Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 23

Date : le 29 mai 2019

Numéros des dossiers : T1726/8111 et T1769/12411

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Chris Hughes

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision

Membre instructeur : George E. Ulyatt

 



I. APERÇU

[1] Chris Hughes (le plaignant) a déposé deux plaintes. La première visait l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et sa prédécesseure, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC). Il l’a déposée le 19 janvier 2005, alléguant une discrimination fondée sur l’âge dans un contexte d’emploi, aux termes des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la Loi). La deuxième a été déposée le 19 décembre 2008 et visait uniquement l’ASFC. Il a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur l’âge et la déficience, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi. Comme les deux plaintes portaient sur les mêmes concours et les mêmes faits, le plaignant a demandé qu’elles soient entendues conjointement.

[2] La plainte du plaignant est fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi, qui énoncent ce qui suit :

Emploi

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  • a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

  • b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[3] L’article 10 de la Loi interdit l’établissement de pratiques ou de politiques d’embauche qui annihilent les chances d’emploi d’une catégorie d’individus. L’article 10 prévoit ce qui suit :

Lignes de conduite discriminatoires

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

  • a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

  • b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[4] Le plaignant soutient que l’intimée a fait preuve de discrimination à son égard lors d’une série de concours d’embauche d’inspecteurs des douanes et d’agents des services frontaliers au cours des périodes ci-après mentionnées. Il allègue qu’entre 2001 et 2006, il a été écarté d’un emploi de durée indéterminée au profit de candidats plus jeunes, principalement ceux âgés de moins de 35 ans, et qu’il a également été victime de discrimination en raison de sa déficience mentale et/ou de sa déficience perçue. Il allègue que l’ASFC a contrevenu à l’article 10 de la Loi, qui interdit les lignes de conduite discriminatoires si elles sont « fondé[es] sur un motif de distinction illicite et [...] susceptible[s] d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus », et à l’article 7, aux termes duquel constitue un acte discriminatoire le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi.

II. QUESTIONS EN LITIGE ET CADRE JURIDIQUE

[5] Il y avait deux questions à trancher dans les allégations du plaignant :

  • a) L’intimée a-t-elle commis, à l’égard du plaignant, un acte discriminatoire fondé sur une déficience réelle ou perçue?

  • b) L’intimée a-t-elle commis, à l’égard du plaignant, un acte discriminatoire fondé sur l’âge?

[6] Les parties ont convenu qu’en cas de réponse affirmative à ces questions, l’affaire sera renvoyée pour une audience sur les mesures de réparation.

[7] Il ne fait aucun doute que l’âge et la déficience sont tous deux des motifs de distinction illicites aux termes de l’article 3 de la Loi.

[8] Il est reconnu en droit que, dans le cas d’une allégation de discrimination, c’est au plaignant qu’il incombe initialement d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, à la page 558). Comme il est expliqué dans l’affaire Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, au paragraphe 12, ce critère comporte trois volets :

Pour établir une preuve prima facie de discrimination dans le contexte de la LCDP, les plaignants doivent montrer : (1) qu’ils possèdent une caractéristique que la LCDP protège contre la discrimination; (2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable du fait d’une situation visée par les articles 5 à 14.1 de la LCDP; et (3) que la ou les caractéristiques protégées ont joué un rôle dans l’effet préjudiciable (voir Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33; Siddoo c. SIDM, section locale 502, 2015 TCDP 21, paragraphe 28). Les trois éléments de la discrimination doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation)Bombardier »), 2015 CSC 39, aux paragraphes 55 à 69).

[9] En outre, « il n’est pas nécessaire que le motif de distinction illicite soit l’unique mobile des agissements reprochés pour que la plainte soit accueillie. Il suffit que le motif de distinction illicite soit l’un des facteurs ayant contribué aux agissements reprochés » (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au paragraphe 25, voir aussi Holden c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, (1991) 14 CHRR D/12 (CAF), au paragraphe 7; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII), aux paragraphes 44 à 52 [Bombardier]).

[10] Il est également admis que de « subtiles odeurs de discrimination » suffisent pour déterminer qu’il y a eu discrimination. Cette citation est souvent utilisée devant les cours et tribunaux, et le Tribunal en est conscient. Toutefois, le plaignant doit expliquer suffisamment la nature et l’étendue du problème pour permettre à l’intimée d’aborder et de tenter de résoudre la question de l’accommodement. (Voir le mémoire de l’intimée à la page 13, Central Okanagan School District No 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970).

[11] Il est clair que la loi est telle que le plaignant n’a pas à prouver l’intention de l’intimée de faire preuve de discrimination afin d’établir une preuve prima facie (O’Malley, précité, au paragraphe 14).

[12] Si le plaignant s’acquitte de son fardeau, l’intimée peut soit tenter de réfuter les allégations de discrimination prima facie, soit établir, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée (Bombardier, aux paragraphes 35 à 37, 55 et 56). Selon un principe élémentaire de droit, la réfutation ne peut être fondée sur un simple prétexte.

III. INSTANCE DEVANT LE TRIBUNAL

[13] Il s’agit d’une affaire très inhabituelle. Une plainte a été déposée le 7 juillet 2009 et une deuxième le 19 décembre 2011. Ces deux plaintes ont été renvoyées conjointement au Tribunal par la Commission, puisque le plaignant avait demandé que les plaintes soient entendues ensemble. L’audience a débuté le 23 juin 2015 et a été ajournée en raison de la production tardive de la preuve médicale par le plaignant. L’audience a repris le 4 avril 2016, presque un an plus tard.

[14] Depuis que cette affaire a été renvoyée au Tribunal en juin 2012, les deux parties ont déposé des requêtes en divulgation, des requêtes en caviardage de documents et une jurisprudence abondante. La Commission a décidé de ne pas participer à cette affaire.

[15] Lorsque la preuve de l’intimée fut close, le plaignant a déposé une requête en vue de présenter une contre‑preuve à l’égard des nouveaux éléments de preuve qui, selon lui, n’auraient pu être prévus. Finalement, le plaignant a été autorisé à présenter une contre-preuve limitée.

[16] Le plaignant a déposé ses observations écrites finales le 4 juillet 2017, et l’intimée a déposé ses observations le 21 septembre 2017.

[17] Le Tribunal a été étonné que, dans les observations écrites du plaignant, il ne soit pas fait mention de la question de sa déficience d’ordre médical alléguée ni de la preuve médicale présentée à l’audience.

[18] Dans ses observations, l’intimée a abordé la question de la déficience, de la déficience alléguée, de la preuve médicale ainsi que de la discrimination fondée sur l’âge.

[19] En outre, le 5 octobre 2017, le plaignant a déposé des observations en réplique dans lesquelles il a exposé son diagnostic, sa maladie et les rapports de médecins à l’appui.

[20] Ce qui était préoccupant, c’est que le plaignant, dans ses observations en réplique, affirmait que l’intimée n’avait jamais, avant la présentation de ses observations écrites, contesté le fait que le plaignant avait une déficience.

[21] Ce n’est tout simplement pas vrai.

[22] Une brève analyse doit être effectuée.

  • a) Au paragraphe 82 de l’exposé des précisions de l’intimée, celle-ci nie précisément l’existence d’une déficience.

  • b) La question de la déficience a été soulevée au cours des premiers jours de l’audience. À l’époque, le plaignant présentait en preuve des rapports médicaux pour aborder cette question.

  • c) Le 24 mars 2016, le plaignant a déposé une requête en vue d’obtenir :

  1. une ordonnance déclarant qu’il était interdit à l’intimée, l’Agence des services frontaliers du Canada, de s’opposer au fait que le plaignant avait une déficience;

  2. une ordonnance déclarant que l’Agence des services frontaliers du Canada avait de fait accepté que M. Hughes souffrait d’une déficience;

  3. que, à la lumière des points 1 et 2 qui précèdent, M. Hughes n’ait besoin de fournir une preuve concernant sa déficience que sous la forme de son propre témoignage ainsi que des renseignements médicaux qui lui ont été fournis par ses médecins;

  4. toute autre mesure de redressement demandée par l’avocat et que le Tribunal peut autoriser.

[23] Le 4 avril 2016, le Tribunal a rendu une décision de vive voix qui rejetait la requête du plaignant, et il a déclaré ce qui suit à la page 314 de la transcription :

[traduction]

Le Tribunal a été avisé par les avocats de l’intimée et du plaignant que tous les éléments de preuve médicale avaient été fournis par le plaignant en septembre 2015, soit il y a environ six mois.

L’intimée ne s’est pas opposée à la production de ces (inaudible) après ce stade, et les auteurs de ces rapports n’ont présenté aucune demande.

À la clôture de l’audience en juin 2015, il y a eu un (inaudible) entre Me Yazbeck et Me Stark, et Me Yazbeck a demandé si l’intimée s’opposait à la déficience de M. Hughes, son client, ou si elle la niait.

Par la suite, Me Yazbeck a donné suite aux lettres de Me Stark par des lettres datées du 30 juin 2015, une deuxième datée de juin 2015 et une autre datée du 8 février 2016, qui se trouvent dans le mémoire du plaignant daté du 24 mars 2016, à la pièce D.

Me Stark a répondu à cette correspondance par une lettre datée du 22 février 2016, dans laquelle il a déclaré : [traduction] « Je vous remercie pour votre lettre datée du 8 février 2016, dans laquelle vous avez demandé si l’intimée contestait la déficience de M. Hughes. L’examen de cette demande est un peu inhabituel, puisqu’il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination, dont l’un des éléments essentiels est d’établir qu’il souffrait d’une déficience pendant toute la période en cause. Si la raison de votre demande est de savoir si l’intimée est prête à faire un aveu à cet égard, alors nous pouvons vous aviser que la réponse est négative. »

Par suite de la correspondance et de l’historique de la plainte, le Tribunal a ordonné que, s’il y avait d’autres objections, les requêtes soient déposées au plus tard le 24 mars 2016.

Le plaignant a présenté une requête à cette date, dans laquelle il demandait les redressements suivants :

Premièrement, une ordonnance déclarant qu’il est interdit à l’intimée, l’Agence des services frontaliers du Canada, de s’opposer au fait que le plaignant a une déficience.

Deuxièmement, une ordonnance déclarant que l’Agence des services frontaliers du Canada a de fait accepté que M. Hughes souffre d’une déficience.

Troisièmement, qu’à la lumière des deux points qui précèdent, M. Hughes n’ait besoin de fournir une preuve concernant sa déficience que sous la forme de son propre témoignage ainsi que des renseignements médicaux qui lui ont été fournis par ses médecins.

En conséquence, deux questions ont été soulevées à la page 205 des documents du plaignant : est-il interdit à l’intimée de s’opposer au fait que M. Hughes souffre d’une déficience? Et est-il nécessaire que des médecins (transcription phonétique) témoignent de la nature de la déficience de M. Hughes?

L’intimée et le plaignant ne s’entendent pas sur ce qui a été convenu et ce qui n’a pas été convenu au cours de l’instance.

Je crois qu’il est important d’examiner le fait que le fondement de l’autorité du Tribunal réside dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, et je renvoie les parties au paragraphe 48.1(1) : « Est constitué le Tribunal canadien des droits de la personne composé, sous réserve du paragraphe (6), d’au plus quinze membres, dont le président et le vice-président, nommés par le gouverneur en conseil. »

Puis au paragraphe 48(9) : « Règles de preuve : L’enquêteur n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques de présentation de la preuve. Il peut recevoir les éléments qu’il juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux ses conclusions. »

Finalement à l’alinéa 50(3)c) : « de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire ».

En fait, dans son mémoire en réponse et dans le cadre de son argumentation, l’intimée a cité l’affaire Richard Carpenter, 2015 TCDP 8. Il s’agit d’une décision d’une membre du Tribunal, Olga Luftig, et je renvoie à des parties de cette décision, au paragraphe [33] : « Le paragraphe 48.1(1) de la Loi (voir ci-dessus) établit le Tribunal. Par conséquent, le Tribunal est ce que l’on appelle une “création du législateur”. Il n’a que les pouvoirs que la Loi lui confère, soit explicitement, soit par déduction nécessaire reconnue dans la jurisprudence. Le Tribunal n’est pas une autorité judiciaire. C’est plutôt un organisme quasi judiciaire, c’est-à-dire un organisme administratif qui fonctionne plus ou moins comme une cour de justice. »

Paragraphe [34] : « Il y a d’autres différences notables entre une cour de justice et le Tribunal, en raison du fait que le Tribunal est une création du législateur, qui conduit une instruction imposée par la loi. Les différences à noter sont les suivantes : La Loi ne fait pas d’une plainte une cause d’action fondée sur la common law (arrêt Chopra c. Canada, 2007 CAF 268, au paragraphe 36). »

« Une instruction aux termes de la Loi n’est pas une action régie par les Règles des Cours fédérales, en particulier par l’article 169 des Règles des CF, et il ne s’agit pas non plus d’une “instance” selon l’article 1.1 des Règles des CF. En bref, une plainte n’est pas la même chose qu’une action en justice. »

« L’alinéa 50(3)c) dispose que, au cours d’une audience du Tribunal, le membre instructeur a le pouvoir “de recevoir” des éléments de preuve ou des renseignements par tout moyen qu’il estime indiqué, “indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire”, sous réserve uniquement des éléments qui sont confidentiels et de l’interdiction pour un conciliateur de témoigner. »

[35] : « Par conséquent, les règles de preuve qui s’appliquent à une audience du Tribunal offrent une latitude beaucoup plus grande quant à la recevabilité de la preuve que ne le font les règles de preuve applicables dans une cour de justice. »

Paragraphe [36] : « L’intention du législateur en faisant du Tribunal un organisme administratif quasi judiciaire constitué par la Loi était d’offrir au public, pour l’instruction des plaintes en matière de droits de la personne, des procédures moins formelles et plus souples que celles des cours de justice (voir le paragraphe 48.9(1) de la Loi, précité.) »

Paragraphe [37] : « Par conséquent, on doit à la fois faire preuve de prudence et procéder aux ajustements nécessaires quand l’on compare la terminologie et les procédures des cours de justice et celles des tribunaux des droits de la personne et que l’on tente de les transposer d’un type de juridiction à l’autre. »

Dans la présente instance, le plaignant indique ce qui suit au paragraphe 17 de son mémoire sur la requête : [traduction] « Il ne fait aucun doute que le seuil pour présenter », excusez-moi, [traduction] « pour prouver une déficience n’est pas élevé. Dans Dumont, le Tribunal a reconnu que le plaignant avait été victime de discrimination en raison d’une déficience perçue, d’après le témoignage du plaignant et du fait que des certificats médicaux avaient été fournis à son employeur avant la cessation de l’emploi. Les circonstances de la présente affaire sont exactement les mêmes, et il n’y a aucune raison de s’écarter de la décision antérieure du Tribunal et de son autorité. »

Le plaignant citait Dumont c. Transport Jeannot Gagnon, 2002 CanLII 5662, aux paragraphes 45 à 47, qui se trouvait à l’onglet quatre.

J’avais également cité la décision Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines) 2006 TCDP 3.

Le Tribunal est conscient des précédents et de la position prise par le plaignant, ainsi que, dans les circonstances, de la position de Me Stark, qui affirme – à la page 4 de son mémoire, au paragraphe 11 (transcription phonétique) : [traduction] « Selon un principe élémentaire de droit, il incombe au plaignant d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la preuve incombe au plaignant qui doit prouver ses allégations. Une preuve prima facie, dans le contexte des droits de la personne, est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. »

De plus, au paragraphe 12, l’avocat de l’intimée indique que le redressement visant à obtenir une mesure déclaratoire est un recours extraordinaire.

Dans les circonstances actuelles, le Tribunal ne prendra pas de mesure déclaratoire (transcription phonétique) et le plaignant doit s’acquitter du fardeau d’établir une preuve prima facie.

La position de l’intimée n’aurait pas dû surprendre le plaignant à la lumière de la mention (transcription phonétique) faite par Me Stark en juin 2015 et de sa lettre de réponse de février 2016.

Le Tribunal convient de ne pas rendre une telle ordonnance, mais il est prêt à conclure – je suis désolé, mais il n’est pas prêt à conclure que la requête du plaignant ne constitue pas un abus de procédure.

Encore une fois, je ne fais que rappeler aux parties les pouvoirs conférés au Tribunal aux termes de l’alinéa 50 (transcription phonétique) (3)c), des règles de procédure et des règles du Tribunal, qui lui donnent une grande latitude quant à la façon dont il doit procéder.

Dans les circonstances actuelles, la preuve médicale doit être déposée en preuve. Les parties sont libres de faire valoir la pertinence, le poids de ces rapports et ce que le Tribunal devrait considérer comme pertinent à cet égard.

Dans les circonstances actuelles, l’intimée, si elle estime que les auteurs de ces rapports – dont certains sont en fait soumis au contrôle de l’intimée – peut demander que ces personnes soient appelées à témoigner. Une telle demande doit être présentée au Tribunal au plus tard le 5 avril à 16 h.

[24] Le plaignant connaissait certainement la position de l’intimée avant de présenter la requête et il savait certainement, après la décision du 4 avril 2016, que la question de la déficience était en jeu; laisser entendre le contraire est insoutenable.

[25] En ce qui concerne les arguments en réplique, le Tribunal, après avoir entendu les arguments, les a autorisés afin de s’assurer de connaître la position du plaignant.

[26] De nombreux arguments ont été présentés à l’audience concernant les irrégularités alléguées dans les processus de dotation en personnel. À cet égard, il est important de souligner que le Tribunal n’est pas un arbitre en droit du travail et qu’il ne traite pas des irrégularités dans un processus d’embauche, à moins qu’il y ait eu violation fondée sur un motif illicite (Folch c. Lignes aériennes canadien international, 1992 CanLII 7197 (TCDP). Le Tribunal doit prendre garde de ne pas tenter d’être un arbitre en droit du travail. Dans la décision Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd, 2015 TCDP 5, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[45] S’il n’y a pas de preuves qu’elles ont été influencées directement ou indirectement par un motif de distinction, il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer après coup les décisions d’affaires d’une entreprise, qu’il est sans doute facile de critiquer avec le recul [...] Ce faisant, le Tribunal se demandera si l’explication fournie à l’appui de la décision était raisonnable dans les circonstances, mais seulement dans la mesure nécessaire pour déterminer si cette explication ne constituait pas simplement un prétexte.

[27] Dans ce contexte, le Tribunal doit examiner la preuve qui lui a été fournie pour déterminer si l’ASFC a fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant fondée sur son âge, sa déficience ou les deux, au cours d’un ou de plusieurs des 11 concours. Pour ce faire, il commencera par examiner sommairement chaque concours auquel le plaignant s’est inscrit.

IV. LES FAITS

[28] À l’audience, le plaignant a déclaré dans son témoignage qu’en avril 2001, il avait vécu un [traduction] « stress dû à un incident critique » qui avait déclenché ses problèmes de santé mentale. Cela s’est produit pendant qu’il travaillait à l’ADRC. Dans son témoignage, le plaignant a indiqué avoir appris que son superviseur à l’ADRC lui avait rédigé deux recommandations, une recommandation favorable à ses candidatures au service des douanes, et une deuxième recommandation d’évaluation, qui comprenait une référence défavorable à son embauche à l’ADRC. Cet événement a amené le plaignant à prendre un congé de maladie d’environ 15 semaines, de juillet à septembre 2001. Il est finalement retourné au travail et a été désigné à un poste sous l’autorité de différents superviseurs, mais ce fut le début de nombreux autres démêlés avec la direction de l’ADRC.

[29] Le plaignant a d’abord été embauché à titre de fonctionnaire fédéral à l’ADRC en 1995. Le plaignant était un agent des douanes de groupe et niveau PM-02. Ce poste comportait de multiples facettes et exigeait qu’il interprète et applique la loi et qu’il traite avec des personnes qui accusaient des retards de paiement. Le plaignant tentait de négocier des paiements volontaires et, en cas d’échec, entamait alors des actions en justice, telles que des demandes de saisie-arrêt. Le plaignant a travaillé pour l’ADRC pendant six ans.

[30] Pendant qu’il travaillait pour l’ADRC, il a commencé à postuler à des postes d’inspecteur des douanes, qui étaient encore sous la responsabilité de l’ADRC à ce moment-là. Il a postulé pour la première fois en 2001. De 2002 à 2004, il a réussi à obtenir trois contrats saisonniers à l’ASFC. Toutefois, le plaignant n’a pas réussi à obtenir un emploi d’une durée indéterminée, même s’il avait reçu des commentaires favorables pendant ses contrats de durée déterminée.

[31] Au total, le plaignant a participé à 11 concours pour travailler comme inspecteur des douanes ou comme agent des services frontaliers, surtout dans la région de Victoria, il a passé plusieurs entrevues et a été inscrit dans certains répertoires de candidats préqualifiés. C’est dans ces répertoires de candidats préqualifiés, qui sont temporaires, que les gestionnaires sélectionnaient des candidats pour des postes de durée indéterminée. Cependant, le plaignant n’a pas été retenu. À d’autres occasions, le plaignant n’était pas admissible ou a été écarté au cours du processus d’entrevue ou avant.

[32] Les pratiques d’embauche de l’ASFC étaient alambiquées et semblaient comporter des exceptions aux règles habituelles. Les jurys de sélection, composés de deux ou trois personnes, étaient habituellement chargés d’embaucher des candidats en fonction de compétences déterminées.

[33] L’intimée a soutenu à l’audience que les pratiques d’embauche étaient uniformes et qu’elles suivaient généralement les étapes suivantes :

  • a) il y a une affiche sollicitant des candidatures;

  • b) après la clôture du concours, les candidatures sont examinées;

  • c) il y a une évaluation de chaque candidature;

  • d) il y a une présélection en vue d’une évaluation plus poussée, qui consiste habituellement en une entrevue ou en une réévaluation;

  • e) les candidats sont notés en fonction de diverses compétences;

  • f) une vérification des références est effectuée;

  • g) les gestionnaires recruteurs établissent une liste de candidatures ou un répertoire de candidats préqualifiés contenant le nom des candidats qualifiés;

  • h) à partir du répertoire de candidats préqualifiés, les gestionnaires recruteurs peuvent embaucher les candidats les plus aptes à occuper le poste.

[34] Les processus d’embauche n’étaient pas du tout simples, puisque les concours pouvaient souvent être limités géographiquement à des points d’entrée désignés. La preuve montre qu’un candidat à un poste à un point d’entrée ne serait habituellement pas un candidat à un poste à un autre point d’entrée. Cependant, ces règles n’étaient pas les seules. Certains candidats pouvaient être mutés à l’issue d’un concours antérieur. En outre, il y avait de nombreuses exceptions à la pratique habituelle de l’utilisation de répertoires. Les gestionnaires disposaient de la souplesse nécessaire pour : a) sélectionner certains employés dans un répertoire existant; b) affecter un employé existant à un poste occupé par intérim; c) réaffecter un employé existant ou recourir au recrutement d’étudiants ou d) embaucher un employé aux termes d’un contrat à court terme.

[35] La principale exception semble être l’utilisation d’un processus connu sous le nom de « présentation de candidats nommément désignés », par lequel une personne en particulier a été proposée à l’embauche sans concours. Ce processus n’était utilisé que rarement et habituellement pour un lieu précis.

[36] En ce qui concerne l’embauche d’étudiants, le surintendant Pringle a déclaré qu’entre le milieu des années 1990 et 2003, des étudiants étaient régulièrement embauchés. L’intimée a cessé cette pratique vers 2004 pour certaines raisons, par exemple, parce qu’il était plus efficace d’embaucher par voie de concours. Ainsi, dans le cadre de concours, certains candidats étaient présélectionnés en fonction de compétences précises et, s’ils étaient retenus, inscrits dans un répertoire de candidats. Idéalement, les candidats étaient sélectionnés au fur et à mesure que les postes devenaient vacants, et la pratique consistait à prendre d’abord les candidats des plus anciens répertoires, à condition que ceux-ci n’aient pas expiré.

[37] Je vais maintenant examiner les 11 concours auxquels le plaignant a participé afin de déterminer s’il a été victime de discrimination dans un ou plusieurs d’entre eux.

A. Les concours

(i) 2000-7015

[38] À la fin de 2000, l’ADRC a annoncé qu’elle embauchait pour des postes d’une durée indéterminée, par intérim et d’une durée déterminée dans les villes de Victoria, Sydney et Bednall Hollow. Les candidats étaient limités aux résidents de la région métropolitaine de Victoria jusqu’à Duncan. Le plaignant a été retenu et inscrit dans un répertoire de candidats qualifiés en mars 2001. Le plaignant a déclaré dans son témoignage qu’il était tenu d’apporter à l’entrevue un permis de conduire et un certificat de naissance. Il allègue que le permis de conduire a servi de preuve d’âge, ce qui constitue un indice de discrimination fondée sur l’âge.

[39] Le plaignant a déclaré que le répertoire 7015, dans lequel il a été présélectionné, ne durait que deux ans. Toutefois, la durée du répertoire a été prolongée d’un an, et il a été nommé à un poste de durée déterminée en avril 2002 pour l’été. Le poste d’inspecteur des douanes l’obligeait à travailler à des postes d’inspection primaire et secondaire. L’inspection primaire est le premier contact pour l’entrée dans le pays et l’inspection secondaire est un examen plus détaillé. Le plaignant a également suivi un cours de formation à l’intention des agents.

[40] En octobre 2003, le plaignant a été évalué positivement par son superviseur pour la période du 28 avril 2003 au 28 septembre 2003. Le seul commentaire du plaignant sur le formulaire d’information était : [traduction] « J’avais une fiche de présence parfaite ».

(ii) 2001-7009

[41] Il y a eu un concours en mars 2002 pour des postes intermédiaires, par intérim ou de durée déterminée, et il était ouvert aux personnes qui avaient déjà de l’expérience comme inspecteurs des douanes.

[42] Le plaignant n’était pas admissible au concours, car il n’avait pas l’expérience nécessaire pour présenter sa candidature à ce moment-là. En soi, cela ne pose pas problème. Il ne s’agit pas d’une allégation de discrimination, mais le plaignant conteste la position de l’intimée quant à ses pratiques d’embauche changeantes. Dans son témoignage, le plaignant a reconnu que, dans le cadre du concours 2001-7009, sur les cinq personnes qui avaient obtenu un poste permanent, deux avaient plus ou moins son âge, une était plus jeune de 3 ans et une avait 10 ans de plus.

(iii) 2002-7012

[43] Vers le mois de janvier 2003, un autre concours a été ouvert pour l’embauche dans un secteur limité. Le plaignant s’était préqualifié pour ce répertoire et il a été convoqué à une entrevue devant Katherine Pringle, Robert Farrell et Mark Northcott. Mme Pringle était la présidente du jury et a mené l’entrevue avec M. Northcott. Le plaignant répondait aux critères, a été inscrit dans un répertoire et a finalement été embauché.

(iv) 2003-1002

[44] Il s’agissait d’un concours qui avait débuté en juin 2003 pour des postes permanents, à durée déterminée et par intérim à l’aéroport du District régional du Grand Vancouver et il était ouvert aux inspecteurs des douanes expérimentés. Les candidats qui avaient déjà été convoqués à une entrevue pour un poste d’inspecteur des douanes en janvier 2002 n’étaient pas admissibles. Les compétences de base pour ce poste étaient la communication, le professionnalisme, le travail d’équipe, la capacité d’adaptation, l’initiative et le service. Les candidats retenus devaient suivre une formation sur le recours à la force à Rigaud, au Québec, où se trouve un centre de formation pour les inspecteurs de l’ASFC.

[45] La preuve a révélé que le plaignant avait été présélectionné pour la première entrevue. Le 21 avril 2004, il avait été convoqué à sa première entrevue devant un jury de sélection composé de deux personnes, Holly Freeround (Stoner) et Ron Tarnawski.

[46] Le plaignant a été retenu lors de la première entrevue et a été convoqué à la deuxième entrevue. Celle-ci a été menée par un jury de sélection composé de trois personnes : Ron Tarnawski, Bart Northcott et Karen Morin. À aucun moment avant ou pendant l’une de ces entrevues, le plaignant n’a demandé de mesures d’adaptation, n’a mentionné qu’il avait une déficience ou n’a révélé qu’il avait des problèmes d’ordre médical.

[47] Au cours de la première entrevue, le plaignant a demandé à Mme Stoner de lui apporter un verre d’eau et, en son absence, il a interrogé le président sur la pertinence des questions posées, car, selon M. Hughes, elles s’écartaient de la norme et Mme Stoner le rendait nerveux. Mme Stoner et M. Northcott ont tous deux déclaré dans leur témoignage qu’ils n’avaient aucune information indiquant que le plaignant avait une quelconque déficience. Malgré ce curieux comportement, M. Hughes a été convoqué à la deuxième entrevue, mais a échoué à celle-ci, car, selon M. Northcott, les réponses du plaignant concernant les situations difficiles, l’un des critères d’embauche, étaient insatisfaisantes, et le plaignant n’a pas démontré beaucoup de confiance en lui.

[48] Après la deuxième entrevue, lorsque le plaignant a été écarté du processus, Mme Rashid, M. Tarnawski et Colin Reid se sont rencontrés et ont proposé de tenir une rencontre avec le plaignant pour donner suite à l’entrevue, ce qui ne faisait pas partie du processus normal d’évaluation. Il y a également eu une conversation téléphonique entre Mme Rashid et Mme Kavelaars, une conseillère en personnel, sur la meilleure façon de procéder. Il y avait des disparités entre les motifs de cet appel téléphonique et ce qui s’est réellement dit.

[49] Le 25 août, le plaignant a été convié à une séance de rétroaction avec M. Tarnawski et Mme Stoner. La rencontre ne s’est pas bien déroulée. Il semble que le plaignant n’ait pas compris l’objet de la rencontre en ce sens où il croyait que sa candidature serait réexaminée. La rencontre s’est déroulée dans un climat de confrontation, le plaignant ayant préparé des formulaires que M. Tarnawski et Mme Stoner devaient signer pour admettre qu’ils avaient commis des erreurs dans le processus. Les deux parties se sont critiquées l’une et l’autre, et le plaignant a allégué que la rencontre n’était qu’une mise en scène organisée pour déguiser une pratique discriminatoire.

[50] Selon le témoignage de Mme Stoner, le plaignant s’est agité et a quitté la pièce en claquant la porte. Le plaignant n’a pas accepté cette version des événements, mais a admis avoir dit à la fin de la réunion : [traduction] « nous nous reverrons au tribunal ».

[51] Trois jours plus tard, le 28 août 2004, le plaignant a rencontré Mme Kavelaars pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du processus, car il voulait obtenir un règlement. En définitive, toutefois, il n’y a pas eu de règlement. Le plaignant était toujours au service de l’ASFC.

[52] Au cours de cette période, le plaignant a également pris part à une séance d’information à Victoria, où le surintendant principal Fairweather a parlé aux employés de l’ASFC. Le plaignant allègue que M. Fairweather a formulé des commentaires voulant que [traduction] « si vous voulez faire carrière dans les douanes et que vous avez moins de 35 ans, venez à Vancouver ». Il s’agit de l’une des allégations du plaignant à l’appui de la discrimination fondée sur l’âge.

[53] Le plaignant a finalement déposé une plainte auprès de la Commission de la fonction publique (la CFP), alléguant que les jurys de sélection avaient fait preuve de partialité à son endroit. L’enquête n’a pas corroboré l’existence d’une partialité, mais elle a révélé des écarts entre les processus de présélection et les compétences affichées.

[54] La CFP a exigé que l’intimée (alors l’ASFC) prenne des mesures préventives. Le processus a été refait, mais les résultats du concours n’ont pas été modifiés. Le plaignant a déposé une demande à la Cour fédérale du Canada, qui a été rejetée.

(v) 2003-7003

[55] Le ou vers le 11 octobre 2003, l’ADRC a annoncé un concours pour des postes d’inspecteur des douanes de groupe et niveau PM-02 à durée déterminée, à durée indéterminée et pour un recrutement par anticipation, à Victoria, Sidney et Bedwell Harbour. La date de clôture de ce concours était le 30 octobre 2003 et il était limité géographiquement aux personnes résidant ou travaillant dans la grande région de Victoria, y compris Colwood, Langford et Sidney. L’annonce de postes demandait aux candidats d’indiquer toute mesure d’adaptation dont ils avaient besoin pour participer à l’étape d’évaluation du processus. Les candidats nommés à titre permanent seraient tenus de suivre une formation de base et une formation plus spécifique à Rigaud, ainsi qu’une formation sur le recours à la force qui exigerait un [traduction] « effort physique important ». Le plaignant a été présélectionné et convoqué à une entrevue par Kathryn Pringle et Trevor Baird le 16 décembre 2003. Il n’a jamais demandé de mesures d’adaptation et n’a jamais mentionné qu’il souffrait d’une déficience.

[56] Le plaignant a réussi le processus d’évaluation et a été inscrit dans un répertoire de candidats préqualifiés en mars 2004.

[57] En mai 2004, le plaignant était en congé de maladie ou en congé non payé de l’ADRC. L’ASFC voulait lui offrir une mutation au sein de l’ASFC pour l’été, mais pour des raisons administratives et parce qu’il était en congé, l’ADRC ne voulait pas qu’il soit muté à l’ASFC. L’ASFC l’a plutôt sélectionné à partir du répertoire de candidats préqualifiés (concours 3961), et le plaignant a travaillé pour l’ASFC pendant l’été 2004.

[58] Dans le cadre de ce concours, l’intimée voulait envoyer un grand nombre des candidats retenus à Rigaud, au Québec, pour une formation complémentaire. Le plaignant souhaitait également être choisi pour y aller. En fin de compte, quatre candidats du répertoire ont été sélectionnés, tous dans la vingtaine. Le plaignant soutient qu’ils ont cessé de faire des placements lorsqu’ils sont arrivés à son nom.

[59] À la fin de son contrat d’été, le plaignant est retourné travailler à l’ADRC et a décidé de déposer une plainte auprès de la CFP afin qu’elle enquête sur des irrégularités alléguées dans le concours no 2003-7003. La CFP n’a trouvé aucune lacune dans les placements.

[60] Au cours de l’audience devant le Tribunal, Mme Pringle a témoigné au sujet de ce processus et de l’emploi du plaignant à l’été 2004. Mme Pringle a confirmé avoir procédé à l’évaluation du rendement du plaignant en 2004, aux termes de laquelle elle avait rédigé un rapport très positif en utilisant des expressions comme [traduction] « projette une image professionnelle, se conduit de façon polie lorsqu’il traite avec le public, est capable de prendre des décisions appropriées en fonction des priorités de l’Agence ».

[61] En outre, Mme Pringle a reconnu dans cette évaluation de rendement que [traduction] « ce fut un plaisir de travailler avec lui », et elle a accepté de le recommander au besoin en ce qui concerne sa fiabilité.

[62] Dans son témoignage, le plaignant a également indiqué que Mme Pringle n’était au courant d’aucun trouble médical dont il aurait pu souffrir à l’époque. Il a également confirmé qu’il avait travaillé avec Mme Pringle dans le passé et qu’il avait reçu des compliments de sa part.

(vi) Stewart (Colombie-Britannique)

[63] Il y a un petit port en Colombie-Britannique, Stewart, qui était très difficile à doter en personnel. En 2004, un poste est devenu vacant et a d’abord été pourvu au moyen d’une présentation d’un candidat nommément désigné, à savoir Stanley Stinson. Il était un candidat qualifié inscrit dans le répertoire de Victoria, répertoire dont le plaignant faisait également partie. L’intimée est d’avis que cette présentation s’est faite dans des circonstances uniques et qu’il ne s’agissait pas en fait d’une nomination pour une période indéterminée.

[64] Le poste à Stewart est redevenu vacant pour l’hiver 2004, et l’intimée a envoyé un avis d’emploi pour doter ce poste en septembre 2004. Le plaignant était intéressé par un poste permanent et aurait été prêt à déménager à Stewart pour l’obtenir. Lorsque l’ASFC lui a offert un poste à Stewart, elle lui a dit que ce ne serait que temporaire, et il a donc refusé. Finalement, l’ASFC a décidé de l’offrir à M. Van Helvoirt, qui était inscrit dans le répertoire 2003-1002, et lui a offert un poste à durée indéterminée. Le plaignant estime que c’est vraiment injuste, parce que si l’ASFC lui avait d’abord offert un poste à durée indéterminée, il aurait accepté.

[65] De plus, le plaignant allègue que M. Van Helvoirt a été présélectionné tardivement dans le répertoire 2003-1002 et qu’il l’a été tout en étant évalué pour deux compétences.

[66] Le plaignant est d’avis que c’était inapproprié et que s’il avait été présélectionné au concours de Vancouver, il aurait été en mesure d’occuper ce poste.

(vii) 2005-1001

[67] Il s’agissait d’un concours pour des postes permanents, temporaires, saisonniers, à temps partiel et à temps plein de groupe et niveau PM-03 dans les bureaux des services frontaliers, à divers endroits en Colombie-Britannique et au Yukon. Le plaignant a été convié à une première entrevue en mars 2005 à Vancouver. Le plaignant n’a pas avisé le jury de sélection qu’il avait besoin de mesures d’adaptation. À l’époque, le plaignant venait de terminer sa troisième période d’emploi pour l’intimée. Le jury de sélection était composé de Steven Cronin et Catherine Black. La preuve a révélé que le plaignant n’avait eu aucun contact antérieur avec M. Cronin ou Mme Black. La preuve a révélé que, dans une conversation entre M. Cronin et M. Northcott, ce dernier avait avisé M. Cronin que le plaignant avait échoué lors du précédent concours auquel il avait participé.

[68] Le plaignant n’a pas réussi l’entrevue et n’a pas été recommandé pour une évaluation ultérieure. Plus particulièrement, il a échoué relativement à la compétence Communication interactive efficace, n’ayant obtenu que 55 points, alors que la note de passage était de 70.

(viii) 2005-1005

[69] Au printemps 2005, il y a eu un avis d’emploi et le plaignant a de nouveau posé sa candidature. Il a été automatiquement éliminé, parce qu’il n’avait pas réussi le concours 2005-1001.

(ix) Audiences de la CFP en 2005 et 2006

[70] Bien que cela ne fasse pas partie du processus d’embauche, certaines allégations du plaignant ont fait l’objet d’audiences devant la CFP concernant des plaintes déposées dans le cadre des concours 2003-1002 et 2003-7003. Ces audiences ont commencé en octobre 2005 et se sont poursuivies jusqu’en février et août 2006. Une preuve abondante, concernant la conduite du plaignant, a été déposée à ces audiences, qui avaient trait aux concours de 2005 et de 2006 et qui feront l’objet d’une analyse plus approfondie.

[71] La preuve divulguée devant le Tribunal montre que les audiences étaient apparemment très conflictuelles. Mme Lennax, qui a comparu au nom de l’intimée, a déclaré que le plaignant était en colère, perturbateur, irrespectueux et agressif. Elle a ajouté qu’à un moment donné, le plaignant avait bondi de la table, criant et proférant des propos blasphématoires, et était sorti furieux de la salle. Par contre, le plaignant est d’avis que Mme Lennax le traitait avec mépris et qu’elle riait de sa preuve. Le plaignant a admis qu’il était très en colère et qu’il était très stressé pendant les audiences. L’un des témoins du plaignant, Levan Turner, a confirmé avoir vu Mme Lennax rire lorsque le plaignant témoignait, au point que l’enquêteur lui a demandé de cesser.

[72] Il ne fait aucun doute qu’au cours des audiences, Mme Lennax a pris de nombreuses notes sur ce qui s’est passé. Dans son témoignage devant le Tribunal, Mme Lennax a affirmé qu’elle se sentait menacée par le plaignant. Comme il a déjà été mentionné, le plaignant et M. Turner n’étaient pas d’accord avec Mme Lennax et ont contredit son témoignage. M. Turner estimait que son attitude était humiliante envers le plaignant et qu’elle se moquait de lui. Mme Lennax nie avoir ri du plaignant.

[73] Mme Lennax a déclaré dans son témoignage qu’avant les audiences de la CFP, a) elle ne savait rien de l’époque où le plaignant avait travaillé à l’ADRC; b) elle ne savait pas qu’il souffrait d’une déficience et c) elle n’était pas en possession des dossiers de l’ADRC. En fait, Mme Lennax a déclaré qu’elle n’était pas au courant de la déficience du plaignant avant le concours de 2006. Au cours de l’audience de la CFP, le plaignant a demandé un ajournement en raison [traduction] « d’anxiété et de dépression », ajournement contre lequel il y a eu opposition, mais qui a été accordé par l’arbitre.

[74] Après l’audience, Mme Lennax a pris des mesures de sécurité, notamment en avisant le personnel par courriel que le plaignant n’était pas autorisé à entrer dans l’immeuble, en affichant son dossier sur le site Web et en embauchant un commissionnaire pour s’assurer qu’il ne tente pas d’entrer dans les bureaux à Victoria.

(x) 2006-066

[75] Le plaignant a posé sa candidature à un nouveau concours visant l’embauche de 50 agents des services frontaliers; il s’agissait de postes permanents, temporaires, saisonniers, à temps partiel et à temps plein de groupe et niveau PM-03 dans diverses localités de la Colombie-Britannique et du Yukon. Toutefois, le plaignant a été écarté du concours, car une preuve ultérieure a révélé qu’il y avait une note autocollante sur sa candidature indiquant que [traduction] « le candidat avait été exclu de ce processus en raison d’un comportement inapproprié lors des récentes instances avec le jury de sélection ».

[76] La preuve n’a pas révélé qui avait rédigé la note et Mme Lennax a déclaré que ce n’était pas son écriture. Elle a déclaré que c’était M. Northcott ou M. Tarnawski, mais M. Northcott a nié avoir rédigé la note. La preuve a montré que l’employeur avait embauché des candidats dans la vingtaine qui n’avaient pas autant d’expérience que le plaignant, lequel compte six années d’expérience en application de la loi à l’ADRC. Toutefois, la preuve a également révélé qu’il y avait une longue liste de candidats au poste qui étaient âgés de plus de 30 ans, ou plus âgés que le plaignant, qui étaient qualifiés selon le comité de sélection et qui étaient passés à l’étape de la formation.

(xi) 2006-001

[77] L’ASFC a organisé un autre concours pour des postes dans la région du Pacifique. Le 27 mars 2006, le plaignant a présenté sa candidature en ligne et a été retenu pour une entrevue. Le 7 novembre 2006, il a été convié à une entrevue pour laquelle les membres du jury de sélection étaient M. Farrell et Sandra Petropoulos, une personne qui n’avait jamais eu de contact avec le plaignant auparavant.

[78] Le 26 octobre 2006, environ deux semaines avant la date prévue de son entrevue, M. Farrell a reçu un courriel de Mme Lennax.

[79] Le courriel de Mme Lennax n’avait pas été sollicité et était accompagné d’une lettre de Holly Stoner concernant la conduite du plaignant lors du concours 2003-1002.

[80] Le courriel de Mme Lennax, daté du 26 octobre 2006, disait ce qui suit :

[traduction]

J’ai rencontré M. Hughes pour la première fois le 12 octobre 2006 lorsqu’une audience a été convoquée pour enquêter sur les allégations que M. Hughes avait présentées à la Commission de la fonction publique. Nous avons tenu l’audience le 12 octobre, au cours de laquelle, selon moi, M. Hughes s’est montré irrespectueux et non professionnel. M. Hughes a perturbé les délibérations, a proféré des propos blasphématoires et est sorti de la salle d’audience à quelques reprises. Il était clair que le président a été pris au dépourvu lorsque M. Hughes a fait cela, car M. Rys a semblé confus lorsque M. Hughes a quitté brusquement la salle d’audience. Normalement, le président est chargé de fixer des pauses à des moments qui conviennent à toutes les parties.

À un moment au cours de l’audience, M. Hughes a dit d’une voix forte, le bras tendu et le doigt pointé vers moi : [traduction] « Elle se moque de moi », alors qu’en fait, j’avais gloussé à propos du nombre de stylos que j’avais à côté de moi, lorsque ma collègue Safana Ladak, qui représentait le Ministère, avait soulevé le côté du cartable qu’elle utilisait. Les stylos avaient roulé le long de la table, ce qui m’avait fait rire et n’avait rien à voir avec M. Hughes.

[…]

Le 14 février, l’audience a commencé. Nous avons poursuivi l’audience, mais c’est moi qui représentais le Ministère, car Safana était en congé de maternité. J’ai pris en charge la gestion du processus et, encore une fois, M. Hughes s’est montré irrespectueux et non professionnel. M. Hughes a de nouveau fait preuve d’un comportement perturbateur lorsqu’il a bondi en disant : [traduction] « [C]’est des conneries, j’ai besoin d’une pause » et qu’il a quitté la salle. C’était un comportement perturbateur et non professionnel. Il était parfois clair que le président, Adrian Rys, était pris au dépourvu lorsque M. Hughes s’emportait.

[81] Nonobstant le courriel ci-dessus, le président, M. Farrell, a décidé de procéder à l’entrevue du plaignant. Il convient de noter que, dans sa demande, le plaignant n’a pas avisé le jury de sélection d’une déficience et n’a pas demandé de mesures d’adaptation. Toutefois, le plaignant a bien déclaré dans son témoignage qu’il avait parlé à un employé de bureau de l’ASFC et qu’il avait demandé : 1) qu’il n’ait pas à se rendre à un bureau en particulier; 2) qu’il soit informé du nom des membres du jury de sélection; 3) qu’il bénéficie de mesures d’adaptation en raison de sa déficience. Malheureusement, le membre du personnel de l’ASFC n’a pas transmis cette demande au jury de sélection et cette personne n’a pas été convoquée à l’audience devant le Tribunal. Il est entendu que le plaignant n’a fourni aucun document au jury de sélection concernant des problèmes de santé mentale.

[82] Le plaignant a déclaré dans son témoignage qu’au début de l’entrevue, il avait expressément informé le jury qu’il était une personne ayant une déficience et avait demandé des mesures d’adaptation. C’était la première fois qu’il indiquait qu’il avait un problème de santé mentale. Il a demandé des mesures d’adaptation à l’étape de l’évaluation, car sa dépression affectait son élocution et sa confiance en lui. Le plaignant avait demandé au jury de sélection de renoncer à une entrevue officielle et d’utiliser ses évaluations de rendement de 2002, 2003 et 2004 pour établir ses qualifications en remplacement de l’entrevue officielle. Le plaignant a mentionné qu’il avait soumis deux documents : i) une évaluation psychologique du Dr Boissevain de 2004 et ii) un billet médical du Dr Miller daté du 22 septembre 2006 l’aiguillant vers des services de counseling.

[83] Selon la preuve déposée par le plaignant, il était déprimé, il avait des difficultés d’élocution, il manquait de confiance en lui et il subissait un stress dû à un incident critique. L’entrevue a été ajournée.

[84] La preuve a révélé que le plaignant et le jury de sélection pensaient tous deux que l’autre partie cherchait la confrontation et que le plaignant était d’avis qu’il n’avait pas eu une entrevue équitable.

[85] Le lendemain, le plaignant a présenté une demande officielle pour obtenir des mesures d’adaptation.

[86] M. Farrell a consulté Mme Lennax, sa personne-ressource au service des ressources humaines. Le jury de sélection a refusé de permettre au plaignant d’invoquer des évaluations antérieures pour remplacer l’entrevue. En fin de compte, le plaignant a fourni au jury de sélection son évaluation de 2004 du Dr Boissevain ainsi qu’un billet médical du Dr Miller daté du 22 septembre 2006 l’aiguillant vers des services de counseling.

[87] Le 8 novembre 2006, le plaignant a envoyé un long courriel à M. Farrell, dans lequel on peut lire ce qui suit : [traduction] « Je souffre de dépression, d’un grand stress, d’anxiété et de paranoïa justifiée. »

[88] Le 9 novembre 2006, M. Farrell a transmis le courriel à Mme Lennax, qui a rédigé une réponse à M. Farrell, dans laquelle elle affirmait ceci :

[traduction]

Bonjour Robert,

J’aimerais répondre à M. Hughes au sujet de l’entrevue. Il ne serait pas approprié de parler de ses plaintes, et certainement pas des problèmes qu’il pourrait avoir avec l’ARC.

La réponse pourrait ressembler à ceci :

Monsieur,

J’ai reçu votre courriel daté du 8 novembre 2006.

Vous mentionnez que vous avez parlé à James Austin, de notre bureau, au sujet des mesures d’adaptation. M. Austin se souvient que vous avez abordé deux sujets avec lui.

Le premier concernait votre demande de savoir qui faisait partie du jury de sélection. Comme vous le savez, l’ASFC charge parfois un certain nombre de membres d’un jury d’évaluer les candidats. Vous craigniez que les membres du jury de sélection soient des personnes [traduction] « en conflit d’intérêts, des personnes que [vous] poursui[vez] en justice ou l’un des 28 agents des services frontaliers qui pourraient perdre leur emploi ». Il appartient au ministère de nommer les membres du jury de sélection; nous choisissons les membres du jury de sélection en fonction de leurs compétences et de leurs aptitudes ainsi que de leur connaissance du poste à pourvoir ou de leur connaissance du processus de dotation. Il n’appartient pas aux candidats de déterminer qui seront les membres du jury de sélection.

Le deuxième sujet que vous avez porté à l’attention de M. Austin était que vous ne vouliez pas que la rencontre ait lieu dans la salle 107. Comme vous le savez, nous avons donné suite à cette demande et nous n’avons pas tenu la rencontre dans la salle 107, conformément à votre demande.

Il est malheureux que vous ayez le sentiment que vous « ne pourrez jamais obtenir une évaluation équitable de la part de l’ASFC », mais je peux vous assurer que nous menons notre processus d’évaluation avec le plus grand professionnalisme et la plus grande sensibilité envers les candidats.

Vous ajoutez : [traduction] « Pourquoi l’ASFC répondrait-elle à ma demande de ne pas tenir la rencontre dans la salle 107 en raison d’une déficience, mais penserait-elle que je n’aurais pas besoin de mesures d’adaptation lors de l’entrevue? » Comme vous le savez, c’est au candidat qu’il incombe de signaler toute déficience qui pourrait nuire à son rendement au cours d’un processus d’évaluation. Nous devons être informés de la déficience et des mesures qui pourraient être prises pour accommoder cette déficience, dans la mesure du possible. À aucun moment n’avez-vous discuté avec M. Austin ni avec le jury de sélection avant notre rencontre de votre déficience et des mesures d’adaptation dont vous auriez besoin. Par conséquent, aucune autre mesure d’adaptation n’a été demandée en votre nom. Tant que nous ne connaîtrons pas la déficience et les mesures d’adaptation possibles, vous ne pouvez vous attendre à ce que nous prenions des mesures d’adaptation si nous ne sommes pas au courant de la déficience ou du fait qu’il y a une déficience.

Je tiens également à préciser que nous ne vous avons pas « blâmé » à l’égard de votre déficience, nous avons simplement eu une franche discussion sur le fait qu’il vous incombait de divulguer la déficience pour laquelle vous aviez besoin de mesures d’adaptation. Comme cela n’a pas eu lieu avant l’entrevue, la seule mesure d’adaptation qui vous a été offerte était de déplacer la rencontre de la salle 107.

Vous allez plus loin en déclarant : [traduction] « J’estime que vous n’aviez pas la formation requise pour évaluer un candidat ayant une déficience. Certains de vos commentaires étaient troublants. Vous avez dit que, si je ne pouvais pas bien faire lors d’une entrevue, comment pourriez-vous vous attendre à ce que je puisse obtenir un bon rendement au travail? C’est tout à fait inapproprié et discriminatoire. Je demande des excuses pour ce commentaire. » Il est encore une fois regrettable que vous ayez interprété notre discussion de cette manière. Je n’ai jamais fait la corrélation voulant que si vous ne pouviez pas bien faire à l’entrevue, vous ne pouviez pas bien faire le travail. Je vous ai informé qu’afin de déterminer votre aptitude à occuper le poste à pourvoir, nous procéderions à l’entrevue pour déterminer votre aptitude à occuper ce poste. Je regrette certainement que vous ayez mal interprété la discussion, mais je ne m’excuserai pas pour cette mauvaise interprétation.

Comme vous le savez, j’ai de l’expérience en tant que membre d’un jury de sélection, et la direction a estimé que mes compétences en tant que membre du jury étaient effectivement suffisantes pour accomplir efficacement cette tâche. Je suis au courant des questions liées à la déficience et de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans les limites raisonnables. Encore une fois, si nous ne sommes pas au courant de la déficience, il est impossible de répondre aux besoins d’une personne.

Les outils que le jury de sélection a choisi d’utiliser dans le cadre de ce processus sont le test d’agent des services frontaliers, que vous avez réussi, une entrevue officielle ainsi que la vérification des références. Le jury de sélection est tout à fait disposé à prendre des mesures d’adaptation pour toute personne ayant une déficience afin de lui permettre de concourir sur un pied d’égalité. Nous prendrons des mesures d’adaptation pour les personnes ayant une déficience, mais nous n’exempterons pas les personnes de l’obligation de participer au processus d’évaluation. Bien que vous ayez des évaluations du rendement qui portent sur certains aspects, nous n’utilisons pas ces évaluations dans le cadre de ce processus d’évaluation. Il serait injuste d’utiliser les évaluations pour vous, car cela établirait une norme différentielle et pourrait vous donner un avantage sur les autres. Bien que je comprenne que les entrevues sont stressantes, elles le sont pour la plupart des gens, même pour ceux qui n’ont pas de déficience. Le fait de vous exempter de l’ensemble du processus et d’utiliser uniquement vos évaluations entrave l’uniformité de l’évaluation. De plus, il s’agit d’un processus externe, et les nombreuses personnes qui n’ont pas travaillé pour le gouvernement fédéral n’auraient pas l’occasion de présenter leurs évaluations. Pour ces raisons, nous ne tenons pas compte des évaluations dans ce processus de sélection. Bien que vous ayez fourni une copie d’une décision d’appel, il ne s’agit pas d’un précédent, et chaque mesure d’adaptation doit être examinée au cas par cas. Nous ne voudrions pas prendre arbitrairement des décisions qui pourraient avoir une incidence défavorable sur les personnes qui participent à nos processus de sélection.

Je n’ai à aucun moment « minimisé » vos expériences passées; en fait, c’est ce qui a été pris en considération lorsque vous avez été retenu dans ce processus d’évaluation. D’ailleurs, à l’étape de la vérification des références, nous examinerons également vos expériences et votre conduite antérieures en tant qu’employé.

Vos démêlés avec l’ADRC et l’ARC ne sont pas pertinents dans ce processus d’évaluation. En tant que président de ce processus de sélection, je peux vous assurer que nous nous comportons avec le plus grand professionnalisme et la plus grande sensibilité lorsque nous traitons avec tous les candidats.

[89] Les problèmes de communication entre le plaignant, M. Farrell et Mme Lennax (laquelle ne prenait pas part au processus d’entrevue), qui ont indiqué qu’aucune note n’avait été prise le 7 novembre 2006, se sont poursuivis concernant la preuve médicale requise. Le 20 novembre 2006, le plaignant a fourni un billet médical de l’un de ses médecins, qui comportait une recommandation selon laquelle il aurait besoin de plus de temps dans le processus d’entrevue et de temps pour répondre à chaque question.

[90] Le 2 février 2007, M. Farrell a écrit à Mme Lennax :

[traduction]

La nature du travail consiste à mener des entrevues et à être capable de prendre la décision justifiable appropriée, en fonction de l’information présentée, et ce, rapidement, p. ex. 30 secondes sur une ligne d’inspection primaire. Les entrevues peuvent parfois devenir très stressantes, parce qu’un grand nombre des personnes interrogées ne sont pas coopératives et manifestent une certaine opposition. L’incapacité de réagir rapidement et efficacement dans ce genre de situation pourrait faire dégénérer l’entrevue jusqu’à la violence.

Compte tenu de ces exigences, je ne crois pas que M. Hughes soit capable, à l’heure actuelle, de remplir les exigences du poste.

[91] Mme Lennax a ainsi répondu à M. Farrell :

[traduction]

Bonjour Robert, après avoir parlé avec Daniela, nous pensons qu’il serait approprié de donner à M. Hughes plus de temps pour répondre aux questions. Il n’est pas nécessaire de lui accorder 15 minutes de pause entre les questions. Il ne devrait pas être autorisé à quitter la salle pendant les pauses pour assurer l’intégrité du processus.

Ce que vous pourriez peut-être envisager de faire, c’est de lui poser la question, de lui donner un peu de temps pour réfléchir à sa réponse, puis de lui permettre de donner sa réponse. Nous espérons que cette mesure d’adaptation lui permettra de répondre à nos besoins en matière de recrutement.

Je souscris au fait que les fonctions du poste exigent certaines compétences et habiletés, mais en lui donnant la meilleure occasion de mettre en valeur ses compétences, c’est la meilleure voie que nous puissions suivre, compte tenu de la situation [...]

[92] M. Farrell a accepté le conseil de Mme Lennax et l’entrevue a eu lieu le 2 mars 2007. Les mesures d’adaptation proposées consistaient à laisser le plaignant prendre le temps nécessaire pour lui permettre de demander des éclaircissements sur la question au besoin, et à prendre une pause après chaque question.

[93] À la fin du processus, le plaignant a obtenu 50 points pour son orientation axée sur l’application de la loi et 40 points pour la confiance en soi. La note de passage est d’au moins 70 points par catégorie. M. Farrell a déclaré dans son témoignage que l’évaluation du professionnalisme commence lorsque le demandeur entre dans la salle et se poursuit jusqu’à la fin de l’entrevue. M. Farrell a également déclaré qu’au cours de l’entrevue, le plaignant avait fait mention de son action en justice et que l’entrevue ne s’était pas bien déroulée. Le plaignant pensait que M. Farrell était trop zélé.

V. DÉCISION

A. Discrimination fondée sur l’âge

[94] Le plaignant, dans son témoignage de vive voix et son exposé des précisions, allègue que l’intimée a fait preuve, en règle générale, de discrimination à l’égard des candidats âgés de plus de 35 ans, tout en promouvant des candidats plus jeunes.

[95] Le plaignant, dans le cadre d’une demande d’accès à l’information, a obtenu toutes les dates de naissance des candidats aux concours de Victoria et de Vancouver. Ensuite, le plaignant a fait une analyse et en est venu à certaines conclusions. Il a fait valoir qu’en 2001, l’âge moyen des candidats embauchés à Victoria était de 35 ans, en 2002 de 33 ans, en 2003 de 30 ans et en 2004 de 27 ans. Les tableaux montrant l’analyse du plaignant ont été admis en preuve comme pièces dans la présente instance.

[96] Le plaignant soutient également que l’ASFC aurait dû lui confier un poste à durée indéterminée, compte tenu de son expérience et de ses évaluations de rendement antérieures.

[97] L’intimée soutient que les statistiques présentées par le plaignant ne sont pas fiables et déclare, à la page 37 de ses observations écrites :

[traduction]

114. Néanmoins, le plaignant a produit au cours des audiences un ensemble de documents visant à démontrer que l’intimée avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de son âge. Ces statistiques ne sont pas fiables, comme en témoignent les concessions suivantes faites par le plaignant dans son témoignage :

  • a) Les statistiques ne portent pas sur l’embauche par l’ASFC dans son ensemble, mais seulement sur les concours auxquels le plaignant a participé – il admet n’avoir « aucune statistique plus générale sur l’âge des candidats qui postulent à des postes d’inspecteurs des douanes avant 2004-2005 ou d’agents des services frontaliers après 20042005 ».

  • b) Le plaignant n’a pas inclus dans son tableau les personnes qui se sont qualifiées au cours de la première phase d’embauche, mais qui ont par la suite échoué ou refusé la formation à Rigaud, ce qui a brouillé la preuve selon laquelle les candidats étaient effectivement qualifiés par les jurys de sélection (même s’ils échouaient à des étapes ultérieures du processus d’embauche).

[98] Il n’y a eu aucun témoignage de témoins experts, que ce soit un statisticien ou un actuaire. Les parties ont toutes procédé à l’analyse des données, et le Tribunal ne peut certainement pas se prononcer sur la fiabilité statistique des échantillons.

[99] L’intimée a déposé en preuve (recueil conjoint de documents, vol. 5, onglet N1) des documents exposant toutes les personnes embauchées aux postes d’inspecteurs des douanes et d’agents des services frontaliers de 2001 à 2009. Dans les observations écrites de l’intimée, ce tableau a été recréé en tant qu’annexe A, avec un code de couleurs pour indiquer les personnes âgées de plus de 30 ans, les personnes plus âgées que le plaignant et celles qui avaient le même âge que le plaignant. Cette annexe est très utile au Tribunal dans la mesure où elle démontre avec clarté la preuve présentée à l’audience. Toutefois, la preuve a été compilée à partir de ce qui avait été présenté en preuve, et le Tribunal a des pouvoirs discrétionnaires quant à ce dont il tiendra compte. C’était certainement le cas en ce qui concerne la latitude dont disposait le plaignant pour répondre à la contre‑preuve et aux arguments en réplique.

[100] Selon le plaignant, un autre argument ou indice de discrimination réside dans le fait que les candidats qui avaient été choisis pour suivre la formation à Rigaud devaient y aller moyennant une faible allocation, ce qui découragerait les personnes plus âgées.

[101] Le plaignant a également souligné qu’au cours des entrevues, les candidats devaient apporter un permis de conduire ou tout autre document attestant de leur âge. Selon le plaignant, cela montre qu’il y avait une partialité fondée sur l’âge.

[102] Les témoins de l’intimée, M. Farrell, Mme Black et Mme Pringle, ont nié que l’âge ait été un facteur et ont affirmé que leur analyse visait uniquement à déterminer si la personne était qualifiée ou non. Mme Pringle a précisément abordé cette question en affirmant que les candidats plus âgés possédaient des connaissances approfondies et étendues, et qu’ils pouvaient contribuer davantage à l’emploi.

[103] Le plaignant a également fondé son affirmation sur un séminaire auquel il avait assisté à Victoria, où le surintendant Fairweather avait fait une présentation. Le plaignant allègue que M. Fairweather a dit que [traduction] « si vous avez moins de 35 ans, une carrière vous attend à l’ASFC ».

[104] M. Fairweather a déclaré ce qui suit lors de l’interrogatoire principal :

(L’avocat de l’intimée a posé la question suivante à M. Fairweather.)

[traduction]

Je tiens simplement à vous indiquer qu’il y a eu des éléments du témoignage de M. Hughes dans le cadre de la présente instance, selon lesquels, lorsque vous avez assisté à la rencontre à Victoria, vous avez utilisé des mots – les mots suivants :

[traduction] « Si vous avez moins de 35 ans et voulez faire carrière dans les douanes, venez à Vancouver. »

C’est bien ce que vous avez dit?

[105] M. Fairweather a répondu ainsi :

[traduction]

Je ne saurais dire une telle chose. Je n’ai pas dit ça. Je n’aurais pas dit ça.

Ça ne fait pas partie de ce en quoi je crois. Ce n’était pas ce que je croyais à l’époque. Cela n’aurait pas fait partie de la discussion. Et je n’y crois pas aujourd’hui, et ce n’est pas quelque chose que j’aurais dit.

[106] Il a été reconnu que les commentaires de M. Fairweather pouvaient avoir été mal interprétés par le plaignant, mais, en général, la preuve appuie la conclusion voulant que M. Fairweather n’ait jamais fait de tels commentaires sur l’âge.

[107] La question en litige, les critères et les exigences de l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination par le plaignant ont été abordés plus tôt dans la présente décision, et le Tribunal a examiné la jurisprudence sur ce qu’était une preuve prima facie (voir Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536). Le critère de la preuve prima facie est un critère en trois volets, comme il a été énoncé dans Stanger c. Société canadienne des postes (précitée) : le plaignant possède une ou plusieurs caractéristiques que la Loi protège contre la discrimination; le plaignant a subi un effet préjudiciable; la ou les caractéristiques protégées ont joué un rôle dans l’effet préjudiciable.

[108] Dans la présente plainte, le plaignant allègue qu’il a été victime de discrimination fondée sur l’âge, une caractéristique protégée par la Loi. Le plaignant allègue que les candidats de moins de 35 ans ont bénéficié d’une embauche préférentielle. Il semble que cette croyance soit née des commentaires que le plaignant a entendus à l’automne 2004, alors qu’il assistait à une séance d’information où le surintendant Fairweather aurait dit : [traduction] « Si vous avez moins de 35 ans et voulez faire carrière dans les douanes, venez à Vancouver. » Dans son témoignage, le surintendant Fairweather a nié catégoriquement avoir fait cette déclaration et a ajouté qu’il ne souscrivait pas à ces commentaires. Les surintendants Black et Pringle se sont fait l’écho de cette position en déclarant qu’ils se concentraient sur la question de savoir si le candidat était qualifié ou non. En fait, le surintendant Pringle a dit expressément que les candidats plus âgés apportaient [traduction] « une profondeur et des connaissances » au travail.

[109] Le plaignant a cité, à titre d’exemple de discrimination fondée sur l’âge, l’obligation de présenter un permis de conduire valide qui divulguait l’âge d’un candidat. Je ne considère pas que l’obligation de présenter un permis de conduire constitue une violation de la Loi dans les circonstances actuelles.

[110] Il convient de noter que le plaignant a soutenu que les allocations versées aux candidats se rendant à l’établissement de formation au Québec étaient insuffisantes pour les candidats plus âgés et qu’un candidat plus âgé ne pouvait survivre avec l’indemnité quotidienne qui lui était accordée, alors que les candidats plus jeunes, qui n’étaient pas encore établis dans la vie ou n’avaient pas de personnes à charge, pouvaient se contenter de ce qui était offert. Je ne souscris pas à cet argument.

[111] Le plaignant a ensuite décrit en détail le processus d’embauche, le processus d’entrevue, le processus de présélection et le concept des répertoires de candidats préqualifiés. Il allègue que, dans certains cas, il a été inscrit dans des répertoires de candidats préqualifiés, mais qu’il n’a pas été nommé à partir de ces répertoires, parce que ceux-ci avaient expiré. Dans ces circonstances, le plaignant est d’avis qu’il s’agissait d’une autre façon de l’écarter en raison de son âge. Toutefois, la preuve a montré que les jurys de sélection étaient composés de personnes différentes, que le plaignant avait été présélectionné dans des répertoires à de nombreuses reprises et qu’en raison du moment ou du rang qu’occupait le plaignant sur la liste des répertoires, l’ASFC ne lui avait pas offert un poste à durée indéterminée.

[112] Le tribunal a examiné tous les processus cités par le plaignant et, bien que le plaignant ait justifié les plaintes qu’il avait déposées auprès de l’Alliance de la Fonction publique (AFPC), aucune ne portait sur la discrimination fondée sur l’âge. L’AFPC a relevé des problèmes dans certains processus d’embauche, mais n’a pas rétabli ou modifié les nominations. Le plaignant a même tenté de demander le contrôle judiciaire de l’une des décisions de l’AFPC, mais la Cour fédérale a rejeté sa demande. En outre, les statistiques fournies par le plaignant au sujet de la discrimination fondée sur l’âge dans les processus d’embauche à l’ASFC n’étaient pas assez complètes pour étayer sa position. Le recours à des statistiques soutenues ou analysées par un expert, qu’il s’agisse d’un comptable, d’un actuaire ou d’un statisticien, aurait ajouté un certain poids à l’analyse déficiente du plaignant. En examinant la preuve, le Tribunal n’est pas convaincu que le plaignant se soit acquitté de son fardeau.

[113] Compte tenu de la preuve présentée, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas réussi à prouver l’existence d’une discrimination fondée sur l’âge et rejette donc la plainte.

B. Déficience d’ordre médical

[114] Le plaignant a le fardeau d’établir une preuve prima facie de discrimination, et le premier élément de son fardeau est de démontrer qu’il avait une caractéristique protégée contre la discrimination aux termes de la Loi. En l’espèce, le plaignant doit établir qu’il était atteint d’une déficience au cours de la période pertinente. Le plaignant a déposé plusieurs billets médicaux et rapports de médecins, que je décris ci-dessous. Cependant, j’ai remarqué que la plupart de ces billets médicaux se rapportaient à son emploi à l’ADRC (maintenant l’Agence du revenu du Canada ou l’ARC), où il a connu de multiples démêlés avec la direction.

[115] Comme il a été expliqué précédemment, le plaignant a déclaré que ses problèmes de santé mentale avaient commencé à la suite d’un incident critique survenu le 11 avril 2001, alors qu’il travaillait à l’ADRC. Il a déclaré et reconnu qu’avant cet incident, il ne souffrait d’aucune forme de stress ou d’anxiété.

[116] Quelques jours après cet incident, le plaignant a consulté le Dr John Miller, son médecin de famille. Le 19 avril 2001, le Dr Miller a rédigé deux billets médicaux. Le premier billet médical indique ceci : [traduction] « Arrêt de travail pour raisons médicales. À compter du 20 avril pour environ 2 à 3 semaines. »

[117] Le deuxième billet médical se lit ainsi : [traduction] « Orienter vers un psychologue ». Ce billet médical a amené le plaignant à consulter le Dr Philip Prendergast, qui a rédigé un rapport le 13 novembre 2001, dans lequel on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Objet : Chris Hughes

Évaluation de l’aptitude au travail

Comme vous l’avez demandé dans votre lettre du 19 septembre 2001, l’aptitude au travail de M. Hughes a été évaluée. Le processus comprenait une entrevue avec l’employé, des discussions avec ses gestionnaires et un examen de toute la documentation disponible. D’après les renseignements dont je dispose à l’heure actuelle, je suis d’avis que M. Hughes satisfait à toutes les exigences médicales de son poste d’agent des contrats de recouvrement, comme il est détaillé dans l’analyse des tâches fournie.

M. Hughes s’est absenté du travail à plusieurs reprises depuis qu’il a commencé à travailler sous la supervision de Richard Soderquist en mai 2000, puis sous la supervision de Jobina Mcleod en mai 2001. La plupart de ces absences du travail ont été considérées comme des congés de maladie. Je crois que M. Hughes a effectivement été assez malade pour ne pas être au travail pendant ces périodes de congé de maladie.

Les périodes de congé de maladie de M. Hughes sont attribuables aux relations interpersonnelles tendues qui existent entre lui et les deux superviseurs mentionnés ci-dessus. Il a encore un certain nombre de plaintes à formuler au sujet du traitement qu’il a reçu de ces superviseurs, et je crois qu’il ne devrait pas retourner au travail avec M. Soderquist ou Mme Mcleod comme superviseur, car il tomberait de nouveau malade dans un tel climat de travail. Il est possible que M. Hughes puisse éventuellement retourner au travail sous la direction de M. Soderquist ou de Mme Mcleod, si un règlement mutuellement acceptable de ses griefs pouvait être obtenu.

Bien que j’aie examiné la nature des épisodes de mauvais traitements perçus avec M. Hughes et ses deux superviseurs, il ne me semblait pas évident que l’une ou l’autre partie avait entièrement tort dans ses actions. Je n’ai pas évalué chaque situation en détail, car le règlement de différends de cette nature ne relève pas de mon domaine d’expertise. Je peux toutefois dire qu’il subsiste un désaccord important entre les deux parties sur un certain nombre de questions. Une médiation appropriée est le meilleur moyen de résoudre ces problèmes. Si vous le souhaitez, je peux me rendre disponible pour toute procédure de médiation que vous pourriez organiser à cette fin. Cependant, je crois que l’apport médical à une telle activité serait très limité. Pour l’instant, M. Hughes devrait retourner travailler sous l’autorité d’un autre superviseur, de préférence dans un domaine où il a déjà démontré ses compétences.

[118] Malgré ce rapport, le plaignant a continué de travailler pour l’ADRC sous l’autorité de différents superviseurs, mais a aussi pris plusieurs congés de maladie au cours des années suivantes. Il a déclaré lors de son témoignage que les années 2002 et 2003 ont été de bonnes années pour lui, mais que sa détresse est revenue à la fin de 2003. Les 10 et 16 décembre 2003, il a consulté le Dr Michael Boissevain, psychologue clinicien et psychologue en réadaptation, un praticien vers lequel le Dr Miller l’a orienté. Le Dr Boissevain a passé en revue l’historique du plaignant ainsi que les notes versées au dossier par le Dr Miller et a préparé un rapport d’évaluation psychologique, daté du 12 janvier 2004, dans lequel on peut lire notamment ce qui suit :

[traduction]

4.0 Résumé et conclusions

D’après la définition du SDIC (stress dû à un incident critique) qui m’a été fournie, il est évident que M. Hughes souffrait de ce syndrome pendant la période en question. Parmi les symptômes énumérés dans la brochure sur le SDIC, M. Hughes aurait rapidement éprouvé les symptômes suivants : accélération du rythme cardiaque, frustration, anxiété, colère, irritabilité, agitation, dépression, sentiment d’isolement, mauvaise concentration, crises émotionnelles, changement du niveau d’activité, changement des habitudes alimentaires et nervosité. À mon avis, sa réaction à l’époque est cliniquement cohérente avec le stress inhérent à la situation telle qu’il me l’a décrite, et peut être attribuée à ce stress. De plus, il est clair que son rétablissement du stress dû à un incident critique a été compromis par son transfert à l’équipe de Mme McLeod, où il aurait été exposé à un harcèlement continu sous la forme d’une « microgestion » par le chef d’équipe. D’un point de vue clinique, cette situation a probablement exacerbé ou prolongé sa symptomatologie. Comme je l’ai indiqué plus haut, ce problème a été reconnu par le Dr Miller dans ses notes versées au dossier les 6 et 13 septembre.

D’après les déclarations de M. Hughes, il semble qu’il n’y ait aucun autre facteur qui pourrait expliquer le changement dans son adaptation émotionnelle et comportementale à part l’incident critique en question. De plus, M. Hughes a nié tout antécédent de troubles émotionnels importants et a déclaré qu’il n’avait jamais reçu de traitement psychologique ou médical pour des troubles émotionnels.

Il semble que M. Hughes demeure pour le moment susceptible d’éprouver certains des symptômes susmentionnés, quoiqu’à un niveau moindre qu’au printemps et à l’été 2001. Pour cette raison, je lui recommande d’envisager de suivre un traitement psychologique au besoin.

[119] Le 15 janvier 2004, le Dr Miller a de nouveau rédigé deux billets médicaux, le premier se lisant ainsi : [traduction] « M. Hughes devra s’absenter du travail du 19 au 30 janvier pour des raisons médicales », et le deuxième ainsi : [traduction] « Je recommande que, pour des raisons de santé, M. Hughes ne travaille plus au bureau des services fiscaux de Victoria et qu’on lui assigne d’autres tâches. »

[120] Le plaignant a de nouveau consulté le Dr Prendergast, qui a préparé une lettre, datée du 13 avril 2004, adressée à Mme June Lensen, directrice adjointe, Ressources humaines, ARC, dans laquelle on peut lire :

[traduction]

[...] Comme vous le savez, M. Hughes intente des poursuites administratives et judiciaires contre d’anciens superviseurs et un certain nombre d’autres personnes au bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver. Il le fait parce qu’il estime qu’il a été traité injustement en ce qui concerne les possibilités de promotion dans son travail. La direction a réagi à ces actes en imposant des sanctions et d’autres mesures administratives à l’endroit de M. Hughes. Ces mesures prises par la direction ont causé encore plus de contrariété à M. Hughes. Outre les répercussions de ses actes, M. Hughes n’a pas été satisfait des résultats de l’enquête sur ses plaintes. Il a déposé d’autres plaintes. La situation de M. Hughes au bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver est devenue intenable, tout comme elle est, j’en suis sûre, devenue très inconfortable pour les autres employés mêlés à la situation de M. Hughes au travail.

Lorsque M. Hughes est au travail, il présente des symptômes de maladie liée au stress. Son médecin lui a conseillé de ne pas travailler pour des raisons médicales. Il s’agit d’une recommandation appropriée, parce qu’il ne se sent pas bien quand il est au travail. Heureusement, il se rétablit assez facilement lorsqu’il est absent du bureau.

Il est difficile de fournir des recommandations médicales à M. Hughes. D’un certain point de vue, il se porte très bien en ce moment et est en mesure de répondre aux exigences médicales de son poste, comme elles sont précisées dans la description de travail et l’analyse des tâches que j’ai au dossier. D’un autre point de vue, il devient très angoissé et très souffrant lorsqu’il est au bureau, puisqu’il retourne dans un environnement qui, à son avis, lui a causé tant d’injustice. Je suis d’accord avec son médecin pour dire qu’il ne doit pas retourner travailler au bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver.

Heureusement, M. Hughes retournera au service des douanes pour travailler au cours de l’été à compter du début de mai. Il devrait bien s’en sortir là-bas. Il est préférable qu’il ne retourne pas au bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver à la fin de son affectation, à moins que sa situation n’ait été réglée. Je suis d’accord à ce qu’on lui offre un emploi convenable dans un autre lieu de travail, mais je ne peux pas dire qu’il s’agit d’une exigence médicale à l’heure actuelle. Si la situation changeait de manière significative, je serais heureux de le réévaluer.

J’espère que vous trouverez cette lettre utile. Si vous avez besoin d’autres renseignements, veuillez communiquer avec moi.

[121] Le Dr Prendergast a revu le plaignant et a préparé un autre rapport daté du 27 janvier 2005, dans lequel on peut lire notamment ce qui suit :

[traduction]

M. Hughes est parti en congé de maladie après avoir consulté son médecin. Je ne crois pas qu’il était incapable de travailler pour des raisons médicales à ce moment-là. Il était malheureux, frustré et stressé, mais il n’était pas malade. Quiconque est malheureux dans son travail se sentirait de la même façon. Ses ambitions visaient une autre division, mais je ne pense pas qu’il fallait l’y transférer pour des raisons médicales.

M. Hughes est apte au travail. J’estime toujours qu’il est important qu’il ait un minimum d’interaction avec les personnes contre lesquelles il a intenté des actions administratives. Parmi ces personnes figurent certainement Jobina Mcleod et Richard Soderquist. Il sera peut-être aussi nécessaire qu’il ait une interaction minimale avec Ann Welman, Gord Leach et Gary Boyer, mais je ne suis pas certain de la nature de la relation entre M. Hughes et ces personnes. Je croyais que, si M. Hughes travaillait à la Division des services à la clientèle, l’interaction avec les personnes susmentionnées serait minimale, mais M. Hughes dit que ce n’est pas le cas. Je laisserai à la direction le soin de décider de la meilleure façon de tenir compte de cette restriction.

Je comprends que c’est une situation très difficile pour M. Hughes et la direction. La situation médicale est cependant très simple. Chaque fois que j’ai évalué M. Hughes, je l’ai déclaré apte au travail. Il a été en congé de maladie à de nombreuses reprises en raison de symptômes liés au stress, mais il n’a jamais été très malade. Je m’inquiète de ce qui pourrait arriver s’il continuait à travailler dans un environnement où les relations interpersonnelles sont mauvaises (ma préoccupation s’étend à M. Hughes et aux autres parties), et c’est la raison pour laquelle j’ai recommandé des restrictions. Je me suis entretenu avec le médecin de famille de M. Hughes et j’ai son appui à ce sujet. [Non souligné dans l’original.]

[122] Le plaignant a également déposé un billet médical du Dr Miller daté du 12 février 2005, lequel est ainsi rédigé : [traduction] « M. Hughes est incapable de retourner au travail dans le poste offert pour des raisons médicales », et un autre, daté du 27 mai 2005 : [traduction] « Le client ne devrait pas avoir de contact direct avec Ann Welman pour des raisons médicales. »

[123] Les deux billets médicaux mentionnent que le plaignant s’est absenté du travail pour des raisons médicales, mais ne font mention d’aucun diagnostic. En fait, le second billet n’indique pas que le plaignant ne pouvait pas retourner au travail; il dit simplement qu’il ne devrait pas avoir de contact avec Ann Welman. Le 24 juin 2005, le Dr Miller a écrit : [traduction] « Orienter vers un psychiatre pour anxiété et dépression. », puis le 5 août 2005, il a écrit : [traduction] « M. Hughes demeure inapte au travail pour des raisons médicales. Il devrait pouvoir retourner au travail le 2 septembre 2005. Je recommande qu’il ne retourne pas travailler à la Division des services à la clientèle pour des raisons de santé. »

[124] Là encore, la raison de son absence du travail est d’ordre médical, mais elle ne concerne que son poste au sein de la Division des services à la clientèle, et la seule indication est qu’il ne devrait pas retourner dans cet environnement de travail.

[125] Le 5 juillet 2005, le plaignant a commencé à consulter une conseillère pour des [traduction] « situations de stress liées à l’emploi ». La conseillère, Bernice Carter, M.A., B.Sc.Inf., IA, conseillère clinicienne agréée, a écrit ce qui suit dans un rapport daté du 7 septembre 2005 :

[traduction]

Madame, Monsieur,

Objet : M. Chris Hughes

Je vois M. Chris Hughes à titre professionnel depuis le 5 juillet 2005 pour des problèmes de stress liés à l’emploi. M. Hughes perçoit son milieu de travail actuel comme étant de plus en plus négatif et hostile, à tel point que cette situation est devenue un grave problème de santé pour lui. Par conséquent, il a dû s’absenter beaucoup de son travail pour préserver son bien-être et se remettre des conséquences de chaque expérience de travail de plus en plus intense qu’il a vécue dans cet environnement.

M. Hughes m’a dit qu’il souhaitait retourner au travail dès qu’il le pourrait. Toutefois, plusieurs instances administratives sont en suspens et des conflits interpersonnels non résolus avec les supérieurs hiérarchiques demeurent. Je crois qu’il n’est pas possible de remédier suffisamment à cette situation de travail pour aider mon client et le protéger de tout autre stress affectant sa santé. Par conséquent, je suis d’avis et je recommande que M. Hughes ne retourne pas à la Division des services à la clientèle.

[126] À nouveau, le 19 octobre 2005, le Dr Miller a écrit : [traduction] « M. Hughes s’est absenté du travail le 13 octobre 2005 pour des raisons médicales. En raison du stress, de l’anxiété et de la dépression, je recommande une modification des tâches dans un avenir prévisible. » Ce billet faisait mention d’un diagnostic, mais indiquait que le plaignant pouvait encore travailler.

[127] Il y a eu un intervalle d’environ un an avant que le dernier rapport médical préparé par le Dr Miller soit déposé devant le Tribunal, qui est daté du 7 novembre 2006 et dans lequel il est affirmé ceci : [traduction] « M. Hughes a un trouble médical qui pose problème avec les entrevues. Idéalement, une autre évaluation qui ne nécessite pas d’entrevue serait utile. » Il s’agit de la première recommandation médicale adressée à l’ASFC, alors que tous les autres documents se rapportaient et étaient adressés à l’ADRC ou à l’ARC.

[128] C’est un vieil adage que « la personne qui fait une allégation doit la prouver ». La question de la preuve prima facie de discrimination se résume au fait que le plaignant, selon la prépondérance des probabilités, doit établir qu’il a été victime de discrimination fondée sur sa déficience, définie à l’article 25 de la Loi comme étant une « [d]éficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée [...] ». Dans ce contexte, il m’incombe de déterminer si le plaignant a souffert d’une déficience au cours de la période pertinente, à la lumière de la preuve déposée.

[129] La Loi n’aide pas beaucoup à déterminer ce qu’est une déficience. Souvent, les problèmes de santé mentale ne sont pas évidents, et ceux qui en souffrent sont souvent réticents à partager cette information avec les autres. De plus, il est admis que l’état d’une personne souffrant d’une déficience mentale peut être temporaire ou permanent.

[130] L’intimée soutient que le plaignant ne souffrait pas de déficience, parce que le stress et la dépression sont souvent traités comme des affections normales. L’intimée cite la décision Riche c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35 (Riche), dans laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique a statué ainsi :

130. La difficulté ici est que l’argument avancé par le fonctionnaire confond une affection avec une incapacité. Nombreux sont ceux et celles qui connaissent des problèmes de dépression et de stress au cours de leur vie professionnelle. Aucun de ces problèmes ne serait considéré, en soi, comme une incapacité. Le même constat peut se poser dans le cas de l’apnée du sommeil. Le fait qu’un individu vive de tels troubles n’établit pas une apparence de droit suffisante de l’existence d’un handicap ni, encore moins, de l’existence d’une discrimination fondée sur une incapacité. Il fallait en l’espèce établir en preuve que ces affections étaient à ce point sévères qu’elles résultaient en un handicap ou sinon une restriction de la capacité du fonctionnaire à se conformer aux conditions de déclaration. Or, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve de la sorte, si ce n’est pour affirmer l’existence de ces troubles.

[131] L’intimée a également fait référence à la décision Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360; conf. par 2015 CAF 98, dans laquelle la Cour fédérale a écrit ce qui suit au sujet de la question du stress comme déficience :

37. Comme l’a fait valoir le défendeur, les décisions rendues par les arbitres du travail et les tribunaux de droits de la personne indiquent invariablement que le stress peut être invalidant, mais qu’il ne constitue pas en soi une invalidité requérant des mesures d’adaptation. Pour se réclamer de la protection de la législation en matière de droits de la personne, l’employé doit fournir un diagnostic détaillé et étayé. Par ailleurs, un billet médical succinct peut être considéré comme dénué de valeur probante si le médecin ne témoigne pas (Gibson c. Conseil du Trésor (Ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, au paragraphe 31).

[132] Ces principes sont essentiels à l’analyse relative aux plaintes du plaignant. Dans sa réplique, le plaignant affirme que la preuve d’une déficience n’est pas élevée, comme il est indiqué dans la décision Dumont c. Transport Jeannot Gagnon, 2002 CanLII 5662 (TCDP). Dans cette affaire, le tribunal a accepté le témoignage du plaignant ainsi que les observations de l’intimé et a souligné à juste titre que la discrimination contre un plaignant pouvait être fondée sur une déficience perçue. Le plaignant fait en outre valoir qu’une preuve prima facie est fondée sur les éléments de preuve du plaignant, qui n’ont pas besoin d’inclure [traduction] « une preuve médicale ou des certificats médicaux ». L’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (Desormeaux), appuie la proposition selon laquelle, pour affirmer qu’il y a à première vue discrimination fondée sur la déficience, le Tribunal peut se rapporter au témoignage du plaignant et de son médecin de famille, sans avoir à faire appel à un spécialiste (Desormeaux, paragraphes 11 à 15).

[133] À l’audience, aucun médecin n’a été appelé à témoigner. En l’espèce, on aurait pu s’attendre à ce qu’au moins le Dr Miller soit appelé à témoigner et, à titre subsidiaire, à ce qu’on lui demande de préparer un rapport concret portant sur un diagnostic et sur la façon dont le plaignant se présente. La preuve du Dr Miller est limitée, toujours sur un carnet d’ordonnances et, sauf pour le billet du 19 octobre où il déclare que le plaignant souffrait de stress, d’anxiété et de dépression, il n’y avait aucune mention d’une déficience possible. De plus, ce billet ne laissait pas entendre que le plaignant ne pouvait pas travailler, mais recommandait plutôt une modification de tâches.

[134] Le plaignant soutient qu’il peut établir une preuve prima facie fondée sur les billets du médecin de famille. En l’espèce, à l’exception d’un court billet du Dr Miller daté du 19 octobre 2005, il n’y a eu aucun diagnostic de trouble médical. La seule information fournie était que le plaignant était en congé et souffrait de stress ainsi que de dépression et que des modifications à ses tâches devaient être apportées. Il est vrai, cependant, qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à un spécialiste si le diagnostic est suffisant.

[135] Dans les rapports soumis à l’ARC, il n’a jamais été mentionné que le plaignant était inapte au travail. Par exemple, le Dr Prendergast, qui avait jugé le plaignant apte au travail dans tous ses rapports, a déclaré le 21 septembre 2004 : [traduction] « Il est actuellement en bonne santé et capable de remplir les exigences de son poste. » Par ailleurs, le Dr Prendergast a déclaré que le plaignant ne souffrait pas d’un trouble médical qui l’empêcherait de retourner au travail. Dans son rapport du 27 janvier 2005, il a déclaré que la preuve médicale était assez simple et a conclu que le plaignant avait eu des facteurs de stress, mais n’avait jamais été gravement malade.

[136] Le Dr Miller a suggéré que le plaignant consulte un psychiatre, et le Dr Boissevain a recommandé que le plaignant consulte un psychologue. Cependant, le plaignant n’a rien fait de tout cela. Il convient également de souligner qu’il n’y a aucune preuve que le plaignant ait pris des médicaments contre le stress ou l’anxiété à quelque moment que ce soit. De plus, le plaignant a déclaré dans son témoignage que 2002 et 2003 étaient de bonnes années; par conséquent, ses problèmes de santé mentale semblent se limiter à 2001, à 2004 et aux années subséquentes.

[137] Le plaignant et son avocat ont informé le Tribunal qu’il avait eu d’autres problèmes médicaux. Le plaignant a déclaré avoir touché des prestations d’assurance invalidité de l’assurance-emploi. C’est peut-être le cas, mais le Tribunal n’a reçu aucun élément de preuve pour établir le fondement médical à l’égard duquel ces prestations ont été versées. En particulier, le témoignage du plaignant n’a pas révélé pourquoi il touchait des prestations d’invalidité de l’assurance-emploi.

[138] En outre, il convient de noter que tous les rapports présentés portaient sur les relations du plaignant avec l’ADRC et l’ARC, mais pas avec l’ASFC. En effet, il est important de souligner le fait que le plaignant n’a pas informé l’ASFC de son état de santé avant le concours 2006-1001. Avant ce concours, le plaignant n’avait jamais demandé de mesures d’adaptation à l’intimée et ne l’avait jamais informée d’une déficience.

[139] La preuve ne révèle pas que l’ADRC a communiqué l’état de santé du plaignant à l’intimée. De plus, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que le plaignant aurait eu le même genre de problèmes avec l’intimée qu’avec l’ADRC. La preuve montre plutôt qu’une grande partie des problèmes de santé du plaignant étaient directement liés à la relation toxique qu’il entretenait avec ses collègues et ses gestionnaires de l’ADRC.

[140] En ce qui concerne les concours et les différents jurys de sélection, le plaignant n’a présenté aucune preuve démontrant que l’intimée aurait dû avoir des soupçons au sujet de sa déficience. Son comportement devant les jurys de sélection ne témoignait pas d’une déficience ni les évaluations de son travail réalisées par ses superviseurs dans le cadre de son emploi pour l’intimée. De plus, il n’a jamais parlé de sa déficience à l’intimée, sauf lors du dernier concours en 2006.

[141] Il est important de mentionner qu’un processus d’embauche constitue une occasion beaucoup plus limitée d’apprendre indirectement les besoins d’adaptation d’un employé, comparativement aux interactions quotidiennes entre un employé et son superviseur.

[142] Cela dit, le concours 2006-001 mérite une attention particulière, puisqu’il s’agissait du premier concours pour lequel le plaignant demandait une mesure d’adaptation, mais aussi parce que je trouve la conduite de l’intimée troublante. En effet, bien qu’elle n’ait pas participé directement à ce concours, Mme Lennax a envoyé à M. Farrell un courriel non sollicité et a joint une lettre de Mme Stoner concernant le plaignant. Le courriel de Mme Lennax portait sur la comparution du plaignant devant la CFP en 2006, et la lettre de Mme Stoner portait sur son entrevue devant le jury de sélection dans le cadre du concours 2003-1002.

[143] Le contenu du courriel et celui de la lettre ont été exposés plus haut, mais le Tribunal conclut que leur but était de discréditer le plaignant. M. Farrell, nonobstant cette information, a choisi de retenir le plaignant et de le convier à une entrevue. Il est entendu que, dans la candidature du plaignant pour le concours 2006-1001, il n’y avait aucune mention d’une déficience ou d’une demande de mesures d’adaptation. L’entrevue était prévue pour le 7 novembre 2006 et, avant cette date, le plaignant avait présenté trois demandes : 1) il ne voulait pas que son entrevue ait lieu dans un bureau en particulier; 2) il voulait obtenir les noms des membres du jury de sélection; 3) il voulait qu’une mesure d’adaptation lui soit accordée en raison de sa déficience. Malheureusement, l’employé de l’ASFC qui a reçu cette demande ne l’a pas transmise au jury chargé de l’entrevue.

[144] Il est entendu que le plaignant n’a fourni au jury de sélection aucun document à l’appui de ses allégations selon lesquelles il avait des problèmes de santé mentale. Au début de son entrevue, le plaignant a informé le jury qu’il avait besoin de mesures d’adaptation et qu’il souffrait de problèmes de santé mentale, principalement de dépression, ce qui nuisait à son élocution. Il a également dit qu’il souffrait de paranoïa et qu’il manquait de confiance en lui. Le plaignant s’inquiétait de sa prestation à l’entrevue et a suggéré qu’au lieu de procéder à une entrevue officielle, le conseil se fonde sur ses évaluations de rendement pour la période allant jusqu’en 2004. Ces symptômes n’ont jamais été mentionnés devant les jurys de sélection précédents. Comme il a déjà été mentionné, l’entrevue du 7 novembre 2006 ne s’est pas bien déroulée, et je juge que les deux parties ont cherché la confrontation. Une fois que le plaignant a présenté sa demande, l’entrevue a été ajournée, et le jury a demandé des rapports médicaux afin de pouvoir prendre une décision sur la demande. Au cours des mois suivants, le plaignant et l’intimée ont échangé plusieurs courriels sur la possibilité de répondre aux besoins du plaignant. Ce n’est que le 1er février 2007 que le plaignant a fourni à l’ASFC un billet du médecin qui précisait qu’il aurait [traduction] « [...] besoin de plus de temps dans le processus d’entrevue en raison de problèmes de concentration et de logique ».

[145] En fin de compte, M. Farrell était d’avis qu’il avait suffisamment d’information pour procéder à l’entrevue et, à un moment donné, il a écrit à Mme Lennax qu’il était prêt à procéder à l’entrevue. Toutefois, peu de temps après, il a changé d’avis et a eu l’intention d’écarter le plaignant du processus. Mme Lennax l’a exhorté à procéder à l’entrevue pour permettre au plaignant de se faire connaître. L’entrevue a finalement eu lieu le 7 mars 2007.

[146] L’examen de la preuve médicale révèle que le plaignant souffrait d’une forme quelconque de stress ou de dépression. Toutefois, aucun psychiatre, psychologue ou conseiller n’a jugé le plaignant médicalement inapte au travail. Tous les facteurs de stress étaient liés au travail du plaignant auprès de l’ADRC et de l’ARC; aucun ne concernait l’ASFC. Avant le concours de 2006, le plaignant n’avait jamais fait mention d’une déficience et n’avait jamais demandé de mesures d’adaptation; en fait, il a été embauché pour trois postes de durée déterminée et a été inscrit dans d’autres répertoires de candidats présélectionnés. Il ne s’agit guère d’une preuve selon laquelle l’intimée avait l’impression que le plaignant souffrait d’une déficience mentale ou qu’il avait des problèmes de santé mentale. Le plaignant n’a jamais fait état d’autres problèmes de santé que l’anxiété et le stress, et il n’a pris aucune mesure active pour obtenir une aide psychiatrique.

[147] La qualité des billets du Dr Miller, qui étaient rédigés sur des blocs d’ordonnances, était nettement insuffisante. Il aurait dû y avoir des preuves en ce qui concerne les notes au dossier, et, si le Dr Miller n’a pas été appelé à témoigner, un rapport complet aurait dû être préparé. Aucun des rapports ou des éléments de preuve ne comportait un diagnostic de maladie mentale, et, bien que, parfois, la conduite du plaignant n’ait certainement pas été particulièrement bonne, il n’y avait aucune preuve que le plaignant souffrait d’une déficience d’ordre médical.

[148] L’intimée a également cité l’arrêt Canada (Procureur général) c. Gatien, 2016 CAF 3, dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé la distinction entre les déficiences et les affections, et déclaré, au paragraphe 47 :

47. À cet égard, contrairement à ce que le juge de la Cour fédérale a conclu, l’arbitre disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure raisonnablement que l’employeur n’était pas au courant de l’état de santé mentale de Mme Gatien lorsqu’il avait imposé une mesure disciplinaire. Le simple fait qu’elle ait fondu en larmes ou ait déclaré qu’elle était stressée était loin de prouver qu’elle souffrait d’un trouble psychiatrique reconnu. De même, le court billet de son médecin, qui faisait simplement état de facteurs récents de stress pour justifier un bref congé de maladie, était loin d’indiquer à l’employeur que Mme Gatien souffrait ou était susceptible de souffrir d’un état de stress post-traumatique.

[149] Dans la décision Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3, le Tribunal a adopté une position différente au paragraphe 88 :

88. La Loi ne renferme aucune liste énumérant les déficiences mentales acceptables et les déficiences mentales non acceptables. Ce ne sont pas seulement les déficiences mentales les plus graves qui ont droit à la protection prévue dans la Loi. De plus, ce ne sont pas seulement les déficiences qui constituent une incapacité permanente qui doivent être prises en compte. Le cas échéant, même les déficiences mentales décrites comme étant mineures et qui ne se manifestent pas d’une façon permanente pourraient avoir droit à la protection prévue dans la Loi. Toutefois, l’existence d’une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante.

[150] La décision Mellon a confirmé que « les déficiences mentales décrites comme étant mineures et qui ne se manifestent pas d’une façon permanente pourraient avoir droit à la protection prévue dans la Loi ». Cependant, le Tribunal poursuit en déclarant : « Toutefois, l’existence d’une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante. » Jusqu’à la clôture de la présente instance, il n’y a jamais eu de déficience permanente diagnostiquée ni de preuve médicale présentée avec quelque précision que ce soit. Le médecin traitant, le Dr Miller, a produit des billets, mais n’a présenté aucun rapport et n’a pas été appelé à témoigner. En l’espèce, si l’on accepte le raisonnement établi dans la décision Mellon, aucune preuve suffisante établissant une déficience n’a été présentée.

[151] Dans ce contexte, je conclus que le plaignant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait souffert de problèmes de santé mentale de 2001 à 2005 ni que l’ASFC avait pu être au courant de ses démêlés avec l’ADRC à ce moment-là. Toutefois, je conclus que, lors du concours de 2006-001, le plaignant a établi qu’il souffrait d’une déficience et qu’il avait demandé des mesures d’adaptation. Je ne considérerai donc que ce concours en particulier pour les deux autres volets de l’analyse relative à la discrimination prima facie.

[152] Je dois d’abord déterminer si le plaignant a subi un effet préjudiciable lors du concours 2006-001. En l’espèce, je crois qu’aucune analyse approfondie n’est nécessaire, puisque j’estime que le plaignant a subi un effet préjudiciable, tel qu’il est décrit à l’article 7 de la Loi, lorsqu’il a échoué au concours et n’a pas été inscrit dans un répertoire de candidats préqualifiés. L’article 7 de la Loi est clair : « Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects [...] de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu. »

[153] Deuxièmement, je dois déterminer si la déficience du plaignant a joué un rôle dans le fait qu’il n’a pas été retenu lors du concours 2006-001.

[154] Comme il a déjà été mentionné, au moment où le plaignant s’était inscrit au concours 2006-001, sa conduite s’était détériorée. Il a dit au jury, présidé par M. Farrell, qu’il avait besoin de mesures d’adaptation et il a présenté des éléments de preuve médicale pour appuyer cette position. C’était la première fois que le plaignant informait un jury de ses problèmes de santé et demandait des mesures d’adaptation. Le jury a, à juste titre, ajourné l’audience à la demande du plaignant afin de déterminer les mesures d’adaptation appropriées. S’en est suivi une correspondance entre le plaignant et Mme Lennax, et entre Mme Lennax et M. Farrell. Il y a aussi eu une lettre de Mme Stoner qui a été rédigée relativement à sa conduite lors de l’entrevue pour le concours 2003-1002. À un moment donné, M. Farrell a presque écarté le plaignant, mais, comme l’y a exhorté Mme Lennax, il a changé d’idée et a retenu la candidature du plaignant dans le concours.

[155] Je trouve que la conduite des employés de l’intimée tout au long de ce processus est teintée de « subtiles odeurs de discrimination ». Le fait que le jury a reçu un courriel ainsi qu’une lettre de Mme Lennax et de Mme Stoner pour discréditer le plaignant était inacceptable. Ces courriels et cette lettre ont sans aucun doute influencé le jury et la façon dont il a perçu les aptitudes du plaignant à occuper le poste. Dans ce contexte, je conclus que la déficience du plaignant ou sa déficience perçue a été un facteur dans la décision du jury d’écarter M. Hughes. Je conclus également que, pour ce concours en particulier, M. Hughes s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination.

[156] Je dois maintenant déterminer si l’intimée a été en mesure de réfuter les allégations de discrimination prima facie ou si elle a établi, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée.

[157] L’intimée a fait valoir que, puisque le jury de sélection avait été informé que le plaignant avait des problèmes de concentration, d’élocution, de logique et de raisonnement logique, les mesures d’adaptation visaient à accorder plus de temps au plaignant pour répondre aux questions. Le jury a toutefois refusé d’examiner les évaluations de rendement antérieures du plaignant au lieu de l’entrevue. Malgré les mesures d’adaptation prévues, le plaignant a échoué au processus d’entrevue. L’intimée fait valoir qu’elle a mis en œuvre des mesures d’adaptation pour le plaignant, mais le Tribunal juge que l’intimée n’en a pas fait assez pour répondre aux besoins du plaignant. Le contenu péjoratif du courriel de Mme Lennax ainsi que la lettre de Mme Stoner ont entaché l’idée que M. Farrell se faisait du plaignant. L’intimée aurait dû envisager d’établir un nouveau jury, dont les membres n’auraient pas eu une telle perception de sa maladie mentale. L’intimée fait valoir que la question du maintien en poste et des capacités cognitives du plaignant est primordiale pour les bureaux de l’ASFC. Toutefois, l’intimée ne s’est pas fondée sur l’article 15 de la Loi. Par conséquent, je ne peux conclure que l’ASFC a établi une défense.

[158] En résumé, je conclus que le plaignant a établi qu’il souffre d’une déficience réelle ou perçue, qu’il a subi un effet préjudiciable en raison de sa déficience lors du concours 2006-1001 et que sa déficience réelle ou perçue a joué un rôle dans cet effet préjudiciable. Il a donc satisfait au critère de la preuve prima facie. L’intimée n’a pas été en mesure de réfuter les allégations de discrimination prima facie ou d’établir, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée.

C. Déficience d’ordre médical perçue ou déficience d’ordre médical

[159] Vu l’ensemble des circonstances précédant le concours de 2006-001, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu discrimination fondée sur une déficience d’ordre médical ou sur une déficience d’ordre médical perçue contraire aux dispositions de la Loi. La raison en est que le Tribunal a conclu que le plaignant n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il souffrait d’une déficience, ou d’une déficience perçue, avant le concours de 2006-1001. Par conséquent, toutes les allégations formulées jusqu’au concours 20061001 sont rejetées.

D. Concours 2006-001

[160] De toute évidence, dans le cadre du concours de 2006-001, lorsque le plaignant a comparu devant le jury de sélection, son état s’était détérioré. Il a demandé des mesures d’adaptation avant l’audience et a finalement fourni d’autres billets médicaux à l’appui de sa demande.

[161] Le Tribunal croit qu’au concours 2006-001, le plaignant a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une déficience d’ordre médical ou une déficience d’ordre médical perçue, et qu’il a été victime de discrimination dans le processus d’embauche, au motif de sa déficience d’ordre médical réelle ou perçue. La plainte est en partie fondée.

VI. DIRECTIVES DU TRIBUNAL

[162] Le Tribunal ordonne par la présente au greffe de consulter les parties pour fixer des dates communes auxquelles tenir une audience sur les mesures de réparation. Cette audience sur les mesures de réparation ne portera que sur le dernier concours, 2006-001.

Signé par

George E. Ulyatt

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 29 mai 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1726/8111 et T1769/12411

Intitulé de la cause : Chris Hughes c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 29 mai 2019

Date et lieu de l’audience : Du 23 au 26 juin 2015; du 4 au 8 avril 2016; du 16 au 20 mai 2016; du 20 au 24 juin 2016; le 31 octobre 2016; du 1er au 4 novembre; du 21 au 23 novembre 2016; le 7 mars 2017; les 24 et 25 avril 2017 ainsi que le 26 février 2018

Victoria (Colombie-Britannique)

Comparutions :

David Yazbeck , pour le plaignant

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Graham Stark , pour l'intimée

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