuis dans sa maison. Elle ajoutait, dans sa déclaration : [traduction] « Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes autres employées. Je n’aime pas les menaces, ça va mal finir pour quelqu’un. » [6]

[42]  Madame Skaret a mentionné avoir elle-même consigné cette déclaration pour l’aînée, parce qu’elle ne pouvait pas écrire. L’avocat de l’intimée a précisé que l’aînée n’avait pas été citée comme témoin en raison de sa santé fragile. La plaignante ne s’est pas opposée à ce que la déclaration de l’aînée soit produite en tant que pièce à l’audience. J’ai admis cet élément et d’autres témoignages par ouï‑dire provenant de l’aînée, lorsque nécessaire, compte tenu de son état de santé et du fait que ces éléments de preuve respectent le seuil de fiabilité voulu, la plaignante ayant eu la possibilité de contre‑interroger les témoins des déclarations concernées.

[43]  Madame Skaret a expliqué qu’elle avait tenté de régler le différend entre l’aînée et la plaignante, mais que c’était peine perdue, parce que [traduction] « si vous connaissez [l’aînée], vous savez que c’est terminé ».

[44]  Au cours de son témoignage, Mme Grosariu a affirmé que l’aînée avait communiqué avec elle et lui avait dit ne plus vouloir que la plaignante soit son aide‑soignante. Madame Grosariu a tenté de savoir ce qui s’était passé, mais l’aînée a refusé de s’expliquer en lui disant qu’elle avait déjà précisé la raison à Mme Skaret. Madame Grosariu a déclaré avoir essayé de convaincre l’aînée de garder la plaignante comme aide‑soignante, mais elle a refusé. Madame Grosariu a dit qu’elle connaissait l’aînée depuis 19 ans, que ses réponses sont brèves et qu’elle est très déterminée dans ses choix. Les témoins travaillant au Centre de santé de l’intimée ont tous déclaré que l’aînée n’était pas une personne avec qui on pouvait argumenter, et qu’elle ne revenait pas sur une décision déjà prise. Tous les témoins de l’intimée ont clairement dit que l’aînée n’avait pas mentionné la race ou l’origine ethnique ou nationale de la plaignante en rapport avec le fait de ne plus vouloir de la plaignante comme aide‑soignante.

[45]  Madame Grosariu a dit qu’elle se souciait d’assurer le maintien des soins à domicile dont l’aînée avait besoin. Elle a indiqué que l’aînée était bouleversée au point de ne plus vouloir que des soins lui soient prodigués après le départ de la plaignante, mais que Mme Skaret l’avait convaincue de mettre à l’essai une aide‑soignante de l’une des agences, et elle reçoit toujours de tels soins aujourd’hui.

[46]  Madame Grosariu a déclaré que, en plus de sa crainte que l’aînée soit privée de soins, elle voulait également aider la plaignante à trouver un autre emploi. À ce moment‑là, une seule autre aînée de la communauté n’avait pas besoin d’une aide familiale résidente ; Mme Grosariu a donc communiqué avec elle pour lui demander si elle accepterait de rencontrer la plaignante, ce qu’elle a fait. Cette autre aînée recevait déjà les services d’une aide‑soignante assignée par une agence, mais Mme Grosariu a cru qu’elle pourrait envisager d’avoir la plaignante comme aide‑soignante à la place. Madame Grosariu a dit que l’aînée en question avait refusé après avoir rencontré la plaignante. Madame Grosariu a ajouté que, bien qu’elle ait fait de son mieux pour trouver une autre aînée dont la plaignante pourrait s’occuper, il n’y avait pas d’autres postes occasionnels d’aide‑soignante à lui offrir.

[47]  Au cours de son interrogatoire principal, la plaignante a témoigné qu’on lui avait affirmé que le Centre de santé tenterait de trouver une autre résidente dont elle pourrait s’occuper ; toutefois, les recherches n’ont rien donné. En contre‑interrogatoire, elle a admis que Mme Grosariu avait fixé un rendez‑vous pour qu’elle rencontre une autre aînée. Toutefois, elle a paru douter qu’il s’agissait d’une tentative sincère de lui trouver un autre poste, puisque l’aînée en question avait déjà une aide‑soignante.

[48]  Madame Grosariu a déclaré qu’aucune autre personne que la plaignante n’avait été embauchée comme aide‑soignante occasionnelle de la façon dont elle l’avait été, c’est‑à‑dire sans que l’on suive la procédure normale consistant à faire appel aux agences contractuelles de soins infirmiers à domicile. Elle a ajouté que seulement quatre aides‑soignants à temps plein travaillent pour l’intimée par l’entremise du Centre de santé, dont trois depuis plus de 19 ans. Bien qu’un autre employé à temps plein ait pris sa retraite peu après la fin de l’emploi de la plaignante auprès de l’aînée, et que le Service des ressources humaines de l’intimée ait mené un processus d’embauche, la plaignante n’a pas soumis sa candidature.

[49]  La plaignante a témoigné avoir téléphoné à Mme Grosariu au sujet d’un poste d’aide‑soignant à temps plein qui avait été affiché. Elle a indiqué qu’elle avait demandé à Mme Grosariu si elle l’avait oubliée, et que celle‑ci avait répondu en criant qu’elle avait dû remplir énormément de paperasse pour répondre à sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, et que, si elle voulait postuler l’emploi, elle devait s’adresser aux ressources humaines.

[50]  La plaignante a déclaré qu’elle ne voulait plus se porter candidate à un emploi au Centre de santé après avoir été traitée de la sorte par le Centre. Comparant un emploi à second chez‑soi, elle a précisé qu’elle n’était pas à l’aise de solliciter un emploi auprès du Centre de santé, vu la réaction de Mme Grosariu à sa plainte pour atteinte aux droits de la personne. Je remarque que la plaignante n’a posé aucune question sur cette conversation à Mme Grosariu pendant son contre‑interrogatoire.

[51]  La plaignante a affirmé qu’on ne lui avait jamais précisé le motif de son congédiement avant qu’elle ne dépose sa plainte auprès de la Commission, et que c’est alors qu’on lui avait dit qu’elle avait manqué à son obligation de confidentialité. Interrogée à ce sujet, elle a répondu que l’intimée pensait peut‑être qu’elle avait dit à sa famille quelque chose à propos du petit‑fils, mais que, comme elle ne le connaissait pas, elle voyait mal comment elle aurait pu dire quoi que ce soit le concernant.

[52]  Dans sa déclaration consignée par Mme Skaret, l’aînée mentionne qu’elle ignore ce que son petit‑fils a pu dire à la plaignante, mais que cette dernière en a informé son époux, et qu’ensuite les [traduction] « deux filles » sont venues dire à son petit‑fils [traduction] de la « laisser tranquille ou sinon ». Elle poursuit en disant :

[traduction]

Je n’ai pas aimé ça. Je ne veux pas de problèmes ici, alors j’ai appelé [Mme Grosariu] pour qu’elle la retire. Je ne veux pas qu’elle vienne ici parce que je ne veux pas de problèmes. Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes autres employées. Je n’aime pas les menaces, ça va mal finir pour quelqu’un. [7]

[53]  Madame Grosariu a affirmé avoir exposé à la plaignante les raisons de la cessation de son emploi auprès de l’aînée, lorsqu’elle l’avait rencontrée au Centre de santé, et lui avoir dit que l’aînée ne voulait plus d’elle comme aide‑soignante.

V.  Position de la plaignante

[54]  Dans ses observations finales, la plaignante soutient qu’elle a établi une preuve prima facie de discrimination, et que l’intimée, pour sa part, n’a soulevé aucun moyen de défense fondé sur un motif justifiable prévu par la loi.

[55]  La plaignante affirme qu’elle fait l’objet d’un traitement défavorable au sein de la communauté, qui la considère comme une [traduction] « étrangère ». Elle affirme que son congédiement par le Centre de santé illustre parfaitement le traitement qui lui est réservé.

[56]  La plaignante estime que, parce qu’elle a été congédiée à la suite de l’incident mettant en cause sa belle‑sœur et le petit‑fils et parce qu’elle est originaire des Philippines et n’est pas membre de la Nation Tsuut’ina, sa race et son origine ethnique ont nécessairement été des facteurs déterminants dans son congédiement. Elle laisse entendre que, parce qu’elle est étrangère, l’intimée n’a pas mené d’enquête en bonne et due forme avant de mettre fin à son emploi. Pareille enquête lui aurait donné l’occasion de se défendre contre les allégations formulées par le petit‑fils à son endroit.

[57]  La plaignante soutient que, puisqu’elle n’avait pas eu d’ennuis pendant qu’elle travaillait pour l’aînée et que le petit‑fils avait une [traduction] « solide réputation » dans la communauté en raison de ses présumés problèmes de toxicomanie, elle [traduction] « aurait dû recevoir un traitement plus équitable [8]  ».

[58]  De plus, la plaignante affirme que l’intimée lui a donné de faux espoirs quant à l’offre d’un autre emploi. Elle allègue qu’on lui avait assuré, pendant son entretien d’embauche, que d’autres occasions d’emploi lui seraient offertes dans la communauté si le poste auprès de l’aînée prenait fin. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait décidé de quitter son emploi à temps plein à Calgary. À son avis, l’intimée n’a pas fait d’efforts raisonnables pour lui trouver un autre poste, car cette autre aînée à qui elle a été présentée avait déjà une aide‑soignante ; cette rencontre n’était donc qu’un prétexte pour l’intimée.

[59]  La plaignante avance que le Tribunal doit reconnaître la difficulté, pour une plaignante dans sa situation, de produire des preuves de discrimination. Elle laisse entendre que, même si l’intimée n’a pas dit clairement qu’elle avait procédé à son congédiement en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, l’état d’esprit de l’intimée peut être déduit de la preuve circonstancielle. Elle affirme que son expérience dans la communauté, jumelée au traitement injuste de la part du Centre de santé, permet de conclure qu’il est plus probable que le contraire que son congédiement ait été fondé sur un motif de discrimination. Elle soutient qu’il incombe de ce fait à l’intimée de fournir une explication quant au traitement défavorable qu’elle a subi, et que l’intimée a par ailleurs avancé des explications contradictoires pour justifier la cessation de son emploi. La plaignante fait valoir que les raisons de son congédiement ne lui ont clairement été précisées qu’à la suite du dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, lorsqu’on lui a fait savoir qu’elle avait manqué à son obligation de confidentialité.

[60]  De plus, la plaignante soutient que, comme il a été ordonné à l’intimée de lui payer une indemnité de départ, à l’issue d’une enquête menée par suite d’une plainte en vertu du Code canadien du travail [9] (le « CCT ») qu’elle avait déposée, cela signifie qu’il n’y avait pas de [traduction] « motif valable » pour son congédiement et que l’explication selon laquelle elle aurait manqué à son obligation de confidentialité ne tient pas la route. Elle affirme que, comme les allégations ayant mené à son congédiement n’ont pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme, et qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter sa version des faits, son congédiement ne pouvait être justifié.

[61]  La plaignante soutient qu’elle s’est acquittée de son fardeau de la preuve, et que l’intimée, par contre, n’a pas réussi à expliquer de manière satisfaisante les raisons de son congédiement.

VI.  Position de l’intimée

[62]  L’intimée soutient que la plainte devrait être rejetée, car la plaignante n’a pas établi qu’elle avait été victime de discrimination au sens de la Loi.

[63]  Selon ce qu’avance l’intimée, la preuve démontre que le petit‑fils ne se sentait pas en sécurité à la suite de ses interactions avec des membres de la famille de la plaignante, et que, après qu’il en eut informé sa grand‑mère, cette dernière avait décidé de cesser de recourir aux services d’aide‑soignante de la plaignante. L’intimée soutient avoir clairement fait savoir à la plaignante que son congédiement était dû au fait que l’aînée ne voulait plus recevoir ses services.

[64]  L’intimée affirme que la preuve, non contestée, indique clairement que lorsque le petit‑fils a parlé à l’aînée de ses échanges avec la famille de la plaignante, la question de la race ou de l’origine nationale de celle-ci n’a pas été évoquée. Le petit‑fils a également déclaré que la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante avait été prise par l’aînée seule, et non par lui.

[65]  L’intimée fait valoir que les impressions ou les soupçons de la plaignante quant au fait que sa race ou son origine nationale ou ethnique ait pu jouer dans la décision de mettre fin à son emploi auprès de l’aînée ne constituent pas une preuve de discrimination. Elle affirme que ce sentiment qu’a la plaignante de subir un traitement défavorable dans ses interactions et ses rapports avec les membres de la Nation Tsuut’ina est à la fois trompeur et dénué de pertinence. La perception d’une méfiance discriminatoire à son endroit, de la part des membres de la Nation Tsuut’ina en général, ne vient pas étayer les arguments de la plaignante ou établir un lien entre son congédiement et sa race ou son origine nationale ou ethnique.

[66]  L’intimée affirme qu’il est clair, d’après les témoignages livrés par ses témoins, que le congédiement de la plaignante n’était pas un acte discriminatoire, puisque sa race ou son origine nationale ou ethnique n’ont joué aucun rôle dans la décision de mettre fin à ses services. D’après l’intimée, la preuve démontre clairement que les interactions entre le petit‑fils et les membres de la famille de la plaignante sont la seule raison pour laquelle l’aînée a demandé que la plaignante ne soit plus son aide‑soignante.

VII.  Décision

[67]  Pour pouvoir décider, selon la prépondérance des probabilités, que la plaignante a fait l’objet d’un acte discriminatoire à l’occasion de son congédiement, je dois en arriver à la conclusion qu’il est plus probable que le contraire qu’il ait existé un lien entre sa race ou son origine nationale ou ethnique et la cessation de son emploi. Or, je ne parviens pas à une telle conclusion.

[68]  La plaignante conteste le processus — ou l’absence de processus — suivi par l’intimée lorsqu’elle a mis fin à son emploi. Elle allègue que, parce qu’elle n’est pas membre de la Nation Tsuut’ina, le Centre de santé a tout simplement cru les allégations du petit‑fils concernant ce qui s’est passé entre lui et des membres de la famille de la plaignante. Elle soutient qu’elle aurait eu droit à une enquête avant qu’on ne la congédie, et que le défaut de l’intimée d’en mener une était injuste.

[69]  La position de la plaignante repose sur certaines hypothèses, à savoir : 1) qu’elle avait droit à ce qu’on mène une enquête avant de mettre fin à son emploi occasionnel d’aide‑soignante auprès de l’aînée ; et 2) qu’une telle enquête aurait pu influencer la décision de l’intimée de mettre fin à l’emploi. J’aborderai ces deux points à tour de rôle.

[70]  Premièrement, la conviction de la plaignante selon laquelle une enquête aurait dû être menée semble reposer sur des principes tirés du droit du travail ou des exigences du Code canadien du travail. La plaignante a déposé en preuve une lettre provenant du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada qui lui indiquait que sa plainte pour non‑paiement de salaire avait fait l’objet d’une enquête. L’inspecteur y concluait que l’intimée avait contrevenu à la partie III du CCT en omettant de verser à la plaignante deux semaines de salaire tenant lieu de préavis lorsqu’elle avait mis fin à son emploi, comme l’exige l’article 230 du CCT. Partant, la plaignante soutient que l’intimée n’avait pas de [traduction] « motif valable » de la congédier. En s’appuyant sur la jurisprudence de la Colombie‑Britannique en matière de droit du travail, la plaignante soutient également que l’intimée aurait dû mener une enquête avant de la congédier.

[71]  Toutefois, la plainte dont le Tribunal est saisi a été déposée en vertu de la LCDP, et non du CCT. Le Tribunal est tenu d’appliquer la LCDP et les principes juridiques des droits de la personne. Même s’il est bien établi que d’autres tribunaux établis par la loi peuvent tenir compte de la législation sur les droits de la personne et l’appliquer dans le contexte de leurs rôles décisionnels, l’inverse n’est pas vrai. Je ne puis appliquer des principes qui relèvent du CCT et du droit du travail pour décider s’il y a eu discrimination au sens de la LCDP [10] .

[72]  La LCDP n’exige pas de respecter une marche à suivre précise au moment de mettre fin à l’emploi d’une personne. Elle exige seulement que le congédiement ne constitue pas un acte discriminatoire. Dans la décision Polhill c. Première Nation Keeseekoowenin, une affaire dans laquelle une autre plaignante avait aussi contesté l’équité du processus décisionnel de la Première Nation intimée, le Tribunal avait déclaré ce qui suit : « Que l’[intimée] ait agi avec justesse et équité, ou qu’[elle] ait pris une décision allant à l’encontre de ses pratiques ou de ses politiques n’est pas déterminant dans les circonstances. Si le conseil de bande avait refusé d’entendre Tracy en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, la situation serait encore différente. » [11]

[73]  Le même raisonnement s’applique en l’espèce. À lui seul, le caractère équitable du processus n’est pas déterminant pour établir si le congédiement de la plaignante était discriminatoire. La plaignante doit plutôt prouver l’existence d’un lien entre sa race ou son origine nationale ou ethnique et la décision de procéder à son congédiement. Si la plaignante avait eu droit à une enquête avant son congédiement, mais qu’on l’en avait privée en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique, il pourrait s’agir d’une preuve de discrimination. Toutefois, la plaignante n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer que n’importe quelle autre personne, y compris un membre de la Nation occupant le même poste qu’elle, aurait fait l’objet d’une enquête dans des circonstances semblables.

[74]  Deuxièmement, la plaignante soutient que l’intimée a fait preuve de discrimination à son égard en acceptant la version des faits du petit‑fils sans entendre sa version à elle. Elle avance que, si une enquête avait été menée, la version des faits du petit‑fils n’aurait pas été retenue, à cause de sa [traduction] « solide réputation » dans la communauté de personne aux prises avec des problèmes de toxicomanie.

[75]  Rien ne démontre qu’une personne du Centre de santé aurait parlé au petit‑fils avant de mettre fin à l’emploi de la plaignante auprès de l’aînée. De fait, la preuve indique que, lorsqu’elle a congédié la plaignante, Mme Grosariu ignorait même la raison pour laquelle l’aînée souhaitait dorénavant se passer des services d’aide‑soignante de la plaignante, car elle refusait de le lui dire. Madame Grosariu a tout simplement respecté la décision de l’aînée, qui ne voulait plus que la plaignante travaille pour elle à son domicile. Cela concorde avec la position de l’intimée selon laquelle l’aînée est fondamentalement l’employeuse, et il est important qu’elle soit à l’aise avec son aide‑soignante.

[76]  L’argument de la plaignante selon lequel le petit‑fils ne mérite pas d’être cru à cause de ses prétendus problèmes de toxicomanie ou de sa réputation dans la communauté est aussi inutile que dénué de pertinence. Bien que la plaignante ait tenté de faire admettre une preuve par ouï‑dire concernant la réputation ou les problèmes de toxicomanie du petit‑fils, je n’ai pas permis que ce genre de questions se poursuivent, car elles n’auraient pas contribué à faire avancer la cause de la plaignante.

[77]  Bien que le Tribunal puisse accepter des éléments de preuve par ouï‑dire, il n’est pas tenu de le faire. Pour décider s’il admet des éléments de preuve par ouï‑dire dans une affaire particulière, le Tribunal doit prendre en considération les facteurs de la fiabilité et de la nécessité, qui « doivent être appliqués de façon souple et en tenant dûment compte de la latitude dont bénéficie le Tribunal en ce qui a trait à l’admission d’une preuve qui sinon ne serait pas recevable dans un tribunal judiciaire [12]  ».

[78]  Dans la présente affaire, la plaignante a appelé la cousine de son époux à témoigner au sujet de ce que d’autres membres de la communauté lui avaient dit à propos du petit‑fils. Même si la cousine avait été en mesure de témoigner de ses propres observations au sujet du petit‑fils, j’estime que la réputation de celui-ci au sein de la communauté n’entre pas en ligne de compte en l’espèce. La plaignante laisse entendre que le petit‑fils n’est pas digne de foi à cause de sa réputation de personne aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Outre le fait qu’il s’agisse d’une affirmation non fondée et plutôt injurieuse, mauvaise réputation ou pas, la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante était celle de l’aînée, et non celle du petit‑fils.

[79]  La plaignante a été expressément avisée qu’au lieu de présenter un témoignage par ouï‑dire, elle pourrait interroger directement le petit-fils sur ses problèmes de toxicomanie en contre‑interrogatoire. Toutefois, aucune question n’a été adressée au petit‑fils concernant sa consommation d’alcool ou d’autres substances. Ainsi, la seule preuve à cet égard tient du ouï‑dire, et la plaignante n’a pas établi la nécessité de présenter cette preuve par l’entremise de témoins autres que le petit‑fils lui‑même. Par conséquent, j’ai décidé de n’accorder aucun poids au témoignage en question.

[80]  Il ressort de la preuve incontestée soumise au Tribunal que, après que le petit‑fils eut avisé l’aînée des remarques que lui avait faites la famille de plaignante, l’aînée avait dit à l’intimée qu’elle ne voulait plus que la plaignante soit son aide‑soignante parce qu’elle ne voulait pas d’ennuis dans sa maison. L’aînée a fourni une déclaration selon laquelle son petit‑fils lui avait dit que la famille de la plaignante l’avait menacé, et elle n’aimait pas les menaces. La plaignante n’a pas contesté la preuve de l’intimée concernant ce que l’aînée a dit aux témoins celle-ci.

[81]  Même si l’intimée avait mené une enquête et parlé à la plaignante, rien ne donne à penser que cette dernière aurait conservé son emploi auprès de l’aînée. Il n’y a pas de différence importante entre la version des faits du petit‑fils et celle de la plaignante. Selon la plaignante, sa belle‑sœur avait dit au petit‑fils d’être gentil envers la plaignante. Et selon le petit‑fils, la belle-sœur lui aurait dit de laisser la plaignante tranquille.

[82]  À mon avis, la plaignante et le petit‑fils étaient tous les deux des témoins crédibles. La plaignante m’a demandé de rejeter la totalité du témoignage du petit‑fils au motif qu’il différait légèrement du résumé de la déposition prévue fourni par l’avocat de l’intimée avant l’audience. Je n’accède pas à cette demande. L’argument de la plaignante à cet égard découle de la déclaration du petit‑fils selon laquelle il n’avait eu aucun ennui avec la plaignante quand elle travaillait pour sa grand‑mère. Dans son témoignage sous serment, il a nié que la plaignante se soit montrée déplaisante, ce qui contredisait le résumé écrit de son témoignage soumis avant l’audience. Toutefois, cette déclaration écrite n’est pas signée par le petit‑fils. Il ne s’agit pas d’un affidavit. Compte tenu de sa réponse à la question [traduction] « était‑elle déplaisante ? », j’admets qu’il ne trouvait pas la plaignante déplaisante, et qu’il n’a pas eu d’ennuis ou de difficultés avec elle pendant qu’elle travaillait pour sa grand‑mère. La preuve de la plaignante allait également en ce sens.

[83]  Les remarques de la belle‑sœur de la plaignante à l’endroit du petit‑fils ont été faites lors d’une évidente brève rencontre survenue trois ans avant la tenue de l’audience. On peut supposer que les souvenirs de la plaignante et du petit‑fils ont pu s’estomper avec le temps. Qui plus est, nous n’avons pas pu entendre le témoignage de Tricia, l’autre belle‑sœur de la plaignante. Toutefois, dans la mesure où la version des faits de la plaignante et celle du petit‑fils divergent, j’accorderai le bénéfice du doute à la plaignante et accepterai, aux fins de la présente décision, sa version des propos que lui avait rapportés en personne sa belle‑sœur. Je conclus que la belle‑sœur a demandé au petit‑fils d’être gentil envers la plaignante.

[84]  De plus, je crois le témoignage du petit‑fils selon lequel l’époux de la plaignante lui a formulé une remarque similaire quelque temps avant l’incident avec la belle‑sœur. Selon son propre témoignage, l’époux ne se souvenait pas d’un incident de ce genre, mais il n’a pas affirmé qu’il ne s’était pas produit. Je conclus que l’époux de la plaignante a dit au petit‑fils d’être gentil envers son épouse.

[85]  J’accepte également le fait que le petit‑fils se soit senti menacé par la famille de la plaignante. À deux occasions distinctes, différents membres de la famille de la plaignante lui avaient dit comment il devait se comporter en présence de la plaignante, qui travaillait chez lui auprès de sa grand‑mère. D’après les témoignages de la plaignante et du petit‑fils, les deux incidents s’étaient produits sans avoir été provoqués par des paroles ou des gestes du petit‑fils à l’endroit de la plaignante. Chacun a affirmé ne pas avoir eu de problèmes avec l’autre et a signalé que, de toute manière, ils interagissaient très peu.

[86]  J’admets aussi que le petit‑fils a cru que la famille de la plaignante le menaçait, sans qu’il sache pourquoi. Il a parlé à sa grand‑mère de ces deux incidents et lui a dit comment il se sentait à ce propos. L’aînée a informé le Centre de santé qu’elle ne souhaitait plus que la plaignante soit son aide‑soignante, parce qu’elle ne voulait pas d’ennuis dans sa maison, et qu’elle n’aimait pas les menaces. Aucun de ces faits ne mène à la conclusion que la plaignante elle‑même a agi d’une manière fautive qui a donné lieu à son congédiement.

[87]  De même, ces faits ne mènent pas à la conclusion que la plaignante a manqué à son obligation de confidentialité. D’après la preuve, il semble que certains membres de la famille de la plaignante aient eu des idées préconçues au sujet du petit‑fils et aient choisi d’agir en fonction de celles-ci, dans une tentative malavisée de protéger la plaignante.

[88]  La plaignante a fait valoir qu’étant donné qu’aucun motif ne lui avait été fourni au moment de son congédiement, le seul motif possible était qu’elle n’était pas issue de la Nation Tsuut’ina. Je rejette l’affirmation selon laquelle aucun motif de congédiement n’a été précisé à la plaignante. Selon son témoignage, Mme Grosariu a avisé la plaignante à ce moment-là qu’elle ne pourrait plus travailler pour l’aînée, parce que cette dernière ne la voulait plus comme aide‑soignante. La plaignante juge peut‑être ce motif insuffisant, mais j’estime qu’un motif de congédiement lui a été fourni.

[89]  Selon son témoignage, la plaignante se sent indésirable et comme une étrangère dans la communauté ; pourtant, elle a aussi déclaré qu’elle savait peu de choses de la Nation Tsuut’ina, et qu’en dehors de sa propre famille, elle ne participait pas à la vie dans la communauté. Bien que j’accepte le fait que la plaignante se sente comme une étrangère dans la communauté, l’intimée a raison de signaler que les impressions ou les soupçons de la plaignante quant à la perception qu’on a d’elle dans la communauté ne constituent pas une preuve suffisante que sa race ou son origine nationale ou ethnique ont joué dans les décisions ayant mené à son congédiement.

[90]  Selon la plaignante, il me faut reconnaître qu’il est difficile, pour une personne dans sa situation, de produire des preuves de discrimination. En effet, récemment, dans l’affaire Campbell c. Vancouver Police Board (No.4) [13] , le Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique a abordé la question de la rareté des preuves directes de discrimination raciale et le fait que la plupart des plaintes déposées à cet égard reposent sur une inférence. Le Tribunal de la Colombie‑Britannique a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[104]   Le caractère subtil des préjugés, ainsi que la possibilité de tirer une inférence, ne crée pas une présomption de discrimination : Richardson c. Great Canadian Casinos and another, 2019 BCHRT 265, au par. 144. Toute inférence de discrimination doit être ancrée dans les éléments de preuve propres à chaque cas : Bombardier, au par. 88 ; Batson‑Dottin c. Forensic Psychiatric Hospital (No.2), 2018 BCHRT 246, au par. 82. Je conviens avec le Conseil de police de Vancouver — et, en fait, cette affirmation n’est pas contestée — que le contexte social de cette interaction ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que Mme Campbell a subi de la discrimination. Autrement dit, le fait qu’elle soit Autochtone et qu’elle ait eu une confrontation avec la police ne signifie pas qu’elle a subi de la discrimination.

[91]  La jurisprudence établit clairement qu’une plainte doit reposer sur quelque chose de plus que [traduction] « des croyances abstraites ou des soupçons [14]  ». Dans l’affaire Wilson c. Agence des services frontaliers du Canada [15] , le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si les éléments de preuve présentés par la plaignante établissaient une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa race. En arrivant à la conclusion que ces éléments de preuve n’étaient pas suffisants, le Tribunal a déclaré :

[19] […] La croyance de Mme Wilson selon laquelle, parce qu’elle est une femme de race noire, M. Bhatti voulait la transférer à un autre CSI et n’avait pas répondu à ses salutations à deux reprises à des dates non connues, n’est pas suffisante pour établir une preuve prima facie qui doit être réfutée. Une simple croyance, sans éléments de preuve à l’appui, n’est pas suffisante pour justifier une plainte de discrimination (Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 FC 785 (CanLII), aux paragraphes 30 et 31).

[92]  De même, dans la présente affaire, la plaignante devait établir quelque chose de plus que sa croyance selon laquelle sa race ou son origine nationale ou ethnique avait joué un rôle dans son congédiement. Elle ne l’a pas fait. En l’occurrence, même l’absence d’explication pour justifier son congédiement ne suffirait pas à fonder l’inférence requise quant à un quelconque rôle qu’aurait pu jouer la race ou l’origine nationale ou ethnique de la plaignante dans la décision de mettre fin à son emploi.

[93]  L’impression de la plaignante d’être vue comme une étrangère dans la communauté, jumelée à la façon dont l’intimée l’a traitée, ne me permet pas de tirer l’inférence qu’il est plus vraisemblable que le contraire que son congédiement ait constitué un acte discriminatoire. Une telle inférence n’est tout simplement pas étayée par les éléments de preuve présentés par les parties.

[94]  L’intimée était d’avis que l’aînée avait fondamentalement un rôle d’employeur, et qu’à partir du moment où elle décidait qu’elle ne voulait plus qu’une aide‑soignante en particulier travaille pour elle dans sa maison, l’emploi de cette aide‑soignante prenait fin. Cela s’était déjà produit avant que la plaignante ne commence à travailler pour l’aînée : une aide‑soignante que l’aînée n’avait pas appréciée avait travaillé pour elle pendant une seule journée. D’après certains témoignages incontestés que j’ai entendus, des employés du Centre de santé ont tenté de régler la situation problématique entre l’aînée et la plaignante, mais l’aînée avait pris une décision définitive et, selon ce qu’on connaissait d’elle, elle ne changerait pas d’idée. Je n’ai entendu aucun témoignage qui indiquerait que la race ou l’origine nationale ou ethnique de la plaignante ont pu jouer le moindre rôle dans la décision de mettre fin à son emploi. Tous les témoins de l’intimée ont en effet déclaré qu’aucune de ces caractéristiques protégées n’avait été mentionnée par quiconque, y compris le petit‑fils, l’aînée ou les employées de l’intimée appelées à témoigner. Je n’ai pas davantage entendu qui que ce soit témoigner qu’une seule de ces personnes aurait formulé, au sujet de la plaignante, des remarques fondées sur des préjugés ou des stéréotypes concernant sa race ou son origine nationale ou ethnique.

[95]  Je conclus que la plaignante a été congédiée, non pas pour un motif discriminatoire, mais parce que des membres de sa famille avaient adressé au petit‑fils des remarques à cause desquelles il s’était senti menacé. Et quand il en avait parlé à sa grand‑mère, cette dernière avait décidé qu’elle ne voulait plus que la plaignante travaille chez elle, dans la maison qu’elle partageait avec son petit‑fils. L’aînée aimait bien la plaignante, mais elle ne voulait pas d’ennuis causés par sa famille.

[96]  Selon son propre témoignage, la plaignante savait que son emploi auprès de l’aînée était un poste occasionnel et que cet emploi était conditionnel à ce que l’aînée continue de la vouloir en tant qu’aide‑soignante. Toutefois, elle a choisi de croire que si les choses ne se passaient pas bien avec l’aînée, il y aurait un autre poste pour elle dans la communauté, bien que Mme Skaret lui ait déconseillé de quitter son emploi à temps plein à Calgary. Il s’agit d’un risque que la plaignante a voulu courir, et rien ne permet de conclure que l’échec des efforts déployés pour lui trouver un autre poste était lié à sa race ou à son origine nationale ou ethnique. Il ressort de la preuve que l’intimée a effectivement tenté de lui trouver un poste auprès d’une autre aînée. Mais, à l’époque, seule une autre aînée ne faisait pas appel à une aide familiale résidente, et cette aînée avait décidé qu’elle ne voulait pas que la plaignante soit son aide‑soignante.

[97]  Le Tribunal doit se prononcer à savoir si le congédiement de la plaignante était discriminatoire. Je n’ai reçu aucun élément de preuve qui donnerait à penser que la race ou l’origine nationale ou ethnique de la plaignante a pu jouer dans : i) la décision de l’intimée de mettre fin à l’emploi, y compris son omission de mener une enquête avant le congédiement ; ii) la décision de l’aînée selon laquelle elle ne voulait plus de la plaignante comme aide‑soignante ; iii) les interactions du petit‑fils avec la plaignante ou avec la famille de cette dernière ; iv) le récit du petit‑fils à sa grand‑mère de ses interactions avec la famille de la plaignante ; ou v) le défaut de l’intimée de lui trouver un autre poste d’aide‑soignante.

[98]  À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus à l’absence d’un lien entre les caractéristiques de la plaignante qui sont protégées contre la discrimination par la Loi, et le congédiement de la plaignante ou le défaut de lui fournir un autre emploi.

VIII.  Conclusion

[99]  Comme je ne juge pas que la plaignante a établi, selon la prépondérance des probabilités, que sa race ou son origine ethnique ou nationale a joué dans la décision de mettre fin à son emploi ou dans le défaut de l’intimée de lui trouver un autre poste d’aide‑soignante, je rejette la présente plainte.

[100]  Je signale que l’intimée demande que la plainte soit rejetée [traduction] « avec dépens » ; toutefois, la Cour suprême du Canada a déjà tranché que le Tribunal ne possédait pas le pouvoir d’adjuger des dépens [16] .

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 6 avril 2020


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2342/0119

Intitulé de la cause : Amahbel Dulce Crowchild c. Nation Tsuut’ina

Date de la décision du tribunal : Le 6 avril 2020

Date et lieu de l’audience : Les 12 et 13 novembre 2019

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Alice MacGregor et Niha Ather, étudiantes en droit à la Faculté de droit de l’Université de Calgary, pour la plaignante

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gilbert Eagle Bear, pour l'intimée



[1] LRC 1985, ch. H‑6.

[2] Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 au par. 33 ; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 [SSEFPNC], au par. 22.

[3] SSEFPNC, ibid., au par. 25.

[4] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 64, 67 et 81 ; Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, aux par. 61 et 63‑67.

[5] Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, au par. 38.

[6] Pièce R‑1.

[7] Pièce R‑1.

[8] Observations écrites finales de la plaignante, datées du 22 novembre 2019, au par. 6.

[9] L.R.C., (1985), Ch. L‑2.

[10] Campbell c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2019 TCDP 13, au par. 100.

[11] Polhill c. Première Nation Keeseekoowenin, 2019 TCDP 42 au par. 133.

[12] Jeffers c. Citoyenneté et Immigration Canada et Agence des services frontaliers du Canada, 2008 TCDP 25, au par. 10 ; alinéa 50(3)c).

[13] 2019 BCHRT 275.

[14] Ayangma c. Canada Health Infoway Inc., 2012 CanLII 100146 (PE HRC), au par. 45 ; demande de contrôle judiciaire refusée (2013 PESC 7); confirmée (2014 PECA 13); autorisation d’appel à la CSC refusée (2015 CanLII 3362 (CSC)).

[15] 2015 TCDP 11.

[16] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au par. 64.

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