Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 36

Date : le 28 août 2019

Numéro du dossier : T2156/3016

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Rosanne Harrison

la plaignante

 

– et –

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

– et –

Première Nation de Curve Lake et Société canadienne des postes

les intimées

Décision sur requête

Membre :  Lisa Gallivan

 



I.  Contexte

[1]  Dans la présente décision, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) est appelé à trancher une requête présentée par la Société canadienne des postes (Postes Canada) en vue d’obtenir une ordonnance annulant la décision 2018 TCDP 7 et exigeant la tenue d’une nouvelle audition de la requête visant l’adjonction de Postes Canada à titre de partie dont la présence est nécessaire à l’affaire en l’espèce.

[2]  Le 9 mars 2018, le Tribunal a accueilli la requête présentée par l’intimée dans le but de faire ajouter la Société canadienne des postes (Postes Canada) à titre de partie intimée à l’affaire (la décision).

[3]  Le 22 juin 2018, Postes Canada a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance réexaminant ou annulant la décision au motif que la requête en adjonction n’avait pas été correctement portée à son attention.

[4]  La présente décision porte uniquement sur la question de savoir si la décision rendue par le Tribunal le 9 mars 2018 sera rouverte. Elle ne porte pas sur le bien-fondé de l’ensemble de la plainte. Par conséquent, les seuls faits qui sont pertinents en l’espèce concernent la livraison contestée des documents de requête à Postes Canada.

[5]  Situons brièvement l’affaire dans son contexte. Le 28 octobre 2016, l’intimée a présenté une requête visant l’adjonction de Postes Canada à titre de partie à l’affaire. Les documents de la requête ont été envoyés par messagerie à Postes Canada, à l’attention d’Anne Therese MacEachern, vice-présidente, Ressources humaines, au siège social de Postes Canada, à Ottawa (Ontario).

[6]  Un bordereau de Purolator confirme la signification et indique que « Nancy » de Postes Canada a accepté la livraison à la [traduction] « plate-forme de chargement ».

[7]  Postes Canada n’a pas participé à la requête et soutient n’avoir eu connaissance de la requête que le 20 avril 2018.

II.  Questions en litige

[8]  Le Tribunal devrait-il rouvrir sa décision du 9 mars 2018 et examiner la requête de Postes Canada?

[9]  Le Tribunal est-il dessaisi de l’affaire?

[10]  La signification a-t-elle été bien effectuée à Postes Canada?

III.  Le droit

A.  Le Tribunal devrait-il rouvrir sa décision du 9 mars 2018?

[11]  Pour déterminer si le Tribunal devrait rouvrir sa décision du 9 mars 2018, il faut d’abord savoir s’il a compétence pour le faire. Lorsqu’il examine une telle question de compétence, le Tribunal doit déterminer si le principe du functus officio l’empêche d’aller plus avant dans l’exercice de sa compétence.

[12]  Dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848, la Cour suprême du Canada a confirmé que lorsqu’un tribunal rend une décision définitive sur une question, le principe de functus officio fait en sorte qu’il est impossible de rouvrir cette décision, sauf s’il y a eu une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal ou si une erreur a été commise dans la rédaction de la décision. La Cour a aussi confirmé que ce principe s’applique aux tribunaux administratifs. Or, ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce.

[13]  Comme il est indiqué aux paragraphes 3 et 4 de l’affaire Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2018 TCDP 8, la réouverture d’une décision est rare et exceptionnelle et devrait être réservée à des circonstances extraordinaires :

Le Tribunal estime que la présente requête dont il est saisi soulève des questions qui ont déjà [été] tranchées par le Tribunal lors d’un appel conférence. Je rappelle que de déposer une requête afin que le Tribunal reconsidère, réexamine ou retranche des questions déjà jugées est un recours extraordinaire. Je suis d’avis que s’il en était autrement, ce type de requêtes pourrait porter atteinte aux principes relatifs au caractère définitif des décisions prises par les cours de justice et les tribunaux ainsi qu’à l’intégrité de l’administration de la justice.

Généralement, le Tribunal n’a pas pour pratique de réexaminer une question qui a déjà été tranchée.

[14]  La présente affaire n’est pas un cas rare ou extraordinaire. Nous examinerons donc la question de savoir si la décision peut être rouverte en se fondant sur le fait que le Tribunal est maître de sa procédure, qu’il a le pouvoir de le faire et qu’il devrait procéder ainsi puisqu’il y a eu déni de justice naturelle ou d’équité procédurale.

B.  Le Tribunal est maître de sa procédure

[15]  À la page 2 de la décision Aubut c. Ministre du Revenu national, [1990] ACF no 1100, la Cour d’appel fédérale a conclu que les tribunaux administratifs ont le pouvoir de réexaminer leurs propres décisions quand ces décisions ont été prises sans tenir compte des principes de justice naturelle. Par conséquent, dans les cas où une partie a été privée de son droit à l’équité procédurale, comme l’a fait valoir Postes Canada, le Tribunal a compétence pour remédier au vice de procédure en instruisant de nouveau l’affaire.

[16]  Je dois donc déterminer si les faits en l’espèce étayent la thèse selon laquelle Postes Canada a été privée de son droit à l’équité procédurale.

[17]  Postes Canada a demandé au Tribunal de rouvrir sa décision au motif qu’elle n’a pas pu participer à la requête originale visant à l’ajouter à titre de partie à la plainte. Pour que je puisse souscrire à cet argument, je dois d’abord conclure que le fait que Postes Canada n’ait pas participé à la requête originale était attribuable à l’absence d’un avis de requête. Je dois donc examiner les faits entourant la signification des documents de requête et les Règles de procédure légales qui régissent la signification.

C.  Règles de procédure

[18]  Le paragraphe 2(2)c) des Règles de procédure du Tribunal est ainsi libellé :

2(2) Les significations sont faites en communiquant le document à la partie ou à son représentant par l’un des moyens suivants :

a)  par télécopieur, pour les documents d’au plus 20 pages;

b)  par huissier;

c)  par courrier recommandé, courrier ordinaire ou messagerie; ou

d)  en mains propres.

[19]  L’intimée a produit une preuve par affidavit qui démontrait que les documents de requête avaient été envoyés au siège social de Postes Canada, à Ottawa, le 31 octobre 2016, par l’entremise du service de messagerie Purolator. Ces documents ont été reçus par une employée nommée « Nancy », à la [traduction] « plate-forme de chargement ».

[20]  Comme il a été mentionné, les Règles de procédure confirment que les documents peuvent être signifiés par messagerie. Il n’est pas nécessaire que les documents soient remis en mains propres. Le service de messagerie est donc une façon acceptable d’effectuer la signification. En conséquence, je dois vérifier si la réception des documents de requête a été établie.

[21]  L’alinéa 2(3)a) indique clairement qu’un affidavit de signification suffit pour prouver la signification :

2(3) La preuve d’une signification peut être établie par

a)  un affidavit de signification;

b)  une déclaration écrite signée par la personne qui a fait la signification;

c)  un certificat du procureur;

d)  un aveu de la partie ayant fait l’objet de la signification; ou

e)  un témoignage fait sous serment devant le membre instructeur;

[22]  L’intimée a produit un affidavit de signification établissant que les documents de requête avaient été signifiés à Postes Canada le 31 octobre 2016, à 8 h 58, et qu’ils avaient été reçus par « Nancy » au siège social d’Ottawa. Cela satisfait au critère de l’alinéa 2(3)a).

[23]  Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la prétention de Postes Canada selon laquelle je devrais prendre en considération le fait que l’affidavit de signification a été préparé près de 18 mois après la signification. Or, j’estime qu’aucune inférence négative ne devrait être tirée de ce fait puisque rien dans les Règles de procédure n’exige que l’affidavit soit préparé au moment de la signification ou à tout autre moment.

[24]  J’ai aussi examiné la position de Postes Canada selon laquelle je devrais remettre en question le fait que la signature originale de « Nancy » — qui figurait sur le bordereau de service de messagerie — n’ait pas été fournie. L’idéal serait d’avoir la signature de « Nancy », l’employée qui a reçu l’envoi le 31 octobre 2016, mais vu le temps écoulé depuis la signification et la politique de Purolator — qui est clairement indiquée sur les bordereaux — selon laquelle les signatures sont conservées seulement pendant un an après la livraison, je n’en tire aucune inférence négative. L’affidavit de signification établi par la société de messagerie et produit par l’intimée suffit à démontrer que la signification a été faite en vertu des Règles de procédure.

[25]  Enfin, j’ai examiné l’alinéa 3(2)a) et le paragraphe 8(3) des Règles de procédure, lesquels prévoient ce qui suit :

3(2)  Dès réception de l’avis de requête, le membre instructeur

a)  doit s’assurer de donner aux autres parties la possibilité de répondre;

[…]

8(3)  La Commission, l’intimé ou le plaignant qui désire ajouter une partie à l’instruction peut présenter une requête visant à obtenir une ordonnance à cet effet, qui doit être signifiée à la partie éventuelle, laquelle a droit à présenter des arguments au sujet de la requête.

[26]  Postes Canada soutient que ces règles étayent sa requête visant à rouvrir la décision.

[27]  Pour que je puisse conclure que Postes Canada n’a pas eu la possibilité de répondre à la requête originale, je dois conclure qu’elle n’a pas reçu d’avis de la requête. Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai conclu que la signification a été bien effectuée. Alors, bien que Postes Canada n’ait pas répondu à la requête, elle a eu la possibilité de le faire.

[28]  Pour appuyer sa requête en annulation de la décision, Postes Canada a également cité une décision de jurisprudence dans laquelle les observations écrites n’avaient pas été prises en compte. C’est une situation bien différente de celle dont est saisi le Tribunal. En l’espèce, le Tribunal n’a pas fait fi des observations écrites ou omis d’examiner les arguments qui y figuraient. Aucune observation écrite n’a été fournie. Le bien-fondé des arguments qui auraient pu être soulevés si des observations avaient été présentées outrepasse la portée de la présente instruction. En l’espèce, la signification a été faite à Postes Canada comme le prévoient les Règles de procédure. Postes Canada n’a pas répondu à la requête.

[29]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les documents de requête ont été bien signifiés à Postes Canada le 31 octobre 2016.

IV.  Décision

[30]  Après avoir analysé la preuve pertinente et la jurisprudence applicable, j’ai conclu que le Tribunal ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour rouvrir sa décision du 9 mars 2018.

[31]  La requête visant à rouvrir la décision du Tribunal datée du 9 mars 2018 est rejetée.

Signée par

Lisa Gallivan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 28 août 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2156/3016

Intitulé : Rosanne Harrison c. Première Nation de Curve Lake et Société canadienne des postes

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 28 août 2019

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Christopher Pigott et Tala Khoury , pour l'intimée , la Société canadienne des postes

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Candice S. Metallic, pour l'intimée , la Première Nation de Curve Lake

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