Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 11

Date : Le 15 mai 2018

Numéro du dossier : T1897/12712

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

M. X

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Chemin de fer Canadien Pacifique

l'intimé

Décision

Membre : Olga Luftig

 

 


Table des matières

I. La plainte  1

II. Confidentialité  1

A. Le contexte  1

B. La position de l’intimé sur l’anonymisation supplémentaire  2

C. La position de la Commission  3

D. Analyse  3

III. LA DÉCISION SUR LE FOND  8

A. LES POSITIONS DES PARTIES  8

(i) La position du plaignant et de la Commission  8

(ii) La position de l’intimé  9

IV. LA CRÉDIBILITÉ DES TÉMOINS  10

A. La crédibilité du plaignant  10

V. LES QUESTIONS EN LITIGE  11

VI. LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA DÉFICIENCE  12

A. LES FAITS  12

(i) L’historique d’emploi du plaignant  12

(ii) Les SST et les règles de retour au travail (les règles de « RT »)  15

(iii) Les témoins médicaux  17

(iv) Un survol des antécédents médicaux du plaignant en lien avec l’anxiété  21

B. Les dispositions législatives applicables  34

C. L’analyse  35

(i) Le plaignant souffre-t-il d’une déficience au sens de la Loi?  35

(ii) Le plaignant a-t-il subi un effet préjudiciable et la caractéristique protégée a-t-elle constitué un facteur dans le traitement préjudiciable?  48

D. La conclusion sur la responsabilité – la discrimination fondée sur une déficience  48

VII. LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA SITUATION DE FAMILLE  49

E. LES FAITS  50

(iii) Survol de la demande de mesures d’accommodement  50

(iv) Sommaire des renseignements concernant l’enfant adulte  54

F. Le droit applicable  57

G. Analyse  58

(v) Les soins et la surveillance  58

(vi) La responsabilité légale envers l’enfant adulte (les « soins constants ») 58

(vii) Des efforts raisonnables pour trouver une solution de rechange  65

(viii) La règle régissant le milieu de travail entrave d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité de remplir des obligations liées à la garde de l’enfant  69

VIII. Le plaignant a-t-il omis de prendre part au processus d’accommodement?  70

IX. L’obligation de l’employeur de conseiller à l’employé de présenter une demande de mesures d’accommodement fondée sur la situation de famille  70

X. LES MOTIFS COMBINÉS OU INTERRELIÉS  71

H. La plainte et les positions des parties  71

I. Le chevauchement des motifs et la preuve prima facie de discrimination  72

J. Manière d’appliquer la notion de motifs combinés ou interreliés, s’il y a lieu, dans la présente plainte  74

XI. Processus à envisager lors du traitement de demandes d’accommodement fondées sur des motifs susceptibles de se combiner  75

XII. LES REPRÉSAILLES  80

K. La Loi et la jurisprudence  80

L. Quelles plaintes relatives aux droits de la personne le plaignant a-t-il déposées et quand?  82

M. Les allégations précises de représailles du plaignant  83

(ix) M. D  83

(x) M. P, gestionnaire  88

(xi) Les infirmières C ou E des SST au sujet de l’orientation du plaignant vers M. Tom W, de l’intimé  90

(xii) M. Tom W  92

(xiii) Mme Kari Giddings  96

(xiv) L’infirmière C des SST  99

XIII. LA CONCLUSION AU SUJET DE LA RESPONSABILITÉ  101

XIV. LA RÉPARATION  101

N. L’indemnisation de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire (alinéa 53(2)c)) 101

O. La pension (al. 53(2)b))  103

P. Le préjudice moral (al. 53(2)e))  104

Q. L’indemnité spéciale (par. 53(3))  105

R. Les intérêts  106

S. Les réparations demandées par la Commission  106

XV. L’ORDONNANCE  108

T. La confidentialité  108

U. Les réparations  108

 


I.  La plainte

[1]  Le 25 mars 2011, M. X (le plaignant) a porté plainte (la plainte) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), en alléguant que son employeur, le Chemin de fer Canadien Pacifique (l’intimé ou le CFCP) avait fait preuve de discrimination à son endroit pour cause de déficience et de situation de famille, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi ou la Loi sur les droits de la personne). Le plaignant alléguait aussi que l’intimé avait exercé des représailles contre lui parce qu’il avait déposé antérieurement des plaintes relatives aux droits de la personne, en contravention de l’article 14.1 de la Loi. La plainte allègue que la discrimination était délibérée et inconsidérée.

[2]  Le 3 janvier 2013, par sa lettre de renvoi établie en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi, la Commission a demandé au président par intérim du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte. La Commission a participé à toute l’instruction, y compris à l’audience.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la plainte est jugée partiellement fondée.

II.  Confidentialité

A.  Le contexte

[4]  Le plaignant a demandé et obtenu une ordonnance de confidentialité verbale pour les preuves médicales le concernant et concernant sa famille immédiate qui seraient présentées au cours de l’instruction. L’intimé ne s’y est pas opposé. Les conditions de l’ordonnance de confidentialité n’ont pas été précisées à ce moment-là, et elles sont détaillées dans la présente décision (la Décision).

[5]  Les parties ont également convenu qu’au cours de l’audience, quand il y aurait des témoignages au sujet de preuves médicales ou d’autres preuves sensibles concernant les enfants du plaignant, l’enregistrement de l’audience serait confidentiel, et décrit comme tel par l’agent du greffe. Cela a été fait.

[6]  À la fin de l’audience, le plaignant a évoqué de nouveau la question de la confidentialité à l’égard de l’un de ses enfants, et a demandé que l’on rende une ordonnance de confidentialité qui régirait la présente Décision. L’avocate de l’intimé a suggéré que l’on anonymise la Décision; ainsi elle ne contiendrait pas les noms du plaignant ou des membres de sa famille, mais sa valeur jurisprudentielle serait protégée. Le plaignant et la Commission ont accepté. J’ai convenu d’anonymiser la Décision en ne nommant pas le plaignant ou les membres de sa famille.

[7]  Après l’audience, le plaignant a demandé, dans des observations écrites, que l’on anonymise davantage la Décision en ne nommant pas les deux villes en cause ni un grand nombre des témoins, de manière à protéger la confidentialité de la Décision. Il a fait valoir que si l’on nommait les villes et la plupart des témoins, il serait facile pour des collègues de travail et d’autres membres de l’industrie d’identifier le plaignant et sa famille. Il a aussi demandé que le Tribunal ne mentionne pas dans la Décision la déficience et le comportement autodestructeur de l’un de ses enfants.

B.  La position de l’intimé sur l’anonymisation supplémentaire

[8]  L’intimé s’est opposé à ce que l’on anonymise davantage la plainte, car le fait de ne pas mentionner la déficience et le comportement autodestructeur de l’enfant en question présentait le risque de créer une iniquité procédurale et de miner le mandat légal du Tribunal. Il a soutenu que le mandat du Tribunal consistait à appliquer la Loi de manière équitable et, par l’entremise de ses décisions publiques, à donner à la société canadienne des lignes directrices sur ce qui constitue un acte discriminatoire. En outre, si le Tribunal ne faisait pas convenablement état des faits de la plainte, la Décision aurait peu de valeur jurisprudentielle, sinon aucune. Par ailleurs, si une partie souhaitait demander le contrôle judiciaire de la Décision, il serait difficile, voire impossible, de le faire sans disposer de faits suffisants, ce qui porterait ainsi préjudice à la partie appelante.

[9]  L’intimé a reconnu que certains des faits évoqués dans la plainte étaient sensibles et il a consenti à l’audience qu’on anonymise la Décision. Il a soutenu que cette mesure protégeait de manière raisonnable la vie privée du plaignant, compte tenu du fait que ce dernier avait décidé de soumettre sa plainte au Tribunal, qui est une tribune publique.

C.  La position de la Commission

[10]  La Commission a fait valoir que l’article 52 de la Loi autorise le Tribunal à rendre une ordonnance de confidentialité si « […] la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique ». Cette disposition reconnaît que ce besoin peut se présenter s’il y a « un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte [qu’il est nécessaire] d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées […] ».

[11]  La Commission a soutenu que les faits liés au comportement autodestructeur et à la psychologie de l’enfant du plaignant étaient en soi de nature sensible et justifiaient une ordonnance d’anonymisation en vertu de l’article 52 de la Loi.

[12]  La Commission a également déclaré qu’après que le Tribunal aura [traduction] « pleinement évalué » la preuve, il pourra déterminer quel est le juste équilibre entre le droit du public de savoir et les préoccupations du plaignant à l’égard de sa vie privée.

D.  Analyse

[13]  Selon le paragraphe 52(1) de la Loi, le Tribunal est un lieu de procès et d’archives publiques, et les audiences sont généralement publiques. Les affaires qui lui sont soumises sont destinées non seulement à donner à une personne une tribune où ses allégations de discrimination seront instruites et jugées, mais aussi à sensibiliser le public canadien et à servir de précédents à d’éventuelles parties sur des questions liées aux droits de la personne, à l’échelon fédéral et parfois aussi à l’échelon provincial.

[14]  La question dont je suis saisie consiste à savoir si les circonstances sont suffisantes pour qu’il soit justifié de s’écarter de la règle générale voulant qu’une instruction ait lieu en public.

[15]  Pour trancher cette question, il me faut prendre en considération le paragraphe 52(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

« […] le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

[…]

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt de la société à ce que l’instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats. »

[16]  Mon principal souci au sujet de la confidentialité était et demeure le suivant : que la présente Décision n’ait pas d’incidence négative sur l’enfant du plaignant, dont la situation était importante et pertinente dans le cadre de la présente instruction. Cet enfant (et l’autre enfant du plaignant) n’était ni une partie à la plainte ni un témoin à l’audience. L’enfant n’a pas demandé à prendre part à la présente instance, mais, dans un sens pratique et juridique substantiel, il est effectivement une personne « concernée » par l’instruction.

[17]  L’enfant est d’âge adulte, mais on a présenté à l’audience des preuves dignes de foi démontrant qu’il est très sensible, vulnérable et secret à propos de sa propre déficience et de l’effet de cette dernière. De plus, en raison de sa déficience, il a été victime d’intimidation et de comportements préjudiciables à son état psychologique. Il est important de signaler que l’on a aussi présenté des preuves dignes de foi selon lesquelles l’enfant avait eu un comportement autodestructeur, peut-être suicidaire.

[18]  J’ai évalué les éléments de preuve concernant la sensibilité, l’état psychologique et le comportement autodestructeur de l’enfant, et plus précisément :

  • le témoignage du médecin généraliste (MG) de l’enfant, ainsi que les rapports dans lesquels il fait référence à l’enfant;
  • le témoignage du plaignant et de son épouse;
  • le rapport d’un psychiatre, daté du 12 janvier 2011, qui, tout en évaluant le plaignant, faisait référence au comportement autodestructeur de l’enfant.

[19]  Je n’ai pas accordé au rapport du 12 janvier 2011 autant d’importance qu’aux éléments de preuve susmentionnés, parce que ce psychiatre n’a pas témoigné et parce qu’il s’est fondé sur ce que le plaignant avait lui-même déclaré à propos du comportement autodestructeur de l’enfant. Cependant, ce rapport contenait d’autres renseignements non contestés selon lesquels l’enfant avait fait ce que le plaignant avait qualifié de tentative de suicide.

[20]  De plus, au cours de l’audience, le plaignant a déclaré que l’enfant refusait de consentir à la demande de l’intimé, qui voulait obtenir du psychologue des renseignements sur la situation de l’enfant en vue de prendre des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Le plaignant et son épouse ont tous deux déclaré que le refus de l’enfant était attribuable au fait qu’il ne voulait pas que l’on communique des renseignements sur ses séances de consultation psychologique. Même s’il s’agissait là d’une preuve par ouï-dire, j’ai considéré qu’elle était digne de foi, parce que l’épouse du plaignant a confirmé le témoignage de celui-ci sur ce point, et qu’aucune partie n’a produit le consentement de l’enfant à la transmission des renseignements que détenait le psychologue.

[21]  Il ressort de l’ensemble des éléments de preuve susmentionnés qu’il faut prendre des mesures de confidentialité au sujet de la présente plainte et de la Décision écrite, au point de les anonymiser, car je suis convaincue que le fait de tenir l’instruction en public entraînerait un risque sérieux que la divulgation du nom d’un grand nombre des témoins et des personnes nommées dans la preuve documentaire et que la désignation des villes en cause dans la présente plainte mènent raisonnablement à l’identification du plaignant et de sa famille. Cela, par ricochet, causerait une contrainte excessive à l’enfant du plaignant et à son autre enfant, chacun étant une « personne concernée », de sorte que la nécessité d’éviter la divulgation de leurs noms l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique, comme le prévoit l’alinéa 52(1)c) de la Loi.

[22]  De plus, et conformément à l’alinéa 52(1)d) de la Loi, je suis convaincue que l’on a présenté à l’audience une preuve digne de foi que l’enfant du plaignant avait montré un comportement autodestructeur, peut-être suicidaire. Je conclus donc que la publication du nom du plaignant et des membres de sa famille, des noms des témoins susmentionnés ou des noms de personnes qui n’ont pas témoigné, mais dont les documents ont été mis en preuve, mènerait raisonnablement à l’identification du plaignant et de sa famille. Ce résultat aurait une incidence négative sur l’enfant du plaignant, au point de causer un sérieux risque d’autodestruction, y compris un risque pour la vie de cet enfant. Je conclus donc qu’il est nécessaire de prendre des mesures de confidentialité, dont l’anonymisation de certaines parties de la présente Décision.

[23]  Cependant, cette anonymisation ne s’étendra pas à la déficience de l’enfant du plaignant ni aux descriptions raisonnablement nécessaires de son incidence, y compris sur le plan physique, cognitif et psychologique. Je pense que cette mesure aurait pour effet d’exclure des faits importants de la présente Décision, ce qui non seulement priverait de son sens une partie importante de la présente Décision, à tout le moins, mais annulerait toute la valeur jurisprudentielle et éducative que cette Décision pourrait avoir. De plus, toute partie souhaitant présenter une demande de contrôle judiciaire de la présente Décision a droit à un compte rendu complet des éléments que le Tribunal a pris en compte pour arriver à sa Décision.

[24]  Je reconnais que la méthode d’anonymisation du Tribunal ne répond pas entièrement aux demandes du plaignant. J’ai fait de mon mieux pour équilibrer le risque de contrainte excessive et la sécurité de l’enfant du plaignant avec le mandat général qu’a le tribunal de tenir ses audiences en public. Il faut aussi garder à l’esprit que le plaignant, comme il en a le droit, a choisi de soumettre sa plainte à une tribune publique.

[25]  Par conséquent, en plus des mesures d’anonymisation susmentionnées, la Décision :

  • appelle les deux villes concernées la « plus grande agglomération » et la « plus petite agglomération »;
  • appelle l’enfant cadet du plaignant l’« enfant adulte » parce qu’au cours de la période en cause, ce dernier avait au moins l’âge de la majorité, et « enfant » parce que l’enfant adulte vit avec ses parents; cette désignation ne traduit aucun manque de respect;
  • omet tout pronom révélant le sexe de l’enfant adulte;
  • n’utilise que la forme masculine pour éviter d’indiquer le sexe de l’enfant adulte;
  • appelle l’autre enfant du plaignant l’« enfant aîné » et omet d’utiliser tout pronom indiquant son sexe;
  • désigne par leurs initiales les divers témoins et les autres personnes nommés dans la preuve, verbale ou documentaire, parce que je conclus qu’il est raisonnablement probable que le fait de nommer ces personnes mènerait à l’identification du plaignant et de sa famille;
  • nomme seulement l’une des gestionnaires de l’intimé qui est venue témoigner, parce qu’elle travaille au siège social canadien de l’intimé à Calgary et non dans la plus grande agglomération ou la plus petite agglomération, et qu’elle s’occupe des questions relatives aux employés d’un bout à l’autre du Canada;
  • désigne le témoin expert de l’intimé par une initiale (« Dr C ») et les deux témoins experts du plaignant comme suit : le « MG » et le « psychologue »;
  • désigne par son nom le Dr Cutbill du CFCP, qui était à l’époque le médecin-chef des Services de santé au travail (SST) du CFCP, et qui n’a pas témoigné; ce dernier s’occupait des problèmes de santé des employés d’un bout à l’autre du Canada;
  • désigne par leurs initiales et, dans un cas, par la mention « Dr OK », les médecins qui n’ont pas témoigné, mais dont les rapports ont été produits en preuve, parce que je conclus qu’il est raisonnablement probable que le fait de les nommer mènerait à l’identification du plaignant et de sa famille.

[26]  Comme signalé plus tôt, le mandat du Tribunal est d’avoir des procédures publiques. Ce mandat s’étend aux dossiers du Tribunal. Cependant, si un membre du public demandait le dossier du Tribunal, même si les documents médicaux sont confidentiels, le nom du plaignant figurerait probablement dans d’autres documents, ce qui annulerait l’utilité des autres ordonnances. Cela étant, au vu des circonstances de la présente affaire et du grave préjudice qui résulterait du non-respect de l’anonymat de l’enfant adulte, j’ordonne que le dossier du Tribunal sur la présente plainte demeure confidentiel. Les seuls documents accessibles au public, et anonymisés, seront la plainte et les exposés des précisions des parties. À noter que ces exposés des précisions ne comporteront pas une liste de témoins ou une liste de documents.

[27]  J’ai tenté ainsi de respecter le mandat du Tribunal de tenir des audiences publiques en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi, qui inclut l’accessibilité des décisions pour le public – une mesure qui permet de fournir des indications et des précédents sur le droit relatif aux droits de la personne par la mention et la description de ce qui constitue, selon moi, les faits et les enjeux pertinents et importants de la plainte –, tout en faisant tout ce qui est raisonnablement possible dans les limites de la Loi et de la justice naturelle pour éviter à l’enfant adulte une contrainte excessive et un risque de préjudice.

III.  LA DÉCISION SUR LE FOND

A.  LES POSITIONS DES PARTIES

(i)  La position du plaignant et de la Commission

[28]  Le plaignant allègue qu’il souffre d’une déficience : un trouble anxieux non spécifié (appelé « anxiété » ou « trouble anxieux » dans la présente Décision). La Commission et lui allèguent que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa déficience quand, le 30 avril 2010, il a levé les restrictions d’ordre médical qui le concernaient, lesquelles prévoyaient qu’il ne devait travailler que de jour, dans une gare de triage (les « restrictions de travail »). Jusque-là, l’intimé avait pris des mesures d’accommodement en faveur du plaignant.

[29]  Il est ressorti de la preuve que le plaignant a aussi d’autres problèmes de santé, dont un problème de dos diagnostiqué, à l’égard desquels l’intimé a pris des mesures d’accommodement. Aucun des problèmes de santé susmentionnés ne constitue la déficience sur laquelle est fondée l’allégation de discrimination. À moins qu’il soit pertinent de le faire, la présente Décision ne décrira pas d’autres affections que le trouble anxieux ni ne tirera de conclusions de la preuve au sujet de celles-ci.

[30]  Le plaignant et la Commission allèguent que la levée des restrictions de travail a constitué une différence de traitement préjudiciable en raison du trouble anxieux du plaignant.

[31]  La Commission soutient que l’intimé a fait preuve de discrimination à l’encontre du plaignant en raison de sa déficience ou de sa situation de famille en l’obligeant à respecter un horaire de travail irrégulier en fonction de la liste de relève. C’est l’une des façons dont l’intimé assigne des postes, et elle est décrite plus loin dans la présente Décision. La Commission soutient précisément que la multiplicité des motifs, prévue à l’article 3.1 de la Loi, entre en jeu dans la présente plainte.

[32]  La Commission fait valoir que le plaignant souffrait d’anxiété, et que ce trouble était assorti d’une limitation fonctionnelle et de diagnostics médicaux précis et importants. Dans ce contexte, soutient-elle, le plaignant a établi l’existence d’une déficience au sens de la Loi.

[33]  La Commission soutient de plus que, dans la Loi, la « situation de famille » engloberait des obligations parentales envers un enfant adulte ayant une déficience et que le plaignant répond au critère légal en vigueur pour ce qui est de la discrimination fondée sur la situation de famille.

[34]  Le plaignant est d’avis que l’intimé a commis plusieurs actes de représailles, ce qui est contraire à la Loi. La Commission n’a pas pris position au sujet des représailles, sauf pour produire des décisions portant sur le critère légal applicable.

(ii)  La position de l’intimé

[35]  L’intimé est d’avis que le plaignant n’a pas présenté une preuve prima facie de discrimination pour ce qui est du motif de la déficience ou de celui de la situation de famille. Il suggère également que la nature de la présente affaire donne à penser qu’il y a une combinaison de deux motifs : la déficience et la situation de famille. Il allègue que le critère de la situation de famille devrait s’appliquer à ces deux motifs combinés et interreliés, parce que, selon lui, la situation de famille du plaignant a une incidence sur sa déficience.

[36]  De plus, l’intimé soutient que le plaignant n’a pas participé au processus relatif à sa demande d’accommodement fondée sur sa situation de famille.

[37]  Enfin, l’intimé est d’avis que les plaintes de représailles sont sans fondement.

IV.  LA CRÉDIBILITÉ DES TÉMOINS

[38]  Dans l’ensemble, j’ai jugé que les témoins étaient tous dignes de foi et fiables. J’ai parfois trouvé que les témoignages de certains d’entre eux étaient préférables à ceux d’autres témoins et j’expliquerai pourquoi dans la présente Décision.

A.  La crédibilité du plaignant

[39]  Lors de son interrogatoire principal, le plaignant a semblé être un témoin franc et relativement ouvert. Cependant, il a eu beaucoup de difficulté à se souvenir par lui-même de nombreux faits, même au cours de l’interrogatoire principal, et il a souvent dû consulter des notes que son épouse ou lui avaient prises. Il a souvent lu textuellement des documents que la Commission ou lui avaient produits en preuve. J’attribue ce fait en partie à un peu de nervosité, mais certainement pas en totalité. Il n’a eu aucune difficulté à décrire les activités ferroviaires, qu’il semblait bien connaître.

[40]  Le plaignant n’a pas eu de difficulté non plus à se souvenir que l’intimé lui avait refusé une demande de congé pour pouvoir emmener son père, atteint d’un cancer en phase terminale, faire une excursion en canot. Il a toutefois eu bien de la difficulté à se rappeler que l’intimé lui avait accordé des mesures d’accommodement pour cause de situation de famille en 2004 ou 2005, pendant une période d’au moins deux mois, afin qu’il puisse passer plus de temps en compagnie de son père malade. En d’autres termes, sa mémoire a parfois semblé sélective. Bien des fois, il s’est montré réticent à témoigner au sujet d’une chose précise, comme une date, à moins de pouvoir jeter un coup d’œil à un document de confirmation.

[41]  Lors de son contre-interrogatoire, le plaignant s’est exprimé parfois de manière évasive ou détournée, a exagéré (p. ex., au sujet d’historiques) et a manqué de réponses, sauf lorsque pressé de répondre, à plusieurs reprises, dont une fois par moi. De plus, il a parfois semblé trop occupé à essayer de penser avec deux longueurs d’avance à ce que l’avocate de l’intimé allait dire. À un moment donné, il a déclaré : [traduction] « Je me demande quelle sera la prochaine question. » Je crois que cela reflétait en partie le sentiment de méfiance marqué et général qu’il éprouvait envers la plupart des gestionnaires de l’intimé, mais assurément pas tous, et, par extension, envers l’avocate de ce dernier.

[42]  En général, l’examen que j’ai fait de son témoignage, et particulièrement de son contre‑interrogatoire, a changé mon impression sur la fiabilité de son témoignage. Malgré cela, je n’ai pas considéré le témoignage du plaignant comme délibérément mensonger. Dans une large mesure, il était plutôt teinté de ses propres opinions et sentiments, selon lesquels la direction de l’intimé l’avait mal traité au cours des dernières années et avait demandé trop de renseignements de nature privée.

V.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[43]  La présente Décision porte sur les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il fait preuve envers le plaignant de discrimination fondée sur la déficience?
  • (i) Dans l’affirmative, le plaignant a-t-il omis de prendre part au processus d’accommodement?

  • (i) Dans l’affirmative, le plaignant a-t-il omis de prendre part au processus d’accommodement?

  • (ii) L’intimé aurait-il dû aviser le plaignant qu’il pouvait demander des mesures d’accommodement pour cause de situation de famille?

  1. L’intimé a-t-il fait preuve envers le plaignant de discrimination fondée sur la situation de famille?
  1. Le concept de la multiplicité des motifs s’applique-t-il dans le cas de la présente plainte, conformément à l’article 3.1 de la Loi?
  2. L’intimé a-t-il exercé des représailles contre le plaignant de façon contraire à la Loi?
  3. Quelles réparations le Tribunal devrait-il accorder, le cas échéant?

VI.  LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA DÉFICIENCE

[44]  Toutes les parties ont présenté des arguments portant sur la discrimination fondée sur la déficience séparément de leurs arguments relatifs à la discrimination fondée sur la situation de famille. Dans ce contexte, le Tribunal procédera à l’examen de chaque motif de discrimination allégué séparément, et examinera ensuite la question de la multiplicité des motifs.

A.  LES FAITS

(i)  L’historique d’emploi du plaignant

[45]  Le plaignant vit dans la plus petite agglomération, et il travaille pour l’intimé depuis 1981. Il est syndiqué. Durant les trois premières années, il a travaillé par quarts de travail, mais à des heures prévisibles. Il a ensuite occupé divers postes, dont des postes essentiels à la sécurité, pendant qu’il était au service de l’intimé.

[46]  Le plaignant a déclaré que de 1985 à 2005, y compris après la naissance de ses enfants, il a effectué principalement des tâches visées par la liste de relève. Le plaignant et un représentant de l’intimé, M. P, ont déclaré que la liste de relève est un registre d’employés qui doivent être disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sous réserve seulement de périodes de repos obligatoires. Ils sont [traduction] « sur appel ». À toute heure du jour ou de la nuit, quel que soit le jour et sur préavis d’au moins deux heures, un commis préposé aux équipages du CFCP peut appeler un employé de la liste de relève pour qu’il vienne travailler. Les jours et les heures de travail des employés inscrits sur cette liste sont irréguliers et imprévisibles. La liste de relève permet de disposer tous les jours, 24 heures sur 24, d’un bassin de chefs de train, de mécaniciens de locomotive et d’agents de train pour remplacer des employés qui sont absents, en vacances ou malades, ou pour combler toute lacune.

[47]  M. P, pour le compte de l’intimé, a décrit la [traduction] « route » comme étant le déplacement réel des trains sur leurs itinéraires, dans des directions diverses, et comme des voies ferroviaires situées à l’extérieur d’une gare de triage. Le plaignant a déclaré qu’un employé inscrit sur la liste de relève qui revient après avoir terminé un travail (un voyage sur la route) peut réserver jusqu’à 24 heures de repos. Dès que la période de repos de 24 heures est terminée, cet employé peut être appelé au travail sur préavis de deux heures.

[48]  Le plaignant a décrit le fait d’être inscrit sur la liste de relève comme un [traduction] « mode de vie mouvementé », parce qu’on ignore [traduction] « quand on va et on vient ou si on va et on vient ». Mais, a-t-il déclaré, pendant la période antérieure à l’année 2005, lorsqu’il était sur la liste de relève, les gestionnaires étaient plus compréhensifs et souples. Si le voyage proposé ne lui convenait pas, il pouvait l’échanger contre un voyage d’une durée plus convenable avec un autre employé inscrit sur la liste de relève. Il pouvait aussi demander au commis préposé aux équipages de lui donner un congé. Si le commis ne pouvait le faire à cause d’un manque d’employés, il permettait au plaignant de sauter un appel. Aux yeux du plaignant, la partie compliquée du fait d’être inscrit sur la liste de relève était qu’il ignorait quand on l’appellerait pour travailler, ce qui voulait dire qu’il ignorait, avant de recevoir l’appel en question, si le voyage conviendrait à son horaire.

[49]  En 2005, l’intimé a imposé au plaignant une sanction disciplinaire pour absentéisme entre le 1er novembre 2004 et le 24 mars 2005. Selon le plaignant, cet absentéisme était dû à ses problèmes de dos et, parfois, à des problèmes familiaux.

[50]  Le plaignant a déclaré que, selon son souvenir, à partir de 2005 environ, la direction est devenue plus stricte et a exigé que les employés atteignent la distance maximale prévue sur la liste de relève. Il a qualifié la nouvelle orientation de [traduction] « changements de règles », mais a reconnu qu’il n’y avait pas eu de changements écrits, et il a également concédé qu’avant 2005 il n’y avait pas de règles écrites non plus. L’intimé insistait sur une meilleure assiduité de la part des employés inscrits sur la liste de relève.

[51]  Il est resté sur la liste de relève jusqu’en octobre 2005. Il a déclaré qu’à l’époque il voulait continuer de le faire parce qu’il gagnait plus d’argent qu’à la gare de triage. La « gare de triage » est l’endroit où des wagons sont accrochés à un train ou décrochés de ce dernier; les trains sont déplacés par des mécaniciens de locomotive dans la gare de triage, mais uniquement à l’intérieur de son périmètre; dans la gare de triage, on se sert aussi de dispositifs d’aiguillage. Tant la plus petite agglomération que la plus grande agglomération sont dotées d’une gare de triage. Cependant, en raison des sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées en 2005 pour cause d’absentéisme, son syndicat lui avait conseillé d’offrir ses services pour la gare de triage afin d’éviter d’avoir d’autres problèmes avec la direction. En octobre 2005, après qu’on eut accepté son offre, il a commencé à travailler à la gare de triage de la plus grande agglomération, au sein de l’équipe de jour, en tant que mécanicien de locomotive. Il a déclaré que même s’il s’agit d’un travail par quarts, le travail de la gare de triage est prévisible. Il avait un quart de travail régulier, avec deux jours de congé consécutifs par semaine.

[52]  Le plaignant a conservé ce travail de jour dans la gare de triage de la plus grande agglomération pendant trois ans, jusqu’à la dernière semaine de novembre 2008, quand un autre employé l’a [traduction] « délogé » du poste qu’il occupait. Le fait d’être délogé l’obligeait à s’inscrire sur la liste de relève, mais il est devenu tellement anxieux, selon son témoignage, qu’il n’a pas pu le faire. Il n’est donc pas allé travailler et s’est porté malade.

[53]  Le médecin généraliste (MG) du plaignant a rempli les formulaires médicaux du CFCP, a posé un diagnostic d’anxiété concernant le plaignant et a recommandé qu’il travaille de jour, dans une gare de triage. Le Dr A, des Services de santé au travail (SST) du CFCP, a ensuite imposé comme restrictions de travail que le plaignant travaille de jour, dans une gare de triage. Le Dr A a qualifié ces mesures de restrictions temporaires, en attendant d’obtenir de plus amples renseignements médicaux. Le 28 novembre 2008, le plaignant a commencé à travailler de jour, dans une gare de triage, conformément aux mesures d’accommodement que l’intimé avait prises.

[54]  Le plaignant a continué de travailler de jour dans une gare de triage pendant la majeure partie de la période du 28 novembre 2008 au 30 avril 2010, en prenant quelques congés de maladie à cause de problèmes aux pieds.

[55]  Le 30 avril 2010, les SST ont levé les restrictions de travail, ce qui voulait dire que le plaignant devait réintégrer la liste de relève. Il a déclaré que son anxiété le rendait incapable de faire ce type de travail. Il n’a pas travaillé du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011. Il est revenu au travail le 7 novembre 2011, de jour dans une gare de triage, sans mesures d’accommodement de la part du CFCP.

(ii)  Les SST et les règles de retour au travail (les règles de « RT »)

[56]  Le plaignant a déclaré que, lorsqu’il prenait un congé de maladie d’une durée de 72 heures ou plus, la procédure normale du CFCP était qu’il ne pouvait retourner au travail à un poste essentiel à la sécurité que si les SST le considéraient comme apte au travail (la politique de 72 heures). Il a estimé qu’il avait besoin de l’aide d’un gestionnaire pour que l’autorisation des SST arrive au bon moment – de façon à ne pas l’obtenir au milieu de la semaine. Le fait d’obtenir cette autorisation au milieu de la semaine voulait dire être inscrit provisoirement sur la liste de relève jusqu’à ce qu’il puisse être affecté à un poste de triage correspondant à son niveau d’ancienneté la semaine suivante, lors du changement d’équipe hebdomadaire du dimanche soir. Le fait d’être inscrit sur la liste de relève l’amenait à se porter malade à cause de son anxiété, et le processus se répétait après un congé de maladie de 72 heures.

[57]  La représentante de l’intimé, Mme Giddings, des Relations avec les employés (RE), a déclaré que le processus de retour au travail (RT) est décrit dans un document daté de mars 2009 et intitulé « Role of Occupational Health Services » [Rôle des Services de santé au travail]. Les SST ont établi des protocoles concernant la protection des renseignements relatifs à la santé des employés, et le personnel des SST prend bien soin de veiller à répondre aux exigences en matière de confidentialité. Lors du retour au travail d’un employé qui a pris congé pour cause de maladie ou d’accident, le rôle des SST consiste à fournir au milieu de travail ou au gestionnaire l’autorisation relative à cet employé, de même que toutes les restrictions d’ordre médical que le gestionnaire doit connaître au sujet de cet employé. Les SST mettent l’accent sur les employés qui occupent des postes essentiels à la sécurité ou liés à la sécurité, et ils ne s’occupent que des questions d’ordre médical.

[58]  Mme Giddings a expliqué que les SST s’occupent des questions d’ordre médical, mais que les RE se chargent de toutes les autres demandes de mesures d’accommodement, y compris celles qui ont trait à la situation de famille. Elle a aussi décrit en détail les politiques et les mesures de respect de la vie privée qui concernent les demandes de mesures d’accommodement pour situation de famille dont s’occupent les RE.

[59]  L’intimé a fait valoir que, en novembre 2008, le plaignant aurait pu demander, à titre de mesure d’accommodement, que l’on fasse preuve de plus de souplesse à l’égard des tâches de relève. C’est-à-dire qu’il aurait pu demander à l’intimé de l’autoriser à recourir aux mêmes méthodes que celles qu’il avait employées dans le passé pour que les tâches de relève lui conviennent – par exemple, en manquant un appel ou en changeant de place avec un autre travailleur, en prenant congé, etc. Le plaignant a considéré que cela ne correspondait pas à ce qui se passait, selon lui, dans son lieu de travail et, de plus, l’anxiété que lui causait le fait d’avoir à exécuter des tâches de relève était traitée comme une question d’ordre médical. Compte tenu du témoignage du plaignant et du représentant de l’intimé, M. P, il est peu probable que le plaignant aurait bénéficié d’une telle mesure d’accommodement, en raison de la politique relative aux congés autorisés (la politique des congés autorisés) et de l’objectif de l’intimé d’améliorer l’assiduité.

[60]  Quoi qu’il en soit, le Tribunal n’a pas à évaluer si les mesures d’accommodement suggérées ci-dessus étaient réalistes, car l’intimé a refusé de prendre des mesures d’accommodement fondées sur la déficience. Le plaignant a fourni les renseignements médicaux relatifs à sa déficience chaque fois qu’on lui en a fait la demande, et il a consulté un psychiatre à la demande de l’intimé. Comme ce dernier a refusé la demande de mesures d’accommodement du plaignant et a levé les restrictions de travail temporaires en avril 2010, les parties n’ont pas entrepris de déterminer les mesures d’accommodement appropriées et le Tribunal n’évaluera pas si le plaignant aurait dû ou pu demander que l’on fasse preuve de souplesse.

(iii)  Les témoins médicaux

[61]  La preuve entendue pendant toute la durée de l’audience a fait référence à plusieurs médecins, à des lettres, des rapports et des notes, ainsi que, dans certains cas, à des témoignages. Par souci de confidentialité, ces personnes sont désignées dans la présente Décision comme suit :

  • le médecin généraliste du plaignant : le « MG »;
  • le médecin des SST de l’intimé qui s’est occupé en premier lieu du plaignant, en 2008 : le « Dr A » ou le « Dr A des SST »;
  • le médecin-chef de l’intimé à l’époque : le Dr Cutbill;
  • le psychiatre qui, le 1er septembre 2009, a effectué une évaluation médicale indépendante du plaignant : le « psychiatre indépendant »;
  • un psychiatre que le plaignant n’a vu qu’une seule fois en 2010 : le « second psychiatre »;
  • le psychiatre qui a procédé à une évaluation psychiatrique du plaignant en janvier 2011 : le « Dr OK, psychiatre » ou le « Dr OK »;
  • l’ancien spécialiste de la santé au travail de l’intimé, qui a témoigné : le « Dr C des SST » (il ne s’agit pas de la même personne que le Dr Cutbill, susmentionné);
  • le psychologue traitant du plaignant, qui a témoigné à l’audience : le « psychologue ».

Le médecin généraliste (MG)

[62]  La Commission a présenté le MG à titre d’expert en médecine familiale. L’intimé n’a formulé aucune objection. Le Tribunal a reconnu le MG à titre d’expert en médecine familiale, et celui-ci a témoigné à l’audience.

[63]  Le MG était le médecin de famille du plaignant et de l’enfant adulte, ainsi que de l’enfant aîné, depuis 2001. En bref, il a exprimé l’avis que le plaignant souffrait d’un trouble anxieux généralisé et que l’intimé aurait dû prendre à son endroit des mesures d’accommodement en l’affectant à un poste de jour, dans la gare de triage.

Le Dr A des SST

[64]  Le Dr A n’a pas témoigné à l’audience. Plusieurs de ses courriels et de ses notes figuraient dans le dossier des SST de l’intimé. Le Dr A est le premier médecin des SST qui a été affecté au dossier du plaignant, et il avait accordé des mesures d’accommodement provisoires sous forme de restrictions de travail.

[65]  Selon le témoignage du plaignant, qui a été confirmé par les notes relevées dans le dossier des SST, il y avait eu plusieurs appels téléphoniques entre lui et le Dr A au sujet de l’anxiété dont il souffrait. Il y avait aussi quelques notes voulant que le plaignant avait des problèmes familiaux à cause d’un enfant adulte atteint d’une déficience.

[66]  Le Dr A a accordé au plaignant des mesures d’accommodement provisoires en 2008 et il a plus tard indiqué que le plaignant aurait à consulter un psychiatre en vue de subir une évaluation médicale indépendante, afin que l’intimé puisse obtenir d’autres renseignements sur l’état d’anxiété du plaignant.

[67]  Les mesures d’accommodement provisoires sont demeurées en vigueur pendant le temps où le Dr A a été affecté au dossier du plaignant.

Le psychiatre indépendant – 2009

[68]  En septembre 2009, l’intimé a envoyé le plaignant subir un examen médical indépendant (EMI) chez un psychiatre (le psychiatre indépendant), qui a transmis son rapport à l’intimé (le rapport psychiatrique indépendant). Le psychiatre indépendant n’a pas témoigné à l’audience.

[69]  Le rapport psychiatrique indépendant a posé comme diagnostic que le plaignant souffrait d’un trouble anxieux non spécifié, selon la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM-IV). Dans ce rapport, le psychiatre indépendant a émis l’opinion que si le plaignant devait [traduction] « assumer les responsabilités liées à la liste de relève, [il se pourrait qu’il ait] davantage de symptômes et de crises d’anxiété ».

[70]  Les services de ce psychiatre indépendant ont été retenus par l’intimé dans le but d’obtenir des renseignements supplémentaires. À aucun moment un employé des SST n’a fait un suivi auprès du psychiatre indépendant pour obtenir des éclaircissements sur le rapport psychiatrique indépendant ou des renseignements supplémentaires.

Le psychologue traitant

[71]  L’intimé n’a formulé aucune objection quand la Commission a présenté le psychologue traitant comme un expert en matière de traitement de personnes souffrant d’anxiété. Après avoir entendu son témoignage sur ses études, ses antécédents, ses activités professionnelles et son travail, et après avoir passé en revue la section [traduction] « Antécédents » de son rapport d’expert, je l’ai reconnu comme tel.

[72]  Le psychologue a vu le plaignant à plusieurs reprises et a produit un rapport daté du 13 novembre 2009, qui a été fourni à l’intimé. Il a déclaré qu’il était d’accord avec le diagnostic d’anxiété que le psychiatre indépendant avait posé, que ce trouble survenait quand le plaignant était affecté à la liste de relève et qu’il était inquiet du fait de devoir s’éloigner et de ne pas savoir quand il allait travailler, pendant combien de temps ou à quel endroit.

[73]  À l’audience, le psychologue a maintenu sa position selon laquelle le plaignant présentait des symptômes d’anxiété qui l’empêchaient de travailler selon la liste de relève.

Le spécialiste de la santé au travail de l’intimé, le Dr C

[74]  Le Dr C est un médecin spécialisé en médecine du travail. Il a travaillé pour le CFCP sous contrat, à temps partiel régulier, en vue de produire des évaluations d’aptitude au travail, de 2001 à 2011. Il a fourni aux SST des évaluations relatives au plaignant. Le Dr C n’a jamais parlé avec le plaignant ni rencontré ce dernier.

[75]  Il a décrit la médecine du travail comme un domaine qui traite des effets du milieu de travail sur la santé et, inversement, de la manière dont l’état de santé d’une personne peut limiter ou influencer son travail. L’aptitude et le retour au travail (RT) sont un aspect de ce domaine.

[76]  L’intimé a présenté le Dr C en tant que témoin expert dans le domaine de la médecine du travail. Ni le plaignant ni la Commission n’ont protesté. Après avoir passé en revue le curriculum vitæ détaillé du Dr C et entendu son témoignage sur ses titres de compétence, le Tribunal a reconnu le Dr C en tant que témoin expert dans le domaine de la médecine du travail.

[77]  Le Dr C a admis que le plaignant a fait l’objet d’un diagnostic d’anxiété. Cependant, sa position, qu’il a maintenue pendant tout le temps où il s’est occupé du dossier du plaignant ainsi qu’à l’audience, était que l’anxiété dont souffrait le plaignant ne l’empêchait pas d’effectuer des tâches de relève. Il estimait plutôt que si le plaignant parvenait à gérer le conflit d’horaire qui découlait de ses obligations professionnelles et de ses obligations envers l’enfant adulte, il mènerait [traduction] « une vie essentiellement exempte d’anxiété ».

Le Dr OK, psychiatre

[78]  Le Dr OK, psychiatre, n’a pas témoigné à l’audience. Cependant, toutes les parties ont fait référence à son évaluation initiale datée du 12 janvier 2011, et nul n’en a contesté la validité.

[79]  Le MG avait orienté le plaignant vers le Dr OK, qui avait confirmé le diagnostic de trouble anxieux et avait également diagnostiqué chez le plaignant un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, selon le DSM-IV dans les deux cas.

Le médecin-chef de l’intimé, le Dr Cutbill

[80]  Le Dr Cutbill n’a pas témoigné à l’audience. Il n’a jamais rencontré le plaignant ni parlé avec ce dernier. Il s’est borné à examiner le dossier du plaignant. Il a estimé que le problème, dans le cas du plaignant, consistait à savoir si celui-ci souffrait d’un trouble psychologique susceptible d’entraver valablement sa capacité de s’acquitter de ses fonctions, et il a laissé entendre que les SST voudraient peut-être obtenir une évaluation psychiatrique.

Les notes du dossier des SST

[81]  Mme Kari Giddings a déclaré que les seules personnes des SST de l’intimé qui rédigent des notes de cas individuelles (notes de cas des SST) sont des membres du personnel des SST : le médecin-chef, le directeur, les infirmières et les médecins. Les autres employés ne sont pas autorisés à consulter ces notes, sauf si l’employé concerné signe une décharge.

[82]  L’intimé s’est opposé à ce que des témoins autres que les auteurs témoignent au sujet de la véracité du contenu des notes de cas des SST. L’avocate de l’intimé a fait valoir que ces notes s’apparentaient à des dossiers d’entreprise et qu’elles auraient dû être présentées par leurs auteurs, dont le Dr A et les infirmières C et E des SST. Aucune de ces trois personnes n’a témoigné.

[83]  Le plaignant, le MG et le Dr C ont témoigné au sujet des divers courriels, lettres et notes de cas du Dr A des SST. À moins que le destinataire d’une lettre ou une personne participant à un appel téléphonique documenté n’ait témoigné à leur sujet, le Tribunal n’a pas admis ces documents en tant que preuve de la véracité de leur contenu; ils constituent des ouï-dire. Cependant, toutes les parties ont fait référence à ces documents et à leur contenu et, cela étant, je leur ai accordé le poids qui leur revient.

[84]  Il convient aussi de signaler que je ne fais pas référence à l’ensemble des éléments de la preuve documentaire et des témoignages, mais uniquement à ceux que je juge nécessaires pour rendre ma décision.

(iv)  Un survol des antécédents médicaux du plaignant en lien avec l’anxiété

[85]  Le 22 janvier 2008, pendant qu’il effectuait une évaluation complète du plaignant, une évaluation dont l’intimé avait besoin parce que le plaignant occupait un poste essentiel à la sécurité, le MG a noté sur le formulaire obligatoire de retour au travail (le formulaire de RT) que le plaignant souffrait d’anxiété généralisée. À ce moment, celui-ci était encore affecté à un poste de jour, dans une gare de triage, avant d’être délogé vers la liste de relève.

[86]  Le 3 novembre 2008, le MG a rempli le formulaire de RT de l’intimé, dans lequel il a recommandé que le plaignant poursuive ses fonctions de jour dans la gare de triage et noté que ce dernier tolérait mal le stress et l’anxiété que suscitaient les fonctions de route et les heures irrégulières. À l’audience, le MG a ajouté que ce stress professionnel s’ajoutait à l’inquiétude du plaignant quant au fait de ne pas être disponible pour l’enfant adulte quand son épouse, qui travaillait de nuit, était absente, même s’il ne pensait pas qu’il s’agissait là de la principale inquiétude ou cause d’anxiété du plaignant.

[87]  Le 4 novembre 2008, le Dr A a répondu au formulaire de RT du 3 novembre 2008 du MG, confirmant que le plaignant poursuivrait pour le moment les fonctions de jour qu’il exerçait à la gare de triage. Cependant, il a demandé de plus amples renseignements : un diagnostic précis, un pronostic, un plan de traitement, la justification des restrictions et la durée prévue de ces dernières.

[88]  Le 24 novembre 2008, le MG a rencontré le plaignant en vue de remplir le rapport médical du médecin traitant de l’intimé. Il a posé de nouveau un diagnostic d’anxiété et a indiqué que le plaignant consultait un psychologue. Le 26 novembre 2008, le MG a renvoyé une lettre détaillée au Dr A des SST, répondant aux questions posées dans sa lettre du 4 novembre 2008. Le MG a expliqué que le plaignant souffrait d’anxiété par rapport au fait qu’il était mécanicien de locomotive sur la route. Il a déclaré que le plaignant consultait un psychologue pour d’autres problèmes connexes, dont celui d’avoir un enfant aux besoins spéciaux qui [traduction] « demandait une surveillance constante ». Le MG a ajouté que l’épouse du plaignant travaillait de nuit, comme infirmière de salle d’urgence, et que si le plaignant pouvait travailler de jour, cela lui permettrait [traduction] « d’aider à la maison ». Le MG n’a pas entièrement justifié sa recommandation ni proposé une durée pour cette dernière, mais a indiqué que le plaignant n’était pas réticent à l’idée d’exercer des fonctions de triage et qu’il devrait [traduction] « continuer à faire le travail qu’il faisait auparavant ».

[89]  Le 28 novembre 2008, le Dr A a envoyé un courriel à l’infirmière E des SST, avec copie à l’infirmière C, disant qu’il s’était entretenu avec le plaignant le 27 novembre au sujet de la lettre du 26 novembre du MG. Le plaignant lui avait dit qu’il avait besoin de travailler de jour en raison de problèmes familiaux et que sans mesures d’accommodement en ce sens, son anxiété s’aggraverait. Le Dr A a prescrit que le plaignant n’effectue provisoirement que des quarts de jour à la gare de triage, en attendant de recevoir de plus amples renseignements de son psychologue.

[90]  Le MG a rempli un autre formulaire de rapport médical de l’intimé le 4 mai 2009. Il a signalé un état d’anxiété, a indiqué que le plaignant disait qu’il souffrirait d’anxiété s’il devait travailler sur la route, et il a recommandé que le plaignant continue de consulter le psychologue.

[91]  Le 6 mai 2009, le médecin-chef des SST, le Dr Cutbill, est intervenu dans le dossier. Il a rédigé une note de cas remettant en question le fait que le plaignant souffrait véritablement d’un trouble psychologique qui pouvait raisonnablement entraver sa capacité d’exécuter ses fonctions de manière sécuritaire sur la ligne principale (par opposition au fait de travailler à la gare de triage seulement). Il a signalé le souhait du plaignant d’être à la maison à cause de problèmes d’enfant et du fait que son épouse travaillait de nuit. Le Dr Cutbill a exprimé l’avis que, dans l’intérêt de la sécurité, il fallait qu’un trouble psychologique soit confirmé par une évaluation psychiatrique, vu que le plaignant travaillait sur la ligne principale et qu’on pouvait le considérer comme inapte. Dans l’ensemble, le Dr Cutbill a pensé qu’une évaluation psychiatrique pourrait aider les SST à déterminer l’aptitude au travail du plaignant.

[92]  Le Dr A a expliqué au plaignant que l’intimé avait demandé une évaluation psychiatrique indépendante pour évaluer son trouble anxieux, établir un diagnostic, un pronostic et évaluer son aptitude à travailler, ainsi que les restrictions requises, le cas échéant. Le plaignant continuerait de bénéficier de mesures d’accommodement provisoires à un poste de jour à la gare de triage, en attendant que les SST procèdent à une nouvelle évaluation après avoir reçu l’évaluation psychiatrique.

[93]  Le Dr A a été remplacé par le Dr C, qui est intervenu dans le dossier du plaignant le 4 septembre 2009. À ce moment, le Dr C a émis l’avis que l’anxiété dont le MG avait fait état sur le formulaire de RT et d’autres formulaires médicaux était liée au changement d’affectation du plaignant, qui allait à l’encontre de son rôle d’aidant familial et qui n’était pas un problème médical. Il a fait remarquer qu’à un certain point le diagnostic du MG est devenu un [traduction] « trouble anxieux », un diagnostic psychiatrique précis, sans explications justificatives, sans prescription de médicaments ou sans autre évaluation.

[94]  Le psychiatre indépendant a effectué l’évaluation et, le 17 septembre 2009, il a fourni à l’intimé un rapport d’évaluation médicale indépendant (le rapport psychiatrique indépendant). Bien que le psychiatre indépendant n’ait pas témoigné et que l’avocate de l’intimé ne se soit pas opposée à ce qu’on admette en preuve le rapport psychiatrique, celle‑ci s’est tout de même opposée à son admission dans le témoignage du plaignant. J’ai permis que le rapport psychiatrique indépendant soit admis de cette façon, et aussi que le plaignant (et d’autres personnes) témoigne à son sujet, conformément à l’alinéa 50)(3)c) de la Loi qui confère au Tribunal une grande latitude pour ce qui est de recevoir des renseignements quelconques lors d’une audience, dans la mesure où ils ne sont pas privilégiés, et avec l’intention de me prononcer plus tard sur l’importance à y accorder.

[95]  Le psychiatre indépendant a diagnostiqué que le plaignant souffrait d’un trouble anxieux, non spécifié, conformément au DSM-IV, ainsi que de stress lié au travail, et établi qu’il avait obtenu une note de 70 à 75 au test d’évaluation globale de fonctionnement (EGF).

[96]  Le MG a déclaré que l’EGF est une échelle dont se servent les psychiatres pour déterminer comment le patient fonctionne au travail et de façon générale. Une note de 100 est un résultat parfait; une note de 70 à 75 signifie qu’il y a quelques problèmes, mais que le patient est capable de fonctionner assez bien; la note de 0 indique que le patient risque de nuire à d’autres ou de se nuire et qu’il a besoin de plus de soins, voire d’une hospitalisation. Le MG a déclaré que, compte tenu du résultat obtenu par le plaignant au test d’EGF, son anxiété était considérée comme légère et que la plupart des approches commencent par traiter ce trouble en recourant à une thérapie cognitive et à une psychothérapie. Si elle n’est pas soignée, une anxiété légère peut mener à la dépression. Si ces thérapies ne fonctionnent pas, on peut ajouter des médicaments.

[97]  Selon le rapport psychiatrique indépendant, le plaignant était bien résolu à améliorer son état de santé, et il était conscient qu’il avait des symptômes d’anxiété. Selon le pronostic à court terme, le plaignant était, à ce moment, cliniquement stable et résolu à mettre en pratique des techniques comportementales et cognitives en vue de traiter ses symptômes d’anxiété. De l’avis du psychiatre indépendant, le pronostic à court terme était [traduction] « bon ». Le pronostic à long terme dépendait de la situation de travail du plaignant, car celui-ci considérait que son travail était quelque peu stressant. Il a été conclu dans le rapport psychiatrique indépendant que le plaignant était, à ce moment, apte à retourner au travail dans un milieu où les fonctions étaient essentielles à la sécurité. Le psychiatre indépendant a signalé que le plaignant se sentait [traduction] « à l’aise dans son rôle actuel » d’agent de triage. Cependant, il a exprimé l’avis que s’il fallait que le plaignant assume des responsabilités liées à la liste de relève, [traduction] « il risquait de présenter plus de symptômes et de crises d’anxiété ».

[98]  Le psychiatre indépendant a signalé que la principale inquiétude du plaignant était la possibilité d’être contraint d’exercer des tâches de relève. Il a parlé du stress qu’il ressentait du fait de ne pas savoir quand et où son prochain quart de travail aurait lieu. Le rapport psychiatrique indépendant indiquait aussi que le plaignant avait fait mention de symptômes d’anxiété de nature physique et psychologique.

[99]  De l’avis du psychiatre indépendant, le plaignant n’avait pas besoin, à ce moment‑là, de médicaments psychotropes, mais il aurait tiré profit d’une approche psychologique à ses symptômes d’anxiété et du fait de consulter régulièrement un psychologue afin d’apprendre diverses techniques pour traiter ses symptômes d’anxiété.

[100]  Le 21 septembre 2009, comme il est indiqué dans sa note de cas, le Dr A a eu un entretien téléphonique avec l’infirmière C des SST. Il avait passé en revue le formulaire de rapport du 3 septembre 2009 du MG ainsi que le rapport psychiatrique indépendant. Il a fait mention du diagnostic du psychiatre indépendant, et a signalé que le psychiatre indépendant avait recommandé que le plaignant travaille comme [traduction] « agent de triage dans ses fonctions actuelles et évite toute responsabilité de relève ». Dans ce contexte, le Dr A a établi pour le plaignant des restrictions de travail qui le limitaient à un quart de travail de jour, à la gare de triage. Il a signalé que les restrictions étaient provisoires et que le plaignant était tenu de consulter un psychologue, en accord avec le plan de traitement du psychiatre indépendant.

[101]  Le 6 octobre 2009, conformément au rapport psychiatrique indépendant et aux instructions du Dr A, le plaignant a entrepris des séances de consultation auprès du psychologue traitant (le psychologue). Le plaignant a déclaré avoir suivi les recommandations et les techniques du psychologue, dont le fait de faire davantage de natation et d’exercice, et que cela avait contribué à soulager son anxiété générale. Le plaignant a noté une amélioration générale sur le plan de son anxiété, mais pas à l’égard des fonctions de relève.

[102]  Le témoignage du psychologue a confirmé la description que le plaignant a faite du programme de traitement et aussi que, d’après ce que le plaignant lui avait dit, il y avait eu une amélioration générale de son état d’anxiété, mais pas en ce qui concernait le fait de réintégrer des fonctions de relève. En réponse à la demande de l’intimé, le psychologue a rédigé un rapport daté du 13 novembre 2009 (le rapport du 13 novembre 2009), dans lequel il a expliqué le traitement que le plaignant avait suivi jusque-là. Le psychologue a déclaré que cette demande de rapport a été son seul contact avec l’intimé. Celui-ci n’est jamais entré en contact avec lui pour discuter du trouble anxieux du plaignant ou de la levée des restrictions de travail.

[103]  Les SST ont demandé au Dr C de passer en revue le rapport psychiatrique indépendant ainsi que le rapport du 13 novembre 2009 du psychologue. Le Dr C a répondu le 25 novembre 2009 et il a signalé qu’à part le fait de mentionner un état de [traduction] « stress lié au travail » et d’indiquer que les symptômes que présentait le plaignant n’étaient pas caractéristiques d’un trouble anxieux généralisé ou d’un trouble panique, le rapport psychiatrique indépendant comportait peu de détails sur les symptômes d’anxiété ou sur les justifications des restrictions imposées. De l’avis du Dr C, l’anxiété était qualifiée de [traduction] « non spécifiée », ce qui voulait dire que l’anxiété n’était pas plus précisément classée.

[104]  Le Dr C a signalé que le résultat du plaignant au test d’EGF se situait entre 70 et 75. Il a déclaré qu’il n’était pas psychiatre, mais il a expliqué que les symptômes se situant dans la fourchette de résultats de 70 à 75 étaient habituellement légers et passagers, et que leur effet sur le fonctionnement d’une personne était généralement provisoire. En contre-interrogatoire, le Dr C a concédé qu’il ne fonderait jamais son avis sur la nécessité de prendre des mesures d’accommodement à l’égard d’une personne uniquement sur le résultat obtenu au test d’EGF – il ne s’agissait là que d’un seul indicateur de gravité de l’état de santé.

[105]  Le Dr C a témoigné au sujet de l’avis du psychiatre indépendant selon lequel si le plaignant devait exercer des fonctions de relève, ses symptômes d’anxiété pourraient s’aggraver. Il n’a pas considéré cet avis comme une [traduction] « recommandation » voulant que le plaignant ne travaille pas à des tâches de relève ou de nuit; il a considéré que cet avis n’imposait en fait aucune restriction au plaignant. Il a reconnu que le Dr A des SST avait considéré l’avis du psychiatre indépendant comme une recommandation.

[106]  Aux yeux du Dr C, la question fondamentale, qui est devenue évidente à ses yeux et à ceux des SST, était qu’il ne s’agissait pas d’un problème médical. L’anxiété du plaignant était causée par le fait que l’un de ses enfants avait des besoins spéciaux et qu’il fallait qu’une personne reste auprès de lui presque toute la journée, et que comme le plaignant et son épouse travaillaient de nuit, ils avaient beaucoup de difficulté à répondre aux besoins spéciaux de cet enfant. Le Dr C a reconnu que cette situation pouvait causer une certaine anxiété, parce que le plaignant  non seulement travaillait de nuit, mais avait des quarts de travail imprévisibles sur la liste de relève.

[107]  De l’avis du Dr C, le 25 novembre 2009, les renseignements contenus dans le dossier étayaient la conclusion que le plaignant était apte à exercer ses fonctions et qu’il n’y avait [traduction] « pas assez de renseignements » à l’appui d’une restriction par rapport aux tâches de relève. Dans le courriel daté du 25 novembre 2009 qu’il a envoyé à l’infirmière C des SST, le Dr C a écrit que s’il avait été responsable du dossier quand les SST avaient reçu le rapport psychiatrique indépendant, il aurait téléphoné au psychiatre indépendant et lui aurait demandé des éclaircissements.

[108]  En dépit du fait qu’il s’occupait maintenant du dossier, le Dr C n’est pas entré en contact avec le psychiatre indépendant dont l’intimé avait retenu les services. En contre‑interrogatoire, il a reconnu que, techniquement, rien ne l’empêchait d’appeler ce psychiatre. L’intimé n’a présenté aucune autre information selon laquelle un membre des SST avait contacté le psychiatre indépendant pour obtenir de plus amples renseignements ou des éclaircissements sur le rapport psychiatrique indépendant.

[109]  En février 2010, les SST ont demandé au plaignant de faire le point sur son état de santé. Le MG était absent pour un certain temps et, le 26 avril 2010, il a rempli le formulaire médical de l’intimé destiné au médecin traitant (le rapport du 26 avril 2010), dans lequel il a indiqué que le plaignant consultait un psychologue pour des problèmes d’anxiété et que les renseignements relatifs à cet état devaient être obtenus de lui.

[110]  Le MG a déclaré que même s’il a expliqué les problèmes d’anxiété susmentionnés, il n’a pas expressément consigné un [traduction] « diagnostic » de trouble anxieux dans son rapport du 26 avril 2010, parce qu’il présumait que les SST savaient que l’anxiété était un problème récurrent et qu’il avait dirigé le plaignant vers un psychologue; le MG pensait donc que la restriction du quart de travail de jour à la gare de triage était encore en vigueur et qu’elle continuerait de l’être.

[111]  Le plaignant s’est souvenu d’une discussion qu’il avait eue avec une infirmière des SST le 26 avril 2010. Les notes de cas des SST confirment que l’infirmière E et le plaignant ont eu une conversation téléphonique à propos du rapport du 26 avril 2010 du MG. Selon la note, le plaignant avait déclaré à l’infirmière qu’il souffrait d’anxiété et que son diagnostic [traduction] « n’était pas nouveau; il était dû à la manière dont la compagnie le traitait ». Selon la note, le plaignant avait indiqué qu’il en avait assez du stress causé par le fait d’être sur appel, que ce stress, selon lui, était excessif, qu’il avait une situation familiale complexe et que son épouse travaillait de nuit.

[112]  Le 28 avril 2010, l’infirmière C des SST a écrit dans une note de cas qu’elle s’était entretenue avec le MG, qui avait confirmé qu’il valait mieux, selon lui, que le psychologue fasse des commentaires sur les restrictions de travail. Elle a aussi noté que le plaignant lui avait dit qu’il avait rendez-vous avec le psychologue le 11 mai 2010.

La levée des restrictions de travail du plaignant

[113]  Le Dr C a déclaré que, le 30 avril 2010, il a rencontré l’infirmière des SST pour passer en revue le dossier, ainsi que tous les rapports établis jusque-là au sujet du plaignant, y compris le rapport du 26 avril 2010 du MG. Dans son rapport d’expert, il a indiqué que, selon le rapport du 26 avril 2010 du MG, il fallait s’en remettre au psychologue du plaignant pour faire le point sur son anxiété. Il a déclaré qu’il n’avait pas interprété la déclaration du MG du 26 avril 2010, selon laquelle le plaignant consultait le psychologue pour des problèmes d’anxiété et l’information devait être obtenue de ce dernier, comme des [traduction] « instructions ou une demande » à son endroit d’appeler ou de contacter de nouveau le psychologue. Il a ajouté qu’il avait déjà en main des rapports antérieurs du psychologue, et qu’il n’était donc pas nécessaire qu’il fasse de nouveau un suivi auprès de ce dernier.

[114]  Le Dr C a déclaré qu’à son avis le plaignant était apte à réintégrer des fonctions essentielles à la sécurité, sous réserve de restrictions relatives à son dos. Il a fait état des problèmes familiaux du plaignant ainsi que des difficultés d’horaires de travail, mais il a exprimé l’avis que ces problèmes ne justifiaient ni ne motivaient l’imposition de restrictions de nature médicale. Il a dit penser que le plaignant devait parler de ses problèmes d’horaires de travail avec ses gestionnaires.

[115]  Pour ce qu’en savait le Dr C, le 30 avril 2010 et par la suite, les SST ont recommandé que l’on prenne des mesures administratives en vue d’aider à régler le problème de planification familiale du plaignant.

Les conséquences – La levée des restrictions de travail et le retour au travail en novembre 2011

[116]  Le plaignant a finalement été en arrêt de travail du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011.

[117]  L’infirmière C des SST décrit dans sa note de cas du 30 avril 2010 la conversation téléphonique qu’elle a eue avec le plaignant. Il y a eu d’autres discussions pendant tout le mois de juin, et toutes ont été consignées dans les notes de cas. Ces discussions ont suscité des débats relativement aux renseignements, ou à la clarté des renseignements, que les SST ont fournis au plaignant.

[118]  Le plaignant a déclaré que, lors de l’appel de l’infirmière C le 30 avril 2010, il se trouvait dans une gare achalandée et sentait qu’il ne pouvait pas s’isoler pour bien se concentrer sur les questions que posait l’infirmière. Il a dit avoir été très surpris et dérouté par la levée des restrictions de travail, car, selon les dernières informations qu’il possédait, le MG avait dit aux SST d’obtenir des renseignements sur son anxiété auprès du psychologue, et les SST ne l’avaient pas fait. Le plaignant a déclaré que même s’il savait que les restrictions de travail étaient provisoires, il se trouvait quand même en [traduction] « état de choc » parce que, d’après ce qu’il pouvait voir, son état de santé n’avait pas changé. Le plaignant a déclaré à l’infirmière C des SST, le 30 avril 2010, qu’il allait devoir prendre un congé de maladie en raison de son anxiété.

[119]  En contre-interrogatoire, il a admis qu’il se pouvait que l’infirmière C des SST lui ait dit, le 30 avril 2010, que les raisons qu’il avait invoquées le 26 avril 2010 pour expliquer qu’il n’était pas en mesure d’exercer des fonctions de relève ou de nuit n’étaient pas de nature médicale. Cependant, si elle le lui avait effectivement dit, il ne l’avait pas compris et demandait encore, plusieurs mois plus tard, pourquoi les SST avaient levé ses restrictions de travail.

[120]  Pendant qu’il était en arrêt de travail, le plaignant a continué de consulter le psychologue. Le 26 mai 2010, à la requête du plaignant, le psychologue a écrit à l’infirmière C des SST et dit qu’il avait vu le plaignant six fois entre le 6 octobre 2009 et le 5 janvier 2010, pour travailler des techniques permettant d’atténuer et de gérer ses symptômes d’anxiété. Il a signalé aussi qu’à la séance du 11 mai 2010, après que l’intimé lui avait fait savoir qu’il était affecté à la liste de relève, il avait signalé que l’anxiété qu’il ressentait était très marquée et lui causait une profonde détresse.

[121]  Dans la lettre du 26 mai 2010 qu’il a envoyée aux SST, le psychologue a décrit en ces termes l’anxiété du plaignant :

[traduction]
« Il semble que le point central de l’anxiété soit le caractère imprévisible de l’appel au travail et le fait de ne pas savoir où il ira et pendant combien de temps. Il ne semble pas s’agir du travail lui-même. »

[122]  Le 28 juin 2010, le MG a transmis aux SST un formulaire de rapport médical faisant état d’un diagnostic d’anxiété et indiquant, d’une part, que le plaignant pouvait réintégrer des fonctions de triage [traduction] « comme avant » et, d’autre part, qu’il attendait d’avoir un rendez-vous avec le second psychiatre.

[123]  Même si le MG avait fait état d’un diagnostic de trouble anxieux dans le formulaire daté du 28 juin 2010 envoyé à l’intimé, le Dr C a exprimé l’avis, dans le document daté du 16 juillet 2010 télécopié au MG, que les SST n’avaient toujours pas de preuve que le plaignant souffrait d’un trouble médical ou de santé mentale qui exigeait qu’on restreigne son horaire de travail. Le MG a déclaré avoir reçu le document télécopié le 16 juillet 2010 par le Dr C, mais ne se souvenait pas avoir eu une discussion avec le Dr C après cette date.

[124]  Le MG a orienté le plaignant vers le second psychiatre. Le plaignant a déclaré que lorsqu’il a rencontré ce psychiatre et lui a dit qu’il avait besoin d’un diagnostic, celui-ci a dit que le plaignant avait déjà un diagnostic d’un psychiatre indépendant. Le second psychiatre a signalé au MG, dans sa lettre du 29 août 2010, que rien n’avait changé dans l’état du plaignant depuis que le psychiatre indépendant l’avait vu, qu’un nouveau diagnostic n’était pas nécessaire et que le plaignant devait continuer de consulter le psychologue.

[125]  Le Dr C a déclaré qu’il considérait que le rapport du second psychiatre ne contenait aucun diagnostic et qu’il n’avait pas changé d’avis.

[126]  Le MG a également orienté le plaignant vers le Dr OK, psychiatre, qui a effectué une évaluation initiale le 12 janvier 2011. Le Dr OK a fourni un historique signalant que l’épouse du plaignant travaillait par quarts et que ce dernier devait la remplacer durant son quart de travail pour prendre soin de l’enfant adulte atteint de paralysie cérébrale et que cela inquiétait le plaignant. Le Dr OK a signalé que le plaignant avait déclaré qu’il avait été anxieux durant les vingt dernières années, du fait que ses enfants grandissaient. Le plaignant avait fait état de symptômes physiques abdominaux et de problèmes de sommeil, disant que c’était parce qu’il s’inquiétait du caractère imprévisible de son horaire de travail. Le Dr OK a également signalé que le plaignant avait [traduction] « […] des crises de panique environ une ou deux fois par semaine lorsqu’il était inscrit sur la liste de relève ».

[127]  Le Dr OK a indiqué que le plaignant avait déclaré qu’il trouvait une partie de cette inquiétude irrationnelle, tout comme l’anxiété suscitée par le fait d’être inscrit de nouveau sur la liste de relève. Le Dr OK a signalé que le plaignant avait moins d’intérêt, d’appétit, de concentration et d’énergie et que, même si cela durait depuis les neuf derniers mois, c’était pire dans les dernières semaines.

[128]  Le Dr OK a posé un diagnostic de [traduction] « trouble de l’adaptation avec humeur dépressive » et de [traduction] « trouble anxieux non spécifié », selon le DSM-IV. Il a écrit que, dans l’ensemble, le plaignant présentait une grande anxiété, surtout liée à son travail et à l’enfant adulte. Le plaignant avait également indiqué que la situation de travail le déprimait. Le Dr OK a signalé que l’anxiété du plaignant à propos de son travail revenait toujours au fait de ne pas être disponible pour prendre soin de l’enfant adulte. Il a suggéré que le plaignant envisage d’autres options de travail comportant des horaires plus souples.

[129]  Après que le MG a reçu le rapport du Dr OK, il a écrit aux SST le 24 février 2011 et leur a fait part du diagnostic du Dr OK. Il a également indiqué :

[traduction]
« [I]l y a de nombreux facteurs de stress qui s’ajoutent à cet état, ces facteurs ne peuvent aucunement changer. [L’enfant adulte] qui souffre d’une déficience physique a besoin de soins constants. »

[130]  Le MG a déclaré que le CFCP devait essayer d’aménager l’horaire du plaignant en tenant compte de son besoin d’être parfois le proche aidant de l’enfant adulte, ce qui profiterait à la fois au CFCP et au plaignant. Il a également indiqué que le fait de ne pas travailler amplifiait le stress, la déficience chronique et la négativité du plaignant, alors qu’un programme de retour au travail aiderait à surmonter certains de ces problèmes. Il a également déclaré que le plaignant continuerait de consulter régulièrement le psychologue.

[131]  De l’avis du Dr C, le sommaire inclus dans le rapport du Dr OK soulignait que les symptômes d’anxiété du plaignant étaient de nature très situationnelle, et il était significatif que le plaignant lui-même ait nié souffrir d’anxiété dans d’autres contextes et que son anxiété soit survenue en raison de problèmes de planification familiale concernant l’enfant adulte. Le Dr C a convenu en contre-interrogatoire que le simple fait que l’état de santé était de nature situationnelle ne voulait pas dire qu’il n’était pas handicapant.

[132]  Cependant, le Dr C a jugé que le rapport du Dr OK confirmait sa propre approche de base, à savoir que le plaignant était médicalement apte à effectuer ses tâches essentielles à la sécurité, mais faisait face à une situation familiale qui devait être abordée. La seule solution était de régler administrativement le conflit entre l’horaire de travail du plaignant et sa situation au foyer. Le Dr C n’a pas considéré que les remarques du Dr OK, en tant que psychiatre, signifiaient que le plaignant, d’un point de vue médical, ne devait pas travailler de nuit ou exercer des fonctions de relève.

[133]  En fin de compte, l’intimé n’a jamais rétabli la consigne qui restreignait le travail du plaignant à un travail de triage de jour à cause de son anxiété. Le plaignant a obtenu un poste de triage de jour à son propre niveau d’ancienneté, le 7 novembre 2011.

[134]  Il convient de signaler que le plaignant souhaitait obtenir des mesures d’accommodement fondées sur une déficience jusqu’en mars 2011, quand il a clairement indiqué à l’intimé qu’il souhaitait officiellement obtenir aussi des mesures d’accommodement fondées sur sa situation de famille. Malgré cette demande, en raison de sa structure organisationnelle, l’intimé demandait que les deux demandes soient traitées séparément – la déficience médicale par les SST, et la situation de famille par les RE. Le plaignant voulait que les SST se chargent des deux, en raison des renseignements délicats concernant l’enfant adulte. Quand Mme Giddings lui a dit que les SST ne pouvaient pas s’occuper de la demande fondée sur la situation de famille, le plaignant a convenu pendant un certain temps de se concentrer sur la demande fondée sur la déficience plutôt que sur celle fondée sur la situation de famille. Il est question de cette seconde demande plus loin dans la présente Décision.

B.  Les dispositions législatives applicables

[135]  Une plainte de discrimination fondée sur une déficience en matière d’emploi est déposée en vertu de l’article 7 de la Loi, dont le texte est le suivant :

« Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

de le défavoriser [un individu] en cours d’emploi. »

[136]  Pour établir une preuve prima facie de discrimination, le plaignant est tenu de montrer :

  1. qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la Loi;
  2. qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi concerné;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. C.-B. (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).

Cette preuve doit être établie selon la prépondérance des probabilités (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc., 2015 CSC 39, aux par. 59 et 65).

[137]  L’intimé, s’il veut répondre à une allégation de discrimination prima facie, a trois options : il peut produire une preuve démontrant que ses actes n’étaient pas discriminatoires; il peut établir une défense légale qui justifie la discrimination; ou il peut faire les deux (voir l’arrêt Bombardier, précité, au par. 64).

[138]  Aucune des parties n’a cité l’arrêt Moore, précité. De plus, l’arrêt Bombardier, précité, a été publié après la présentation des observations finales. Cependant, ces deux arrêts ne font que confirmer ou clarifier les règles de droit qui ont été énoncées pour la première fois dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 RCS 536. Le Tribunal est d’avis que l’arrêt Moore est particulièrement utile, car il confirme le cadre d’analyse de l’application de l’article 7 de la Loi, lequel a également été décrit au paragraphe 19 des observations finales de la Commission.

C.  L’analyse

(i)  Le plaignant souffre-t-il d’une déficience au sens de la Loi?

[139]  L’article 25 de la Loi édicte :

« Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

déficience  Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue. »

[140]  Dans l’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (Desormeaux), la Cour d’appel fédérale (CAF) a suivi deux arrêts de la Cour suprême du Canada, Granovsky c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 703 et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, pour arriver à la conclusion que « la déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d'un handicap » (arrêt Desormeaux, au par. 15). La CAF a conclu que la question de savoir si une personne avait une déficience ou non était une question mixte de fait et de droit. Dans l’arrêt Desormeaux, la CAF a confirmé la conclusion du Tribunal, à savoir que la condition de la plaignante, qui souffrait de migraines, était « chronique et très invalidante et la rendait périodiquement incapable de faire son travail », et qu’il s’agissait donc d’une déficience (ibidem, au par. 2).

[141]  Le plaignant allègue qu’il souffre d’un trouble anxieux, ce qui l’empêche d’effectuer des tâches de relève.

[142]  L’intimé soutient que le plaignant ne souffre pas d’une déficience au sens de la Loi, car il n’a pas prouvé, par des symptômes pathologiques, que son trouble anxieux restreint sa capacité d’exécuter ses fonctions professionnelles habituelles en tant que mécanicien de locomotive. Il soutient que la source de l’anxiété du plaignant était extrinsèque à ses fonctions de mécanicien de locomotive et découlait de ses obligations familiales.

[143]  Le plaignant a également présenté ses propres observations écrites après l’audience, mais il s’est aussi appuyé sur les observations finales de la Commission. Cette dernière soutient qu’en ce qui concerne l’anxiété du plaignant, il y a à la fois une limitation fonctionnelle et des diagnostics médicaux précis et substantiels qui établissent que le plaignant souffre d’une déficience au sens de la Loi. La Commission se fonde, notamment, sur le fait qu’en 2008 le plaignant a obtenu un premier diagnostic de trouble anxieux du MG et que ce diagnostic a été suivi, en septembre 2009, du diagnostic d’un spécialiste, le psychiatre indépendant choisi par l’intimé, qui a exprimé l’avis que si l’on inscrivait le plaignant sur la liste de relève, il risquait de souffrir de plus de symptômes et de crises d’angoisse. Elle soutient de plus que même après que l’intimé a levé les restrictions de travail, le MG, le psychologue traitant et le Dr OK, psychiatre, ont tous trois confirmé le diagnostic de trouble anxieux et recommandé une forme d’horaire de travail souple ou des restrictions de travail.

Les sentiments d’anxiété du plaignant

[144]  Le plaignant a déclaré que même s’il savait que [traduction] « rien n’est éternel dans le domaine ferroviaire », il a été bouleversé d’être délogé de son travail de jour à la gare de triage en novembre 2008 et d’être affecté à la liste de relève. Il n’était pas prêt mentalement pour ce changement. Dès qu’il a découvert qu’on l’avait inscrit sur la liste de relève, il dit qu’il a eu la nausée, qu’il a eu [traduction] « chaud et [s’est mis] à trembler » et il a ressenti tant d’anxiété qu’il a dû se porter malade.

[145]  Le plaignant a considéré que son anxiété était attribuable au fait d’être sur appel, ainsi qu’aux [traduction] « nouvelles restrictions » et aux [traduction] « nouvelles règles » concernant le fait de se retirer de la liste de relève, plutôt qu’au fait d’avoir à exécuter le travail lui-même. Il a estimé qu’en raison de l’attitude plus stricte de l’intimé, représentée par l’obligation d’obtenir l’autorisation d’un gestionnaire pour se retirer de la liste de relève plutôt que celle du commis préposé aux équipages, il n’y avait aucune [traduction] « porte de sortie » s’il lui était absolument impossible d’effectuer un voyage. Il ne pouvait plus échanger une affectation avec un autre employé si un voyage ne cadrait pas avec son horaire. Il a déclaré que le fait de manquer un appel déclenchait maintenant une enquête disciplinaire. Il ressentait tant d’anxiété à cause de ces restrictions, au point où il réagissait physiquement et ne pouvait pas travailler. Il a ajouté qu’il aurait aimé pouvoir exécuter des tâches de relève parce qu’il aurait gagné plus d’argent.

[146]  Même si le plaignant a déclaré en contre-interrogatoire qu’il ne souffrait pas d’anxiété en dehors du travail, ce qui concordait avec les notes du Dr OK, il a aussi dit que parfois l’anxiété due au travail se faisait sentir dans d’autres aspects de sa vie. Il considérait le fait d’être sur appel et les nouvelles restrictions imposées par l’intimé comme ses facteurs de stress.

[147]  En général, je conclus que le plaignant ressent une plus grande anxiété à l’idée d’exécuter des fonctions de relève, ce qui concorde avec les constatations du rapport psychiatrique indépendant, et ce que corroborent le Dr OK, le psychologue et le MG.

[148]  Le plaignant a déclaré qu’entre le 1er mai 2010 et le 7 novembre 2011, il n’a jamais tenté d’effectuer un quart de travail de relève parce qu’il était trop anxieux. Il a ajouté qu’il était si anxieux à l’idée d’attendre un appel pour une tâche de relève qu’il avait dû se porter malade avant même qu’on l’affecte à un voyage.

L’évaluation des preuves médicales et psychologiques

[149]  Le Dr C, témoin expert de l’intimé, n’a pas rencontré personnellement le plaignant et ne lui a jamais parlé. Il s’est forgé des opinions en continu, y compris entre le 4 septembre 2009 et le 30 avril 2010, et par la suite, en consultant les rapports médicaux, dont les rapports du MG et les rapports d’expert du psychologue, le rapport psychiatrique indépendant, le rapport du psychologue du 13 novembre 2009, la lettre du psychologue du 26 mai 2010, les renseignements des infirmières des SST au sujet des discussions qu’elles avaient eues avec le plaignant, ainsi que le courriel du Dr Cutbill, des SST, selon lequel les problèmes familiaux du plaignant [traduction] « empiétaient » sur un problème administratif.

[150]  Le Dr Cutbill n’a pas témoigné à l’audience, mais je juge qu’étant donné que le Dr C s’est fondé sur la note de cas du 6 mai 2009 de ce médecin dans son rapport d’expert, et a fait état de l’avis de ce dernier dans son témoignage, le Tribunal est en droit de se fonder sur cette note de cas du 6 mai 2009 pour établir que le Dr Cutbill et le Dr C considéraient tous deux que les problèmes familiaux n’étaient pas de nature médicale, mais plutôt de nature administrative.

[151]  L’absence de discussions personnelles, d’examens ou de discussions téléphoniques avec le plaignant donne moins de poids aux avis du Dr C qu’à ceux des médecins et du psychologue, qui ont rencontré personnellement le plaignant ou qui se sont entretenus avec lui. Le psychologue a rencontré le plaignant à six reprises avant le 30 avril 2010, et dix fois par la suite. Le MG, en tant que médecin de famille, l’a vu de nombreuses fois et il est son médecin de famille depuis 2001. Il est ressorti de la preuve que le Dr A, des SST, s’est entretenu avec lui deux fois. Tant le psychologue que le MG ont témoigné à l’audience, mais ni le psychiatre indépendant, ni le second psychiatre, ni le Dr OK, psychiatre n’ont témoigné. En conséquence, sous réserve de mes commentaires ci-dessous, j’accorde relativement plus d’importance à la preuve du MG, du Dr C et du psychologue, car ils ont témoigné.

[152]  Le psychologue s’est exprimé de manière professionnelle et directe. Jamais il n’a été sur la défensive en répondant aux questions des parties. Il a expliqué la différence qu’il y a entre l’anxiété, selon un diagnostic fondé sur le DSM-IV, et la simple nervosité. Je donne aussi un poids supplémentaire à son témoignage en raison de son expérience dans le traitement de personnes souffrant d’anxiété.

[153]  Je tiens compte du fait que le psychiatre indépendant est un médecin spécialisé en psychiatrie. Cependant, comme il a été mentionné, celui-ci n’a pas témoigné et le Tribunal ne l’a pas reconnu comme expert. J’accepte néanmoins de nombreux éléments du rapport psychiatrique indépendant comme ayant une valeur probante. Le MG et le psychologue souscrivent aux constatations formulées dans le rapport psychiatrique indépendant, et cela inclut le diagnostic et le plan de traitement. Je trouve aussi important que l’expert de l’intimé, le Dr C, n’a pas contesté et, de fait, a accepté de nombreux éléments du rapport psychiatrique indépendant, dont le diagnostic. Le Dr OK, lui aussi psychiatre, a souscrit au diagnostic posé dans le rapport psychiatrique indépendant.

[154]  Quand on lui a demandé quels étaient les symptômes déclarés du trouble anxieux du plaignant jusqu’au 30 avril 2010, le Dr C a consulté le rapport psychiatrique indépendant parce qu’à son avis, ce document comportait les renseignements psychiatriques les plus justes, tandis que les rapports du MG ne présentaient que des renseignements relevant de la médecine familiale. Le Dr C a également déclaré que les médecins de famille sont moins précis que les psychiatres lorsqu’il est question de nommer des troubles psychiatriques. Cependant, quand le Dr C a levé les restrictions de travail le 30 avril 2010, l’une de ses motivations était que le rapport du 26 avril 2010 du MG ne faisait pas référence à l’anxiété, malgré le fait qu’un psychologue et le psychiatre indépendant de l’intimé avaient fait état auparavant de la présence d’anxiété. J’estime qu’à certains moments le Dr C a été incohérent dans le poids qu’il a donné aux avis du MG quant au trouble anxieux du plaignant.

[155]  Je tiens également compte du fait qu’à deux reprises au cours de son témoignage, le Dr C s’est dit surpris que le rapport psychiatrique indépendant n’ait pas approfondi la situation de famille du plaignant, alors qu’elle occupait une place fondamentale dans le dossier. Je conclus que c’est là une raison de plus pour laquelle le Dr C aurait dû au moins s’entretenir avec le psychiatre indépendant pour savoir s’il avait examiné la question avec le plaignant lors de l’EMI.

[156]  Le Dr C n’a jamais contacté le psychiatre indépendant pour obtenir plus de renseignements. Le Dr C n’a jamais orienté non plus le plaignant vers une autre évaluation médicale indépendante psychiatrique, même s’il a émis l’opinion, le 25 novembre 2009, qu’il s’agissait là d’une option, si le plaignant disait encore qu’il ne pouvait pas exécuter des tâches de relève.

[157]  J’accorde davantage de poids à la preuve du MG, du Dr C et du psychologue, car ils ont témoigné. J’estime que parmi eux, le MG et le psychologue avaient une meilleure compréhension du plaignant et de son trouble anxieux, compte tenu surtout des contacts plus fréquents qu’ils avaient avec lui. Cela étant, j’accorde plus de poids aux avis et aux témoignages du psychologue et du MG, ainsi qu’à la preuve documentaire incluse dans le rapport psychiatrique indépendant, qu’au témoignage, à l’opinion et au rapport d’expert du Dr C.

Le plaignant avait-il une déficience au sens de la Loi?

[158]  L’intimé n’a pas contesté que le plaignant avait reçu d’un psychiatre un diagnostic de trouble anxieux non spécifié. Il a émis l’avis que le diagnostic ne constituait pas une déficience au sens de la Loi parce que, pour que ce soit le cas, il fallait qu’il en résulte une limitation fonctionnelle. L’expert médical de l’intimé, le Dr C, a exprimé l’avis que le diagnostic de trouble anxieux ne donnait pas lieu à une limitation fonctionnelle, car il n’avait pas d’incidence sur la capacité du plaignant d’exercer son emploi essentiel à la sécurité.

[159]  L’avis exprimé par le Dr C le 30 avril 2010, et du 1er mai 2010 jusqu’à son départ du CFCP en 2011, de même que dans son rapport d’expert daté du 3 juin 2014, était que l’anxiété dont souffrait le plaignant n’entravait pas sa capacité ou son aptitude à exercer son emploi essentiel à la sécurité. Selon le Dr C, si l’on réglait le conflit entre la planification des responsabilités familiales du plaignant et les exigences de son travail, cela lui permettrait de [traduction] « mener une vie essentiellement exempte d’anxiété ». Il a qualifié le problème de conflit d’horaire d’ordre administratif, qu’il ne faudrait pas revêtir d’une [traduction] « tenue médicale ».

[160]  La question que le Tribunal doit trancher consiste à savoir s’il y a assez de preuves pour que soit fondée l’allégation du plaignant selon laquelle son anxiété est une déficience au sens de la Loi.

[161]  Premièrement, qu’est-ce que le travail du plaignant implique? D’après la preuve obtenue à la fois du plaignant et des témoins de l’intimé, le travail qu’exerce un employé inscrit sur la liste de relève consiste non seulement à être capable d’exercer les fonctions de mécanicien de locomotive, de chef de train ou d’agent de train, mais aussi à être souple, à être en mesure de venir au travail sur préavis de deux heures, de jour ou de nuit, et à être capable de tolérer et de gérer un horaire de travail imprévisible. Tout cela fait partie des fonctions inhérentes à la liste de relève.

[162]  Comme signalé plus tôt, le plaignant a décrit ses réactions physiques à l’idée d’être affecté à la liste de relève, au point où il avait dû se porter malade. Je signale que le plaignant avait beaucoup à perdre en refusant d’exercer des tâches de relève : il ne pouvait pas travailler pour un autre employeur, parce qu’il avait obtenu un congé de maladie de l’intimé et risquait de perdre son emploi s’il le faisait, et subissait ainsi une perte de salaire et d’avantages sociaux. Il perdait également sa période de service ouvrant droit à pension ainsi que ses cotisations de retraite. En plus de son anxiété, il est devenu déprimé; ne pas travailler a eu également une incidence sur sa vie familiale. Il savait que son gestionnaire, M. P, le considérait comme [traduction] « absent sans permission ». Refuser d’exercer des fonctions de relève était coûteux pour le plaignant sur le plan financier, sur le plan affectif ainsi que pour sa réputation professionnelle. Je pense que, n’eût été son trouble anxieux, le plaignant n’aurait pas refusé d’exécuter les tâches de la liste de relève.

[163]  La preuve a établi que plusieurs médecins ont diagnostiqué que le plaignant souffrait d’anxiété, dont les suivants :

  • le MG;
  • le psychiatre indépendant;
  • le second psychiatre, qui, même s’il n’a pas établi de diagnostic, a déclaré que rien n’avait changé depuis que le diagnostic du psychiatre indépendant avait été posé;
  • Le Dr OK, psychiatre.

Le psychologue a déclaré qu’il souscrivait au diagnostic du psychiatre indépendant.

[164]  Le Dr C a convenu que dans certaines situations de travail, surtout les tâches de relève et les quarts de nuit, les symptômes d’anxiété du plaignant s’aggravaient. Lorsqu’il discutait de la lettre du psychologue du 26 mai 2010, le Dr C a reconnu que le plaignant éprouvait des [traduction] « symptômes importants » d’anxiété à l’idée d’être inscrit sur la liste de relève.

[165]  Cependant, le Dr C a exprimé l’avis que la question fondamentale n’était pas d’ordre médical, qu’il s’agissait plutôt d’un conflit d’horaire et que s’il était possible de le régler, le plaignant se trouverait à [traduction] « mener une vie essentiellement exempte d’anxiété ». Le Dr C a écrit dans son rapport d’expert et il a également déclaré que tout le monde a des symptômes – un peu de nervosité, l’estomac parfois noué – et présente des diagnostics médicaux. Il a toutefois émis l’avis que la simple présence d’un diagnostic médical ne signifie pas qu’il faut imposer des limitations ou des restrictions de travail. Cela dépend beaucoup de la manière dont l’état de santé interagit avec la nature du travail.

[166]  Tous les autres médecins et experts ont exprimé leur désaccord avec le Dr C, à l’exception du Dr Cutbill qui, comme mentionné plus tôt, n’a jamais rencontré non plus le plaignant.

[167]  Il y a tout d’abord le MG qui a posé un diagnostic d’anxiété en janvier 2008 et qui a plus tard recommandé que le plaignant ne soit pas affecté à la liste de relève. Le MG croyait que le stress du plaignant à l’idée d’être réinscrit sur la liste de relève aggraverait son anxiété, et risquait peut-être de mener à d’autres problèmes, comme une dépression. Le MG a déclaré qu’il est normal de faire un peu d’anxiété, mais que les sentiments ou les sensations connexes ne devraient pas avoir un effet négatif. Il a dit penser que le plaignant présentait un certain nombre de symptômes d’anxiété, tant physiques que psychologiques, manifestes dans son comportement. Il a déclaré avoir été [traduction] « très surpris » quand le plaignant lui a dit que les restrictions de travail avaient été levées. Le MG croyait que le plaignant se débrouillait bien dans son travail de jour à la gare de triage et qu’il faisait partie du personnel.

[168]  Le Dr C a déclaré avoir téléphoné au MG le 27 novembre 2009 pour lui [traduction] « expliquer » la distinction entre une restriction médicale justifiée par un état de santé par opposition à une situation de famille, qui, de l’avis du Dr C, devait être réglée de manière administrative. Le Dr C a eu le sentiment que le MG [traduction] « préconisait » que le plaignant ne travaille pas de nuit ou n’exerce pas de fonctions de relève. Avec sa lettre de suivi du 4 décembre 2009 au MG, le Dr C a transmis le document de l’intimé intitulé « Role of Occupational Health Services – Return to Work » [Rôle des Services de santé au travail – Retour au travail], où l’on exprimait l’idée que les employés soumettent souvent à leur médecin traitant des [traduction] « problèmes [non médicaux], comme des cas de harcèlement, d’insatisfaction au travail ou d’antipathie envers un superviseur ».

[169]  Le MG s’est rappelé que le Dr C lui avait téléphoné et lui avait expliqué les lignes directrices de l’intimé. Cependant, le MG ne pensait pas que les situations que le Dr C avait décrites lors de son appel téléphonique du 27 novembre 2009 ainsi que dans sa lettre du 4 décembre 2009 s’appliquaient au plaignant. À son avis, un trouble anxieux diagnostiqué était bel et bien un état de santé qui, dans la situation particulière du plaignant, requérait des mesures d’accommodement.

[170]  Deuxièmement, nous avons le témoignage du psychologue, qui a dit convenir avec le psychiatre indépendant que le plaignant souffrait d’anxiété. Il a également déclaré que l’anxiété suscitée par le fait d’effectuer des fonctions de relève ne s’est jamais atténuée. Comme il l’a dit : [traduction] « l’anxiété était là » en tant qu’affection diagnostiquée. Le plaignant et lui se sont efforcés de gérer les symptômes de l’anxiété et d’adopter des processus d’autogestion de la santé, mais cela n’a pas atténué l’anxiété elle-même. Le psychologue a déclaré que pour que l’on pose un diagnostic clinique d’anxiété, il doit s’agir d’un type d’anxiété non comparable à [traduction] « de simples papillons dans le ventre ou de la nervosité ». L’anxiété diagnostiquée chez le plaignant était une affection nettement plus débilitante et elle avait bel et bien une incidence sur sa capacité d’effectuer des tâches de relève.

[171]  À l’audience, le psychologue a expliqué ce qu’il avait voulu dire dans sa lettre du 26 mai 2010 aux SST par [traduction] « il ne semble pas que ce soit le travail lui-même » qui est le point central de l’anxiété du plaignant. L’anxiété semblait survenir quand le CFCP appelait le plaignant au travail [traduction] « d’une manière imprévisible », en particulier quand il ne savait où il allait et pendant combien de temps il serait absent et, plus précisément, en lien avec l’inquiétude que suscitait le fait d’être absent la nuit pendant que son épouse travaillait, sans personne pour aider ses enfants quand ils en avaient besoin. Le psychologue a soutenu que, sans égard à sa cause, l’anxiété que suscitait la liste de relève était bien présente et se répercutait sur la capacité du plaignant d’exercer des fonctions de relève.

[172]  Troisièmement, nous avons le rapport psychiatrique indépendant de 2009. Le Dr C, témoin expert de l’intimé, a considéré que ce document ne concluait pas que le plaignant n’était pas en mesure d’exécuter des tâches de relève. Cette interprétation entre en conflit avec celles du Dr A des SST, du MG et du psychologue.

[173]  Le 22 septembre 2009, après avoir reçu le rapport psychiatrique indépendant, le Dr A des SST a jugé que ce document recommandait que le plaignant [traduction] « travaille comme agent de triage dans ses fonctions courantes et qu'il évite d’assumer des responsabilités de relève ». En conséquence, le Dr A a fixé des restrictions de travail provisoires.

[174]  Le MG a déclaré qu’il a considéré que l’énoncé du rapport psychiatrique indépendant voulant que [traduction] « si le plaignant doit exécuter des tâches de relève, il est possible qu’il présente plus de symptômes et de crises d’anxiété », comme une recommandation que le plaignant n’effectue pas de telles tâches. Il était tout à fait d’accord avec le rapport psychiatrique indépendant sur le fait que le plaignant devait continuer d’exercer ses fonctions d’agent de triage de jour et qu’il n’avait pas besoin de prendre des médicaments pour soigner son anxiété, mais qu’il devait consulter un psychologue.

[175]  Le psychologue, le second psychiatre et le Dr OK, psychiatre ont tous été d’accord avec le rapport psychiatrique indépendant. Le psychologue a déclaré qu’il avait été surpris et un peu déçu d’apprendre que l’intimé avait levé les restrictions de travail concernant le plaignant, parce qu’il ignorait sur quoi l’intimé avait fondé sa décision relativement aux problèmes d’anxiété du plaignant. En fait, dans la lettre du 26 mai 2010 aux SST, il a signalé que le rapport psychiatrique indépendant avait [traduction] « indiqué que l’anxiété pouvait resurgir en cas de réaffectation à des responsabilités de relève, et cela semble être le cas ».

[176]  Bien que le second psychiatre ait simplement signalé que l’état du plaignant n’avait pas changé depuis la production du rapport psychiatrique indépendant et qu’aucun nouveau diagnostic n’était requis, je juge que cela ajoute un certain poids au diagnostic initial ainsi qu’aux témoignages du MG et du psychologue.

[177]  Le rapport du Dr OK, psychiatre, daté du 12 janvier 2011, concorde lui aussi avec le rapport psychiatrique indépendant. Le Dr OK a diagnostiqué de l’anxiété, et y a ajouté un trouble d’adaptation avec humeur dépressive. Dans son rapport, il a aussi exposé en détail des symptômes physiques et psychologiques et suggéré que le plaignant ait un horaire de travail souple.

[178]  Malgré ce qui précède, le Dr C a maintenu que le rapport psychiatrique indépendant n’indiquait pas que le plaignant ne devait pas exercer de fonctions de relève et concluait que ce dernier était apte à exercer ses fonctions essentielles à la sécurité. Il a signalé que le rapport psychiatrique indépendant indiquait que le plaignant se sentait anxieux depuis six mois environ, avait parlé de stress lié au travail et n’était pas sûr de l’endroit et du moment où son prochain voyage aurait lieu. Le Dr C a déclaré qu’il s’agissait là de la nature des fonctions de relève. Le psychiatre indépendant a dit des symptômes physiques et psychologiques qu’ils n’étaient pas très caractéristiques d’un trouble anxieux généralisé ou d’un trouble panique. Le Dr C a pensé que le psychiatre indépendant n’avait pas défini avec précision les symptômes d’anxiété.

[179]  Comme en fait foi son courriel du 25 novembre 2009, le Dr C a pensé que les questions que le Dr A avait soumises au psychiatre indépendant ne faisaient pas de distinction entre les [traduction] « préférences de travail et les contre‑indications/restrictions médicales » du plaignant. En toute déférence, je constate que le rapport psychiatrique indépendant ne disait pas que le plaignant préférait ne pas exercer des fonctions de relève. La réponse du psychiatre indépendant à la question du Dr A de savoir si le plaignant devait ou non [traduction] « observer quelque restriction ou limitation professionnelle précise pour réduire les effets négatifs », était plutôt son avis que si l’on inscrivait le plaignant sur la liste de relève, il risquait de présenter plus de symptômes et de crises d’anxiété. Il n’y est pas question d’une préférence. Si le Dr C voulait obtenir plus d’éclaircissements, il aurait pu communiquer avec le psychiatre indépendant dont l’intimé avait retenu les services.

[180]  À l’appui de sa position, le Dr C a déclaré qu’il était clair à ses yeux que le Dr OK, psychiatre, estimait aussi que le conflit d’horaire était très important. Le Dr C a jugé que cela concordait avec sa propre idée, à savoir que ce conflit ne pouvait pas être [traduction] « maquillé » en restriction médicale.

[181]  Le Dr C a jugé que le rapport du Dr OK confirmait son approche de base, c’est-à-dire que le plaignant était médicalement apte à exécuter ses fonctions essentielles à la sécurité, mais que sa situation familiale devait être réglée. La seule solution était de régler administrativement le conflit entre l’horaire de travail du plaignant et sa situation familiale. Le Dr C n’a pas considéré les commentaires du Dr OK, selon lesquels le plaignant devait envisager des options de travail avec des horaires plus souples, comme ceux d’un psychiatre affirmant que le plaignant était restreint, sur le plan médical, à un quart de travail de nuit ou à des fonctions de relève.

[182]  Je pense que le Dr C a mis sur le même pied le fait d’être [traduction] « un peu nerveux » et d’avoir mal à l’estomac à cause de la nervosité et le fait de souffrir d’un trouble anxieux diagnostiqué. Cela n’est pas cohérent avec le fait que, dans le cas du plaignant, il y a eu des diagnostics constants d’anxiété, depuis janvier 2008 par le MG et depuis septembre 2009 par des psychiatres, puis par le psychiatre indépendant que l’intimé avait choisi et, ensuite, en janvier 2011, par un autre psychiatre, pour une période totale de près d’un an et demi. Les psychiatres ont tous diagnostiqué un trouble anxieux classé selon le DSM-IV. Je privilégie la preuve du psychologue : l’affection que constitue un trouble anxieux classé selon le DSM-IV est une situation nettement plus débilitante, et non une situation passagère, comme le fait d’avoir des papillons dans le ventre à cause de la nervosité que suscite un certain événement.

[183]  Je conclus qu’il y a une lacune importante dans l’opinion du Dr C selon laquelle le trouble anxieux du plaignant ne constituait pas une déficience, mais résultait d’un conflit d’horaire mettant en cause ses obligations professionnelles et familiales, qui aurait pu et aurait dû être réglé de manière administrative par la direction.

[184]  Cette lacune est que le rapport psychiatrique indépendant ne faisait pas état de la déficience de l’enfant adulte ou d’une obligation, pour le plaignant, de prendre soin de cet enfant. Le plaignant a déclaré qu’il ne se souvenait pas des détails, mais qu’il avait dû parler au psychiatre indépendant de sa situation familiale, sans toutefois entrer dans les détails. Néanmoins, le rapport psychiatrique indépendant ne mentionnait pas que la situation familiale du plaignant était un facteur stressant ni qu’il y avait un conflit d’horaire entre le travail et la maison. Il ne contenait rien, dans son plan de traitement ou ailleurs, quant à la nécessité de régler les problèmes familiaux en tant que moyen d’atténuer le trouble anxieux du plaignant. Il n’y avait aucune opinion selon laquelle l’anxiété dont souffrait le plaignait était précisément due à des problèmes de famille ou d’horaire.

[185]  Quand le Dr A, des SST, a demandé si le plaignant devrait observer des restrictions professionnelles de façon à atténuer ses problèmes, le psychiatre indépendant a exprimé l’avis que si le plaignant était inscrit sur la liste de relève, son anxiété et ses accès de panique risquaient de s’aggraver. Il a répondu à la question sans faire référence à une situation familiale ou à un conflit d’horaire.

[186]  Le fait est que l’intimé a pris des dispositions pour faire établir le rapport psychiatrique indépendant et qu’il a choisi le psychiatre indépendant. Ce dernier a clairement indiqué qu’il ne verrait plus le plaignant, sauf si l’intimé en faisait la demande, et qu’il était le médecin de l’intimé, et non du plaignant. Si le Dr C était d’avis que le psychiatre indépendant avait oublié un aspect important du cas du plaignant, ainsi que le révèle le courriel envoyé le 25 novembre 2009 à l’infirmière C des SST, le Dr C aurait pu demander des éclaircissements au psychiatre indépendant. Cela n’a pas été fait.

[187]  De plus, le fait que le Dr C ait invoqué le rapport du 26 avril 2010 du MG, qui ne posait pas précisément un diagnostic d’anxiété, comme l’une de ses raisons pour lever les restrictions, est sans fondement. Le Dr C a dit que les médecins de famille nommaient les troubles psychiatriques avec moins de précision que les psychiatres. Je constate que le MG a expressément indiqué dans son rapport que le psychologue s’occupait des problèmes d’anxiété du plaignant et que c’était auprès de ce dernier qu’il fallait obtenir des renseignements sur l’anxiété. Le Dr C a expliqué qu’étant donné qu’il avait déjà dans le dossier des rapports du psychologue, il n’avait pas besoin d’avoir plus de renseignements, et ce, malgré le formulaire médical plus récent que le MG avait rempli le 26 avril 2010. Je conclus que le seul rapport de psychologue que l’intimé avait en main le 30 avril 2010 était daté du 13 novembre 2009. Plus de cinq mois s’étaient écoulés depuis la production de ce rapport. J’estime que l’interprétation du Dr C du rapport du 26 avril 2010 du MG, au sujet de l’anxiété, et que sa décision subséquente de ne pas contacter le psychologue avant de lever les restrictions de travail étaient toutes deux déraisonnables.

[188]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il y a amplement de preuves pour déterminer que le plaignant souffrait d’une déficience au sens de la Loi. La preuve a établi que le plaignant avait une déficience mentale – un trouble anxieux – qui donnait lieu à des limitations fonctionnelles de nature telle qu’il ne pouvait plus exercer des fonctions de relève.

(ii)  Le plaignant a-t-il subi un effet préjudiciable et la caractéristique protégée a-t-elle constitué un facteur dans le traitement préjudiciable?

[189]  Parce que l’intimé n’a pas pris en compte la déficience du plaignant et ne lui a pas proposé des accommodements, celui-ci a subi un effet préjudiciable. Il lui a été impossible de travailler du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011, il a dû se porter malade et a subi une perte de salaire.

[190]  Les décisions de l’intimé et l’effet qu’elles ont eu sur le plaignant étaient directement liés à la déficience de ce dernier, une caractéristique protégée.

[191]  Cela étant, le plaignant a satisfait aux 2e et 3e  critères énoncés dans l’arrêt Moore.

D.  La conclusion sur la responsabilité – la discrimination fondée sur une déficience

[192]  Je conclus que le plaignant souffre bel et bien d’une déficience au sens de la Loi et que la plainte de discrimination fondée sur la déficience est justifiée.

Le plaignant a-t-il omis de prendre part au processus d’accommodement?

[193]  L’intimé a fait valoir dans ses observations écrites que le plaignant n’a pas pris part au processus d’accommodement. Cependant, les arguments invoqués avaient tous trait au fait que le plaignant n’a pas fourni les renseignements requis sur sa situation de famille. À aucun moment, le plaignant n’a omis de fournir les renseignements demandés ou n’a refusé de subir une évaluation médicale indépendante à la demande de l’intimé. Comme il a été établi plus tôt, l’intimé n’a tout simplement pas estimé que le diagnostic et les renseignements fournis avaient une incidence sur la capacité du plaignant d’exercer des fonctions de relève.

VII.  LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA SITUATION DE FAMILLE

Survol des positions des parties

[194]  Le plaignant et la Commission ont soutenu que le plaignant répondait aux exigences relatives à l’offre de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille et que l’intimé avait manqué à son obligation. Ils sont également d’avis que l’intimé était au courant des problèmes de situation familiale et qu’il aurait dû offrir au plaignant des mesures d’accommodement fondées sur la déficience et la situation de famille.

[195]  Le plaignant a déclaré qu’il pensait que l’intimé, par l’intermédiaire du Dr A des SST, avait pris des mesures d’accommodement à son endroit, en raison à la fois de sa déficience et de sa situation de famille. Il a expliqué que cela était dû au fait qu’il avait le sentiment d’avoir passé beaucoup de temps à parler avec le Dr A des problèmes relatifs à l’enfant adulte, ainsi que de son anxiété.

[196]  L’intimé a fait valoir que le plaignant ne satisfaisait pas au critère légal relatif à la discrimination fondée sur la situation de famille. Il a de plus soutenu que le plaignant n’avait pas fourni les renseignements nécessaires et que, cela étant, il n’avait pas pris part avec l’employeur au processus permettant d’établir des mesures d’accommodement, au besoin.

[197]  Il convient de signaler que même si le plaignant pensait que le Dr A avait tenu compte à la fois de sa déficience et de sa situation de famille, ce fait n’est pas pertinent en l’espèce. Les mesures que le Dr A a prises étaient de nature provisoire; elles avaient pour but de voir comment le plaignant se comportait et de permettre à l’intimé de recueillir des renseignements médicaux supplémentaires. C’est ce qui était indiqué dans les notes des SST et cela a été confirmé lors des témoignages présentés à l’audience. Cela étant, l’intimé n’avait adopté aucune position officielle et définitive au sujet des besoins d’accommodement, pendant que le Dr A s’occupait du dossier du plaignant.

E.  LES FAITS

(iii)  Survol de la demande de mesures d’accommodement

[198]  L’intimé a mis fin aux mesures d’accommodement provisoires accordées au plaignant le 30 avril 2010. Après cela, il y a eu quelques délais attribuables à des problèmes de communication entre les SST et les RE, ainsi qu’au fait que des gestionnaires avaient changé d’emploi. Le plaignant a déclaré que même si une infirmière des SST lui avait peut‑être expliqué pourquoi les mesures avaient pris fin, il continuait à croire qu’il lui fallait présenter d’autres documents médicaux sur son anxiété. Il n’a pas saisi que les SST considéraient ses problèmes comme un conflit d’horaire sur le plan familial.

[199]  Mme Giddings a déclaré avoir pris conscience qu’il y avait peut-être un problème de situation de famille au cours de l’été de 2010. Elle n’est pas entrée en contact avec le plaignant parce qu’il était en congé de maladie, et l’intimé n’avait pas pour pratique de communiquer avec des employés malades en vue d’obtenir des renseignements. Cependant, le plaignant a continué d’être en congé de maladie, et il a dit que c’était parce que les SST n’établissaient pas les restrictions d’ordre médical appropriées. Les SST ont dit à Mme Giddings qu’il n’y avait aucune restriction de cette nature. En décembre 2010, Mme Giddings a rencontré le Dr C, qui lui a expliqué qu’à son avis le plaignant avait un problème d’horaire de nature administrative, attribuable à sa famille, et non un problème d’ordre médical. Elle est ensuite entrée en contact avec le gestionnaire, M. P, et a proposé de fixer une réunion de RT avec le plaignant en vue d’obtenir des renseignements. M. P était en voie de changer d’emploi à ce moment-là, et il a été remplacé par M. M en janvier 2011. Mme Giddings a ensuite fait la même suggestion à M. M, ce qui a entraîné d’autres délais.

[200]  Le 10 mars 2011, le plaignant a envoyé à son gestionnaire, M. M, un courriel dans lequel il demandait officiellement que l’on prenne des mesures d’accommodement fondées sur sa situation de famille, compte tenu des besoins de l’enfant adulte. Dans ce courriel, le plaignant a demandé à son gestionnaire si les SST pouvaient se charger de la demande en raison de la nature confidentielle des renseignements médicaux relatifs à l’enfant adulte et à cause de commentaires inappropriés antérieurs des membres du Comité de retour au travail.

[201]  M. M a transmis ce courriel à Mme Giddings, des RE, qui s’occupe des demandes liées à la situation de famille. Mme Giddings s’est ensuite entretenue avec les SST en vue d’obtenir des renseignements; les SST ne pouvaient pas fournir ces renseignements confidentiels sans le consentement du plaignant. Le plaignant a envoyé à Mme Giddings des courriels, datés du 14 mars et du 15 mars 2011, pour expliquer qu’il voulait que ce soit les SST, et non les RE, qui s’occupent de sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille, et ce, pour des raisons de confidentialité.

[202]  Dans son témoignage, Mme Giddings a expliqué que lorsqu’elle s’occupe d’un processus d’accommodement fondé sur la situation de famille, elle s’entretient directement avec l’employé concerné et lui demande de lui fournir les renseignements requis. Elle informe ensuite la direction et le syndicat, s’il est en cause, que soit les RE détiennent des renseignements de confirmation, soit les RE ont besoin de renseignements supplémentaires. Les RE ne communiquent aux gestionnaires que les restrictions, et non les renseignements proprement dits, selon un processus semblable à celui des SST. Les RE promettent la confidentialité, sauf si l’intimé est légalement tenu de divulguer les renseignements.

[203]  Malgré les mesures susmentionnées, qui paraissent suffisantes, on ne sait pas avec certitude dans quelle mesure elles ont été expliquées au plaignant, compte tenu de ses préoccupations en matière de confidentialité.

[204]  Mme Giddings a répondu au plaignant dans un courriel daté du 18 mars 2011; elle a expliqué qu’elle avait besoin de renseignements justificatifs pour la demande fondée sur la situation de famille et que le plaignant devait les fournir à M. M. Elle a aussi recommandé la tenue d’une réunion confidentielle entre le plaignant, son gestionnaire, M. M, et un représentant syndical compétent en vue de répondre aux exigences en matière d’accommodement.

[205]  Une réunion a eu lieu le 21 avril 2011 entre le plaignant, M. M et deux autres représentants syndicaux. M. M a résumé cette réunion dans un document transmis par courriel à Mme Giddings le 29 avril 2011. Il y était expliqué que le plaignant avait le sentiment que les restrictions notées dans son dossier en raison de sa déficience étaient inexactes. Cela concorde avec le témoignage de M. M, selon lequel, à la réunion de RT d’avril 2011, comme le plaignant n’était pas d’accord avec les restrictions indiquées dans le formulaire de RT de juillet 2010 et qu’il refusait l’offre d’un poste de mécanicien de locomotive en raison de sa déficience (l’anxiété), son approche à l’égard du retour au travail du plaignant se concentrait d’abord sur la déficience du plaignant, et non sur la demande fondée sur la situation de famille. M. M considérait ces deux questions comme distinctes et pensait qu’il fallait régler en premier la question de la déficience. Le plaignant a accepté que l’on s’occupe d’abord de la demande fondée sur la déficience.

[206]  À la suite de cette réunion de RT, aucun changement n’a été apporté aux restrictions d’ordre médical du plaignant entre la date de la réunion et une lettre que l’intimé a envoyée au plaignant le 14 juillet 2011. Cette lettre contenait des questions précises qui visaient à obtenir des renseignements supplémentaires sur la demande fondée sur la situation de famille ainsi que sur les besoins médicaux et thérapeutiques de l’enfant adulte. L’intimé a déclaré que si le plaignant ne fournissait pas les renseignements demandés, il serait tenu de revenir au travail avant le 25 juillet 2011.

[207]  Le plaignant a répondu à la lettre du 14 juillet 2011 le 16 juillet suivant. Il y a joint la lettre du 24 février 2011 que le MG avait envoyée aux SST et qui indiquait que l’enfant adulte avait besoin de soins constants.

[208]  Mme Giddings a déclaré qu’il semblait aux RE que le plaignant préconisait le quart de travail de jour à la gare de triage, et l’un des buts de la lettre suivante de M. M, datée du 25 juillet 2011, a été de déterminer s’il s’agissait là de la meilleure mesure d’accommodement possible. Cette lettre contenait des questions fondées sur le critère relatif à la situation de famille qui est énoncé dans l’arrêt Johnstone, et dont il est question plus loin dans la présente Décision. Mme Giddings a rédigé la lettre et M. M l’a passée en revue avant de l’envoyer.

[209]  Le 17 août 2011, le plaignant a fait savoir qu’il n’avait pas répondu à des questions précises sur sa situation de famille dans sa lettre du 16 juillet 2011, parce qu’il avait voulu discuter des réponses avec le MG. Le 23 août 2011, l’intimé a envoyé une autre lettre au plaignant, tentant une fois de plus d’éclaircir les renseignements qu’il avait reçus. Mme Giddings, qui, essentiellement, avait rédigé cette lettre aussi, a déclaré que l’intimé avait imposé au plaignant une date limite parce qu’il voulait lui faire comprendre qu’il souhaitait conclure le processus. La lettre du 23 août 2011 réitérait les questions relatives à la situation de famille qui figuraient dans celle du 25 juillet 2011. Le plaignant a répondu le 26 août 2011. Mme Giddings a déclaré que cette réponse, même si elle fournissait plus de renseignements, soulevait également des questions.

[210]  Elle a donc demandé d’autres éclaircissements au MG. Ce dernier a répondu le 20 octobre 2011; il a expliqué que l’enfant adulte consultait régulièrement un psychologue qui pouvait améliorer son état chronique, mais que, dans l’intervalle, cet enfant se sentait [traduction] « plus à l’aise avec » ses parents en raison de la nature [traduction] « de son état, de sa peur et de sa dépression ». Le 27 octobre 2011, Mme Giddings a demandé au plaignant l’autorisation de communiquer à l’intimé les renseignements obtenus du psychologue de l’enfant adulte. Le 1er novembre 2011, le plaignant a refusé et il a aussi refusé la demande renouvelée de Mme Giddings, datée du 2 novembre 2011, dans laquelle celle-ci expliquait les renseignements précis que l’intimé voulait obtenir du psychologue.

[211]  Le plaignant est retourné au travail le 7 novembre 2011, dans un quart de travail de jour à la gare de triage, qu’il avait obtenu par soumission, et grâce à son ancienneté, sans mesures d’accommodement.

[212]  Le 15 novembre 2011, dans une lettre de trois pages, l’épouse du plaignant a répondu à la demande du 2 novembre par laquelle Mme Giddings tentait encore d’obtenir d’autres renseignements. La lettre ne contenait pas d’autorisation de la part du psychologue de l’enfant adulte pour ce qui était de communiquer des renseignements à l’intimé. Bien que cette lettre émanait de l’épouse du plaignant, je juge que ce dernier a adhéré à son contenu; par exemple, dans les observations écrites qu’il a présentées après l’audience, il a signalé que la lettre de son épouse expliquait pourquoi son épouse ou lui devaient prendre soin de l’enfant adulte. Cette lettre du 15 novembre 2011 a été la dernière communication du plaignant avec l’intimé à propos de la question de la situation de famille. Il n’a pas répondu à un courriel que Mme Giddings a envoyé le 22 novembre 2011 pour demander d’autres renseignements.

(iv)  Sommaire des renseignements concernant l’enfant adulte

[213]  Lorsque le témoignage du plaignant diffère de celui de son épouse au sujet des mêmes points relatifs à l’enfant adulte, je privilégie le témoignage de l’épouse du plaignant, parce que ce dernier a eu de la difficulté à se souvenir par lui-même de certains faits et que l’épouse du plaignant a été plus précise à propos des habitudes de l’enfant adulte. Je tiens également à souligner que le témoignage du plaignant montrait à la fois qu’il connaissait l’enfant adulte et s’en occupait, et qu’il était un père aimant et attentionné.

[214]  L’enfant adulte est né prématurément et est atteint de paralysie cérébrale. Il présente également un risque grave de décollement de la rétine, ce qui peut causer la cécité. Si l’enfant adulte fait état d’un changement de vision, selon une certaine ligne directrice, il doit se rendre sans délai dans une salle d’urgence de la plus grande agglomération et consulter un spécialiste de la rétine. Au cours des cinq dernières années, le couple a dû amener d’urgence l’enfant adulte dans cette agglomération deux ou trois fois à cause de problèmes de vision.

[215]  Selon l’épouse du plaignant, l’enfant adulte est une personne très sociable et heureuse, mais qui a peu d’amis. Elle a déclaré que cet enfant a des besoins spéciaux, mais qu’il n’est pas en fauteuil roulant, ce qui permettrait aux gens de mieux conceptualiser une déficience. Elle a exprimé l’avis qu’il est plus difficile pour les gens d’accepter l’enfant adulte parce qu’ils perçoivent une version plus légère de son affection et qu’ils s’attendent à ce qu’il soit comme n’importe qui d’autre, ce qui représente une difficulté par rapport aux amis.

[216]  Depuis qu’il a fini ses études secondaires, l’enfant adulte est inscrit à un cours que donne un établissement d’études polytechniques postsecondaire (l’institut). Ce cours dure habituellement un an. L’enfant adulte suit une classe par année. Le plaignant considère que le fait d’être inscrit à l’institut permet à l’enfant adulte de passer du temps avec d’autres personnes dans un cadre social et de développer ses aptitudes sociales. Ni le plaignant ni son épouse n’accompagnent l’enfant adulte à l’institut. Il n’a échoué à aucun cours à l’institut, ce qui, d’après le plaignant, est excellent pour son estime personnelle, car un échec serait catastrophique pour lui.

[217]  Le plaignant, son épouse et le MG ont tous trois une opinion bien arrêtée : l’enfant adulte ne pourrait pas encore vivre seul. Il a besoin d’aide pour la préparation des repas, la gestion de l’argent, le transport, et pour avoir un soutien affectif s’il a eu une mauvaise journée ou s’il se sent dépassé par les évènements.

[218]  Malgré ce qui précède, l’enfant adulte a occupé des emplois à temps partiel pendant de courtes périodes de temps. L’un de ces emplois a consisté à travailler dans un magasin d’alimentation, sous surveillance, mais pas par le plaignant ou son épouse. Il est difficile pour lui de trouver du travail.

[219]  De l’avis du plaignant et de son épouse, l’enfant adulte dissimule ses sentiments. Pour ceux qui ne le connaissent pas bien, il est difficile de bien voir quand il est contrarié ou démoralisé par quelque chose.

[220]  Le plaignant a déclaré qu’il est arrivé que l’enfant adulte soit intimidé, y compris dans les emplois à temps partiel qu’il a occupés. De plus, en grandissant et en vieillissant, l’enfant adulte est devenu plus conscient de ses déficiences et du fait qu’il est différent de ses pairs. Le MG a confirmé qu’à mesure que l’enfant adulte grandissait et prenait conscience des différences, cela lui a causé des problèmes d’estime personnelle. Le plaignant a déclaré que même si ces situations font normalement partie de la croissance, il est d’avis que ces situations sont accablantes pour l’enfant adulte, et un incident peut faire naître subitement des sentiments très négatifs et le mettre à risque de poser un geste autodestructeur.

[221]  Le plaignant a déclaré que l’enfant adulte a des pensées négatives quand il est seul, et qu’il a peur d’être seul. Le plaignant et son épouse font tout ce qu’ils peuvent pour veiller à ce que l’enfant adulte ne soit pas laissé seul, et ils s’efforcent de le tenir occupé.

[222]  L’épouse du plaignant a déclaré que l’enfant adulte a reçu un diagnostic de trouble anxieux et que le MG et un conseiller utilisent des techniques de modification du comportement non médicales et sans médicaments pour composer avec l’état anxieux de l’enfant adulte. Elle a confirmé que ce dernier n’a jamais été hospitalisé pour une surveillance de risque de suicide.

[223]  Le plaignant a déclaré qu’on n’a jamais diagnostiqué chez l’enfant adulte un trouble dépressif grave. Cependant, a-t-il expliqué, quand la vie soumet cet enfant à des difficultés, il se sent dépassé, fait de l’anxiété et parle ensuite de suicide. L’épouse du plaignant a confirmé ce qui précède, expliquant qu’il arrive parfois que l’enfant adulte se sente frustré et stressé et a déjà dit qu’il serait mieux mort que vivant.

[224]  Le plaignant et son épouse ont tous deux évoqué un incident d’autodestruction. Même si leur souvenir de l’incident remontait à des dates différentes, je conclus que cet incident a bel et bien eu lieu, vraisemblablement en octobre 2008, selon le souvenir de l’épouse du plaignant. Celle-ci a déclaré qu’en octobre 2008 des agents de police ont ramené l’enfant adulte à la maison; ils lui ont dit que ce dernier se promenait seul dans le parc, qu’il était très anxieux et il pensait qu’il se ferait du mal, de sorte qu’il avait appelé le 911. Après cet incident, l’enfant adulte a été inscrit à des séances de consultation et a continué de voir le MG.

[225]  En 2010, après un test sanguin demandé par le MG, les résultats ont montré que l’enfant adulte avait un taux d’enzymes hépatiques élevé. Après que l’épouse du plaignant l’eut interrogé, l’enfant adulte lui a finalement dit qu’il avait pris une grande quantité de comprimés de Tylenol. Elle a déclaré que cela l’avait inquiétée parce qu’il est possible de mourir d’une surdose de Tylenol. Depuis cet incident, tous les comprimés ont été mis sous clé, et seuls le plaignant et son épouse y ont accès.

[226]  Le plaignant a reconnu n’avoir jamais informé la direction de l’intimé qu’un spécialiste en médecine avait diagnostiqué que l’enfant adulte présentait un risque de suicide. Je conclus qu’aucun rapport écrit d’un médecin ou du psychologue n’indique que l’enfant adulte présentait ou présente un risque de suicide. Malgré cela, j’admets et je conclus qu’il y a assez d’éléments de preuve pour établir que l’enfant adulte a tenté de poser un geste autodestructeur.

F.  Le droit applicable

[227]  L’arrêt qui fait autorité en matière de situation de famille, au sens de l’article 7 de la Loi, est Johnstone c. Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CAF 110 (Johnstone).

[228]  Dans l’arrêt Johnstone, précité, au paragraphe 93, la Cour d’appel fédérale a statué que pour qu’un plaignant établisse une preuve prima facie de discrimination [appelée dans cet arrêt « preuve de prime abord de discrimination »] en matière d’emploi fondée sur la situation de famille, en raison d’obligations liées à la garde d’enfants, il est tenu de satisfaire à quatre critères. Comme il a été mentionné plus tôt, la norme de preuve à appliquer pour établir une preuve prima facie de discrimination est la norme civile de la prépondérance des probabilités (voir l’arrêt Bombardier, précité, aux par. 59 et 65).

[229]  Les quatre facteurs du critère établi dans l’arrêt Johnstone sont les suivants :

  1. le plaignant assume l’entretien (les soins) et la surveillance d’un enfant;
  2. l’obligation en cause relative à la garde de l’enfant fait jouer la responsabilité légale du plaignant envers cet enfant, et il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;
  3. le plaignant a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde de l’enfant en explorant des solutions de rechange raisonnables, et aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;
  4. la règle ou la situation attaquée qui régit le milieu de travail entrave d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de l’obligation liée à la garde de l’enfant. Johnstone CAF, au par. 93.

G.  Analyse

(v)  Les soins et la surveillance

[230]  L’enfant adulte avait dépassé l’âge de la majorité à l’époque où le plaignant a demandé par écrit, le 10 mars 2011, que l’on prenne en compte sa situation de famille. L’enfant adulte vit à plein temps avec ses parents.

[231]  Comme il a été mentionné plus tôt, l’enfant adulte est atteint de paralysie cérébrale. Il fréquente l’institut dans l’espoir de terminer un cours. Il a très peu de revenus personnels parce qu’il exerce sporadiquement des emplois à temps partiel, des emplois qu’il a de la difficulté à obtenir. Cela étant, il ne gagne pas assez pour subvenir à ses propres besoins.

[232]  De plus, le plaignant ou son épouse déclarent l’enfant adulte à titre de personne à charge aux fins de l’impôt sur le revenu. Ce dernier dépend également de ses parents pour ses repas, son transport entre l’école et la maison ainsi que ses rendez-vous chez le médecin.

[233]  L’intimé n’a pas contesté que, aux termes de la Loi, la « situation de famille » doit être interprétée de manière large, et cela peut inclure le soin, dans certaines circonstances, d’un enfant adulte déficient. L’intimé admet de plus que l’enfant adulte est confié aux soins et à la surveillance du plaignant.

[234]  Je conclus que, dans les circonstances particulières de l’enfant adulte, le plaignant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il assure les soins et la surveillance de l’enfant adulte.

(vi)  La responsabilité légale envers l’enfant adulte (les « soins constants »)

[235]  Le second facteur énoncé dans l’arrêt Johnstone est celui de savoir si l’obligation en cause relative à la garde de l’enfant fait jouer la responsabilité légale d’une personne, envers l’enfant adulte en l’espèce, et s’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel (arrêt Johnstone, précité, au par. 95). Pour paraphraser l’arrêt Johnstone, cela veut dire que le plaignant doit établir que « l’enfant en question n’a pas atteint un âge où l’on peut s’attendre raisonnablement à ce qu’il prenne soin de luimême alors que ses parents sont au travail » (arrêt Johnstone, précité, au par. 95).

[236]  En l’espèce, j’estime qu’en raison des effets de la paralysie cérébrale sur le fonctionnement de l’enfant adulte, l’« âge » n’est pas le critère pertinent pour ce qui est de savoir si l’on peut s’attendre raisonnablement à ce que l’enfant adulte prenne soin de lui‑même. On peut plutôt remplacer le mot « âge » par le mot « stade ». Le concept demeure le même : peut-on s’attendre raisonnablement à ce que l’enfant adulte prenne soin de lui-même pendant que ses parents sont au travail?

[237]  Le plaignant soutient qu’il doit travailler de jour parce que l’enfant adulte a besoin de soins constants et que, pour ce faire, il doit être disponible pour prendre soin de l’enfant adulte le soir et la nuit, car c’est à ce moment-là que son épouse travaille.

[238]  L’intimé soutient que le plaignant n’a pas fourni de preuve montrant que l’enfant adulte a besoin de soins de façon constante. Cela étant, dit-il, le plaignant ne satisfait pas au deuxième élément du critère de l’arrêt Johnstone, celui qui prescrit que l’obligation en cause fait jouer la responsabilité légale du plaignant envers l’enfant adulte et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel.

[239]  Une bonne partie du témoignage du plaignant et de son épouse a porté sur la paralysie cérébrale de l’enfant adulte ainsi que sur les conséquences de cette affection chronique. La preuve ressortant de leur témoignage a montré que les obligations relatives à la garde de l’enfant ne portaient pas principalement sur les conséquences physiques de la paralysie cérébrale, mais plutôt sur des activités générales de la vie de tous les jours, comme la préparation des repas, le transport et la santé émotionnelle de l’enfant adulte. Ils ont fait état de leur soutien affectif envers les craintes et les pensées négatives de l’enfant adulte, et ont montré qu’ils comprenaient ses problèmes de santé mentale.

[240]  Le plaignant a expliqué que l’obligation relative à la garde de l’enfant qui était en cause consistait à ne pas laisser l’enfant adulte seul à la maison quand son épouse effectuait son quart de nuit. De cette façon, le plaignant pouvait surveiller l’enfant adulte et s’occuper de ses émotions, de ses pensées négatives ou de tout sentiment d’anxiété qu’il éprouvait. De l’avis du plaignant, ces symptômes présentaient le risque que l’enfant adulte pose un geste autodestructeur ou commette même une tentative de suicide. Il a déclaré que c’était ce qu’il voulait dire par des « soins constants ».

[241]  De plus, le plaignant et son épouse ont émis l’avis qu’eux seuls avaient l’expertise voulue pour prendre soin de l’enfant adulte. Ils croyaient qu’ils étaient en mesure d’évaluer les véritables émotions de l’enfant adulte, alors que, pour une personne qui ne le connaissait pas, ce ne serait pas évident. Le plaignant a fait valoir que seuls son épouse et lui pouvaient prendre soin de l’enfant.

[242]  Le MG a fourni au plaignant une lettre datée du 24 février 2011 indiquant que l’enfant adulte avait besoin de soins [traduction] « constants ». Il a été évident dans son témoignage que le MG voulait dire que ces soins étaient nécessaires aux moments où l’enfant adulte se trouvait à la maison, afin d’éviter que ce dernier s’y trouve seul.

[243]  L’intimé a tenté de déterminer si la position du plaignant, à savoir que seuls lui-même et son épouse devaient prendre soin de l’enfant adulte, était un choix personnel, ou un besoin médical ou thérapeutique.

[244]  Comme il a été mentionné plus tôt, l’enfant adulte fréquente l’institut sans surveillance et il a exercé à des moments différents des emplois à temps partiel de courte durée. Durant ce temps, l’enfant adulte n’est pas en compagnie du plaignant ou de son épouse. Cela semble incompatible avec les déclarations selon lesquelles l’enfant adulte a besoin de [traduction] « soins constants ».  

[245]  Je juge que l’expression « soins constants » est erronée – il s’agit peut-être d’une dramatisation ou d’une exagération de la manière dont le plaignant interprète cette expression. J’estime que le plaignant n’a pas pu ou n’a pas voulu prendre conscience ou admettre qu’il y a un conflit entre le besoin déclaré que lui-même ou son épouse donnent des « soins constants » à l’enfant adulte et le fait que l’enfant adulte a travaillé à temps partiel et fréquente l’institut sans surveillance parentale.

[246]  Compte tenu de ce langage et des renseignements indiquant que l’enfant adulte souffrait d’une déficience physique, Mme Giddings a déclaré que la direction pensait que l’enfant adulte avait besoin de soins et de surveillance 24 heures par jour, sept jours sur sept. Je conclus qu’il était raisonnable que la direction de l’intimé ait été embrouillée et ait voulu plus de renseignements, d’autant plus que les renseignements figurant dans la lettre du 20 octobre 2011 du MG indiquaient que l’enfant adulte exerçait un emploi à temps partiel. À première vue, cela est incompatible avec l’idée qu’une personne ait besoin de [traduction] « soins constants ».

[247]  Entre les mois de février et d’octobre 2011, l’intimé avait reçu des renseignements contradictoires du MG et du plaignant au sujet des besoins de l’enfant adulte. J’estime que les renseignements que l’intimé avait en main le 20 octobre 2011 étaient contradictoires et confus. Il n’y avait pas assez d’informations sur les points suivants : pourquoi les soins devaient être donnés par les parents, s’agissait-il d’une préférence ou d’une exigence? Et comment les parents pouvaient-ils donner des soins constants quand, en même temps, l’enfant adulte avait un emploi à temps partiel? Mme Giddings savait, le 20 octobre 2011, que l’autodestruction était un problème, mais elle voulait savoir si, dans les circonstances, les soins requis devaient toujours être donnés par les parents.

[248]  L’intimé a continué de demander au plaignant des renseignements médicaux afin de savoir s’il était nécessaire, sur le plan thérapeutique ou médical, d’assurer des [traduction] « soins constants » ou une [traduction] « surveillance constante ». Je juge qu’en dépit de cette demande de renseignements, les réponses données à divers moments par le plaignant, ainsi que par le MG, dans sa lettre du 20 octobre 2011 à Mme Giddings, n’avaient pas répondu à la question de savoir si la surveillance pouvait être assurée par une autre personne que les parents.

[249]  Dans sa lettre de réponse au CFCP, datée du 26 août 2011, le plaignant a déclaré qu’il fallait que les personnes prenant soin de l’enfant soient lui-même ou son épouse [traduction] « en raison de la nature particulière des circonstances », sans fournir d’autres renseignements ou un billet d’un professionnel de la santé sur ce qu’étaient ces circonstances.

[250]  Dans sa lettre du 15 novembre 2011 à Mme Giddings, l’épouse du plaignant a réitéré qu’elle seule et le plaignant pouvaient prendre soin de l’enfant adulte, qui avait besoin de leurs soins parce qu’ils le connaissaient et qu’ils pouvaient surveiller ses états d’âme et empêcher toute autre tentative de geste autodestructeur.

[251]  Le plaignant a reçu le courriel du 22 novembre 2011 de Mme Giddings, qui indiquait, notamment, que pour pouvoir donner suite à la demande du plaignant d’obtenir des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille, l’intimé avait encore besoin d’obtenir des renseignements du psychologue pour savoir s’il était nécessaire sur le plan thérapeutique ou médical que le plaignant ou son épouse soient les personnes qui prennent soin de l’enfant adulte, ou s’il s’agissait là de ce que ce dernier préférait. Le courriel indiquait que les renseignements que l’intimé avait demandés antérieurement, ainsi que dans ce même courriel, étaient pertinents et qu’ils étaient raisonnables et conformes à la Loi. Le courriel indiquait aussi que, dans les cas de mesures d’accommodement, il incombait à l’employé de fournir de tels renseignements, et aussi de chercher parmi les ressources communautaires ou familiales si d’autres mesures d’accommodement étaient acceptables. Il est justifié que les RE aient tenté d’obtenir des réponses du psychologue qui traitait l’enfant adulte.

[252]  Le plaignant a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait bien compris le courriel de Mme Giddings et les renseignements demandés. Cependant, il avait décidé de ne pas y répondre parce qu’il était déjà de retour au travail, à un poste de triage de jour, à son niveau d’ancienneté. Le plaignant a déclaré qu’il aurait préféré que l’on prenne des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille, mais il a jugé que son épouse et lui ne pouvaient pas fournir plus d’informations parce que l’enfant adulte refusait que l’intimé s’entretienne avec le psychologue, qui était aussi celui qui traitait l’enfant adulte.

[253]  À l’audience, l’intimé a tenté une fois de plus d’éclaircir les renseignements obtenus du plaignant et du MG sur les [traduction] « soins constants ». Le MG a déclaré que le plaignant et son épouse étaient les personnes les mieux placées pour prendre soin de l’enfant adulte, car c’était eux qui le connaissaient le mieux et qui pouvaient reconnaître les signes avant-coureurs des problèmes de comportement de l’enfant adulte.

[254]  Cependant, il ne s’agit pas là de la question dont le Tribunal est saisi. Cette question consiste à savoir si seuls le plaignant et son épouse pouvaient prendre soin de l’enfant. Dans le cas présent, plutôt que d’examiner l’âge légal de l’enfant adulte, le Tribunal se demande s’il y avait un besoin médical ou thérapeutique qui obligeait le plaignant ou son épouse à prendre soin de l’enfant pendant les heures de travail. Le MG a émis l’avis que les deux étaient les mieux placés pour prendre soin de l’enfant adulte, mais il n’a pas indiqué qu’il était médicalement nécessaire que le plaignant ou son épouse soient les seuls à le faire.

[255]  Dans une lettre datée du 17 octobre 2011, l’intimé a demandé au MG s’il était médicalement requis que l’enfant adulte soit surveillé par les parents. Le MG a répondu que l’enfant adulte était plus à l’aise avec les parents à cause de ses craintes et de sa dépression. Il n’a pas été mentionné qu’il était médicalement obligatoire qu’il s’agisse des parents.

[256]  Le MG est d’avis que l’enfant adulte est assurément dépendant de la famille, et je souscris à cette opinion. De plus, l’enfant adulte dépendra d’une forme d’aide quelconque, y compris d’un soutien physique et affectif, de façon permanente. Le MG a exprimé l’avis qu’il était et qu’il est préférable pour l’enfant adulte que ce soit les parents qui prennent soin de lui. Il a également convenu en contre-interrogatoire qu’il serait médicalement acceptable qu’une personne autre que les parents surveille l’enfant adulte pendant une période maximale de douze heures, à condition que ce dernier dorme pendant six de ces heures, et à condition que la personne comprenne l’enfant adulte et que celui-ci connaisse cette personne et se sente à l’aise avec elle.

[257]  Le MG a constamment souligné dans son témoignage que même si en 2011 et à l’heure actuelle il était médicalement acceptable que l’enfant adulte soit surveillé pendant une courte période par un adulte autre que les parents, il faudrait que ce soit une personne que l’enfant adulte connaît et avec laquelle il se sent à l’aise. À son avis, l’enfant adulte était plus à l’aise avec les parents. Il a convenu avec l’avocate de l’intimé que l’enfant adulte ne souffre pas d’une affection sociale qui l’empêcherait d’interagir avec d’autres personnes, ou d’avoir un accompagnant ou un membre d’un organisme qui fournit les services de personnes de compagnie pendant de courtes périodes. Le MG a dit penser que ce serait une bonne idée de trouver une personne de compagnie que l’enfant adulte apprendrait à connaître et qui le surveillerait à l’occasion, parce que le MG sait par expérience que l’enfant adulte est très seul et n’a pas beaucoup d’amis.

[258]  Le psychologue du plaignant, qui conseillait aussi l’enfant adulte, n’a pas été en mesure de répondre à des questions concernant l’enfant adulte. Ni le plaignant ni l’enfant adulte n’ont consenti à ce qu’il le fasse. La position du plaignant était que l’enfant adulte, comme tout autre adulte, pouvait prendre une décision concernant ses soins personnels et la communication de renseignements personnels du psychologue à l’intimé. L’épouse du plaignant a déclaré que l’enfant adulte était très réservé et sur la défensive au sujet des déficiences. Elle-même se souciait de la protection de la vie privée de l’enfant adulte. De plus, le plaignant et elle n’étaient pas convaincus que les seuls renseignements que l’intimé demanderait au psychologue étaient une confirmation qu’il était nécessaire du point de vue médical ou thérapeutique que le plaignant et son épouse soient les seuls à prendre soin de lui.

[259]  L’enfant adulte n’a pas témoigné et n’a pas consenti à ce que le psychologue communique des renseignements. Cependant, le plaignant a fourni un formulaire de consentement, autorisant le MG à communiquer à l’intimé des renseignements sur l’enfant adulte. Le plaignant et son épouse ont confirmé que ni l’un ni l’autre ne sont les mandataires de l’enfant adulte concernant ses biens ou ses soins personnels, pas plus qu’ils ne détiennent à son égard une ordonnance de tutelle.

[260]  Malgré ces renseignements contradictoires quant aux personnes qui peuvent – ou non – donner leur consentement au nom de l’enfant adulte, il n’y avait aucune information du psychologue sur les besoins thérapeutiques ou médicaux de l’enfant adulte.

[261]  Selon mon examen de la totalité des témoignages et des preuves documentaires, jamais le plaignant ou un professionnel de la santé n’a répondu de manière satisfaisante à la question de savoir si le plaignant ou son épouse devaient être les seules personnes à assurer les soins de l’enfant adulte pour des raisons d’ordre médical ou thérapeutique.

[262]  Bien que je comprenne le souhait qu’a le plaignant d’assurer la confidentialité des renseignements médicaux relatifs à l’enfant adulte, c’est le plaignant qui a le fardeau d’établir une preuve prima facie. Du point de vue procédural, l’intimé aurait pu fournir au plaignant d’autres garanties en matière de confidentialité. Je conclus, malgré cela, que toutes les preuves susmentionnées n’ont pas établi que le plaignant a la responsabilité légale d’assurer les soins personnels de l’enfant adulte pendant les heures de travail, par opposition au fait qu’il s’agit d’un choix personnel.

(vii)  Des efforts raisonnables pour trouver une solution de rechange

[263]  Bien que j’aie conclu que le plaignant ne satisfait pas au deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Johnstone, si je me trompe et si l’enfant adulte a besoin de soins constants de la part du plaignant et de son épouse, je vais poursuivre et examiner le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Johnstone.

[264]  Le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Johnstone consiste à savoir si le plaignant peut démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter des obligations en explorant « des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable » (arrêt Johnstone, précité, au par. 96). 

[265]  La position du plaignant est que non seulement son épouse et lui étaient les mieux placés pour prendre soin de l’enfant adulte, mais ils étaient aussi les seuls à pouvoir le faire. Il soutient que c’était parce qu’ils étaient en mesure de savoir si l’enfant adulte se sentait réellement [traduction] « déprimé » ou anxieux au point où il y avait un risque qu’il pose un geste autodestructeur qui pouvait aller jusqu’au suicide. Cette position est clairement ressortie du témoignage du plaignant et de son épouse. Les deux ont déclaré que l’enfant adulte dissimulait ses sentiments et qu’ainsi, une personne ne le connaissant pas bien ne saurait pas s’il se sent anxieux ou déprimé, ce qui, par ricochet, pouvait entraîner le risque d’un geste autodestructeur. Le plaignant a maintenu cette position dans les observations écrites qu’il a produites après l’audience.

[266]  Le plaignant a expliqué qu’il avait répondu par lui-même à ses besoins en matière de garde d’enfants au cours des années 1990 et 2005, à l’époque où il exerçait principalement des fonctions de relève. Il a expliqué que sa famille étendue était disponible, y compris pour passer la nuit avec les enfants quand son épouse et lui travaillaient en même temps. De plus, il a expliqué que l’intimé, au cours de cette période, était plus souple, en ce sens qu’il autorisait des appels manqués et des échanges d’affectation, ce qu’il faisait quand leurs horaires entraient en conflit.

[267]  Quand l’intimé a abordé la première fois la question d’autres soignants auprès du MG, il est ressorti clairement des premières réponses de ce dernier qu’il présumait que l’intimé voulait parler d’un établissement résidentiel. À son avis, l’enfant adulte, même s’il dépendait des parents, n’avait pas besoin d’être placé dans un établissement résidentiel, et il avait fait savoir qu’il ne voulait pas que l’on recoure à cette option.  

[268]  Le plaignant et son épouse ont déclaré qu’il n’y avait plus de membres de la famille étendue pour prendre soin de l’enfant adulte, parce qu’ils avaient vieilli. Le plaignant et son épouse ont exprimé l’avis qu’à cause de l’absence de membres de la famille et des besoins affectifs de l’enfant adulte, il n’y avait plus qu’eux-mêmes qui pouvaient prodiguer le type de soins dont l’enfant adulte avait besoin.

[269]  Le MG a confirmé le témoignage du plaignant et de son épouse, à savoir qu’à sa connaissance, il n’y avait plus dans la plus petite agglomération des membres de la famille qui pouvaient aider à prodiguer les soins nécessaires. Il a aussi émis l’avis que les parents étaient les personnes les mieux placées pour prendre soin de l’enfant adulte et, surtout, l’épouse, qui est infirmière. Cependant, en contre-interrogatoire, répondant à la question de savoir si l’enfant adulte pourrait être confié à un autre soignant, le MG a répondu que oui, dans la mesure où l’enfant adulte connaissait cette autre personne et se sentait à l’aise avec elle. Le MG a recommandé que le temps que cette personne passerait avec l’enfant adulte ne soit pas supérieur à douze heures, à condition que l’enfant adulte dorme pendant six de ces douze heures, et il a exprimé le ferme avis qu’il faudrait que la personne soit quelqu’un que l’enfant adulte connaisse et avec laquelle il se sente à l’aise.

[270]  L’opinion du plaignant, que son épouse partageait, était que comme l’enfant adulte avait tendance à dissimuler ses émotions, seuls son épouse et lui pouvaient décoder les émotions de l’enfant adulte de manière assez précise pour savoir quand il était anxieux ou contrarié, et éviter ainsi tout risque possible de geste autodestructeur.

[271]  L’épouse du plaignant a déclaré qu’il y avait [traduction] « peut-être quelque part » dans la plus petite agglomération d’autres soignants appropriés, mais qu’elle n’en connaissait personnellement aucun. Les personnes qu’elle avait rencontrées à titre d’infirmière de salle d’urgence, qui travaillaient par exemple dans des établissements institutionnels, n’avaient pas selon elle l’expertise nécessaire pour prendre soin de l’enfant adulte, car elles ne pouvaient pas répondre aux besoins de soutien affectif de l’enfant adulte et n’avaient pas suivi de formation en matière de problèmes de santé mentale.

[272]  À part le témoignage de l’épouse du plaignant, à savoir que l’enfant adulte avait au Y un mentor avec lequel il se sentait à l’aise pour parler, et le vague témoignage du plaignant selon lequel ils avaient songé à une personne de compagnie venant d’un organisme spécialisé dans les services de personnes de compagnie pour les jeunes, le plaignant n’a pu présenter d’autres preuves montrant que son épouse ou lui avaient fait des efforts raisonnables pour vérifier s’il y avait, dans la plus petite agglomération et les environs, une personne qui aurait pu apprendre à connaître l’enfant adulte et rester avec lui à la maison au besoin. Cela étant, il n’y avait pas non plus de preuves quant au coût d’une telle option, et quant à la question de savoir si ce coût était déraisonnable. J’estime qu’ils n’ont tout simplement rien fait, parce qu’ils étaient fermement d’avis qu’ils étaient non seulement les meilleurs soignants, mais aussi les seuls qui convenaient. Cet avis a aussi été formulé dans les observations finales que le plaignant a présentées après l’audience.

[273]  Outre ce qui précède, le plaignant n’a pas fourni de preuves au sujet des efforts que son épouse ou lui ont faits pour aménager l’horaire de cette dernière afin de pouvoir prendre soin de l’enfant adulte les jours où le plaignant serait appelé pour un quart de travail qui entrerait en conflit avec son horaire.

[274]  La lettre du 26 novembre 2008 que le MG a envoyée aux SST contenait les renseignements selon lesquels l’épouse du plaignant était une infirmière de nuit et que le fait d’accorder au plaignant un poste de triage de jour serait utile dans les cas où le plaignant devait prendre soin de l’enfant adulte pendant que son épouse était au travail.

[275]  Il est ressorti de la preuve documentaire et des témoignages présentés à l’audience que, du mois de novembre 2008 au 22 novembre 2011, les renseignements fournis aux SST et à la direction de l’intimé étaient les suivants : l’horaire de travail de l’épouse du plaignant consistait non seulement en des quarts de nuit de douze heures, mais ces quarts étaient vraisemblablement plus fréquents que deux ou trois fois par semaine, une semaine sur deux.

[276]  Les renseignements fournis n’auraient pas amené une personne à penser, comme l’indiquait l’exposé des précisions du 22 octobre 2013 de la Commission, et comme l’a établi le témoignage de l’épouse du plaignant, que l’horaire de cette dernière était, à ce moment‑là, d’une moyenne de deux et trois jours par semaine, en alternance, et ne comptait aucun quart de travail certaines semaines. Par exemple, la lettre datée du 15 novembre 2011 que l’épouse du plaignant a envoyée à Mme Giddings, page 1, paragraphe 5 [l’italique est de moi], indique :

[traduction]
[…] À titre d’infirmière autorisée spécialisée, j’effectue le quart de nuit depuis les 19 dernières années environ. Les quarts de travail des infirmières durent en général 12 heures […] (les journées permanentes ne sont pas une option). J’effectue les quarts de nuit de façon permanente, parce que cela procure à notre famille une certaine constance, puisque au moins j’ai des heures de travail régulières et prévisibles. Le besoin de chevauchement est évident. Dans notre situation familiale singulière, le fait que mon époux effectue des quarts de soir ou de nuit n’est pas une option réalisable.

[277]  Les détails relatifs aux heures de travail d’un conjoint sont pertinents pour qu’un employeur puisse comprendre le type de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille qu’un employé souhaite obtenir (arrêt Johnstone, CAF, précité, au par. 96), et pour savoir si le conjoint de l’employé est disponible à titre d’autre soignant.

[278]  Le plaignant a indiqué précisément les mesures d’accommodement qu’il souhaitait obtenir : des quarts de jour pour tenir compte de sa situation de famille et un poste de triage pour tenir compte de son anxiété, mais je conclus qu’au cours du processus de recherche de renseignements de l’intimé, entre les mois de mars et de novembre 2011, le plaignant n’a pas indiqué avec franchise le nombre réel de nuits de travail qu’effectuait son épouse aux deux semaines et mensuellement. Dans ce contexte, s’il était établi qu’il était nécessaire d’assurer des soins constants, l’intimé n’a jamais eu la possibilité de vérifier s’il était en mesure de répondre aux besoins du plaignant en tenant compte de l’horaire de travail particulier de son épouse.

[279]  Je conclus que la totalité de la preuve a établi que le plaignant et son épouse n’ont pas véritablement envisagé l’option de tiers soignants ni fait des efforts valables pour en trouver, afin de déterminer s’il y avait une personne appropriée et raisonnablement disponible qui pouvait prendre soin de l’enfant adulte pendant une période maximale de douze heures par jour, lors des moments de la semaine où le plaignant et son épouse travaillaient en même temps. De plus, le plaignant et son épouse n’ont pas non plus fourni de détails suffisants sur les quarts de nuit que l’épouse effectuait à titre d’infirmière, ou ils n’ont pas montré que des mesures avaient été prises pour adapter l’horaire de l’épouse en fonction des soins à donner.

En conséquence, le plaignant n’a pas satisfait au troisième facteur énoncé dans l’arrêt Johnstone.

(viii)  La règle régissant le milieu de travail entrave d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité de remplir des obligations liées à la garde de l’enfant

[280]  Compte tenu de mes conclusions à propos des deuxième et troisième facteurs du critère énoncé dans l’arrêt Johnstone, il n’est nul besoin que j’examine le quatrième facteur.

[281]  Je conclus qu’étant donné que le plaignant n’a pas établi les deuxième et troisième facteurs du critère énoncé dans l’arrêt Johnstone, il n’a pas établi une preuve prima facie que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit pour cause de situation de famille. Cela étant, le Tribunal rejette l’allégation.

VIII.  Le plaignant a-t-il omis de prendre part au processus d’accommodement?

[282]  L’intimé a fait valoir que le plaignant n’a pas pris part au processus d’accommodement. Plus précisément, il a expliqué que le plaignant n’avait pas fourni les renseignements dont il avait besoin pour déterminer quel type de mesure d’accommodement serait nécessaire, s’il en était, relativement à la situation de famille.

[283]  Compte tenu de ma décision selon laquelle le plaignant n’a pas établi une plainte prima facie fondée sur la situation de famille, il est inutile que j’examine ces arguments.

IX.  L’obligation de l’employeur de conseiller à l’employé de présenter une demande de mesures d’accommodement fondée sur la situation de famille

[284]  La Commission a fait valoir que l’intimé, à titre d’employeur averti, avait l’obligation manifeste de conseiller au plaignant de présenter une demande de mesures d’accommodement fondée sur la situation de famille et de faciliter ce processus. Elle soutient que l’intimé ne peut pas être volontairement aveugle à un besoin lié à la situation de famille, un besoin qui, d’après la Commission, était évident en l’espèce.

[285]  L’intimé soutient qu’il a agi de manière appropriée en tout temps en répondant aux besoins du plaignant, mais que s’il a effectivement enfreint une norme procédurale quelconque, il n’existe aucune mesure de réparation distincte pour manquement à une obligation procédurale d’accommodement (voir l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, appelé aussi Cruden c. ACDI (Cruden), au par. 21).

[286]  Bien qu’il incombe habituellement à l’employé d’entamer la procédure d’accommodement en informant l’employeur de son besoin de mesures d’accommodement, si les circonstances sont telles que l’employeur a implicitement connaissance de ce besoin, il est tenu de le faire. Dans la décision Moffat c. Davey Cartage (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, le Tribunal a expliqué qu’un employeur n’est pas autrement tenu de s’informer s’il n’a, de bonne foi, aucune connaissance de la déficience.

[287]  En l’espèce, je juge qu’il ne s’agit pas d’une situation où le plaignant n’était pas au courant de la possibilité de bénéficier de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille : la preuve a établi qu’il en avait fait la demande deux fois dans le passé et qu’on lui en avait accordé une fois. Il était également signalé dans les politiques de l’intimé qu’il incombait à l’employé de demander des mesures d’accommodement. Il ne s’agissait pas non plus d’une situation dans laquelle l’intimé ne connaissait pas le possible besoin du plaignant de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Ce sont plutôt des problèmes de communication entre les parties et la structure du processus de l’intimé pour le traitement des demandes d’accommodement fondées à la fois sur une déficience et sur la situation de famille qui ont occasionné des délais. On peut ajouter à cela le fait que le plaignant s’est montré extrêmement réticent, surtout au début du processus officiel, et par la suite, à l’idée de fournir des renseignements sur l’enfant adulte à l’équipe de direction de l’intimé, et qu’il a parfois décidé de recourir uniquement à des mesures d’accommodement fondées sur une déficience. En fin de compte, le plaignant a demandé des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille en mars 2011, démontrant une fois de plus qu’il était au courant qu’il pouvait peut-être en bénéficier.

[288]  Dans ce contexte, je conclus que même s’il existe des situations dans lesquelles un intimé serait tenu d’aviser l’employé de son droit de demander des mesures d’accommodement, l’intimé dont il est question ici n’a pas fait preuve d’aveuglement volontaire. Plus loin dans la présente Décision, je fais quelques commentaires sur un certain nombre de pratiques suggérées à l’intimé.

X.  LES MOTIFS COMBINÉS OU INTERRELIÉS

H.  La plainte et les positions des parties

[289]  La plainte fait expressément état de deux motifs de distinction : la déficience et la situation de famille. Ces deux motifs sont plaidés dans le cadre du même acte discriminatoire, soit une différence de traitement défavorable en cours d’emploi, aux termes de l’article 7 de la Loi. C’est ce qui ressort clairement de la plainte écrite ainsi que du résumé de la plainte que la Commission a rédigé et transmis au Tribunal quand la plainte lui a été renvoyée.

[290]  La Commission et l’intimé ont établi une argumentation finale écrite et détaillée qui a été déposée auprès du Tribunal. Les parties ont tout d’abord présenté des arguments portant sur les deux motifs séparément et appliquant les critères juridiques respectifs. Après avoir passé en revue chacun des critères applicables à la déficience et à la situation de famille séparément, la Commission et l’intimé ont présenté des arguments au sujet de l’effet combiné et interrelié des motifs.

[291]  La Commission soutient que, dans la présente plainte, les motifs de la déficience et de la situation de famille se combinent et que les actes de l’intimé [traduction] « ont donné lieu à une forme interreliée de discrimination », au sens de l’article 3.1 de la Loi. La Commission fait valoir que le critère relatif à une preuve prima facie de discrimination devrait être souple et contextuel.

[292]  L’intimé soutient qu’en l’espèce le critère légal qui s’applique aux mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille devrait s’appliquer aux motifs combinés de la déficience et de la situation de famille, étant donné que la situation de famille a une incidence sur la déficience. Il n’y avait aucune jurisprudence disponible sur ce point.

I.  Le chevauchement des motifs et la preuve prima facie de discrimination

[293]  L’article 3.1 de la Loi est libellé en ces termes :

« Il est entendu que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs. »

[294]  L’article 3.1 n’est pas souvent plaidé devant le Tribunal et les précédents sont peu nombreux. Dans l’arrêt Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, la Cour d’appel fédérale a expliqué que lorsqu’il y a de multiples motifs de discrimination, le fait de les analyser séparément peut minimiser ce qui constitue en réalité une discrimination composée. Dans ce contexte, si l’on applique l’article 3.1, il est nécessaire d’examiner ensemble les motifs allégués.

[295]  Comme l’a fait valoir la Commission au paragraphe 17 de ses observations écrites, la Cour d’appel fédérale a souligné que le critère relatif à une preuve prima facie de discrimination doit « nécessairement être souple et adapté aux circonstances », puisqu’il faut l’appliquer à de nombreuses situations de fait qui mettent en cause divers motifs de distinction. Citant l’une de ses décisions antérieures, la Cour d’appel a fait remarquer qu’« un critère juridique souple, en ce qui concerne l’établissement de la preuve prima facie, permet mieux que d’autres critères plus précis de promouvoir l’objet général soustendant la [LCDP], à savoir l’élimination, dans la sphère de compétence législative fédérale, de la discrimination en matière d’emploi [...] » (arrêt Johnstone, 2014 CAF 110, au par. 83, citant l’arrêt Morris c. Canada, 2005 CAF 154, au par. 28).

[296]  Compte tenu de cela, pour interpréter et appliquer l’article 3.1 de la Loi, le Tribunal prendrait en considération l’objet général de la Loi et adopterait une approche souple. L’article 3.1 est libellé de façon à pouvoir prendre en considération, au moment d’établir une preuve prima facie, « un ou plusieurs motifs de distinction illicite » ou l’effet combiné de plusieurs motifs. Cet article peut être invoqué par les plaignants dans des cas où ils ne sont peut-être pas en mesure de satisfaire au critère relatif à une preuve prima facie de discrimination en se basant sur un seul motif, adoptant ainsi une approche plus souple et demandant expressément au Tribunal de prendre en considération un tableau plus complet, ce qui aide à évaluer des formes subtiles de discrimination.

[297]  Cette interprétation et la notion de souplesse concordent avec la décision que la Cour fédérale a rendue dans l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445 (SSEFPNC) :

En confirmant la décision du Tribunal, la Cour d’appel fédérale a rejeté expressément la pertinence d’une formule ou d’un critère rigide pour l’établissement d’une preuve prima facie, et a souligné qu’un critère juridique souple permet mieux de promouvoir l’objet général soustendant la Loi. La Cour dappel fédérale a fait observer que « [l]a discrimination prend des formes nouvelles et subtiles » et qu’« il est maintenant reconnu que la preuve comparative de discrimination revêt des formes beaucoup plus nombreuses que la discrimination particulière identifiée dans la décision Shakes » : arrêt Morris, précité, au par. 28. (SSEFPNC, au par. 302).

Même si la juge McTavish faisait expressément référence à la question de savoir s’il était nécessaire ou non de déterminer un groupe de comparaison, les principes fondamentaux d’une approche souple s’appliquent de façon générale.

[298]  Même si elle a énoncé un critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur les obligations relatives à la garde d’un enfant, la CAF a également réitéré la nécessité de faire preuve de souplesse dans l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination, sur une base de cas par cas (voir l’arrêt Johnstone CAF, précité, aux par. 84 et 96 à 99).

[299]  Dans l’arrêt Johnstone, la CAF a reconnu qu’« il y a lieu d’établir une méthode souple et adaptable aux circonstances pour se prononcer sur l’existence d’une preuve de discrimination de prime abord et le type précis d’éléments de preuve et de renseignements qui peuvent être pertinents ou utiles pour établir l’existence d’une preuve de discrimination de prime abord dépend en grande mesure du motif de distinction illicite en cause » (arrêt Johnstone, au par. 84).

[300]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal met en garde les parties qui tenteraient d’appliquer rigoureusement un critère précis pour l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination, comme le critère relatif à la situation de famille ou les étapes directrices de Shakes/Israeli pour ce qui est des méthodes d’embauche discriminatoires, dans les cas où les motifs se combinent.

J.  Manière d’appliquer la notion de motifs combinés ou interreliés, s’il y a lieu, dans la présente plainte

[301]  Dans la plainte dont il est ici question, le Tribunal s’est prononcé contre l’intimé et en faveur du plaignant pour ce qui est de la discrimination fondée sur une déficience.

[302]  Comme il a été expliqué plus tôt, l’article 3.1 permet à un plaignant d’établir une preuve prima facie en se fondant sur l’effet d’une combinaison de motifs illicites, dans des circonstances où une distinction fondée exclusivement sur un seul motif peut ne pas se refléter dans la preuve. Cela dit, suivant les circonstances, si le plaignant parvient à établir une preuve prima facie en se fondant sur un seul motif, il pourrait n’être d’aucune utilité d’examiner la question de l’effet combiné.  

[303]  Compte tenu des faits en l’espèce ainsi que de ma conclusion selon laquelle un acte discriminatoire a été commis en raison du seul motif de la déficience, je ne crois pas nécessaire d’examiner la question de l’effet combiné dans le cas présent. Dans la Loi, les mesures de redressement sont accordées en fonction des actes discriminatoires, et non des motifs (par. 53(2)). L’article 3.1 indique qu’un acte discriminatoire comprend les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction. Cet article ne crée pas un acte discriminatoire distinct en tant que tel. Le plaignant ne pourrait pas se voir accorder une indemnité supplémentaire, advenant qu’une conclusion soit tirée en vertu de l’article 3.1 de la Loi, si un acte discriminatoire a déjà été jugé fondé. Il n’y a donc aucune utilité pratique à effectuer cette analyse.

XI.  Processus à envisager lors du traitement de demandes d’accommodement fondées sur des motifs susceptibles de se combiner

[304]  Bien qu’il n’y ait pas de discrimination fondée sur le motif de la situation de famille dans cette plainte, il y a certains aspects du processus de l’intimé qui, sans en tenir l'intimé responsable, auraient pu être menés de manière plus efficace, et que j’aimerais commenter.

La division entre les SST et la direction

[305]  Premièrement, il est important d’examiner la structure de l’intimé concernant les demandes d’accommodement. Elle comporte une division distincte, les SST, qui traitent toutes les demandes d’accommodement pour des raisons d’ordre médical. Une équipe de professionnels de la santé traite les demandes de cette nature et s’assure que tous les renseignements médicaux sont privés et demeurent confidentiels et que les membres de la direction ou d’autres employés de l’intimé n’y ont pas accès. La direction ne reçoit que les restrictions [mesures d’accommodement] des SST qui s’appliquent à l’employé concerné, mais aucun renseignement médical personnel. Pour obtenir de tels renseignements face à ce [traduction] « mur de protection », un employé est tenu de fournir aux SST une autorisation écrite préalable de communiquer des renseignements médicaux.

[306]  Les Relations avec les employés (RE) s’occupent d’autres demandes d’accommodement, dont celles qui ont trait à la situation de famille. Même s’il est formé d’employés de l’intimé travaillant au bureau principal, ce service fonctionne aussi d’une manière semblable aux SST, en ce sens que les RE ne font part aux gestionnaires que des mesures d’accommodement requises pour l’employé concerné, et non des motifs qui les justifient.

Préoccupations du plaignant en matière de vie privée et problèmes de communication

[307]  J’ai eu le sentiment que le plaignant était extrêmement soucieux de la confidentialité non seulement de ses renseignements médicaux personnels, mais aussi de ceux de l’enfant adulte. J’estime que le plaignant était bien conscient du mur de protection de la vie privée érigé entre les SST et la direction. En fait, le plaignant s’est fondé sur ce mur de protection et avait confiance en lui. Il savait qu’il avait pour fonction de protéger la vie privée des employés et la confidentialité de leurs renseignements médicaux.

[308]  Le plaignant savait que Mme Giddings voulait obtenir des renseignements sur les soins dont l’enfant adulte avait besoin afin de pouvoir évaluer sa demande de mesures d’accommodement fondée sur la situation de famille, parce que la direction voulait s’occuper elle-même de la demande. Cependant, le plaignant voulait que les SST s’occupent de sa demande de mesures d’accommodement fondée sur la situation de famille en raison de la nature confidentielle de l’état médical de l’enfant adulte. Cela était également attribuable à ses préoccupations concernant de prétendus manquements à la confidentialité commis auparavant par des membres du comité de RT de la plus petite agglomération et au fait qu’il considérait que le Dr A, des SST, s’en était occupé dans le passé.

[309]  Mme Giddings a témoigné au sujet du processus que suivent les RE pour traiter les demandes d’accommodement et des normes de protection de la vie privée qu’applique ce service. En fait, l’intimé dispose de politiques écrites qui analysent certaines de ces mesures, et elles sont incluses dans le Guide des employés. Malgré cela, on ne sait pas avec certitude dans quelle mesure le plaignant était au fait de ces normes de protection de la vie privée, et si les RE lui en ont expressément parlé afin de le rassurer sur le processus suivi, surtout lorsque le plaignant a exprimé ses préoccupations.

[310]  Néanmoins, une communication et des explications précises, peut-être par écrit, auraient pu aider à faire part de la position des SST au plaignant, compte tenu surtout de la prédominance et de la force de ses inquiétudes en matière de protection de la vie privée.

[311]  De nombreux témoignages ont porté sur la question de savoir si le plaignant, en avril 2010, avait compris ou non que les SST refusaient sa demande de mesures d’accommodement fondée sur la déficience, parce qu’ils considéraient que sa situation était de nature familiale et donc administrative, et non d’ordre médical. Si les communications avaient été meilleures, et faites par écrit dans certains cas, il aurait été éclairé plus tôt.

[312]  Le plaignant a déclaré qu’à un certain moment, lors de la discussion qu’il avait eue le 30 avril 2010 avec l’infirmière C des SST ou par la suite, on l’a amené à croire qu’il avait besoin d’un autre diagnostic médical avant que l’intimé lui offre des mesures d’accommodement pour l’anxiété dont il souffrait. Il a aussi déclaré qu’il n’avait pas demandé de mesures d’accommodement pour sa situation de famille avant le 10 mars 2011 parce que quand, le 30 avril 2010, il avait demandé à l’infirmière des SST de quoi il aurait besoin pour que ses restrictions de travail soient rétablies, elle avait répondu qu’elles ne pourraient être rétablies à moins qu’un autre diagnostic médical soit reçu.

[313]  Dans la lettre datée du 26 août 2011 à M. M, le plaignant a nié, comme il l’a fait aussi dans son témoignage, que l’infirmière C des SST lui avait dit au printemps de 2010 que les SST avaient levé sa restriction parce qu’à leur avis, son problème n’était pas de nature médicale. Le plaignant a écrit que s’il en avait été informé, il aurait demandé alors des mesures d’accommodement fondées sur sa situation de famille. Avant la lettre du 25 juillet 2011 de M. M, il n’a jamais été informé par écrit des motifs précis du refus de sa demande.

[314]  Le plaignant a déclaré qu’il était particulièrement confus, parce que le Dr A des SST jugeait que son anxiété avait justifié une restriction médicale pendant environ un an et demi. Il est compréhensible, selon moi, que le plaignant n’ait pas compris que les SST pensaient qu’il s’agissait d’un problème de nature administrative, et non médicale. La nouvelle position des SST sur son anxiété allait à l’encontre de près d’un an et demi de mesures d’accommodement de nature médicale. De plus, dans son esprit, comme il l’a déclaré, il avait reçu un diagnostic de trouble anxieux de son MG et du psychiatre indépendant, un spécialiste que l’intimé avait lui-même choisi, et les SST n’avaient reçu aucun diagnostic nouveau ou différent.

[315]  Je conclus que ce qui a contribué aussi au sentiment de confusion du plaignant est la façon dont les SST lui ont dit qu’ils levaient sa restriction concernant des fonctions de triage de jour. Cette manière d’agir laissait grandement à désirer en termes de communication efficace. Les SST auraient pu l’en informer au téléphone et le lui indiquer ensuite par écrit, dans un courriel ou dans une lettre. Les SST lui avaient adressé des courriels à d’autres occasions. Je crois que dans ces circonstances, étant donné le revirement de position après près d’un an et demi de mesures d’accommodement, écrire au plaignant aurait été un geste approprié et clair. De plus, en lui écrivant, les SST auraient pu lui faire savoir de manière claire et simple qu’ils étaient d’avis qu’il n’avait pas besoin de mesures d’accommodement de nature médicale, mais de mesures d’accommodement de nature administrative prises par la direction, en raison de sa situation de famille. Il aurait alors pu décider, vraisemblablement avant le 10 mars 2011, s’il voulait demander des mesures d’accommodement fondées sur sa situation de famille.

[316]  Indépendamment de ce qui précède, je souhaite confirmer que même si les SST avaient écrit au plaignant – ce qui lui aurait permis de comprendre plus tôt pourquoi les SST avaient levé les restrictions de travail – il ressort de la preuve que cela n’aurait fait aucune différence quant à l’issue de sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie au sujet de la situation de famille, et le plaignant et l’enfant adulte n’auraient toujours pas consenti à ce que le psychologue communique avec l’intimé au sujet de l’enfant adulte; de plus, l’intimé n’aurait toujours pas eu les renseignements dont il avait besoin.

La combinaison de motifs et le manque de communication entre les SST et les RE / la direction

[317]  Le plaignant a déclaré s’être entretenu de multiples fois avec des infirmières des SST au sujet de sa situation, ce qui incluait des informations concernant l’enfant adulte. De plus, il y avait des renseignements dans les notes et les rapports médicaux que le Dr C, des SST, a examinés qui traitaient de cette question. Dans les notes de cas des SST elles‑mêmes, le Dr C a indiqué qu’il s’agissait d’une question administrative qui relevait de l’équipe de direction. Cependant, il semble qu’il y ait eu un manque de communication entre l’équipe des SST et l’équipe de direction, y compris les RE, pendant un certain temps en 2010, ce qui a occasionné quelques délais.

[318]  Même avant que le Dr C fasse état des questions dans le dossier, le Dr A des SST avait aussi longuement discuté avec le plaignant des problèmes familiaux concernant l’enfant adulte. Les SST ne peuvent pas dire qu’ils n’étaient pas au courant de certaines questions relatives à cet enfant. Même si les SST n’ont pas pour mandat d’évaluer les demandes de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille – et je ne laisse pas entendre non plus qu’ils devraient le faire – ces derniers sont au service de l’intimé et reçoivent de l’employé des renseignements pertinents. Je suis consciente des tensions inhérentes aux communications entre les SST, la direction et les RE, ainsi qu’au mandat de protection de la vie privée et de confidentialité des SST, mais il est ressorti du témoignage de Mme Giddings que celle-ci a rencontré le Dr C des SST au sujet du dossier du plaignant. Il est donc possible de trouver des moyens de composer avec les tensions inhérentes au partage de renseignements et au mandat de confidentialité.

[319]  Bien qu’il soit compréhensible que les RE n’aient pas eu tous les renseignements pertinents dans cette affaire, vu les mécanismes de protection de la vie privée établis entre les SST et les RE, il serait avantageux pour l’intimé qu’il y ait de meilleures communications entre les SST et les RE, surtout lorsqu’il y a des motifs interreliés.

[320]  Comme il a été signalé dans l’arrêt Turner, précité, il ne faut pas analyser séparément les motifs de distinction qui se combinent. Dans de prochains dossiers concernant d’autres employés, il serait peut-être bon que l’intimé améliore les communications entre les SST et les RE (voir l’arrêt Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, aux par. 48 et 49).

XII.  LES REPRÉSAILLES

[321]  Le plaignant allègue dans la présente plainte que l’intimé a exercé des représailles contre lui parce qu’il a antérieurement déposé des plaintes relatives aux droits de la personne, et que ces représailles sont exercées depuis le dépôt de sa première plainte.

K.  La Loi et la jurisprudence

[322]  Le texte de l’article 14.1 de la Loi est le suivant :

« Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée. »

Dans la présente Décision, le mot « représailles », sous toutes ses formes, correspond au sens donné à ce terme à l’article 14.1 de la Loi.

[323]  Il convient de signaler qu’après le dépôt des observations des parties sur le droit relatif aux représailles, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894 (Tabor CF), qui a confirmé le critère à appliquer aux plaintes de représailles déposées en vertu de la Loi. Avant cela, il régnait une certaine confusion quant à la question de savoir si l’intention constitue ou non un élément requis pour établir une preuve prima facie de représailles. Dans ses observations, l’intimé a reconnu que le droit n’était pas encore bien établi et, anticipant les deux options, il a présenté une double défense. Cela étant, je me conformerai simplement au critère que la Cour fédérale a confirmé.

[324]  Le fardeau d’établir une preuve prima facie de représailles incombe au plaignant. La norme de preuve permettant d’établir une telle preuve, à l’instar d’autres allégations de discrimination, est la prépondérance des probabilités (arrêt Bombardier, précité, aux par. 59 et 65). Un plaignant est tenu de montrer que : 1) il a déposé auparavant une plainte relative aux droits de la personne en vertu de la Loi; 2) il a subi un effet préjudiciable à la suite du dépôt de la plainte; 3) la plainte relative aux droits de la personne a constitué un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable (voir la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14, aux par. 3 à 30 (Société de soutien 2015), ainsi que la décision Tabor CF, précitée, aux par. 54 à 64.

[325]  Une preuve d’intention n’est pas nécessaire pour établir le bien-fondé d’une plainte de représailles. Le plaignant peut démontrer que la plainte relative aux droits de la personne a constitué un facteur dans le prétendu traitement préjudiciable subi après le dépôt de sa plainte, selon la perception raisonnable qu’il a des incidents ou autrement (voir Société de soutien 2015, aux par. 3 à 30, ainsi que Tabor CF, aux par. 54 à 64).

[326]  Comme il a été mentionné plus tôt dans la section portant sur la déficience, un intimé peut se défendre contre une allégation de discrimination prima facie en produisant une preuve démontrant que ses actes n’étaient pas discriminatoires, en établissant un moyen de défense prévu par la Loi qui justifie la discrimination en question, ou en recourant à ces deux options (voir l’arrêt Bombardier, précité, au par. 64).

L.  Quelles plaintes relatives aux droits de la personne le plaignant a-t-il déposées et quand?

[327]  Il n’y avait dans la preuve documentaire aucune copie d’une plainte autre que celle dont il est question en l’espèce. Cependant, dans son témoignage, le plaignant s’est souvenu d’avoir déposé deux autres plaintes relatives aux droits de la personne à l’encontre de l’intimé : une qui a été finalement réglée en 2008 (la plainte réglée) et une autre en novembre 2009, parce qu’il était insatisfait de la mesure d’accommodement mise en place. Il a déclaré que la plainte de 2009 avait été rejetée. Il a aussi fait référence à cette plainte rejetée dans celle qu’il a déposée le 25 mars 2011, qui fait l’objet de la présente instruction et audience.

[328]  Mme Giddings a déclaré qu’elle s’est occupée de réviser les politiques du CFCP à la suite d’un règlement, faisant vraisemblablement suite à la plainte réglée. Il y a aussi une preuve dans les notes de cas des SST où Mme Giddings a indiqué, dans un courriel daté du 17 juin 2011 adressé à certains des gestionnaires et membres du personnel des SST de l’intimé, que la Commission avait rejeté la plainte du plaignant, rejet daté, selon elle, du 2 décembre 2009. La date ne correspond pas à celle dont le plaignant se souvient, soit novembre 2009, mais la période est la même. De plus, Mme Giddings signale qu’il y a encore une plainte non réglée, déposée en [traduction] « février 2011 ». Il est raisonnable de conclure qu’il était question de la présente plainte, déposée le 25 mars 2011.

[329]  Si l’on regroupe les éléments de preuve qui précèdent, je conclus que le plaignant a déposé en tout trois plaintes relatives aux droits de la personne auprès de la Commission :

  • une plainte déposée quelque temps avant l’été de 2008, que les parties ont réglée (la plainte réglée);
  • la plainte de 2009 que la Commission a rejetée;
  • la présente plainte, déposée le 25 mars 2011.

M.  Les allégations précises de représailles du plaignant

[330]  Le plaignant a soutenu que les actes ou les omissions des employés de l’intimé énumérés ci-après ont constitué des représailles à son endroit de la part de l’intimé. Nul n’a contesté que les employés en question agissaient pour le compte de l’intimé.

(ix)  M. D

[331]  Le plaignant a allégué que les actes ou les omissions qui suivent, de la part de M. D, constituaient des représailles exercées contre lui pour avoir déposé des plaintes relatives aux droits de la personne :

  • le fait que M. D n’a pas répondu à la demande du plaignant, faite par courriel le 20 novembre 2009, en vue d’obtenir un congé autorisé pour des vacances en famille, du 14 au 18 décembre 2009 (la demande de vacances);
  • au cours de la période du 1er mai 2010 au 6 décembre 2011 (la période d’arrêt de travail), M. D n’a pas répondu [traduction] « en temps opportun », sinon pas du tout, à un grand nombre des messages téléphoniques du plaignant lui disant qu’il pouvait occuper des postes précis sans mesures d’accommodement (à part la liste de relève) pendant certaines semaines au cours de la période d’arrêt de travail, ce qui a amené le plaignant à être affecté à des tâches de relève qu’il ne pouvait pas exercer du fait de son anxiété, et a ainsi allongé la période d’arrêt de travail et contribué à la perte financière que le plaignant avait subie parce qu’il ne pouvait pas travailler.

[332]  Du mois de mai 2006 au mois de mars 2011 environ, M. D a travaillé pour l’intimé dans la plus petite agglomération, au poste administratif de coordonnateur des demandes de gestion des équipages (coordonnateur des DGE). M. D agissait comme agent de liaison entre le syndicat et la direction au sujet des changements d’équipage ordinaires, et il traitait les demandes de congé autorisé et les vacances annuelles et s’occupait des cas d’absentéisme. Il facilitait également le retour au travail des employés qui avaient pris un congé de maladie. Entre 2009 et 2010, M. D relevait de M. P.

La demande de vacances

[333]  Le plaignant a envoyé la demande de vacances par courriel à M. D le vendredi 20 novembre 2009. Il a déclaré que M. D n’y a jamais répondu et qu’il lui avait laissé deux messages téléphoniques au sujet de cette demande. À part le témoignage du plaignant, il n’y avait aucune preuve indépendante qu’il avait laissé à M. D les deux messages téléphoniques en question.

[334]  M. D a déclaré qu’à l’époque où il travaillait comme coordonnateur des DGE, il connaissait bien la politique relative aux congés autorisés datée du 16 février 2009 (la politique des congés autorisés). Il a reconnu qu’il aurait eu assez de temps entre le 20 novembre 2009 et la date de congé que demandait le plaignant pour répondre à sa demande de vacances. Cependant, il n’a pas pu se souvenir s’il avait reçu la demande ou s’il y avait répondu. Il a déclaré que s’il n’avait pas répondu à la demande, c’était probablement un oubli et non pas parce que le plaignant manquait d’heures de service ou ne répondait pas aux conditions d’admissibilité de la politique des congés autorisés.

[335]  En réponse à la question du plaignant sur le fait de savoir si un gestionnaire quelconque avait dit à M. D de ne pas répondre aux messages ou aux demandes que le plaignant avait envoyés par courriel, M. D a déclaré que jamais un gestionnaire ne lui avait donné des instructions à cet effet. De plus, il a dit qu’au moment où il avait quitté le poste de coordonnateur des DGE et la plus petite agglomération, soit en mars 2011, il ignorait que le plaignant avait déposé une plainte relative aux droits de la personne.

Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie que M. D a exercé des représailles contre lui en ne répondant pas à la demande de vacances?

[336]  Je suis consciente qu’il y aurait lieu de se demander si la plainte de 2009 a constitué un facteur dans la présente allégation. Le temps écoulé entre le 20 novembre 2009, date à laquelle le plaignant a envoyé la demande de vacances, et le 14 décembre, date du début de ses vacances, chevauche la période où j’ai estimé que le plaignant avait déposé la plainte de 2009. Quoi qu’il en soit, le plaignant avait aussi déjà déposé la plainte réglée.

[337]  Il n’existe aucune preuve documentaire permettant de savoir si M. D a répondu à la demande de vacances, et M. D n’a pas pu se rappeler s’il y avait répondu. Compte tenu des faits, il est valable de conclure que le plaignant n’a pas pris les vacances familiales prévues cette semaine-là et que des vacances manquées constituaient un effet préjudiciable pour le plaignant. Cela étant, il est raisonnable que le plaignant ait perçu qu’étant donné que M. D n’avait pas répondu à la demande de vacances, celui-ci avait exercé des représailles contre lui. De ce fait, le plaignant a établi une preuve prima facie que M. D avait exercé des représailles contre lui en ne répondant pas à sa demande de vacances.

M. D avait-il une explication raisonnable et crédible pour ne pas avoir répondu à la demande de vacances?

[338]  M. D a déclaré que s’il n’avait pas répondu à la demande de vacances, il était plus probable que c’était à cause d’un oubli de sa part, et non parce que le plaignant manquait d’heures de service ou parce qu’un gestionnaire lui avait dit de ne pas répondre à ses courriels ou à ses appels téléphoniques. Je tiens également compte du fait que cet aveu d’un oubli de la part de M. D renforce la crédibilité de sa réponse, parce qu’il a reconnu qu’il avait peut-être commis une erreur.

[339]  L’explication de M. D est à la fois raisonnable et crédible, il ne s’agit pas d’un prétexte et ne porte pas à croire raisonnablement que la plainte relative aux droits de la personne a influencé la manière dont le plaignant a été traité. Je conclus que M. D n’a pas exercé de représailles contre le plaignant au sens de l’article 14.2 en ne répondant pas à sa demande de vacances. Cette allégation est rejetée.

Les appels téléphoniques que le plaignant a faits à M. D au cours de la période d’arrêt de travail

[340]  Le plaignant a allégué que le fait que M. D n’a pas répondu rapidement ou du tout à ses appels téléphoniques l’a amené à prendre un congé de maladie plutôt qu’à effectuer des tâches de relève, tâches auxquelles M. D l’avait parfois affecté. La position du plaignant était que si M. D avait répondu – à tout le moins ou rapidement - à ses appels téléphoniques, il aurait pu effectuer des tâches autres que de relève qui ne nécessitaient aucune mesure d’accommodement, et il serait revenu au travail plus tôt qu’il ne l’avait fait.

[341]  Le plaignant a déclaré avoir téléphoné à M. D à plusieurs reprises entre le 4 mai 2010 et le mois de juin 2010. Dans la plupart des messages qu’il avait laissés lors de ces appels, il demandait à M. D de l’affecter à un poste de triage qu’il pouvait occuper à son niveau d’ancienneté, ou il disait à M. D qu’il y avait un poste de triage qu’il pouvait occuper à son niveau d’ancienneté, soit cette semaine-là, soit la semaine suivante. Dans l’un des messages, le plaignant a demandé à M. D pourquoi il n’avait pas été affecté à un poste.

[342]  Le plaignant a déclaré avoir pris des notes manuscrites soit pendant, soit après les appels en question. Ces notes contenaient aussi une page dactylographiée utilisée dans le cadre d’une enquête de la Commission. L’avocate de l’intimé s’est opposée à cette preuve parce qu’elle avait été créée par le plaignant pour l’enquête de la Commission. La page dactylographiée n’a pas été retenue, mais le reste de la pièce contenant les notes manuscrites a été admis dans le dossier.

[343]  Le plaignant affirme que M. D n’a pas répondu à ces appels, ou du moins pas assez rapidement pour qu’il soit affecté à un poste qu’il pouvait occuper, et qu’en agissant ainsi, M. D exerçait des représailles contre lui pour avoir déposé des plaintes relatives aux droits de la personne.

[344]  À l’audience, M. D a déclaré qu’il avait cherché des documents indiquant s’il avait reçu l’un quelconque de ces appels téléphoniques ou y avait répondu, mais qu’il n’en avait pas. Il a ajouté que tous les documents se seraient trouvés dans le dossier du personnel du plaignant. Dans ce dernier, il n’y avait rien au sujet des appels téléphoniques. M. D a également déclaré que, même s’il ne pouvait pas dire avec certitude qu’il avait répondu aux appels précisément notés du plaignant, il avait pour habitude de répondre aux appels téléphoniques qu’il recevait. M. D s’est souvenu d’avoir parlé plusieurs fois au téléphone avec le plaignant, mais pas des dates précises de leurs conversations.

[345]  Le plaignant avait une note indiquant que, le 17 juin 2010, il s’était entretenu avec M. D, qui lui avait dit [traduction] « ok » pour du travail, mais qui l’avait affecté à des tâches de relève. Le plaignant a ensuite dit à M. D qu’il ne pouvait pas exercer ces tâches et que cela l’obligerait à se porter malade. Le plaignant n’a pas pu se souvenir de la réaction de M. D à l’époque.

[346]  M. D a déclaré se rappeler que lorsqu’il avait dit au plaignant qu’il était affecté à des tâches de relève, celui-ci avait répondu qu’il lui était impossible de le faire. Le plaignant a été inscrit sur la liste de relève parce que les renseignements que les SST avaient transmis à M. D à ce moment indiquaient que le plaignant était apte à travailler, sans restriction quant à la liste de relève.

[347]  M. D a expliqué qu’indépendamment du moment où l’appel téléphonique était fait, aucun placement n’était fait sans une autorisation appropriée des SST déclarant que le plaignant était apte à travailler. Ce processus ne relevait pas de lui.

Le plaignant a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie que M. D a exercé des représailles contre lui en ne répondant pas à ses appels téléphoniques ou, du moins, pas rapidement?

[348]  Ces faits étaient tous survenus après le dépôt des deux premières plaintes.

[349]  J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant a fait les appels téléphoniques à M. D, comme il en a pris note. De plus, j’estime, compte tenu du témoignage de M. D disant qu’il a répondu au moins à certains de ces appels à son propre souvenir, qu’il a effectivement répondu à quelques appels. M. D a fait preuve de rigueur en ne confirmant pas un fait sans en être tout à fait sûr. Quand on lui a demandé s’il avait rappelé le plaignant, il a répondu qu’il ne pouvait pas être sûr à 100 % au sujet d’appels téléphoniques et de messages en particulier, mais qu’il se souvenait de s’être entretenu avec le plaignant de nombreuses fois et qu’il avait aussi pour habitude de rappeler.

[350]  J’estime aussi, conformément au propre témoignage du plaignant voulant qu’il avait pris acte de la politique de 72 heures, qu’il n’était pas raisonnable que le plaignant perçoive que le fait d’être affecté à des tâches qu’il pouvait exercer sans mesure d’accommodement dépendait de la réponse de M. D à ses appels téléphoniques, puisque l’autorisation des SST venait en premier lieu dans le processus de RT. M. D a également déclaré que, sans l’autorisation des SST, aucune affectation ne pouvait avoir lieu et que, de plus, la procédure habituelle était que si l’on recevait l’autorisation des SST au milieu de la semaine, l’intimé inscrivait l’employé sur la liste de relève jusqu’au prochain changement hebdomadaire d’équipage de nuit, qui avait lieu le dimanche soir.

[351]  Je conclus que la preuve n’a pas permis de démontrer que M. D a exercé des représailles contre le plaignant. Le Tribunal rejette toutes les allégations de représailles à l’encontre de M. D.

(x)  M. P, gestionnaire

[352]  Le plaignant a allégué que M. P a exercé des représailles contre lui, de la manière suivante :

  • dans la semaine du 20 décembre 2009, en n’affectant pas le plaignant à un poste de mécanicien de locomotive dans la gare de triage de la plus petite agglomération, poste qu’il aurait pu occuper à son niveau d’ancienneté, et en l’affectant plutôt à un travail d’aide-agent de la voie dans la plus grande agglomération;
  • pour cette même semaine, en omettant de lui payer à la fois une indemnité pour les déplacements entre les deux agglomérations et la différence de rémunération entre les deux postes.

Le placement du 20 décembre 2009 et l’indemnité de déplacement / la rémunération exigibles

[353]  Le plaignant a déclaré qu’il avait l’ancienneté requise pour détenir deux postes de mécanicien de locomotive dans la gare de triage de la plus petite agglomération, dans un quart de jour, au cours de la semaine du 20 décembre 2009. Il a désigné les deux postes en question dans le bulletin des changements hebdomadaires de mécaniciens de la plus petite agglomération de cette semaine-là. Il a affirmé que les deux postes avaient été confiés à des employés ayant moins d’ancienneté que lui.

[354]  Le 21 décembre 2009, le plaignant a envoyé à M. P un courriel indiquant qu’il pouvait occuper le poste de mécanicien de locomotive de jour, dans la gare de triage de la plus petite agglomération, à son niveau d’ancienneté [sans mesures d’accommodement], mais qu’il avait été affecté à la gare de triage de la plus grande agglomération, à titre d’aide. Il avait demandé qu’on l’affecte sans délai au poste qui était disponible dans la plus petite agglomération. M. P a confirmé que le plaignant, cette semaine-là, avait continué d’exercer les fonctions d’aide dans la plus grande agglomération.

[355]  Le plaignant a déclaré qu’à la réunion qu’il avait eue avec M. P en décembre 2009 au sujet de cette affectation, celui-ci lui avait dit qu’il était trop tard pour changer l’affectation erronée. Le plaignant a pensé qu’il s’agissait là d’une [traduction] « excuse boiteuse », parce que M. P avait reçu les changements hebdomadaires d’équipage de nuit du dimanche nettement plus tôt pour son poste que pour d’autres types de postes comme ceux des [traduction] « itinérants », par exemple. Le plaignant a également déclaré qu’il avait eu des problèmes dans le passé parce qu’on l’avait laissé à un poste d’agent de la voie dans la plus grande agglomération, alors qu’il aurait pu être affecté à un poste de mécanicien dans la plus petite agglomération, mais qu’il s’était rendu compte plus tôt de certaines de ces erreurs. Il a jugé que M. P avait la responsabilité de l’affecter à un poste de mécanicien quand il pouvait occuper ce poste sans mesure d’accommodement, et que M. P ne l’avait pas fait pour la semaine du 20 décembre.

[356]  M. P a déclaré qu’entre 2008 et 2010, il était chargé localement de s’occuper des mesures d’accommodement du plaignant. Il a convenu que le plaignant avait été mal affecté cette semaine-là. Il a également parlé de la réunion qu’il avait eue avec le plaignant et a indiqué qu’il avait convenu de lui payer l’indemnité de déplacement pour la semaine, en raison de l’erreur commise. M. P n’a pas pu se rappeler s’il avait convenu de payer la différence de rémunération entre le poste de mécanicien de locomotive et celui d’aide pour cette semaine-là, mais il a déclaré qu’il aurait été logique qu’il le fasse. Il a aussi indiqué que, pour avoir droit à la différence de rémunération, le plaignant devait présenter une demande au gestionnaire local à titre de [traduction] « demande indépendante », après quoi l’intimé l’évaluerait et la vérifierait.

Le plaignant a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie que M. P a exercé des représailles contre lui?

[357]  Je juge qu’à cause de l’erreur d’affectation et du fait que le plaignant a continué d’exécuter les tâches en question malgré le courriel qu’il avait envoyé le 21 décembre à M. P pour demander un changement, il était raisonnable que le plaignant perçoive que M. P exerçait des représailles contre lui. Cependant, cette perception n’a été raisonnable que jusqu’au moment de leur réunion, quand M. P a expliqué son erreur.

[358]  J’admets le témoignage de M. P et je conclus que l’affectation du 20 décembre 2009 était une erreur. M. P a admis l’erreur et a offert de payer les frais de déplacement du plaignant ainsi que la différence de rémunération qui s’appliquait à cette semaine. J’estime de plus qu’il incombait au plaignant de demander ces paiements au gestionnaire local en présentant une [traduction] « demande indépendante ».

[359]  Compte tenu des circonstances et de l’explication crédible et raisonnable de M. P, il n’était pas justifié que le plaignant continue de considérer cet incident comme des représailles après que M. P eut admis son erreur et offert d’approuver le paiement des frais de déplacement et de la différence de rémunération.

[360]  Je conclus donc que M. P n’a pas exercé de représailles contre le plaignant en le plaçant comme il l’a fait pour la semaine du 20 décembre 2009. Le Tribunal rejette cette allégation.

(xi)  Les infirmières C ou E des SST au sujet de l’orientation du plaignant vers M. Tom W, de l’intimé

[361]  Le plaignant a déclaré qu’à de nombreuses reprises il n’a pas pu faire la différence entre les voix de l’infirmière C et de l’infirmière E, toutes deux des SST. L’une d’elles l’a orienté vers M. Tom W, de l’intimé, quand il lui a demandé à qui il devait s’adresser pour vérifier si Manuvie lui accorderait des prestations de congé de maladie. La position du plaignant est que le fait de l’orienter vers M. Tom W constituait un geste de représailles de la part de l’infirmière concernée parce que M. Tom W n’avait pas répondu à ses appels avant l’expiration de la période de prescription concernant sa demande de prestation à Manuvie.

[362]  Ni l’infirmière C ni l’infirmière E n’ont témoigné à l’audience. Les notes de cas des SST qui ont été produites en preuve ne font pas état de la question du plaignant ou de l’orientation. La preuve concernant cette allégation de représailles comprend le témoignage du plaignant et certaines de ses notes manuscrites.

[363]  Le plaignant a des notes manuscrites au sujet de diverses dates auxquelles il a laissé des messages ou s’est entretenu avec des personnes chez Manuvie et chez l’intimé. La première note est datée du 26 février 2010 et, dans celle-ci, le plaignant a indiqué que Sheryl, de Manuvie, a répondu à son message téléphonique du 23 février et lui a dit qu’elle pensait que Manuvie avait pris la relève du [traduction] « chômage » le 15 février, mais qu’elle n’en était pas sûre et qu’elle allait vérifier.

[364]  La deuxième note indique que, le 24 mars 2010, le plaignant avait laissé deux messages antérieurs à l’intention de M. Tom W et qu’aucun des messages n’avait obtenu une réponse. Le 24 mars, le plaignant a laissé un message à l’intention de M. Tom W, disant qu’il avait besoin de savoir si Manuvie le [traduction] « couvrait ». Le message de la boîte vocale de M. Tom W disait qu’il reviendrait au bureau le 29 mars.

[365]  Le plaignant a déclaré avoir laissé un autre message à M. Tom W le 30 mars au sujet de l’assurance, et qu’il n’y a eu aucune réponse à ce message. Il a déclaré avoir laissé un message à l’intention de Sheryl, chez Manuvie, le 18 avril 2010, demandant aussi s’il était couvert.

Le plaignant a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie que la ou les infirmières des SST ont exercé des représailles contre lui?

[366]  Ces incidents ont eu lieu en 2010, après que le plaignant eut déposé deux plaintes relatives aux droits de la personne.

[367]  En alléguant que le fait de l’orienter vers M. Tom W était un geste de représailles de la part de l’une des infirmières des SST, le plaignant allègue essentiellement que cette mesure elle-même a eu un effet préjudiciable sur lui parce qu’il avait déposé des plaintes relatives aux droits de la personne.

[368]  Au paragraphe 15 de sa plainte, le plaignant a indiqué que M. Tom W était l’agent de liaison de l’intimé auprès de Manuvie. Cela n’a pas été contesté.

[369]  Aucune preuve n’a été présentée pour montrer que l’une ou l’autre des infirmières des SST susmentionnées étaient responsables du travail de M. Tom W ou qu’elles le dirigeaient, ou que ce dernier relevait de l’une ou l’autre d’entre elles. Autrement dit, aucune preuve n’a été soumise, indiquant que l’une ou l’autre des infirmières exerçaient un contrôle sur les actes ou la prétendue inaction de M. Tom W.

[370]  Je trouve que ce que le plaignant qualifie de traitement préjudiciable ou d’effet préjudiciable de la part d’une infirmière des SST est en fait une orientation vers la bonne personne : l’agent de liaison de l’intimé auprès de Manuvie. C’était l’information qu’il avait demandée, et c’était l’information qu’il avait reçue. De ce fait, l’orientation ne constitue pas un traitement préjudiciable ou n’a pas eu un effet préjudiciable sur le plaignant parce qu’il avait déposé des plaintes relatives aux droits de la personne.

[371]  J’estime qu’il était déraisonnable que le plaignant perçoive qu’étant donné qu’une infirmière des SST l’avait orienté vers M. Tom W, qui, allègue-t-il, ne lui a pas répondu à temps, l’orientation elle-même constituait un geste de représailles.

[372]  Le plaignant n’a donc pas établi l’existence d’une preuve prima facie de représailles à l’encontre de l’infirmière E ou de l’infirmière C pour l’avoir orienté vers M. Tom W. Le Tribunal rejette l’allégation.

(xii)  M. Tom W

[373]  Le plaignant a allégué que M. Tom W a exercé des représailles contre lui de la manière suivante :

  1. en ne répondant pas aux messages téléphoniques par lesquels le plaignant demandait si Manuvie le couvrait pour ses prestations d’indemnité hebdomadaires (PIH) jusqu’au 10 juin 2010, il a amené celui-ci à déposer en retard sa demande de PIH, ce qui, par ricochet, a amené Manuvie à rejeter sa demande;
  2. en prescrivant à Manuvie de rejeter la demande de PIH du plaignant ainsi que son appel du rejet, daté du 2 août 2010, le plaignant n’a pas touché de PIH.

[374]  Le plaignant a déclaré avoir laissé deux messages à M. Tom W avant le 24 mars 2010. Il mentionne qu’à cette date, il avait laissé un message indiquant qu’il avait besoin de savoir si Manuvie le couvrait. Comme il a été mentionné plus tôt, le plaignant avait pris des notes lors des appels ou à peu près au même moment. Le 30 mars, il avait noté qu’il avait laissé un autre message au sujet de la couverture et qu’on n’y avait pas donné suite. Le 18 avril 2010, il a laissé un message à l’intention de Sheryl, de Manuvie, demandant une fois de plus s’il était couvert. Le plaignant a déclaré que Sheryl n’avait pas répondu à ce message.

[375]  Le plaignant a dit croire qu’au cours du mois de juin, il avait laissé un autre message à l’intention de Sheryl. Celle-ci l’a rappelé et lui a dit qu’elle ferait en sorte que M. Tom W communique avec lui. Ce dernier l’avait fait, en juin, et avait dit au plaignant de présenter une demande et que l’on déterminerait ensuite si Manuvie le couvrait. Selon le plaignant, il avait présenté sa demande le même jour qu’il s’était entretenu avec Tom W.

[376]  Le plaignant avait en main une note datée du 10 juin 2010, indiquant qu’il avait téléphoné [traduction] « hier » à Sheryl F pour demander une lettre de refus afin qu’il puisse demander des prestations d’assurance-chômage. Le 10 juin 2010, le plaignant a envoyé à l’intimé la demande de PIH destinée à Manuvie, avec une lettre d’accompagnement expliquant pourquoi il présentait sa demande en retard. La lettre mentionnait aussi les messages téléphoniques qu’il avait laissés à l’intention de Sheryl et de M. Tom W, au CFCP.

[377]  Le plaignant a déclaré que toutes les notes de Manuvie concernant sa demande de PIH (les notes de Manuvie) ont été déposées auprès du Tribunal. Les notes de Manuvie contiennent un courriel daté du 21 juillet 2010, de Mme CF à l’équipe des indemnités de l’intimé, disant que la demande a été déposée en retard, et demandant comment procéder. M. Tom W a répondu le même jour; il a indiqué à Mme CF de refuser la demande.

[378]  Nul ne conteste que Manuvie a rejeté la demande de PIH du 10 juin 2010 du plaignant ou que le plaignant n’a jamais reçu d’indemnité de Manuvie pour la période du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011.

[379]  La lettre que Manuvie a envoyée le 22 juillet 2010 au plaignant rejetait la demande parce que celui-ci ne l’avait pas produite dans les trente jours suivant le 1er mai 2010, soit la date du début de son invalidité pour cause de maladie (le refus de PIH). Le refus de PIH indiquait aussi que le fait de ne pas respecter le délai de trente jours n’invaliderait pas la demande si le plaignant démontrait qu’il n’était [traduction] « pas raisonnablement possible de fournir une preuve » dans le délai prescrit et s’il fournissait une preuve aussitôt qu’il était raisonnablement possible de le faire.

[380]  Le 2 août 2010, le plaignant a porté en appel le refus de PIH. Sa lettre d’appel indiquait pourquoi la demande avait été présentée en retard. Le 18 septembre 2010, Manuvie a rejeté l’appel au motif que la demande avait été produite en retard (le rejet de l’appel du refus de PIH). Rien dans cette lettre n’indique que l’intimé a demandé à Manuvie de rejeter l’appel.

[381]  Le plaignant n’a pas témoigné au sujet de la note du 18 septembre 2010 qui figure à la page 9 des notes de Manuvie, sous la rubrique [traduction] « 1erréexamen de l’appel du refus de PIH » (la note de Manulife du 18 septembre 2010). Dans cette note figure un paragraphe indiquant que la demande avait trait à un compte « ASO », de sorte que si une demande était refusée parce qu’elle avait été produite en retard, Manuvie devait confirmer auprès des RE si ce service souhaitait que Manuvie procède au réexamen ou rejette l’appel pour cause de retard. Rien n’indiquait ce qu’est un compte « ASO ». Les notes de Manuvie indiquent que « Tom » a donné instruction à Angela de rejeter l’appel parce qu’il avait été déposé en retard. Le plaignant a déclaré que « Cindy », de Manuvie, lui a dit que l’intimé avait donné instruction à Manuvie de rejeter l’appel. Après avoir reçu les notes de Manuvie, le plaignant s’est dit que c’était « Tom » qui avait été chargé de rejeter sa demande de PIH.

[382]  Après que le plaignant eut témoigné au sujet de l’allégation de représailles de la part de M. Tom W, l’avocate de l’intimé s’est opposée à l’admission des notes de Manuvie au motif qu’il s’agissait de notes établies par Manuvie, dans une sorte de dossier d’entreprise, ce qui constitue habituellement des ouï-dire, mais qui peut être admis en preuve comme une exception à la règle des ouï-dire, si cette preuve peut être qualifiée d’exacte par un témoin qui peut attester de sa création et de son exactitude. Comme il n’y avait aucun témoin de ce genre, l’intimé n’a pas consenti à ce que les notes de Manuvie soient introduites, notamment pour établir la véracité de leur contenu. L’avocat de la Commission a fait valoir que les notes de Manuvie contenaient des renseignements pertinents et aidaient à corroborer une partie du témoignage du plaignant. Il a fait valoir que le Tribunal devrait admettre les notes de Manuvie et qu’il lui revenait de décider de l’importance à y accorder.

[383]  J’ai décidé à l’audience que les notes de Manuvie constituent des ouï-dire. Je les ai toutefois admises en preuve, car il s’agit de renseignements pertinents. Aux termes de l’alinéa 50(3)c) de la Loi, le membre instructeur bénéficie d’un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d’admettre tout élément de preuve ou renseignement pertinent qu’il estime opportun.

[384]  Ces notes de Manuvie confirment le témoignage du plaignant selon lequel Manuvie a rejeté sa demande de PIH et son appel pour cause de retard. Il y a aussi une information selon laquelle une personne du nom de « Tom » a dit à Manuvie de rejeter la demande, mais aucune raison n’a été invoquée.

Le plaignant a-t-il établi l’exigence d’une preuve prima facie de représailles de la part de M. Tom W?

[385]  Je juge que les plaintes relatives aux droits de la personne qui se rapportent à cette allégation sont la plainte réglée et la plainte de 2009.

[386]  M. Tom W n’a pas témoigné, et personne de Manuvie non plus. La preuve se compose du témoignage du plaignant, de sa demande et de ses lettres d’appel, du refus de PIH de Manuvie, du rejet de l’appel du refus de PIH, de même que des notes de Manuvie.

[387]  La note du 10 juin 2010 du plaignant, selon laquelle il avait téléphoné une fois de plus à Sheryl la veille et avait demandé une lettre de refus pour qu’il puisse présenter une demande de prestations d’assurance-chômage, établit qu’il savait, le 9 ou le 10 juin 2010, que Manuvie rejetterait sa demande. Je constate qu’il n’existe aucune preuve quant à la manière dont il l’a su.

[388]  Le plaignant a déclaré que quand Sheryl l’avait rappelé le 10 juin, elle avait dit qu’elle ferait en sorte que M. Tom W l’appelle, et ce dernier l’avait fait le même jour. C’est Tom W qui avait dit au plaignant de présenter sa demande à Manuvie et qu’une fois que cela serait fait, on serait en mesure de lui dire s’il y avait droit. Les notes manuscrites du plaignant l’ont confirmé. Je constate également que la quasi-totalité de sa lettre d’accompagnement du 10 juin 2010 énonce les motifs pour lesquels la demande a été produite en retard. Pour toutes ces raisons, je conclus que le plaignant savait que sa demande était tardive.

[389]  J’estime également que, comme il a été indiqué plus tôt, il y a des lacunes dans la preuve au sujet de cette allégation. Ces lacunes laissent certaines questions sans réponse, des questions qui, selon moi, sont pertinentes pour savoir si le plaignant a raisonnablement perçu que les actes de M. Tom W constituaient un geste de représailles. Le plaignant savait qu’à compter du 1er mai 2010 il serait en congé de maladie. Avant cela, en février 2010, il avait demandé si Manuvie le couvrirait pendant qu’il était en congé de maladie, soit la même situation que celle survenue le 1er mai 2010. Il n’y avait aucune preuve de ce qu’était un compte « ASO » et de l’effet de ce dernier sur les droits et les obligations entre Manuvie, l’intimé et le plaignant à titre de demandeur de PIH, ni aucune preuve de ce qui figurait précisément dans la police d’assurance collective de Manuvie.

[390]  Je conclus qu’il n’y a pas assez de preuves pour déterminer s’il était raisonnable que le plaignant perçoive que M. Tom W avait exercé des représailles contre lui en donnant instruction à Manuvie de rejeter sa demande de PIH et de rejeter l’appel relatif à cette décision. En conséquence, le plaignant n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie, et le Tribunal rejette les deux allégations de représailles à l’encontre de M. Tom W.

(xiii)  Mme Kari Giddings

[391]  Le plaignant a allégué que Mme Giddings a exercé des représailles contre lui de la manière suivante :

  1. en ne traitant pas sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille par l’entremise des SST;
  2. en mettant fin à la demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille;
  3. en n’approuvant pas sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille.

[392]  En 2004 ou en 2005, le plaignant a présenté une demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille en raison de son père malade, et il l’a fait en s’adressant à la direction. Je conclus qu’il savait que les SST ne traitaient habituellement pas les demandes fondées sur la situation de famille. Mme Giddings a déclaré que, d’habitude, c’était les Relations avec les employés (RE) qui s’en occupaient. De plus, les SST lui avaient dit que la demande que le plaignant avait présentée en 2011 pour cause de situation de famille n’avait aucun fondement médical. Elle a confirmé auprès du plaignant, en mars 2011, que le processus était censé se dérouler par l’entremise des RE.

[393]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il n’était pas raisonnable que le plaignant perçoive que Mme Giddings avait exercé des représailles contre lui en l’obligeant à fournir des renseignements aux RE et à la direction, plutôt qu’aux SST, relativement à sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille datée du 10 mars 2011. Le plaignant n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie au sujet de cette allégation, et le Tribunal la rejette.

[394]  Le plaignant a exprimé l’avis et a déclaré que c’était Mme Giddings qui avait mis fin au processus de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Il croyait qu’il y avait un [traduction] « document quelque part » dans lequel elle disait qu’étant donné que le plaignant était de retour au travail le 7 novembre 2011 à un poste qui tenait compte de ses besoins, le processus d’accommodement prenait fin. Je constate qu’aucun document de cette nature n’a été produit en preuve.

[395]  J’estime qu’il ressort de la preuve que, le 22 novembre 2011, quand Mme Giddings a écrit de nouveau au plaignant pour lui demander des renseignements, les questions et la position de l’intimé n’avaient pas changé : l’intimé tentait d’obtenir du psychologue les mêmes renseignements qu’il avait demandés le 2 novembre 2011 dans le but d’évaluer les mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille.

[396]  Je juge donc qu’il ressort de la preuve qu’après le 7 novembre 2011, Mme Giddings a continué de tenter d’obtenir les renseignements que le directeur des RE et elle pensaient nécessaires pour que l’intimé puisse se prononcer sur les mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille.

[397]  Je constate que le plaignant n’a pas répondu aux demandes de renseignements supplémentaires du 2 novembre et du 22 novembre 2011 de Mme Giddings.

[398]  Le plaignant a déclaré que même s’il aurait aimé avoir les mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille, malgré l’affectation du 7 novembre 2011, il estimait que le processus ne pouvait pas aller plus loin parce que l’enfant adulte refusait de consentir à ce que le psychologue communique des renseignements le concernant et qu’il ne pouvait pas donner ce consentement au nom de l’enfant adulte.

[399]  Le plaignant savait, quand il a reçu le courriel du 22 novembre 2011 de Mme Giddings, que la position de l’intimé était qu’il avait encore besoin de la réponse du psychologue pour savoir si le fait que le plaignant et son épouse surveillaient l’enfant adulte ou prenaient soin de lui en tout temps était un besoin de nature thérapeutique ou médicale. Le plaignant a déclaré que l’enfant adulte ne consentait pas à ce que le psychologue fournisse des renseignements le concernant, et qu’il ne le forcerait pas à le faire. Il savait, autrement dit, qu’il n’avait pas répondu à toutes les questions de l’intimé.

[400]  Il ressort de la preuve qui précède que c’est le plaignant, et non Mme Giddings, qui a mis fin au processus de recherche de mesures d’accommodement possibles pour cause de situation de famille en ne fournissant pas d’autres renseignements après le 22 novembre 2011. De plus, je juge que l’intimé n’a pas pris de décision à savoir s’il y avait lieu d’accorder au plaignant des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Mme Giddings a tenu la demande de mesures d’accommodement en suspens, en attendant de recevoir les renseignements dont elle avait besoin.

[401]  En conséquence, je conclus qu’il n’était pas justifié que le plaignant perçoive que Mme Giddings avait mis fin à la demande ou pris une décision au sujet de sa demande de mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille. Le plaignant n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie de représailles pour ces allégations.

[402]  La partie de la Décision qui conclut que la preuve n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie que le plaignant avait droit à des mesures d’accommodement fondées sur la situation de famille signifie que l’allégation énoncée au point (iii) qui précède est théorique.

[403]  Il ressort des conclusions et des constatations qui précèdent que la preuve ne permet de justifier aucune des allégations de représailles que le plaignant a formulées à l’encontre de Mme Giddings.

(xiv)  L’infirmière C des SST

[404]  Le plaignant a allégué que l’infirmière C des SST a exercé des représailles à son endroit en faisant part à ses gestionnaires de renseignements inexacts selon lesquels il n’avait aucune raison d’ordre médical pour s’absenter du travail. Je ne répéterai pas toutes les preuves susmentionnées qui, selon moi, montrent qu’au cours de la période du 30 avril 2010 au 6 novembre 2011, les SST, y compris le Dr C, étaient d’avis que le plaignant était apte à exercer un travail essentiel à la sécurité sans restrictions, sauf pour ce qui était de son dos, car les SST n’étaient pas d’avis que son anxiété constituait une déficience médicale.

Le plaignant a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie que l’infirmière C a exercé des représailles contre lui?

[405]  Le renseignement selon lequel le plaignant était apte à exercer son travail est celui que détenait l’infirmière C des SST, et qu’elle a transmis aux gestionnaires de l’intimé. Le plaignant n’était pas d’avis que ce renseignement était exact ou complet, mais il savait qu’il s’agissait de celui que les infirmières détenaient. Lors de la réunion de RT d’avril 2011, M. M a précisé au plaignant que la restriction médicale le concernant figurait dans le rapport d’aptitude au travail des SST du 16 juillet 2010, et cela n’incluait pas l’anxiété. M. M a réitéré ce renseignement dans les lettres qu’il a envoyées au plaignant.

[406]  De plus, le plaignant savait que les SST avaient leurs propres médecins qui décidaient en fin de compte des restrictions, et que les infirmières des SST, dont l’infirmière C, ne recevaient pas d’instructions des médecins des employés, mais plutôt des médecins des SST. Dans le cas du plaignant, l’infirmière C des SST a reçu ses instructions du Dr C.

[407]  Pour les motifs qui précèdent, j’estime qu’il n’était pas justifié que le plaignant perçoive que l’infirmière C des SST avait envoyé à son lieu de travail des renseignements médicaux inexacts à son sujet. Le plaignant n’a donc pas établi l’existence d’une preuve prima facie au sujet de cette allégation de représailles. Je conclus que la preuve ne permet pas de juger fondée l’allégation que l’infirmière C des SST a exercé des représailles contre lui. Le Tribunal rejette cette allégation.

[408]  Enfin, je souhaite faire remarquer qu’une personne qui a le sentiment d’avoir été victime de discrimination et qui dépose une plainte relative aux droits de la personne peut percevoir que tous les actes ultérieurs qui ont sur elle un effet négatif constituent des représailles consécutives au dépôt de sa plainte. Mais il n’est pas nécessairement vrai que tout effet préjudiciable consécutif au dépôt d’une plainte constitue des représailles. Il a été évident pendant toute l’audience que le plaignant ne faisait pas confiance à son employeur et qu’il percevait que de nombreux gestes constituaient des représailles consécutives au fait qu’il avait déposé des plaintes relatives aux droits de la personne. Cependant, cela ne suffit pas à établir une conclusion de représailles. Comme l’a indiqué la Cour fédérale dans la décision Tabor, la perception du plaignant que des représailles ont été exercées doit être raisonnable (Tabor CF, précitée, au par. 64). Dans la plainte dont il est question en l’espèce, il n’y a pas eu de représailles.

XIII.  LA CONCLUSION AU SUJET DE LA RESPONSABILITÉ

[409]  La plainte de discrimination pour cause de déficience du plaignant a été jugée fondée. Le plaignant souffre d’une déficience au sens de la Loi, et l’intimé a omis de le reconnaître et de prendre à son endroit des mesures d’accommodement.

[410]  Cependant, le plaignant n’a pas fourni les renseignements nécessaires pour que soit jugée fondée sa plainte de discrimination pour cause de situation de famille. Le Tribunal rejette cette partie-là de la plainte.

[411]  Enfin, le plaignant a déposé de nombreuses plaintes de représailles, dont aucune n’a été jugée fondée. Le Tribunal les a rejetées.

XIV.  LA RÉPARATION

[412]  La réparation que prévoit la Loi est accordée en vertu du paragraphe 53(2). Je vais maintenant déterminer à quelle réparation le plaignant a droit, le cas échéant, sur la base de la conclusion que la plainte de discrimination pour cause de déficience a été jugée fondée.

N.  L’indemnisation de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire (alinéa 53(2)c))

[413]  Le plaignant et la Commission soutiennent que l’intimé a été la cause des pertes de salaire que le plaignant a subies entre le 1er mai 2010 et le 6 novembre 2011.

[414]  J’estime que, conformément à l’alinéa 53(2)c) de la Loi, le plaignant a droit à une indemnité pour le salaire dont il a été privé au cours de la période pendant laquelle il a été sans travail en raison de l’acte discriminatoire de l’intimé. Au vu des éléments de preuve présentés, je constate que le plaignant a été sans travail depuis le 1er mai 2010, juste après que les SST de l’intimé ont levé les restrictions de travail, jusqu’au 6 novembre 2011, quand il a obtenu un poste du niveau de son ancienneté (avec l’aide de M. M, de l’intimé), qui a débuté le 7 novembre 2011. Il s’agit d’une période de dix-huit (18) mois.

[415]  Le plaignant n’a pas pu limiter ses dommages en travaillant pour une autre entreprise. Tant le témoignage du plaignant que celui de Mme Giddings ont confirmé que si l’intimé découvrait qu’un employé a travaillé pour un autre employeur pendant qu’il était en congé de maladie, cet employé ferait l’objet d’une enquête et s’exposerait au risque bien réel d’être congédié. Il serait déraisonnable de s’attendre à ce que le plaignant prenne un tel risque. Je conclus donc que la limitation des dommages n’entre pas en jeu dans le calcul de la perte de salaire.

[416]  Le plaignant a déclaré avoir travaillé à temps plein en 2009, même s’il a été en congé de maladie pendant deux mois en raison de problèmes aux pieds. Il n’y a aucune preuve qu’il a été rémunéré ou qu’il a reçu d’indemnité au cours de ces deux mois. Le plaignant n’a travaillé qu’une partie des années 2010 et 2011 et, cela étant, le revenu annuel qu’indiquent les formulaires T4 n’est pas représentatif. J’estime que même si, en 2014, le plaignant a travaillé toute l’année, il est déraisonnable de se servir du revenu d’emploi de cette année-là comme base de calcul, car l’année 2014 est trop éloignée de la période du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011 qui s’applique à la présente plainte.

[417]  Je juge que la source d’information la plus fiable dont on dispose pour calculer la perte de salaire du plaignant est son formulaire T4 de 2009. Ce dernier indique qu’il a touché un revenu d’emploi de 49 553,12 $. Il a été en arrêt de travail pendant dix-huit mois, ce qui veut dire qu’il a droit à une période additionnelle de six mois de salaire. La moitié de 49 553,12 $ est 24 776,56 $. Si l’on totalise les deux montants, la perte de salaire s’élève à 74 329,68 $. Je suis consciente que l’ordonnance pour perte de salaire ne peut englober la totalité de la perte, mais, compte tenu de la preuve dont le Tribunal dispose, il s’agit là de la meilleure approximation. Je signale que le plaignant a touché des prestations d’assurance‑emploi en 2010. L’ordonnance d’indemnisation pour perte de salaire laisse aux parties le soin de déterminer la façon de traiter les articles 45 et 46 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[418]  Le montant total de l’indemnité pour perte de salaire est de 74 329,68 $, sous réserve de la Loi sur l’assurance-emploi. Le plaignant a également droit, le cas échéant, à une majoration pour tenir compte des conséquences fiscales négatives résultant du paiement, par l’intimé, d’une indemnité pour perte de salaire (Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, 2003 TCDP 2, au par. 126). Le plaignant a également droit à l’indemnité de vacances à laquelle il aurait eu droit pour la période du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011, sur la base de l’indemnité susmentionnée, et ce calcul sera laissé au soin des parties. Le plaignant a en outre droit à tous les avantages sociaux qu’il aurait reçus pour la période du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011, sur la base de l’indemnité susmentionnée, et les calculs seront également laissés aux soins des parties, sauf pour ce qui est de sa pension du CFCP, dont il est question ci-dessous.

O.  La pension (al. 53(2)b))

[419]  Le plaignant demande par ailleurs que l’intimé lui crédite la période de service ouvrant droit à pension et les cotisations de retraite applicables à la période du 1er mai 2010 au 6 novembre 2011. Je juge que, conformément à l’alinéa 53(2)b) de la Loi, la perte du service ouvrant droit à pension et des cotisations de retraite est un droit, une chance ou un avantage dont l’acte discriminatoire de l’intimé a privé le plaignant.

[420]  La preuve du plaignant sur la pension de retraite des employés du CFCP était mince. M. W a témoigné brièvement et de façon générale de la manière dont le CFCP calcule le droit à pension d’un employé, mais il n’y a aucune preuve au sujet de la manière de calculer la perte des droits à pension du plaignant ou, inversement, de ce qui est était requis pour rétablir sa pension. M. W a déclaré que les facteurs qui suivent font partie du calcul : le plus élevé des chiffres suivants : (i) les gains les plus élevés de l’employé sur une période de cinq ans ou ses gains au cours des soixante derniers mois d’emploi; (ii) les années de service; (iii) l’âge. Je constate que la preuve du plaignant n’établit pas de quelle façon sa perte de droits à pension a été calculée, ou quelles auraient été ses propres cotisations et celles de l’intimé au cours de la période d’arrêt de travail.

[421]  Compte tenu des lacunes dans les informations dont je dispose, je laisserai aux parties le soin de faire les calculs et de fixer les montants applicables. Toutefois, advenant que les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les montants, le Tribunal continuera d’avoir compétence, mais il ordonne aux parties de lui faire part de tout problème de mise en œuvre dans les quatre (4) mois qui suivent la date de la présente Décision si elles souhaitent bénéficier de son assistance.

P.  Le préjudice moral (al. 53(2)e))

[422]  La victime d’un acte discriminatoire peut obtenir en dédommagement un montant maximal de 20 000 $ pour tout préjudice moral causé par les actes d’un intimé.

[423]  Le plaignant a déclaré qu’il n’avait pas vu venir la levée des restrictions de travail du 30 avril 2010 et qu’il s’est senti pris de court. Il croyait que si l’intimé avait besoin de plus de renseignements pour confirmer sa déficience d’ordre médical, ces renseignements auraient dû être obtenus du psychologue qui le traitait. Il savait que les SST ne l’avaient pas fait au moment de la levée de ses restrictions.

[424]  Le plaignant a déclaré que la levée des restrictions et le fait de ne pas travailler ont causé un stress considérable, qui s’est répercuté non seulement sur son propre état de santé mentale et physique, mais aussi sur son épouse et sa famille. Quand il a témoigné à ce sujet, il était ému et avait la voix brisée.

[425]  Le plaignant a déclaré que depuis que l’intimé avait levé les restrictions, il avait perdu tout intérêt pour des activités telles que la natation et le bénévolat. Il a expliqué qu’il avait passé des jours et des nuits très sombres, mais qu’il avait essayé le plus possible de garder cela pour lui. Il avait le sentiment de ne pas avoir exprimé à ses médecins l’ampleur de ce qu’il ressentait.

[426]  Je juge que même si le plaignant a déclaré ne pas avoir exprimé à ses médecins la pleine mesure de ce qu’il ressentait, un grand nombre des rapports du MG, du psychologue et le rapport du 12 janvier 2011 du Dr OK traitaient des effets de l’arrêt de travail sur l’état d’anxiété et l’humeur du plaignant.

[427]  Le MG a également témoigné au sujet du stress qu’avait causé au plaignant le fait d’être en arrêt de travail pour une longue période. Il a dit considérer que cela avait eu une incidence sur la structure de la famille ainsi que sur son estime de lui. Il a exprimé l’avis que si le plaignant pouvait continuer de travailler, il contribuerait à la population active et son estime personnelle s’améliorerait.

[428]  L’épouse du plaignant a également témoigné au sujet du changement de comportement de ce dernier après la levée des restrictions de travail. Elle a expliqué que le plaignant dormait mal et que son comportement était différent, nettement moins décontracté.

[429]  J’estime que le fait que le plaignant n’a pas travaillé pendant une période d’un an et demi, que l’exacerbation de son anxiété, que la colère et le sentiment d’impuissance qu’il ressentait, ainsi que l’effet négatif sur son estime personnelle et sa dignité pendant ce temps ont été des conséquences directes et sérieuses de la discrimination que l’intimé a exercée. Cependant, je conclus que la preuve n’a pas établi l’existence d’un préjudice moral d’une ampleur qui dicte une indemnité d’un montant élevé. Je conclus que le plaignant a droit à une indemnité de 12 000 $ de la part de l’intimé pour le préjudice moral subi.

Q.  L’indemnité spéciale (par. 53(3))

[430]  Dans certaines circonstances, le Tribunal peut ordonner à un intimé de payer une indemnité à la victime s’il est jugé que celui-ci s’est livré à l’acte discriminatoire de manière délibérée ou inconsidérée.

[431]  Il a été conclu dans la décision Johnstone CF, précitée, que, pour conclure qu’un acte discriminatoire était délibéré, il doit y avoir un élément d’intention (au par. 155). À mon avis, en dépit du fait que l’intimé traite les demandes d’accommodement séparément et qu’il pourrait y avoir de meilleures communications entre les SST et les RE, on ne peut pas dire qu’il a agi de manière délibérée ou inconsidérée. En fait, le plaignant lui-même a, à un moment donné, demandé à ce qu’on donne suite uniquement à la demande relative à la déficience et, selon ses propres observations, s’il avait eu gain de cause pour ce motif, il n’aurait pas donné suite à la demande fondée sur la situation de famille en raison de questions de protection de la vie privée. De plus, j’ai eu l’impression que le Dr C, dont j’ai eu l’occasion d’évaluer le témoignage, était véritablement d’avis, du point de vue médical, que l’anxiété du plaignant n’était pas une déficience au sens de la Loi. Le fait que le Tribunal arrive à une conclusion différente au vu de la preuve n’est pas la question. Il s’agissait de l’opinion professionnelle du Dr C et je l’ai évaluée telle qu’elle a été présentée, de manière sincère et honnête.

[432]  Dans la décision Johnstone CF, précitée, il a été conclu qu’« [o]n entend par “acte inconsidéré” celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante » (au par. 155). La Commission a fait valoir que le fait que le Dr C n’ait pas parlé avec le plaignant ou ne l’ait pas rencontré en personne était un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré. J’estime que la façon dont le Dr C a traité le dossier du plaignant était sa manière habituelle de traiter les dossiers d’employés – il ne s’agissait pas de cibler le plaignant, pas plus qu’il ne s’agissait d’une manière d’agir gratuite ou insouciante. Je juge que l’absence de contact du Dr C avec le plaignant, même s’il en est tenu compte dans l’évaluation de l’importance à accorder à son opinion, ne constituait pas un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré.

[433]  La preuve n’a pas permis d’établir que l’intimé avait commis un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré à l’encontre du plaignant pour cause de déficience. Le Tribunal rejette cette allégation.

R.  Les intérêts

[434]  Conformément au paragraphe 53(4) de la Loi et au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal, le plaignant a droit à des intérêts sur l’indemnité ordonnée, entre le 1er mai 2010 et la date de la présente Décision. Il s’agirait d’un intérêt simple calculé sur une base annuelle, à un taux équivalant à celui de la Banque du Canada (séries mensuelles), fixé par la Banque du Canada.

S.  Les réparations demandées par la Commission

[435]  La Commission a sollicité, conformément à l’alinéa 53(2)a) de la Loi, des ordonnances prescrivant à l’intimé de mettre fin à l’acte discriminatoire et de prendre, en consultation avec la Commission, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables. Elle a également sollicité des ordonnances pour que le CFCP examine et revoie ses politiques et ses procédures d’accommodement en milieu de travail de façon à prévoir des horaires plus souples, conformément aux recommandations de la Commission, et ce, dans l’année suivant la date de la décision du Tribunal; que le CFCP crée à l’intention de tous ses gestionnaires un programme de formation sur les mesures d’accommodement en milieu de travail, en mettant l’accent sur les déficiences en santé mentale et sur les obligations familiales, et qu’il le soumette à l’approbation de la Commission, dans les deux années suivant la date de la décision du Tribunal; et que le Tribunal continue d’avoir compétence jusqu’à ce que les parties confirment que les mesures de redressement susmentionnées ont été mises en œuvre, advenant un désaccord entre les parties quant à l’interprétation ou à la mise en œuvre de la réparation qui précède.

[436]  J’ai passé en revue les politiques de l’intimé qui ont été produites en preuve. Je juge que le CFCP dispose déjà de politiques et de procédures concernant les demandes de mesures d’accommodement fondées sur la santé mentale ainsi que sur la situation de famille. J’estime également que les questions qui ont été soulevées dans la présente plainte n’étaient pas attribuables à un manque de politiques et de procédures permettant aux employés de solliciter des mesures d’accommodement pour des motifs relatifs aux droits de la personne, ni à des problèmes que présentaient ces politiques, non plus qu’à des politiques d’horaires de travail. C’était plutôt l’avis médical d’un médecin des Services de santé au travail de l’intimé qui résidait au cœur de la présente plainte. J’ai eu l’impression, d’après les gestionnaires du CFCP qui ont témoigné, qu’ils étaient au courant des droits de leurs employés à des mesures d’accommodement fondées sur la déficience et la situation de famille et, ajouterais-je, soucieux de la protection de la vie privée. Comme il a été mentionné plus tôt, le CFCP pourrait envisager d’améliorer les communications entre la direction et les SST, mais ces observations n’ont pas d’incidence sur la responsabilité. Pour ce qui est de la souplesse des horaires de travail, le nœud de cette question ramène encore à l’obligation d’obtenir l’autorisation préalable des SST quant à l’aptitude au travail et, en tout état de cause, il n’y avait tout simplement pas assez de preuves, sur le plan de l’incidence ou de la faisabilité, pour ordonner la création d’un nouveau système de programmation d’horaires. Le Tribunal rejette les mesures de redressement que demandait la Commission.

XV.  L’ORDONNANCE

T.  La confidentialité

[437]  Conformément à l’alinéa 52(1)c) de la Loi, le dossier du Tribunal demeurera confidentiel, sous réserve des exceptions signalées au paragraphe 26 de la présente.

U.  Les réparations

[438]  L’intimé est tenu :

  1. de payer au plaignant la somme de 74 329,68 $, qui représente une indemnité pour perte de salaire, plus une majoration pour toute conséquence fiscale négative résultant du paiement. Il incombera aux parties de se conformer aux articles 45 et 46 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23;
  2. de payer au plaignant la somme de 12 000,00 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral;
  3. de payer au plaignant des intérêts sur le montant total de l’indemnité prescrite dans les motifs de la présente Décision;
  4. de créditer au plaignant la même durée de service ouvrant droit à pension et le même montant de cotisations de retraite que ceux auxquels il aurait eu droit s’il avait travaillé entre le 1er mai 2010 et le 6 novembre 2011. L’intimé cotisera également, le cas échéant, le montant qu’il aurait cotisé pour le compte du plaignant à son régime de retraite, si le plaignant avait travaillé au cours de cette période.

[439]  Le Tribunal demeurera saisi de l’affaire pour régler tout problème de mise en œuvre. Il ordonne toutefois de faire état de tout problème de mise en œuvre dans les quatre (4) mois qui suivent la date de la présente ordonnance.

Signée par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 15 mai 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1897/12712

Intitulé de la cause : M. X c. Chemin de fer Canadien Pacifique

Date de la décision du tribunal : Le 15 mai 2018

Date et lieu de l’audience : Du 8 au 17 juin 2015

Comparutions :

M. X, pour son propre compte

John Unrau , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Meghan McCreary, pour l'intimé

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