Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 19

Date : Le 1er mai 2019

Numéro du dossier : T2220/4217

 

 

 

Entre :

T.P.

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l’intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 



I.  Introduction

[1]  Le plaignant, T.P., a essayé à deux reprises de s’engager dans les Forces armées canadiennes (FAC). Dans le cadre de leur processus de sélection, les FAC soumettent les candidats à un examen écrit chronométré appelé Test d’aptitude des Forces canadiennes (TAFC). Les candidats doivent obtenir une note minimale au TAFC pour pouvoir passer aux étapes suivantes du processus de sélection. Dès l’enfance, T.P. a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage qui l’empêcherait, selon lui, de passer des examens écrits chronométrés comme le TAFC. Il est convenu que, pendant toute la période visée par la présente plainte, les FAC n’ont autorisé aucune mesure d’adaptation pour les candidats se soumettant au TAFC.

[2]  Dans la présente plainte, il s’agit de déterminer si le fait que les FAC insistent pour que tous les candidats subissent le TAFC sans ne se voir accorder aucune mesure d’adaptation constitue une politique discriminatoire prima facie, en contravention de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Il s’agit aussi d’établir si les FAC ont contrevenu au droit du plaignant de ne pas subir de discrimination en matière d’emploi, en violation de l’article 7 de la Loi. Advenant que la preuve prima facie de discrimination soit établie, les FAC ont déclaré qu’elles feraient valoir que le TAFC est une exigence professionnelle justifiée (EPJ).

[3]  La présente décision concerne la requête présentée par les FAC en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le plaignant à produire certains documents médicaux portant sur son trouble d’apprentissage et les traitements qu’il a reçus pour des troubles psychiatriques, de même que sur son bien-être psychologique. Le plaignant et la Commission s’opposent à la requête, sauf pour ce qui est des documents relatifs au trouble d’apprentissage.

[4]  Je suis d’avis que la demande de production de documents médicaux présentée par les FAC a une portée excessive. Je refuse donc d’ordonner la production des documents demandés relatifs aux traitements psychiatriques et psychologiques du plaignant. Je consens toutefois à ordonner que soient produits, selon les conditions énoncées dans l’ordonnance ci‑dessous, les documents relatifs au trouble d’apprentissage du plaignant et à toute déficience cognitive ou intellectuelle susceptible d’avoir une incidence sur sa capacité de se soumettre au TAFC.

[5]  Afin de mettre en contexte ma décision relativement à cette requête, je commencerai par résumer les positions des parties.

II.  Positions des parties à l’égard de la requête en production de documents présentée par les Forces armées canadiennes

A.  Les Forces armées canadiennes

[6]  Dans leur avis de requête, les FAC demandent que le Tribunal rende une ordonnance obligeant le plaignant à produire les documents suivants :

  • i) Tous les documents — notamment les documents électroniques — détenus par le Dr David Warner, et sur lesquels celui-ci s’est appuyé pour rédiger sa lettre datée du 1er juin 2009. Ces documents comprennent notamment son rapport antérieur ou initial sur les troubles psychiatriques passés du plaignant;

  • ii) Tous les documents, y compris les dossiers cliniques et les résultats et rapports de tests, notamment les documents électroniques, détenus par le Dr David Warner sur le trouble d’apprentissage et le bien-être psychologique du plaignant;

  • iii) Tous les documents — notamment les documents électroniques — détenus par le DOwen James au sujet du plaignant, du début de son traitement jusqu’à aujourd’hui;

  • iv) Tous les documents — notamment les documents électroniques — détenus par le Dr Nur Shaw, pédopsychiatre, et par la Fraser Health Authority, sur le diagnostic psychologique et psychiatrique du plaignant, son traitement et son suivi;

  • v) Un rapport des Services médicaux de la Colombie-Britannique qui décrit les traitements médicaux du plaignant de 2009 jusqu’à aujourd’hui;

  • vi) Un rapport du College of Pharmacists of British Columbia, PharmaNet, qui décrit les médicaments délivrés au plaignant de 2009 jusqu’à aujourd’hui.

[7]  Les FAC soutiennent qu’étant donné que certains des documents déjà communiqués par le plaignant font référence au traitement de troubles psychiatriques passés, ces troubles doivent être liés à son trouble d’apprentissage et, par conséquent, au fait qu’il a besoin de mesures d’adaptation pour passer le TAFC. Plus précisément, les FAC soulignent que le plaignant a communiqué [traduction] « des documents indiquant qu’il souffre d’une déficience cognitive ou intellectuelle permanente et qu’il a des antécédents de maladie psychiatrique, y compris de troubles anxieux [1]  ». Elles estiment que [traduction] « les documents donnent à penser que son état pathologique et psychologique sont liés à son trouble d’apprentissage, comme l’indique le rapport psychopédagogique de 2001 [2]  ».

[8]  Les documents qui, selon les FAC, établissent un lien entre le trouble d’apprentissage du plaignant et ses troubles psychiatriques passés vont de 2001 à 2015, et incluent :

  • a) Un rapport psychopédagogique du district scolaire du plaignant datant de 2001;

  • b) Un résumé non daté signé par le Dr Shaw, pédopsychiatre au Surrey Memorial Hospital, qui contient un résumé d’évaluation psychologique et un résumé d’évaluation psychiatrique;

  • c) Une lettre, datée du 5 août 2005, envoyée par le Dr Shaw au Centre canadien des armes à feu, dans laquelle celui–ci appuie la demande présentée par le plaignant de permis d’acquisition et de possession d’armes utilisés pour la chasse

  • d) Les renseignements fournis le 12 avril 2010 aux FAC par le Dr James, Ph. D, psychologue agréé consulté par le plaignant de mai 2004 à février 2005;

  • e) Une lettre, datée du 16 mai 2012, envoyée par le Dr James au contrôleur des armes à feu, en appui à la demande de permis d’acquisition et de possession d’armes à feu présentée par le plaignant;

  • f) Une lettre du médecin de famille du plaignant, le Dr Warner, datée du 1er juin 2009. Il y précise qu’il s’agit d’une note ajoutée concernant son rapport sur les troubles psychiatriques passés du plaignant;

  • g) Une lettre du Dr Warner, datée du 29 octobre 2015 sur les limites au travail du plaignant et ses besoins d’adaptation du milieu de travail;

  • h) Une lettre, datée du 12 novembre 2015, du Dr Baker, suppléant du Dr Warner, qui écrit en appui à la demande d’emploi dans les FAC du plaignant.

[9]  Je décrirai la teneur de ces documents plus en détail dans la section « Analyse » de la présente décision.

[10]  À l’appui de leur requête, les FAC citent le paragraphe 50(1) de la Loi, qui prévoit que toutes les parties doivent avoir la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que des observations. Les FAC invoquent également l’alinéa 6(1)d) et le paragraphe 6(5) des Règles de procédures (Règles) du Tribunal, aux termes desquels toutes les parties doivent énumérer et produire, dès le départ et de façon continue par la suite, tous les documents en leur possession pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’est invoqué, et qui [traduction] « pourraient être pertinents » à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence. Les FAC soulignent que le paragraphe 1(2) précise que les Règles du Tribunal doivent être appliquées de façon libérale, afin de servir leur objectif, qui est de faire en sorte que : a) toutes les parties aient la possibilité pleine et entière d’être entendues; b) l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace; et c) les affaires soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible [3] .

[11]  Pour qu’un document soit [traduction] « potentiellement pertinent » au sens de l’article 6, il doit y avoir un lien ou un lien rationnel entre le document demandé et un fait, une question ou un redressement mentionné par une partie à l’instance [4] .

[12]  Les FAC prétendent aussi que, même si les demandes de documents ne doivent pas être spéculatives ou constituer une recherche de renseignements à l’aveuglette, le critère relatif à la production de documents susceptibles d’être pertinents est peu exigeant, et l’on tend à favoriser une communication plus générale à cette étape. Les FAC soulignent qu’il ne suffit pas d’ordonner la production d’un document pour que celui‑ci soit nécessairement admissible en preuve ou que le Tribunal lui accorde une importance considérable [5] .

[13]  Les FAC avancent que [traduction] « l’exposé des précisions du plaignant, les questions qui y sont soulevées et les documents déjà communiqués satisfont au critère peu exigeant de la pertinence potentielle [6]  ». Elles ajoutent qu’en plus des notes obtenues par le plaignant aux TAFC de 2009 et de 2014, les allégations suivantes contenues dans l’exposé des précisions du plaignant sont importantes relativement à leur argument :

  • le plaignant souffre d’un [traduction] « léger trouble d’apprentissage scolaire » qui l’empêche de réussir des examens écrits chronométrés;

  • il a fourni des lettres de médecins indiquant qu’il présente une déficience nécessitant une adaptation;

  • il déclare qu’il serait devenu membre des FAC, n’eurent été les politiques ou les pratiques discriminatoires des FAC;

  • il déclare avoir souffert et subi un préjudice moral ainsi qu’une perte de salaire pour lesquels il demande à être indemnisé.

[14]  Les FAC soulignent également que les services d’une psychologue ont été retenus pour réaliser des tests avec le plaignant en février 2019, afin de préparer un rapport d’expert en vue de l’instruction de la présente plainte par le Tribunal. Les FAC affirment que l’ancien rapport psychopédagogique du plaignant, de même que ses antécédents médicaux, psychiatriques et psychologiques, seront pertinents pour toute évaluation faite par un expert de son trouble d’apprentissage et de ses besoins d’accommodement. Elles ajoutent avoir le droit de répondre à un tel rapport d’expert, ce qui peut les obliger à retenir elles aussi les services d’un expert.

[15]  Compte tenu de tout ce qui précède, les FAC soutiennent qu’elles ont satisfait au critère peu exigeant relatif à la production de documents potentiellement pertinents. Ces documents lui sont indispensables pour être en mesure de répondre pleinement aux allégations du plaignant.

B.  Le plaignant

[16]  Le plaignant s’oppose à [traduction] « la grande majorité » de la requête des FAC, estimant qu’elle est [traduction] « extrêmement intrusive et excessive, tant sur le plan de sa portée que sur celui de la période visée [7]  ».

[17]  Le plaignant déclare que les renseignements suivants, qui ne sont pas contestés pour la plupart, sont pertinents à l’égard de la requête des FAC :

  • un trouble d’apprentissage lui a été diagnostiqué à l’âge de cinq ans;

  • il a souffert dans le passé de troubles psychiatriques qui ont donné lieu à un traitement, arrêté depuis, et ces troubles ne sont pas réapparus;

  • malgré sa mauvaise note au TAFC de 2009, les FAC ont laissé sa demande suivre son cours;

  • bien qu’elles aient clos son dossier après n’avoir pas reçu certains renseignements médicaux demandés, les FAC, en 2010, ont déclaré le plaignant médicalement apte au service;

  • en 2014, il a de nouveau soumis sa candidature aux FAC, comme demandé;

  • en février 2019, la Commission a demandé à Dre Joan Pinkus de procéder à une évaluation psychopédagogique courante du plaignant et de produire un rapport sur le trouble dont il est atteint, ainsi que sur toute restriction connexe.

[18]  Le plaignant prétend que ses documents médicaux sont confidentiels et privés, et que, même s’il [traduction] « a mis en cause les renseignements médicaux relatifs à son trouble d’apprentissage pour ce qui est de la période correspondant au dépôt de sa candidature auprès des FAC en 2014, il n’a pas soulevé la question de troubles psychiatriques ou psychologiques ni la question de son bien-être psychologique, et celles‑ci ne sont pas en litige [8]  ».

[19]  Le plaignant fait remarquer que les déclarations des FAC, avançant que ses troubles psychiatriques passés ont une incidence directe sur son trouble d’apprentissage et y sont liés, ne sont appuyées par aucun élément de preuve. Il ajoute que les FAC n’expliquent pas en quoi les documents auxquels elles renvoient établissent un tel lien. Le plaignant nie le fait que les documents qu’il a déjà communiqués établissent un lien entre son trouble d’apprentissage et des troubles psychiatriques ou psychologiques dont il aurait déjà souffert.

[20]  Au sujet des documents auxquels les FAC renvoient à l’appui de leur thèse, le plaignant soutient ce qui suit :

  • a) Le rapport psychopédagogique de son district scolaire a été préparé en réponse à une demande d’évaluation de ses aptitudes scolaires présentée par ses tuteurs. Ce rapport porte sur ses capacités cognitives, ses résultats scolaires, le soutien intensif dont il avait besoin et les modifications apportées aux matières scolaires. Il n’établit aucun lien entre des troubles psychiatriques ou psychologiques quelconques et son trouble d’apprentissage;

  • b) Le résumé non daté du Dr Shaw ne mentionne aucun trouble d’apprentissage;

  • c) La lettre d’août 2005 du Dr Shaw ne mentionne aucun trouble d’apprentissage;

  • d) Les formulaires de consentement à la communication de renseignements médicaux datant d’avril 2010 et remplis par le Dr James, psychologue, ne mentionnent aucun trouble d’apprentissage;

  • e) La lettre de mai 2012 du Dr James ne mentionne aucun trouble d’apprentissage;

  • f) La lettre de juin 2009 du Dr Warner ne mentionne aucun trouble d’apprentissage;

  • g) La lettre d’octobre 2015 du Dr Warner ne mentionne aucun trouble psychologique ou psychiatrique;

  • h) La lettre de novembre 2015 du Dr Baker ne mentionne aucun trouble psychiatrique ou psychologique.

[21]  Le plaignant rappelle qu’en plus des principes juridiques invoqués par les FAC à l’appui de leur requête — principes au sujet desquels le plaignant est d’accord —, les droits en matière de confidentialité et de protection de la vie privée qu’il détient à l’égard des renseignements médicaux le concernant doivent être mis en équilibre avec son obligation de communiquer les documents [9] . De plus, les renseignements médicaux qui doivent être communiqués se limitent aux questions en litige dans la plainte [10] . S’il est vrai que d’anciens dossiers médicaux peuvent être produits pour permettre au Tribunal de déterminer si le préjudice moral subi par un plaignant est lié à la discrimination à l’origine de la plainte, et ne découle pas d’une pathologie préexistante ou d’un traumatisme antérieur, la période sur laquelle portent les dossiers ne doit pas être trop étendue. Le plaignant soutient qu’une période de deux ans est appropriée, d’après la jurisprudence du Tribunal [11] . En outre, le plaignant fait valoir que, si le Tribunal ordonne la production de dossiers médicaux, des conditions devraient être imposées.

[22]  En ce qui concerne la demande de production de documents relatifs à son trouble d’apprentissage présentée par les FAC, le plaignant déclare qu’il produira tous les documents pertinents émanant du Dr Warner, y compris toute la documentation sur laquelle celui‑ci s’est appuyé pour confirmer le diagnostic de trouble d’apprentissage, à condition que :

  • i) le plaignant en expurge les renseignements qui ne sont pas potentiellement pertinents à l’égard de son trouble d’apprentissage [12] ;

  • ii) les documents ne soient communiqués qu’à l’avocat des FAC et à la Commission [13] ;

  • iii) les documents ne soient utilisés qu’aux fins de l’instance devant le Tribunal [14] ;

  • iv) les documents (ainsi que tous les documents médicaux déjà produits) soient rendus au plaignant à la conclusion de l’instance devant le Tribunal [15] .

[23]  Le plaignant estime qu’aucun des autres documents demandés par les FAC ne peut être produit à bon droit. Selon lui, [traduction] « les FAC ne peuvent utiliser les documents déjà produits qui mentionnent des troubles psychiatriques (sans les lier au trouble d’apprentissage) comme point de départ pour obtenir des renseignements médicaux qui ne sont pas pertinents [16]  ». Il affirme que, si le critère de la pertinence potentielle n’est pas exigeant, il n’en doit pas moins être respecté, et que rien ne prouve que des troubles psychiatriques ou psychologiques quelconques, ou le bien-être psychologique du plaignant soient plus liés à son trouble d’apprentissage qu’une jambe cassée le serait, par exemple. Le plaignant prétend que, si son état et ses antécédents psychiatriques et psychologiques peuvent être pertinents à des fins d’intérêts professionnels, le cas présent de cette plainte concerne plutôt son trouble d’apprentissage. Il souligne aussi que ce trouble sera étudié en détail dans le rapport de Dre Pinkus.

[24]  Par ailleurs, le plaignant fait valoir que même si son état ou ses antécédents psychiatriques ou psychologiques étaient pertinents à l’égard de la plainte, les dossiers demandés qui remontent à 13 ans ou plus ne le sont pas : [traduction] « Il convient de rappeler que tout trouble psychiatrique passé a été traité avant 2005, et que les FAC ont déclaré T.P. médicalement apte au service en 2010 [17] . »

[25]  En ce qui a trait aux demandes visant les rapports des Services médicaux de la Colombie-Britannique et du College of Pharmacists of British Columbia, PharmaNet, de 2009 jusqu’à aujourd’hui, le plaignant déclare que ces demandes sont [traduction] « démesurées dans leur portée et relativement à la période visée ». Selon lui, ces rapports comprendront probablement beaucoup de renseignements médicaux confidentiels et privés dénués de tout rapport avec sa plainte. Il soutient, de plus, que les FAC n’ont fourni aucune explication sur leur choix arbitraire de 2009 comme date de début de ces rapports.

[26]  Le plaignant soutient que les documents qu’il s’oppose à produire ne sont pas potentiellement pertinents, et certainement pas essentiels pour permettre aux FAC de répondre pleinement à sa plainte.

C.  La Commission

[27]  La position de la Commission est pour l’essentiel la même que celle du plaignant. La Commission convient que les documents relatifs au trouble d’apprentissage du plaignant pour la période entourant le dépôt de sa candidature auprès des FAC, en 2014, pourraient être pertinents et devraient être produits. Cependant, elle est d’avis que les autres documents demandés, qui se rapportent aux évaluations et aux troubles psychiatriques passés, ont une portée excessive et ne satisfont pas au critère de la pertinence potentielle.

[28]  La Commission est d’accord avec les principes juridiques sur lesquels s’appuient les FAC et le plaignant, et elle ajoute qu’il existe d’autres facteurs que le Tribunal devrait prendre en considération lorsqu’un intimé sollicite la production des dossiers médicaux d’un plaignant. Par exemple, le droit à la vie privée ou à la confidentialité d’un plaignant en ce qui concerne des dossiers médicaux peut cesser d’exister dès lors que le plaignant met en cause sa santé dans une instance. Cependant, même dans le cas où un plaignant soulève certaines questions relatives à sa santé, une divulgation complète de tous les dossiers médicaux ne s’impose pas automatiquement. En fait, il faut concilier l’obligation de communication d’un plaignant et les préoccupations légitimes qu’il peut avoir en matière de respect de sa vie privée. En outre, un plaignant n’est obligé de communiquer que les dossiers médicaux qui pourraient être pertinents à l’égard de maladies mises en cause dans l’affaire. Lorsqu’un dossier médical contient des renseignements potentiellement pertinents et d’autres qui ne le sont pas, ces derniers devraient être expurgés du dossier avant sa production. Et lorsqu’un plaignant pense qu’un dossier médical est personnel et qu’il n’est pas potentiellement pertinent, le Tribunal peut proposer au plaignant de lui en communiquer une copie à l’avance pour qu’il puisse décider si le dossier doit être divulgué ou non [18] .

[29]  En dehors des documents que le plaignant accepte de produire au sujet de son trouble d’apprentissage, la Commission prétend qu’aucun des autres documents médicaux demandés par les FAC ne se sont révélé pertinent à la présente plainte. Selon elle, à première vue, les documents communiqués jusqu’ici [traduction] « ne semblent pas établir les liens avancés par les FAC, qui n’ont pas cité de passages précis tendant à corroborer leurs affirmations [19]  ».

[30]  La Commission soutient qu’il est important de se rappeler, non seulement que tout indique que les troubles psychiatriques ayant pu avoir existé étaient guéris en 2005, soit neuf ans avant la demande d’enrôlement de 2014 qui est en cause dans la plainte, mais aussi que les FAC ont déclaré le plaignant médicament apte au service en 2010, soit quatre ans avant cette demande de 2014. La Commission soutient que, dans cette optique, les FAC n’ont pas démontré que les documents médicaux des professionnels de la santé mentionnés, qui ont soigné ou évalué le plaignant allant du début jusqu’au milieu des années 2000, pourraient être pertinents aux fins de l’examen des conséquences que le TAFC a pu avoir sur le plaignant, ou sur d’autres personnes atteintes de troubles d’apprentissage, en 2014.

[31]  La Commission fait observer qu’elle a demandé à Dre Joan Pinkus, psychologue agréée, de procéder à une évaluation psychopédagogique du plaignant. En plus de préparer un rapport, Dre Pinkus témoignera à l’audience au sujet de tout trouble d’apprentissage que pourrait présenter le plaignant et de toute restriction connexe. En ce qui concerne l’argument des FAC selon lequel elles auraient le droit de répondre au rapport de Dre Pinkus, la Commission accepte qu’une telle réponse supposerait normalement que les FAC reçoivent des copies des documents que Dre Pinkus avait consultés au cours de son évaluation et pendant la préparation de son rapport. Cependant, la Commission déclare qu’à sa connaissance, Dre Pinkus n’a en sa possession aucun des documents contestés visés par la requête. Si cela devait changer à l’avenir, et que les parties ne s’entendaient pas à ce moment–là sur la production ou non des documents concernés, la Commission indique que les parties devront demander de nouvelles directives au Tribunal.

D.  La réponse des Forces armées canadiennes

[32]  En réponse aux observations du plaignant et de la Commission sur leur requête, les FAC déclarent [traduction] « demander des documents précisément parce que T.P. a déjà produit des documents qui faisaient allusion à des troubles psychiatriques passés et à leur traitement, et qui indiquaient qu’il souffre d’un trouble d’anxiété généralisée et d’une phobie sociale, d’un trouble de l’humeur, d’un trouble psychotique et d’un trouble de l’adaptation ainsi que d’une dépression, pour lesquels il a été soigné dans le passé. Chacun de ces troubles peut agir sur un trouble d’apprentissage et sur des besoins éventuels en matière de mesures d’adaptation [20] . »

[33]  Les FAC concluent en disant que, d’après les renseignements limités présentés, et compte tenu de la divulgation partielle, par le plaignant, d’antécédents psychiatriques et d’une pathologie liée à des troubles anxieux et à une déficience cognitive ou intellectuelle, [traduction] « il existe clairement un lien évident et rationnel entre les documents demandés et un fait ou une question mentionnés dans la plainte [21]  ».

III.  Question à trancher

[34]  Le Tribunal doit‑il accéder à la demande présentée par les FAC, qui sollicitent une ordonnance obligeant le plaignant à produire les documents médicaux mentionnés dans leur avis de requête?

IV.  Analyse

(i)  Principes juridiques

[35]  Le Tribunal a examiné plusieurs requêtes en divulgation de documents, dont il se dégage certains principes sur lesquels le Tribunal en est venu à s’appuyer pour déterminer les obligations de communication préalable des parties. Dans leurs observations, les parties renvoient aux principes pertinents à l’égard de la présente requête. Les FAC ont raison de dire que, dans l’exercice de leur droit à une procédure équitable, elles doivent être informées des allégations formulées contre elles et être autorisées à y répondre [22] . Comme élément de cette obligation d’équité procédurale, chaque partie a le droit d’obtenir tous les documents qui pourraient être pertinents et qui sont en la possession ou sous le contrôle de la partie adverse [23] . Pour qu’un document demandé soit potentiellement pertinent, il doit exister un lien rationnel entre le document et un fait invoqué, une question soulevée ou une réparation demandée par l’une des parties, et la pertinence potentielle des documents demandés doit être tranchée au cas par cas, compte tenu des questions soulevées dans chaque affaire [24] .

[36]  Il incombe à la partie requérante de prouver le lien rationnel et, bien que le critère de la pertinence potentielle soit peu exigeant, elle doit établir le lien rationnel nécessaire. Les documents demandés doivent être précisés de façon minutieuse, et la demande ne doit pas être trop large ou générale [25] .

[37]  Le droit du plaignant à la vie privée ou à la confidentialité en ce qui concerne des dossiers médicaux peut cesser d’exister dès lors qu’il invoque sa santé dans une instance, mais il faut concilier l’obligation de communication et les préoccupations légitimes du plaignant en matière de confidentialité. Comme la Commission le souligne, même si un plaignant met en cause certains aspects de sa santé, une divulgation complète de tous les dossiers médicaux ne s’impose pas automatiquement.

[38]  Dans la présente plainte, le plaignant allègue une discrimination liée au trouble dont il est atteint. Les parties ont donc le droit d’obtenir « les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation [26]  ». Comme le plaignant prétend que son trouble d’apprentissage l’empêche de passer des examens écrits chronométrés tels que le TAFC, tout dossier médical existant sur son trouble d’apprentissage devrait être communiqué aux FAC dès que possible, conformément aux conditions énoncées dans l’ordonnance ci‑dessous.

[39]  Cependant, les FAC demandent également des dossiers médicaux se rapportant aux antécédents et aux traitements psychiatriques et psychologiques du plaignant, en se fondant sur leur argument selon lequel les troubles pour lesquels le plaignant a été soigné dans le passé [traduction] « peu[vent] agir sur un trouble d’apprentissage et sur des besoins éventuels en matière de mesures d’adaptation ». Les troubles mentionnés par les FAC sont les suivants : [traduction] « trouble d’anxiété généralisée et phobie sociale, trouble de l’humeur, trouble psychotique et trouble de l’adaptation et dépression ».

(ii)  Examen des documents déjà communiqués

[40]  À l’appui de leur requête, les FAC ont fourni au Tribunal des copies des dossiers médicaux déjà communiqués, sur lesquels elles se fondent pour soutenir qu’il existe un lien entre le trouble d’apprentissage du plaignant et ses troubles psychiatriques et psychologiques. Selon les FAC, ces documents [traduction] « donnent à penser qu’il existe un lien entre son état pathologique et psychologique et son trouble d’apprentissage, comme l’indique le rapport d’évaluation psychopédagogique de 2001 [27]  ». J’ai examiné tous ces documents afin de déterminer s’ils appuient l’argument des FAC.

a)  Rapport d’évaluation psychopédagogique

[41]  Le rapport d’évaluation psychopédagogique a été préparé par un psychologue scolaire du district scolaire du plaignant qui lui a fait passer un test d’habileté cognitive ainsi qu’un test de niveau d’instruction. L’évaluation était demandée par les tuteurs du plaignant, qui n’étaient pas d’accord avec les modifications apportées à ses matières scolaires. Le rapport résume brièvement ses antécédents scolaires et les types d’évaluation qu’il a subis. On y lit que [traduction] « À l’âge de 5 et de 11 ans, [T.P.] a fait l’objet d’une évaluation pédiatrique et du développement. On a alors diagnostiqué [] un trouble d’apprentissage avec de nets retards dans la motricité globale et fine []. »

[42]  Le rapport conclut que, d’après les tests effectués par le psychologue scolaire, ses résultats n’amenaient pas [traduction] « à appliquer les directives ministérielles pour les troubles d’apprentissage graves », mais laissaient supposer [traduction] « une capacité cognitive située à l’extrémité inférieure de la fourchette moyenne avec certaines faiblesses dans le raisonnement numérique et la mémoire à court terme en cas de stimulations non significatives ». Le rapport recommande des mesures pour l’apprentissage futur du plaignant dans ce cas particulier, et précise qu’il serait bon de le faire évaluer dans un hôpital pour enfants pour déterminer les raisons de ses difficultés sociales et scolaires. On ajoute qu’il continuera d’avoir besoin de ressources de soutien dans tous les aspects de son apprentissage.

[43]  Le rapport traite des capacités cognitives du plaignant et confirme que celui-ci présente un trouble d’apprentissage, pour lequel il a eu besoin de ressources de soutien à l’école, mais il n’est fait aucune mention de troubles psychologiques ou psychiatriques qui seraient liés d’une manière ou d’une autre, selon les FAC, à son trouble d’apprentissage.

b)  Résumé du Dr Shaw (non daté)

[44]  Le résumé d’évaluation psychologique comprend les résultats de tests notés selon la version abrégée de l’Échelle de l’intelligence de Wechsler (verbal 69; performance 75; échelle complète 69). Le résumé de l’évaluation psychiatrique du plaignant mentionne que le diagnostic posé au congé d’hôpital comprend [traduction] « un trouble d’anxiété généralisée, une phobie sociale, un trouble dysthymique, un RM léger et un dérèglement de l’affect ». Des médicaments lui ont été prescrits au moment de son congé d’hôpital pour traiter l’agitation et l’anxiété.

[45]  Je conviens qu’il n’est fait aucune mention d’un trouble d’apprentissage dans ce résumé, mais je parlerai ci‑dessous des aspects du résumé que je considère comme pertinents à l’égard de cette requête.

c)  Lettre du Dr Shaw datée du 5 août 2005 à l’appui d’une demande de permis d’arme de chasse présentée par le plaignant

[46]  Le Dr Shaw déclare avoir évalué récemment le plaignant et avoir conclu qu’il ne satisfait pas aux critères d’un diagnostic de dépression, que son humeur et son affect sont stables, et qu’il ne souffre pas de désordres de la pensée, même s’il éprouve certaines difficultés liées à une phobie sociale.

[47]  Je conviens qu’il n’est fait aucune mention du trouble d’apprentissage du plaignant dans cette lettre.

d)  Information communiquée le 12 avril 2010 par le Dr James à la demande des Forces armées canadiennes

[48]  Le Dr James est un psychologue agréé que le plaignant a consulté de mai 2004 à février 2005 pour un trouble d’adaptation avec dépression légère et anxiété intermittente. Dr James communiquait cette information aux FAC en réponse à deux demandes de divulgation de renseignements médicaux, l’une relative à [traduction] « des troubles psychiatriques » et l’autre à [traduction] « des troubles du déficit de l'attention avec hyperactivité, ou TDAH », pour aider les FAC à déterminer [traduction] « l’aptitude médicale » du plaignant voulant s’enrôler. Dans le formulaire sur les TDAH, Dr James indique que le plaignant n’a jamais reçu de diagnostic de TDAH et qu’il ne présente aucun des symptômes énumérés concernant l’inattention, l’hyperactivité ou l’impulsivité. Dans le formulaire sur les troubles psychiatriques, DJames indique avoir fait suivre au plaignant une thérapie cognitivo-comportementale, qui a pris fin en février 2005. Il explique qu’après 10 mois de traitement, aucun suivi n’était nécessaire, et que le risque de rechute était faible chez le plaignant. Dans une lettre d’accompagnement, le Dr James déclare recommander sans hésitation que le plaignant devienne membre des FAC.

[49]  Il n’est fait aucune mention du trouble d’apprentissage du plaignant dans ces documents.

e)  Lettre du Dr James datée du 16 mai 2012 à l’appui d’une demande de permis d’armes à feu présentée par le plaignant

[50]  La lettre dit que le plaignant a été soigné dans le passé pour des symptômes d’anxiété et de trouble de l’humeur, et qu’il a bien répondu aux traitements. Le Dr James déclare que le plaignant [traduction] « n’a pas eu d’autres épisodes de maladie mentale depuis [février 2005] ». Il confirme avoir rencontré le plaignant en mai 2012, et indique qu’il ne présente aucun symptôme de trouble mental.

[51]  Il n’est fait aucune mention d’un trouble d’apprentissage dans cette lettre.

f)  Lettre du Dr Warner datée du 1er juin 2009, adressée « À qui de droit »

[52]  Le Dr Warner précise que la lettre est une note additionnée à son rapport sur les troubles psychiatriques passés du plaignant. Il déclare que le plaignant est devenu son patient en 2002, alors qu’il était soigné pour des troubles psychotiques et de l’humeur concomitants, pour lesquels on lui avait prescrit un médicament antipsychotique, bien qu’il ne répondait pas aux critères diagnostiques d’un trouble particulier. Il avait cessé de prendre le médicament en 2005, sans que les symptômes réapparaissent. Le Dr Warner ajoute qu’en raison de l’incertitude du diagnostic, il ne peut formuler de commentaires sur le pronostic ou l’incidence d’un [traduction] « stress intense et dangereux » quant à la probabilité que les symptômes réapparaissent par la suite. Selon lui, Dr Shaw, le psychiatre, aurait sans doute les compétences nécessaires pour répondre à ces questions.

[53]  Il n’est fait aucune mention d’un trouble d’apprentissage dans cette lettre.

g)  Lettre du Dr Warner datée du 29 octobre 2015 sur les limites au travail et l’adaptation du milieu de travail

[54]  On ne sait pas très bien à qui cette lettre est adressée, bien que le Dr Warner précise qu’elle est [traduction] « en réponse à une communication écrite adressée [au plaignant], où on l’interroge sur ses limites au travail et lui demande certains documents nécessaires à des fins d’accommodement en milieu de travail ». Le Dr Warner explique qu’on a diagnostiqué au plaignant un type de déficience qui agit sur l’apprentissage et le traitement de l’information. Plus particulièrement, il est difficile pour lui d’apprendre une nouvelle information; il lui faut plus de temps qu’à la plupart des gens pour traiter de nouveaux renseignements, et il peut avoir besoin de répétitions pour bien apprendre, mais une fois l’information apprise, il la retient assez bien. Le Dr Warner ajoute que le plaignant est lent à communiquer ses pensées et idées à l’écrit, et qu’il lui faut plus de temps pour se relire et corriger ses fautes.

[55]  Il n’est fait aucune mention des antécédents psychiatriques du plaignant ou de sa santé mentale dans cette lettre.

h)  Lettre du Dr Baker datée du 12 novembre 2015 écrite en appui à la candidature adressée par le plaignant aux Forces armées canadiennes

[56]  La lettre répète l’information sur le trouble d’apprentissage du plaignant qui figure dans la lettre du Dr Warner datée du 29 octobre 2015. Le Dr Baker y dit aussi que [traduction] « la probabilité qu’il réussisse le test d’aptitude actuel sans mesures d’adaptation » tenant compte de son trouble d’apprentissage est faible. Le Dr Baker demande au destinataire de [traduction] « bien vouloir, par conséquent, adapter son test afin de tenir compte de cette situation ou de l’exempter d’un tel test, si possible ».

[57]  Il n’est fait aucune mention des troubles psychiatriques du plaignant dans cette lettre.

(iii)  Décision

[58]  Hormis le résumé non daté du Dr Shaw, aucun des documents susmentionnés n’établit de lien entre les troubles mentaux pour lesquels le plaignant a reçu des soins psychologiques ou psychiatriques et un trouble qui pourrait agir sur sa capacité d’apprentissage.

[59]  Cependant, bien que le plaignant établisse une différence entre son trouble d’apprentissage, d’une part, et [traduction] « tout trouble psychiatrique ou psychologique ou son bien-être psychologique », de l’autre part, et qu’il insiste sur le fait qu’il n’existe aucun lien entre les deux, je crois comprendre que les FAC font référence — quoique peut-être pas de la façon la plus claire — à trois types de « troubles » que le plaignant présente ou a présentés dans le passé :

  • 1) Les FAC parlent de troubles psychiatriques et psychologiques et de traitements, c’est‑à‑dire de maladies mentales ou de troubles mentaux nécessitant un traitement psychiatrique ou psychologique, que le plaignant a reçu du Dr Shaw et du Dr James jusqu’en 2005. Le Dr James a soigné le plaignant pour ce qu’il décrit, dans l’information adressée aux FAC en avril 2010, comme étant une dépression légère et une anxiété intermittente associée à un trouble de l’adaptation qui avaient été traitées efficacement grâce à une thérapie cognitivo‑comportementale (TCC). Dans son résumé non daté, le Dr Shaw pose le diagnostic suivant au sujet du plaignant : trouble d’anxiété généralisée et phobie sociale, trouble de l’humeur, trouble dysthymique et dérèglement de l’affect et il a prescrit un traitement médicamenteux pour traiter l’agitation et l’anxiété.

  • 2) Les FAC parlent également du trouble d’apprentissage du plaignant. Le rapport d’évaluation psychopédagogique de 2001 souligne qu’il a reçu [traduction] « à l’âge de 5 et de 11 ans » un diagnostic de trouble d’apprentissage avec de nets retards dans la motricité globale et fine, et précise que les résultats des tests de 2001 n’amenaient pas alors [traduction] « à appliquer les directives ministérielles pour les troubles d’apprentissage graves » à son égard. Le Dr Warner et le Dr Baker font tous deux expressément référence à son trouble d’apprentissage dans leurs lettres.

  • 3) Enfin, les FAC mentionnent que le plaignant [traduction] « souffre d’une déficience cognitive ou intellectuelle permanente ». Le rapport d’évaluation psychopédagogique de 2001 indique que le psychologue scolaire lui a fait passer un test d’habiletés cognitives générales, et a conclu que sa capacité cognitive se situait à l’extrémité inférieure de la fourchette moyenne. De plus, dans le résumé non daté de Dr Shaw, le résumé d’évaluation psychiatrique indique un diagnostic de [traduction] « RM léger [28]  », tandis que le résumé d’évaluation psychologique contient les résultats d’un test [traduction] d’« intelligence ».

[60]  Les FAC prétendent que chacun des troubles psychiatriques passés du plaignant, à savoir le trouble d’anxiété généralisée et de phobie sociale, le trouble de l’humeur, le trouble psychotique et le trouble de l’adaptation ainsi que la dépression, pour lesquels il a été soigné par le passé, [traduction] « peut agir sur un trouble d’apprentissage et des besoins éventuels en matière d’adaptation [29]  ». Toutefois, elles n’apportent pas de preuve à l’appui de cette affirmation. Si le rapport de Dre Pinkus vient à confirmer cette allégation, les FAC pourront renouveler leur demande de production de ces dossiers médicaux. Pour l’heure, je ne vois aucun lien entre le trouble d’apprentissage du plaignant et les troubles mentaux passés pour lesquels il a reçu des soins psychiatriques et psychologiques en 2005. Je refuse donc de lui ordonner de produire les dossiers psychiatriques et psychologiques demandés.

[61]  Cependant, bien que son trouble d’apprentissage et ce que les FAC appellent sa [traduction] « déficience cognitive ou intellectuelle » ne soient peut-être pas liés (et je ne dispose d’aucune preuve dans un sens ou dans l’autre à ce stade), d’après son exposé des précisions, le plaignant soutient que s’il avait été tenu compte de son trouble d’apprentissage, il aurait été admis dans les FAC. Si la discrimination est établie, il demandera au Tribunal d’ordonner son intégration dans les FAC dès que les circonstances le permettent, conformément à l’alinéa 53(2)b) de la Loi, et de lui accorder une indemnisation financière au titre des pertes de salaire, en vertu des alinéas 53(2)b) et c) de la Loi. Je suis d’accord que les FAC devraient pouvoir répondre à l’allégation du plaignant, et je suis d’avis qu’au moins à l’étape de la divulgation, les FAC ont droit à la communication de tous les dossiers relatifs à tout trouble ou déficience susceptible d’agir sur la capacité du plaignant de passer avec succès le TAFC.

[62]  La Commission estime que les FAC n’ont pas démontré que les documents médicaux émanant des professionnels de la santé susmentionnés qui ont soigné ou évalué le plaignant du début au milieu des années 2000 pourraient avoir une pertinence quelconque dans l’examen des conséquences que les TAFC ont pu avoir eues sur le plaignant, ou sur d’autres personnes atteintes de troubles d’apprentissage, en 2014. Cependant, s’il est possible que non seulement son trouble d’apprentissage, mais aussi une déficience cognitive ou intellectuelle, agissent sur la capacité du plaignant de passer avec succès le TAFC, les dossiers médicaux pertinents relatifs à cette déficience devraient également être communiqués aux FAC. Je suis convaincue que le rapport d’évaluation psychopédagogique établit le lien nécessaire entre les capacités cognitives du plaignant et son aptitude à passer avec succès le TAFC, étant donné les aménagements dont il a bénéficié à l’école sous forme de ressources de soutien, à cause de son trouble d’apprentissage et de ses capacités cognitives. J’ordonne donc au plaignant de communiquer les dossiers relatifs à une déficience cognitive ou intellectuelle, y compris tout dossier détenu par le Dr Shaw et le service de pédopsychiatrie du Surrey Memorial Hospital au sujet de son diagnostic de « RM léger », et le résumé d’évaluation psychologique figurant dans le résumé non daté du Dr Shaw.

[63]  Je fais observer que Dre Pinkus procède actuellement à l’évaluation du plaignant et prépare un rapport aux fins de l’instruction de la présente plainte par le Tribunal. J’espère que ce rapport clarifiera la terminologie et précisera si le trouble d’apprentissage du plaignant est lié à ce que l’intimée appelle une déficience cognitive ou intellectuelle. Je crois comprendre que les FAC souhaitent également retenir les services d’un expert, une fois qu’elles auront eu la possibilité d’examiner le rapport de Dre Pinkus, et je suis d’accord avec les FAC et la Commission pour dire que les FAC devraient être autorisées à consulter les documents auxquels Dre Pinkus se réfère dans la préparation de son rapport. La Commission ne pense pas que Dre Pinkus procède à l’examen du type de dossiers demandés par les FAC (en dehors de ceux se rapportant au trouble d’apprentissage). Cependant, à la suite de cette décision et de cette ordonnance, s’il est déterminé que la Dre Pinkus a examiné des dossiers qui n’ont pas déjà été communiqués par le plaignant, et que le plaignant refuse de communiquer ces documents à l’intimée, le plaignant soumettra au Tribunal une copie des documents controversés, et je déciderai s’ils doivent être communiqués aux FAC, dans une version expurgée ou non.

[64]  En ce qui concerne la demande des FAC voulant que j’ordonne au plaignant de produire un rapport des Services médicaux de la Colombie-Britannique couvrant la période de 2009 jusqu’à aujourd’hui, je refuse d’accéder à cette demande. Je conviens qu’elle a une portée excessive, et qu’un tel rapport contiendrait des renseignements médicaux sur le plaignant n’ayant manifestement aucun lien avec la plainte. J’ordonne au plaignant de fournir tous les documents détenus par le Dr Warner sur son trouble d’apprentissage, ainsi que tout autre document auquel Dre Pinkus se référera dans la préparation de son rapport (exception faite de la réserve susmentionnée), ainsi que les dossiers médicaux relatifs à une déficience cognitive ou intellectuelle. Je refuse cependant d’ordonner la production de dossiers relatifs aux traitements psychiatriques ou psychologiques passés du plaignant pour des troubles mentaux. Par conséquent, je suis d’avis que les limites ont été établies quant aux dossiers médicaux pertinents à ce stade-ci de la présente plainte, et je ne consens pas à autoriser les FAC à passer au peigne fin les antécédents de traitements médicaux du plaignant allant de 2009 à aujourd’hui pour trouver quelque chose qui pourrait, selon elles, être pertinent dans la présente plainte. Il en va de même pour le rapport du College of Pharmacists of British Columbia, PharmaNet. Les deux demandes ont une portée excessive et, à mon sens, comme elles ne sont pas assez précises, elles constituent une recherche de renseignements à l’aveuglette.

V.  Conclusion

[65]  Je suis convaincue qu’aux fins de l’étape préliminaire de l’instance, l’ordonnance ci‑dessous concilie de manière acceptable les préoccupations en matière de confidentialité et de vie privée du plaignant à l’égard des renseignements médicaux le concernant et son obligation de communiquer aux autres parties les documents potentiellement pertinents.

[66]  Je conviens avec le plaignant qu’il est approprié, dans la présente plainte, d’imposer certaines conditions aux documents que j’ordonne de produire, étant donné le caractère délicat des renseignements qu’ils renferment. Je suis également d’accord pour dire que, lorsqu’un dossier médical contient des renseignements qui pourraient être pertinents, et d’autres qui ne le sont pas, ces derniers peuvent être expurgés du dossier avant la production. En cas de désaccord sur les éléments expurgés, ou si le plaignant estime qu’un document médical est personnel et n’est pas potentiellement pertinent, le document pourra être communiqué au Tribunal, qui décidera si le contenu concerné doit être divulgué ou non.

[67]  Pour les motifs qui précèdent, la requête est accueillie en partie. J’accepte d’ordonner au plaignant de produire les documents énumérés dans l’ordonnance ci‑dessous. Tous les autres documents demandés par les FAC dans cette requête ne sont pas, à mon sens, potentiellement pertinents à l’égard d’un fait invoqué, d’une question soulevée ou d’une réparation demandée dans la présente plainte, si bien que je rejette la demande de production de ces documents présentée par les FAC.

VI.  ORDONNANCE

  • i) Que le plaignant produise immédiatement les documents suivants demandés par l’intimée; à savoir :

  • Tous les documents, y compris les dossiers cliniques, les résultats et rapports de tests, notamment les documents électroniques, détenus par le Dr David Warner et se rapportant au trouble d’apprentissage de T.P.

  • Les dossiers relatifs à une déficience cognitive ou intellectuelle, y compris tout dossier détenu par Dr Shaw et le service de pédopsychiatrie du Surrey Memorial Hospital au sujet de son diagnostic de « RM léger » et le résumé d’évaluation psychologique figurant dans le résumé non daté de Dr Shaw.

  • Les documents examinés par Dre Pinkus dans la préparation de son rapport sur le plaignant qui n’a pas déjà été communiqué.

Le tout, selon les conditions suivantes :

  • a) Le plaignant expurgera des documents l’information qui n’est pas potentiellement pertinente à l’égard de son trouble d’apprentissage ou d’une déficience cognitive ou intellectuelle.

  • b) Les documents ne seront communiqués qu’à l’avocat des FAC et à la Commission.

  • c) Ces documents ne peuvent servir qu’aux fins de l’instruction de la présente plainte relative aux droits de la personne, et non à d’autres fins ou dans le cadre d’une autre procédure judiciaire.

  • d) Les parties ne doivent communiquer ces documents à aucune personne ou entité extérieure sans l’autorisation du Tribunal.

  • e) Si le plaignant refuse de communiquer des documents appartenant à l’une ou l’autre de ces trois catégories, il les transmettra au Tribunal, qui les examinera pour décider s’ils doivent être produits ou être expurgés.

  • f) Les documents (ainsi que tous les documents médicaux déjà produits) seront rendus à T.P. à la conclusion de la procédure devant le Tribunal.

  • ii) La divulgation de ces documents ne signifie pas qu’ils seront admissibles en preuve à l’audience, et toute question à cet égard doit être réglée lors de l’audience. Si le plaignant refuse que ces documents fassent partie du dossier public, il doit également le mentionner à l’audience.

 

Signée par :

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 1er mai 2019

 

Version française de la décision du membre

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2220/4217

Intitulé de la cause : T.P. c. Forces armées canadiennes

Date de la décision du Tribunal : Le 1er mai 2019

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Thomas F. Beasley, pour le plaignant

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Helen Park, pour l’intimée



[1] 2018‑11‑08 – Observations de l’intimée (Requête en production de documents présentée par les FAC), au paragraphe 21.

[2] Voir note précédente, au paragraphe 19.

[3] L’objet des Règles est énoncé au paragraphe 1(1).

[4] Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TDCP 1, au paragraphe 30; Clegg c. Air Canada, 2017 TDCP 27, au paragraphe 21.

[5] Turner, voir note précédente, aux paragraphes 30‑33; Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TDCP 33, au paragraphe 31.

[6] Précitée, note no 1, au paragraphe 22.

[7] 2018‑11‑30 – Réponse du plaignant à la requête en production de documents présentée par les FAC, au paragraphe 2.

[8] Voir note précédente, au paragraphe 8.

[9] MacEachern c. Service correctionnel du Canada (MacEachern), 2014 TDCP 31, au paragraphe 25.

[10] Egan, précitée, note no 5, au paragraphe 34.

[11] Yaffa c. Air Canada (Yaffa), 2014 TDCP 22, aux paragraphes 13‑14.

[12] MacEachern, précitée, note no 9, au paragraphe 27.

[13] Voir note précédente; Yaffa précitée, note no11, au paragraphe 15.

[14] Voir note précédente; Rai c. Gendarmerie royale du Canada (Rai), 2013 TDCP 6, au paragraphe 37.

[15] Rai, voir note précédente, au paragraphe 37.

[16] Précitée, note no 7, au paragraphe 12.

[17] Voir note précédente, au paragraphe 14.

[18] Egan, précitée, note no 5, aux paragraphes 29‑34 et 50; MacEachern, précitée, note no 9, aux paragraphes 13‑14 et 25‑27; Yaffa, précitée, note no 11, aux paragraphes 12 et 15; Rai, précitée, note no 14, aux paragraphes 30‑31 et 35.

[19] 2018‑12‑02 – Observations écrites de la Commission canadienne des droits de la personne (en réponse à la requête en production de documents présentée par les FAC), au paragraphe 12.

[20] 2018‑12‑10, Réponse de l’intimée au paragraphe 3.

[21] Voir note précédente, au paragraphe 7.

[22] Voir Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 53; Leslie Palm c. International Longshore and Warehouse Union, section locale 500 et al., 2012 TCDP 11, au paragraphe 9; Egan, précitée, note no 5, au paragraphe 29.

[23] Alinéas 6(1)d) et e) des Règles de procédures du Tribunal; Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34, au paragraphe 40; Malenfant c. Vidéotron s.e.n.c., 2017 TCDP 11, au paragraphe 26.

[24] Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 9.

[25] Guay, précitée, note no 23, au paragraphe 43; Turner, précitée, note no 4, au paragraphe 25.

[26] Voir Guay, ibid. au paragraphe 45; voir également Egan, précitée, note no 5, au paragraphe 34.

[27] Précitée, note no 1, au paragraphe 19.

[28] Dans une requête précédente, le plaignant explique que « RM » correspond à ce qu’on appelait auparavant un « retard mental », mais je n’emploierai plus ce terme.

[29] Précitée, note no 20, au paragraphe 3.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.