Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP  20

Date : Le 29 juin 2018

Numéros des dossiers : T1111/9205, T1112/9305 & T1113/9405

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ruth Walden et al.

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada (représentant le Conseil du Trésor du Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada)

l’intimé

- et -

Sue Allardyce, Chantal Basque, Aubrey Brenton, Robert Churchill-Smith,
Glen Coutts, Claudette Dupont, Pat Glover, Gary Goodwin,
Valerie Graham (succession de), Carol Ladouceur, Mayer Pawlow,
Cindi Resnick, Sharon Smith, Don Woodward

les parties intéressées

Décision sur requête

Membre instructeur : Matthew D. Garfield

 



I.  Introduction

[1]  Seize personnes – deux plaignantes [1] et quatorze non-plaignants ayant obtenu le statut de parties intéressées – appelées collectivement « le groupe Goodwin [2] » – demandent au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) de rendre une ordonnance déclarant qu’ils ont exercé des « fonctions admissibles » au sens du protocole d’entente (le PE) du 3 juillet 2012 conclu entre Ruth Walden et d’autres personnes et le procureur général du Canada, leur accordant une indemnisation (pour préjudice moral et perte de salaire et avantages sociaux), ainsi que d’autres réparations (reclassification). L’employeur, Emploi et Développement social Canada (EDSC), anciennement Ressources humaines et Développement des compétences Canada et Développement social Canada, a conclu que leur travail à titre de gestionnaires de cas de réadaptation professionnelle (GCRP) ne constituait pas une fonction admissible au sens du PE et, par conséquent, aucune indemnité ne leur a été accordée.

[2]  Le groupe Goodwin sollicite une ordonnance enjoignant à l’intimé de lui divulguer certains documents dont certains seraient protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, dans leur forme intégrale non caviardée, et visant à obtenir la délivrance d’une assignation à comparaître en vue de forcer Me Laurence Armstrong, qui était à l’époque l’avocat de 382 des plaignants dans l’instance Walden, à témoigner.

II.  Questions en litige

[3]  Voici les questions abordées dans la présente ordonnance :

  1. L’intimé devrait-il produire les documents en question sous une forme non caviardée?
  2. Le Tribunal devrait-il délivrer une assignation à comparaître et entendre le témoignage en question?
  3. Tous ceux qui y avaient droit ont-ils reçu un avis au sujet de la levée du privilège?

III.  Décision

[4]  Pour les motifs qui suivent, les demandes du groupe Goodwin sont accordées en partie.

IV.  Principes juridiques

[5]  Bon nombre des documents en question, de même que le témoignage proposé, soulèvent des questions de privilège. J’ai examiné et appliqué les principes juridiques de base suivants en matière de privilège :

  1. Le privilège du secret professionnel de l’avocat « […] constitue un élément fondamental de notre système judiciaire et ce n’est que rarement et à contrecœur que l’on fera obstacle à la discussion ouverte, franche et confidentielle entre des avocats et leurs clients » (R. c. McClure, 2001 CSC 14, par. 61);
  2. Le concept des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat va au-delà de l’idée de la confidentialité et du respect de la vie privée, bien que ces considérations recoupent celle du privilège [Hubbard et coll., The Law of Privilege in Canada (Canada Law Book, 2 volumes à feuilles mobiles, mis à jour en août 2016), par. 1.20];
  3. Les communications privilégiées – tant verbales qu’écrites – ne constituent pas un droit absolu et sans réserve. Il y a des exceptions et les parties peuvent renoncer au privilège expressément, tacitement ou par inadvertance (Hubbard, précité, par. 11.10 et 11.22);
  4. Le privilège revient au client et non à son avocat et seul le client peut y renoncer : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61, par. 39);
  5. Le privilège avocat-client est un droit fondamental, un privilège générique « aussi absolu que possible » qui ne doit souffrir que de rares exceptions par rapport aux autres types de privilèges et qui ne peut être levé « […] que dans les circonstances les plus exceptionnelles » (Pritchard c. Ontario [Commission des droits de la personne], 2004 CSC 31, par. 17; Hubbard, précité, par. 11.10 et 11.20);
  6. Le privilège relatif à un règlement, qui est également un privilège générique, revient à toutes les parties qui participent aux négociations d’un règlement. Il vise à encourager les parties à résoudre leurs différends dans un environnement protégé qui favorise des discussions franches (Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, par. 11 à 13);
  7. Les privilèges génériques font l’objet d’une présomption d’inadmissibilité. La partie qui souhaite faire lever un privilège générique a le fardeau de la preuve en ce qui concerne les communications protégées par ce privilège (Yaffa c. Air Canada, 2016 TCDP 4, par. 16).

V.  Analyse

A.  Portée de l’audience sur les fonctions admissibles

[6]  Après la question de « l’avis », le prochain obstacle à franchir pour obtenir une ordonnance de production des documents et des renseignements concernés consiste à savoir si ces documents et renseignements sont potentiellement pertinents en ce qui concerne une question ou un fait importants ou la réparation demandée. Pour certains documents, l’intimé n’a pas invoqué le manque de pertinence potentielle, mais a plutôt revendiqué un privilège. La Commission appuie la position de l’intimé quant au privilège relatif à un règlement protégeant certains des documents et le témoignage proposé de Me Armstrong.

[7]  La décision que j’ai rendue le 22 novembre 2016 dans la présente affaire (2016 TCDP 19), de même que les discussions que j’ai eues depuis avec les parties au sujet de la portée de l’audience, lors de certaines des conférences téléphoniques de gestion de l’instance, ont fait ressortir clairement que la question principale est de savoir si les GCRP exerçaient des fonctions admissibles au sens du protocole d’entente (le PE). Cette question essentielle en comporte une autre : quel sens les signataires du PE entendaient-ils donner à la définition du terme « fonctions admissibles » et comment souhaitaient-ils qu’elle s’applique aux GCRP et à leur travail? Dans le même ordre d’idées, je tiens compte des propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, par. 37 :

Les dispositions d’un contrat écrit doivent être interprétées sur le fondement de leur libellé et de l’ensemble du contrat [renvoi omis]. Les circonstances pertinentes, y compris « les renseignements qui appartenaient ou auraient raisonnablement dû appartenir aux connaissances des deux parties à la date de signature ou avant celle‑ci », peuvent être prises en considération dans l’interprétation des termes d’un contrat, bien qu’elles ne doivent pas en supplanter les termes exprès [renvoi omis].

B.  Documents en question

[8]  Les demandes de production en litige concernent les lignes directrices de traitement du règlement et annexes de mai 2013 (les lignes directrices) ainsi que deux courriels caviardés écrits respectivement par Mme Pichette et Mme Lamadeleine. Par le biais d’une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (la demande d’accès), le groupe Goodwin a reçu les lignes directrices caviardées sans les annexes. Avec l’accord des parties, l’intimé m’a fait parvenir la version non caviardée (avec les annexes) ainsi que les deux courriels pour que je les examine. J’ai ordonné que ces documents soient mis sous scellé en attendant de rendre ma décision à leur sujet.

(1)  Courriels de Mme Pichette (daté du 20 septembre 2013) et de Mme Lamadeleine (daté du 27 février 2014)

[9]  Les deux courriels sont des documents internes portant sur l’application du PE (c.‑à‑d. la définition des « fonctions admissibles ») au travail des GCRP et, plus précisément, de deux des GCRP mentionnés dans les courriels, dont aucun ne faisait partie du groupe Goodwin. Le groupe Goodwin a reçu ces courriels sous une forme caviardée. Il affirme que les deux courriels pourraient être pertinents en ce qui concerne sa requête relative aux fonctions admissibles et qu’il devrait en recevoir une version intégrale, et non une version caviardée. L’intimé soutient que, pour des motifs de manque de pertinence potentielle et de respect de la vie privée (c.-à-d. de divulgation de renseignements personnels concernant les deux personnes nommées), les portions caviardées ne devraient pas être dévoilées.

[10]  Sur la base de l’argument du manque de pertinence potentielle, j’abonde dans le sens de l’intimé en ce qui concerne l’une des deux personnes nommées dans les deux courriels. Toutefois, compte tenu du fait que l’autre personne, Mary-Helen Macdonald, fait partie de la liste des témoins du groupe Goodwin, pour l’audience dont la date n’a pas encore été fixée, et du fait que le groupe Goodwin souhaitera peut-être l’interroger au sujet des deux courriels en question, j’estime que le dévoilement de son nom et d’autres renseignements la concernant est potentiellement pertinent. En ce qui concerne la protection des renseignements personnels, j’estime que rien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) ni dans les Règles de procédure ou la Loi sur la protection des renseignements personnels (alinéa 8[2] c) ne m’empêche d’en ordonner la production. Le nom de l’autre personne n’est pas nécessaire ni potentiellement pertinent. Par conséquent, j’ordonne à l’intimé de communiquer sans délai au groupe Goodwin les deux courriels aux conditions susmentionnées.

(2)  Les lignes directrices

[11]  Les lignes directrices ont été communiquées avec certaines suppressions et sans les annexes. Me Goodwin n’a pas en mains la lettre qui accompagnait la demande d’accès ni d’autres documents pertinents expliquant les motifs des mesures prises par le service de l’AIPRP. Je ne dispose pas non plus d’éléments de preuve ou de renseignements me permettant de tirer une conclusion à cet égard. L’annexe A (les décisions du TCDP, les ordonnances de consentement et le PE) n’est pas en litige en l’espèce.

[12]  L’intimé invoque l’absence de pertinence potentielle pour justifier la suppression de certains passages et le refus de produire certains documents dans leur intégrité, et il revendique un privilège pour d’autres. D’ailleurs, Me Marchildon se demande même si les lignes directrices sont potentiellement pertinentes, mais il s’agit là d’une question théorique, compte tenu de ce que l’intimé a déjà produit dans le cadre de sa réponse à la demande d’accès. La Commission estime que certains documents et certaines parties d’entre eux sont protégés par le secret professionnel de l’avocat et que ce privilège devrait être « jalousement protégé » par le Tribunal. Le groupe Goodwin soutient que les lignes directrices et les annexes sont potentiellement pertinentes et qu’EDSC a renoncé à toute revendication de privilège en répondant à la demande d’accès.

[13]  Je vais traiter plus loin des questions de la pertinence potentielle et du privilège. Pour le moment, je conclus que la communication des lignes directrices partiellement caviardées sans les annexes par le service d’AIPRP de l’EDSC ne constituait pas une admission de leur pertinence potentielle, pas plus qu’une renonciation à un privilège. J’ignore le raisonnement qu’a suivi le service d’AIPRP pour en arriver à cette décision et ce facteur n’est pas déterminant pour trancher la question dont je suis saisi. Aux fins de la présente ordonnance, je suis convaincu que les lignes directrices – ou du moins des parties de celles-ci – sont potentiellement pertinentes.

[14]  Contrairement au groupe Goodwin, je ne considère pas qu’EDSC a renoncé à un privilège quelconque en distribuant les lignes directrices à [traduction] « des dizaines, voire des centaines de personnes » au sein du Ministère. J’ai demandé à l’intimé de me fournir d’autres renseignements au sujet des personnes qui avaient reçu une copie des lignes directrices, y compris leurs noms et le poste qu’ils occupent. Voici la réponse que m’a donnée son avocat le 9 novembre 2017 :

[traduction]
[…] Jusqu’ici, Mme MacNeil n’a pu que confirmer que les lignes directrices sur les règlements et les documents qui y sont joints se trouvaient dans un dossier sécurisé à accès limité. Elle estime que seulement un petit nombre d’employés de la direction générale des ressources humaines et de la direction générale du dirigeant principal des finances (le DGDPF) avaient accès aux lignes directrices. Mme MacNeil n’a pas encore été en mesure de confirmer cela auprès d’un des fonctionnaires qui étaient présents au moment de l’établissement des lignes directrices en 2013.

L’avocate a précisé qu’elle communiquerait de plus amples renseignements par écrit. Le 8 juin 2018, l’intimé a confirmé qu’il n’avait pas d’autres renseignements à fournir.

[15]  À la suite du courriel du 9 novembre de l’intimé, Me Goodwin a écrit que cette distribution limitée des lignes directrices semblait peu probable. Il a affirmé que, compte tenu du nombre de personnes qui avaient participé à leur rédaction et du fait qu’elles se trouvaient à divers endroits, et compte tenu par ailleurs des réalités du système moderne de courrier électronique et des usages ayant cours dans les lieux de travail, il était très peu probable que les lignes directrices et leurs annexes « se trouvaient dans un dossier sécurisé à accès limité ».

[16]  Bien que les affirmations de Me Goodwin au sujet de la distribution, de l’emplacement et de la consultation des lignes directrices soient en théorie plausibles, elles relèvent néanmoins de la spéculation et sont insuffisantes pour me convaincre que la déclaration du 9 novembre de Mme MacNeil n’est pas crédible ou fiable. Selon les éléments de preuve dont je dispose [3] , j’accepte à ce stade que les lignes directrices « se trouvaient dans un dossier sécurisé [avec] accès limité » aux personnes concernées des services susmentionnés chargées de la mise en œuvre et des aspects financiers de la convention de règlement. Je tiens par ailleurs à souligner que le nombre de personnes qui ont reçu les lignes directrices ne constitue pas automatiquement une renonciation au privilège, comme le prétend de plus le groupe Goodwin. À cet égard, je me rallie à l’arrêt R. c. Campbell et Shirose, [1999] 1 RCS 565, dans lequel la Cour suprême du Canada, au paragraphe 67, considère la GRC comme « le client » aux fins du droit et de la renonciation au privilège quant à l’avis juridique donné. La Cour a déclaré que c’était l’ensemble de la force policière qui était considérée comme le client et non l’agent ayant demandé et obtenu l’avis. Je n’ai aucun élément de preuve m’indiquant qu’EDSC a renoncé au privilège par l’entremise de ses fonctionnaires responsables ou du procureur général du Canada. L’avocat de l’intimé reprend à son compte cette opinion et revendique le privilège sur certaines des annexes.

i)  Annexe B (Bulletin d’information du Secrétariat du Conseil du Trésor)

[17]  L’intimé refuse d’accéder à cette demande de production pour cause d’absence de pertinence potentielle. Le Bulletin a pour objet [traduction] « de fournir aux ministères concernés les renseignements et l’autorisation nécessaires pour convertir les postes d’évaluateurs médicaux (EM), présentement classifiés PM, au nouveau sous-groupe NU-EMA ». Après avoir examiné le document, je conclus qu’il est potentiellement pertinent en ce qui concerne la mesure de reclassification sollicitée par le groupe Goodwin et j’ordonne donc que l’intimé fournisse sans délai ce document au groupe Goodwin.

ii)  Annexe C (Noms de famille caviardés à la page 25)

[18]  L’intimé refuse d’accéder à la demande de divulgation du groupe Goodwin pour des motifs d’absence de pertinence potentielle et de protection de la vie privée. Le groupe Goodwin soutient que ces renseignements sont pertinents. Comme nous l’avons déjà expliqué, les craintes exprimées par l’intimé au sujet de la protection de la vie privée en cas de divulgation de « renseignements personnels » ne m’empêchent pas de rendre une ordonnance de production en vertu de la LCDP, des Règles de procédure du Tribunal ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne suis cependant pas convaincu que les noms de famille soient même potentiellement pertinents. J’en arrive à cette conclusion après avoir lu l’extrait de la page 25 dans le contexte global de la lettre du 16 juin 2011 prétendument protégée par le secret professionnel de l’avocat, d’où l’extrait est tiré. Je refuse donc d’ordonner que les noms de famille soient dévoilés.

iii)  Annexe C (ébauche de lettre de Me Marchildon à Me Armstrong en date du 16 juin 2011)

[19]  L’intimé soutient que son « avant-projet de lettre » portant la mention « Sous toutes réserves » n’a jamais été envoyé et ne devrait pas être produit en raison de la revendication du secret professionnel de l’avocat. Cet avant-projet de lettre constituait un avis juridique donné à sa cliente et découlait de conseils juridiques. Le groupe Goodwin rétorque que la lettre en question est potentiellement pertinente et qu’EDSC a renoncé au secret professionnel de l’avocat [traduction] « […] parce qu’elle a été divulguée “à des dizaines et des dizaines, voire à des centaines” d’employés d’EDSC […] ».

[20]  Après examen, j’estime que l’on peut considérer que le projet de lettre est protégé par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège relatif au litige (en tant que produit du travail de l’avocat [4] ). Il ne s’agit pas d’une communication protégée par le privilège relatif à un règlement, car l’« avant-projet de lettre » n’a jamais été envoyé à Me Armstrong (et aucune copie n’en a été transmise à Me Poulin). Il n’était donc pas nécessaire d’aviser les anciens clients de MArmstrong, pas plus d’ailleurs que la Commission.

[21]  La relation avocat-client est « jalousement protégée » par les tribunaux pour des raisons évidentes. Les exceptions sont peu nombreuses et aucune ne s’applique au projet de lettre. En ce qui concerne la question de la renonciation, j’estime qu’il n’y en a pas eu en l’espèce. La renonciation doit être expressément constatée ou doit résulter d’une renonciation implicite. Pour les motifs déjà exposés, j’estime que le fait que des employés d’EDSC ont eu accès aux lignes directrices auxquelles cette lettre était annexée ne constitue ni une renonciation explicite ni une renonciation implicite.

iv)  Annexe C (Lettres échangées entre les avocats le 22 et le 28 juin 2011)

[22]  Le groupe Goodwin réclame la production de ces deux lettres : la première en date du 22 juin 2011, envoyée par Me Marchildon à Me Armstrong traduction « pour clarifier les détails de notre offre de règlement », et la seconde en date du 28 juin 2011, envoyée par Me Armstrong à Me Marchildon pour accepter ladite offre d’indemnité pour préjudice moral et préciser les modalités de l’offre. Une copie des deux lettres a été envoyée à l’avocate de la Commission. Le groupe Goodwin affirme qu’il y a eu renonciation à tout privilège. La Commission ne renonce pas au privilège. L’intimé n’a renoncé au privilège initialement qu’en ce qui concerne un seul paragraphe supplémentaire de la lettre du 22 juin 2011.

[23]  Après avoir examiné les deux lettres, je conclus qu’elles sont de toute évidence protégées par le privilège relatif à un règlement. Le privilège revient à toutes les parties ayant pris part aux discussions et aux négociations de règlement à l’origine de la rédaction, de l’envoi et de la réception des lettres en question. Pour que ces lettres soient produites au groupe Goodwin, il faut que toutes les parties renoncent au privilège ou que le Tribunal rende une ordonnance levant le privilège en raison d’une exception au privilège ou d’une renonciation implicite. De plus et à tout le moins, avant que je puisse rendre une telle décision, les parties doivent être avisées de la demande du groupe Goodwin et avoir la possibilité de faire valoir leur position respective.

[24]  La question suivante se pose : à part les 382 plaignants représentés par Me Armstrong (qui constituent plus de 90 % des 417 plaignants Walden), la Commission et l’intimé, le groupe Goodwin doit-il aviser de ses demandes les 35 plaignants qui ne sont pas représentés par Me Armstrong? Le groupe Goodwin affirme qu’il n’est pas nécessaire de notifier les autres parties. L’intimé affirme que les 35 plaignants n’ont pas besoin d’être avisés puisqu’ils n’étaient pas les destinataires des lettres, qu’ils n’ont pas reçu les deux lettres et n’ont pas participé aux négociations en vue du règlement. L’intimé affirme plutôt que Me Armstrong et Me Marchildon ont élaboré la définition des fonctions admissibles et ont négocié le règlement relatif au « préjudice moral » de 2011 et que l’entente a été soumise après coup pour acceptation aux 35 parties non représentées et représentées par Me Harrison. Me Poulin soutient pour la Commission que tous les plaignants doivent être avisés.

[25]  En ce qui concerne la question de la « renonciation », j’ai ordonné à l’agent du greffe de faire parvenir une lettre à l’intimé pour lui demander de confirmer s’il avait déposé les trois lettres auprès du Tribunal conformément aux pages 9 et 24 des lignes directrices, où il est précisé que les trois lettres avaient été « communiquées » au Tribunal. Me Armstrong a déposé la lettre du 28 juin 2011 auprès du Tribunal le 30 juin 2011 accompagnée d’une lettre de présentation. L’intimé a répondu qu’il ne disposait d’aucun renseignement contredisant la déclaration du Tribunal selon laquelle la lettre du 28 juin avait été déposée par Me Armstrong. Me Marchildon a également écrit que l’intimé n’avait pas « communiqué » les lettres du 16 et du 22 juin 2011. J’accepte cette information non contestée. Ainsi, des trois lettres protégées de juin 2011, seule celle du 28 juin a été déposée auprès du Tribunal. De plus, aucune des parties ayant reçu cette lettre n’a jamais informé le Tribunal qu’elle avait été déposée par erreur. Par conséquent, je suis convaincu que les plaignants représentés par Me Armstrong, la Commission et l’intimé ont renoncé au privilège relatif à la lettre du 28 juin seulement.

[26]  Mais qu’en est-il des 35 plaignants non représentés par Me Armstrong? Il semble qu’ils n’aient reçu la lettre du 28 juin que lorsqu’elle a été déposée auprès du Tribunal par Me Armstrong en tant que pièce jointe à sa lettre du 30 juin 2011. J’accepte par ailleurs l’affirmation de Me Marchildon suivant laquelle Me Armstrong et elle-même ont négocié l’entente de règlement relative au « préjudice moral » en 2011, et que les modalités convenues ont ensuite été soumises aux 35 autres plaignants, qui pouvaient soit les accepter – ce qu’ils ont fait – soit demander leur propre réparation devant le Tribunal, ce qui est confirmé par la lettre de Me Armstrong du 30 juin déposée auprès du Tribunal dont copie a été transmise à toutes les autres parties. Me Armstrong a notamment écrit pour demander que les renseignements suivants me soient communiqués :

[traduction]
Je suis heureux de vous informer que Me Marchildon et moi-même sommes parvenus à une entente concernant une indemnité appropriée au sujet du préjudice moral. Je joins une copie de ma lettre du 28 juin 2011 précisant les modalités de cette entente. Comme nous sommes parvenus à un accord, Me Marchildon soumettra une offre identique aux autres plaignants. Notre entente ne dépend toutefois pas de son acceptation par les plaignants non représentés. S’ils refusent l’offre, ils devront demander au Tribunal les mesures de réparation qu’ils souhaitent.

[27]  Cela ne fait cependant pas le tour de la question, du moins en ce qui concerne le PE de juillet 2012. Celui-ci a été signé par Me Wellman, du cabinet Armstrong Wellman, qui représentait les 382 plaignants, et par Me Nabbali, qui représentait l’intimé. La lettre qui y était jointe portait la mention « sous toutes réserves ». Elle était datée du 31 mai 2012 et était adressée par Me Marchildon aux « plaignants non représentés et aux plaignants représentés par Me Harrison (selon la liste de distribution ci-jointe) » et à Me Armstrong, avec copie à Me Poulin de la Commission et à Me Engelmann de l’IPFPC. La lettre était « à des fins de règlement seulement » et répondait à la « lettre du 4 mai » contenant une contre-offre.

[28]  Vu ce qui précède, je suis convaincu que les 35 autres plaignants n’ont pas participé au processus de règlement de 2011 au-delà de la réception d’une offre de règlement pour préjudice moral (négociée et acceptée par Mes Armstrong et Marchildon) après le 28 juin  2011. Toutefois, alors que les principales négociations qui ont abouti au PE de juillet 2012 semblent avoir eu lieu entre Mes Armstrong et Marchildon, les 35 plaignants semblent avoir participé, au moins en mai 2012, au processus de règlement à l’origine du PE. Ce serait le cas, à tout le moins, si en date du 4 mai 2012, la « lettre du 4 mai » provenait de tous les plaignants ou, subsidiairement, si, en date du 31 mai 2012, la lettre du 4 mai avait été adressée par Me Armstrong seulement à Me Marchildon.

[29]  De plus, à la suite de mon examen de l’arrêt Sable de la Cour suprême du Canada, précité, je suis porté à penser que les parties à une instance peuvent se protéger contre les autres parties en revendiquant le privilège relatif à un règlement. Dans l’arrêt Sable, au paragraphe 16, la Cour suprême du Canada cite en l’approuvant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board, 1992 CanLII 4039 : « À mon sens, ce privilège [relatif à un règlement] empêche que les documents créés et les communications échangées en vue d’un règlement soient divulgués tant aux autres parties aux négociations qu’aux tiers, et il touche également l’admissibilité […] ». En d’autres termes, le coplaignant « X1 » peut revendiquer le privilège relatif à un règlement sur les communications, tant orales qu’écrites, échangées avec l’intimé « Y » contre le coplaignant « X2 ». De fait, certaines parties peuvent négocier un règlement, alors que d’autres ne négocient pas. En ce qui concerne la raison d’être de la protection des communications sujettes au privilège relatif à un règlement, à quoi servirait-il de permettre à la partie « X2 » de revendiquer le privilège relatif à un règlement sur des lettres qu’elle n’a jamais reçues? Cela aurait pour effet de décourager une future négociation franche et complète entre des parties qui communiquent effectivement entre elles en vue d’un règlement.

[30]  Je conclus par conséquent que les plaignants représentés par Me Armstrong, de même que la Commission et l’intimé ont implicitement renoncé à toute revendication de privilège en déposant la lettre du 28 juin 2011 auprès du Tribunal par l’entremise de Me Armstrong. Les 35 autres plaignants ne peuvent revendiquer un privilège sur cette lettre et il n’est pas nécessaire de les aviser. La lettre du 28 juin 2011 (ainsi que la lettre d’accompagnement du 30 juin 2011) sera communiquée par le greffe du Tribunal au groupe Goodwin.

[31]  Vu les conclusions que je viens de formuler, il n’est pas nécessaire que le groupe des 35 soit avisé par le groupe Goodwin de sa demande d’obtenir la lettre du 22 juin 2011. Toutefois, le groupe Goodwin doit aviser les plaignants représentés par Me Armstrong concernant la lettre du 22 juin 2011.

v)  Annexe D (Exemple de rapport de règlement de la EM)

[32]  L’intimé refuse d’accéder à la demande de communication du groupe Goodwin pour des motifs de manque de pertinence potentielle et de protection de la vie privée en ce qui a trait aux renseignements personnels que contiennent ces documents. Me Marchildon a écrit que le document en question [traduction] « fait le point sur des questions soulevées au sujet de la mise en œuvre du règlement, y compris des questions personnelles concernant des individus ou des groupes d’individus spécifiques ayant potentiellement droit à des sommes d’argent en vertu du règlement ». Il ne mentionne pas de GCRP ni de tâches ou de questions concernant la gestion des cas de réadaptation professionnelle. Le groupe Goodwin affirme que le document en question est potentiellement pertinent en ce qui a trait à sa requête relative aux fonctions admissibles.

[33]  Après avoir examiné le document dans sa version non caviardée, j’abonde dans le sens de l’intimé. L’annexe D n’est pas potentiellement pertinente à l’égard des faits, des questions ou des réparations importants concernant la requête dont je suis saisi relativement aux fonctions admissibles. Je tiens à ajouter que le document ne porte pas sur une question potentiellement pertinente concernant les éléments constitutifs de la définition des fonctions admissibles du PE.

C.  Témoignage proposé de Me Armstrong

[34]  Le groupe Goodwin a depuis longtemps indiqué qu’il souhaitait faire témoigner Me Armstrong au sujet des intentions de ses clients et de leur position et de celle de l’intimé au cours des négociations de règlement concernant la définition des fonctions admissibles dans le PE et dans son application aux GCRP et à leur travail, le cas échéant. Le groupe Goodwin demande au Tribunal de délivrer une assignation à comparaître. L’intimé rétorque que ce témoignage n’est pas pertinent et que le privilège relatif à un règlement s’applique. L’intimé n’a pas renoncé au privilège. La Commission s’oppose également à cette demande.

[35]  Le critère essentiel d’admissibilité d’un témoignage est la pertinence. Je suis convaincu, compte tenu du résumé de témoignage anticipé amendé qui a été déposé par le groupe Goodwin et des observations formulées, que le témoignage de Me Armstrong est pertinent pour la requête relative aux fonctions admissibles dont je suis saisi. Toutefois, comme ce témoignage concerne des communications protégées par le privilège relatif à un règlement et échangées avec Me Marchildon (et avec la Commission, qui a reçu copie des lettres à tout le moins), un avis doit être donné à ses 382 anciens clients ainsi qu’à Me Armstrong lui-même [5] . À cet égard, il serait prudent que le groupe Goodwin communique avec Me Armstrong avant de lui signifier l’avis de requête, pour savoir s’il existe un protocole en vertu duquel un plaignant principal ou un comité de plaignants représenté par Me Armstrong est autorisé à engager les autres.

[36]  De plus, étant donné mes conclusions antérieures concernant la négociation du protocole d’entente et la lettre « d’offre révisée » du 31 mai 2012 de Me Marchildon à toutes les parties, j’ordonne également que le groupe des 35 clients non représentés par Me Armstrong soit avisé de la requête du groupe Goodwin visant à obliger Me Armstrong à témoigner lors de l’audience sur les fonctions admissibles.

[37]  Compte tenu des difficultés logistiques que représentent la transmission et l’échange de l’avis et des observations dans un aussi large groupe de personnes, le Tribunal suggère aux parties de chercher à obtenir une admission, un exposé conjoint des faits ou un mémoire conjoint qui rendrait inutile la production de la lettre du 22 juin 2011 et du témoignage proposé. Les parties ont failli parvenir à une telle entente au cours de l’une de nos conférences téléphoniques de gestion de l’instance. Si le groupe Goodwin souhaite procéder, le Tribunal donnera une directive concernant les « prochaines étapes » à suivre et traitant des considérations d’ordre logistique qu’implique un groupe aussi important.

VI.  Ordonnance

[38]  Après lecture des observations écrites et des documents déposés et après audition des observations orales, j’ordonne les mesures suivantes :

  1. La lettre du 28 juin 2011 devra être descellée et une copie (avec la lettre d’accompagnement du 30 juin 2011) devra être fournie par le greffe du Tribunal au groupe Goodwin;
  2. L’intimé devra fournir sans délai au groupe Goodwin ce qui suit :
    1. les deux courriels non caviardés, dans la mesure stipulée dans la présente ordonnance;
    2. l’annexe B sous sa forme non caviardée.
  3. Le groupe Goodwin devra aviser le Tribunal, au plus tard le 13 juillet 2018, de son intention ou non de maintenir sa requête pour la production de la lettre du 22 juin 2011 et la délivrance d’une assignation à comparaître contraignant Me Armstrong à témoigner.

Signé par

Matthew D. Garfield

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 29 juin 2018


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1111/9205, T1112/9305 & T1113/9405

Intitulé de la cause : Ruth Walden et al. c. Procureur général du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 29 juin 2018

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

Observations écrites et par téléconférence :

Gary Goodwin et Carol Ladouceur , pour les parties intéressées

Daniel Poulin , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Lynn Marchildon , pour l’intimé

 



[1] Mme Pick et Mme Taylor ont toutes les deux reçu des indemnités dans le cadre de la décision Walden en tant que plaignantes ayant exercé des fonctions à titre d’EM, et avaient donc déjà qualité pour agir devant le Tribunal. Par conséquent, elles sont incluses dans la décision « Walden et autres » dans l’intitulé de la cause/de l’instance. Elles font également partie des seize personnes – le groupe Goodwin – qui réclament des indemnités et d’autres réparations relativement à l’exercice de leurs fonctions en tant que GCRP.

 

[2] M. Goodwin est la partie intéressée qui a déposé la requête relative aux fonctions admissibles pour le compte du groupe Goodwin et qui représente le groupe avec Mme Ladouceur.

[3] En vertu de l’al. 50(3)c) de la LCDP, le Tribunal a le pouvoir « de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire ».

[4] « La distinction établie entre le secret professionnel de l'avocat et le privilège relatif au litige n'exclut pas la possibilité qu'ils se chevauchent dans le contexte d'un litige » Blank c. Canada, 2006 CSC 39, par. 49.

[5] Les avocats ont l'obligation légale et professionnelle de protéger et de ne pas divulguer les renseignements personnels de leurs clients, notamment leurs renseignements protégés ou confidentiels, y compris ceux de leurs anciens clients.

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