Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP  45

Date : le 1er novembre 2019

Numéro du/des dossier : T2229/5117

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Joyce Beattie et Nikota Bangloy

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires autochtones et du Nord Canada

l'intimé

Décision

Membre : Colleen Harrington

 


Table des matières

I. Aperçu  1

II. Questions en litige  3

A. Questions préliminaires  3

B. Discrimination au sens de l’article 5  3

C. Représailles au sens de l’article 14.1  3

III. La preuve  4

Financement de l’éducation  7

Annuités découlant du Traité  10

IV. Analyse  13

A. Les questions préliminaires  13

(i) La question des annuités découlant du Traité n’est pas théorique  13

a) Position de l’intimé  13

b) Position des plaignants  14

c) Le droit : le caractère théorique  14

d) Analyse  16

(ii) La Cour fédérale s’est déjà prononcée sur la question du financement de l’éducation  17

a) Position de l’intimé  17

b) Position des plaignants  18

c) Le droit : doctrines consacrant le caractère définitif  18

d) Analyse  21

B. Discrimination au sens de l’article 5  24

Le droit : la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi  24

(i) Ne pas avoir fourni à Mme Bangloy des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 pour les droits de scolarité de ses enfants dans une école privée ne constitue pas de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi  26

a) Position des plaignants  26

b) Position de l’intimé  26

c) Analyse  27

(ii) Ne pas avoir versé les annuités découlant du Traité aux plaignants parce qu’ils ne figuraient pas sur une liste de bande gérée par l’intimé ne constitue pas de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi  31

a) Position des plaignants  31

b) Position de l’intimé  31

c) Analyse  32

Discrimination au sens de l’article 5 – Conclusion  34

C. Représailles au titre de l’article 14.1  34

Le droit : représailles  34

Représailles se rapportant au financement de l’éducation au titre du Traité n11  36

(i) Ne pas avoir fourni à Mme Bangloy des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 pour les droits de scolarité de ses enfants payés à une école privée ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi  36

a) Position des plaignants  36

b) Position de l’intimé  37

c) Analyse  37

(ii) Refuser de rembourser les droits de scolarité versés à des écoles privées par Mme Bangloy pour ses fils en Alberta ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi.  38

a) Position des plaignants  38

b) Position de l’intimé  38

c) Analyse  39

Représailles se rapportant aux annuités découlant du Traité  41

(i) Refuser de verser aux plaignants les annuités découlant du Traité parce qu’ils ne figuraient pas sur la liste d’une bande gérée par l’intimé constitue des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi  41

a) Position des plaignants  41

b) Position de l’intimé  41

c) Analyse  42

(ii) Refuser de payer les annuités des enfants rétroactivement à compter de la date de leur naissance ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi  47

(iii) Refuser d’inscrire le nom des plaignants sur la liste des Loucheux n6 ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi  48

Représailles au sens de l’article 14.1 : conclusion  49

V. ORDONNANCES  50

1. Ordonnance de consultation et de réconciliation  50

2. Ordonnance de paiement des annuités découlant du Traité qui sont dues  51

3. Indemnité pour préjudice moral  52

4. Indemnité spéciale  55

5. Intérêts  58

 


I.  Aperçu

[1]  Les plaignants dans la présente affaire sont Joyce Beattie, sa fille Nikota Bangloy, et les deux enfants mineurs de Mme Bangloy (les enfants), tous des membres des « peuples autochtones du Canada » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[2]  Les plaignants affirment qu’ils ont droit à certains avantages au titre du Traité n11 en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique, qui sont des motifs de distinction illicite protégés par l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ou la LCDP). Ils soutiennent que l’intimé, Affaires autochtones et du Nord Canada, a fait preuve de discrimination à leur endroit, en contravention de l’article 5 de la Loi, en leur refusant les avantages conférés par le Traité. Les plaignants prétendent également que le refus de ces avantages par l’intimé constitue une mesure de représailles en réaction au dépôt d’une plainte antérieure en matière de droits de la personne, en contravention de l’article 14.1 de la Loi.

[3]  Le Traité n11 est un accord conclu entre le gouvernement du Canada et « les Indiens habitant le territoire situé au nord du 60e parallèle et le long du MacKenzie et de l’océan Arctique » [1] en 1921. Selon le Traité, « les Esclaves, les Côtes‑de‑Chien, les Loucheux, les Lièvres et les autres Indiens habitant » l’étendue du pays définie dans le Traité, « cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté le Roi et ses successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans » l’étendue visée par le Traité. En contrepartie, le législateur a promis certaines choses aux Autochtones signataires. Les deux dispositions du Traité n11 qui s’appliquent à la présente plainte sont les suivantes :

SA MAJESTÉ convient aussi que l’an prochain et toutes les années subséquentes pour toujours, il fera payer aux dits Indiens en argent, à des endroits et des dates convenables, dont avis leur sera donné, vingt‑cinq dollars à chaque chef, à chaque conseiller, quinze dollars, et à chaque autre Indien de tout âge, cinq dollars; ces montants devront être payés au chef de famille pour tous ceux qui en font partie, […] [Non souligné dans l’original.]

EN OUTRE, Sa Majesté s’engage à payer le salaire des maîtres d’écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des Indiens [2] .

[4]  Les plaignants affirment qu’ils ont droit tant aux annuités de 5 $ qu’au financement de l’éducation conférés par le Traité n11, car ils sont des descendants des « habitants indiens des Territoires du Nord-Ouest qui ont adhéré au Traité n11 le 21 juillet 1921 [3]  ». Ils affirment que, depuis 2014, l’intimé leur refuse ces avantages conférés par le Traité.

[5]  L’intimé affirme qu’à la suite d’une audience antérieure du Tribunal canadien des droits de la personne, il a versé aux plaignants l’annuité de traité jusqu’en 2013. Cependant, quand les plaignants ont décidé ne plus vouloir que leurs noms figurent sur la liste de n’importe quelle bande visée par le Traité no 11, ce qui était une exigence de la politique de l’intimé sur le versement des annuités de traité, l’intimé les a avisés qu’il ne leur verserait plus les annuités. Juste avant l’instruction de la présente plainte, l’intimé a déterminé que les plaignants étaient visés par une exception à cette exigence de la politique et a accepté de payer rétroactivement leurs annuités à compter de 2014.

[6]  La plainte concernant le financement de l’éducation se rapporte à la demande de Mme Bangloy que l’intimé lui rembourse les droits de scolarité qu’elle a payés pour que les enfants fréquentent des écoles privées en Alberta. L’intimé affirme que les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité ne s’appliquent pas hors de « l’étendue du pays » définie dans le Traité, située principalement dans les Territoires du Nord‑Ouest. Il affirme que la Cour fédérale du Canada a déjà tranché cette question et que le Tribunal ne devrait donc pas l’examiner.

[7]  Je conviens que les plaignants ont fait l’objet de représailles discriminatoires en raison du fait que l’intimé a retardé l’évaluation de leur droit aux annuités découlant du Traité jusqu’au moment précédent immédiatement les dates de la présente audience. Je ne suis pas d’avis qu’elles ont été victimes d’un acte discriminatoire relativement au refus du financement de l’éducation des enfants de Mme Bangloy et, par conséquent, je rejette cet aspect de la plainte.

II.  Questions en litige

[8]  Bien que la teneur de la plainte soit la discrimination et les représailles au sens des articles 5 et 14.1 de la Loi, l’intimé soutient que la plainte devrait être rejetée intégralement ou en partie sur le fondement des questions préliminaires qu’il a soulevées. Je suis d’accord pour dire que je dois traiter ces questions préliminaires avant d’examiner les allégations d’actes discriminatoires au titre de la Loi. Les questions suivantes sont examinées dans la présente décision :

A.  Questions préliminaires

  • i) La question des annuités découlant du Traité est-elle théorique puisque l’intimé a accepté avant l’audience de payer les annuités aux plaignants, sans exiger qu’ils figurent sur une liste de bande?

  • ii) La question du financement de l’éducation a-t-elle déjà été tranchée par la Cour fédérale?

B.  Discrimination au sens de l’article 5

  • i) L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignants, en contravention de l’article 5 de la Loi, en ne renseignant pas Mme Bangloy sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 pour les droits de scolarité de ses enfants dans des écoles privées?

  • ii) L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignants, en contravention de l’article 5 de la Loi, en refusant de leur verser les annuités découlant du Traité parce qu’ils ne figuraient pas sur une liste de bande?

C.  Représailles au sens de l’article 14.1

  • i) En ce qui concerne l’aspect financement de l’éducation de la plainte, l’intimé a-t-il exercé des représailles contre les plaignants en contravention de l’article 14.1 de la Loi :

  • a) en ne renseignant pas Mme Bangloy sur la façon de recevoir le financement des droits de scolarité de ses enfants dans des écoles privées?

  • b) en ne la remboursant pas les droits de scolarité de ses fils dans des écoles privées en Alberta?

ii)  En ce qui concerne l’aspect annuités découlant du Traité de la plainte, l’intimé a-t-il exercé des représailles à l’endroit des plaignants en contravention de l’article 14.1 de la Loi :

  • a) en refusant de leur verser les annuités découlant du Traité parce que leur nom ne figurait pas sur une liste de bande?

  • b) en refusant de payer les annuités des enfants rétroactivement à compter de la date de leur naissance?

  • c) en refusant d’ajouter le nom des plaignants sur la liste de la bande des Loucheux no 6?

III.  La preuve

[9]  À l’audition de la plainte, les parties ont présenté un recueil conjoint de preuves documentaires. Les plaignantes Mme Beattie et Mme Bangloy, et Adrian Walraven pour l’intimé, ont témoigné de vive voix sur la question du financement de l’éducation. Les parties ont aussi présenté un exposé conjoint des faits.

[10]  Joyce Beattie est née en 1949 dans la communauté connue sous le nom de Tsiigetchic dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N-O.). Sa mère biologique était membre de la bande de Fort Good Hope. Peu après sa naissance, elle a été adoptée selon la coutume par des parents qui étaient membres de la bande des Loucheux no 6. La bande de Fort Good Hope et la bande des Loucheux n6 étaient toutes deux signataires du Traité n11.

[11]  Mme Beattie avait antérieurement déposé une plainte en matière de droits de la personne contre l’intimé, en 2011 (la plainte en matière d’adoption). Le membre instructeur Lustig, qui a instruit la plainte sur l’adoption de Mme Beattie, a conclu que l’intimé avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur sa situation de famille, pour la période pendant laquelle l’intimé refusait de reconnaître son adoption selon la coutume pour changer son inscription au titre de la Loi sur les Indiens, et pour avoir refusé de retirer son nom de la liste de la bande de sa mère biologique, la bande de Fort Good Hope.

[12]  Durant l’instruction de la plainte antérieure, l’inscription de Mme Beattie en vertu de la Loi sur les Indiens a été modifiée, reconnaissant son adoption selon la coutume. Conséquemment, ses petits‑enfants sont devenus admissibles à l’inscription pour la première fois en raison de l’adoption de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, LC 2010, c 18 (la LESIRI), qui est entrée en vigueur en janvier 2011 [4] . En septembre 2013, à peu près au moment de l’instruction de la plainte sur l’adoption par le Tribunal, l’intimé a versé à Mme Beattie, Mme Bangloy et aux enfants de Mme Bangloy leurs annuités découlant du Traité jusqu’à 2013, inclusivement.

[13]  Le Tribunal a rendu sa décision concernant la plainte en matière d’adoption en janvier 2014. Par la suite, Mme Beattie et Mme Bangloy ont demandé les annuités découlant du Traité de 2014 pour elles‑mêmes et pour les enfants. Cependant, comme elles avaient demandé que leurs noms soient retirés de la liste de la bande de Fort Good Hope et n’avaient pas voulu qu’ils soient ajoutés à la liste de n’importe quelle autre bande visée par le Traité n11, l’intimé a refusé de continuer à leur verser les annuités découlant du Traité. L’intimé affirme que cette décision était fondée sur la politique régissant le paiement des annuités prévues dans les traités, selon laquelle quiconque présentant une demande d’annuités découlant du Traité devait être membre inscrit d’une bande dont l’intimé tenait la liste.

[14]  Mme Bangloy avait aussi demandé les annuités des enfants à compter des dates de leurs naissances respectives jusqu’en 2010. L’intimé a refusé cette demande, déclarant que les enfants n’étaient devenus admissibles aux annuités qu’à la date de leur inscription au titre de la Loi sur les Indiens, ce qui n’était possible qu’après la révision de la Loi sur les Indiens à la suite de l’adoption de la LESIRI en 2011.

[15]  En plus de sa demande d’annuités découlant du Traité, Mme Bangloy avait demandé l’endroit où elle devait envoyer les reçus des droits de scolarité qu’elle avait payés pour que ses enfants fréquentent des écoles privées en Alberta. Le Bureau régional des T.N.-O. de l’intimé, avec qui Mme Bangloy était en communication, l’a informée qu’il ne remboursait pas les frais d’éducation.

[16]  Le 11 juillet 2014, Bruce Beattie, la personne qui représente les plaignants dans la présente affaire, a envoyé un courriel à l’intimé dans lequel il lui disait que sa réponse aux demandes des plaignants concernant les annuités découlant du Traité et le financement de l’éducation [traduction] « soulève une question sérieuse s’agissant des représailles exercées par l’intimé contre Joyce Beattie et chacun de ses descendants relativement à la question de l’appartenance à une bande au titre de la loi, examinée durant l’instruction et faisant partie de la conclusion finale du Tribunal concernant les plaintes de discrimination » dans la décision du Tribunal en date du 10 janvier 2014 [5] . Selon lui, cette réponse constitue une [traduction] « tentative, après la décision, d’abolir administrativement tous les droits de la plaignante et de tous ses descendants qui lui confère le Traité n11. La plaignante estime qu’un tel traitement de la part de l’intimé constitue des représailles délibérées, ce que l’article 14.1 de la [LCDP] interdit ». Il affirme qu’une plainte officielle sera présentée sous peu à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) au sujet de cette allégation de représailles.

[17]  En août 2014, Mme Bangloy a communiqué de nouveau avec le bureau de l’intimé aux T.N.-O., demandant le nom d’une personne-ressource à Ottawa à qui elle pourrait adresser ses questions concernant le financement de l’éducation prévu par le Traité n11. Janice Ploughman du bureau des T.N.-O. a répondu en disant qu’elle avait envoyé un courriel demandant les coordonnées d’une personne-ressource [traduction] « travaillant sur le dossier de l’Éducation à Ottawa qui pourra vous aider dans votre demande de renseignements concernant le remboursement de vos frais d’éducation. Je vous envoie ses coordonnées dès que je les reçois [6]  ». Mme Ploughman a aussi indiqué que le nom des plaignants avait été ajouté [traduction] « à la Liste de bande générale pour les T.N.-O. en juillet 2013 », quoique le Tribunal n’ait entendu aucune autre preuve concernant cette liste à l’audience.

[18]  À partir de maintenant, par souci de clarté, je vais séparer les éléments de preuve concernant le financement de l’éducation des éléments de preuve par rapport aux annuités découlant du Traité.

Financement de l’éducation

[19]  Le 4 septembre 2014, Mme Ploughman a envoyé à Mme Bangloy un courriel lui demandant si les reçus de frais d’éducation étaient pour les niveaux [traduction] « maternelle à la 12e année ou postsecondaire [7]  ». Elle voulait d’autres détails, a-t-elle dit, afin d’aiguiller la demande de renseignements de Mme Bangloy. Mme Bangloy a répondu qu’elle avait des reçus de l’école prématernelle Montessori pour les deux enfants, ainsi que toutes les années de l’élémentaire dans des écoles privées. Mme Ploughman lui a, à son tour, répondu pour lui donner le nom d’une personne-ressource dans un autre bureau régional; cette autre personne n’a toutefois pas été en mesure d’aider Mme Bangloy.

[20]  Le 29 décembre 2014, Mme Bangloy a écrit à Mme Ploughman pour lui demander ceci : [traduction] « Veuillez me donner le nom d’une personne‑ressource à Ottawa à qui je pourrais adresser mes questions [8]  ».

[21]  Mme Bangloy a témoigné que l’intimé n’a pas répondu à la demande de coordonnées d’une personne-ressource à Ottawa qu’elle lui a adressée en décembre 2014, pas plus qu’il ne lui a indiqué comment et où présenter sa demande de remboursement des droits de scolarité. Par conséquent, a-t-elle dit, elle a continué à mettre ses enfants dans une école privée en Alberta, à ses propres frais, où ils pourraient, selon elle, recevoir la meilleure éducation.

[22]  Adrian Walraven a témoigné au nom de l’intimé. Il était directeur principal, Politiques et planification à la direction des programmes en matière d’éducation et de développement social de Services aux Autochtones Canada [9] à Gatineau, au Québec, depuis janvier 2015. M. Walraven a confirmé que son service n’a pas trouvé de trace des communications se rapportant à la demande de remboursement des droits de scolarité de Mme Bangloy. Il a déclaré ignorer pourquoi elle n’avait pas reçu de réponse à sa demande de renseignements et, quand Mme Bangloy lui a posé des questions en contre-interrogatoire, il lui a présenté des excuses à cet égard.

[23]  M. Walraven a déclaré que, selon l’intimé, Mme Bangloy demande pour ses enfants les mêmes avantages en matière d’éducation qu’elle avait demandés pour elle‑même et que la Cour fédérale avait déjà examinés et rejetés.

[24]  Selon la preuve figurant dans le recueil conjoint de documents, Joyce Beattie avait demandé à l’intimé de payer les frais d’éducation de ses enfants dans les années 1980 et 1990, notamment pour l’école privée qu’avait fréquentée sa fille Nikota. Les documents démontrent que l’intimé a effectivement assumé une certaine partie des frais d’éducation, parce que la famille vivait dans diverses réserves en Colombie‑Britannique et, par conséquent, était admissible au financement de l’éducation géré par l’intimé.

[25]  Selon M. Walraven, même si l’éducation est généralement une responsabilité provinciale plutôt que fédérale, l’intimé, conformément à la Loi sur les Indiens, a assumé la responsabilité de l’éducation des élèves des Premières Nations habitant dans des réserves ou sur des terres publiques. Il a expliqué que, si un enfant normalement résidant d’une réserve fréquente une école publique provinciale ou une école privée plutôt qu’une école de sa réserve, l’intimé fournit un financement par l’entremise de la bande de l’élève pour contribuer aux droits de scolarité.

[26]  Il est précisé dans la preuve documentaire que le montant de la contribution de l’intimé aux droits de scolarité est fixe, établi dans une [traduction] « Entente-cadre sur les droits de scolarité » entre l’intimé et le ministère de l’Éducation d’une province donnée. L’Entente-cadre sur les droits de scolarité entre le Canada et la Colombie-Britannique en date du 31 mars 1988, précise que l’intimé paiera [traduction] « un montant déterminé […] pour les droits de scolarité pour chaque élève indien fréquentant une école publique [10]  ». Le montant des droits de scolarité fourni est fondé sur la moyenne au sein du district scolaire dans lequel une école particulière est située [11] .

[27]  M. Walraven a témoigné que, bien que l’Entente-cadre sur les droits de scolarité renvoie à la fréquentation d’une école publique provinciale, l’intimé paie aussi le même montant fixe pour un élève fréquentant une école privée. Tout écart entre le plein montant des droits de scolarité de l’école privée et le montant établi dans l’Entente sur les droits de scolarité doit être assumé par la famille ou la collectivité de l’enfant. C’est ce montant que l’intimé avait accepté de payer pour l’école privée de Nikota, dans la mesure où les Beattie résidaient dans une réserve. Selon les documents, à l’époque, tout comme aujourd’hui, les Beattie étaient d’avis que [traduction] « la résidence dans la réserve ou hors réserve n’a aucune incidence sur les droits conférés par le Traité n11 » et que les avantages en matière d’éducation prévus par le Traité n11 sont des droits conférés [traduction] « aux Indiens particuliers et non aux bandes [12]  ».

[28]  Les Beattie ont demandé que l’intimé paie le montant intégral des droits de scolarité de Nikota dans une école privée, et non simplement le montant établi dans l’Entente-cadre sur les droits de scolarité qui prévoyait qu’ils paient la différence. En réponse à cette demande, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque a écrit à Joyce Beattie, le 12 décembre 1990 et lui a réitéré le principe que la Loi sur les indiens confère au Ministère intimé le pouvoir législatif de fournir la scolarité aux [traduction] « enfants indiens inscrits résidant normalement dans une réserve ou sur des terres publiques ». Il a déclaré que cette éducation [traduction] « est fournie aux enfants indiens inscrits qui résident habituellement sur une réserve ou des terres de la Couronne, qu’ils soient ou non des Indiens visés par un traité [13]  ».

[29]  Selon la preuve documentaire, après que les Beattie aient informé l’intimé qu’ils n’habitaient plus dans une réserve, l’intimé leur a écrit qu’il [traduction] « ne reconnaîtrait pas le droit aux paiements des droits de scolarité pour leurs enfants après cette date [14]  ».

[30]  Les Beattie ont intenté une action à la Cour fédérale du Canada où ils affirmaient que l’intimé avait la responsabilité de payer la totalité des frais d’éducation de leurs enfants conformément à la disposition du Traité n11 concernant l’éducation. La question en litige tranchée par la Cour fédérale était de savoir si les avantages découlant de la disposition du Traité n11 sur l’éducation se limitaient à la région visée par le Traité. En rejetant les demandes des Beattie, la Cour a décidé que les avantages en matière d’éducation ne s’étendaient pas au‑delà des limites de la région visée par le Traité [15] . Les plaignants n’ont pas interjeté appel de la décision de la Cour fédérale.

[31]  Mme Bangloy affirme qu’elle est au courant de la décision de la Cour fédérale rendue en 1997, mais qu’à son avis cette affaire était différente de la présente plainte qui porte sur l’éducation de ses enfants et non la sienne.

[32]  M. Walraven affirme que l’intimé continue de financer l’éducation des enfants qui vivent dans les réserves de la même façon que cela a été décrit dans la lettre du ministre de 1990.

[33]  Mme Bangloy et sa famille habitent à Okotoks, en Alberta, et non dans une réserve ni à l’intérieur de la zone définie par le Traité n11.

Annuités découlant du Traité

[34]  Le 7 novembre 2014, l’intimé a informé les plaignants que leurs demandes concernant les annuités prévues dans le Traité n11 étaient à l’étude.

[35]  Lors de l’instance concernant la plainte en matière d’adoption, l’intimé a reconnu que les plaignants avaient le droit d’être ajoutés à la liste de bande des parents adoptifs de Mme Beattie. Conséquemment, en décembre 2014 et en janvier 2015, Bruce Beattie a communiqué avec l’intimé pour lui demander que les plaignants soient ajoutés à la liste de la bande des Loucheux n6. L’intimé a répondu que le nom de cette bande avait changé plusieurs fois depuis la signature du Traité n11 en 1921, et qu’elle s’appelle maintenant la bande Gwichya Gwich’in. L’intimé a précisé qu’il ne tiendrait plus une liste de bande distincte concernant les Loucheux n6 aux fins du Traité n11.

[36]  M. Beattie a déclaré que, selon lui, la position de l’intimé consistait en une mesure de représailles, qu’elle était inconstitutionnelle et que les plaignants déposeraient une nouvelle plainte en matière de droits de la personne concernant cette question. Les plaignants ont déposé la présente plainte en matière de droits de la personne le 26 janvier 2015. Dans cette plainte, les plaignants allèguent, entre autres, que l’intimé a exercé des représailles contre eux en refusant de reconnaître leur appartenance à la bande des parents adoptifs de Mme Beattie.

[37]  Même si elles n’avaient reçu aucune autre réponse de l’intimé après son courriel du 7 novembre 2014 disant que leurs demandes d’annuité étaient à l’étude, en août 2017, Mme Beattie et Mme Bangloy ont toutes deux présenté des demandes de paiement des annuités prévues dans le Traité pour elles‑mêmes et les enfants, inscrivant [traduction] « Traité n11 » comme nom de leur bande. Après cela, Mme Ploughman a envoyé un courriel à Sean Sullivan, le témoin de l’intimé à l’audience pour la question des annuités découlant du Traité, déclarant : [traduction] « Nous devons nous occuper de cette famille. En ne répondant pas, nous ne nous présentons pas sous un jour favorable [16]  ».

[38]  Les plaignants affirment dans leur témoignage qu’ils n’ont reçu, en date d’août 2017, aucune réponse à leur demande pour recevoir des annuités découlant du Traité.

[39]  L’instruction de la présente plainte devait débuter le 3 décembre 2018. Dans une lettre datée du 29 novembre 2018, l’intimé a informé les plaignants et le Tribunal qu’il avait examiné sa politique sur les annuités découlant du Traité. À l’issue de cet examen, il a déterminé que la situation des plaignants pouvait relever de l’une des exceptions énoncées au chapitre 4 de son manuel sur la politique concernant les traités, l’exception selon laquelle il n’est pas nécessaire d’être membre d’une bande pour être admissible aux annuités découlant du Traité. Ainsi donc, l’intimé déclarait qu’il paierait aux plaignants les annuités prévues dans le Traité n11 sans exiger qu’ils soient membres d’une des bandes visées par ce traité.

[40]  Dans cette lettre du 29 novembre 2018, l’intimé a déclaré que, bien qu’il n’admette pas que sa conduite était un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi, il était disposé à accorder une indemnité de 5 000 $ [traduction] « pour tout dérangement ou toute difficulté que les plaignants pourraient avoir subis relativement à la question des annuités découlant du Traité ». L’intimé a déclaré que, comme la question des annuités découlant du Traité était devenue théorique, à son avis, il ne citerait pas de témoin à ce sujet à l’audience la semaine suivante.

[41]  Le 18 décembre 2018, à la demande du Tribunal, l’intimé a présenté une lettre expliquant que, comme les quatre plaignants avaient déjà reçu les annuités découlant du Traité jusqu’à 2013 inclusivement, les annuités à partir de 2014 leur seraient versées sans qu’il leur faille être membres d’une bande visée par le Traité n11. L’intimé a fait remarquer que Joyce Beattie et Nikota Bangloy avaient perçu les annuités prévues par le Traité n11 depuis la naissance à la suite du règlement d’une action en justice précédente devant la Cour fédérale. Dans le cadre de ce règlement, l’intimé a envoyé une lettre signée par le sous-ministre de l’époque, datée du 22 avril 1993, dans laquelle on peut lire :

[traduction] Les droits conférés par le Traité n11 à Joyce Wilma Beattie, Nikota Beattie et T’Seluq Beattie ne sont pas liés au statut, mais ils pourraient être rattachés à d’autres facteurs, dont l’ascendance. En ce qui concerne Joyce Wilma Beattie, Nikota Beattie et T’Seluq Beattie, les droits à l’annuité prévus par le Traité n11 ont été acquis à la naissance et ont continué d’exister par la suite, et il s’agit de droits issus de traités reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [17] .

[42]  Dans sa lettre du 18 décembre 2018, l’intimé a réitéré sa position selon laquelle les enfants ne sont devenus admissibles à recevoir les annuités découlant du Traité que lorsqu’ils ont été admissibles à l’inscription et à l’affiliation à une bande à l’entrée en vigueur de la LESIRI en 2011.

[43]  Le 21 décembre 2018, les plaignants ont répondu à la lettre du 18 décembre 2018 en se déclarant d’avis que la mention par l’intimé du fait que les enfants n’ont droit aux annuités qu’à partir de 2011 plutôt que dès leur naissance constituait une menace de représailles supplémentaires à l’endroit des enfants, en contravention de l’article 14.1 de la Loi. Les plaignants soutiennent que l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens n’a aucun rapport avec l’admissibilité aux avantages conférés par le Traité n11, comme les annuités découlant du Traité.

[44]  L’intimé n’a cité aucun témoin en ce qui concerne la question des annuités découlant du Traité.

IV.  Analyse

A.  Les questions préliminaires

(i)  La question des annuités découlant du Traité n’est pas théorique

a)  Position de l’intimé

[45]  L’intimé soutient que la doctrine du caractère théorique s’applique quand la décision d’un tribunal n’a pas pour effet de résoudre un litige qui a des conséquences sur les droits des parties. Il affirme que le Tribunal ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire la question des annuités découlant du Traité, car l’intimé a convenu, dans sa lettre du 29 novembre 2018, de verser les annuités des plaignants sans exiger l’affiliation à une bande. Il a aussi consenti à une indemnité de 5 000 $ pour tout dérangement ou toute difficulté que les plaignants pourraient avoir subis. L’intimé prétend qu’étant donné qu’il n’y a plus de différend entre les parties, la plainte relative aux annuités découlant du Traité est théorique.

b)  Position des plaignants

[46]  Les plaignants ne sont pas d’accord pour dire que la question est théorique. Ils font remarquer que l’intimé avait de la même façon changé de position puis soutenu que sa plainte était théorique dans une affaire antérieure en matière de droits de la personne.

c)  Le droit : le caractère théorique

[47]  La Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Borowski c. Canada que si, après le début des procédures, « surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique [18]  ». Le caractère théorique est « un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite [19]  ». Une fois que la cour a déterminé que le litige tangible et concret a disparu et que la question est devenue théorique, elle doit décider si elle exercera son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire [20] .

[48]  Lorsqu’elle décide si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner une question particulière dans de telles circonstances, la cour ou le tribunal doit examiner les justifications qui sous‑tendent la politique et la pratique concernant l’application de la doctrine du caractère théorique. Dans Collins c. Abrams et al [21] , la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a résumé ainsi le raisonnement, au paragraphe 6 :

[traduction]

(1) La capacité des tribunaux de trancher des litiges est bien ancré dans le système contradictoire or, en l’absence d’un débat contradictoire, tous les aspects de la cause ne seront peut‑être pas débattus complètement;

(2) Les ressources judiciaires doivent être conservées pour le moment où elles sont nécessaires;

(3) Les cours doivent respecter leur fonction véritable dans l’élaboration du droit et le fait de prononcer un jugement en l’absence de litige affectant les droits des parties peut être perçu comme une intrusion dans la sphère de l’organe législatif.

[49]  Dans Beattie c. AINC, l’intimé a changé de position durant l’instruction de la plainte. Il a accepté que Mme Beattie change son inscription au titre de la Loi sur les Indiens et retire son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope en raison de son adoption selon la coutume. Ensuite, l’intimé a soutenu que son changement de position a rendu théorique la question de savoir si son rejet initial de la demande de la plaignante constituait un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi.

[50]  Le membre instructeur Lustig n’était pas d’accord. Il a déclaré :

[88] […] Si une personne met fin à la conduite dont le plaignant prétend qu’elle est discriminatoire avant l’instruction de la plainte, le Tribunal peut néanmoins conclure que la plainte est fondée en ce qui concerne la période précédant la cessation de la conduite, même s’il est possible qu’aucune réparation ne soit ordonnée. Par conséquent, une affaire ne devient pas théorique du seul fait que l’auteur des actes en cause décide d’y mettre fin ou qu’une ordonnance de réparation pourrait ne pas être rendue, si le Tribunal conclut que l’acte était discriminatoire pendant qu’il était perpétré et que la plainte est fondée.

[51]  Le membre instructeur Lustig a conclu que la question de la responsabilité était toujours une question d’actualité avant que l’intimé ne révise sa position et que la question des mesures de réparation à titre individuel comme de celles d’intérêt public continue de se poser. Il a aussi conclu que, comme l’audience a déjà eu lieu et que « les parties ont pu débattre en profondeur, dans le cadre d’une procédure contradictoire, des questions faisant intervenir d’importants droits quasi constitutionnels, aucun argument légitime ne permet d’affirmer que des ressources judiciaires limitées seront ainsi gaspillées, etc., au vu des critères établis par la jurisprudence pour déterminer si une affaire est théorique [22]  ».

d)  Analyse

[52]  J’accepte  le raisonnement du Tribunal au paragraphe 88 de Beattie c. AINC, énoncé ci‑dessus, et je l’applique à l’affaire qui nous occupe. La responsabilité continue d’être une question qui se pose. Même si l’intimé a aussi mis fin volontairement à la présumée conduite discriminatoire avant l’audience sur la présente affaire, je conviens que le Tribunal peut prendre en compte la période précédant la cessation de la conduite.

[53]  Les réparations sont aussi une question qui se pose toujours, en dépit de l’argument de l’intimé avançant qu’aucune question d’intérêt public ne se pose dans cette affaire parce qu’aucune personne autre que les plaignants n’est touchée. Quant aux réparations sollicitées, les plaignants demandent dans leurs observations finales, sans s’opposer au paiement de 5 000 $ pour [traduction] « tout dérangement ou toute difficulté » – montant offert par l’intimé juste avant l’audience – que ce montant soit versé à chacun des quatre plaignants en application de l’alinéa 53(2)e) de la Loi, comme indemnisation pour le préjudice moral subi. Elles demandent aussi 20 000 $ par plaignant comme indemnisation pour l’acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré commis, au titre du paragraphe 53(3) de la Loi.

[54]  Même si j’admets que l’intimé espérait éviter une audience en offrant de verser aux plaignants 5 000 $ pour le dérangement ou les difficultés causées par son retard dans la détermination de la question des annuités découlant du Traité, les plaignants n’étaient pas obligés d’accepter cet argent. Il a été offert quatre jours à peine avant le début de l’audience. Le Tribunal doit examiner les réparations au cas par cas et fonder sa décision sur ses conclusions de fait et le droit applicable. Le fait d’avoir offert l’argent avant l’audience ne rend pas la question théorique.

[55]  Comme dans Beattie c. AINC, l’audience a déjà eu lieu. Donc, la question du gaspillage des ressources judiciaires n’est pas en cause.

[56]  Enfin, ce n’est qu’après l’audience que l’intimé a présenté aux plaignants un résumé du montant que chaque plaignant recevrait en annuités rétroactives. Cela a fait ressortir le fait que les plaignants demandaient pour les enfants de Mme Bangloy des annuités rétroactives à partir de leurs naissances respectives, plutôt que de 2011, question qui doit manifestement être étudiée.

[57]  À mon avis, la lettre de l’intimé précédant l’audience n’a pas fait disparaître le différend opposant les parties. Par conséquent, la question des annuités découlant du Traité n’est pas théorique et doit être examinée dans la présente décision.

(ii)  La Cour fédérale s’est déjà prononcée sur la question du financement de l’éducation

a)  Position de l’intimé

[58]  L’intimé soutient que la question de savoir s’il est responsable, en vertu du Traité n11, de payer les droits de scolarité des enfants de Mme Bangloy dans des écoles privées hors de la région visée par le Traité a déjà été tranchée par la Cour fédérale dans une affaire concernant les mêmes plaignants : Beattie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) [23] .

[59]  Dans Beattie c. MAINC, Mme Beattie a fait valoir devant la Cour que les droits de scolarité, découlant de l’école privée que sa fille Nikota a fréquentée, avaient été engagés à l’extérieur de la région visée par le Traité et devraient être couverts au titre de la disposition sur « le salaire des maîtres d’écoles » du Traité n11.

[60]  Selon l’intimé, la Cour fédérale a examiné le contexte dans lequel le Traité n11 a été négocié, y compris les preuves documentaires historiques, et a conclu que tout avantage en matière d’éducation conféré par le Traité n11 ne devrait pas s’étendre au‑delà de la région visée par le Traité. La juge Tremblay-Lamer a déclaré que, aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, « les enfants visés par un traité […] bénéficient d’une garantie constitutionnelle quant au droit à l’éducation gratuite », quoique cette éducation gratuite « se limite au territoire défini dans le traité [24]  ».

[61]  L’intimé souligne que les plaignants demandent au Tribunal de leur accorder les réparations que la Cour fédérale avait refusées. Ils demandent une fois de plus que l’intimé paie les droits de scolarité dans des écoles privées qui ne sont pas situées dans la région visée par le Traité, en se fondant sur la disposition sur « le salaire des maîtres d’écoles » du Traité.

[62]  L’intimé soutient que la décision de la Cour fédérale, qui n’a pas fait l’objet d’un appel, est définitive et que, par conséquent, permettre l’examen de la plainte en matière d’éducation par une instance différente serait contraire aux doctrines de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de l’abus de procédure et de la contestation indirecte. Plus particulièrement, l’intimé affirme qu’en permettant l’examen de la présente plainte, on entérinerait une façon inappropriée de contester la validité de la décision de la Cour fédérale, on minerait le caractère définitif de cette décision et risquerait d’encourager des interprétations contradictoires de la portée de la disposition du Traité n11 concernant l’éducation. Je dois donc, selon lui, rejeter la présente plainte.

b)  Position des plaignants

[63]  Les plaignants ne répondent pas directement à l’argument de l’intimé voulant qu’ils tentent de rouvrir devant le Tribunal une question sur laquelle la Cour fédérale s’est déjà prononcée. Ils se contentent de présenter divers arguments sur les raisons pour lesquelles le Traité n11 appuie leur demande de financement de l’éducation.

c)  Le droit : doctrines consacrant le caractère définitif

[64]  Dans Todd c. La Ville d’Ottawa, le Tribunal a récemment déclaré que « [l]es doctrines consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires que sont la contestation indirecte, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure pour remise en cause découlent tous de l’un des principes les plus fondamentaux de la common law : une question, une fois tranchée par une cour ou un tribunal compétent, ne peut pas être tranchée de nouveau, sauf dans le cadre d’un appel ou d’une révision judiciaire de la décision initiale [25]  ».

[65]  Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, la Cour suprême du Canada fait remarquer que « Ces doctrines existent essentiellement pour prévenir l’iniquité en empêchant “les recours abusifs” […] [26]  ». La Cour résume les principes sous-jacents de ces doctrines :

  • La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties;

  • Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence parmi des décisions et en faisant inutilement double emploi des procédures;

  • La contestation de la validité ou du bien‑fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur;

  • Les parties ne doivent pas contourner le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative;

  • En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources [27] .

[66]  Lorsqu’on examine la question de savoir s’il faut rejeter une plainte sur le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, trois conditions préalables doivent être réunies : 1) la même question doit avoir déjà été tranchée; 2) la décision antérieure doit avoir été une décision définitive et 3) les parties, ou leurs ayants droit, doivent être les mêmes que ceux dans la décision judiciaire invoquée [28] .

[67]  La Cour suprême a jugé que, même dans les circonstances où les conditions préalables de la préclusion découlant d’une question déjà jugée ne sont pas remplies, la doctrine de l’abus de procédure peut être appliquée si on permet la réouverture d’un litige qui porte atteinte aux « principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice [29]  ».

[68]  La Cour suprême a aussi dit que « l’application des doctrines consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires est un exercice hautement discrétionnaire, qui repose sur les besoins de la justice substantielle et de la justice procédurale [30]  ». Dans Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), la Cour suprême a déclaré « [qu’]une doctrine élaborée par les tribunaux dans l’intérêt de la justice ne devrait pas être appliquée mécaniquement et donner lieu à une injustice [31]  ».

[69]  Afin de statuer en toute équité, le décideur doit procéder à une analyse à deux volets pour déterminer s’il doit appliquer la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans un cas particulier. Le premier volet consiste à établir si les trois conditions préalables de la préclusion sont respectées. Dans l’affirmative, le décideur exerce son pouvoir discrétionnaire pour se demander s’il doit appliquer la doctrine dans les circonstances particulières de l’affaire [32] .

[70]  Dans Penner, la Cour suprême a fait observer que l’iniquité peut se manifester de deux façons lorsqu’on applique la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Premièrement, l’iniquité peut résulter de l’instance antérieure qui se révèle injuste. Deuxièmement, même si l’instance antérieure s’est déroulée de manière juste, il pourrait néanmoins se révéler injuste d’opposer la décision en résultant à toute action ultérieure [33] . « [C]e peut être le cas lorsque les objets, la procédure ou les enjeux des deux instances diffèrent grandement », quoique le décideur doive évaluer ces différences tout en tenant compte l’importance du caractère définitif des décisions en droit [34] .

[71]  Dans Todd, le Tribunal fait remarquer que les critères qui doivent être pris en compte lorsqu’il est question de l’équité dans l’application de la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans un cas particulier ne sont pas fixes, mais peuvent inclure ce qui suit :

  • L’objet du cadre législatif adopté pour chaque instance;

  • L’existence d’un droit d’appel;

  • Les garanties offertes aux parties;

  • L’expertise des décideurs;

  • Les circonstances ayant donné naissance à l’instance initiale;

  • Le risque d’injustice comporté par l’application de la préclusion [35] .

[72]  Dans Toronto (Ville), la juge Arbour a déclaré que l’aspect discrétionnaire qui vise à empêcher que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée crée une situation injuste ou inéquitable devrait également être applicable en matière d’abus de procédure [36] .

d)  Analyse

[73]  J’examinerai tout d’abord la question de savoir s’il m’est interdit d’examiner la présente plainte en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. À cette fin, je dois vérifier si la décision antérieure satisfait aux trois conditions préalables énoncées ci‑dessus.

  • 1) La Cour fédérale a-t-elle déjà tranché la même question?

[74]  Dans Beattie c. MAINC, Joyce Beattie a fait valoir qu’il n’y avait pas d’association directe entre la disposition du Traité n11 concernant l’éducation et les terres cédées dans le Traité, et que l’obligation de payer le salaire des maîtres d’écoles ne s’appliquait pas expressément à un emplacement précis. La Cour n’a pas accepté son avis et a décidé que les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité n11 se limitent effectivement à la région visée par le Traité.

[75]  Les plaignants demandent maintenant au Tribunal d’ordonner, à titre de réparation en vertu de la Loi, que l’intimé paie les frais d’éducation des enfants conformément au Traité n11, bien que ces frais aient été engagés à l’extérieur de la région visée par le Traité. Bien que les plaignants affirment qu’ils ont fait l’objet de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique en ce qui concerne la prestation des avantages d’éducation conférés par le Traité n11, le Tribunal doit trancher la question de savoir si la disposition du Traité concernant l’éducation s’applique hors de la région visée par le Traité. L’intimé soutiendra que sa décision de ne pas fournir le financement demandé est justifiée par le fait que les avantages en matière d’éducation conférés par le Traité ne s’appliquent pas hors de la région visée par le Traité. La question examinée et tranchée par la Cour fédérale dans Beattie c. MAINC est la même que celle que le Tribunal devrait trancher s’il acceptait d’examiner la présente plainte.

  • 2) La décision antérieure était-elle une décision définitive?

[76]  Aucune des deux parties n’a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale. Aucune jurisprudence indiquant que la décision de la Cour fédérale a été infirmée ne m’a été présentée. Par conséquent, j’accepte qu’il s’agît d’une décision définitive.

  • 3) Les parties ou leurs ayants droit sont-ils les mêmes dans les deux instances?

[77]  Selon le Blacks Law Dictionary, un [traduction] « ayant droit » est  « une personne qui, après le début de l’action, a acquis un intérêt dans l’objet du jugement au nom ou par le truchement d’une des parties, par héritage, succession, achat ou cession ».

[78]  Dans Beattie c. MAINC, la plaignante, Joyce Beattie, demandait le remboursement par l’intimé des frais d’éducation qu’elle avait engagés pour le compte de ses enfants. Dans la présente instance en matière de droits de la personne, Mme Beattie, la plaignante, conjointement avec sa fille, Mme Bangloy, demande le remboursement des frais engagés pour le compte de ses petits‑enfants. Bien que dans le cas présent ce soit Mme Bangloy qui a payé les droits de scolarité de ses enfants dans des écoles privées et qui demande le remboursement, c’est la même famille dans les deux instances qui demande au même intimé de fournir les mêmes avantages pour la même raison, devant la même autorité. Je suis d’accord pour dire que les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes dans les deux instances.

[79]  Je conclus que les conditions préalables en matière de préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont réunies. Cependant, même si les conditions rigoureuses de la préclusion ne sont pas réunies, je suis d’avis que la doctrine de l’abus de procédure empêche l’ouverture d’un nouveau procès concernant une question sur laquelle la Cour fédérale s’est déjà prononcée. Les remarques du Tribunal dans Todd s’appliquent dans la présente affaire : « La doctrine de l’abus de procédure s’applique lorsqu’une partie, insatisfaite du résultat obtenu devant un décideur, tente d’obtenir un résultat différent dans un autre forum et que cela occasionne aux parties un gaspillage de temps et de ressources et nuit à la bonne administration de la justice [37]  ». Je conviens qu’autoriser l’instruction de cette plainte « [porterait] atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice [38]  ».

[80]  Ayant conclu que la question de la préclusion et celle de l’abus de procédure s’appliquent dans la présente affaire, je n’ai pas à déterminer si la doctrine du caractère définitif liée à la contestation indirecte s’applique également.

Est-il équitable d’appliquer la doctrine du caractère définitif pour arrêter la présente instance?

[81]  Pour prendre cette décision, je dois chercher à savoir si l’instance antérieure était équitable et s’il serait injuste d’utiliser les résultats de cette instance pour arrêter la présente plainte. Ce faisant, je dois déterminer si les objets, la procédure ou les enjeux des deux instances diffèrent grandement.

[82]  L’instance de la Cour fédérale avait pour objet de déterminer si l’intimé était tenu en vertu du Traité n11 de payer les frais d’éducation, y compris les droits de scolarité d’écoles privées, engagés par les plaignants à l’extérieur de la région visée par le Traité. La présente instance en matière de droits de la personne a pour but de déterminer si l’intimé a fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignants en ne payant pas, conformément au Traité n11, les droits de scolarité des enfants qui ont fréquenté des écoles privées à l’extérieur de la région visée par le Traité.

[83]  Je n’ai aucune raison de croire que l’instance de la Cour fédérale était inéquitable. En effet, si les plaignants estimaient que c’était le cas, ils auraient dû se prévaloir du droit d’interjeter appel de la décision, et ils ne l’ont pas fait.

[84]  Les deux instances ne diffèrent pas grandement sur le plan de l’objet, de la procédure ou des enjeux. Je ne vois aucune iniquité dans l’application de la doctrine de la préclusion et de celle de l’abus de la procédure pour empêcher la poursuite de l’instruction de la plainte; par conséquent, je rejette la plainte sur ce fondement.

[85]  Ayant décidé de rejeter la plainte concernant le financement de l’éducation sur le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de la procédure, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments des plaignants quant aux raisons pour lesquelles le Traité n11 appuie leur demande de remboursement des frais d’éducation des enfants.

B.  Discrimination au sens de l’article 5

Le droit : la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi

[86]  Pour démontrer qu’il a fait l’objet de discrimination au sens de l’article 5 de la Loi, le plaignant a le fardeau d’établir ce que la Cour suprême du Canada appelle une « preuve prima facie » de discrimination [39] . Pour ce faire, il doit démontrer :

  • 1) qu’il possède une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination;

  • 2) qu’il a subi un traitement défavorable relativement à un service fourni par l’intimé ou que ce service lui a été refusé;

  • 3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation du traitement défavorable ou du refus [40] .

[87]  Quant au deuxième élément de ce critère de discrimination prima facie, le plaignant doit établir que l’intimé fournit un service qui est généralement offert au public, au sens de l’article 5 de la Loi. Si le plaignant peut établir cela, il doit démontrer que ce service lui a été refusé par l’intimé ou qu’il a été défavorisé par ce service [41] . Le Tribunal a établi précédemment que la prestation de fonds peut constituer un service au sens de l’article 5 de la Loi [42] .

[88]  Quant au troisième critère de discrimination prima facie, les plaignants doivent démontrer qu’il existe un lien entre les deux premiers éléments. Il n’est pas nécessaire que la caractéristique protégée soit le seul facteur dans le traitement défavorable, et un lien causal n’est pas requis. Le Tribunal peut examiner la preuve de toutes les parties pour déterminer l’existence d’un lien.

[89]  Comme dans le cas présent, un intimé peut tenter de réfuter les allégations de discrimination prima facie en démontrant que l’acte discriminatoire allégué ne se rapporte pas à un service généralement offert au public. L’intimé peut aussi présenter une explication de la conduite que le plaignant qualifie de discriminatoire afin d’éliminer le lien allégué entre la caractéristique protégée et le traitement défavorable. Lorsque l’intimé réfute l’allégation de discrimination, son explication doit être raisonnable; elle ne peut pas être un « prétexte » – ou une excuse – servant à dissimuler la discrimination [43] .

[90]  Le plaignant doit établir la preuve de discrimination prima facie selon la prépondérance des probabilités, ce qui signifie que le Tribunal doit déterminer que, selon toute vraisemblance, les faits ont été effectivement ceux décrits par le plaignant. La preuve de l’intention discriminatoire de l’intimé n’est pas requise pour démontrer l’existence d’une discrimination prima facie [44] .

[91]  Une fois la preuve de discrimination prima facie faite par le plaignant, le fardeau de la preuve passe à l’intimé, qui doit justifier sa décision ou sa conduite. Il peut, entre autres, invoquer le moyen de défense du motif justifiable visé à l’alinéa 15(1)g) et au paragraphe 15(2) de la Loi. Ce faisant, il doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a pris pour l’employé toutes les mesures d’adaptation qu’il pouvait prendre sans qu’il en résulte une contrainte excessive. Si l’intimé ne peut justifier la conduite discriminatoire, on conclura qu’il y a eu discrimination.

(i)  Ne pas avoir fourni à Mme Bangloy des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 pour les droits de scolarité de ses enfants dans une école privée ne constitue pas de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi

a)  Position des plaignants

[92]  Mme Bangloy allègue, en son propre nom et au nom des enfants, que l’intimé les a défavorisés à l’occasion de la fourniture d’un service et les a privés de ce service en contravention des alinéas 5a) et b) de la Loi, et ce, en raison de leur race et de leur origine nationale ou ethnique. Elle précise que le service en question est la prestation de renseignements concernant la façon d’accéder au financement de l’éducation prévu par le Traité n11.

b)  Position de l’intimé

[93]  L’intimé soutient que fournir des renseignements sur la façon de présenter une demande de financement de l’éducation prévu par le Traité n11 n’est pas un « service » au sens de l’article 5 de la Loi. Cela dit, il affirme que les plaignants n’ont pas établi qu’il y avait discrimination prima facie en ce qui concerne cette allégation.

c)  Analyse

[94]  Le Tribunal doit prendre en compte tous les éléments de preuve et arguments présentés par les parties pour décider si les plaignants ont prouvé, selon la prépondérance des probabilités, chacun des trois éléments du critère de la preuve prima facie de discrimination.

  • 1) Les plaignants ont-ils une ou des caractéristiques protégées par la Loi contre la discrimination?

[95]  Nul ne conteste que les plaignants sont des membres des peuples autochtones du Canada au sens de la Loi constitutionnelle de 1982 et sont admissibles à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens. Les plaignants ont une même origine géographique, soit le territoire cédé par le Traité n11, et sont des descendants d’un petit nombre d’ancêtres communs qui étaient des membres des bandes qui ont signé le Traité n11 en 1921.

[96]  Le sous-ministre de l’intimé a convenu, en 1993, que les droits de Mme Beattie et de Mme Bangloy conférés par le Traité n11 sont liés à leur origine ancestrale. Je conviens que l’ascendance commune des plaignants fait partie de leur race et de leur origine ethnique ou nationale [45] et reconnais qu’ils sont admissibles à la protection contre la discrimination au titre de l’article 3 de la Loi pour ces motifs.

  • 2) L’intimé a-t-il refusé un service ou imposé un traitement défavorable aux plaignants dans la prestation d’un service?

[97]  Mme Bangloy affirme que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit en ne lui fournissant pas le nom d’une personne‑ressource à qui elle pourrait demander des renseignements sur la façon de présenter une demande de financement de l’éducation de ses enfants au titre du Traité n11.

[98]  L’intimé soutient que la conduite en question n’est pas un « service » au sens de l’article 5 de la Loi. Il renvoie à un arrêt dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré que les services visés à l’article 5 s’entendent de « quelque chose d’avantageux qui est “offert” ou “mis à la disposition” du public [46]  ». L’intimé affirme que la Cour d’appel a expressément rejeté l’idée que toutes les mesures gouvernementales constituent des services aux fins de l’article 5.

[99]  Selon l’intimé, le fait qu’il n’a pas fourni des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 [traduction] « n’est pas quelque chose d’avantageux qui est offert ou mis à la disposition du public par l’intimé et, cela dit, ne devient pas un service pour la simple raison que l’intimé est un organisme gouvernemental [47]  ».

[100]  L’intimé souscrit à la conclusion du rapport d’évaluation de la Commission, en date de février 2017, selon laquelle le service en cause dans la présente plainte n’est pas la prestation de renseignements concernant les procédures administratives, mais plutôt [traduction] « l’éducation ou le financement des dépenses liées à l’éducation [48]  ». Au moment où la Commission a produit son rapport d’évaluation, les plaignants ne prétendaient pas qu’on leur avait refusé le financement de dépenses liées à l’éducation, mais seulement qu’on ne leur avait pas donné le nom d’une personne-ressource à qui demander des renseignements.

[101]  Le Tribunal a effectué une analyse à deux volets pour établir si la conduite ou l’activité de l’intimé peut être considérée comme un « service » au sens de l’article 5 de la Loi.

[102]  Le premier volet de l’analyse consiste à déterminer la nature du « service » à partir des faits présentés au Tribunal, en examinant [traduction] « l’avantage » ou [traduction] « l’aide » offerte. Le Tribunal a déclaré : « Il faut tenir compte des actes précis à l’origine de l’allégation de discrimination pour pouvoir déterminer s’il s’agit de “services” [49]  ».

[103]  Dans le cadre du deuxième volet de l’analyse, « il faut déterminer si le service crée une relation publique entre le fournisseur du service et son utilisateur [50]  ». Pour ce faire, le Tribunal doit examiner tous les facteurs pertinents en fonction du contexte. Le Tribunal a conclu que le « public » auquel le service est offert est défini selon un « ordre relationnel et non quantitatif » et peut constituer, en réalité, un segment très restreint du public [51] .

[104]  M. Walraven a décrit les types de programmes d’éducation que l’intimé finance. Je conviens que le financement et les programmes constituent les principaux avantages fournis aux Autochtones que l’intimé dessert et qui constituent son « public » à cette fin. Toutefois, l’intimé fournit aussi une aide aux membres de ce public en donnant des renseignements sur le financement et les programmes. Même si toutes les activités gouvernementales ne répondent pas à la définition de service au sens de l’article 5 de la Loi, on peut difficilement dire que répondre aux questions posées par une Autochtone sur la façon d’obtenir le remboursement de frais d’éducation prévu par le Traité n11 ne fait pas partie du service offert par l’intimé.

[105]  Selon la preuve documentaire présentée par les parties, Mme Ploughman du Bureau régional des T.N.-O. tentait effectivement de trouver les renseignements demandés ou le nom d’une personne-ressource qui pourrait aider Mme Bangloy, laquelle cherchait à savoir où envoyer ses reçus de droits de scolarité. M. Walraven a affirmé dans son témoignage ne pas savoir pourquoi personne n’a répondu à Mme Bangloy et il s’est excusé auprès d’elle pour la non-fourniture de services par son ministère.

[106]  Même si l’intimé estimait que la question de Mme Bangloy était en soi inutile parce que la Cour fédérale s’était déjà prononcée sur cette question dans une affaire dans laquelle les plaignants étaient parties, cela ne signifie pas que les plaignants ne tentaient pas d’accéder à un « service » offert par l’intimé au public. Par conséquent, je suis d’accord pour dire que Mme Bangloy s’est vu refuser un service offert généralement au public.

  • 3) Une caractéristique protégée a-t-elle constitué un facteur dans le traitement défavorable?

[107]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la race ou l’origine nationale ou ethnique de Mme Bangloy ou de ses enfants était un facteur dans le fait que l’intimé ne lui a pas fourni les renseignements qu’elle demandait.

[108]  Selon la preuve documentaire, Mme Ploughman a continué, pendant plusieurs mois, de tenter d’aider Mme Bangloy en ce qui concerne la question du financement de l’éducation, et elle lui a même fourni le nom d’une personne-ressource dans un autre bureau régional, quoique d’après Mme Bangloy cette personne n’a pas pu l’aider.

[109]  M. Walraven n’a pas pu expliquer pourquoi personne n’a répondu à Mme Bangloy au sujet des reçus de droits de scolarité, mais il a déclaré que l’intimé était d’avis que la Cour fédérale avait déjà tranché la question. L’intimé a probablement estimé qu’il n’était pas nécessaire de fournir les renseignements demandés, puisque Mme Bangloy avait été une des parties dans l’affaire de la Cour fédérale et devrait donc connaître la réponse à sa question. Si l’absence de réponse de la part de l’intimé pourrait être qualifiée de piètre service, elle n’est pas discriminatoire. Les plaignants n’ont présenté aucun élément de preuve établissant un lien avec la race ou l’origine nationale ou ethnique de Mme Bangloy ou de ses enfants.

[110]  Dans la mesure où les plaignants soutiennent que l’intimé exigeait qu’ils soient membres d’une bande visée par le Traité n11 aux fins de recevoir le financement de l’éducation [52] et, entre autres, recevoir des renseignements sur la façon de présenter une demande de financement de l’éducation, c’est un argument que je rejette. Les plaignants n’ont présenté aucune preuve à l’appui de leur affirmation que l’intimé faisait un lien entre l’affiliation à une bande et l’admissibilité au financement de l’éducation prévu dans le Traité n11.

[111]  La Cour fédérale a déjà jugé que le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 ne peut être fourni hors de la région visée par le Traité. Si l’intimé décide maintenant que les plaignants pourraient recevoir le financement de l’éducation dans une région hors de la région visée par le Traité, dans la mesure où leur nom figure dans la liste d’une bande visée par le Traité n11, il agirait contrairement à la décision de la Cour fédérale.

[112]  Étant donné que les plaignants n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un lien entre le traitement défavorable ou le refus de service et leurs caractéristiques protégées par la Loi, ils n’ont pas établi une preuve de discrimination prima facie en ce qui concerne cette allégation. Par conséquent, je rejette cet aspect de la plainte.

(ii)  Ne pas avoir versé les annuités découlant du Traité aux plaignants parce qu’ils ne figuraient pas sur une liste de bande gérée par l’intimé ne constitue pas de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi

a)  Position des plaignants

[113]  Les plaignants prétendent qu’en exigeant qu’ils soient inscrits sur une liste de bande gérée par l’intimé pour pouvoir recevoir les annuités prévues par le Traité n11, l’intimé leur a fait subir un traitement défavorable se rapportant à des biens et services, ou leur a refusé ces biens et services en raison de leur race ou origine nationale ou ethnique, en contravention des alinéas 5a) et b) de la Loi.

b)  Position de l’intimé

[114]  L’intimé soutient que les plaignants n’ont pas établi qu’il y avait une preuve prima facie de discrimination parce que l’affiliation à une bande n’est pas un motif de distinction illicite ni comparable à un motif de distinction illicite fondé sur la race ou l’origine nationale ou ethnique. Il demande que cette plainte soit rejetée.

c)  Analyse

  • 1) Les plaignants ont-ils une ou des caractéristiques que la Loi protège contre la discrimination?

[115]  J’ai déjà conclu que les plaignants sont admissibles, au titre de l’article 3 de la Loi, à une protection contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique.

  • 2) L’intimé a-t-il refusé un service ou traité défavorablement les plaignants dans la prestation d’un service?

[116]  Personne ne conteste qu’en gérant et fournissant le paiement annuel de 5 $ prévu par le Traité n11, l’intimé offre un service au sens de l’article 5 de la Loi.

[117]  Dans Beattie c. AINC, le Tribunal a déclaré que « [p]our qu’une plainte soit fondée selon la LCDP, il faut conclure que le défaut de fournir le service à une personne d’une manière exempte de discrimination, soit parce qu’elle en a été privée, soit parce qu’elle a été défavorisée sur la base d’un motif de distinction illicite, a eu sur elle un effet préjudiciable ou négatif [53]  ».

[118]  L’effet préjudiciable sur les plaignants est manifeste. Non seulement ils n’ont pas reçu les annuités découlant du Traité auxquelles ils avaient droit, mais ils se sont sentis obligés de déposer une autre plainte en matière de droits de la personne pour obtenir cet avantage.

[119]  Je reconnais qu’en exigeant, de 2014 à novembre 2018, que le nom des plaignants figure sur la liste d’une bande visée par le Traité n11 pour recevoir leurs annuités quand l’intimé savait que les plaignants étaient autrement admissibles à ces paiements, constituait un traitement défavorable dans la prestation d’un service et le refus d’un service.

  • 3) Une caractéristique protégée était-elle un facteur du traitement défavorable ou du refus?

[120]  La lettre du 2 juillet 2014 de l’intimé en réponse à la demande des annuités découlant du Traité de Mme Bangloy indique :

[traduction]

[…] dans votre formulaire de demande des annuités, vous avez indiqué « Traité n11 » comme nom de bande. Pour recevoir les annuités prévues par le Traité n11, une personne doit figurer sur la liste d’une bande visée par le Traité n11. Je crois savoir que votre nom figurait auparavant sur la liste de la bande de Fort Good Hope, mais que vous avez demandé de l’en retirer l’an dernier. Veuillez nous informer si vous ou vos enfants avez demandé à ce que vos noms soient ajoutés à la liste d’une autre bande visée par le Traité n11. Nous ne pouvons traiter votre demande d’annuités sans ce renseignement [54] .

[121]  Les plaignants considèrent l’exigence d’inscription sur une liste de bande comme étant inutile et illicite. Ils déclarent : [traduction] « L’inscription sur une liste de bande n’est pas exigée par le Traité n11 ni par une loi, et a été jugée être un choix personnel qui ne peut faire l’objet de discrimination aux termes de la LCDP dans une plainte antérieure opposant les mêmes parties. L’intimé tente d’expliquer la conduite qu’on lui reproche en expliquant qu’il s’en tenait à sa politique administrative interne [55]  ».

[122]  La question que je dois trancher est celle de savoir si l’exigence concernant la liste de bande est discriminatoire. Pour prouver cela, les plaignants doivent démontrer qu’il y a un lien entre cette exigence et leur race ou leur origine nationale ou ethnique. À mon avis, ce lien n’existe pas.

[123]  Les plaignants ont le droit, en raison de leur ascendance ou de leur origine ethnique, d’être inscrits auprès d’une bande visée par le Traité n11. De fait, ils étaient inscrits sur la liste de la bande de Fort Good Hope à une certaine époque et, comme le Tribunal l’a reconnu dans Beattie c. AINC, « [s]’ils le souhaitent, la plaignante et ses descendants peuvent demander à ce que leurs noms soient ajoutés à la liste de la bande Gwichya Gwich’in. La plaignante a confirmé qu’elle ne le souhaite plus [56]  ».

[124]  Les autres Autochtones qui sont descendants des signataires du Traité n11 et qui, par conséquent, sont de la même race ou origine nationale ou ethnique que les plaignants et sont inscrits sur la liste d’une bande visée par le Traité n11 satisferaient aux conditions de l’intimé pour les annuités. La seule raison pour laquelle les plaignants se sont vu refuser leurs annuités, c’est qu’ils ont choisi de ne pas être inscrits sur une liste de bande et non en raison de leur origine nationale ou ethnique ou de leur race. Par conséquent, je conclus que la façon dont l’intimé les a traités n’était pas contraire à l’article 5 de la Loi.

[125]  Étant donné que les plaignants n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que leur race ou leur origine nationale ou ethnique étaient des facteurs dans le traitement défavorable qu’ils ont subi en ce qui concerne le service offert par l’intimé, je conclus qu’il n’y a pas de preuve prima facie de discrimination à l’égard de cette allégation; par conséquent, je rejette cet aspect de la plainte.

Discrimination au sens de l’article 5 – Conclusion

[126]  La plainte au titre de l’article 5 de la Loi est rejetée.

C.  Représailles au titre de l’article 14.1

Le droit : représailles

[127]  Selon l’article 14.1 de la Loi, « [c]onstitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte […] ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée ».

[128]  Les représailles constituent un acte discriminatoire indépendant [57] . Les plaintes de représailles sont fondées sur le fait qu’une plainte antérieure en matière de droits de la personne avait été déposée, plutôt que sur un motif de distinction illicite [58] . Pour établir une preuve prima facie de représailles, le plaignant doit démontrer :

  • 1) qu’il a déposé antérieurement une plainte en matière de droits de la personne en vertu de la Loi;

  • 2) qu’il a subi, par suite du dépôt de sa plainte, un traitement défavorable de la part de la personne contre qui il a déposé la plainte ou quiconque agissant en son nom;

  • 3) que la plainte en matière de droits de la personne a constitué un facteur dans la manifestation du traitement défavorable [59] .

[129]  En ce qui concerne le troisième élément, le plaignant doit établir l’existence d’un lien entre le dépôt de sa plainte et le traitement défavorable qu’il a subi à la suite de sa plainte. Si ce lien n’est pas démontré de manière complète et suffisante, le plaignant ne se sera pas acquitté de son fardeau de la preuve. Il n’est pas nécessaire pour le plaignant d’établir un lien de causalité et il n’est pas nécessaire que la plainte antérieure soit l’unique motif du traitement défavorable ni qu’il prouve que l’intimé avait l’intention d’exercer des représailles [60] .

[130]  Pour démontrer qu’une plainte antérieure en matière de droits de la personne a joué un rôle dans le traitement défavorable qu’a subi un plaignant, le Tribunal peut tenir compte de tout élément de preuve pertinent, notamment le caractère raisonnable de la perception du plaignant. La condition voulant qu’il y ait une perception raisonnable de représailles injecte l’élément objectif nécessaire dans le critère applicable, de façon à ne pas tenir l’intimé responsable « de l’angoisse ou des réactions exagérées de ce plaignant [61]  ».

[131]  L’intimé peut présenter des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, quoique son explication doit être raisonnable et non un prétexte [62] . L’intimé peut aussi présenter une défense contre l’allégation de représailles, et soutenir, par exemple, qu’un employeur ne doit pas être jugé responsable de la conduite d’un employé qui exerce des représailles, comme le prévoit l’article 65 de la Loi.

[132]  Comme la norme de preuve qui s’applique aux affaires de représailles en matière de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités, [traduction] « [o]n peut conclure qu’il y a eu discrimination lorsque la preuve présentée à cet égard rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse [63]  ».

[133]  Les plaignants ont allégué un certain nombre d’actes de représailles faites par l’intimé concernant leurs demandes de financement d’éducation et d’annuités au titre du Traité n11. Je traiterai chacune de ces demandes ci‑dessous.

Représailles se rapportant au financement de l’éducation au titre du Traité n11

(i)  Ne pas avoir fourni à Mme Bangloy des renseignements sur la façon de recevoir le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 pour les droits de scolarité de ses enfants payés à une école privée ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi

a)  Position des plaignants

[134]  Les plaignants soutiennent que la conduite qui, selon eux, constitue de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi s’agissant de ne pas leur avoir fourni le nom d’une personne-ressource ou des renseignements sur l’endroit où présenter leurs reçus de droits de scolarité aux fins de remboursement – constitue aussi des représailles en réaction au dépôt d’une plainte antérieure contre l’intimé, et que cette conduite est donc contraire à l’article 14.1 de la Loi.

b)  Position de l’intimé

[135]  L’intimé nie que l’omission de donner de tels renseignements aux plaignants constituait un exercice de représailles en raison du dépôt d’une plainte antérieure.

c)  Analyse

[136]  Le premier élément du critère de la preuve prima facie de représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi est satisfait. Les plaignants avaient déposé une plainte en matière de droits de la personne contre le même intimé en 2011. Le Tribunal s’est prononcé sur cette plainte le 10 janvier 2014 [64] . Les mesures de représailles alléguées ont eu lieu après la décision du Tribunal en 2014, et se sont poursuivies après le dépôt de la présente plainte en matière de droits de la personne par les plaignants en janvier 2015.

[137]  Je reconnais que le deuxième élément – un traitement défavorable réalisé par l’intimé après le dépôt de ces plaintes – est également démontré, puisque j’ai déjà convenu que les plaignants se sont vu refuser un service quand l’intimé n’a pas fourni à Mme Bangloy les renseignements ou le nom d’une personne‑ressource qu’elle avait demandés.

[138]  Le troisième élément du critère consiste à déterminer si les plaintes antérieures ou actuelles étaient un facteur dans le traitement défavorable. À mon avis, elles ne l’étaient pas.

[139]  Je ne suis pas d’avis que la perception des plaignants est raisonnable, en avançant que l’intimé ne leur a pas fourni les renseignements sur la façon de demander le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 parce qu’ils avaient déposé des plaintes en matière de droits de la personne.

[140]  Mme Ploughman a envoyé à Mme Bangloy un courriel le 2 juillet 2014, pour l’informer que l’intimé ne lui rembourserait pas les frais d’éducation. Le simple fait que le courriel de Mme Ploughman a été envoyé après la décision du Tribunal rendue en janvier 2014 relativement à la plainte antérieure concernant l’adoption n’établit pas le lien requis pour une conclusion de représailles. Il est plus probable que l’intimé n’a pas fourni à Mme Bangloy les renseignements sur la façon d’obtenir le remboursement des droits de scolarité de ses enfants parce qu’il estimait que la Cour fédérale s’était déjà prononcée en 1997 sur la question du financement de l’éducation en vertu du Traité n11 et non parce que les plaignants avaient déposé la plainte antérieure ou actuelle en matière de droits de la personne.

[141]  Aucun des éléments de preuve présentés par les plaignants n’appuie une conclusion de représailles. Je ne suis pas convaincue qu’ils ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’une ou l’autre des plaintes en matière de droits de la personne était un facteur qui avait motivé l’intimé à ne pas leur fournir les renseignements demandés. Je conclus par conséquent qu’il n’existe aucune preuve prima facie de représailles à l’égard à cette allégation, et je rejette cet aspect de la plainte.

(ii)  Refuser de rembourser les droits de scolarité versés à des écoles privées par Mme Bangloy pour ses fils en Alberta ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi.

a)  Position des plaignants

[142]  Les plaignants soutiennent que le refus par l’intimé de rembourser les droits de scolarité des enfants versés à des écoles privées équivaut à des représailles pour avoir précédemment déposé une plainte contre l’intimé, ce qui est contraire à l’article 14.1 de la Loi.

b)  Position de l’intimé

[143]  L’intimé affirme que cette question a déjà été tranchée par la Cour fédérale et qu’il n’était nullement tenu de payer les droits de scolarité des enfants dans des écoles privées.

c)  Analyse

[144]  Les deux premiers éléments du critère prima facie sont établis. J’accepte que les plaignants ont fait l’objet d’un traitement défavorable en ne recevant pas le financement qu’ils demandaient à l’intimé au titre de la disposition sur l’éducation du Traité n11.

[145]  Pour établir le troisième élément du critère de la preuve prima facie de représailles, les plaignants doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’une ou l’autre des plaintes en matière de droits de la personne en 2011 et 2015 était un facteur dans la décision de l’intimé de ne pas rembourser les droits de scolarité des enfants.

[146]  L’argument des plaignants concernant les représailles est fondé sur l’allégation que, avant le dépôt de la plainte de 2011, [traduction] « l’intimé remboursait toujours, depuis 1982, tous les droits de scolarité payés par des parents (tenant lieu de “salaire des maîtres d’écoles”) pour chacun des enfants fréquentant une école [65]  ». Les plaignants affirment aussi que, après la publication de la décision Beattie c. AINC en janvier 2014, ils [traduction] « ont […] demandé, mais se sont vu refuser, les biens et services qu’ils avaient reçus précédemment au titre du Traité n11 [66]  ».

[147]  Les plaignants n’ont déposé aucun élément de preuve établissant que l’intimé leur avait déjà remboursé des frais d’éducation au titre de la disposition relative au « salaire des maîtres d’écoles » du Traité n11. Il n’y avait aucune preuve que l’intimé avait déjà financé la scolarité d’enfants dans des écoles privées, en Alberta ou ailleurs, hors de la région visée par le Traité. La preuve présentée par Mme Bangloy établit qu’elle n’avait pas reçu précédemment de l’intimé de l’argent pour que ses enfants fréquentent des écoles privées en Alberta.

[148]  La preuve présentée par les parties établit plutôt que l’intimé a payé une portion des droits de scolarité des enfants de Joyce Beattie – y compris Mme Bangloy – dans des écoles privées de la Colombie-Britannique, quand la famille Beattie vivait dans une réserve de la Colombie-Britannique. L’intimé n’a pas payé la totalité des droits de scolarité, mais seulement le montant prescrit dans l’Entente‑cadre sur les droits de scolarité. La preuve documentaire démontre aussi que, quand la famille Beattie ne vivait pas dans une réserve, elle n’était pas admissible au financement de l’intimé pour l’éducation de ses enfants. L’intimé fournissait, conformément à ses obligations au titre de la Loi sur les Indiens, le financement à la famille Beattie quand celle‑ci vivait dans une réserve en Colombie-Britannique. Le financement ne relevait pas de la disposition sur le « salaire des maîtres d’écoles » du Traité no 11.

[149]  Les plaignants soutiennent également que le financement de l’éducation prévu par le Traité n11 leur a été refusé depuis la décision du Tribunal en 2014 [traduction] « pour l’unique raison qu’ils ne sont membres d’aucune bande ». Cet argument n’appuie en rien leur allégation que le financement de l’éducation au titre du Traité n11 leur a été refusé en raison de leurs plaintes en matière de droits de la personne en 2011 ou en 2015.

[150]  Enfin, dans leurs observations en réplique, les plaignants déclarent que [traduction] « les parties ont une relation conflictuelle depuis 2011 en raison du fait que l’intimé a agi unilatéralement et entièrement à ses propres fins [67]  ». Cela ne signifie pas que chacune des décisions subséquentes que les plaignants contestent équivaut à des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi.

[151]  Je ne suis pas convaincue que les plaintes antérieures ou actuelles en matière de droits de la personne ont eu un rôle dans le refus de payer la scolarité des enfants de Mme Bangloy dans des écoles privées. Mme Bangloy et ses enfants ne vivent pas dans le territoire visé par le Traité n11, et c’est pour cette raison qu’ils ne sont pas admissibles au financement de l’éducation prévu par le Traité no 11. L’intimé estimait que la Cour fédérale avait tranché cette même question dans sa décision de 1997 et je suis d’accord avec lui. L’intimé ne pouvait pas financer la scolarité des enfants dans des écoles privées en Alberta parce que les plaignants n’étaient pas admissibles à recevoir un financement de l’éducation à l’extérieur de la région visée par le Traité. Je reconnais que la Cour fédérale s’est prononcée dans une décision définitive à ce sujet.

[152]  Les plaignants n’ont pas établi selon la prépondérance des probabilités un lien entre le dépôt de l’une ou l’autre des plaintes en matière de droits de la personne et le fait que l’intimé ne leur a pas fourni le financement de l’éducation selon le Traité n11 pour les droits de scolarité des enfants dans des écoles privées hors de la région visée par le Traité. Cela étant, je conclus qu’il n’y avait aucune preuve prima facie de représailles à l’égard de cette allégation; par conséquent, je rejette cet aspect de la plainte.

Représailles se rapportant aux annuités découlant du Traité

(i)  Refuser de verser aux plaignants les annuités découlant du Traité parce qu’ils ne figuraient pas sur la liste d’une bande gérée par l’intimé constitue des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi

a)  Position des plaignants

[153]  Les plaignants affirment que, après la décision définitive du Tribunal dans Beattie c. AINC, [traduction] « les plaignants ont par la suite demandé, mais se sont vu refuser, des biens ou services qu’ils avaient reçu précédemment au titre du Traité n11 ». Les plaignants soutiennent que la conduite qui, selon eux , constitue de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi – exiger qu’ils figurent sur la liste d’une bande visée par le Traité n11 gérée par l’intimé pour être admissibles aux annuités découlant du Traité – constitue aussi des représailles pour avoir auparavant déposé une plainte contre l’intimé.

b)  Position de l’intimé

[154]  L’intimé nie avoir pris des mesures de représailles contre les plaignants en exigeant qu’ils figurent sur une liste de bande pour être admissibles aux annuités. Il affirme plutôt qu’il s’appuyait simplement sur sa politique en matière d’annuités découlant de traités.

[155]  L’intimé déclare que sa décision n’était pas motivée par une intention de nuire aux plaignants parce qu’ils avaient auparavant déposé une plainte, ni qu’on pouvait raisonnablement la percevoir comme une mesure de représailles en réaction à une plainte antérieure.

c)  Analyse

[156]  J’ai déjà conclu que le premier élément du critère de la preuve prima facie de représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi a été établi. Les plaignants ont déposé des plaintes contre l’intimé en 2011 et en 2015.

[157]  Je conviens que le deuxième élément du critère, un traitement défavorable imposé par l’intimé après le dépôt de la plainte de 2015, est aussi établi. J’ai déjà reconnu que les plaignants se sont vu refuser un service, ou ont reçu un traitement défavorable dans la prestation d’un service, lorsque l’intimé a refusé leur demande d’annuités découlant du Traité pendant de nombreuses années, en dépit du fait qu’il savait qu’ils étaient admissibles à l’inscription sur la liste d’une bande visée par le Traité n11. Tant le retard dans la réception de toute correspondance de la part de l’intimé concernant les annuités demandées que le refus de ces annuités jusqu’en novembre 2018 ont eu un effet préjudiciable sur les plaignants.

[158]  Le troisième élément du critère de preuve prima facie de représailles se rapporte à la question de savoir si la plainte en matière de droits de la personne était un facteur ayant joué dans le traitement défavorable. L’intimé soutient que l’exercice de représailles comporte soit [traduction] « une certaine forme d’acte volontaire visant à porter préjudice à la personne qui a déposé une plainte en matière de droits de la personne », soit une perception raisonnable de la part du plaignant que la conduite reprochée à l’intimé constitue des représailles en raison du dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne. Ce sont là deux démarches que le Tribunal a adoptées pour établir s’il y a représailles au sens de la Loi.

[159]  Je n’accepte pas l’interprétation qui exige une conclusion d’« acte volontaire [68]  », car elle nécessite l’examen de la motivation de la personne accusée de représailles. Selon cette interprétation, le plaignant doit prouver que l’intimé avait l’intention d’exercer des représailles contre lui [69] . Le fait d’exiger la preuve d’une intention pour établir qu’il y a eu représailles irait à l’encontre du principe établi que la Loi est de nature réparatrice et non punitive et qu’il n’est donc pas nécessaire de prendre en compte la motivation ou l’intention des auteurs de la discrimination lorsqu’il s’agit de déterminer si un intimé a exercé des représailles au sens de la Loi.

[160]  J’adhère à ce que le Tribunal appelle souvent l’interprétation Wong [70] , selon laquelle il suffit que le plaignant ait une perception raisonnable que la conduite reprochée est en représailles au dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne [71] . Selon cette interprétation, « il faut déterminer dans quelle mesure la perception du plaignant est raisonnable. Les intimés ne devraient pas être tenus responsables de l’angoisse ou des réactions exagérées des plaignants [72]  ».

[161]  Les plaignants et l’intimé ont une longue histoire, les plaignants ayant déposé plusieurs plaintes en matière de droits de la personne et intenté des actions en justice contre l’intimé au fil des ans. Dans Bressette, le Tribunal fait remarquer que, dans un tel contexte, il peut être difficile de discerner si certains incidents se sont tout simplement produits en raison du conflit persistant, s’ils sont liés à la plainte en matière de droits de la personne [73] . Dans son analyse d’une telle situation, le membre instructeur dans Bressette a commencé par déterminer s’il était prêt à accepter de prime abord que la plainte en matière de droits de la personne avait été au moins un des facteurs à l’origine du traitement défavorable subi par le plaignant. Cela étant confirmé, c’est alors à l’intimé qu’est revenu le fardeau de fournir une explication plausible justifiant le traitement.

[162]  En mars 2014, soit deux mois après que le Tribunal eut publié sa décision concernant la plainte en matière d’adoption, les plaignants ont présenté leurs demandes d’annuités pour 2014 ainsi que les annuités des enfants à partir de leur naissance. En juillet 2014, Mme Ploughman du Bureau région des T.N.-O. a informé les plaignants qu’ils ne pouvaient pas recevoir les annuités parce qu’ils n’étaient pas inscrits sur une liste de bande.

[163]  Il n’est pas raisonnable, à mon avis, de croire que la réponse de Mme Ploughman de juillet 2014 à la demande des annuités était une mesure de représailles pour la plainte en matière d’adoption de 2011. Il semble raisonnable que Mme Ploughman suivait simplement la politique ou la pratique de l’intimé exigeant l’affiliation à une bande, comme par le passé, lorsque les plaignants étaient membres de la bande de Fort Good Hope.

[164]  En novembre 2014, Mme Ploughman a envoyé aux plaignants un courriel leur disant que leurs demandes d’annuités étaient en cours de révision. Les plaignants ont déposé la présente plainte en matière de droits de la personne peu après, en janvier 2015. La plainte a été traitée par la Commission, puis instruite par le Tribunal. Durant toute cette période, l’intimé n’a pas communiqué avec les plaignants au sujet de leur demande d’annuités.

[165]  Lorsque les plaignants ont présenté une autre demande d’annuités en août 2017, Mme Ploughman a écrit à Sean Sullivan pour lui dire qu’elle était d’avis qu’il faudrait répondre aux plaignants, ce qui n’avait manifestement pas été fait pendant de nombreuses années (depuis son courriel de novembre 2014 leur disant que leurs demandes étaient en cours de révision). Elle avait raison de dire que le manque de réponse ne présentait pas l’intimé sous un jour favorable. Pourtant, l’intimé n’a tout de même pas communiqué avec les plaignants au sujet de cette question.

[166]  L’intimé soutient qu’il n’a pas versé aux plaignants les annuités de 2014 à 2018, parce qu’il s’appuyait sur sa politique en matière d’annuités découlant du Traité. Il aurait procédé de cette façon jusqu’à ce qu’il évalue les demandes des plaignants et détermine que leur situation est similaire aux exceptions prévues dans le chapitre 4 de son manuel de politique sur les traités. Les plaignants en ont été informés  par l’avocat de l’intimé le 29 novembre 2018, soit quatre jours avant le début prévu de l’audience.

[167]  L’intimé n’a présenté au Tribunal aucune preuve se rapportant à son changement de position. Je n’ai pas reçu de copie de la politique sur les annuités découlant de traités, mais seulement un manuel sur la politique de paiements des annuités découlant de traités daté de 2017. Il est difficile de savoir s’il s’agit du manuel de la politique sur lequel l’intimé s’est appuyé pour refuser aux plaignants des annuités de 2014 à 2018. Cependant, le manuel de politique de 2017 dit explicitement que l’intimé peut exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il exerce ses responsabilités et obligations se rapportant à l’administration des paiements d’annuités.

[168]  Selon le chapitre 2 du manuel de 2017, [traduction] « En général, les annuités découlant de traités sont versées à toute personne qui est un Indien inscrit et membre d’une bande visée par un traité (ou en serait membre si AANC gérait toujours la liste des membres de cette bande) [74]  ». Il est précisé dans le manuel qu’un certain nombre d’exceptions s’appliquent à cette règle, quoique celles-ci sont présentées au chapitre 2, et non au chapitre 4 de ce manuel sur la politique. Aussi, selon le manuel, [traduction] « Les Indiens admissibles ont le droit de recevoir les annuités découlant de traités à compter de l’année de leur inscription ou de la date de leur demande d’inscription ou de réinscription. »

[169]  Je n’ai pas reçu suffisamment d’éléments de preuve quant à ce que l’intimé faisait au sujet des demandes d’annuités des plaignants durant la période de janvier 2015 à novembre 2018, ou quant au moment où il a décidé de revoir ces demandes pour déterminer s’il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances.

[170]  Je souligne que M. Sullivan devait être le témoin de l’intimé à l’audience au sujet de cette plainte pour [traduction] « expliquer comment l’intimé gère les annuités découlant de traités en fonction de l’affiliation à une bande en général, et comment les demandes des plaignants ont été traitées dans le cas présent [75]  ». L’intimé a déclaré que, [traduction] « comme une quantité suffisante de preuves a été présentée sur la façon dont la demande des plaignants a été traitée », et étant donné qu’il n’y a plus de différend entre les parties concernant la question des annuités découlant du Traité, [traduction] « le témoignage de M. Sullivan n’était plus nécessaire puisqu’il n’était plus en possession d’éléments de preuve clés à présenter [76]  ».

[171]  L’intimé a fait valoir que la question des annuités était devenue théorique après sa lettre du 29 novembre 2018 annonçant qu’il verserait dorénavant aux plaignants leurs annuités. À l’audience, il a déclaré qu’il ne soulevait pas une question préliminaire concernant le caractère théorique, mais demandait au Tribunal de se prononcer sur cette question dans sa décision définitive. L’intimé a pris le risque de ne pas présenter de preuve se rapportant à sa décision quant aux annuités des plaignants, sachant que le Tribunal pouvait conclure que la question n’était pas théorique.

[172]  Je ne suis pas d’accord avec l’intimé pour dire qu’il y a suffisamment de preuves au dossier sur la façon dont la demande des plaignants a été traitée. En fait, il y a très peu de preuves au dossier à ce sujet. Tout ce dont dispose le Tribunal comme preuve documentaire se limite au manuel de politique de paiement des annuités découlant du Traité de 2017, qui a été présenté sans explications ni contexte. Si ce document indique que l’intimé a le pouvoir discrétionnaire de payer des annuités découlant de traités à des personnes qui ne figurent pas sur la liste d’une bande, il n’explique nullement quand ni pourquoi la décision a été prise de payer les plaignants juste avant l’audience. C’est le genre d’éléments de preuve que M. Sullivan aurait pu fournir.

[173]  Je dois déterminer, en fonction de l’ensemble des preuves présentées par les parties, s’il est plus probable qu’improbable que des représailles aient été exercées. Il ne m’a pas été présenté suffisamment de preuves pour éliminer la conclusion que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne de 2015 contre l’intimé était au moins un des facteurs influençant son refus de payer les annuités aux plaignants jusqu’en 2018.

[174]  Dans cette affaire, je conclus que les plaignants ont établi une preuve prima facie de représailles exercées par l’intimé, car ce dernier a tardé à évaluer individuellement leurs demandes et à les informer du fait qu’ils seraient admissibles à recevoir les annuités, même s’ils ne faisaient pas partie d’une liste de bande, jusqu’à la veille de l’audience. Plus précisément, je conclus que la perception des plaignants selon laquelle ils ont fait l’objet de représailles de la part de l’intimé pour avoir déposé une autre plainte encore en matière de droits de la personne est raisonnable.

[175]  Je conviens qu’il existe probablement des facteurs autres que la plainte en matière de droits de la personne de 2015 qui ont influencé la décision de l’intimé de ne pas payer aux plaignants les annuités découlant du Traité jusqu’à la veille de l’audience. Cependant, j’estime que l’intimé n’a pas présenté une explication plausible concernant la façon dont il a traité les plaignants. Il n’a pas établi que le fait qu’il a adhéré rigoureusement à sa politique sur l’exigence de la liste de bande jusqu’à la veille de l’audience ne constituait pas des représailles.

[176]  Je trouve raisonnable la perception des plaignants qu’ils ont fait l’objet de représailles notamment parce qu’ils avaient déposé une plainte en matière de droits de la personne en janvier 2015. L’intimé n’a pas présenté suffisamment de preuves pour réfuter l’allégation de représailles prima facie, ni établi une défense contre cette allégation. Cela dit, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que des représailles ont été exercées.

(ii)  Refuser de payer les annuités des enfants rétroactivement à compter de la date de leur naissance ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi

[177]  Les plaignants allèguent aussi des menaces de représailles contre les enfants à cause de la lettre du 18 décembre 2018 dans laquelle l’intimé déclare que les enfants ne recevraient rétroactivement les annuités découlant du Traité qu’à compter de 2014, et non à compter des dates respectives de leur naissance, comme l’ont demandé les plaignants.

[178]  Je n’accepte pas la théorie avançant que la lettre du 18 décembre 2018 constitue des représailles ou une menace de représailles de la part de l’intimé.

[179]  L’intimé n’a pas changé de position concernant la date à laquelle les enfants seraient admissibles aux annuités depuis la demande initiale des plaignants voulant que les enfants reçoivent rétroactivement les annuités à compter de la date de leur naissance. L’intimé a toujours soutenu que les enfants n’étaient pas admissibles aux annuités découlant du Traité tant qu’ils ne deviendraient pas valides à l’inscription au titre de la Loi sur les Indiens en 2011 à la suite de l’entrée en vigueur de la LESIRI.

[180]  En fait, Mme Beattie avait demandé les annuités des enfants à titre de réparation lors de l’instance précédente concernant la plainte en matière d’adoption. Dans sa décision de 2014, le membre instructeur Lustig a refusé d’accorder une telle réparation parce qu’elle ne s’inscrivait pas dans le cadre des questions en litige de cette audience. Il a toutefois déclaré dans la décision que les enfants n’étaient pas admissibles à recevoir les avantages prévus par le Traité, y compris les annuités, avant qu’ils ne soient admissibles à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens en 2011 [77] .

[181]  Je ne considère pas comme étant raisonnable la perception des plaignants selon laquelle ces avantages leur ont été refusés en représailles pour avoir déposé une plainte en matière de droits de la personne. Je suis d’avis que ni la plainte en matière d’adoption de 2011 ni la plainte de 2015 n’étaient un facteur dans le refus par l’intimé de payer les annuités des enfants rétroactivement à compter de l’année de leur naissance respective. Étant donné que les plaignants n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, une preuve de représailles discriminatoires, je rejette cet aspect de la plainte.

(iii)  Refuser d’inscrire le nom des plaignants sur la liste des Loucheux n6 ne constitue pas des représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi

[182]  Enfin, les plaignants ont formulé une allégation concernant leur demande d’être ajoutés à la liste [traduction] « de la bande des Loucheux no 6 visée par le Traité historique n11 », dans leur plainte en matière de droits de la personne de janvier 2015. Il s’agit de la bande dont les parents adoptifs de Mme Beattie étaient membres au moment de son adoption. L’intimé a refusé cette demande, parce que la bande des Loucheux a changé son nom et s’appelle maintenant la bande Gwichya Gwich’in. Il n’existe donc actuellement aucune liste pour la bande des Loucheux à laquelle leurs noms pourraient être ajoutés.

[183]  Les plaignants soutiennent que le Tribunal, dans sa décision de janvier 2014 concernant la plainte en matière d’adoption, leur a reconnu le droit d’être ajoutés à la liste de la bande des Loucheux n6. À leur avis, en refusant de le faire, l’intimé exerce des représailles contre eux en lien avec la plainte en matière d’adoption.

[184]  Manifestement, les plaignants ont mal interprété la décision du Tribunal de 2014. Le membre instructeur Lustig a précisé que l’intimé avait reconnu, à la date de l’audience visant cette plainte, le droit de Mme Beattie d’être ajoutée à la liste de la bande de ses parents d’adoption selon la coutume autochtone [78] . Cependant, au paragraphe 43, le Tribunal déclare également que, « [s]’ils le souhaitent, la plaignante et ses descendants peuvent demander à ce que leurs noms soient ajoutés à la liste de la bande Gwichya Gwich’in. La plaignante a confirmé qu’elle ne le souhaite plus ». De toute évidence, en parlant de la bande de ses parents d’adoption selon la coutume autochtone, le Tribunal voulait parler de la bande Gwichya Gwich’in, ce dernier nom étant le nom contemporain de la bande des Loucheux n6.

[185]  L’ajout du nom des plaignants à une liste de bande qui n’existe plus ne constitue pas un « service » offert par l’intimé au sens de l’article 5 de la Loi. Refuser d’ajouter le nom des plaignants à une liste non existante n’est pas une mesure de représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi.

[186]  Étant donné que je conclus que refuser d’ajouter le nom des plaignants à la liste de la bande des Loucheux n6 ne constitue ni discrimination ni représailles au sens de la Loi, je rejette cet aspect de la plainte.

Représailles au sens de l’article 14.1 : conclusion

[187]  Je considère que le retard inexpliqué, de janvier 2015 à novembre 2018, de la réponse aux plaignants concernant leur demande d’annuités, et l’omission de leur verser leurs annuités durant cette période quand cela aurait été manifestement possible au titre d’une exception à la politique de l’intimé, constituent des représailles contre les plaignants pour le dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne, contrairement à l’article 14.1 de la Loi.

V.  ORDONNANCES

[188]  Ayant conclu que l’intimé a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 14.1 de la Loi, je peux rendre une ordonnance conformément au paragraphe 53(2) de la Loi. Une ordonnance de réparation au titre de cette disposition n’a pas pour objet de punir l’intimé, mais plutôt d’éliminer, dans la mesure du possible, l’effet discriminatoire de cet acte [79] . Il faut pour cela que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de réparation raisonnablement, en obéissant à des principes et en tenant compte du lien de causalité entre l’acte discriminatoire et la perte alléguée, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et de la preuve présentée [80] .

[189]  Selon les plaignants, les principales réparations qu’ils demandent sont [traduction] « une indemnisation à l’égard du traitement défavorable passé et le respect des conditions des traités à l’avenir ». Ils demandent une ordonnance exigeant de l’intimé qu’il les consulte et se réconcilie avec eux, conformément aux alinéas 53(2)a) et b) de la Loi. Ils demandent également le paiement de toutes les annuités découlant du Traité qui leur sont dues conformément à l’alinéa 53d), une indemnité pour préjudice moral au titre de l’alinéa 53d) et une indemnité spéciale au titre du paragraphe 53(3).

1.  Ordonnance de consultation et de réconciliation

[190]  Les plaignants demandent ce qu’ils qualifient de [traduction] « réparation préventive » conformément aux alinéas 53(2)a) et b) de la Loi. Ces dispositions de la Loi confèrent au Tribunal le pouvoir d’ordonner aux intimés :

  • a) […] de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables;

  • b) […] d’accorder à la victime […] les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

[191]  Conformément à ces dispositions, les plaignants demandent une ordonnance exigeant de l’intimé [traduction] « une consultation sincère auprès des plaignants et une réconciliation avec ceux-ci, si possible, en ce qui concerne leurs droits aux annuités et à l’éducation prévus par le Traité n11, afin de prévenir des actes semblables, comme l’exige la Loi ».

[192]  La présente plainte porte sur l’atteinte aux droits de la personne conférés par la Loi, et non sur l’atteinte à des droits constitutionnels. J’ai conclu que l’intimé avait exercé des représailles contre les plaignants au sens de l’article 14.1 de la Loi en refusant de leur verser leurs annuités découlant du Traité et en ne communiquant pas avec eux au sujet de leurs annuités entre le moment du dépôt de leur plainte en janvier 2015 et novembre 2018. L’ordonnance demandée par les plaignants ne s’inscrit pas dans la portée des conclusions du Tribunal à l’égard de ce qui constitue l’acte discriminatoire visé dans la présente affaire.

2.  Ordonnance de paiement des annuités découlant du Traité qui sont dues

[193]  Au titre de l’alinéa 53(2)d), les plaignants demandent le paiement intégral de leurs annuités découlant du Traité et des frais d’éducation des enfants dans des écoles privées en Alberta.

[194]  En ce qui concerne les annuités découlant du Traité, l’intimé a convenu avant l’audience de verser rétroactivement les annuités dues aux plaignants à compter de 2014, sans exiger qu’ils soient membres d’une bande visée par le Traité n11. Il a aussi convenu de continuer à leur verser ces annuités. Il n’y a donc pas lieu de rendre une ordonnance à ce sujet.

[195]  Comme j’ai rejeté la plainte concernant le financement de l’éducation, aucune réparation ne peut être ordonnée. Il en va de même pour la plainte concernant les annuités des enfants, de leur naissance à 2011.

3.  Indemnité pour préjudice moral

[196]  L’alinéa 53(2)e) de la Loi confère au Tribunal le pouvoir « d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral ».

[197]  Les plaignants font remarquer que l’intimé propose dans sa lettre du 29 novembre 2018 de payer 5 000 $ pour [traduction] « tout dérangement ou toute difficulté » que les plaignants pourraient avoir subis en raison du retard dans le traitement de leurs annuités au titre du Traité n11. Les plaignants précisent dans leurs observations finales que ce montant [traduction] « semble être une indemnité au titre de l’alinéa 53(2)e) » en ce qui concerne la question des annuités découlant du Traité [81] . Ils affirment qu’ils ne s’opposent pas à ce montant dans la mesure où il est versé à chacun des quatre plaignants et n’est pas retranché d’une autre réparation.

[198]  L’intimé a précisé clairement avant l’audience que le montant de 5 000 $ n’était pas offert comme règlement de la plainte et n’est donc assujetti à aucune forme de privilège. À l’audience, l’avocat a déclaré que l’intimé avait reconnu que les plaignants étaient admissibles aux annuités découlant du Traité et qu’il offrait une réparation de 5 000 $ à cet égard. Il a précisé que, selon l’intimé, un montant de 5 000 $ est comparable aux sommes accordées antérieurement dans des circonstances semblables. Je déduis de ses observations que l’intimé avait l’intention d’offrir 5 000 $ comme indemnité pour le préjudice moral.

[199]  Dans ses observations finales, l’intimé ne réfute pas l’opinion des plaignants selon laquelle la somme de 5 000 $ est une indemnité pour le préjudice moral. Malgré le fait qu’il répond aux arguments des plaignants en matière de réparations au titre d’autres dispositions de la Loi, il ne présente aucune position dans ses observations finales concernant la demande de dommages‑intérêts présentée par les plaignants pour le préjudice moral subi.

[200]  Selon la jurisprudence du Tribunal en ce qui concerne les dommages‑intérêts pour un préjudice moral, il doit absolument y avoir une preuve qu’un plaignant a subi un préjudice moral et il doit y avoir un lien entre l’acte discriminatoire et le préjudice moral subi. Une telle preuve est généralement établie par le témoignage d’un plaignant. Par exemple, dans Kamalatisit c. Première Nation de Sandy Lake [82] , affaire récente dans laquelle le Tribunal a octroyé le montant maximal autorisé de 20 000 $ pour le préjudice moral subi, le Tribunal a entendu la plaignante et a conclu qu’elle « s’est sentie menacée, intimidée, bouleversée, déçue, craintive, paniquée et malade » à cause du traitement que lui a infligé l’intimé. La plaignante a été forcée de quitter son logis, sa famille, sa collectivité et son emploi pour finir dans un refuge pour femmes.

[201]  Dans la présente affaire, les plaignants ont présenté très peu de preuves concernant le préjudice moral que leur a causé le retard qui, selon ce que j’ai conclu, constituait des représailles discriminatoires. Mme Bangloy a qualifié [traduction] « inutiles » ses efforts répétés en vue d’obtenir des renseignements de l’intimé au sujet de ses annuités et de celles de ses enfants. Elle a aussi déclaré : [traduction] « Je n’ai reçu aucune explication, je n’ai pas été consultée […] il n’y a eu aucune réconciliation au regard de mes droits au titre du Traité n11 ». Les plaignants ont déclaré dans leurs observations que la conduite reprochée avait eu [traduction] « un effet néfaste et dévalorisant sur la dignité humaine » et ont déclaré « qu’aucune personne raisonnable ne pourrait souhaiter vivre dans le passé, entravée par des préjudices archaïques ».

[202]  Je conçois, d’après l’ensemble de la preuve, que le silence de l’intimé face à leur demande d’annuités a causé à Mme Beattie et à Mme Bangloy de la frustration. Leur degré de frustration est aussi évident d’après leurs communications écrites avec l’intimé. Je conviens également que la frustration des plaignants face au retard dans la prestation de leurs annuités pourrait être qualifiée de préjudice moral, quoique très faible, d’après la preuve présentée.

[203]  Bien que l’annuité elle‑même soit, objectivement, un tout petit montant, 5 $ par année par personne, je reconnais que les annuités découlant du Traité représentent la promesse que le gouvernement a faite aux peuples autochtones de la région visée par le Traité et à leurs descendants de respecter, de bonne foi, les conditions du Traité. Comme l’a déclaré la juge Hennessy de la Cour de justice de l’Ontario dans Restoule c. Canada (Attorney General), le principe de l’honneur de la Couronne [traduction] « commande l’obligation pour la Couronne d’agir honorablement dans tous ses rapports avec les bénéficiaires » des traités que le Canada a conclus avec les peuples autochtones [83] .

[204]  Dans la présente affaire, l’intimé a finalement accepté de payer les annuités aux plaignants. La période durant laquelle ces annuités ont été retardées – retard qui constitue les représailles discriminatoires – va de janvier 2015 à novembre 2018.

[205]  Aucune preuve ne m’a été présentée concernant l’effet des représailles sur les enfants, ou même s’ils sont conscients de la question. Je refuse d’accorder des dommages‑intérêts pour préjudice moral aux enfants.

[206]  Je reconnais que, pour Mme Beattie et Mme Bangloy, le fait que l’intimé ait refusé de leur verser le montant de 5 $ par année auquel elles avaient droit en tant que descendantes des signataires initiaux du Traité n11 était un affront à leur dignité qui constitue un préjudice moral et qui, à mon avis, mérite une indemnité de 500 $ chacune. Bien que je reconnaisse que c’est un montant très faible de dommages‑intérêts, il fait état du peu de preuves présentées par les plaignantes à l’appui de leur demande concernant ces dommages‑intérêts.

4.  Indemnité spéciale

[207]  Au titre du paragraphe 53(3) de la Loi, les plaignants demandent des dommages-intérêts pour cause de discrimination délibérée ou inconsidérée. Le montant maximal pouvant être octroyé à chaque plaignant au titre de cette disposition s’élève à 20 000 $. Les plaignants soutiennent qu’un tel montant de dommages-intérêts devrait couvrir neuf années, y compris une période visée par leur plainte précédente. Ils déclarent que l’intimé a délibérément et inconsidérément fait fi des droits autochtones garantis par la loi et les traités et que [traduction] « l’honneur de la Couronne exige par conséquent que les victimes autochtones réclament l’indemnité maximale pour chacun des plaignants victime des représailles délibérées et inconsidérées de la part de l’intimé ».

[208]  L’intimé affirme que l’indemnité au titre du paragraphe 53(3) ne devrait être octroyée que dans des circonstances extraordinaires et que les cours ont conclu qu’une telle indemnité ne peut être octroyée que si la conduite de l’intimé peut être qualifiée d’intentionnellement discriminatoire ou dénuée de prudence. Il soutient que ses actes ne sauraient être décrits ainsi et que rien ne prouve que l’intimé [traduction] « avait l’intention et peut-être la volonté de faire preuve de discrimination » à l’endroit des plaignants.

[209]  L’intention n’est manifestement pas le seul critère que le Tribunal peut prendre en compte dans sa décision d’octroyer une indemnité spéciale. Si le Tribunal conclut que l’intimé « voulait exercer des mesures de représailles contre le plaignant ou qu’il a agi sans se soucier des conséquences » de ses actes, il peut octroyer des dommages-intérêts au titre du paragraphe 53(3) [84] . Dans Canada (Procureur général) c. Johnstone [85] , au paragraphe 155, la Cour fédérale déclare ce qui suit en ce qui concerne le paragraphe 53(3) :

Il s’agit d’une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels. On entend par « acte inconsidéré » celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

[210]  Afin de fixer le montant approprié en vertu de cette disposition, le Tribunal se penche sur le comportement de l’intimé et non sur l’effet qu’a eu son comportement sur les plaignants [86] .

[211]  Quant aux dommages‑intérêts pour préjudice moral, le Tribunal tend à réserver aux cas les plus graves l’octroi du montant maximal de 20 000 $ prévu par cette disposition. L’article 14.1 de la Loi vise à décourager tout comportement qui aurait des conséquences défavorables sur un plaignant qui a déposé une plainte en matière de droits de la personne. Plus les actes de l’intimé sont graves, plus l’indemnité doit être élevée.

[212]  Étant donné que la période visée par la plainte en matière d’adoption a déjà été prise en compte dans une décision antérieure du Tribunal et qu’une indemnité a été octroyée, je ne peux indemniser les plaignants de nouveau pour la même période. De toute manière, j’ai conclu que la période où les représailles discriminatoires ont eu lieu va du moment où la plainte a été déposée en 2015 jusqu’en novembre 2018.

[213]  Je ne suis pas convaincue, d’après la preuve et les circonstances de l’affaire, que l’intimé avait l’intention de prendre des mesures de représailles contre les plaignants durant cette période. Cependant, je suis d’avis qu’il a agi de façon inconsidérée, à savoir que sa conduite démontrait un manque de considération ou une indifférence à l’égard des conséquences de ses actes, ou que son inaction en l’occurrence le faisait. Là encore, les annuités représentent une promesse faite par le gouvernement aux personnes qui ont signé le Traité et à leurs descendants. Il est crucial, pour que cette promesse soit respectée, que tous les bénéficiaires du Traité reçoivent en temps opportun les avantages auxquels ils ont droit.

[214]  C’est la deuxième fois que l’intimé s’est comporté ainsi envers les plaignants dans une affaire dont est saisi le Tribunal. Avant la dernière audience, l’intimé a cédé sur la question principale de l’affaire, puis a déclaré qu’elle était devenue théorique. Tout comme dans la présente affaire, le Tribunal n’a pas été d’accord. Dans cette affaire, le Tribunal a entendu la preuve de l’intimé concernant la conduite qui a mené à l’acte discriminatoire et a par la suite octroyé une indemnité spéciale de 5 000 $. Cette fois‑ci, l’intimé a choisi de ne pas appeler le témoin qu’il avait cité en raison de son opinion selon laquelle la question était devenue théorique.

[215]  Afin de déterminer le montant approprié de l’indemnité spéciale à ordonner pour les représailles inconsidérées de l’intimé dans cette affaire, je dois examiner la gravité et la nature de l’acte discriminatoire.

[216]  Pendant près de quatre ans, l’intimé a déclaré qu’il s’appuyait sur une politique empêchant les plaignants de recevoir leur montant de 5 $ par année. Juste avant l’audition de la présente plainte, l’intimé a réussi à trouver un moyen de leur verser cet argent qui s’élevait à 5 $ pour chacune des années 2014, 2015, 2016, 2017 et, à la date de la lettre, en 2018. Cela représente 25 $ par plaignant, soit 100 $ en tout. Il est difficile de comprendre comment, pour 100 $, cette affaire a traîné jusqu’à la veille d’une audience organisée à grands frais pour toutes les parties.

[217]  Les paroles de la Cour fédérale dans la décision Johnstone semblent bien s’appliquer à la présente situation et méritent d’être répétées : « On entend par “acte inconsidéré” celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante. » Selon le Blacks Law Dictionary, [traduction] « insouciant » signifie [traduction] « qui ne se préoccupe pas des droits ou de la sécurité des autres. Irréfléchi, indifférent. » Le traitement infligé aux plaignants par l’intimé dans cette affaire semble assurément être insouciant et irréfléchi. Le fait que l’intimé ait offert de verser aux plaignants 5 000 $ pour [traduction] « tout dérangement et toute difficulté » concernant la question des annuités découlant du Traité me convainc encore plus qu’il a agi en sachant pertinemment qu’il ne les traitait pas équitablement.

[218]  Toutefois, dans mon évaluation de la gravité de l’acte discriminatoire, je dois garder à l’esprit que ce que j’ai jugé être une mesure de représailles discriminatoire ne se rapportait qu’à 5 $ par année. Je précise aussi que je n’ai pas conclu que le refus par l’intimé de verser aux plaignants les annuités pendant cette période correspondait à de la discrimination au sens de l’article 5 de la Loi, tandis que dans Beattie c. AINC, le Tribunal a effectivement jugé la conduite de l’intimé contraire à l’article 5. La distinction est pertinente, car la conduite inconsidérée de l’intimé dans cette affaire n’était pas motivée par l’identité des plaignants – soit leur race ou leur origine nationale ou ethnique –, mais se rapportait plutôt, du moins en partie, au fait qu’ils avaient déposé une autre plainte en matière de droits de la personne.

[219]  Je reconnais que, selon la Loi, les représailles au sens de l’article 14.1 sont un acte discriminatoire, tout comme une violation de l’article 5. Conclure qu’il y a eu contravention de l’article 14.1 souligne l’importance du droit de pouvoir déposer une plainte en matière de droits de la personne sans craindre des représailles. Toutefois, il ne s’agit pas ici de l’un des cas les plus graves de représailles discriminatoires que le Tribunal a entendus, ni d’une conduite de l’intimé qui soit grave au point de justifier l’octroi d’une indemnité spéciale se situant dans la partie supérieure de la fourchette.

[220]  Je suis d’accord avec les plaignants pour dire que chacun d’entre eux mérite de recevoir des dommages-intérêts spéciaux, puisque la conduite de l’intimé s’appliquait également à tous. J’octroie à chacun des quatre plaignants la somme de 1 500 $.

5.  Intérêts

[221]  Les plaignants demandent également des intérêts au titre du paragraphe 53(4) de la Loi sur tout montant octroyé qui n’est pas payé dans les 30 jours suivant la date de la décision. L’intimé demande que, si des intérêts sont ordonnés, que lui soient accordés trois mois plutôt que 30 jours de grâce, compte tenu de la complexité du traitement par l’administration gouvernementale d’une ordonnance de paiement.

[222]  J’ordonne à l’intimé de payer les montants qui sont dus aux plaignants dans les trois mois suivant la date de la présente décision.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 1er novembre 2019


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2229/5117

Intitulé de la cause : Joyce Beattie et Nikota Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada

Date de la décision du tribunal : Le 1er novembre 2019

Date et lieu de l’audience : Du 5 au 7 décembre 2018

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Bruce Beattie, pour les plaignants

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Nicholas Claridge et Amy Zhao, pour l'intimé

 



[1] Pièce A‑1, recueil conjoint de documents, volume 1, onglet 41 : Rapport du commissaire sur le traité n11.

[2] Ibid., onglet 41 : Traité n11.

[3] Beattie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2002 CAF 105, par. 2.

[4] Voir Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2014 TCDP 1 [Beattie c. AINC]

[5] Pièce A‑2, recueil conjoint de documents, volume 2, onglet 138.

[6] Ibid., onglet 141.

[7] Ibid., onglet 143.

[8] Ibid., onglet 152.

[9] Depuis le dépôt de la plainte, Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) a été scindé en deux ministères : Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada.

[10] Supra, note 1, onglet 4.

[11] Ibid., onglet 5

[12] Ibid., onglet 6

[13] Ibid., onglet 18

[14] Ibid., onglet 23

[15] Beattie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] 1 C.F. 104, 1997 CanLII 6343 (CF)

[16] Pièce A‑3 : Recueil conjoint de documents, volume 3, onglet 209.

[17] Supra, note 1, onglet 1.

[18] 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342, par. 15.

[19] Ibid.

[20] Ibid., par. 6.

[21] 2002 BCSC 1774; la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé la décision en appel dans Collins c. Abrams et al., 2004 BCCA 96 (CanLII).

[22] Supra, note 4, par. 90.

[23] [1998] 1 C.F. 104, 1997 CanLII 6343 (CF) [Beattie c. MAINC].

[24] Ibid., par. 42.

[25] 2017 TCDP 23 [Todd], par. 36.

[26] [2011] 3 R.C.S. 422, 2011 CSC 52 (CanLII), [Figliola], par. 34.

[27] Ibid.

[28] Angle c. Ministre du Revenu National, 1974 CanLII 168 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 248, p. 254; Figliola, supra, note 26, par. 27.

[29] Toronto (Ville) c. S.C.F.P. section locale 79, 2003 CSC 63 [Toronto (Ville)], par. 37.

[30] Figliola, supra, note 26, par. 38.

[31] 2013 CSC 19 [Penner], par. 30.

[32] Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CF 139, par. 46; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 [Danyluk], par. 33.

[33] Penner, supra, note 31, par. 39.

[34] Ibid., par. 42.

[35] Todd, supra, note 25, par.53; Danyluk, supra, note 32, par. 68‑80.

[36] Toronto (Ville), supra, note 29, par. 2.

[37] Todd, supra, note 25, par. 67.

[38] Toronto (Ville), supra, note 29, par. 37.

[39] Voir, par exemple, Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 [O’Malley], Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), [2012] 3 R.C.S. 360, 2012 CSC 61 [Moore], Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), [2015] 2 R.C.S. 789, 2015 CSC 39 [Bombardier], Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591, 2017 CSC 30 [Elk Valley].

[40] Moore, ibid., par. 33; Elk Valley, ibid., par. 24; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, [SSEFPNC], par. 22.

[41] SSEFPNC, ibid., par. 24.

[42] Ibid., par. 40.

[43] Moffat c. Davey Cartage Co.(1973) Ltd., 2015 TCDP 5 (CanLII) [Moffat], par. 38.

[44] Elk Valley, supra, note 39, par. 24; Bombardier, supra, note 39, par. 40.

[45] Voir Tanner c. Première Nation Gambler, 2015 TCDP 19, par. 31 et 37.

[46] Jason Watkin c. Procureur général du Canada, 2008 CAF 170, par. 31‑32.

[47] Argument écrit de l’intimé daté du 11 février 2019, par. 115.

[48] Supra, note 16, onglet 184.

[49] SSEFPNC, supra, note 40, par. 30.

[50] Ibid., par. 31.

[51] Ibid.

[52] Position des plaignantes dans leurs observations finales écrites en date du 7 janvier 2019, par. 11.

[53] Supra, note 4, par. 96.

[54] Pièce A‑4, exposé conjoint des faits, par. 12 et supra, note 5, onglet 135.

[55] Ibid.

[56] Supra, note 4, par. 43

[57] Gainer c. Canada (Exportation et Développement Canada), 2006 CF 814, par. 36; Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894 [« Tabor »], par. 60.

[58] Tabor, ibid., par. 62; voir aussi Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14, par. 5.

[59] Dixon c. La Première Nation de Sandy Lake, 2018 TCDP 18 [Dixon], par. 22, citant le critère de la discrimination prima facie établi dans Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33.

[60] Dixon, ibid., par. 23‑24 et 26.

[61] Dixon, ibid., par. 25; Tabor, supra, note 57, par. 64.

[62] Dixon, ibid., par. 28.

[63] Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, Toronto, Carswell, 1987, p. 142.

[64] Beattie c. AINC, supra, note 4.

[65] Observations écrites des plaignantes, supra, note 52, par. 22.

[66] Ibid., par. 6.

[67] Réplique des plaignants en date du 25 février 2019, par. 24.

[68] Suivie dans Virk c. Bell Canada, 2005 TCDP 2.

[69] Voir, par exemple, Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29.

[70] Wong c. Banque Royale du Canada, 2001 CanLII 8499 (TCDP).

[71] Voir également Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 TCDP 40 [« Bressette »].

[72] Warman c. Winnicki, 2006 TCDP 20, par. 115.

[73] Supra, note 71, par. 52.

[74] Supra, note 16, onglet 183.

[75] Supra, note 47, par. 53.

[76] Ibid.

[77] Beattie c. AINC, supra, note 4, par. 98.

[78] Ibid., par. 109(ii).

[79] Voir Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), par. 13.

[80] Voir Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268 (CanLII), par. 37; Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, par. 50.

[81] Supra, note 52, par. 23.

[82] 2019 TCDP 20.

[83] 2018 ONSC 7701, par. 481.

[84] Voir Warman c. Winnicki, supra, note 72, par. 174.

[86] Warman c. Winnicki, supra, note 72, par. 178 et 180.

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