Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 28

Date : le 28 juin 2019

Numéro du dossier : T2140/1416

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Doug McFee

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

l'intimée

Décision

Membre : George E. Ulyatt



I.  Mise en contexte

[1]  Le 5 mai 2014, Doug McFee (le plaignant) a déposé une plainte contre son ancien employeur, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (l’intimée), en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi).

[2]  L’article 7 de la Loi est ainsi libellé :

Emploi

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[3]  L’exposé des précisions du plaignant renvoie à l’alinéa 7a), mais, dans sa plainte initiale, qui a été déférée au Tribunal, il était question de façon plus générale de l’article 7. Par conséquent, l’examen de la plainte qui suit tient compte à la fois de l’alinéa 7a) et de l’alinéa 7b).

[4]  Le plaignant, un employé de longue date de l’intimée, allègue qu’il a été victime de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi. Il affirme avoir été victime de discrimination en raison d’une déficience qui remonte à 2009 et soutient que, au bout du compte, la déficience en question a été un facteur dans son congédiement.

[5]  Dans son exposé des précisions, le plaignant allègue des actes de discrimination dans trois situations précises :

[Traduction]

1) En refusant de m’accorder l’un des nombreux postes à temps plein que j’ai postulés en 2010 et 2011.

2) Vu ma déficience, le Chemin de fer Canadien Pacifique ne m’a pas fourni le soutien nécessaire pour assurer mon intégration au poste de représentant du service à la clientèle en 2011, poste qui m’a été retiré après un mois.

3) Après ma dernière réunion sur la gestion de l’amélioration du rendement de septembre 2013, le Chemin de fer Canadien Pacifique ne m’a pas soutenu relativement à ma déficience et a fini par me congédier en janvier 2014.

Tous ces actes de discrimination et bien d’autres dont j’ai été victime entre le moment où j’ai reçu mon diagnostic de déficience mentale et mon congédiement m’ont empêché de bénéficier d’une égalité des chances, comme les autres, de façon à ce que mes besoins soient pris en considération, conformément aux devoirs et obligations, en tant que membre de la société.

[6]  Le plaignant affirme que l’intimée a été informée de sa déficience le 14 mai 2008, lorsqu’il a été placé en invalidité de courte durée à la suite d’un diagnostic d’hydrocéphalie. Il allègue que l’intimée n’a pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de sa déficience, dont il a continué de souffrir jusqu’à son congédiement définitif.

[7]  Il convient de souligner que le plaignant s’est représenté lui‑même avec le soutien d’un ami, qui a été d’une grande aide pour lui et pour le Tribunal. Au début de l’audience, le plaignant croyait pouvoir faire valoir sa position en se fondant uniquement sur le dossier documentaire et le contre‑interrogatoire des témoins de l’intimée. Le représentant du plaignant a expliqué que ce dernier hésitait à témoigner en raison de ses problèmes de mémoire et d’autres effets de sa déficience. Le Tribunal a alors fait une brève pause pour permettre au plaignant de réévaluer sa position, et, au bout du compte, ce dernier a décidé de témoigner.

II.  Les faits

[8]  Le plaignant a été un employé de l’intimée du 8 mai 1995 au 29 janvier 2014 et il a occupé divers postes. En décembre 2007, il a été promu au poste de coordonnateur des processus qui, selon l’exposé conjoint des faits, est [traduction] « un poste essentiel à la sécurité qui exige de réparer et d’assurer l’entretien des locomotives et des wagons et de travailler à proximité de voies actives ». Ce poste exigeait du plaignant qu’il gère des employés syndiqués, y compris des mécaniciens, et qu’il assure la coordination des groupes au sein de l’unité.

A.  Diagnostic du plaignant

[9]  Le 14 mai 2008, le plaignant a été placé en invalidité de courte durée à la suite d’un diagnostic d’hydrocéphalie, qui est définie comme une augmentation de la quantité de liquide céphalo‑rachidien dans le cerveau entraînant une augmentation de la pression à l’intérieur du crâne. L’affection du plaignant se manifestait de diverses façons, notamment des problèmes d’équilibre, de la difficulté à marcher, des chutes, des maux de tête et des problèmes de mémoire. À la suite du diagnostic, des chirurgiens ont procédé à une dérivation ventriculo‑péritonéale et installé un cathéter dans le cerveau du plaignant pour éliminer l’accumulation des liquides en question. L’intervention a eu lieu le 16 septembre 2008.

[10]  Le Dr Mark Hamilton, neurochirurgien traitant du plaignant, a autorisé ce dernier à recommencer à travailler le 3 novembre 2008. Le plaignant est retourné au travail le 13 novembre 2008 et a repris son poste antérieur de coordonnateur des processus. Toutefois, il n’a pas été en mesure de répondre aux exigences du poste et il s’est vu accorder un congé de maladie le 4 juillet 2009.

[11]  En novembre 2009, le plaignant a de nouveau été autorisé par son médecin à retourner au travail. Cela dit, il n’a pas été autorisé à retourner à un poste essentiel à la sécurité et il n’a donc pas pu retourner à son poste précédent de coordonnateur des processus. Par conséquent, il a poursuivi son congé, sauf durant certaines affectations temporaires, qui seront décrites ci‑dessous.

[12]  Le plaignant a commencé à recevoir des prestations d’invalidité de courte durée en juillet 2009. Il a ensuite commencé à recevoir des prestations d’invalidité de longue durée le 4 janvier 2010, prestations qu’il a reçues jusqu’au 12 octobre 2010. Je rappelle que, durant la période en question, le plaignant a travaillé à de rares occasions, qui seront décrites ci‑dessous.

[13]  Durant le congé d’invalidité de longue durée du plaignant, les responsables du Service de santé au travail de l’intimée ont écrit au Dr Hamilton, le 10 janvier 2010, pour lui poser une série de questions sur les limitations du plaignant. Le Dr Hamilton a répondu à la demande de renseignements dans une lettre datée du 31 mars 2010, où il a écrit notamment :

[Traduction]

À la question 1, il m’était demandé de plus amples renseignements sur la déficience cognitive de M. McFee. Les derniers tests neuropsychologiques effectués le 9 février 2009 ont révélé des difficultés de mémoire auditive et visuelle. Il a été souligné que M. McFee « gère ses activités quotidiennes de façon adéquate ». L’hydrocéphalie de M. McFee est présente depuis longtemps, et ses effets se sont accumulés au cours de la vie du patient. Les problèmes de mémoire de M. McFee sont moins marqués lorsque ce dernier ne se trouve pas en situation de stress ou lorsqu’il n’est pas « surchargé », ce qui est assez typique chez les patients qui souffrent de lésions cérébrales chroniques causées par une hydrocéphalie. Je m’attends à ce que l’état de M. McFee reste stable et je ne prévois pas d’améliorations importantes. Chez la plupart des personnes qui affichent le niveau d’hydrocéphalie de M. McFee, les résultats de la dérivation ventriculo‑péritonéale consistent en un arrêt de la détérioration clinique plutôt qu’en une amélioration importante de la fonction de la mémoire.

À la question 2, il m’était demandé si je prévoyais que le déficit cognitif de M. McFee allait diminuer, empirer ou rester stable au fil du temps. Comme je l’ai dit cidessus, je m’attends à ce que, à partir de maintenant, son état reste stable et je ne prévois pas de déclin important, à moins d’un dysfonctionnement de la dérivation ventriculopéritonéale. En outre, après tout ce temps, je ne m’attends pas non plus à d’importantes améliorations. Comme je l’ai souligné, M. McFee peut raisonnablement bien s’adapter à une situation où il n’y a pas de contraintes, mais une décompensation est possible en situation de surcharge.

À la question 3, il m’était demandé de préciser les tâches au travail qui, selon moi, étaient les plus susceptibles d’être touchées par les troubles cognitifs actuels de M. McFee. Ce dernier a de la difficulté à composer avec les exigences soudaines associées à son emploi (à la lumière de la description du poste fournie). Plus particulièrement, il est noté que la description du poste mentionne une « importante capacité de mémoire » auditive et visuelle, capacité qui, comme l’ont révélé les tests neuropsychologiques, a été affectée. Il convient aussi de souligner la description « niveaux élevés de stimuli provoquant des distractions; besoin de fonctionner efficacement malgré les appels téléphoniques, les retards et les changements d’horaire ». C’est le genre d’environnement qui aura assurément un effet néfaste sur la capacité d’adaptation de M. McFee.

La question 4 consistait à savoir si les difficultés d’équilibre et de coordination de M. McFee justifiaient qu’il ne soit pas autorisé à grimper et à travailler en hauteur. La réponse est oui. Même si son équilibre et sa coordination (relatifs à son hydrocéphalie) se sont stabilisés, ces fonctions ne se trouvent toujours pas dans les limites normales, et je ne conseillerais pas à M. McFee de faire de l’escalade ni de travailler en hauteur.

La question 5 était la suivante : « Prévoyezvous que, au fils du temps, les symptômes moteurs de M. McFee diminueront, s’aggraveront ou demeureront stables? » Je m’attends à ce que ces symptômes restent stables à court terme, mais il est impossible de faire des prévisions à long terme. Je ne m’attends pas à une grande amélioration. Le cathéter est installé depuis déjà un an et demi, et l’amélioration clinique maximale est déjà passée.

La question 6 était la suivante : « L’hydrocéphalie de M. McFee présenteelle un risque de crise épileptique et d’incapacité soudaine? » M. McFee avait des expériences extracorporelles avant l’installation du cathéter. Il a été vu par le Dr Paolo Federico de la clinique d’épilepsie, et des enquêtes ont été menées. Son électroencéphalogramme était normal. Les symptômes se sont résorbés après la procédure de dérivation ventriculopéritonéale. Je ne m’attends pas à ce que M. McFee revive de telles expériences, à moins d’un mauvais fonctionnement de la dérivation ventriculopéritonéale.

[14]  Le 9 avril 2010, les responsables du Service de santé au travail de l’intimée ont rempli un [traduction] « formulaire d’évaluation de l’aptitude au travail », qui contenait les recommandations suivantes :

[Traduction]

Capacités/limites

  • Il peut effectuer un travail lorsqu’il y a peu de contraintes de temps : pressions occasionnelles lorsqu’il faut respecter des délais ou composer avec des échéanciers serrés, selon un volume et un rythme de travail modérés. Il ne peut pas effectuer un travail où il y a régulièrement des échéanciers serrés et où il faut respecter des délais ou composer avec des contraintes de temps.

  • Il peut assumer un certain niveau de responsabilité au moment de réaliser plusieurs tâches à la fois, mais avec des directives ou des indications claires quant au moment où il faut s’acquitter de chaque tâche.

  • Il doit y avoir peu de stimuli distrayants pendant les quarts de travail.

  • Il peut être exposé occasionnellement à des circonstances stressantes sur le plan émotionnel ou à des personnes en détresse émotionnelle. Il ne devrait pas faire un travail où il sera exposé régulièrement à des circonstances stressantes sur le plan émotionnel ou à des personnes en détresse émotionnelle.

  • Il peut être exposé occasionnellement à des situations conflictuelles où un soutien n’est pas accessible immédiatement. Il ne devrait pas faire un travail qui exige une exposition régulière à des situations conflictuelles.

  • Il peut faire un travail qui exige une mémoire modérée pour comprendre l’information ou des instructions écrites. Il peut faire un travail qui exige une mémoire modérée pour comprendre l’information ou des instructions verbales.

  • Durée des limitations : elles seront probablement permanentes.

Date de retour à un travail modifié : dès qu’il est possible de prendre les mesures d’adaptation nécessaires.

Veuillez passer en revue les mesures d’adaptation possibles et le plan de retour au travail avec l’employé.

B.  Processus de retour au travail

[15]  Le plaignant a été aiguillé vers le programme de retour au travail de l’intimée, et Rod Varney, un spécialiste du retour au travail, a travaillé en collaboration avec le plaignant et l’a affecté à un certain nombre de postes temporaires pour l’exposer à différents types de travail au sein de l’organisation. Le plaignant devait participer au programme de recherche d’emploi, ce que M. Varney l’a également aidé à faire.

[16]  Selon l’intimée, il était nécessaire de bien comprendre la déficience du plaignant et de lui trouver un rôle adapté à son état. M. Varney a déclaré avoir communiqué avec les superviseurs au sujet des limitations du plaignant et avoir dit que les limitations de ce dernier étaient telles qu’il était difficile de lui trouver un poste.

[17]  L’intimée a fait participer le plaignant à quatre essais en milieu de travail qui, selon M. Varney, seraient bénéfiques pour le plaignant. Le plaignant a déclaré que, durant la même période, il a aussi organisé de sa propre initiative un certain nombre d’occasions de [traduction] « jumelage », en plus de suivre des cours dans le cadre du programme de formation en ligne de l’intimée.

[18]  L’objectif des essais en milieu de travail proposé par l’intimée consistait à mieux comprendre les capacités et aptitudes des personnes qui ont besoin de mesures d’adaptation. La preuve révèle que l’intimée a tenté de comprendre les compétences et les limites du plaignant. Les essais en milieu de travail ont été conçus pour : a) préciser les restrictions; b) mieux comprendre leur incidence sur les capacités du plaignant au travail; et c) trouver un poste permanent à temps plein adapté à la situation du plaignant.

[19]  Les quatre essais en milieu de travail sont les suivants :

  • i) Classement de dossiers de la Commission des accidents du travail (août 2010) il s’agissait d’un poste de débutant, associé à un minimum de stress et de pression, et le plaignant devait préparer des dossiers en vue de leur entreposage hors site. Le plaignant a effectué avec succès l’essai en milieu de travail de deux semaines, mais a déclaré vouloir un plus grand défi.

  • ii) Analyste de la gestion des risques (du 12 octobre 2010 au 21 février 2011) il s’agissait d’un poste temporaire modifié pour convenir au plaignant. Ce dernier devait recueillir et saisir des données. Il n’y a eu aucune plainte, mais le poste en question était de durée limitée et, par conséquent, le plaignant l’a quitté à la fin de l’affectation.

  • iii) Coordonnateur du service à la clientèle (du 28 mars au 29 avril 2011) M. Varney estimait que ce poste, dans un centre d’appels, serait approprié pour le plaignant, qui avait cherché activement du travail au Centre de services à la clientèle. Le poste offrait un programme de formation structuré, et le plaignant pouvait aussi recevoir une formation en cours d’emploi. Un courriel du service en question envoyé à M. Varney le 27 avril 2011 faisait état de graves préoccupations au sujet du rendement du plaignant à ce poste. Le plaignant a été décrit comme étant incapable de remplacer un autre employé sans une aide quasi constante. Un collègue a dit avoir l’impression [traduction] « que, chaque jour, c’était comme s’il fallait tout recommencer à zéro », ajoutant que le plaignant semblait [traduction] « avoir de la difficulté à saisir les notions de base de la formation ». Il a aussi été dit que le plaignant n’était pas disposé à faire des tâches nouvelles et différentes. Le plaignant a obtenu une cote de 4/10 pour son rendement et son attitude, et il n’a pas été maintenu en poste à la fin de sa période probatoire de 30 jours.

  • iv) Coordonnateur de l’emploi (de mai 2011 à janvier 2012) le plaignant a été affecté à un poste de coordonnateur de l’emploi des ressources humaines, poste où il devait organiser des entrevues, faire du classement, remplir des documents et interagir avec différentes personnes. Le plaignant a occupé ce poste de mai 2011 jusqu’à ce qu’il accepte le poste de représentant du Centre de services des ressources humaines (CSRH) en janvier 2012 (sujet qui sera examiné de façon plus détaillée plus tard).

[20]  Malgré l’échec du plaignant dans le cadre de son affectation au poste de coordonnateur du service à la clientèle et l’avis de son neurochirurgien traitant selon lequel ses limites étaient probablement permanentes, M. Varney a déclaré que, selon lui, le plaignant pouvait fonctionner à un niveau supérieur à ce que donnaient à penser les restrictions médicales établies à son endroit dans le rapport du Dr Hamilton. En outre, le plaignant avait très hâte de retourner à un poste adapté à ses capacités. M. Varney a encouragé le plaignant à se soumettre à une évaluation médicale indépendante.

[21]  Le 16 août 2011, un rapport neuropsychologique a été obtenu auprès du DGregor Jason, Ph. D. Ce dernier a interviewé le plaignant, effectué de nombreux tests et examiné ses dossiers médicaux antérieurs. Voici un extrait de la partie du résumé et des commentaires de son rapport :

[Traduction]

Cette évaluation neuropsychologique a révélé des déficiences dans le cadre d’un test dynamique de la mémoire de travail verbale et de certains aspects de la mémoire associée au contenu verbal. L’altération de la mémoire verbale est similaire à ce qui avait été observé dans le cadre des tests de dépistage précédents du Dr King en 2007 et 2009. La mémoire associée au contenu visuel s’est un peu améliorée, passant de la déficience à la limite de la déficience. De façon générale, le rendement de M. McFee dans le cadre des tests neuropsychologiques est similaire à ce qui avait été observé au moment des tests précédents de 2007 et de 2009.

Les déficiences constatées dans le cadre des tests actuels sont plus raisonnablement attribuables à l’hydrocéphalie de M. McFee. La tendance générale et le niveau de déficience sont similaires à ce qui avait été observé dans le cadre des tests précédents, même s’il semble y avoir eu une certaine amélioration de la mémoire visuelle. Il est possible qu’une telle amélioration soit liée à certaines améliorations à long terme découlant de la dérivation ventriculopéritonéale pratiquée en septembre 2008. Il convient également de souligner que c’est maintenant la troisième fois que M. McFee se voit demander de reproduire et de se rappeler cette figure et que les effets de cette pratique ont pu jouer un rôle important dans l’amélioration observée. Dans l’ensemble, la fonction cérébrale de M. McFee est fort probablement très similaire à ce qu’elle est depuis un certain nombre d’années.

[22]  Le rapport du Dr Jason contenait une liste de limites et de restrictions fonctionnelles un peu moins exhaustives que celles établies précédemment. Par exemple, il n’a pas été question de limiter l’exposition du plaignant à des situations conflictuelles ou stressantes sur le plan émotionnel ou à des personnes en détresse émotionnelle. Il n’était pas non plus recommandé de limiter les stimuli de distraction et les contraintes de temps. Selon M. Varney, le deuxième rapport modifiait les restrictions initiales de retour au travail. Durant son témoignage, il a dit que, selon lui, les restrictions imposées au plaignant étaient passées de sévères à modérées.

[23]  Tout au long de la période en question, le plaignant a postulé en vain un grand nombre de postes auprès de l’intimée et a déposé deux plaintes internes auprès de l’intimée. Dans sa deuxième plainte, déposée en novembre 2011, il alléguait qu’il n’avait été embauché à aucun des 49 emplois qu’il avait postulés à l’époque, y compris le poste de coordonnateur au CSRH.

[24]  Durant l’audience, l’intimée a présenté en preuve un certain nombre d’échanges de courriels relativement à la troisième demande du plaignant pour obtenir un poste de coordonnateur au CSRH.

[25]  Le 19 octobre 2011, Ron Varney a envoyé le courriel d’accompagnement standard qu’il envoyait aux gestionnaires d’embauche lorsque le plaignant postulait un emploi. Le courriel précise que le plaignant est un candidat au retour au travail et rappelle la politique de l’intimée, qui consiste à donner préséance aux candidats au retour au travail dans le cadre des postes pour lesquels ils sont qualifiés sur les candidats plus expérimentés ou qualifiés, à condition qu’ils [traduction] « puissent effectuer le travail de façon sécuritaire, efficace et fiable au terme d’une période de probation ou de qualification raisonnable […] ».

[26]  En réponse au courriel de M. Varney, Donna Buchanan, qui était alors directrice des Services aux employés du CSRH, a affirmé que [traduction] « les meilleurs candidats seront retenus ». Elle explique que le plaignant a peu d’expérience de travail liée à l’administration de la paie dans son curriculum vitae, que l’organisation est en période de changement et que, par conséquent, elle a besoin de membres de l’équipe qui possèdent un certain nombre de compétences et de capacités, y compris la capacité de penser rapidement et de façon analytique, de travailler sous pression et de réaliser plusieurs tâches à la fois. Mme Buchanan mentionne également diverses autres exigences.

[27]  M. Varney lui répond en rappelant qu’il faut appliquer la politique sur les mesures d’adaptation et en soulevant plusieurs préoccupations au sujet de la liste des qualifications requises. Plus précisément, il écrit ce qui suit : [traduction] « Votre liste de qualifications est susceptible de créer des obstacles systémiques à la prise de mesures d’adaptation à l’égard d’employés. À l’heure actuelle, je ne vois pas pourquoi la candidature de Doug ne pourrait pas être prise en considération relativement au poste en question. Si je me trompe, précisez-moi les qualifications qu’il lui manque […] ». Le gestionnaire général des Ressources humaines, Planification et développement, Paul Wajda, a reçu une copie du courriel en question.

[28]  M. Wajda a répondu au courriel et a envoyé une copie de sa réponse, entre autres, Rod Varney, à Donna Buchanan, Len Haraburda et Carol Graham :

[Traduction]

Doug travaille pour le centre de recrutement depuis environ six mois et il effectue diverses tâches pour le centre. Il a fait le travail chaque fois que des personnes partaient et il se débrouillait très bien. Je ne vois absolument pas pourquoi il ne pourrait pas obtenir une entrevue relativement au poste en question. Il s’agit d’un candidat au retour au travail qui veut un poste à temps plein et qui possède le dynamisme et la volonté nécessaires.

Selon moi, il mérite de passer une entrevue puisqu’il s’agit d’un poste de premier échelon.

[29]  En réponse au courriel de Rod Varney réitérant la politique sur les mesures d’adaptation en milieu de travail, Donna Buchanan a écrit ce qui suit : [traduction] « Je tiens simplement à préciser qu’il est dans l’intérêt de l’entreprise d’embaucher la bonne personne pour le poste en question. Comme je l’ai dit, j’ai demandé à mes responsables de suivre le processus et l’entrevue […] ».

[30]  Plusieurs jours plus tard, M. Varney a fait un suivi pour connaître les résultats du processus. Le 27 octobre 2011, Donna Buchanan a écrit que le poste ne serait pas offert au plaignant comme suit :

[Traduction]

[…] Même si Doug a dissipé certaines préoccupations en faisant preuve de certaines compétences, il ne s’est pas classé parmi les 10 premiers candidats. Ses références au travail antérieures sont également une source de préoccupation.

Vu tout ce qui précède, nous devons choisir les meilleurs candidats possible, et, selon les entrevues qui ont été menées, Doug ne fait pas partie des 10 meilleurs candidats.

[31]  Paul Wajda a répondu qu’une discussion s’imposait. En réponse à sa demande de réunion, Len Haraburda a écrit ce qui suit le 28 octobre 2011 : [traduction] « Il n’est pas nécessaire de tous nous rencontrer. Paul, le processus a été mené correctement, et la candidature de M. McFee n’a pas été retenue. Vous avez vu la justification ».

[32]  Le 24 novembre 2011, le plaignant a demandé la tenue d’une enquête sur les raisons pour lesquelles aucun des postes qu’il avait postulés entre mai et novembre 2011 ne lui avait été attribué. Dans sa lettre, il cite la politique de l’intimée en matière de retour au travail, affirmant que, selon lui, plusieurs dispositions de la politique n’ont pas été respectées. Il a écrit ce qui suit : [traduction] « Je vais également demander une enquête sur la discrimination fondée sur les droits de la personne et j’aimerais organiser une réunion avec Peter Edwards pour discuter des raisons pour lesquelles ses Services des ressources humaines ne respectent pas sa propre politique ».

[33]  Le plaignant a déclaré avoir eu une réunion avec Peter Edwards, vice‑président des Ressources humaines, précisant que, peu après la réunion en question, on lui a offert un poste permanent à temps plein au CSRH, offre qu’il a acceptée le 12 décembre 2011. Il a commencé à travailler à ce poste le 30 janvier 2012.

[34]  Je remarque que, le 29 novembre 2011, le plaignant s’est également vu offrir un poste permanent à temps plein de coordonnateur des installations et de l’hébergement, offre qu’il a finalement refusée le 12 décembre 2011, soit le jour même où il a accepté le poste au CSRH.

C.  Poste de représentant au Centre de services des ressources humaines

[35]  Comme il a été mentionné précédemment, le plaignant s’est vu offrir comme mesure d’adaptation permanente un poste à temps plein de représentant des Services des ressources humaines à compter du 30 janvier 2012. Le poste au CSRH exigeait du plaignant qu’il fournisse un soutien à des employés syndiqués et non syndiqués en ce qui concerne la rémunération, les avantages sociaux et des enjeux connexes. Le gestionnaire du plaignant, Gary Mitchell, a déclaré que, au moment de l’embauche du plaignant, il n’a reçu aucun renseignement sur les limites de ce dernier découlant de sa déficience. Il savait seulement que le plaignant était un employé en retour au travail, à part ce qu’il avait appris dans le cadre d’une brève conversation avec l’ancien superviseur du plaignant, qui lui conseillait de fournir des instructions écrites au plaignant, plutôt que de lui donner uniquement des directives verbales.

[36]  Plus précisément, M. Mitchell a confirmé n’avoir reçu aucun conseil quant au sujet du besoin de limiter les distractions et le stress ou encore au sujet de quoi que ce soit concernant la mémoire du plaignant ou le fait que ce dernier était susceptible de faire des erreurs. M. Mitchell a décrit le milieu de travail comme un milieu ouvert et assez confiné comptant environ 22 employés., ajoutant que les employés devaient prendre les appels de personnes en colère et mécontentes et qu’il y avait des situations de pression, où des tâches confiées tard dans la journée devaient être réalisées immédiatement : [traduction] « Il y avait des contraintes temporelles, des délais liés à la paie. Nous étions toujours pressés dans le temps et devions toujours respecter des délais stricts, ce qui pouvait causer un certain niveau de stress ».

[37]  M. Mitchell se souvient que le plaignant avait des problèmes de mémoire et qu’il fallait lui répéter les instructions, ajoutant que le plaignant manifestait parfois de la frustration lorsqu’il devait travailler sous pression. Il a déclaré ne pas avoir tenu compte de la déficience du plaignant dans son évaluation du rendement, car il n’en savait rien.

[38]  Le plaignant a déclaré que, au départ, le poste n’était pas très stressant pour lui et que chaque employé devait passer deux heures par jour au téléphone. En tant que représentant du CSRH, le plaignant devait s’occuper d’un certain nombre de changements de poste, de nouvelles embauches et de questions liées à l’horaire.

[39]  Le plaignant a déclaré que, au fil du temps, la quantité de travail a augmenté et le nombre d’employés a diminué, ce qui lui a causé plus de stress. Il allègue qu’aucune mesure d’adaptation n’a été prise relativement à sa déficience à mesure que la charge de travail et le stress augmentaient. Dans le cadre des évaluations de la gestion du rendement réalisées par l’intimée, le plaignant a reçu la cote [traduction] « atteinte partielle » en 2012. Voici ce qui est écrit dans la colonne [traduction] « Raison principale » : [traduction] « Il a eu de la difficulté à respecter les directives, ce qui a provoqué de nombreuses erreurs répétées. Il peut sembler afficher une attitude de confrontation lorsqu’il travaille avec des collègues. Même s’il est impatient de passer à l’action, il a tendance à en prendre plus qu’il ne peut en faire. En outre, il ne se concentre pas sur la qualité de son travail, ce qui est une priorité pour notre équipe ».

[40]  En ce qui concerne [traduction] « l’attitude de confrontation », je souligne que, au cours de l’audience, durant le contre‑interrogatoire, M. Mitchell a déclaré ne pas avoir été lui‑même témoin d’une telle situation, mais que sa directrice, Donna Buchanan, a affirmé qu’il en était ainsi, ajoutant que les directeurs avaient un rôle à jouer dans le processus d’évaluation du rendement, tout comme les gestionnaires directs.

[41]  En février 2013, en raison des résultats de l’évaluation du rendement du plaignant, l’intimée a exigé que ce dernier participe à un programme de gestion de l’amélioration du rendement (GAR). Le plaignant devait donc rencontrer son gestionnaire, M. Mitchell, toutes les deux semaines pour analyser son rendement dans le but de réduire le nombre d’erreurs commises. Le compte rendu de la première réunion comprend de nombreuses mentions concernant les erreurs, l’attention au détail et le fait que la qualité est plus importante que la quantité. L’un des extrants proposés est le suivant : [traduction] « Une tolérance zéro entre en vigueur immédiatement » et [traduction] « viser la perfection ». La section [traduction] « Commentaires du gestionnaire » du compte rendu de la première réunion précise ce qui suit : [traduction] « La situation est très grave. S’il n’y a pas d’amélioration immédiate et soutenue, d’autres mesures pouvant aller jusqu’au congédiement sont à prévoir ».

[42]  Les réunions se sont poursuivies, et le plaignant a déclaré qu’il trouvait le programme positif. Les comptes rendus semblent indiquer une amélioration globale, la plupart d’entre eux faisant état d’améliorations et de progrès positifs, même si l’avertissement concernant le congédiement probable est donné dans chacun des sept comptes rendus des réunions subséquentes.

[43]  M. Mitchell a déclaré que, au cours des réunions, le plaignant lui a fait part de [traduction] « sa maladie des circonstances connexes et des effets qu’elle a eus sur lui, et qu’elle continue d’avoir sur lui ». M. Mitchell a ajouté qu’il était bienveillant et compréhensif et que cette divulgation avait changé son point de vue sur le plaignant. Je note l’échange suivant tiré de son témoignage :

[Traduction]

Q : Pendant la période où vous étiez responsable de M. McFee comme employé, avezvous déjà constaté un problème d’attitude chez lui?

R : Non, je n’ai rien vu de tel.

Q : Quelle était votre impression quant à l’attitude de M. McFee au travail?

R : Doug a fait preuve d’initiative. Il était le premier à accepter du travail, à entreprendre des projets et à commencer de nouvelles choses, à un point tel que si… Il en faisait trop. Et il fallait savoir calmer Doug; c’était le problème avec lui. Il en prenait trop sur ses épaules et il a fait preuve de plus d’initiative qu’il n’aurait probablement dû le faire.

Q : Donc, de façon générale, c’était un employé très positif au travail?

R. Oui. J’ai eu une bonne expérience avec Doug. Je n’avais aucun problème ni aucune préoccupation.

[44]  La dernière réunion sur la gestion de l’amélioration du rendement a eu lieu le 23 septembre 2013. Donna Buchanan, la directrice à l’époque, a rempli le dernier formulaire, puisque M. Mitchell n’était plus gestionnaire. Le plaignant note dans la section des commentaires de l’employé qu’il met l’accent sur l’exactitude et ralentit sa cadence. Les notes de Mme Buchanan mentionnent que les réunions se poursuivront, mais il n’y a jamais eu d’autre réunion.

Incidents qui ont mené au congédiement du plaignant

[45]  Comme il a été mentionné, à l’automne 2013, il y a eu un changement de direction, et le plaignant a eu un nouveau gestionnaire, M. Sonny Francoeur.

[46]  En décembre 2013, un employé de la TI s’est plaint à M. Francoeur de l’attitude du plaignant, affirmant que, en réponse à une question au sujet d’un site Web interne, le plaignant lui avait dit : [traduction] « Je ne sais pas ce que cela signifie. Vous êtes de la TI, alors c’est votre responsabilité », après quoi la communication a été coupée. Le plaignant a affirmé avoir mis fin à l’appel par erreur et n’avoir pas eu l’intention de raccrocher. M. Francoeur a conclu que le comportement du plaignant était inacceptable et que ce dernier aurait dû en parler à son gestionnaire et faire un suivi concernant la demande de l’employé en question. Le plaignant a reçu une réprimande.

[47]  Le deuxième incident est survenu en janvier 2014, lorsque le plaignant a refusé d’accepter la réattribution de tâches prioritaires d’autres collègues et de son gestionnaire. L’intimée a déposé des éléments de preuve selon lesquels le plaignant a exacerbé l’incident en question en envoyant une série de messages instantanés à une collègue dans lesquels il disait avoir refusé du travail et lui conseillait de faire comme lui. La conversation portait surtout sur le fait que le plaignant exhortait sa collègue à ne pas accepter le travail, cette dernière lui rappelant qu’elle ne peut pas dire non à ses superviseurs. La collègue s’est plainte de cet incident à son superviseur et a dit s’être sentie mal à l’aise. Voici un extrait de la conversation en question par messages instantanés :

[Traduction]

Doug McFee

Je viens de dire à Suzanne d’aller se faire cuire un œuf et je te conseille de faire comme moi.

Collègue

Elle m’a déjà donné du travail à faire concernant des entrepreneurs.

Il faut le faire, alors si elle me donne quelque chose, je vais le faire.

 

Doug McFee

C’est stupide.

Nous ne pouvons pas tout faire.

Collègue

Je sais.

Mais si nous disons non, nous allons avoir des problèmes.

Doug McFee

Je vais faire les frais, mais je m’en moque totalement.

Collègue

J’en ai assez de discuter avec les membres de l’équipe. Laissez le travail s’accumuler et je vais faire une chose à la fois. C’est tout ce que je peux faire.

Doug McFee

J’ai des statistiques à l’appui. Il y a plus de deux personnes qui peuvent travailler.

Collègue

Donc, tu dis non, et Sonny me donne le travail.

Génial.

lol

Doug McFee

Dis non.

C’est de la foutaise.

Collègue

Je ne peux pas dire non au gestionnaire.

Il y a du travail à faire.

Doug McFee

Tu peux dire non, c’est ce que je viens de faire.

Je le dirais à Sonny ou à Donna.

Collègue

C’est pourquoi ils me l’ont donné, parce que tu as dit non.

Grand bien t’en fasse, j’imagine… Je le fais.

Je vais le faire.

Doug McFee

Dis non.

Collègue

Je suis déjà en train de le faire.

Il faut le faire d’ici midi.

Doug McFee

Eh bien, il ne sert à rien de se serrer les coudes si tu vas tout simplement le faire.

Collègue

Le travail doit être fait Doug.

Il ne reste plus d’esprit d’équipe NULLE PART dans ce service.

J’en ai marre.

Doug McFee

Il faut miser sur des ressources qui ne sont pas utilisées actuellement. Si tu te contentes de le faire, ces ressources ne seront jamais utilisées.

Collègue

Lorsqu’un gestionnaire me demande de faire quelque chose lié au travail… Je le fais.

[48]  Le troisième incident s’est produit vers 14 h 30, le 29 janvier 2014, lorsqu’une superviseure, Donna‑Marie Lloyd, a attribué deux changements de poste au plaignant. Mme Lloyd a déclaré qu’il y avait eu un grand volume de travail supplémentaire ce jour‑là et qu’elle avait réparti les tâches supplémentaires également entre les employés. Elle a reconnu qu’il y avait de la pression, mentionnant que c’était [traduction] « parce que nous devions terminer le travail ce jour‑là ou personne ne pouvait partir ». Lorsqu’elle était rendue au plaignant, ce dernier lui a dit qu’il n’avait pas encore mangé et qu’il ne pouvait pas faire tout le travail. Selon elle, il avait utilisé un ton très impoli et inapproprié.

[49]  En contre‑interrogatoire, Mme Lloyd a confirmé qu’elle n’avait pas été informée des limites du plaignant et qu’elle n’avait reçu aucun renseignement de la part de l’intimée sur la façon de superviser les employés affichant une déficience mentale.

[50]  Le 29 janvier 2014, le plaignant a été congédié. La lettre de congédiement mentionne un rendement médiocre et les incidents susmentionnés.

[51]  Dans le cadre de la présente enquête, l’intimée prétend que le plaignant n’a pas été congédié en raison de son rendement médiocre, mais plutôt uniquement en raison de son insubordination et de sa tentative d’incitation à l’insubordination.

III.  Droit applicable

[52]  En vertu de la Loi, il incombe au plaignant de faire une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination. Une preuve prima facie est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ». (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. SimpsonsSears, [1985] 2 RCS 536 (O’Malley), p. 558). Comme il est expliqué au paragraphe 12 de la décision Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8 (Stanger), il s’agit d’un critère à trois volets. La décision Stanger explique que les tribunaux se sont penchés sur la question de la preuve prima facie et ont déclaré ce qui suit :

[12] Pour établir une preuve prima facie de discrimination dans le contexte de la LCDP, les plaignants doivent montrer : (1) qu’ils possèdent une caractéristique que la LCDP protège contre la discrimination; (2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable du fait d’une situation visée par les articles 5 à 14.1 de la LCDP; et (3) que la ou les caractéristiques protégées ont joué un rôle dans l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33; Siddoo c. SIDM, section locale 502, 2015 TCDP 21, paragraphe 28). Les trois éléments de la discrimination doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (« Bombardier »), aux paragraphes 55 à 69).

[53]  Il n’est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient l’unique motif de la décision ou de la conduite en cause pour que le plaignant donne une preuve prima facie de discrimination. Il suffit au plaignant de prouver l’existence d’un lien entre un motif de distinction illicite et les effets préjudiciables subis, même si d’autres facteurs sont en jeu (voir l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (Bombardier), aux paragraphes 44 à 52, ainsi que les décisions Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au paragraphe 25, et Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1991) 14 C.H.R.R. D/12 (CAF), au paragraphe 7).

[54]  La protection accordée aux personnes qui ont une déficience mentale a été examinée dans la décision Mellon c. Canada (Développement des ressources humaines) 2006 TCDP 3, où le membre instructeur a déclaré ce qui suit au paragraphe 88 :

[88] La Loi ne renferme aucune liste énumérant les déficiences mentales acceptables et les déficiences mentales non acceptables. Ce ne sont pas seulement les déficiences mentales les plus graves qui ont droit à la protection prévue dans la Loi. De plus, ce ne sont pas seulement les déficiences qui constituent une incapacité permanente qui doivent être prises en compte. Le cas échéant, même les déficiences mentales décrites comme étant mineures et qui ne se manifestent pas d’une façon permanente pourraient avoir droit à la protection prévue dans la Loi. Toutefois, l’existence d’une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante.

[55]  De nombreuses affaires relatives aux droits de la personne reposent sur des preuves circonstancielles. Il a été observé qu’il ne faut pas s’attendre à ce que la discrimination soit exercée ouvertement et qu’il y a rarement des cas où il est possible de démontrer par des preuves directes un acte de discrimination délibéré. Le Tribunal est donc tenu d’analyser attentivement la preuve afin d’établir s’il existe ce qui a été décrit comme une « subtile odeur de discrimination ». Le Tribunal en est conscient de cette expression, qui est souvent utilisée devant les cours et les tribunaux. La preuve de discrimination en question, même circonstancielle, doit néanmoins être tangible et liée à la décision ou à la conduite contestée.

[56]  Il est clair que la loi n’exige pas du plaignant qu’il prouve que l’intimée avait l’intention d’agir de façon discriminatoire pour établir une preuve prima facie (O’Malley, au paragraphe 14).

[57]  Au paragraphe 38 de la décision Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[38] L’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux (Bombardier, supra, par. 64). Lorsque l’intimé réfute l’allégation, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un prétexte pour dissimuler l’acte discriminatoire (Khiamal c. Canada, 2009 CF 495, par. 58).

[58]  Ainsi, au moment d’établir une preuve prima facie, l’intimée peut contester la crédibilité du témoignage du plaignant, tout comme elle peut soutenir que le plaignant n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve ou encore fournir une explication non discriminatoire de la conduite reprochée. Le fardeau de la preuve incombe toujours au plaignant selon la prépondérance des probabilités. Encore une fois, il est bien connu en droit que la réponse ou l’explication doit être crédible et non fondée sur un prétexte.

[59]  Si le plaignant s’acquitte du fardeau qui lui incombe, il appartient alors à l’intimée d’établir, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur l’article 15 de la Loi, comme une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée (Bombardier, paragraphes 37 et 64).

[60]  Le paragraphe 15(2) de la Loi prévoit que, pour établir une exigence professionnelle justifiée ou un motif justifiable, il doit être « démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité ». Cela dit, le plaignant doit aussi faire des efforts pour faciliter la recherche d’une mesure d’adaptation. Plus particulièrement, le plaignant doit expliquer suffisamment la nature et l’étendue du problème pour permettre à l’intimée de régler la question de la prise de mesures d’adaptation (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS. 970).

IV.  Preuve prima facie du plaignant

[61]  Avant de commencer mon analyse, je note que l’intimée a soulevé dans son exposé des précisions et ses plaidoiries la proposition selon laquelle il convient de rejeter de telles allégations de discrimination en raison de leur contenu et du passage du temps. Dans la décision Pequeneza c. Société canadienne des postes, 2016 TCDP 21, aux paragraphes 36 et 26, le Tribunal a déclaré ce qui suit au sujet de ces types d’objections fondées sur le temps :

Au bout du compte, la raison pour laquelle la Commission décide de « statuer sur » une plainte en vertu de l’article 41 n’influe pas sur la façon dont le Tribunal exerce sa propre compétence; l’élément pertinent du point de vue du Tribunal est que la Commission a demandé au Tribunal d’instruire une plainte, conformément à l’article 49. Les décisions fondées sur l’article 41, ainsi que sur l’article 49, peuvent certainement être contestées, mais la Cour fédérale est l’instance devant laquelle il convient de soulever de telles contestations, au moyen d’une demande de contrôle judiciaire.

Ce partage des responsabilités clairement défini entre la Cour, la Commission et le Tribunal, tel qu’adopté dans la LCDP et la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, est pleinement pris en compte dans le jugement Oster, et c’est pourquoi il constitue l’approche à privilégier. Le Tribunal n’a simplement pas compétence pour appliquer l’article 41.

[62]  De plus, le passage du temps entre les incidents en cause et l’audience n’a pas porté atteinte à la capacité de l’intimée de faire valoir son point de vue. Je suis convaincu que je n’ai aucune raison de refuser d’entendre et de trancher ces questions.

[63]  L’article 7 de la Loi est ainsi libellé :

Emploi

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[64]  Conformément au critère à trois volets établi dans les décisions Stanger et Moore dont il a été question précédemment, le plaignant doit prouver chacun des éléments de la preuve prima facie selon la prépondérance des probabilités. Je passerai en revue séparément chaque allégation ci‑dessous.

A.  Allégation no 1 : Défauts d’embauche

[65]  Dans son exposé des précisions, le plaignant a déclaré avoir postulé [traduction] « plus de 57 » emplois et avoir été convié à 11 entrevues. Pendant l’audience et dans les observations finales, ce nombre est passé à 69.

[66]  Des éléments de preuve n’ont pas été présentés pour l’ensemble — ni même la plupart — des postes que le plaignant a postulés. Plus précisément, dans le cadre de leurs plaidoiries ou dans leurs témoignages durant l’audience, les parties ont examiné au moins onze autres demandes, y compris de multiples demandes pour les postes de représentant du CSRH, d’analyste des activités, d’analyste de l’approvisionnement, de coordonnateur de la planification des expéditions, de superviseur des installations, d’analyste des systèmes et de l’information et de répartiteur de locomotives.

[67]  En octobre 2011, le plaignant a déposé une plainte interne auprès du groupe responsable des relations avec les employés de l’intimée parce que sa candidature n’avait pas été retenue relativement à un poste d’analyste des activités. En novembre 2011, il a déposé une autre plainte interne auprès du même groupe et a porté sa plainte devant un vice‑président de l’entreprise.

[68]  Le plaignant fait valoir que, en ne lui attribuant aucun des emplois en question, l’intimée agissait de façon discriminatoire à son égard en raison de sa déficience.

[69]  L’intimée a fait valoir que le plaignant a postulé des postes sans distinction et que, dans chaque cas, il y avait des motifs clairs, convaincants et non discriminatoires expliquant l’échec. Elle a présenté des éléments de preuve de communication entre M. Varney et divers gestionnaires d’embauche, dans lesquels sont citées des lacunes en matière de compétences techniques, de scolarité requise ou d’expérience pour expliquer le fait que la candidature du plaignant n’a pas été retenue. Dans certains cas, il était précisé que les emplois exigeaient de réaliser plusieurs tâches à la fois ou d’utiliser sa mémoire intensivement et que, par conséquent, le plaignant n’était pas un candidat approprié. Dans un cas, le gestionnaire d’embauche a mentionné qu’il n’aurait pas convié le plaignant à une entrevue, s’il n’avait pas été un candidat au retour au travail.

[70]  Même si je trouve troublant le fait que les gestionnaires d’embauche semblent parfois prendre tout au pied de la lettre plutôt que comprendre l’esprit de la politique sur les mesures d’adaptation de l’entreprise, ce n’est pas le critère établi dans la Loi.

[71]  Comme dans le cas de la plainte liée au congédiement, les parties ne contestent pas le fait que le plaignant possède une caractéristique protégée. Je suis aussi convaincu que le fait que le plaignant n’a pas obtenu un emploi dans ces circonstances constitue un effet préjudiciable.

[72]  L’intimée a fait valoir que, dans cette affaire, le plaignant doit satisfaire à un critère précis pour établir une preuve prima facie. Je ne suis pas d’accord. Je renvoie à l’analyse qui suit de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 18 de l’arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2014 CAF 204 :

Les arrêts Etobicoke et O'Malley, précités, prévoient les règles de base concernant l’établissement, par un plaignant, d’une preuve prima facie de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon le juge McIntyre, dans l’affaire Etobicoke, à la page 208 : « Lorsqu’un plaignant établit devant une commission d’enquête qu’il est, de prime abord, victime de discrimination, […] il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur ». Le juge McIntyre a repris le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination dans O'Malley, précité, à la page 558 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

Les décisions des tribunaux dans Shakes et Israeli précités ne sont que des exemples de l’application de cette règle. Ces deux décisions établissent comme principe que le plaignant possédait les qualités requises pour le poste, qu’il n’avait pas été embauché et qu’il appartenait à l’un des groupes contre lesquels la Loi interdit toute forme de discrimination. Le juge Muldoon a précisé la différence entre les deux décisions dans Chander précité, au paragraphe 35 : « Celui de l’affaire Shakes vise les cas où quelqu’un d’autre que le plaignant est engagé. Celui de l’affaire Israeli, les cas où l’employeur n’a pas engagé le plaignant, mais continue ensuite de chercher des employés ». Comme l’a souligné le Tribunal dans une décision récente Premakumar c. Air Canada, [2002] C.H.R.D. no 3, au paragraphe 77 :

Bien que les critères des affaires Shakes et Israeli soient des guides utiles, aucun des deux ne devrait être appliqué automatiquement d’une manière rigide et arbitraire dans chaque affaire qui porte sur l’embauchage : il faut plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire pour établir si l’application de l’un ou l’autre des critères, en tout ou en partie, est pertinente. En bout de ligne, la question sera de savoir si M. Premakumar a répondu au critère O'Malley, c’estàdire : si on y ajoute foi, la preuve devant moi estelle complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de M. Premakumar en l’absence de réplique de l’intimée?

[73]  Néanmoins, vu l’ensemble des circonstances et des éléments de preuve associés à la troisième étape du critère de la preuve prima facie de discrimination, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, du lien entre la déficience du plaignant et l’effet préjudiciable.

[74]  Par conséquent, je suis d’avis que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur ces motifs au sens de l’article 7 de la Loi. Étant donné que je n’ai pas trouvé de preuve prima facie de discrimination, il n’est pas nécessaire de réaliser une analyse afin d’établir si l’intimée a fourni une justification en vertu de l’article 15.

B.  Allégation no 2 : Retrait du poste au sein du service à la clientèle

[75]  Le plaignant allègue que l’intimée a omis de modifier de façon appropriée son poste au Centre de services à la clientèle pour tenir compte de ses limites, ce qui a mené à son congédiement.

[76]  L’intimée a décrit l’affectation en question comme une [traduction] « période d’essai de travail » dans le cadre duquel les responsables du programme de retour au travail ont pu recueillir des [traduction] « renseignements précieux sur les capacités fonctionnelles du plaignant ».

[77]  À la lumière de mon examen de la preuve ci‑dessus, il est clair que le rôle en question n’était pas approprié pour le plaignant, ce qui, probablement, aurait dû être évident dès le départ. Toutefois, je remarque qu’il s’est écoulé moins d’une semaine entre la fin de l’affectation en question et le moment où le plaignant a été affecté à un autre poste au centre de services d’emploi.

[78]  Comme dans le cas de la plainte de congédiement, les parties ne contestent pas le fait que le plaignant possède une caractéristique protégée. Pour établir si le manque de soutien offert au plaignant dans le cadre de son affectation au service à la clientèle a eu un effet préjudiciable, je tiens compte du passage suivant de la décision Gendarmerie royale du Canada c. Tahmourpour, 2009 CF 1009 :

Que veut dire « différence de traitement défavorable »? La « différence de traitement » est un terme dont le sens ordinaire est la distinction dans la façon d’agir à l’égard de personnes. « Défavorable » est un adjectif dont le sens ordinaire est préjudiciable, dommageable ou mauvais. À mon avis, « différence de traitement défavorable » s’entend d’une distinction entre des personnes ou des groupes de personnes, laquelle distinction est préjudiciable ou dommageable à une personne ou à un groupe de personnes. La « différence de traitement défavorable » peut également, à mon avis, vouloir dire une distinction qui est faite ou mentionnée d’une façon hostile, lorsque c’est la façon dont la distinction est faite qui cause un préjudice ou un dommage. Pour qu’il s’agisse d’une différence de traitement défavorable interdit par le régime législatif en matière de droits de la personne, la distinction, ou l’exercice de cette distinction, doit être fondée sur l’un des motifs illicites de discrimination prévus dans la Loi.

[79]  Le plaignant n’a pas perdu son emploi ni aucun revenu en raison de la situation concernant son poste au service à la clientèle. À la lumière du critère, je ne peux pas conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’agit là d’un effet préjudiciable.

[80]  Par conséquent, je suis d’avis que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur ces motifs au sens de l’article 7 de la Loi. Comme pour l’allégation précédente, étant donné que je n’ai pas trouvé de preuve prima facie de discrimination, il n’est pas nécessaire de réaliser une analyse pour établir si l’intimée a fourni une justification en vertu de l’article 15.

C.  Allégation no 3 : Congédiement

[81]  L’intimée reconnaît que les éléments liés à la caractéristique protégée et aux effets préjudiciables ne sont pas contestés. Toutefois, elle soutient que l’hydrocéphalie du plaignant n’a pas été un facteur dans son congédiement.

[82]  À mon avis, dans cette affaire, la question fondamentale consiste à savoir si le plaignant a été congédié uniquement pour insubordination ou si son rendement au travail a été un facteur dans son congédiement. Le lien — s’il y a lieu — entre son rendement au travail et son congédiement est important parce que, comme je l’expliquerai plus tard, je constate que son rendement au travail était lié à sa déficience, un motif de distinction illicite en vertu de l’article 3 de la Loi.

[83]  Selon la preuve, le plaignant était un employé de longue date, qui, en 2008, a contracté une maladie connue sous le nom d’hydrocéphalie. Cette affection l’a empêché de travailler dans des situations délicates du point de vue de la sécurité. L’intimée a obtenu un autre rapport médical daté du 31 mars 2010 du Dr Mark Hamilton, dans lequel ce dernier déclare notamment :

[Traduction]

Les problèmes de mémoire de M. McFee sont moins marqués lorsque ce dernier ne se trouve pas en situation de stress ou lorsqu’il n’est pas surchargé, ce qui est assez typique chez les patients qui souffrent de lésions cérébrales chroniques causées par une hydrocéphalie. Je m’attends à ce que l’état de M. McFee reste stable et je ne prévois pas d’améliorations importantes.

Au paragraphe 3 :

Le plaignant peut « raisonnablement bien s’adapter à une situation où il n’y a pas de contraintes, mais une décompensation est possible en situation de surcharge ».

Au paragraphe 4 :

[…] « niveaux élevés de stimuli provoquant des distractions; besoin de fonctionner efficacement malgré les appels téléphoniques, les retards et les changements d’horaire ». C’est le genre d’environnement qui aura assurément un effet néfaste sur la capacité d’adaptation de M. McFee.

[84]  La preuve révèle que les responsables du programme de retour au travail ont affecté le plaignant à divers postes d’essai. Le responsable du suivi du retour au travail de l’intimée a déclaré que, en raison des restrictions imposées au plaignant, il était difficile de lui trouver un poste.

[85]  Le plaignant a été confié au Dr Gregor Jason, Ph. D., pour une évaluation neuropsychologique et, le 16 août 2011, un rapport médical exhaustif a été préparé. Le Dr Jason a déclaré que les résultats des tests étaient assez similaires à ceux des rapports précédents de juin 2007 et de janvier 2009. Il a reconnu qu’il y avait eu une légère amélioration, mais il a ajouté qu’elle était peut-être attribuable au fait qu’il s’agissait de la troisième fois que le plaignant passait les tests. Au terme de l’évaluation, les limites fonctionnelles du plaignant ont été modifiées et sont devenues moins restrictives, mais les responsables du Service de santé au travail ont déclaré que le plaignant avait les restrictions suivantes : [traduction] « M. McFee ne devrait pas accomplir des tâches qui sont de nature très délicate du point de vue de la sécurité et qui exigent une assez bonne exactitude de la mémoire et des processus mnémoniques fonctionnels, y compris lorsqu’il faut effectuer rapidement plusieurs tâches à la fois. Il peut cependant accomplir des tâches qui comportent un niveau modéré d’exigences similaires si d’occasionnelles erreurs peuvent être corrigées ».

[86]  Le plaignant travaillait temporairement dans une autre unité de l’intimée et, à la suite d’une plainte interne, il a été établi qu’il était un candidat adéquat pour un poste de représentant des Services des ressources humaines, poste pour lequel il avait déjà postulé deux fois en vain. Le plaignant est entré en fonction à ce poste le 30 janvier 2012, il a terminé sa période probatoire de six mois et il a conservé ce poste jusqu’à son congédiement, le 29 janvier 2014.

[87]  La preuve présentée par les parties révèle que la charge de travail au sein du service avait augmenté depuis l’entrée en poste du plaignant qui, pour s’acquitter de son rôle, devait travailler sous pression, mener à bien plusieurs tâches à la fois et interagir avec des clients.

[88]  La preuve révèle également que le travail du plaignant n’était pas conforme aux normes de l’intimée et que, par conséquent, le plaignant avait participé à un programme de gestion de l’amélioration du rendement (GAR) du 28 février 2013 au 23 septembre 2013. Le plaignant a participé à dix réunions officielles avec des gestionnaires ou des directeurs au sujet de l’amélioration de son rendement.

[89]  La preuve a révélé que, une fois la période probatoire du plaignant terminée, les efforts déployés dans le cadre du programme de retour au travail ont cessé et qu’il n’y a plus eu de suivi de la part de ce service. En outre, la preuve a révélé que les limites fonctionnelles du plaignant énoncées dans les rapports médicaux n’ont pas été communiquées à ses gestionnaires ni à ses superviseurs. Les seuls renseignements qui ont été communiqués au‑delà du processus d’entrevue initiale sont ceux que le plaignant a communiqués à M. Mitchell durant les réunions de GAR en lui expliquant ses problèmes et leur incidence sur sa personne et en lui demandant de l’aide. Il convient de souligner que M. Mitchell était le superviseur du plaignant et qu’il mettait en œuvre le programme de GAR en raison du piètre rendement du plaignant. Le programme de GAR a pris fin peu après que M. Mitchell a cessé d’être le gestionnaire du plaignant.

[90]  L’intimée n’a pas contesté la déficience du plaignant. Toutefois, elle n’est pas d’accord pour dire que la caractéristique protégée — la déficience du plaignant — a été un facteur du congédiement.

[91]  L’intimée soutient que le plaignant a été congédié uniquement en raison de l’insubordination, de l’incitation à l’insubordination et de problèmes antérieurs avec des collègues, des clients et des gestionnaires et que le congédiement n’était pas fondé sur son mauvais rendement. Il convient de souligner que M. Mitchell n’a jamais divulgué les renseignements que le plaignant lui a communiqués au sujet de sa déficience aux autres superviseurs, à ses collègues, ni à des administrateurs supérieurs de l’organisation de l’intimée. Les supérieurs du plaignant, Len Haraburda et Donna Buchanan, ont déclaré n’avoir jamais été informés de la déficience du plaignant.

[92]  En ce qui concerne l’allégation de l’intimée selon laquelle le congédiement du plaignant était uniquement attribuable à l’insubordination et à l’incitation à l’insubordination, il convient d’examiner la lettre de congédiement que l’intimée a remise au plaignant. La lettre datée du 29 janvier 2014 dit ceci :

[Traduction]

La présente lettre fait suite à nos discussions en cours au sujet de votre rendement à titre de représentant des services à notre siège social de Calgary.

Au cours des 12 derniers mois, nous avons travaillé en collaboration avec vous pour mettre en œuvre un plan de gestion du rendement. Dans le cadre de ce processus, nous avons constaté que vous n’avez pas réussi à améliorer votre rendement global au travail à un niveau approprié pour un employé de votre niveau de Chemin de fer Canadien Pacifique.

Nous notons également que vos cotes de rendement d’employé au cours des sept dernières années ont été principalement « atteinte partielle » ou « rendement insatisfaisant ». En outre, vous avez encore une fois atteint partiellement vos objectifs de 2013 à titre d’employé du CP. Comme vous le savez, pour qu’un employé puisse continuer de travailler pour une entreprise comme le CP, l’atteinte de ses objectifs est essentielle. Le CP prend très au sérieux le rendement de ses employés et, à ce titre, fait tous les efforts possibles pour établir des attentes et régler les problèmes de rendement. Cependant, encore une fois, votre rendement n’a pas répondu aux attentes, ce qui a donné lieu à une cote « atteinte partielle » pour une troisième année consécutive.

Plus récemment, le CP a appris que vous aviez enfreint le code de conduite de l’entreprise. Dans les situations en question, vous avez traité nos clients internes avec un respect minimal et suggéré à vos collègues de ne pas tenir compte des directives de la direction.

Par conséquent, je n’ai d’autre choix que de procéder à votre congédiement motivé à titre de représentant des Services des ressources humaines dans les bureaux de l’administration centrale du CP, à Calgary.

Le CP vous rappelle les dispositions de son code de conduite et de la loi générale, selon lesquelles vous devez assurer la confidentialité de tous les renseignements en votre possession qui pourraient nuire à la compétitivité du CP ou qui pourraient violer les droits privés de particuliers ou d’autres entités.

[…]

[93]  Selon l’intimée, la lettre démontre que le plaignant a fait l’objet d’un licenciement motivé, à savoir en raison d’insubordination et d’incitation à l’insubordination. Pourtant, il est surtout question de rendement dans la lettre. La seule référence à quoi que ce soit qui peut être considéré comme de l’insubordination se trouve dans le paragraphe où il est mentionné que le plaignant a [traduction] « suggéré à [ses] collègues de ne pas tenir compte des directives de la direction ». Il n’est aucunement question du refus d’accepter du travail attribué par la direction le 29 janvier 2014. Je souligne que, nulle part dans la lettre, l’intimée n’a utilisé le mot [traduction] « insubordination ».

[94]  Il est évident que l’intimée n’était pas satisfaite du rendement du plaignant avant le 29 janvier 2014, d’où le recours au programme de GAR. De plus, les superviseurs ont informé le plaignant qu’il risquait d’être congédié si son rendement ne s’améliorait pas. Il a été conseillé à maintes reprises au plaignant de ralentir son rythme de travail et de se concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité. Dans le cadre de l’incident qui, selon l’intimée, a mené au congédiement, le plaignant a dit — peut-être de façon grossière — qu’il ne pouvait pas en faire plus. Il a aussi envoyé une série de messages instantanés à une collègue lui suggérant de refuser à elle aussi. La collègue a signalé cette discussion à l’employeur, et les témoins de l’intimée ont déclaré qu’il s’agissait d’un des facteurs, soit l’incitation à l’insubordination, soit l’insubordination même.

[95]  Le service responsable des retours au travail n’a pas fait de suivi, et les supérieurs du plaignant n’étaient pas au courant des restrictions et limites de ce dernier. Plus particulièrement, les superviseurs du plaignant ne se sont pas renseignés au sujet du programme de retour au travail avant de congédier le plaignant afin d’établir si ce dernier avait peut-être des problèmes. Ils ne se sont pas intéressé davantage, même si l’un des superviseurs, M. Mitchell, avait été informé par le plaignant de l’existence de problèmes pouvant être considérés comme exigeant la prise de mesures d’adaptation. De tels renseignements ne semblent pas avoir été transmis aux personnes qui ont procédé au congédiement.

[96]  L’examen minutieux de l’allégation de l’intimée selon laquelle le plaignant a seulement été congédié pour insubordination et non pas en raison de son rendement au travail révèle qu’une telle allégation ne tient pas la route. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, la lettre de congédiement du 29 janvier 2014 traite principalement du rendement au travail du plaignant sur une période de 12 mois, de l’absence d’amélioration et d’un rendement qui ne répond pas aux attentes.

[97]  Le plaignant a un problème de santé qui mine sa mémoire et sa capacité d’entreprendre plusieurs tâches à la fois. À la lumière des éléments de preuve, je conclus qu’au moins une partie du piètre rendement du plaignant est attribuable à sa déficience. Selon le rapport du Dr Jason, il n’y a pas eu de changement important depuis le premier diagnostic d’hydrocéphalie du plaignant.

[98]  Dans cette affaire, je ne peux pas souscrire à la position de l’intimée selon laquelle l’insubordination constitue le seul motif du congédiement. De toute évidence, les éléments de preuve montrent que, en raison de sa déficience, le plaignant avait de la difficulté à composer avec des stimuli de distraction, à réaliser plusieurs tâches à la fois et à se trouver dans des situations stressantes, des facteurs qui étaient tous présents au moment de son congédiement. Je conclus que le mauvais rendement du plaignant a joué un rôle dans son congédiement et qu’il était directement lié à sa déficience. Le plaignant a donc montré un lien entre sa caractéristique protégée et l’effet préjudiciable dont il a été victime. Je suis d’avis que le plaignant a donné, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de discrimination, position que l’intimée n’a pas réussi à réfuter.

[99]  À l’égard de cette allégation, l’intimée s’est contentée de réfuter la preuve prima facie et de soutenir que le plaignant avait été congédié pour inconduite et non pour des raisons liées à sa déficience. Par conséquent, il n’y a pas de défense liée à un motif justifiable à prendre en considération.

V.  Conclusion

[100]  Comme il a déjà été dit, le plaignant a déposé sa plainte en se fondant sur trois allégations :

[Traduction]

1) En refusant de m’accorder l’un des nombreux postes à temps plein que j’ai postulés en 2010 et 2011.

2) Vu ma déficience, le Chemin de fer Canadien Pacifique ne m’a pas fourni le soutien nécessaire pour assurer mon intégration au poste de représentant du service à la clientèle en 2011, poste qui m’a été retiré après un mois.

3) Après ma dernière réunion sur la gestion de l’amélioration du rendement de septembre 2013, le Chemin de fer Canadien Pacifique ne m’a pas soutenu relativement à ma déficience et a fini par me congédier en janvier 2014.

[101]  En ce qui concerne les deux premières allégations, le Tribunal n’est pas convaincu que le plaignant ait fourni une preuve prima facie à l’égard de l’une ou l’autre de ces allégations, car l’intimée a réussi à les réfuter. Par conséquent, elles ne sont pas recevables.

[102]  En ce qui concerne la troisième allégation, je conclus que le motif du congédiement du plaignant était en partie attribuable à sa déficience et que ce dernier s’est acquitté du fardeau de la preuve à cet égard. L’intimée n’a pas réussi à réfuter l’allégation selon laquelle la déficience était un facteur du congédiement. Je conclus en outre que l’intimée n’a pas pris de mesures d’adaptation à l’égard du plaignant dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. Le plaignant, qui souffrait d’une déficience mentale depuis un certain temps, n’a pas été traité de façon appropriée après avoir été affecté au CSRH. M. Varney n’a pas fait de suivi, et les superviseurs du plaignant n’ont pas été informés de ses restrictions et limites. Cela nous ramène à l’époque où les personnes qui avaient des problèmes de santé mentale étaient « mises à l’écart » et ne bénéficiaient d’aucun soutien. Le plaignant était voué à l’échec puisque la preuve médicale montre que son état était permanent et qu’on pouvait s’attendre, au mieux, à une amélioration minimale.

[103]  En conclusion, le congédiement du plaignant était en partie attribuable à sa déficience, et l’intimée n’a pas réussi à réfuter l’allégation selon laquelle la déficience a été un facteur du congédiement. Il est reconnu en droit que le plaignant qui allègue une pratique discriminatoire doit établir l’existence d’une telle pratique selon la norme civile de la prépondérance des probabilités. Le plaignant s’est acquitté de ce fardeau. De plus, l’intimée n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a pris des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. Par conséquent, je conclus que l’allégation d’acte discriminatoire relativement au congédiement du plaignant est fondée.

VI.  Mesures de réparation

A.  Alinéa 53(2)a)

[104]  Le plaignant demande un large éventail d’ordonnances de réparation en vertu de l’alinéa 53(2)a) de la Loi, qui porte que :

(2) à l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17.

[105]  Plus précisément, le plaignant demande au Tribunal d’ordonner à l’intimée de faire ce qui suit : modifier les pratiques d’embauche des personnes ayant une déficience mentale; élaborer des politiques et des procédures non discriminatoires pour les personnes qui affichent une telle déficience; élaborer des procédures internes de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne; mettre en œuvre des mesures proactives (comme une politique de recrutement visant à éliminer les obstacles auxquels se butent les personnes qui ont une déficience mentale); mettre en œuvre des programmes de sensibilisation et de formation (comme la prestation à tous les employés d’une formation sur une politique des droits de la personne); publier un extrait de la décision dans le bulletin de l’entreprise; installer des affiches de sensibilisation à la déficience mentale en milieu de travail; faire un don à un organisme de bienfaisance qui œuvre dans le domaine de la déficience mentale; veiller à ce que le chef de la direction donne une formation sur la déficience mentale dans le cadre de l’assemblée annuelle; et mener une campagne publicitaire nationale pour sensibiliser la population aux déficiences mentales en milieu de travail.

[106]  L’intimée possède déjà beaucoup de programmes en général, de politiques et de programmes liés à l’invalidité. Toutefois, il semble y avoir une lacune en ce qui concerne les personnes qui terminent avec succès leur période de probation. Une fois qu’une personne qui affiche une déficience termine sa période de probation, il ne semble plus y avoir de suivi des responsables du programme de retour au travail, des représentants des ressources humaines ni des supérieurs. En outre, il aurait fallu informer les superviseurs du plaignant — et pas seulement les gestionnaires d’embauche initiaux — des limitations fonctionnelles du plaignant afin de s’assurer que ce dernier bénéficie de mesures d’adaptation adéquates permanentes.

[107]  J’ordonne à l’intimée de travailler en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne pour combler cette lacune dans sa politique de retour au travail, afin de garantir une communication et un suivi adéquats avec les personnes qui ont participé à un programme de retour au travail et de s’assurer que celles‑ci ne se perdent pas dans le système.

B.  Alinéa 53(2)b)

[108]  Le plaignant demande sa réintégration en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la Loi, qui permet au Tribunal, lorsqu’il a établi le bien‑fondé d’une plainte, d’ordonner « d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée ».

[109]  Plus précisément, le plaignant demande sa réintégration dans un programme de retour au travail modifié auprès de l’intimée ainsi que son affectation à un poste qui lui convient et qui est assorti de mesures d’adaptation liées à sa déficience, qui ne se limitent pas au milieu de travail, à la charge de travail ou à des responsabilités de travail modifiées.

[110]  L’intimée a fait valoir que la réintégration du plaignant n’était pas appropriée. Selon elle, le plaignant aurait été congédié indépendamment de sa déficience, citant la remarque incidente de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la réintégration doit être exercé « en obéissant à des principes, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée » (Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20).

[111]  Dans la mesure où j’ai conclu que le plaignant a été congédié en raison de son insubordination et de son mauvais rendement et que sa déficience avait joué un rôle, l’intimée n’a pas tenu compte des limitations fonctionnelles du plaignant dans l’évaluation de son rendement.

[112]  Dans la décision Grant c. Commission canadienne des droits de la personne et Manitoba Telecom Services Inc., (2012) TCDP 20, le Tribunal a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

Une fois qu’il a été conclu que la plainte est fondée, l’objectif que l’on vise en rendant une ordonnance en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi est, dans toute la mesure du possible, d’indemniser pleinement la partie plaignante. Il faut pour cela que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de redressement en obéissant à des principes, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée (voir l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 37 [Chopra]). Autrement dit, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de redressement de manière raisonnable, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire ainsi qu’aux éléments de preuve présentés (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au paragraphe 50).

[113]  J’adopte les principes énoncés dans l’affaire susmentionnée. Toutefois, d’après les principes, il faut tenir compte de la déficience du plaignant à la lumière de l’ensemble des circonstances. Je conclus que le plaignant a été mis dans une situation avec laquelle il ne pouvait pas composer. Avant son diagnostic, il n’y a aucune preuve de la prise de mesures disciplinaires pendant sa longue période d’emploi. En fait, l’insubordination alléguée revenait pour le plaignant à dire à deux reprises qu’il était trop occupé pour accomplir toutes ses tâches et à envoyer des messages à une collègue pour lui faire part de ses frustrations lorsqu’il était débordé. Vu sa déficience, une telle réaction était prévisible. À mon avis, de tels incidents ne sont pas suffisants pour rompre la relation d’emploi.

[114]  L’affaire Krieger c. Toronto Police Services Board, 2010 HRTO 1361 (CanLII) concernait une demande de réintégration présentée par un employé congédié à la suite d’une discrimination et dont la plainte avait été jugée fondée. Dans son examen de la question du rétablissement, le Tribunal a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 182 :

[Traduction]

Même si les ordonnances de réintégration sont rarement demandées ou ordonnées dans les affaires de droits de la personne, elles le sont « normalement » dans les causes d’arbitrage où il a été établi que les droits d’un plaignant ont été violés, sauf dans les cas où des conclusions « permettent de douter de la viabilité de la relation employeuremployé » (A.U.P.E. c. Lethbridge Community College, [2004] 1 RCS 727, 2004 CSC 28 (CSC) (CanLII), paragraphe 56). L’objectif de la législation sur les droits de la personne, qui est de nature réparatrice, est de placer le demandeur dans la position dans laquelle il se serait trouvé s’il n’y avait pas eu de discrimination (voir la décision Impact Interiors Inc. c. Ontario (Human Rights Commission), (1998), 35 C.H.R.R. D/477 (Ont. C.A.)). Lorsqu’elle est viable, la réintégration est parfois le seul redressement qui permet de réaliser ce principe.

[115]  De plus, dans la décision Pitawanakwat c. Canada (Procureur général), [1994] 3 CF 298, 1994 CanLII 3485 (CF), la Cour fédérale a conclu que le TCDP avait commis une erreur de droit en refusant d’ordonner la réintégration de la plaignante au poste précis dont elle avait été relevée, malgré le fait que, selon les termes du Tribunal, son retour « mènerait tout droit à un désastre ». Il semble que la Cour ait conclu que les défis découlant du processus de réintégration constituent un fardeau imposé à juste titre à l’intimé qui s’est livré à une pratique discriminatoire.

[116]  Le but des droits de la personne est de nature réparatrice. Dans l’arrêt HamiltonWentworth District School Board c. Fair, 2016 ONCA 421 (CanLII), la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la décision de la Cour divisionnaire dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario d’ordonner la réintégration d’une employée plus de huit ans après son congédiement. Aux paragraphes 93 à 95, la Cour a déclaré ce qui suit, que je juge pertinent dans cette affaire :

[Traduction]

Dans un premier temps, même s’il est rarement utilisé dans le contexte des droits de la personne, la réparation qui consiste à ordonner la réintégration relève clairement du pouvoir discrétionnaire du Tribunal en vertu du paragraphe 45.2(1) du Code, qui porte que :

45.2 (1) À la suite d’une requête présentée en vertu de l’article 34, le Tribunal peut, s’il décide qu’une partie à la requête a porté atteinte à un droit d’une autre partie à la requête reconnu dans la partie I, rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes :

[…]

3. Une ordonnance enjoignant à toute partie à la requête de prendre les mesures qui, selon le Tribunal, s’imposent pour favoriser l’observation de la présente loi.

Comme la Cour divisionnaire l’a fait remarquer à juste titre, « le Code confère au Tribunal le vaste pouvoir de réparation nécessaire pour assurer la conformité avec ses dispositions ».

La détermination de la réparation  relève de l’expertise spécialisée du Tribunal et, à ce titre, il convient de lui accorder un degré élevé de déférence (Phipps c. Toronto Police Services Board, 2010 ONSC 3884, 325 D.L.R. (4th) 701 (Div. Ct.), au paragraphe 42, confirmée par 2012 ONCA 155, 347 D.L.R. (4th) 616.

En outre, l’affaire Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission), (2001), 209 D.L.R. (4th) 465, dans laquelle la Cour a annulé la réintégration d’un employé, se distingue du cas présent. Même si, dans l’affaire Ford Motor, la Cour a souligné le temps écoulé depuis le congédiement de l’employé, elle s’est également fondée sur les incohérences internes dans la décision de la Commission et sur l’absence d’examen de la décision antérieure d’un arbitre, qui avait confirmé le congédiement (voir les paragraphes 68 à 73).

Le passage des années n’est pas, en soi, déterminant au moment d’établir si la réintégration est une réparation appropriée. La décision d’ordonner la réintégration est plutôt de nature contextuelle. En l’espèce, le Tribunal n’a constaté aucun des obstacles à la réintégration qui ont empêché la réintégration dans l’affaire Ford Motor. Plus précisément, la relation d’emploi de Mme Fair avec le conseil scolaire n’était pas rompue, et le passage du temps n’avait pas eu d’incidence importante sur les capacités de cette dernière.

[117]  Le plaignant a convoqué comme témoins deux collègues qui ont travaillé avec lui dans le passé et qui avaient de bonnes choses à dire sur leur expérience de travail avec lui. Dans le même ordre d’idées, l’ancien gestionnaire du plaignant a témoigné en son nom et il avait, de façon générale, des choses positives à dire au sujet du plaignant en tant qu’employé, même si ce dernier avait eu besoin de soutien en matière de gestion du rendement. Je n’accepte pas qu’il y ait des éléments de preuve d’un environnement toxique ni que la rupture de la relation est telle que le plaignant ne pourrait pas retourner travailler pour l’intimée. De plus, aucun élément de preuve n’a été présenté quant au fait que le passage du temps a eu une incidence importante sur les capacités du plaignant. Les deux rapports médicaux soumis en preuve donnent à penser que les difficultés du plaignant étaient permanentes et peu susceptibles de changer de façon importante et que ce dernier avait adopté de nombreuses stratégies compensatoires.

[118]  J’estime que le plaignant est une personne honnête qui voulait réussir, qui a suivi des cours pendant qu’il était employé et qui a postulé de nombreux emplois pour essayer de conserver son travail. Ce n’est pas un simulateur. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant aurait continué de travailler pour l’intimée s’il n’avait pas été congédié contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ayant établi que la déficience du plaignant était un facteur du congédiement et ayant soigneusement soupesé la preuve et réalisé une analyse de la loi fondée sur des principes, j’ordonne à l’intimée, dès que les circonstances le permettent, de réintégrer le plaignant au poste qu’il occupait au moment de son congédiement en prenant des mesures d’adaptation appropriées en fonction des limitations fonctionnelles établies par les médecins traitants de ce dernier. Cette ordonnance est assujettie à la restriction prévue à l’alinéa 54a) de la Loi.

C.  Alinéa 53(2)c)

[119]  Le plaignant a demandé une indemnité pour toute perte de salaire jusqu’à sa réintégration, en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la Loi, qui accorde au Tribunal le pouvoir d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire. Il a fait valoir que son premier emploi de travail manuel ne devrait pas limiter la responsabilité de l’intimée, car il s’agissait d’un petit emploi visant à payer les produits de première nécessité. En outre, le plaignant a ajouté qu’il convient de réserver le même traitement à son emploi dans le secteur des soins de santé, puisqu’il a omis de divulguer à son employeur sa déficience par crainte de subir de mauvais traitements. Il a également demandé une indemnité pour compenser la différence entre le taux de rémunération de son invalidité de longue durée et son salaire, pour la période durant laquelle il était en congé d’invalidité de longue durée.

[120]  L’intimée a fait valoir qu’elle ne devait au plaignant aucun revenu perdu pendant sa période d’emploi, puisqu’il avait toujours reçu des prestations d’invalidité ou un salaire et que son salaire avait été maintenu au taux versé avant sa déficience. En ce qui concerne la perte de salaire après la cessation d’emploi, l’intimée a fait valoir que, si le plaignant avait droit à une indemnité pour perte de salaire, le montant demandé devrait se limiter à sa période initiale de chômage, qui a pris fin le 10 février 2014, lorsque le plaignant a accepté l’emploi de travailleur manuel, ou, au plus tard, le 28 septembre 2015, lorsqu’il a commencé à travailler pour l’organisme de soins de santé.

[121]  Dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CAF 192, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, au moment d’accorder une indemnité pour perte de salaire, le Tribunal doit établir un lien causal entre l’acte discriminatoire et la perte alléguée.

[122]  Le plaignant demande une indemnité pour perte de salaire (et une augmentation annuelle de 2 %), le manque à gagner entre ses prestations d’invalidité de longue durée et son salaire, ses primes et sa pension après son congédiement. Rien ne donne à penser qu’une forme quelconque d’indemnité de départ a été versée au plaignant au moment de son congédiement. Dans cette affaire, j’estime qu’il incombait au plaignant de tenter d’atténuer de tels préjudices, conformément aux arrêts Chopra, 2007 CAF 268 (CanLII), au paragraphe 36, et Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS. 471 (Mowat), aux paragraphes 39 à 50, et je conclus que c’est bel et bien ce qu’il a tenté de faire en continuant de chercher du travail. Le premier emploi qu’il a obtenu a été un poste pendant deux semaines dans une entreprise de revêtement de sol en 2014, et le deuxième, un poste au sein d’un organisme de soins de santé en 2015.

[123]  Au bout du compte, le plaignant a été congédié par l’organisme de soins de santé avant la fin de sa période de probation de six mois parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences du poste. Il a déclaré ne pas avoir déclaré sa déficience. Il n’est pas étonnant que le plaignant ait caché cette information vu son expérience avec l’intimée. Le plaignant devait transiger avec son congédiement par un employeur de longue date et sa déficience mentale, deux choses qui peuvent être considérées comme des facteurs négatifs au sein de la population active.

[124]  Le plaignant a tenté d’atténuer la situation, mais ses efforts n’ont pas été couronnés de succès. La preuve a révélé que le plaignant a dû se résoudre à demander l’aide sociale et le soutien de sa mère. Le plaignant a été congédié après avoir travaillé pendant près de 20 ans pour le même employeur. Cette situation, à laquelle s’ajoute sa déficience mentale, constituerait un obstacle à de nombreuses possibilités d’emploi. Néanmoins, les périodes de perte de salaire ne peuvent pas durer indéfiniment jusqu’à une date future choisie arbitrairement.

(i)  Perte de salaire – Salaire de base

[125]  Le plaignant touchera le plein salaire à compter de la date du congédiement jusqu’au début de son contrat avec l’organisme de soins de santé (le 28 septembre 2015), soustraction faite de tout autre revenu reçu durant la période en question. J’estime que, à ce moment‑là, le lien de causalité entre le congédiement discriminatoire et la privation de salaire du plaignant était suffisamment rompu. On ne m’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner l’augmentation annuelle de 2 %, et je refuse de verser une indemnité pour compenser le manque à gagner entre l’indemnité d’invalidité de longue durée et le salaire, car je confirme uniquement l’allégation de discrimination à l’encontre de la Loi relativement au congédiement, tandis que les montants en question remontent à une période qui précède le congédiement.

[126]  Un tel paiement forfaitaire peut entraîner des répercussions fiscales négatives pour le plaignant. Il serait injuste et incompatible avec l’objectif de réparation de l’article 53 que le plaignant assume un fardeau fiscal plus lourd que si, en 2014, il avait continué de travailler et de toucher son salaire au moment où il y avait droit (voir la décision Alliance de la Fonction publique du Canada, Murphy c. Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 9, paragraphe 104). Par conséquent, l’intimée doit également verser au plaignant un montant additionnel suffisant pour couvrir toute obligation fiscale supplémentaire découlant de la façon dont le paiement lui est versé.

(ii)  Perte de salaire – Prime

[127]  En plus d’une indemnité pour salaire perdu, le plaignant demande une prime de 10 % de son salaire annuel par année pour les années qui se sont écoulées depuis son congédiement. Pour sa part, l’intimée a fait valoir que, le cas échéant, la prime devrait se limiter à 1 265 $, soit le montant moyen des primes versées au cours des années qui ont suivi le retour au travail du plaignant.

[128]  En l’espèce, il est difficile d’établir le montant approprié de la prime. En examinant les primes de 3 537 $ en 2009 et de 3 794 $ en 2012 du plaignant, l’intimée calculera en pourcentage du salaire le montant moyen des primes au rendement accordé à tous les autres employés occupant le poste en question en 2014 et 2015 et versera au plaignant, pour ces années, le montant calculé en fonction de son salaire.

(iii)  Pension

[129]  Le plaignant demande que l’intimée verse à son régime de retraite les cotisations qu’elle aurait versées s’il avait continué de travailler pour elle de 2014 à aujourd’hui.

[130]  Selon l’intimée, aucune indemnité n’est justifiée à cet égard. Elle fait valoir que le plaignant n’a pas vraiment subi de perte de pension : durant l’audience, elle a appelé à témoigner le directeur des Services des pensions de l’entreprise. Selon le témoignage de ce dernier, la valeur de la pension du plaignant à la date du congédiement était supérieure à la valeur de sa pension s’il avait continué de travailler pour l’intimée jusqu’en septembre 2015, date à laquelle il a commencé à travailler pour l’organisme de soins de santé. Durant son témoignage, le témoin a laissé entendre qu’une telle situation n’était pas tout à fait anormale pour les employés en milieu de carrière qui passent d’un poste syndiqué à un poste non syndiqué et que, dans une certaine mesure, de tels changements sont dictés par le marché.

[131]  Toutefois, comme j’ordonne la réintégration du plaignant, les hypothèses de l’intimée au sujet de la perte et de la valeur au moment du congédiement ne s’appliquent pas. Par conséquent, j’ordonne à l’intimée de verser au régime de pension du plaignant les cotisations qu’elle aurait versées normalement jusqu’au 29 septembre 2015.

D.  Alinéa 53(2)e) : Préjudice moral

[132]  Le plaignant a demandé une indemnité de 20 000 $ — le montant maximal permis par la Loi — pour le préjudice moral dont il affirme avoir souffert après son congédiement par l’intimée.

[133]  Pour sa part, l’intimée soutient que le plaignant n’a pas fait état d’un [traduction] « niveau de détresse » donnant droit à une réparation à même de justifier le versement d’une indemnité pour préjudice moral, mentionnant l’absence de preuves corroborantes, comme des diagnostics ou des traitements. Selon elle, si le Tribunal n’est pas d’accord et choisit plutôt d’accorder une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e), il convient d’accorder 5 000 $.

[134]  Le plaignant a déclaré que, en raison de ses problèmes persistants avec l’intimée, il a souffert d’un manque de confiance, de préjudices moraux, d’une faible estime de soi, d’humiliation, de stress, de dépression et d’anxiété. Il a dit que son estime de soi a été à son plus bas niveau à la suite de son congédiement. Tous ces problèmes ont été exacerbés par le fait qu’il a dû emprunter de l’argent à sa mère et à sa tante. Il a déclaré avoir eu honte parce que, pour l’aider, sa mère à la retraite avait dû reprendre un emploi à temps partiel dans le secteur du service alimentaire. Il n’avait pas d’assurance‑maladie ni d’assurance dentaire pendant de longues périodes. De plus, il ne pouvait pas payer de pension alimentaire pour enfants ni participer à des activités amusantes avec son fils. En outre, il a dû recourir à l’aide sociale pour la première fois de sa vie, ayant commencé à travailler pour l’intimée à l’âge de 18 ans. Il a fait valoir que, avant de s’inscrire auprès d’une agence de placement temporaire pour personnes handicapées — ce qui lui a permis d’obtenir des contrats de courte durée moins bien rémunérés —, il avait trop peur d’être victime de discrimination pour déclarer sa déficience dans le cadre de son processus de recherche d’emploi depuis son congédiement.

[135]  J’ai trouvé le plaignant crédible et j’accepte son argument selon lequel il a subi les préjudices moraux et affectifs susmentionnés, qui découlent directement de son congédiement et, indirectement, des conséquences financières et sociales connexes. Le Tribunal a régulièrement accordé des indemnités pour préjudice moral en l’absence de preuve corroborante et d’éléments de preuve selon lesquels les préjudices avaient entraîné le besoin d’obtenir une aide médicale (voir par exemple les décisions Milano c. Triple K Transport Ltd., 2003 TCDP 30, et Hicks c. Ressources humaines et Développement social Canada, 2013 TCDP 20).

[136]  Dans la décision Douglas c. SLH Transport Inc., 2010 TCDP 1 (CanLII), le plaignant a été congédié après neuf ans d’emploi comme camionneur, alors qu’il était en invalidité de longue durée et qu’il attendait une intervention chirurgicale au genou. Le plaignant a décrit avoir été dévasté et humilié par le congédiement et être ensuite devenu anxieux et déprimé. Le Tribunal lui a accordé 15 000 $ pour préjudice moral. Dans Stevenson c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), 2001 CanLII 8497 (TCDP), le plaignant a été congédié, et le Tribunal a conclu que le congédiement était lié à sa déficience mentale. Le plaignant était un employé de longue date, et son congédiement a miné son estime de soi. Il a reçu 5 000 $, soit le montant maximal en vertu de la version applicable de la Loi à l’époque. Cependant, à l’époque, le Tribunal avait fait remarquer que la somme était « tout à fait insuffisante ».

[137]  Il est clair que le plaignant a souffert et, par conséquent, il recevra une indemnité de 15 000 $.

E.  Paragraphe 53(3) : Indemnité spéciale et conduite inconsidérée

[138]  Le plaignant demande l’indemnité spéciale maximale de 20 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi, qui porte que :

Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[139]  L’intimée nie que, dans ce cas particulier, sa conduite a été délibérée ou inconsidérée, affirmant à nouveau que sa décision de congédier le plaignant n’était aucunement liée à sa déficience.

[140]  Dans la décision Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au paragraphe 154, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit au sujet du paragraphe 53(3) :

Il s’agit d’une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels. On entend par « acte inconsidéré » celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

[141]  Dans le présent cas, il semble que l’intimée était tellement déterminée à congédier le plaignant qu’elle n’a pas demandé des renseignements de base aux responsables des ressources humaines ni à ceux du programme de retour au travail avant de procéder au congédiement. De plus, les principaux décideurs étaient au courant du statut d’employé de retour au travail du plaignant et se sont opposés dès le départ contre son inclusion au sein de leur équipe. Même s’ils ne connaissaient pas l’état exact ni les limites précises du plaignant, ils auraient dû faire un minimum d’efforts pour vérifier si ses problèmes de rendement et d’attitude étaient liés à sa déficience, ce qu’ils n’ont pas fait.

[142]  Je conclus que l’intimée s’est comportée de façon inconsidérée en congédiant le plaignant et, par conséquent, j’ordonne le versement d’une indemnité de 15 000 $.

F.  Paragraphe 53(4) : Intérêts

[143]  Des intérêts peuvent être versés sur les montants accordés en vertu de la Loi. J’ordonne le versement d’intérêts simples sur les sommes accordées dans la présente décision, conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (voir la décision O’Bomsawin c. Conseil des Abénakis d’Odanak, 2018 TCDP 25). Les intérêts commenceront à être calculés à compter du 29 janvier 2014.

G.  Compétence

[144]  Je demeurerai saisi de l’affaire en cas de différend concernant l’évaluation quantitative ou l’application des mesures de réparation prévues dans la présente décision. Si les parties ont besoin de mon aide, elles doivent signifier et déposer un avis à cet effet dans les six mois qui suivent la date de la présente décision.

Signée par :

George E. Ulyatt

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

28 juin 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du Tribunal : T2140/1416

Intitulé: Doug McFee c. Chemin de fer Canadien Pacifique

Date de la décision du Tribunal: le 28 juin 2019

Date et lieu de l’audience : du 29 mai au 2 juin 2019

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Doug McFee , pour lui-même

Personne n’a représenté la Commission canadienne des droits de la personne

Christine Plante et Paige Ainslie, pour l’intimée

 

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