Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 2

Date : le 18 février 2020

Numéro du dossier : T1941/2113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Cheryl Lynn Bezoine

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Ville d’Ottawa

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Lisa Gallivan

 



I.  Contexte

[1]  Dans la présente décision, le tribunal est appelé à trancher une requête présentée par la Ville d’Ottawa (l’« intimée ») qui demande la divulgation de renseignements médicaux supplémentaires et la permission de parler avant l’audience avec les auteurs des documents médicaux sur lesquels s’appuie la plaignante à l’audience, soit, essentiellement, un interrogatoire préalable.

[2]  Il s’agit en l’espèce d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par la plaignante le 20 août 2010 dans laquelle celle‑ci affirme qu’elle a été congédiée en raison d’absences dues à une déficience.

[3]  La plaignante a été embauchée par l’intimée en 2010 en tant que conductrice d’autobus de réserve syndiquée.

[4]  Le 22 juin 2010, la plaignante a été congédiée. Les motifs invoqués pour son licenciement étaient : [traduction] « défaut d’assurer une présence régulière et fiable ».

[5]  Le 20 août 2010, la plaignante a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle elle affirme avoir été congédiée au motif d’absences dues à une déficience.

[6]  Le 4 décembre 2015, l’intimée a déposé une requête en irrecevabilité de la plainte pour abus de procédure.

[7]  Le 25 janvier 2017, le Tribunal a rejeté la requête de l’intimée.

[8]  Le 17 novembre 2017, l’intimée a déposé une requête de non-lieu.

[9]  Le 17 octobre 2018, le Tribunal a rejeté la requête de non-lieu.

[10]  Le 25 octobre 2019, l’intimée a déposé la présente requête dans laquelle elle demande l’accès à des dossiers médicaux supplémentaires, et que soit rendue une ordonnance lui permettant de parler avec les médecins traitants de la plaignante avant l’audience.

A.  Requête de l’intimée

[11]  L’intimée cherche à obtenir une ordonnance lui accordant l’accès à ce qu’elle juge être des documents médicaux pertinents en la possession de certains médecins identifiés, ainsi que le droit de parler avec les auteurs de ces documents. Ces documents et leurs auteurs ont été identifiés dans les observations de l’intimée datées du 17 décembre 2018, et la présente décision porte spécifiquement sur ces documents.

B.  Position de la Commission

[12]  La Commission ne s’oppose pas à la divulgation de documents médicaux [traduction] « possiblement pertinents », mais elle s’oppose à la demande de l’intimée visant [traduction] « tout » dossier se rapportant aux visites de la plaignante à l’hôpital Montfort, au motif que cette demande est sans fondement et constitue une [traduction] « recherche à l’aveuglette ». La Commission soutient que la portée de la demande est excessive et que rien ne prouve que le dossier médical entier de la plaignante sur les visites de celle-ci à l’hôpital Montfort soit possiblement pertinent en l’espèce.

C.  Position de la plaignante sur la requête

[13]  La plaignante a présenté ses observations sur la requête le 25 novembre 2019 : elle s’oppose à la communication avec les médecins avant l'audience.

II.  Questions en litige

  • i) La requête de l’intimée visant la production de documents médicaux par des tiers devrait-elle être accueillie?

  • ii) Le Tribunal a-t-il compétence pour rendre une ordonnance autorisant l’intimée à communiquer avec les médecins traitants de la plaignante avant l’audience?

III.  Droit applicable

  • i) La requête de l’intimée visant la production de documents médicaux supplémentaires par des tiers devrait-elle être accueillie?

[14]  Dans l’affaire Clegg c. Air Canada, 2017 TCDP 27 (CanLII), le Tribunal résume ainsi son pouvoir général d’ordonner la production de renseignements médicaux :

31.  Comme je l’ai déjà mentionné dans une décision rendue dans le cadre de la présente affaire […], le pouvoir qu’a le Tribunal d’ordonner la production d’un document avant l’audience découle du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), dont voici un extrait :

Le membre instructeur […] instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à [toutes les parties ayant reçu l’avis] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

[15]  La norme applicable à la divulgation de documents, conformément aux Règles de procédure du Tribunal, est que les documents doivent être possiblement pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par l’une ou l’autre des parties. Il doit donc y avoir un lien rationnel entre le document et une question ou un fait soulevé, ou une forme de redressement demandée, par les parties.

[16]  En l’espèce, l'intimée demande l’accès à tout dossier se rapportant aux visites de la plaignante à diverses cliniques qui ont été mentionnées dans les documents présentés en preuve durant l’audience sur cette affaire en novembre 2017. Ces dossiers ont déjà été réputés « possiblement pertinents » et admis en preuve. La plaignante a fourni de vive voix durant l’audience de nombreux éléments de preuve concernant les raisons de ses absences et sa plainte est fondée entièrement sur l’allégation qu’elle a été congédiée en raison de ses absences du travail. Il est donc difficile de ne pas conclure que les documents et/ou les renseignements se rapportant à ces absences sont pertinents à la présente audience et que l’intimée a le droit d’accéder à des documents qui confirment ou pourraient éventuellement infirmer ces absences.

[17]  Pour ces motifs, je conclus que les documents demandés par l’intimée dans sa lettre du 17 décembre 2018 sont possiblement pertinents quant à une question soulevée en l’espèce, et l’intimée devrait donc avoir accès à ces renseignements.

[18]  Comme je l’explique plus en détail ci-dessous, si j’ai conclu que les documents sont possiblement pertinents quant à une question soulevée, je n’ai pas conclu que cela permet à l’intimée de procéder à interrogatoire préalable. Je dois maintenant examiner la demande de l’intimée de communiquer avec les médecins traitants de la plaignante avant l’audience.

  • ii) Le Tribunal a-t-il compétence pour rendre une ordonnance autorisant l’intimée à communiquer avec les médecins traitants de la plaignante avant l’audience?

[19]  Nul ne conteste que le Tribunal ait le pouvoir de délivrer des citations à produire ordonnant à des tiers de produire des dossiers médicaux. Cela ne veut pas dire que le Tribunal a le pouvoir d’ordonner ce qui constituerait essentiellement un interrogatoire préalable.

[20]  La Loi canadienne sur les droits de la personne et les Règles de procédure du Tribunal confèrent au Tribunal son pouvoir. Aucune de ces deux sources ne prévoit que le Tribunal a le pouvoir d’ordonner des interrogatoires préalables, ce qui est essentiellement ce que demande l’intimée en l’espèce.

[21]  Le Tribunal a examiné la question des interrogatoires préalables à l’audience dans la décision Phyllis McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd. 2000 CanLII 20422 (TCDP), Décision no 1, aux paragraphes 13 et 14. Dans cette affaire, le Tribunal a confirmé que son Projet de règles de procédure (en vigueur à l’époque et toujours inchangé) ne renferme aucune disposition portant sur les enquêtes préalables :

13  Dans l'affaire Nelson, non seulement la Commission était-elle habilitée en vertu de la Loi sur l'exercice des compétences légales (2) de l'Ontario à établir des règles de pratique, mais elle avait également adopté des règles de pratique contenant une disposition particulière au sujet des enquêtes préalables à l'audience. À l'heure actuelle, le Projet de règles de procédures du Tribunal ne renferme aucune disposition portant sur les enquêtes préalables.

[22]  Plus récemment, le Tribunal a aussi examiné la question dans Vivian Wirth c. Saddle Cree Nation, décision non publiée, 10 juillet 2019, et a conclu :

[traduction]
[…] rien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ou dans les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne ne prévoit la conduite d’interrogatoires préalables. En outre, cet interrogatoire ne devrait avoir lieu que dans les circonstances les plus rares, comme la détérioration de la santé.

[23]  En l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas de circonstances rares qui justifieraient que les pouvoirs du Tribunal soient outrepassés. Par conséquent, je rejette la demande de l’intimée concernant l’obtention d’une ordonnance l’autorisant à communiquer avant l’audience avec les médecins traitants de la plaignante sans le consentement de celle-ci.

IV.  Décision

[24]  Après avoir analysé les éléments de preuve pertinents et la jurisprudence applicable, je conclus que les documents demandés par l’intimée dans sa lettre du 17 décembre 2018 sont possiblement pertinents quant à une question soulevée dans la présente instance et l’intimée doit en conséquence se voir accorder l’accès à ces renseignements. Pour ce faire, l’intimée peut appeler n’importe lequel des auteurs des documents mentionnés le 17 décembre 2018.

[25]  Je conclus en outre que le Tribunal n’a pas le pouvoir, sauf dans des circonstances très rares, d’ordonner des interrogatoires préalables. Ce n’est pas le cas ici. Par conséquent, je rejette la demande de l’intimée visant l’obtention d’une ordonnance lui permettant de communiquer avec les médecins traitants de la plaignante sans son consentement avant l’audience.

Signée par

Lisa Gallivan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 février 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1941/2113

Intitulé de la cause : Cheryl Lynn Bezoine c. Ville d’Ottawa

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 18 février 2020

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Cheryl Lynn Bezoine, pour elle-même

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

David Patacairk, pour l'intimée

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