Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 46

Date : le 5 novembre 2019

Numéro du dossier : T2276/3118

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Michael Eric Desson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Alex G. Pannu

 


I.  Requêtes en divulgation

A.  Le contexte

[1]  Le plaignant et l’intimée ont tous deux déposé des avis de requête en vertu des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Chacune des parties demande à l’autre la divulgation d’autres documents.

[2]  Le plaignant demande la divulgation de ce qui suit :

  1. La totalité des documents expliquant comment les heures supplémentaires sont attribuées/approuvées à la GRC;
  2. Une liste de toutes les heures supplémentaires travaillées par chacun des membres ayant le grade de gendarme, et par les gendarmes assumant par intérim les fonctions de caporal, dans tous les détachements du district du Lower Mainland dans la division « E », pour la période du 14 janvier 2011 au 26 mai 2015;
  3. Une liste des membres de tous les détachements du district du Lower Mainland dans la division « E » qui ont été promus de gendarme à caporal depuis le 14 janvier 2011, et les dates de leur promotion;
  4. Une liste de toutes les heures supplémentaires travaillées par chaque gendarme, et par les gendarmes assumant par intérim les fonctions de caporal, dans tous les détachements du district du Lower Mainland dans la division « E », pendant les trois mois suivant la date du 29 mai 2017.

[3]  L’intimée accepte de divulguer les heures travaillées par les gendarmes dans le détachement de Burnaby de janvier 2011 à mai 2015 et les heures supplémentaires travaillées par les gendarmes dans le détachement de Maple Ridge de mai 2017 à août 2017.

[4]  L’intimée accepte également de déployer tous les efforts raisonnables pour repérer et communiquer les documents de politique de la GRC se rapportant à l’attribution des heures supplémentaires.

[5]  L’intimée s’oppose aux autres demandes de divulgation du plaignant au motif qu’elles sont d’une portée trop large ou exigeraient la création de documents.

[6]  L’intimée demande la divulgation de ce qui suit :

  1. Les dossiers cliniques et les documents électroniques de plusieurs fournisseurs de services médicaux du plaignant, notamment des fournisseurs de soins hospitaliers ou d’urgence à compter de janvier 2005;
  2. L’imprimé des dossiers MSP (Medical Services Plan) et Pharmanet du plaignant;
  3. Le dossier de conduite du plaignant en Ontario et en Colombie‑Britannique à compter de janvier 2005.

[7]  Le plaignant accepte de fournir les documents se rapportant à certains des fournisseurs de services médicaux, mais pas tous. Il s’oppose à la divulgation des documents dans le cas des fournisseurs de services hospitaliers et d’urgence, du MSP et de Pharmanet, ainsi que de son dossier de conduite, au motif que la demande vise une recherche à l’aveuglette et n’est pas pertinente.

B.  Le droit

[8]  Selon les Règles de procédure du Tribunal, la norme applicable pour la divulgation de documents est établie par la jurisprudence. Les parties qui se présentent devant le Tribunal doivent bénéficier de la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments. À cette fin, les parties doivent notamment obtenir la divulgation de renseignements qui pourraient être pertinents et qui sont en la possession ou sous la garde de la partie adverse, avant l’audition de l’affaire. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de documents permet à chaque partie de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audition. S’il existe un lien logique entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnées par les parties en cause, ce document doit être communiqué. Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22 au paragraphe 3.

[9]  Une partie doit démontrer non pas que la preuve est pertinente au sens traditionnel du mot, mais que la divulgation du document sera utile, est appropriée, est susceptible de faire progresser le débat et repose sur un objectif acceptable qu’elle cherche à atteindre dans le dossier, et que le document se rapporte au litige. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Bell Canada, 2005 TCDP 34, par. 11.

[10]  Toutefois, la demande de renseignements ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une recherche à l’aveuglette, et les documents devraient être identifiés de façon minutieuse. Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34, par. 42 à 44.

[11]  Bien que le seuil quant à la pertinence soit peu élevé et que la tendance qui se dessine maintenant favorise une communication de documents plus étendue, les parties doivent néanmoins établir un lien entre les questions à démontrer et les documents demandés. Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, par. 6, 7 et 9.

[12]  Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu’on leur accordera une grande importance. Association des employé(e)s des télécommunications du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, par. 4.

C.  Les ordonnances

[13]  Après avoir examiné les arguments présentés par les parties, j’ordonne ce qui suit :

  1. L’intimée doit déployer tous les efforts raisonnables pour repérer et communiquer tout document de politique officiel de la GRC se rapportant à l’attribution des heures supplémentaires aux agents de la GRC. Elle doit déployer les mêmes efforts pour communiquer toutes les politiques et procédures non officielles portant sur l’attribution des heures supplémentaires dans les détachements de Burnaby et Maple Ridge de la GRC de janvier 2011 à août 2017;
  2. L’intimée doit communiquer une liste des heures supplémentaires travaillées de chaque gendarme, et des gendarmes assumant par intérim les fonctions de caporal, dans le détachement de Burnaby de la GRC de janvier 2011 à mai 2015 et le détachement de Maple Ridge de la GRC de mai à août 2017;
  3. Le plaignant doit communiquer le dossier clinique du Dr Diggle pour la période du 14 juillet 2010 au 26 mai 2015;
  4. Le plaignant doit communiquer le dossier clinique du Dr Schimpf pour la période du 14 juillet 2010 à maintenant;
  5. Le plaignant doit communiquer le dossier clinique du Dr Fasihy du 14 juillet 2010 au 26 mai 2015 en ce qui concerne sa fonction neurologique et son épilepsie, et pour la période du 14 juillet 2010 à maintenant en ce qui concerne son état psychologique et toute autre question médicale non liée à ce qui précède ayant été caviardée par l’avocate dans l’exemplaire fourni par le plaignant;
  6. Le plaignant doit communiquer le dossier clinique du Dr Abraham pour la période du 1er janvier 2018 à maintenant en ce qui concerne sa fonction neurologique, son épilepsie, et son état psychologique, et toute autre question médicale non liée à ce qui précède ayant été caviardée par l’avocate dans l’exemplaire fourni par le plaignant;
  7. Le plaignant doit communiquer le dossier clinique du Dr Davies du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017;
  8. Les documents décrits aux alinéas C à G ci‑dessus ne doivent être communiqués qu’à l’intimée et la Commission, et à nulle autre personne sans avoir obtenu l’autorisation préalable du Tribunal et un avis signifié au plaignant. Les documents ne peuvent servir à aucune autre fin que la présente plainte et doivent être rendus au plaignant à l’issue de l’instruction, quand toutes les questions auront été tranchées et l’instruction de tous les contrôles judiciaires ou appels sera terminée ou prescrite.

D.  L’analyse

Requête du plaignant

[14]  Selon le plaignant, les renseignements qu’il demande l’aideront à calculer le montant de salaire perdu qu’il réclame. La récupération du salaire perdu est une forme valide de réparation au sens de l’alinéa 6(1)d) des Règles. À mon avis, les renseignements demandés pourraient être pertinents.

[15]  L’intimée a accepté de déployer « tous les efforts raisonnables » pour produire les documents officiels de la GRC sur l’attribution des heures supplémentaires. Dans sa requête, le plaignant demande aussi les politiques et procédures non officielles de la GRC sur l’attribution des heures supplémentaires.

[16]  En réponse à la requête du plaignant, l’intimée a déposé un affidavit de l’agente responsable des services de soutien en matière de responsabilité professionnelle pour la division « E » (Colombie‑Britannique). Dans l’affidavit, l’agente Lovelace explique que l’attribution des heures supplémentaires se fait au niveau du détachement ou de l’unité, sans la participation des cadres supérieurs. Ce ne sont pas des pratiques normalisées à l’échelle de la GRC et elles ne sont pas consignées dans des documents de façon systématique [1] . Par conséquent, maintient l’intimée, l’ordre de produire les politiques et procédures non officielles pourraient l’obliger à élaborer des documents qui n’existaient pas, ce qui va à l’encontre des Règles du Tribunal.

[17]  Dans l’affaire Kayreen Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, le Tribunal a déclaré qu’il doit faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risque d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige.

[18]  Je suis convaincu qu’un équilibre est possible entre l’intention du régime législatif de permettre la pleine divulgation et la nécessité de maintenir l’efficacité et la rapidité de la procédure. Mon ordonnance ci‑dessus exige de l’intimée qu’elle communique toutes politiques et procédures non officielles, si elles existent, sur l’attribution des heures supplémentaires dans les détachements de Burnaby et Maple Ridge durant les périodes auxquelles le plaignant y était affecté.

[19]  Mon ordonnance sur la divulgation des heures supplémentaires travaillées par les gendarmes de la GRC ou ceux qui assument par intérim les fonctions de caporal suit le même principe d’équilibre entre des intérêts contradictoires. J’ordonne à la GRC de divulguer les renseignements concernant seulement les détachements de Burnaby et Maple Ridge durant les périodes où le plaignant a travaillé à ces endroits. Étendre la recherche de documents à tous les détachements du Lower Mainland, comme l’a demandé le plaignant, élargirait excessivement la portée de la demande.

[20]  Je n’ai pas accepté la demande du plaignant concernant la divulgation de toutes les promotions au grade de caporal dans les détachements du Lower Mainland de la GRC depuis janvier 2011. Le plaignant allègue que s’il n’avait pas fait l’objet de discrimination, il aurait acquis l’expérience opérationnelle qui lui aurait permis de réussir l’examen de promotion au grade de caporal. Toutefois, dans son affidavit, l’agente Lovelace précise que l’examen d’accès au grade de caporal est de portée très large et ne se limite pas à évaluer les connaissances propres à l’emploi. Par conséquent, l’expérience opérationnelle en soi n’aurait pas forcément permis au plaignant de réussir à l’examen, qui a un taux de réussite de 54 % seulement, selon l’agente Lovelace. En outre, bon nombre des dossiers demandés qui remontaient à plus de cinq ans ont probablement été détruits conformément à la politique de la GRC en matière de rétention des documents, d’après l’affidavit de Mme Lovelace. À mon avis, refuser cette partie de la requête concorde avec les directives du Tribunal dans Brickner, selon lesquelles il faut éviter d’imposer des exigences onéreuses aux parties afin de ne pas risquer d’entraîner des retards dans la recherche d’éléments de preuve se rapportant à des questions secondaires.

Requête de l’intimée

[21]  L’intimée a demandé les dossiers cliniques de bon nombre des fournisseurs de services médicaux qui ont traité le plaignant, ce que ce dernier a consenti à fournir. Il s’agit des dossiers précisés aux alinéas C à G de mon ordonnance au paragraphe 14. Le plaignant a demandé certaines conditions en matière de confidentialité que je trouve raisonnables et que je précise dans mon ordonnance.

[22]  Je n’accepte pas la demande de l’intimée visant les dossiers médicaux du Dr Nemetz. Ce dernier n’a fourni au plaignant qu’un traitement de thérapie comportementale pour le stress au travail deux ans avant la crise épileptique de 2010 de celui–ci, qui est à l’origine de la séquence des événements menant à la plainte. On peut soutenir que l’état de santé du plaignant avant sa crise en 2010 n’est pas pertinent. Les deux années d’écart font que le traitement du Dr Nemetz n’est pas suffisamment proche de la crise de 2010.

[23]  Je n’accepte pas la demande de l’intimée visant une liste des fournisseurs de services médicaux et de tous les documents médicaux du plaignant depuis 2005. C’est une demande dont la portée est si large qu’elle équivaut, à mon avis, à une recherche à l’aveuglette. La majeure partie des renseignements figure déjà dans les dossiers médicaux du plaignant que l’intimée a en sa possession. Bon nombre de ces renseignements se trouveront dans les dossiers cliniques des fournisseurs de services médicaux que le plaignant a accepté de fournir.

[24]  Je n’accepte pas la demande de l’intimée visant les imprimés MSP et Pharmanet. Selon l’intimée, ces documents représentent [traduction] « […] un mécanisme essentiel de communication de la preuve pour déterminer si tous les documents pertinents ont été fournis […] ». Or, rien n’indique que le plaignant refusera de s’acquitter de ses obligations en matière de communication, et l’intimée n’a pas mentionné de litige pour lequel ces documents seraient utiles au Tribunal. Il s’agit encore une fois d’une recherche à l’aveuglette que je n’autoriserai pas.

[25]  Enfin, je n’accepte pas la demande de l’intimée visant les dossiers de conduite du plaignant en Ontario et en Colombie‑Britannique. La conduite automobile du plaignant n’est pas en cause. La question en litige ici est la politique de classification de l’intimée qui a été appliquée au plaignant. On ne peut donc pas soutenir que ces dossiers sont pertinents dans cette affaire.

[26]  Après la réception de la présente décision sur requête, le Tribunal convoquera une conférence téléphonique de gestion de l’instance afin de régler toute question éventuelle de procédure, et ce, avant de fixer les dates et le lieu de l’audience.

Signée par

Alex G. Pannu

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 novembre 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2276/3118

Intitulé de la cause : Michael Desson c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : le 5 novembre 2019

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Allison Tremblay, pour le plaignant

Daphne Fedoruk, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Graham Stark, pour l'intimée

 



[1] Affidavit de Rashpal Lovelace, dossier de la requête de l’intimée, par. 4 et 5.

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