Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 31

Date : le 18 juillet 2019

Numéro du dossier : T1817/4712

 

Entre :

Geevarughese Johnson Itty

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Olga Luftig



I.  La requête du plaignant

[1]  M. Geevarughese Itty Johnson, aussi connu sous le nom de M. Johnson Itty (le plaignant), a déposé une requête en divulgation de documents visant l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC ou l’intimée). La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) n’a pas participé à la requête.

II.  La plainte et ses modifications

[2]  Le 26 septembre 2018, après avoir modifié deux fois sa plainte, le plaignant a allégué que, dans le cadre du programme de formation des recrues pour les points d’entrée (le FORPE) auquel il a participé du 24 novembre 2008 au 5 février 2009, l’intimée a fait preuve de discrimination à son endroit du fait de sa race et de son origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, incluant ses modifications (la Loi). Le plaignant a allégué que l’intimée a également fait preuve de discrimination systémique fondée sur les mêmes motifs illicites, en contravention de l’article 10 de la Loi.

III.  Le contexte de la plainte

[3]  Pour les besoins de la présente décision sur requête uniquement, voici un aperçu du contexte de la plainte.

[4]  En 2007, tandis qu’il était à l’emploi de l’Agence du revenu du Canada (ARC), le plaignant, un citoyen canadien naturalisé et né en Inde, a postulé auprès de l’intimée en vue de devenir agent des services frontaliers (ASF). Il a franchi avec succès la première étape de sélection, et l’intimée l’a invité à prendre part au programme de FORPE d’une durée de neuf semaines à titre de stagiaire (les stagiaires sont aussi appelés recrues ou candidats).

[5]  Le programme de FORPE comporte deux étapes d’évaluation, appelées étapes de détermination : l’étape de détermination I (étape D‑I) après la première série de cours, et l’étape de détermination II (étape D‑II) après la deuxième série. Les stagiaires doivent suivre avec succès l’ensemble du programme de FORPE pour faire partie du bassin des personnes admissibles à un poste d’ASF.

[6]  Des employés de l’ASFC dûment formés assument les fonctions d’évaluateurs et évaluent les stagiaires du programme de FORPE lors de mises en situation (simulations) dans lesquelles des acteurs professionnels jouent le rôle de voyageurs et les stagiaires celui d’ASF. Les simulations visent à évaluer diverses compétences précises.

[7]  Selon les éléments de preuve présentés à l’audience jusqu’à présent, il y avait 16 ou 17 stagiaires dans le groupe du plaignant (et non dans l’ensemble du programme de FORPE).

[8]  Le plaignant a réussi toutes les simulations et tous les examens écrits de l’étape D‑I.

[9]  Il est ensuite passé à l’étape D‑II du programme, au terme de laquelle des évaluateurs l’ont évalué. L’étape D‑II se compose d’une autre série d’examens écrits et de simulations évaluées en fonction de dix compétences précises. Il y avait aussi une évaluation des tactiques de maîtrise et de défense que le plaignant a réussie.

[10]  À l’issue des simulations, les évaluateurs remplissent un document qui porte le nom officiel de [traduction] « Rapport d’évaluation du stagiaire dans l’exercice de simulation – étape D‑II » (ci‑après appelé le rapport d’évaluation de l’étape D‑II), pour évaluer le stagiaire et décider s’il a démontré les compétences requises dans chacune des simulations de l’étape D‑II. Autrement dit, l’évaluateur détermine si le stagiaire a réussi les simulations, note ses observations quant au comportement du stagiaire pendant les simulations et formule des recommandations d’amélioration.

[11]  Selon le témoin de l’intimée, M. François Ducharme, à la fin du programme de FORPE, les stagiaires ne reçoivent que leurs rapports d’évaluation de l’étape D‑II.

[12]  Le plaignant n’a pas réussi toutes les simulations à l’étape D‑II et n’a pas été inscrit dans le bassin de candidats potentiels d’ASF.

IV.  Le contexte procédural de la présente requête

[13]  Il ne s’agit pas d’une requête en divulgation préalable à l’audience. En l’espèce, l’audience a débuté le 14 août 2017. La Commission n’y a pas participé. Les deux parties étaient représentées.

[14]  Voici la chronologie de l’audience à ce jour :

  1. Le 14 août 2017, le plaignant a commencé à présenter ses arguments.
  2. Le 17 août 2017, le plaignant a clos sa preuve.
  3. Le 18 août 2017, l’intimée a commencé à présenter ses arguments et trois de ses dix témoins ont été interrogés et contre‑interrogés.
  4. Le 21 août 2017, le représentant du plaignant et le plaignant ont informé le Tribunal et l’intimée que le plaignant mettait fin aux services du représentant. Le plaignant a demandé un ajournement pour chercher un autre représentant.
  5. L’intimée s’est opposée à la demande d’ajournement.
  6. Le 22 août 2017, après avoir entendu les observations des parties, le Tribunal a accordé l’ajournement et ordonné au plaignant de retenir les services d’un représentant, le cas échéant, avant le 12 septembre 2017; les parties et le Tribunal ont convenu que l’audience pourrait probablement reprendre six mois plus tard.
  7. À la date des présents motifs, l’ajournement de l’audience n’a toujours pas été levé.

[15]  Le 28 août 2017, le plaignant a retenu les services d’un autre représentant qui n’était pas membre du barreau d’une province. Des questions ont été soulevées quant à la possibilité de divulguer les documents visés par les ordonnances de confidentialité à ce représentant. Le 28 avril 2018, le mandat de ce représentant a pris fin. Le plaignant a retenu les services de son représentant actuel, un avocat à qui le premier représentant a fait parvenir le dossier.

[16]  Dans une lettre en date du 26 septembre 2018, le nouvel avocat du plaignant a demandé, entre autres, la divulgation des documents dont il est question ci‑après. Après une conférence téléphonique de gestion de l’instance, le Tribunal a ordonné au plaignant de présenter ses demandes de divulgation sous forme de requête.

V.  La requête du plaignant

[17]  La requête du plaignant vise ce qui suit :

  1. l’obtention d’une ordonnance exigeant de l’intimée qu’elle communique la version non expurgée des rapports d’évaluation du stagiaire dans l’exercice de simulation – étape D‑II (la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II) des autres stagiaires du groupe du plaignant, c’est-à-dire la version comportant le nom des stagiaires;
  2. compte tenu du fait que l’intimée a conservé les notes des évaluateurs sur le rendement du plaignant durant les simulations 4, 5 et 6 de l’étape D‑II, et en particulier les notes aux pages 2, 3, 4, 5 et 8, ainsi que les pages 6 et 7 que les évaluateurs ont remplies après que le stagiaire a quitté la zone d’examen (tous étant des formulaires d’évaluation), et qu’elle a détruit les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant, l’obtention d’une ordonnance exigeant de l’intimée qu’elle divulgue :
    1. sa politique en matière de conservation des documents;
    2. la date à laquelle les formulaires d’évaluation ont été détruits;
    3. la date à laquelle l’avocat a demandé les formulaires d’évaluation;
    4. une liste des personnes qui ont examiné les formulaires d’évaluation avant leur destruction, y compris les avocats.

VI.  Les ordonnances de confidentialité et l’entente concernant la décision définitive du Tribunal

[18]  En l’espèce, le Tribunal a rendu une série d’ordonnances de confidentialité s’appliquant à certains documents et témoignages concernant ces documents (susmentionnés).

[19]  Dans la décision Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TCDP 34, datée du 16 décembre 2013, le Tribunal a désigné un certain nombre de documents comme confidentiels, conformément à l’article 52 de la Loi, et rendu une ordonnance précisant la façon dont les parties devaient conserver et manipuler les documents (première ordonnance de confidentialité). Cette ordonnance découle de la requête de l’intimée (première requête en confidentialité), en date du 17 mai 2013, en vue d’obtenir une ordonnance désignant comme confidentiels les documents énumérés à l’annexe « A » (documents de l’annexe « A ») dans l’affidavit à l’appui de Fernande Surprenant, souscrit le 17 mai 2013 (affidavit de Mme Surprenant). Le plaignant avait demandé précédemment la divulgation des documents de l’annexe « A ». L’intimée a demandé que des conditions précises soient énoncées dans toute ordonnance de divulgation des documents de l’annexe « A ».

[20]  L’élément 10 de l’annexe « A » est décrit ainsi : [traduction] « Exercices de simulation pour les agents des services frontaliers – rapports d’évaluation de l’étape de détermination II des autres candidats du groupe de M. Itty ». Dans sa réponse du 17 juin 2013 à la première requête en confidentialité, l’intimée a déclaré au paragraphe 9 qu’elle avait, dans ces documents, expurgé [traduction] « […] le nom des personnes auxquelles les documents se rapportent ». Le plaignant demande maintenant la divulgation de la version non caviardée de ces documents, soit les rapports d’évaluation de l’étape D‑II de ses camarades de classe, c’est-à-dire la version comportant le nom des candidats.

[21]  En ce qui a trait à la décision Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2015 TCDP 2 (deuxième ordonnance de confidentialité), le Tribunal a étendu la portée de la première ordonnance de confidentialité à la totalité des pages non expurgées du Manuel d’administration des exercices de simulation qui n’avaient pas encore été divulguées.

[22]  Le 9 août 2017, sur consentement des parties, le Tribunal a rendu la décision Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2017 TCDP 26 (troisième ordonnance de confidentialité), étendant la portée de la première et de la deuxième ordonnance de confidentialité à un autre groupe de documents dont le plaignant souhaitait la divulgation.

[23]  À l’audience, les représentants de l’intimée et du plaignant ont précisé que l’intimée avait déjà divulgué la totalité des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, sauf que les noms avaient été expurgés.

[24]  À la conférence téléphonique de gestion de l’instance du 9 novembre 2018, les parties ont convenu que le Tribunal rendra deux versions de sa décision définitive : une version à l’intention des parties, contenant les passages non expurgés visés par les ordonnances de confidentialité, et une autre version pour le site Web du Tribunal, à laquelle le public aura accès et qui ne mentionnera que de façon générale les éléments visés par les ordonnances de confidentialité.

Les questions en litige

[25]  L’intimée a convenu de divulguer sa politique en matière de conservation des documents. Les questions en litige restantes sont celles de savoir :

  1. si le Tribunal doit ordonner à l’intimée de divulguer la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, c’est‑à‑dire la version comportant le nom des candidats;
  2. si le Tribunal doit ordonner à l’intimée de divulguer :
  • (1) la date à laquelle elle a détruit les formulaires d’évaluation de l’étape D‑II des autres membres du groupe du plaignant;

  • (2) la date à laquelle l’avocat a demandé ces formulaires d’évaluation;

  • (3) la liste des personnes, y compris les avocats, qui ont examiné ces formulaires d’évaluation avant leur destruction.

Les observations du plaignant dans son avis de requête

[26]  Les paragraphes qui suivent présentent un résumé des observations formulées par le plaignant dans son avis de requête.

  1. L’article 6 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03‑05‑04) (Règles du Tribunal) présente la procédure applicable à la divulgation.
  2. Selon le paragraphe 6(5), tel qu’il est interprété dans la jurisprudence du Tribunal (p. ex. la deuxième ordonnance de confidentialité), l’obligation d’une partie en matière de divulgation et de production des documents est continue.
  3. Même s’il a clos sa preuve, le plaignant peut quand même utiliser la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II de ses camarades de classe pour contre-interroger les témoins de l’intimée.
  4. La norme applicable à la divulgation de documents, en vertu de l’alinéa 6(1)d) et du paragraphe 6(5) des Règles du Tribunal, précise que les documents doivent être potentiellement pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par l’une ou l’autre des parties.
  5. La décision Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18 (Seeley), au paragraphe 6, appuie le principe selon lequel, pour qu’un document soit potentiellement pertinent, il doit y avoir un lien rationnel entre le document dont on demande la divulgation et une question ou un fait soulevé, ou une forme de redressement demandée par les parties.
  6. La décision Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42 (Gaucher), au paragraphe 11, appuie la proposition selon laquelle le seuil quant à la pertinence potentielle est « peu élevé et la tendance est maintenant orientée vers une plus grande, et non une moins grande, communication ».
  7. La demande de divulgation ne doit pas être « …spéculative  ou équivaloir à une “partie de pêche” » (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 43.
  8. La version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant est potentiellement pertinente pour les raisons suivantes :
  • (1) Les rapports d’évaluation expurgés qui ont déjà été divulgués précisent si chaque stagiaire a obtenu la cote [traduction] « réussite » ou [traduction] « échec » pour chaque compétence évaluée durant les simulations, et comportent une rétroaction pour chaque stagiaire sous les rubriques [traduction] « sommaire des points forts » et [traduction] « sommaire des domaines à perfectionner ».

  • (2) Le plaignant a besoin de ces documents pour démontrer que l’intimée a établi des politiques discriminatoires ou commet des actes discriminatoires.

  • (3) Les rapports se rapportent aux allégations du plaignant voulant que l’intimée lui ait imposé une norme plus rigoureuse sur le fondement de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. L’argument concernant la norme plus rigoureuse repose forcément sur des comparaisons entre le plaignant et ses camarades de classe.

  • (4) La comparaison est impossible si l’on ne sait pas à qui se rapporte chaque rapport d’évaluation.

  • (5) Le Tribunal a jugé, dans des cas de discrimination fondée sur l’âge, que les documents utilisés pour évaluer le mérite de toutes les personnes par rapport auxquelles le plaignant était évalué sont « clairement pertinents » (Gaucher, précitée, au paragraphe 22, citant Morris c. Canada (Forces armées canadiennes) [2001] D.C.D.P. no 41 (Morris), au paragraphe 129, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2005 CAF 154. Bien que la décision Morris, précitée, porte sur la discrimination fondée sur l’âge, il en va de même pour les formes de discrimination alléguées par le plaignant. Ces types de documents sont généralement utilisés pour établir une preuve prima facie de discrimination (Gaucher, précitée).

  • (6) À l’audience, le 14 août 2017, l’intimée a consenti à divulguer la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des stagiaires A et M qui se trouvaient dans le groupe du plaignant, à condition que le Tribunal rende une ordonnance de divulgation au sens de l’alinéa 8(2)c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21 (la LPRP). Le Tribunal a rendu une ordonnance orale à cet égard. La LPRP n’interdit pas la divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant.

Les observations de l’intimée

[27]  Dans sa réponse, l’intimée a consenti à divulguer sa politique en matière de conservation des documents, mais s’est opposée aux autres demandes de divulgation du plaignant.

[28]  Les paragraphes qui suivent présentent un résumé des objections de l’intimée à l’égard des demandes de divulgation du plaignant.

  1. Conformément au paragraphe 1(1) des Règles du Tribunal, ce dernier doit instruire toutes les affaires dont il est saisi de manière informelle et expéditive. Il y va de l’intérêt tant de l’intimée que du public que l’audience reprenne rapidement. La Cour d’appel fédérale a critiqué « […] les longs délais qui plombent le processus de règlement des plaintes relativement aux droits de la personne » [Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 200, au paragraphe 103, confirmée par Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 (CanLII)].
  2. L’intimée a déjà divulgué la totalité des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, sauf les noms, qui ont été expurgés au motif qu’il s’agit de renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP. L’intimée a expurgé les noms, car le paragraphe 8(1) de la LPRP prévoit que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent.
  3. Bien que l’alinéa 8(2)b) de la LPRP autorise la communication de renseignements personnels conformément à une ordonnance rendue par un Tribunal, la Cour fédérale a décidé que cette exception ne doit pas être interprétée d’une manière libérale [(Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, 2005 CF 1000 (Kahlon)], au paragraphe 36. « Les renseignements personnels qui n’intéressent manifestement pas les questions [sous‑jacentes] doivent au contraire être soustraits à la communication » (voir la référence précédente).
  4. Les camarades de classe du plaignant sont des tiers qui ne sont pas devant le Tribunal. Ils ne peuvent formuler des observations concernant la demande du plaignant visant à obtenir leurs renseignements personnels. Le Tribunal doit protéger leurs renseignements personnels.
  5. Le fait que l’intimée a divulgué les rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, sauf leurs noms, constitue un bon équilibre entre la protection des renseignements personnels de tiers et l’équité procédurale pour le plaignant.
  6. Le retard actuel dans la reprise de l’audience a déjà porté préjudice à l’intimée.
  7. Le plaignant est responsable du retard. Il avait clos sa preuve puis, le 21 août 2017, tandis que l’intimée présentait ses arguments, il a demandé un ajournement pour trouver un nouvel avocat.
  8. Le 28 août 2017, le plaignant a retenu les services d’un représentant qui n’était membre d’aucun barreau provincial, qui avait été radié du barreau et à qui on avait refusé une licence de parajuriste. Le plaignant demandait [traduction] « avec insistance » que l’intimée divulgue à ce représentant les documents visés par les ordonnances de confidentialité. Il a fallu que l’intimée présente une requête pour que cette divulgation soit refusée. La requête devait être entendue les 4 et 5 juin 2018, mais, le 28 avril, le représentant du plaignant a déclaré qu’il ne représentait plus le plaignant. Par conséquent, le temps et les efforts consacrés à la requête ont été gaspillés.
  9. L’intimée subit un préjudice accru en raison du fait que le plaignant demande maintenant la divulgation de documents portant sur des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II qui ont été détruits. La recherche de ces documents causera à l’intimée un délai préjudiciable qui l’emporte sur la valeur probante des documents pour le plaignant.
  10. Le Tribunal peut refuser d’ordonner la divulgation d’autres éléments de preuve lorsque l’effet préjudiciable sur l’instance l’emporte sur la valeur probante de ces éléments de preuve, comme c’était le cas dans la décision Brickner c. Canada (la Gendarmerie royale du Canada), 2017 TCDP 28 (Brickner), au paragraphe 8.
  11. Le plaignant demande cette divulgation plus d’un an après qu’il a clos sa preuve, ce qui démontre que la valeur probante de ce qu’il recherche est minime et a moins de poids que l’effet préjudiciable qu’elle peut avoir sur l’intimée en retardant davantage la reprise de l’audience. L’intimée doute que la divulgation des documents demandés par le plaignant soit utile à ce stade de l’audience, compte tenu du fait qu’il a déjà clos sa preuve.
  12. Les alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles du Tribunal limitent l’obligation de divulgation d’une partie aux « documents qu’elle a en sa possession » qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée par l’une ou l’autre des parties.
  13. La demande du plaignant visant à obtenir des dates et une liste des personnes qui ont examiné les documents avant leur destruction obligerait l’intimée à procéder à des recherches et à créer de nouveaux documents contenant les réponses à la demande du plaignant. Dans la décision Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42 (Gaucher), au paragraphe 17, le Tribunal a décidé que, selon les Règles du Tribunal, les parties ne sont pas tenues de créer des documents aux fins de la communication.
  14. Si le Tribunal décide d’ordonner la divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, il devra étendre les ordonnances de confidentialité à ces documents.

La réplique du plaignant

[29]  Les paragraphes qui suivent résument la réplique du plaignant.

  1. L’intimée n’a cité aucun précédent indiquant qu’un plaignant ne peut pas demander la divulgation de documents après avoir clos sa preuve.
  2. Le plaignant convient que les Règles du Tribunal limitent la divulgation aux documents qu’une partie a en sa possession, et il soutient qu’il a décrit les documents qu’il cherche à obtenir avec le plus de précision possible compte tenu du fait qu’il ne sait pas quels sont les documents que l’intimée a en sa possession.
  3. L’intimée n’a pas indiqué qu’elle n’a pas en sa possession les documents concernant la destruction des formulaires d’évaluation, pas plus qu’elle n’a indiqué qu’ils ne sont pas potentiellement pertinents.
  4. Le plaignant nie qu’il est le seul responsable des retards. L’intimée a aussi retardé l’instruction. Quant à l’allégation par l’intimée du retard causé par le choix précédent de représentant du plaignant, ce dernier a le droit d’être représenté par la personne de son choix. D’ailleurs, un non‑avocat a le droit de représenter une partie devant le Tribunal.

VII.  L’analyse – le droit, la jurisprudence et les Règles du Tribunal applicables

[30]  Le paragraphe 48.9(1) de la Loi prévoit que « [l’]instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique ».

[31]  Le paragraphe 50(1) de la Loi prévoit en partie ce qui suit :

Le membre instructeur […] donne à [toutes les parties ayant reçu l’avis] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

[32]  Le paragraphe 6(1) des Règles du Tribunal prévoit en partie ce qui suit :

Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause;

sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause;

le redressement recherché;

les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle[.]

[33]  Le paragraphe 6(5) des Règles du Tribunal prévoit ce qui suit :

Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires

a) si de nouveaux faits ou de nouvelles questions ou formes de redressement sont soulevés dans l’exposé des précisions ou la réplique d’une autre partie; ou

b) si elle constate qu’elle ne s’est pas conformée correctement ou complètement aux alinéas 6(1)d), 6(1)e) et 6(1)f) ou aux paragraphes 6(3) ou 6(4).

[34]  La norme applicable à la divulgation de documents, sous le régime de l’article 6 des Règles du Tribunal, est que les documents doivent être potentiellement pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par l’une ou l’autre des parties (première ordonnance de confidentialité, précitée, au paragraphe 24). Pour qu’un document soit potentiellement pertinent, il doit y avoir un lien rationnel entre le document et les questions en litige (Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18 (CanLII) (Seeley), au paragraphe 6). En l’espèce, les parties ont convenu de disjoindre l’audience de manière à n’examiner ici que la question de la responsabilité. Par conséquent, le lien entre un document et une forme de réparation demandée ne s’applique pas à la présente requête.

[35]  Le Tribunal a conclu que « [l]e seuil quant à la pertinence alléguée est peu élevé et la tendance est maintenant orientée vers une plus grande, et non une moins grande, communication » (Gaucher, précitée, au paragraphe 11). Toutefois, une demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 43). Le Tribunal peut aussi refuser d’ordonner la divulgation lorsque « […] la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance » (Brickner, précitée, au paragraphe 8.)

[36]  Dans la décision Brickner, le Tribunal a déclaré que, « dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence potentielle des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte » (Brickner, précitée, au paragraphe 7).

La version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D-II des camarades de classe du plaignant

[37]  Le plaignant demande la divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II de ses camarades de classe afin de contre‑interroger les témoins de l’intimée à ce sujet. Il soutient qu’il doit disposer des noms associés aux rapports afin de pouvoir comparer la façon dont l’intimée l’a évalué à celle dont elle a évalué ses camarades de classe qui n’étaient pas de la même race, couleur et origine nationale ou ethnique que lui. Il entend ainsi établir que l’intimée lui a imposé une norme plus rigoureuse pour des motifs discriminatoires.

[38]  À l’audience, le 17 août 2017, le représentant du plaignant a informé le Tribunal et l’intimée que le plaignant supprimait le paragraphe 28 de son exposé des précisions. Ce paragraphe précisait que l’évaluation du stagiaire A à l’étape D‑II comparée à l’évaluation du plaignant à l’étape D‑II était un exemple de la norme plus rigoureuse que l’intimée avait imposée au plaignant pour des motifs discriminatoires. Le 17 août 2017, le plaignant a aussi déclaré que le stagiaire A ne témoignerait pas.

[39]  Le représentant du plaignant a confirmé, toutefois, que le plaignant ne retirait pas l’allégation formulée au paragraphe 27 de son exposé des précisions, selon laquelle, dans l’ensemble, l’intimée lui avait imposé une norme plus rigoureuse qu’aux autres candidats dans son groupe qui n’étaient pas de la même race ou origine nationale ou ethnique que lui.

[40]  Le plaignant a allégué, aux paragraphes 27, 29 à 33 et 57 de son exposé des précisions, que l’intimée lui avait imposé une norme plus rigoureuse, ayant été plus sévère envers lui dans l’évaluation des simulations 4, 5 et 6 de l’étape D‑II qu’envers ses camarades de classe, et ce, pour des motifs fondés sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique, faisant ainsi preuve de discrimination à son égard.  

[41]  Aux paragraphes 54 et 55 de son exposé des précisions, le plaignant déclare que les compétences à l’égard desquelles les recrues du programme de FORPE doivent obtenir la cote [traduction] « réussite », notamment [traduction] « le contrôle des situations difficiles, la communication interactive efficace et la confiance en soi », sont en elles‑mêmes discriminatoires parce qu’elles sont [traduction] « hautement subjectives et ont eu un effet préjudiciable » sur l’évaluation de son rendement, parce que sa race, son origine nationale ou ethnique et son âge ont joué un rôle significatif dans son évaluation. Par conséquent, il soutient que les compétences sont des politiques discriminatoires et, de ce fait, le programme de FORPE est discriminatoire et contraire à l’article 10 de la Loi. En outre, il allègue que la façon dont l’intimée applique les compétences constitue une pratique discriminatoire qui est contraire à l’article 10 de la Loi.

[42]  D’après la plainte, l’exposé des précisions et la déclaration préliminaire du plaignant, je conclus, dans les grandes lignes, qu’il souhaite établir que l’intimée lui a imposé une norme plus rigoureuse qu’à ses camarades de classe quand elle a évalué son rendement durant les simulations de l’étape D‑II, et qu’elle l’a fait sur le fondement des motifs de distinction illicite de la race, de la couleur et de l’origine nationale ou ethnique. Le plaignant affirme, par conséquent, que l’intimée l’a défavorisé pour ces motifs de distinction illicite au sens de l’article 7 de la Loi [1] .

[43]  D’après la plainte, l’exposé des précisions et la déclaration préliminaire du plaignant, je conclus également, dans les grandes lignes, que le plaignant souhaite établir que les critères selon lesquels les évaluateurs ont évalué ses compétences durant les simulations, surtout les compétences pour lesquelles il a reçu un échec [traduction] « sont hautement subjectives et donc vulnérables aux préjugés et à la discrimination » (exposé des précisions du plaignant, au paragraphe). Il soutient que ces critères constituent donc des politiques et pratiques discriminatoires au sens de l’article 10 de la Loi.

[44]  Le plaignant soutient que, pour démontrer que l’intimée a imposé au plaignant une norme plus rigoureuse, il doit pouvoir comparer ses rapports d’évaluation de l’étape D‑II à ceux de ses camarades de classe, et qu’il ne peut faire cette comparaison sans qu’il soit indiqué sur chaque rapport d’évaluation de l’étape D‑II à quel stagiaire il se rapporte. Le plaignant soutient aussi que les noms sont potentiellement pertinents pour ce qui est de son allégation de discrimination systémique. Par ailleurs, le plaignant déclare qu’il pourrait utiliser la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II pour contre‑interroger les témoins de l’intimée.

[45]  Selon l’intimée, le fait qu’elle a déjà divulgué les rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, sans les noms, constitue un bon équilibre entre les droits en matière de protection de la vie privée de tiers qui ne comparaissent pas devant le Tribunal et le droit du plaignant en matière d’équité procédurale. En supposant qu’un tel exercice de mise en balance s’impose, je suis d’avis qu’il est possible d’atteindre un meilleur équilibre. Je considère que les parties conviennent que les ordonnances de confidentialité s’appliquent à la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II, et qu’elles ont accepté, lors de la conférence téléphonique de gestion de l’instance du 26 novembre 2018, que le Tribunal produise sa décision en deux versions : une pour les parties, contenant les renseignements confidentiels, et une pour le public ne mentionnant que de façon très générale les renseignements confidentiels. Je suis d’avis que, si le Tribunal ordonne la communication de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, les mesures ci‑dessus suffiront à bien protéger la vie privée de ces personnes.

[46]  En outre, je dois aussi tenir compte du paragraphe 50(1) de la Loi dans le contexte de cette mise en balance. Selon ce paragraphe, le membre instructeur doit donner à toutes les parties ayant reçu avis de l’instruction, « la possibilité pleine et entière […] de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations ». La divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II donnera au plaignant la possibilité de mieux plaider sa cause.

[47]  Le seuil à atteindre pour établir qu’un document à divulguer est potentiellement pertinent étant peu élevé, je conclus qu’il y a un lien rationnel entre le nom des camarades de classe du plaignant qui serait révélé dans la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II et les questions en litige en l’espèce. Notamment,  la question de savoir si, lors des simulations de l’étape D‑II, le plaignant a été évalué selon une norme plus rigoureuse que ses camarades de classe qui n’avaient aucun attribut commun avec lui sur les plans de la race, de la couleur et de l’origine nationale ou ethnique lors des simulations de l’étape D‑II. Finalement, celle de savoir si les critères d’évaluation des compétences appliqués par les évaluateurs de l’intimée lors des simulations de l’étape D‑II étaient, en soi, subjectifs et susceptibles d’être appliqués de façon discriminatoire.

[48]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant sont potentiellement pertinents, et que l’intimée doit divulguer ces rapports sous forme non expurgée.

[49]  Je note que le 14 août 2017, le représentant du plaignant a dit au Tribunal qu’il venait d’apprendre que l’intimée avait en sa possession la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II concernant les camarades de classe du plaignant. L’intimée a consenti à divulguer les rapports d’évaluation de l’étape D‑II des stagiaires A et M, deux camarades de classe du plaignant. J’estime raisonnable de supposer que l’intimée a aussi en sa possession la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des autres camarades de classe du plaignant. Par conséquent, en ce qui concerne la question du délai, je suppose que dans les circonstances l’intimée devrait pouvoir divulguer ces documents assez rapidement et que cette divulgation ne retardera pas indûment la reprise de l’instance.

[50]  Comme il est indiqué au paragraphe 21 de la présente décision sur requête, l’élément 10 des documents de l’annexe « A » se compose des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, ayant leurs noms expurgés.

[51]  J’attire l’attention des parties au paragraphe 31 de la première ordonnance de confidentialité qui porte en particulier sur les éléments 10 et 12 des documents de l’annexe « A » :

[31] En ce qui concerne les éléments 10 et 12 des documents de l’annexe « A », les parties respecteront les conditions suivantes :

a) Le plaignant ne communiquera chacun des éléments 10 et 12 qu’au témoin concerné par l’élément en question, à l’exclusion de tout autre témoin;

b) Avant qu’il ne communique les éléments 10 et 12 ou l’un d’eux au témoin à qui l’élément appartient, le plaignant obtiendra le consentement écrit du témoin à ce que l’intimée divulgue à lui et à son représentant l’élément qui correspond à ce témoin et il fournira ce consentement à l’intimée;

c) À la réception du consentement écrit du témoin, l’intimée fera savoir au plaignant quel document correspond à quel témoin;

d) Le plaignant ne permettra au témoin concerné de consulter les documents en cause qu’au bureau de son représentant ou lors des audiences devant le Tribunal;

e) Le plaignant et son représentant, ou l’un ou l’autre, ne fourniront pas au témoin sa propre copie des documents.

[52]  L’ordonnance ci‑dessus prévoit que la version non expurgée du rapport d’évaluation de l’étape D‑II d’un stagiaire ne sera utilisée que durant l’interrogatoire de ce stagiaire, advenant qu’il soit appelé à témoigner. Elle ne prévoit pas que la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant puisse être utilisée aux fins précisées dans la présente requête.

[53]  Le plaignant a consenti à l’argument de l’intimée que dans l’éventualité où le Tribunal ordonne la divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, il devra désigner ces rapports d’évaluation comme confidentiels et les inclure aux ordonnances de confidentialité. Je suis convaincue que le Tribunal a raison de rendre une ordonnance de confidentialité concernant la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, parce que ces derniers sont des tiers qui ne comparaissent pas devant le Tribunal et peuvent ignorer que leurs renseignements personnels seront divulgués, et parce qu’ils n’ont pas présenté des observations au Tribunal concernant cette divulgation. Le Tribunal désigne ces documents comme confidentiels, conformément à l’article 52 de la Loi. Ils ne doivent être divulgués à nul autre que le plaignant et son avocat sans l’autorisation préalable du Tribunal, et les alinéas 30b) à 30f) de la première ordonnance de confidentialité s’appliquent à eux mutatis mutandis [traduction] « avec les modifications nécessaires et dans la mesure où elles sont applicables ».

[54]  Le Tribunal demande aux parties de présenter leurs observations sur la question des conflits entre certains passages de la première ordonnance de confidentialité et la présente ordonnance visant la divulgation de la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant, et sur la façon dont ces conflits pourraient être réglés. Le Tribunal organisera sous peu une conférence téléphonique de gestion de l’instance au cours de laquelle les parties pourront présenter ces observations.

La destruction des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II relatifs aux simulations 4, 5 et 6

[55]  On peut résumer de la façon suivante les observations du plaignant dans l’avis de requête liées à sa demande de divulgation de documents concernant la destruction des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II de ses camarades de classe.

  1. Selon le témoin de l’intimée, M. François Ducharme, à la fin de l’étape D‑II, on remet aux stagiaires des commentaires [traduction] « généraux » sur leur rendement. Les évaluateurs peuvent renvoyer dans ces commentaires généraux à leurs propres notes, [traduction] « que [le témoin] a appelé formulaires d’évaluation des exercices de simulation ». Le témoin a déclaré en outre que, durant les simulations, les évaluateurs doivent inscrire ces notes aux pages 2 à 5 et à la page 8 du livret qu’ils utilisent pour évaluer les stagiaires. Les évaluateurs doivent remplir les pages 6 et 7 du livret après que les stagiaires ont quitté la salle.
  2. Dans la décision Yaffa c. Air Canada, 2016 TCDP 4 (Yaffa), au paragraphe 28, le Tribunal a déclaré que si, durant une audience, un fondement de preuve est établi à cet égard, une des parties peut présenter une requête en divulgation.
  3. Les formulaires d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant sont potentiellement pertinents, car ils contiennent les notes prises par les évaluateurs [traduction] « en temps réel », pendant que les camarades de classe du plaignant effectuaient les exercices de simulation 4, 5 et 6 de l’étape D‑II. Ces formulaires d’évaluation permettraient au plaignant d’établir que l’intimée lui a imposé une norme plus rigoureuse qu’à ses camarades de classe. Il le ferait en comparant les notes prises en temps réel pendant les simulations de l’étape D‑II dans son cas et dans le cas de ses camarades de classe.
  4. Dans sa lettre du 31 octobre 2018, l’intimée a déclaré que les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant avaient été [traduction] « éliminés, conformément à la politique de rétention des documents [de l’ASFC] », et que l’intimée avait l’intention de présenter une preuve à cet égard.
  5. Par conséquent, étant donné que les formulaires d’évaluation détruits sont potentiellement pertinents, le plaignant a besoin des documents comportant les renseignements qu’il recherche au sujet de leur destruction afin d’avoir la possibilité pleine et entière de présenter sa cause, ce qui est son droit, conformément au paragraphe 50(1) de la Loi. Ce droit comprend le droit de contre‑interroger les témoins de l’intimée au sujet de la destruction des documents.

[56]  Je conclus que les éléments suivants faisant partie du témoignage de M. Ducharme sont pertinents quant à cet aspect de la requête du plaignant.

[57]  Selon ce témoin, les évaluateurs reçoivent un livret d’évaluation des simulations de l’étape D‑II pour chaque stagiaire. Les évaluateurs doivent prendre des notes aux pages 2, 3, 4, 5 et 8 du livret, notant seulement ce que les stagiaires ont fait et dit au cours des simulations, pendant que celles-ci se déroulent – autrement dit, en temps réel. Les notes ne doivent se rapporter qu’aux observations faites durant les simulations en ce qui a trait à l’interaction entre le stagiaire et l’acteur jouant le rôle du voyageur. Les notes ne doivent comprendre aucune conclusion ou supposition de l’évaluateur. Une transcription textuelle de ce que dit le stagiaire serait idéale.

[58]  Au cours du réinterrogatoire, M. Ducharme a déclaré que la page 8 du livret est destinée à la consignation des réponses du stagiaire à des questions imprimées sur cette page, que l’évaluateur doit poser au stagiaire après la simulation. Ces questions demandent notamment au stagiaire d’expliquer pourquoi il a décidé de faire ce qu’il a fait durant les simulations. Après avoir répondu aux questions, le stagiaire quitte la salle.

[59]  Dans son témoignage, M. Ducharme a déclaré qu’il avait appris aux évaluateurs à ne pas mettre trop de détails dans leurs notes, pour protéger la confidentialité des tests dans des documents auxquels le public pourrait avoir accès.

[60]  Les pages 6 et 7 du livret comportent un guide de notation ou feuille de cotation (feuille de cotation). Après que le stagiaire a quitté la salle, l’évaluateur doit se retirer dans un coin privé, consulter la feuille de cotation et décider si la recrue a démontré ou non les compétences évaluées (réussite ou échec), puis inscrire sa décision.

[61]  Une fois que les stagiaires ont terminé toutes les simulations de l’étape D‑II et que les évaluateurs ont rempli le livret et la feuille de cotation pour chaque stagiaire, les évaluateurs tiennent une réunion [traduction] « d’intégration » pour échanger leurs observations et parler du rendement et des cotes qu’ils ont attribuées à chaque stagiaire, ainsi que de la raison pour laquelle ils lui ont attribué cette cote. La réunion d’intégration a pour but de permettre aux trois évaluateurs qui ont travaillé avec un stagiaire de comprendre les décisions des autres et de s’entendre pour décider si le stagiaire a réussi ou échoué l’étape D‑II.

[62]  M. Ducharme a témoigné que l’évaluateur peut comparer à sa décision inscrite sur la feuille de cotation (celle de réussite ou échec) aux notes prises dans les autres pages du livret.

[63]  Je conclus que les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant pour les simulations 5, 6 et 7 de l’étape D‑II se composent des pages 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de chaque livret dans lequel les évaluateurs ont pris des notes pendant et après ces simulations et noté si chaque camarade de classe du plaignant avait démontré ou non les compétences évaluées. La présente partie de la requête porte sur la destruction de ces documents.

[64]  Dans sa déclaration préliminaire, à l’audience, le plaignant a affirmé qu’il est important de noter que, pour étayer son allégation de discrimination, il lui faut une preuve du rendement des autres candidats [traduction] « […] surtout à l’étape D‑II, mais ces documents ont été détruits ».

[65]  Je conclus que M. Ducharme a fourni une description de ce que les formulaires d’évaluation auraient dû contenir. Compte tenu du seuil peu élevé de la pertinence potentielle, il semble qu’il existe un lien entre les formulaires d’évaluation et l’allégation du plaignant formulée dans sa plainte, son exposé des précisions et sa déclaration préliminaire. Il avance de ce lien que l’intimée lui aurait imposé une norme de compétence plus rigoureuse comparativement à celle de ses camarades de classe. Ces derniers pouvaient n’avoir aucun attribut commun avec lui sur les plans de la race, de la couleur ou de l’origine nationale ou ethnique. Les observations notées par les évaluateurs dans les formulaires d’évaluation de l’étape D‑II pourraient avoir contenu des renseignements révélant si l’intimée a effectivement appliqué au plaignant une norme plus rigoureuse comparativement à ses camarades de classe.

[66]  Nul ne conteste le fait que les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant n’existent plus; ils ont été détruits. Nul non plus ne conteste le fait que l’intimée a conservé les formulaires d’évaluation du plaignant. Dans sa déclaration préliminaire à l’audience et dans la lettre du 31 octobre 2018 adressée au Tribunal et aux parties, l’avocat de l’intimée a déclaré qu’il appellerait une personne à témoigner que les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant ont été éliminés conformément aux politiques de l’intimée en matière de conservation des documents. Dans sa lettre, l’avocat de l’intimée a déclaré également avoir dit au représentant précédent du plaignant que les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant [traduction] « n’existent pas ».

[67]  Je trouve important de remarquer l’intention de l’intimée de faire témoigner une personne au sujet de l’élimination des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant conformément à sa politique en matière de conservation des documents. Je conclus, par conséquent, que l’intimée était consciente de la question de la destruction des formulaires d’évaluation, et était prête à y répondre.

[68]  Je note que l’intimée n’a pas invoqué le privilège relatif au litige pour ces documents quand l’avocat a demandé les formulaires d’évaluation de l’étape D‑II, ou quand l’avocat a examiné ces formulaires avant leur élimination. Par conséquent, même si le privilège relatif au litige pourrait s’appliquer à de tels documents, je peux uniquement supposer que l’intimée y a renoncé.

[69]  Je souligne aussi que la preuve que des documents ont été détruits n’est pas une preuve qu’il y a eu discrimination. Le plaignant a mentionné qu’il pourrait demander au Tribunal de tirer une conclusion défavorable du fait que les formulaires d’évaluation ont été détruits. Le Tribunal ne veut pas et ne peut pas tirer une telle conclusion en cours d’instance, sans avoir entendu toutes les preuves et tous les arguments. Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, l’usage des documents que projette le plaignant suffit à établir leur pertinence potentielle.

[70]  Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la destruction par l’intimée des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant a été, et continue d’être, un point en litige dans cette affaire; par conséquent, les documents indiquant la date de la destruction, les documents identifiant les personnes qui ont examiné les documents avant leur destruction, y compris les avocats, et les documents indiquant quand l’avocat a demandé les formulaires d’évaluation sont potentiellement pertinents dans cette affaire, et ils devraient être divulgués. Toutefois, l’intimée n’est pas tenue de dresser une [traduction] « liste » de ces personnes.

[71]  Sans contester la pertinence potentielle des documents, l’intimée a fait valoir que toute valeur probante qu’elle aurait ne l’emporterait pas sur l’effet préjudiciable que la recherche des documents causerait à l’intimée, et ce, comme énoncé dans la décision Brickner, précitée, au paragraphe 8. Je me pencherai maintenant sur cette question.

[72]  Bien que le critère de la pertinence potentielle ait un seuil peu élevé, dans les circonstances particulières de la présente instruction (l’audience est en cours), je considère raisonnable de prendre dûment en compte le préjudice inhérent que représente le fait de reporter encore plus la reprise de l’audience, ce qui n’avantage personne. Le plaignant savait depuis un certain temps déjà que les formulaires d’évaluation de l’étape D‑II de ses camarades de classe avaient été détruits, et il aurait pu demander la divulgation des documents s’y rapportant en août 2017, réduisant ainsi le retard; cependant, il ne l’a pas fait. Je conclus que la destruction des formulaires d’évaluation par l’intimée n’était pas une surprise pour le plaignant. Même si le plaignant soutient qu’il n’a pris conscience de l’importance des documents détruits que durant le témoignage de M. Ducharme, je considère que ce témoin n’a servi qu’à confirmer ce que le plaignant aurait dû savoir quant au contenu de ces formulaires d’évaluation. Le Tribunal doit tenir compte de ce facteur dans sa décision d’ordonner à l’intimée de divulguer les documents se rapportant à la destruction.

[73]  Par ailleurs, après que le plaignant a clos sa preuve et que l’intimée a présenté une partie de ses arguments, le plaignant a demandé un ajournement pour trouver un autre représentant. L’intimée a contesté l’ajournement; le Tribunal a entendu les observations des parties et a accordé l’ajournement. Cependant, je suis consciente du retard que cela a entraîné dans la reprise de l’audience et du préjudice causé à l’intimée, qui avait commencé à présenter sa preuve 22 mois plus tôt et dont la majorité des témoins n’avait pas encore comparu.

[74]  Enfin, je tiens compte du fait que la présente instance n’a pas pour objet la destruction de documents. C’est une instance sur des allégations de discrimination.  

[75]  Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal établit dans son ordonnance une limite au temps que l’intimée peut consacrer à la recherche et à la divulgation des documents se rapportant à la destruction des formulaires d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant. Ce faisant, le Tribunal tente de réduire autant que possible le retard causé par l’ordonnance, tout en accordant suffisamment de temps pour la divulgation.

[76]  Je signale également que le fait d’ordonner qu’un document soit divulgué ne veut pas dire que celui‑ci est admissible en preuve à une audience ou que le Tribunal lui accordera beaucoup de poids dans sa décision (Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4). L’admissibilité en preuve d’un document est une question tranchée à l’audience et pour laquelle le critère est différent de celui qui s’applique à la divulgation.

VIII.  Ordonnances

[77]  L’ASFC doit divulguer sa politique en matière de rétention des documents aux autres parties, si elle ne l’a pas déjà fait.

[78]  L’intimée doit divulguer au plaignant la version non expurgée des rapports d’évaluation des camarades de classe du plaignant contenant le nom de ces derniers. Par souci de clarté, chaque rapport d’évaluation de l’étape D‑II porte le nom officiel de [traduction] « Rapport d’évaluation du stagiaire dans l’exercice de simulation – étape D‑II ».

[79]  Par la présente, le Tribunal désigne la version non expurgée des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant comme des documents confidentiels, en vertu de l’article 52 de la Loi. Sans l’autorisation préalable du Tribunal, ces documents ne doivent être divulgués à personne d’autre que le plaignant et son avocat. En outre, les alinéas 30b) à 30f) de la première ordonnance de confidentialité s’appliquent à la version non expurgée, avec les adaptations nécessaires, des rapports d’évaluation de l’étape D‑II des camarades de classe du plaignant.

[80]  L’intimée doit, durant les 60 jours qui suivent la date de la présente décision sur requête, chercher soigneusement :

  1. les documents en sa possession indiquant la date à laquelle ont été détruits les formulaires d’évaluation des camarades de classe du plaignant liés aux simulations 4, 5 et 6 de l’étape de détermination II;
  2. les documents en sa possession indiquant le nom de toute personne qui a examiné ces formulaires d’évaluation avant leur destruction, y compris les avocats;
  3. les documents en sa possession indiquant quand l’avocat a demandé ces formulaires d’évaluation.

[81]  L’intimée divulguera sans délai au plaignant les documents qu’elle aura trouvés, lesquels s’inscrivent dans n’importe laquelle des catégories décrites au paragraphe 80.

[82]  Si l’intimée termine sa recherche de tous les documents des catégories décrites au paragraphe 80 avant la fin des 60 jours, elle en informera les parties et le Tribunal par écrit sans délai.

[83]  Si le nom d’un ou de plusieurs des camarades de classe du plaignant figure dans un document que l’intimée divulgue en vertu du paragraphe 80, le Tribunal désigne ce nom comme confidentiel, conformément à l’article 52 de la Loi, et les alinéas 30b) à 30f) de la première ordonnance de confidentialité s’appliquent aux documents en question.

[84]  Si l’intimée ne peut pas terminer la recherche des documents s’agissant d’une ou plusieurs des catégories décrites au paragraphe 80 d’ici le 16 septembre 2019, l’intimée informera à cette date les parties et le Tribunal, par écrit, des efforts déployés jusque-là. Le Tribunal déterminera alors les mesures à prendre quant à la présente requête.

[85]  Conformément à l’alinéa 3(2)d) des Règles du Tribunal, le Tribunal se réserve par la présente le droit de rendre toute ordonnance supplémentaire nécessaire à l’égard de la présente requête.

Signé par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 juillet 2019

 

Version française de la décision du membre


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du Tribunal : T1817/4712

Intitulé : Geevarughese Johnson Itty c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 18 juillet  2019

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Observations écrites par :

David Baker , pour le plaignant

David Aaron , pour l’intimée



[1] Le 14 août 2017, avant la présentation des déclarations préliminaires par les parties, quand le Tribunal a demandé au représentant du plaignant si cette plainte relevait de l’alinéa 7a) ou de l’alinéa 7b), il a déclaré que le plaignant souhaitait laisser la question de côté et y répondre dans ses observations finales, ajoutant que le plaignant pourrait faire valoir qu’elles relèvent des deux alinéas. L’avocat de l’intimée a déclaré que, de l’avis de l’intimée, l’alinéa 7a) s’appliquait parce que le plaignant n’était pas un employé de l’intimé, mais que le plaignant pouvait présenter son argument durant les observations finales. On peut supposer que les deux parties présenteront d’autres arguments à ce moment‑là.

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