Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 41

Date : le 4 octobre 2019

Numéro du dossier : T2248/0318

 

Entre :

Ryans Letnes

le plaignant

 - et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Alex G. Pannu

 



I.  La portée des plaintes

A.  Aperçu

[1]  Le plaignant a déposé un exposé des précisions le 11 mars 2018 (l’« EP initial du plaignant »), ainsi qu’une réplique à l’exposé des précisions de l’intimée, datée du 9 mai 2018, et une réplique modifiée à l’exposé des précisions de l’intimée, datée du 11 mai 2018 (dans leur ensemble, les « répliques du plaignant »). L’intimée et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne se sont opposées à aucune des précisions invoquées dans l’EP initial du plaignant ou dans les répliques du plaignant. Ces trois documents sont maintenant devant le Tribunal.

[2]  Le plaignant cherche à modifier son exposé des précisions (EP) initial en déposant trois EP supplémentaires auprès du Tribunal sous la forme des trois avis de requête distincts qui suivent :

  1. Avis de requête – Exposé des précisions supplémentaire du plaignant, daté du 17 mai 2018 (l’« EP de mai »);
  2. Avis de requête – Exposé des précisions supplémentaire du plaignant, version 2.0, daté du 19 juin 2018 (l’« EP de juin »);
  3. Avis de requête – Exposé des précisions supplémentaire du plaignant, version 3.0, daté du 29 août 2018 (l’« EP d’août »).

[3]  L’intimée s’oppose au dépôt des trois EP supplémentaires et demande au Tribunal de rejeter entièrement les requêtes.

[4]   La Commission s’oppose à certaines parties des EP supplémentaires du plaignant, mais ne s’oppose pas à d’autres ou ne se prononce pas à leur sujet.

B.  Le droit

[5]  Le Tribunal peut autoriser une partie à modifier un exposé des précisions à tout stade de l’action afin de veiller à ce que l’exposé reflète de façon correcte et équitable les questions en litige entre les parties à une plainte [1] . Des précisions peuvent donc être apportées dans les actes de procédures en matière de droits de la personne lorsque de nouveaux faits ou de nouvelles circonstances sont révélés [2] .

[6]  Toutefois, le Tribunal doit trancher la question de savoir si la modification demandée est liée en fait et en droit à la plainte et si la modification causerait à l’autre partie un préjudice « réel et important » qui ne peut pas être réparé [3] .

[7]  La compétence du Tribunal découle du renvoi de la plainte par la Commission. La portée du renvoi est déterminée en examinant la lettre de la Commission adressée au président du Tribunal, étant donné que cette lettre marque le début du processus d’instruction du Tribunal. Dans la décision Casler, le Tribunal a fait observer que « [c]ette lettre permet d’établir si la plainte a été renvoyée dans son intégralité ou non. Lors de cet examen, le Tribunal s’assure qu’il existe un lien avec les allégations qui ont donné lieu à la plainte originale et que cela n’outrepasse pas le mandat conféré à la Commission, en vertu de la Loi, en ce qui a trait au renvoi [4] . »

[8]  Dans la décision Gaucher c. Canada (Forces armées), le Tribunal a examiné une requête pour modifier une plainte. Il a fait observer que la véritable question était de savoir si la modification, en minant sérieusement l’équité du processus, serait préjudiciable à l’intimée. « Si une modification proposée ouvre une nouvelle voie non prévue à l’égard d’une instruction, elle ne devrait pas être autorisée. » [5]

C.  Analyse et ordonnances

[9]  Après avoir examiné les arguments présentés par les parties, j’ordonne que :

  1. L’EP de mai du plaignant soit admis pour dépôt, mais que les paragraphes 35 à 49, 51 et 56 soient radiés;
  2. L’EP de juin du plaignant soit accepté pour dépôt, mais que les paragraphes 19 à 25 soient radiés;
  3. L’EP d’août du plaignant soit accepté pour dépôt, mais que les paragraphes 12 à 29, 41 à 51, 55, 56 et 58 soient radiés.

[10]  Étant donné que toutes les procédures dont le Tribunal est saisi sont instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique, les parties ne sont pas tenues de déposer des exposés des précisions modifiés dans cette affaire. Les modifications apportées aux EP du plaignant sont par conséquent réputées avoir été effectuées.

[11]  Après que les parties ont reçu la présente décision sur requête, le Tribunal convoquera une conférence téléphonique de gestion de l’instance afin de trancher toute question de procédure qui subsisterait avant de déterminer les dates et le lieu de l’audience.

(i)  Requête datée du 17 mai 2019

[12]  Le plaignant allègue que les courriels envoyés par le surintendant Ghalib Bhayani aux membres de la GRC qui étaient des témoins potentiels dans cette affaire avaient pour but d’intimider les témoins. L’intimée a contesté l’allégation en fournissant sa propre explication de l’objet de ces courriels. J’accepte l’argument de la Commission selon lequel l’intimidation de témoins énoncée à l’article 59 de la Loi est une infraction quasi criminelle qui peut être sanctionnée par les tribunaux, et non par le Tribunal. Je n’ai pas compétence pour admettre une allégation d’intimidation de témoins, comme l’a demandé le plaignant au paragraphe 51 de sa requête. La Commission et la GRC ont conclu un protocole d’entente (le PE) concernant l’échange de renseignements lorsqu’une enquête est ouverte au titre de l’article 59. Le but du PE est de coordonner les mandats que la Loi confie à chacune. Le Tribunal n’a pas non plus compétence pour ordonner l’abandon du protocole d’entente, comme le demande le plaignant au paragraphe 56. Toutefois, je suis disposé à examiner le même ensemble de faits dans le contexte d’une allégation de représailles en application du paragraphe 14(1) de la Loi.

[13]  Les paragraphes 35 à 38 de la requête renvoient à une lettre de mandat du ministre de la Sécurité publique adressée à la nouvelle commissaire de la GRC. Dans certains énoncés de la requête, il est question de la sous‑représentation de divers groupes, y compris les personnes atteintes de déficience, au sein de la direction de la GRC. Les allégations de discrimination systémique peuvent être autorisées à titre de motifs de distinction illicite supplémentaires s’il existe un lien suffisant avec les faits de la plainte initiale. Par exemple, dans la décision Itty c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada) [6] , le Tribunal a autorisé une modification présentée en vue d’ajouter des allégations visées à l’article 10 lorsque les allégations de discrimination systémique découlent des mêmes faits que ceux sur lesquels le plaignant s’est fondé pour étayer les allégations de discrimination en matière d’emploi et de différence préjudiciable de traitement au sens de l’article 7.

[14]  Toutefois, les groupes mentionnés dans l’EP de juin l’ont été dans le contexte de leur inclusion dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). La LEE est une loi distincte qui énonce l’obligation de l’employeur d’assurer l’équité en matière d’emploi en prenant certaines mesures. Elle ne crée pas des droits dont les personnes peuvent se prévaloir devant le Tribunal et ne devrait donc pas être incluse dans un EP modifié.

[15]   La question de la discrimination systémique au sein de la GRC à l’endroit des membres ayant une déficience a été soulevée dans l’EP initial du plaignant. Le plaignant aurait la possibilité d’appeler des témoins ou de présenter des éléments de preuve à l’audience pour appuyer ces allégations. Dans la décision Gaucher, le Tribunal a fait observer que comme « [c]omme règle générale, le Tribunal est tenu de suivre le fond de la plainte, peu importe où il conduit. […] Cela est généralement établi par les faits de l’affaire plutôt que par l’article en vertu duquel la plainte a été déposée [7]  ». Le Tribunal a poursuivi en disant que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Robinson « appuierait, du moins implicitement, la prétention selon laquelle l’étendue du pouvoir réparateur exercé par le Tribunal est établie par les dispositions de l’article 53, comme je l’ai suggéré, plutôt que par l’article en vertu duquel la plainte a été déposée. Il s’ensuit que des redressements systémiques sont offerts si la plainte, l’enquête qui en résulte et le processus de divulgation devant le Tribunal montrent qu’ils sont appropriés [8]  ».

[16]  Les paragraphes 39 à 49 se trouvent dans une section de l’EP intitulée « Questions accessoires ». Je conclus qu’il s’agit principalement d’un certain nombre d’observations et d’opinions personnelles du plaignant. Ils n’ont pas de lien factuel ou juridique avec le cœur de la plainte. Je ne les inclurai pas en tant que modification apportée à l’EP.

(ii)  Requête datée du 19 juin 2018

[17]  En cas d’allégations de représailles de la part de l’intimée à la suite de la plainte initiale, le Tribunal a admis qu’il ne serait pas « pratique, efficace et juste » d’exiger qu’une personne soulève des allégations de représailles seulement dans le cadre d’une instance distincte [9] . Par conséquent, on peut autoriser une modification visant l’ajout d’allégations de représailles, à moins qu’il soit manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées.

[18]  Le critère particulier qu’il faut appliquer pour déterminer s’il y a lieu d’autoriser une modification visant à ajouter des allégations de représailles exige un examen des questions suivantes :

  1. si les allégations de représailles sont, par leur nature, liées, du moins par le plaignant, aux allégations qui ont donné lieu à la plainte initiale;
  2. si les allégations peuvent être considérées comme soutenables;
  3. si un avis suffisant a été donné à l’intimée afin de ne pas lui causer préjudice et de lui permettre de se défendre adéquatement [10] .

[19]  Sur ce fondement, sans formuler aucun commentaire sur leur bien-fondé, j’accepte l’inclusion des allégations de représailles du plaignant figurant dans la requête de juin.

[20]  Toutefois, je n’admets pas les allégations contenues dans les paragraphes 20 à 26 de l’EP de juin. Ces allégations ne représentent que l’opinion du plaignant et n’ont aucun lien factuel ou juridique avec la plainte initiale.

(iii)  Requête datée du 29 août 2019

[21]  La requête du plaignant comporte un certain nombre d’exemples d’autres membres de la GRC y compris la façon dont l’intimée aurait traité leur déficience. La requête du plaignant contient également des allégations de harcèlement de la part de l’intimée et des allégations avançant que l’intimée a utilisé le processus interne relatif à son Code de déontologie contre le plaignant en tant que forme de représailles. 

[22]  L’intimée et la Commission sont d’accord pour dire que certaines parties de la requête du plaignant ne devraient pas être autorisées comme modifications à son EP (voir le paragraphe 9C susmentionné). Après avoir examiné la requête, je souscris à leur sentiment.

[23]  Aux paragraphes 12 à 17, le plaignant allègue qu’une enquête menée par l’intimée en vertu du Code de déontologie de 2017 sur la façon dont il a traité des éléments de travail constituait des représailles exercées contre lui en raison d’une accusation de harcèlement qu’il avait déposée au cours de cette année‑là. Toutefois, le plaignant n’a pas apporté de précisions, par exemple que l’enquête avait été menée en représailles pour la plainte relative aux droits de la personne qu’il avait déposée ou que les membres de la GRC étaient au courant de sa plainte. Il ne me semble pas y avoir de lien factuel ou juridique entre cette allégation et la plainte initiale.

[24]  Des allégations plus générales ont également été formulées aux paragraphes 17 à 29 au sujet de l’incidence du processus disciplinaire de la GRC sur les membres atteints d’une déficience. Ces allégations ne semblent pas avoir de lien juridique ou factuel avec la plainte initiale. Je ne les admettrai pas à titre de modifications.

[25]  Enfin, le plaignant avance des allégations selon lesquelles le processus interne de traitement des plaintes de harcèlement de la GRC prive les plaignants de justice naturelle. Ces allégations ne sont pas liées à la plainte initiale et constitueraient une nouvelle plainte. En général, le Tribunal n’examine pas les processus internes de l’intimée pour des raisons de compétence et de procédure, sauf s’il rédige des ordonnances de réparation non pécuniaires. Par exemple, voir la décision Constantinescu c. Service Correctionnel Canada [11] .

(iv)  Requête datée du 31 mai 2019

[26]  Le plaignant a déposé une requête datée du 31 mai 2019 en réponse aux observations formulées par la Commission sur ses trois requêtes. L’intimée s’est opposée à l’inclusion des observations du plaignant. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et appliqué les règles de procédure du Tribunal, qui sont plus souples, pour accueillir cette requête. Mon examen ne modifie en rien ma décision susmentionnée. Il est allégué dans la requête l’existence de nouveaux éléments de preuve à l’appui de certaines des allégations formulées dans l’EP initial. Ils ne doivent pas être inclus dans un EP modifié, mais le plaignant peut appeler des témoins ou présenter de tels éléments de preuve à une audience.

Signée par

Alex G. Pannu

Membre du Tribunal

 

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 2019

 

Version française de la décision du membre


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2248/0318

Intitulé de la cause : Ryan Letnes c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 4 octobre 2019

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Ryan Letnes , pour le plaignant

Daphne Fedoruk , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sarah Eustace , pour l'intimée



[1] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (Représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 24, au paragraphe 13.

[2] Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au paragraphe 9.

[3] Itty c Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 TCDP 33; Cook c. Première Nation D’onion Lake, 2002. CanLII 61849 (TCDP).

[4] Casler, au paragraphe 7.

[5] Gaucher c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 TCDP 1.

[6] Itty c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 TCDP 33, au paragraphe 23.

[7] Gaucher, au paragraphe 15.

[8] Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F (C.A.F.) 228, à la page 248

[9] Tabor c La Première nation Millbrook, [2013] T.C.D.P., aux paragraphes 12 et 13

[10] Saviye c Afroglobal Network Inc. et Michael Daramola, 2016 TCDP 18, au paragraphe 15

[11] Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2018 TCDP 17, au paragraphe 19.

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