Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 33

Date : le 13 août 2019

Numéro du dossier : T2274/2918

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

AA

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I. Contexte

[1] Il s’agit d’une décision sur la requête présentée par l’intimée, les Forces armées canadiennes (les FAC), au titre du paragraphe 3(1) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles) en vue d’obtenir une ordonnance :

  • a) radiant de l’exposé des précisions d’AA, daté du 20 novembre 2018, les paragraphes et renvois suivants : les paragraphes 12, 13, 14, 32, 40 et les renvois suivants aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), l’alinéa 5a) à la page 19, l’alinéa 10a) à la page 20, et les alinéas 8b) et 10a) à la page 21;

  • b) radiant les paragraphes 3, 5 et 9 de la réplique d’AA datée du 28 décembre 2018;

  • c) prescrivant à AA de communiquer ses déclarations de revenus pour les années suivantes : 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019;

  • d) sommant AA de présenter un résumé de chacun des témoignages prévus dans son exposé des précisions et sa réplique selon l’alinéa 6(1)f) des Règles.

II. Faits

[2] Le 6 mai 2014, AA a déposé une plainte à la Commission dans laquelle il a allégué avoir fait l’objet de discrimination entre mai 2013 et le 6 mai 2014 pour des motifs de distinction fondés sur la déficience, au sens des articles 7 et 14 de la LCDP. Dans la plainte, il affirme que les FAC l’ont défavorisé et ont omis de lui procurer un milieu de travail exempt de harcèlement.

[3] AA s’est enrôlé dans les FAC en tant qu’officier d’infanterie le 28 mars 2007 et il est devenu officier du renseignement en juin 2008. Durant la période visée par la présente plainte, AA était capitaine dans les Royal Canadian Dragoons (RCD) à Petawawa, en Ontario.

[4] En octobre 2007, AA a subi une blessure pour laquelle il a dû être opéré de la hanche droite en 2010.

[5] AA soutient qu’il a fait l’objet d’un traitement défavorable pour des motifs fondés sur la déficience. En particulier, il affirme qu’il avait une déficience dont les FAC n’ont pas tenu compte et qu’il a fait l’objet de représailles et de harcèlement pour avoir tenté de faire respecter ses restrictions médicales à l’emploi (RME).

[6] En fin de compte, AA a été libéré des FAC pour des raisons médicales le 22 mars 2015.

[7] Le 10 avril 2013, le médecin des Royal Canadian Dragoons a imposé à AA des RME en raison de la présence de l’arthrite dans sa hanche. Selon ses RME, il devait éviter la course, les terrains accidentés, les activités ayant un impact élevé sur le corps et les exercices comportant des mouvements saccadés.

[8] Le 1er mai 2013, les FAC ont affecté AA à un exercice de formation, l’exercice Maple Resolve 1301 (« Ex MR 1301 ») à la base des Forces canadiennes de Wainwright, en Alberta.

[9] Selon AA, pendant son affectation à l’Ex MR 1301, les FAC ont contrevenu à ses RME en exigeant qu’il participe à des activités physiques de l’exercice. AA déclare qu’il a été obligé de traverser un terrain accidenté, de se tenir sur des planchers instables et de voyager dans un véhicule sur des pistes très accidentées. Ces activités ont entraîné des secousses et une inflammation de sa hanche.

[10] Le 7 mai 2013, peu après son arrivée à la BFC Wainwright, AA a consulté un médecin, qui lui a prescrit l’utilisation d’une canne et lui a imposé d’autres RME. Le 24 mai 2013, le médecin de la BFC Wainwright a déclaré AA exempt de service pendant deux jours. Vers le 27 mai 2013, les FAC ont renvoyé AA à la BFC Petawawa pour qu’il soit traité.

[11] Selon AA, les conditions de son déploiement à l’Ex MR 1301 ont entraîné une détérioration de sa santé physique. Il affirme que le 24 mai 2013, tandis qu’il était en congé de maladie, son commandant a exigé qu’il accomplisse dans son unité des tâches qu’il était incapable d’exécuter. Quand il a refusé de le faire, son commandant a diffusé un courriel mettant en cause son intégrité.

[12] Le 29 août 2013, AA a déposé un grief dans lequel il alléguait avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire durant l’Ex MR 1301, au moyen de la procédure de griefs des FAC. Il déclare qu’il a aussi demandé de consulter un conseiller en matière de harcèlement.

[13] Dans son grief, AA affirme que les FAC ont omis de tenir compte de ses RME durant son déploiement à l’Ex MR 1301. Le grief a été rejeté à deux paliers de l’autorité décisionnelle : l’autorité initiale et l’autorité de dernière instance. Aussi, la procédure a été examinée par le Comité externe d’examen des griefs militaires, un tribunal administratif indépendant.

[14] Le 21 octobre 2013, après qu’AA a déposé son grief, les FAC ont envoyé à AA un avertissement écrit pour malhonnêteté, conduite contraire à l’éthique et manque de professionnalisme lors d’incidents qui se sont produits en mai 2013, durant l’Ex MR 1301.

[15] AA déclare qu’en juillet 2013, il a reçu un diagnostic d’anxiété et de dépression découlant de son expérience au travail et de son service en Afghanistan en 2012. Il a révélé cet état pour la première fois à ses supérieurs en mars 2014. Peu après, un des officiers de sa chaîne de commandement a diffusé un courriel dans lequel il était mentionné que : [traduction] « nous devons veiller à appuyer nos soldats qui sont blessés et nous débarrasser de ceux qui profitent du système ». Selon AA, les FAC considèraient qu’il [traduction] « profitait du système ».

[16] AA déclare que, le 17 avril 2014, après qu’il a informé les FAC de son intention de déposer une plainte de harcèlement officielle, les FAC l’ont retiré de son poste et l’ont placé sous la supervision de la personne qui aurait été son harceleur. AA affirme que cette action lui a causé une dépression nerveuse. Selon lui, au fur et à mesure que le processus de son grief avançait, les FAC ont remis en question le moment et la légitimité de ses problèmes de santé mentale.

[17] La Commission a examiné la plainte et, dans son rapport daté du 18 août 2016, établi en application des articles 40 et 41 de la LCDP, elle résume la plainte de la manière suivante :

[traduction]

[…] Dans sa plainte relative aux droits de la personne, [AA] allègue que les FAC ont omis de lui offrir des mesures d’adaptation tenant compte de ses déficiences et de lui offrir un milieu de travail exempt de harcèlement. Il décrit ses déficiences comme étant une arthrite modérée de la hanche droite ainsi qu’une dépression modérée accompagnée d’anxiété, toutes deux étant, selon lui, attribuables à son service militaire.

[AA] déclare qu’il a révélé aux FAC sa déficience mentale pour la première fois en mars 2014 (jusqu’alors, seuls ses médecins en étaient au courant). Il affirme que, en avril 2014, après qu’il a déclaré son intention de déposer une plainte de harcèlement contre une certaine personne, il a été informé qu’il serait retiré de son poste et placé sous la supervision de cette personne. Il soutient qu’il s’agissait d’un acte discriminatoire qui lui a causé une dépression nerveuse pour laquelle il a dû obtenir des soins psychiatriques.

[18] Dans le rapport de la Commission du 7 décembre 2017, établi au titre de l’article 49 de la LCDP, la portée du rapport est résumée ainsi :

[traduction]

[AA] avance plusieurs allégations de traitement défavorable fondé sur la déficience, ainsi que les allégations d’omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement. Toutefois, compte tenu des renseignements fournis par les parties et de la recommandation énoncée à l’article 49, le présent rapport ne portera que sur la prétention selon laquelle les FAC ont contrevenu à ses RME durant son emploi.

III. Questions en litige

[19] Les questions à trancher sont les suivantes :

  • a) Certains paragraphes et renvois de l’exposé des précisions et de la réplique d’AA, décrits aux alinéas 1a) et 1b) de la présente décision sur requête, devraient-ils être radiés au motif qu’ils soulèvent des allégations supplémentaires ne relevant pas de la portée de la plainte déposée à la Commission?

  • b) AA aurait-il dû communiquer ses déclarations de revenus aux FAC pour les années allant de 2014 à 2019?

  • c) AA aurait-il dû fournir un résumé de chacun des témoignages prévus des personnes citées dans son exposé des précisions, selon l’alinéa 6(1)f) des Règles?

IV. Thèses des parties

[20] Les FAC, en tant que partie requérante, présentent dans leur mémoire daté du 5 avril 2019, les arguments résumés dans les paragraphes 21 à 28 ci-après.

[21] Les FAC demandent que soient radiés de l’exposé des précisions et de la réplique des passages qui, selon elles, contiennent des allégations nouvelles et non liées à l’affaire en cause. Dans ces allégations, AA a affirmé avoir aussi fait l’objet de discrimination pour des motifs de santé mentale. Or, les FAC soutiennent que cette allégation ne faisait pas partie de la plainte d’AA, qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une enquête par la Commission et que les FAC n’avaient pas non plus répondu à une telle allégation ni ne l’avaient examinée. Par conséquent, elle ne faisait pas partie de l’affaire que la Commission avait renvoyée au Tribunal pour instruction. Bien que les FAC reconnaissent que la plainte entière a été renvoyée au Tribunal, elles soutiennent que ce qui est en cause, c’est la nature et le fond de la plainte.

[22] Selon les FAC, dans la plainte d’AA, les seules déclarations alléguant l’existence d’une discrimination fondée sur la déficience mentale étaient qu’il souffrait de [traduction] « de dépression modérée et d’anxiété » et que, selon lui, sa [traduction] « dépression nerveuse » était due à la réponse qu’il avait reçue relativement à la contravention alléguée à ses RME. Les FAC soutiennent que les allégations figurant dans la plainte font allusion aux problèmes de santé mentale d’AA comme étant un effet corollaire de ses RME et du grief qu’il a déposé concernant ses RME. Les FAC soutiennent que, comme AA reconnaît dans son exposé des précisions que les FAC n’étaient pas au courant de ses problèmes de santé mentale, elles ne voient pas comment elles auraient pu faire preuve de discrimination à l’endroit d’AA ou omettre de lui fournir des mesures d’adaptation pour des raisons dont elles ignoraient l’existence.

[23] Les FAC soutiennent que l’examen d’une nouvelle plainte liée à la santé mentale à ce stade leur porte préjudice. Cela prive les FAC de la possibilité de répondre au stade de l’enquête et de voir la plainte rejetée sommairement. L’examen d’une nouvelle plainte à ce stade permet de contourner cette étape de la procédure et prive les FAC du droit d’être informées des allégations portées contre elles et d’avoir la possibilité d’y répondre.

[24] En particulier, les FAC soutiennent ce qui suit :

[traduction]

  • a) les paragraphes 12 à 14, 32 et 40 de l’exposé des précisions devraient être radiés, car ils ne s’inscrivent pas dans la portée de la plainte dont est saisi le Tribunal, y compris les allégations de discrimination fondée sur la déficience mentale et toute question soulevée depuis la libération d’AA pour des raisons médicales en 2015;

  • b) les renvois aux alinéas 5a), 8b) et 10a) de la LCDP dans l’exposé des précisions devraient être radiés, car on y soulève pour la première fois devant le Tribunal des pratiques discriminatoires qui n’étaient pas en cause au moment de la plainte, du processus de grief ou de l’enquête de la Commission, y compris les allégations relatives à des problèmes mentaux non diagnostiqués qui n’ont pas fait l’objet de mesures d’adaptation et des pratiques de discrimination systémique non liées à la violation alléguée des RME;

  • c) les paragraphes 3, 5 et 9 de la réplique devraient être radiés, car ils ne s’inscrivent pas dans la portée de la plainte, y compris de nouvelles questions relatives à la déficience mentale non liées au moment de la discrimination alléguée, comme la décision d’AA de ne pas contester sa libération pour raisons médicales.

[25] Selon les FAC, il est à prévoir que les allégations supplémentaires d’AA 1) élargiront la portée des questions instruites par le Tribunal et y ajouteront de nouveaux éléments, 2) augmenteront le nombre de témoins qu’il faudra entendre et 3) augmenteront le nombre de jours qu’il faudra consacrer à l’instruction de la plainte.

[26] Les FAC demandent également qu’AA fournisse ses déclarations de revenus pour les années allant de 2014 à 2019, car les feuillets T4 et autres renseignements qu’il a fournis jusqu’à présent sont insuffisants. AA demande à être indemnisé pour des pertes de salaire dont le total se situe entre 255 000 $ et 297 500 $, une indemnité différentielle de vie chère représentant entre 53 460 $ et 63 270 $ ainsi que sa pension qui s’élève à 31 500 $ par année, selon ses calculs. Les données contenues dans ses déclarations de revenus permettraient de calculer exactement son revenu durant la période en cause. Ces renseignements sont indispensables, car ils représentent les bases sur lesquelles le Tribunal peut s’appuyer pour trancher les questions de perte de revenu, d’atténuation et de causalité.

[27] AA a fourni une liste de témoins éventuels dans son exposé des précisions, mais il n’a pas présenté le résumé requis du témoignage prévu de ces personnes. Les FAC demandent que ces renseignements soient fournis le plus rapidement possible.

[28] Les FAC affirment que, tout au long du processus de grief et du processus d’enquête de la Commission, comme le démontrent les rapports issus de ces processus, la plainte d’AA a porté sur l’omission alléguée de prendre des mesures d’adaptation pour ses RME, qui se rapportent à la blessure de sa hanche et non à des questions de santé mentale. Les FAC citent la décision Bentley c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada, 2016 TCDP 17, à l’appui de leur argument selon lequel la nature et l’objet de la plainte renvoyée au Tribunal pour instruction ne portent pas sur des questions de santé mentale.

[29] Dans ses observations datées du 5 juin 2019 formulées en réponse à la requête, la Commission présente les arguments résumés dans les paragraphes 30 à 43 ci-après.

[30] La Commission soutient que, sans exception, toutes les allégations figurant dans l’exposé des précisions et la réplique du plaignant ont été expressément soulevées dans sa plainte datée du 6 mai 2014. La discrimination fondée sur des motifs de santé mentale faisait manifestement partie de la plainte. Étant donné que tous les paragraphes de l’exposé des précisions et de la réplique se rapportent directement à sa plainte, il n’y a aucun élément sur lequel le Tribunal peut se fonder pour radier une portion quelconque de l’exposé des précisions ou de la réplique, comme le demandent les FAC. Permettre à ces allégations de subsister ne constitue pas une modification de la plainte et ne causera aucun préjudice aux FAC. De plus, la Commission soutient qu’à ce stade de l’instance, il n’existe aucun motif permettant au Tribunal de limiter les réparations qui pourraient être accordées à AA.

[31] Aux paragraphes 50 et 51 de ses observations, figurant à l’annexe 1 ci-jointe, la Commission présente des renvois directs, sous forme de citations contenues dans un tableau, pour démontrer le lien direct entre le libellé des questions de santé mentale et de harcèlement soulevées par AA dans sa plainte et le libellé utilisé dans l’exposé des précisions que contestent les FAC.

[32] La Commission affirme qu’elle a renvoyé la totalité de la plainte d’AA au Tribunal aux fins d’instruction, et non une partie seulement. Rien dans la décision de la Commission du 11 avril 2018 ou dans la lettre de renvoi ne laisse croire que la Commission a demandé au Tribunal de n’instruire que la question restreinte relative aux mesures d’adaptation durant l’Ex MR 1301.

[33] Contrairement à la thèse soutenue par les FAC, la Commission fait valoir qu’une question qui est soulevée dans une plainte n’échappe pas à la portée de l’instruction du Tribunal pour l’unique raison que la Commission ne l’a pas examinée dans son enquête.

[34] La Commission cite la décision Connors c. les Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6 [Connors] à l’appui de la thèse selon laquelle « le rapport d’évaluation [de la Commission] sert à justifier ou supporter une décision de procéder à l’instruction de l’affaire devant le Tribunal et non pas à encadrer la portée de l’instruction du Tribunal » [non souligné dans l’original]. La méthode d’enquête ne détermine pas le contenu de la plainte ni la portée de l’instruction. Lorsque la Commission renvoie une plainte sans aucune autre précision, le Tribunal est saisi de la totalité de la plainte.

[35] La Commission renvoie aux décisions Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6 [Casler] et Gaucher c. Canada (Forces armées), 2005 TCDP 1 [Gaucher] pour affirmer que les plaintes en matière de droit de la personne ne tiennent pas lieu de plaidoirie dans le processus décisionnel devant le Tribunal. Au contraire, ce sont les exposés des précisions déposés auprès du Tribunal qui énoncent les modalités de l’audience. Le Tribunal peut faire droit à une demande de modification de l’exposé des précisions afin de veiller à ce que celui-ci fasse état correctement des questions en litige entre les parties à une plainte. Les instances en matière de droit de la personne peuvent donc être raffinées au fur et à mesure que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances se révèlent.

[36] La Commission cite les décisions Tabor c. La Première nation Millbrook, 2013 TCDP 9, Blodgett c. GE‑Hitachi Nuclear Energy Canada Inc., 2013 TCDP 24 [Blodgett] et Cook c. Première Nation D’onion Lake, 2002 CanLII 61849 (TCDP) [Cook] pour appuyer la thèse selon laquelle une modification devrait être autorisée à n’importe quelle étape de la procédure afin que soient déterminées les véritables questions en litige entre les parties. Cependant, une modification ne peut être autorisée si elle consiste en la présentation d’une plainte essentiellement nouvelle qui n’a aucun lien quant aux faits ou au droit avec la plainte initiale. En outre, une modification ne doit porter aux autres parties aucun préjudice « réel et important » qui ne peut pas être réparé.

[37] La Commission cite la décision Casler à l’appui de l’affirmation selon laquelle, pour déterminer la portée de la plainte renvoyée au Tribunal par la Commission,t, le Tribunal doit examiner la plainte initiale et la lettre de renvoi de la Commission. « Lors de cet examen, le Tribunal s’assure qu’il existe un lien avec les allégations qui ont donné lieu à la plainte originale et que cela n’outrepasse pas le mandat conféré à la Commission, en vertu de la Loi, en ce qui a trait au renvoi ».

[38] La Commission cite la décision Blodgett à l’appui de la thèse selon laquelle il est approprié de considérer les allégations d’omissions répétées dans un processus d’adaptation comme faisant « partie intrinsèque de l’exposé de tous les faits ».

[39] La Commission soutient que les parties de l’exposé des précisions que les FAC cherchent à faire radier sont clairement et expressément fondées sur la plainte ou se rapportent à celle‑ci au point que les allégations d’AA ne constituent pas une [traduction] « modification ». Essentiellement, les FAC demandent au Tribunal de ne pas connaître de certaines parties de la plainte que la Commission l’a chargé d’instruire.

[40] La Commission soutient que les modifications devraient être permises en vue d’inclure des allégations de discrimination systémique, lorsqu’il existe un lien factuel suffisant avec la plainte initiale.

[41] Selon la Commission, aux paragraphes 12 à 14 de son exposé des précisions, AA présente simplement davantage de renseignements, de précisions et de contexte pour les allégations qu’il a soulevées dans sa plainte. Cela est tout à fait acceptable dans les plaidoyers devant le Tribunal. La Commission est d’avis que ces paragraphes ne devraient pas être radiés.

[42] La Commission fait valoir qu’aux paragraphes 3 et 5 de sa réplique, AA esquisse son argument juridique concernant les faits. Les paragraphes 3 et 5 de la réplique se rapportent à son allégation selon laquelle les FAC ont omis de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de sa santé mentale, et comportent un fondement pour l’octroi de réparations particulières. Ces paragraphes de la réplique n’étendent pas la portée de la plainte au‑delà des allégations qui s’y trouvent.

[43] La Commission soutient que les allégations concernant la libération d’AA des FAC et sa perte de salaire, y compris le paragraphe 40 de l’exposé des précisions et le paragraphe 5 de la réplique, ne devraient pas être radiées, parce que le Tribunal possède le pouvoir discrétionnaire d’ordonner les réparations appropriées s’il peut conclure à une discrimination après avoir examiné les éléments de preuve dans une instruction complète. Le Tribunal a indéniablement compétence pour accorder une réparation de toutes les pertes subies en raison de la conduite discriminatoire, y compris toute perte de salaire. Les plaignants ne sont pas tenus d’énumérer les réparations qu’ils demandent au moment du dépôt de la plainte, et il est prématuré d’exclure, à ce stade de l’instruction, toute réparation qui peut être offerte. Comme le prévoit le paragraphe 53(2) de la LCDP, c’est le Tribunal qui détermine, à l’issue de l’instruction, les réparations appropriées de façon raisonnable et suivant des principes, compte tenu de toutes les preuves présentées.

[44] AA a aussi déposé une réponse à la requête. La plupart des observations figurant dans la réponse sont semblables à celles avancées par la Commission et font valoir les mêmes arguments. AA a aussi fourni un tableau explicatif semblable à l’annexe 1 de la présente décision sur requête; cependant, il mentionne également la maladie mentale et le harcèlement dans les documents qu’il a déposés auprès de la Commission à l’automne 2015 pour actualiser sa plainte. Cela étant dit, les arguments d’AA qui diffèrent de ceux de la Commission sont résumés aux paragraphes 45 et 46 ci‑après.

[45] AA souligne que, quand la Commission lui a donné la possibilité d’actualiser sa plainte à l’automne 2015 après qu’elle ait été suspendue, il a pu fournir à la Commission des renseignements sur d’autres événements et actions qui ont eu lieu après son départ des FAC. Aussi, il précise qu’il avait mentionné aux FAC les questions de santé mentale en mai 2015 dans le cadre du processus de grief.

[46] AA ne s’oppose pas à la demande de production de ses déclarations de revenus pour les années allant de 2015 à 2017, car ce sont les seules années pertinentes requises. De même, il ne s’oppose pas à la demande d’un résumé des témoignages prévus. Dans les deux cas, AA demande simplement un préavis de trente (30) jours à compter de la date de la décision sur requête pour communiquer les renseignements.

[47] Dans leurs observations en réplique datées du 31 juillet 2019, les FAC présentent les arguments résumés ci‑après aux paragraphes 48 à 52.

[48] Les FAC font valoir que, dans son exposé des précisions et sa réplique, AA a soulevé de nouvelles allégations qui sont sans lien avec la plainte et qui portent préjudice à l’intimée.

[49] Les FAC soutiennent que le tableau explicatif fourni par AA est [traduction] « […] très sélectif dans les énoncés en citant, par exemple, diverses personnes sans fournir de contexte général. Dans son exposé des précisions, le plaignant décrit en détail pour la première fois des faits se rapportant à sa santé mentale qui ne figuraient pas dans sa plainte initiale ».

[50] Selon les FAC, le renvoi par AA à son diagnostic de [traduction] « dépression modérée et anxiété » dans sa plainte n’a aucun lien avec le motif de discrimination. Dans sa plainte, ainsi que dans les observations subséquentes qu’il a présentées à la Commission, AA n’a fourni aucune précision ni aucun fait concernant la discrimination dont il aurait fait l’objet, en raison de ses problèmes de santé mentale. Ce n’est qu’à ce stade de l’instance qu’il présente un tableau comparant sa plainte initiale, et ses observations présentées à la Commission pour qu’elle reprenne l’analyse de sa plainte, à son exposé des précisions afin d’appuyer sa prétention concernant sa santé mentale.

[51] Les FAC soutiennent que, contrairement à la thèse de la Commission, les nouvelles allégations de discrimination systémique faites par AA n’établissement pas de lien suffisant avec les faits de la plainte initiale. Dans la décision Gaucher, le Tribunal réitère le principe fondamental selon lequel « [s]i une modification proposée ouvre une nouvelle voie non prévue à l’égard d’une instruction, elle ne devrait pas être autorisée ». Un des facteurs pratiques pris en compte par le Tribunal est de savoir si l’avis qu’a reçu l’intimée était suffisant pour respecter les exigences de justice naturelle. Il convient de souligner que, dans la décision Gaucher, l’intimée avait été informée de la nature systémique de la plainte à « l’étape préliminaire de la plainte » au moyen de l’affidavit de la plaignante dans sa demande de contrôle judiciaire, de même qu’au cours de toute l’enquête et de l’enquête additionnelle de la Commission. À l’inverse, en l’espèce, AA a soulevé la question de la discrimination systémique pour la première fois dans son exposé des précisions daté du 20 novembre 2018. À aucun moment avant le dépôt de l’exposé des précisions AA ou la Commission n’ont avisé les FAC de la nature systémique de la plainte.

[52] Les FAC précisent que la déclaration de revenus d’AA pour 2014 est requise pour qu’on puisse établir un calcul précis de sa capacité de gagner un revenu vers le moment de sa libération. Ces renseignements sont essentiels pour calculer le revenu réel d’AA et pour savoir s’il a subi une perte ou une réduction de revenu. Les déclarations de revenus pour 2018 et 2019 d’AA sont essentielles pour trancher les questions relatives à la perte de salaire et à l’atténuation. Les déclarations de revenus présenteraient une image complète et précise de tout revenu que le plaignant aurait été en mesure de tirer d’un autre emploi atténuant après sa libération des FAC en 2015.

V. Analyse

[53] Pour les motifs énoncés ci-après et par les ordonnances qui suivent, je rejette la requête en radiation des paragraphes et des renvois à la LCDP figurant dans l’exposé des précisions et dans la réplique d’AA, selon la description donnée aux alinéas 1a) et b) de la présente décision. Par ailleurs, je fais droit à la requête présentée en vue d’obtenir la communication des déclarations de revenus (à l’exception de celle de 2019 qui n’est pas encore disponible) et la production du résumé des témoignages prévus, selon la description donnée aux alinéas 1c) et d) de la présente décision.

[54] Essentiellement, la requête en radiation repose sur l’argument selon lequel les problèmes de santé mentale ne devraient pas relever de la portée de la présente instruction, car :

  • a) ils n’étaient pas mentionnés dans la plainte du 6 mai 2014, sauf à la toute fin de mars 2014 et seulement d’une façon superficielle, non fondée et connexe, en l’absence du lien requis avec le point central réel de la plainte, à savoir le traitement discriminatoire allégué qu’AA a subi en raison de ses RME;

  • b) ils n’ont pas fait l’objet d’une enquête de la Commission ni d’une réponse des FAC durant le processus de la Commission quand les FAC auraient pu les faire rejeter sommairement, et ils ne faisaient pas partie de l’affaire que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction. Cela étant, l’examen par le Tribunal de ces questions à ce moment-ci permettrait de contourner l’étape de l’enquête par la Commission et porterait préjudice aux FAC en les privant du droit de connaître les allégations formulées à leur endroit et d’avoir une possibilité raisonnable d’y répondre.

[55] Il ne s’agit pas en l’espèce d’une requête en modification puisque les paragraphes et les renvois en question se trouvent déjà dans l’exposé des précisions et la réplique, et que l’on demande leur radiation. Par conséquent, il s’agit de l’inverse d’une requête en modification, mais bon nombre des principes qui s’appliquent dans les situations où une modification est demandée s’appliquent aussi en l’espèce.

[56] La plainte est l’élément déclencheur du processus pouvant mener à une instruction par le Tribunal sur renvoi de la Commission, sous le régime de la LCDP. Le plus souvent, un éventuel plaignant, comme AA, dépose une plainte sans obtenir un soutien ou des conseils juridiques indépendants. À ce stade-ci, le plaignant ne fait que donner le résumé de sa version des faits dans un formulaire prescrit. Il relate ce qui s’est produit à sa connaissance à ce moment-là et qui l’a amené à croire qu’il a fait l’objet de discrimination au sens de la LCDP, et que cette discrimination pouvait persister.

[57] Il est bien établi que les lois en matière de droits de la personne sont considérées comme étant quasi-constitutionnelles et doivent être interprétées de façon large et en fonction de l’objet visé, afin de donner plein effet aux droits des personnes de vivre leur vie sans discrimination. Compte tenu de ce contexte, il ne faudrait pas restreindre indûment une plainte en faisant primer la forme sur le fond et le juridisme sur la réalité pratique.

[58] Bien que la plainte donne lieu à une enquête par la Commission et, en fin de compte, au renvoi au Tribunal, s’il y a lieu, elle ne constitue pas un acte de procédure. Les actes de procédure sont les exposés des précisions et les répliques, car ils énoncent les faits de l’affaire permettant d’établir les modalités à l’étape de la décision par le Tribunal dans sa recherche de la vérité relativement aux questions réelles et essentielles en litige.

[59] Cela étant dit, il doit y avoir un fondement factuel dans la plainte qui établit un lien raisonnable avec le contenu de l’exposé des précisions. Il ne peut s’agir d’une toute nouvelle allégation sans lien raisonnable avec un élément de la plainte et qui, par conséquent, constituerait une nouvelle plainte. Pour déterminer la portée d’une instruction lorsqu’une telle question se pose, comme c’est le cas en l’espèce, le Tribunal doit examiner tant la plainte que la demande d’enquête de la Commission. Voici les observations formulées à cet égard dans la décision Casler, aux paragraphes 7 à 11 :

[7] Le rôle du Tribunal est d’instruire les plaintes qui lui sont déférées par la Commission (voir les articles 40, 44 et 49 de la Loi). Par conséquent, pour déterminer la portée d’une plainte et s’il faut autoriser des modifications à celle-ci, il convient d’examiner la plainte originale et la demande d’enquête de la Commission, laquelle demande comprend généralement une lettre du président, la plainte originale et le formulaire de résumé de la plainte préparé par la Commission. Lors de cet examen, le Tribunal s’assure qu’il existe un lien avec les allégations qui ont donné lieu à la plainte originale et que cela n’outrepasse pas le mandat conféré à la Commission, en vertu de la Loi, en ce qui a trait au renvoi. Autrement dit, la décision concernant la portée ou les modifications ne peut pas introduire une plainte fondamentalement nouvelle, qui n’a pas été examinée par la Commission [voir Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 au paragraphe 30 (« Parent »); Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7 aux paragraphes 29 et 30 (« Kanagasabapathy »); Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1 au paragraphe 9 (« Gaucher »)].

[8] Cela dit, il faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. Un ensemble de faits plus ou moins exacts sont alors avancés et doivent être examinés plus avant par la Commission. Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. »

[9] En effet, la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie dans le processus juridictionnel du Tribunal, menant à une audience. Au contraire, ce sont les exposés des précisions déposés devant le Tribunal qui énoncent les conditions plus précises de l’audience. Dans la mesure où le fond de la plainte originale est respecté, la plaignante et la Commission devraient être autorisées à clarifier et à expliquer les allégations initiales avant la tenue d’une audience à l’égard de l’affaire (voir Gaucher, au paragraphe 10).

[10] Le rôle du Tribunal dans une requête comme celle présentée en l’espèce consiste à examiner les documents et les observations concernant la portée ou les modifications demandées, à déterminer la teneur même de la plainte et à décider si la définition de la portée ou les modifications demandées sont liées à l’objet principal de la plainte et si elles sont nécessaires pour permettre au Tribunal d’enquêter sur les questions essentielles en litige. Ce faisant, il n’incombe pas au Tribunal de réexaminer l’enquête menée par la Commission ou sa décision de déférer la plainte sur la base des résultats de l’enquête. Cette compétence relève exclusivement de la Cour fédérale (voir Waddle c. Chemin de fer Canadien Pacifique et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 TCDP 8, aux paragraphes 32 à 38).

[11] Comme lors de toutes ses interventions lorsqu’il s’agit de rendre une décision concernant la portée et les modifications, le Tribunal doit respecter les principes de justice naturelle et s’assurer que chacune des parties a la possibilité pleine et entière de présenter sa preuve [voir les paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la Loi]. Toute modification qui porte à l’une des parties un préjudice grave et irréparable ne devrait pas être autorisée [voir Cook c. Première Nation D’onion Lake, 2002 CanLII 61849 (TCDP), au paragraphe 20].

Aussi, comme cela a été énoncé dans la décision Gaucher, aux paragraphes 9 à 13 :

[9] La compétence du Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne vient du fait que la Commission a renvoyé la plainte. Cela donne le contexte général dans lequel toute demande de modification doit être examinée. La Commission, lorsqu’elle a renvoyé la plainte au Tribunal, doit avoir examiné la situation essentielle qui constitue le sujet de l’affaire à instruire. Cela crée certaines limites à l’égard des modifications qui doivent avoir leur historique dans les circonstances soumises à la Commission.

[10] Ce n’est toutefois qu’un aspect de l’affaire. Je pense qu’il faut être conscient de la réalité de la situation lors de l’examen d’une demande de modification. Le formulaire de plainte existe principalement pour les besoins de la Commission. Il est une première étape nécessaire qui soulève une série de faits qui requièrent une enquête plus à fond. Le formulaire de plainte fournit un point de départ important et il est approximatif en soi. Il n’a jamais eu pour but de servir aux fins d’une plaidoirie dans un processus adjudicatif qui mène à une audience. Ce sont les exposés des précisions, plutôt que la plainte initiale, qui énoncent les conditions plus précises de l’audience.

[11] Les parties doivent être conscientes qu’il n’y a rien d’inhabituel dans la demande d’une modification. Les formulaires soumis au Tribunal sont habituellement remplis avant que la plainte ait été correctement examinée et que tous les faits pertinents soient exposés. Il est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. Dans la mesure où le fond de la plainte initiale est respecté, je ne vois pas pourquoi la plaignante et la Commission ne devraient pas être autorisées à clarifier et à expliquer les allégations initiales avant la tenue d’une audience à l’égard de l’affaire.

[12] Je pense que les tribunaux qui traitent des droits de la personne ont adopté une démarche libérale à l’égard des modifications. Ce choix est conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne qui est une loi réparatrice. Elle ne devrait pas être interprétée d’une manière étroite ou technique. Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 A.C.S. no 75 (QL), au paragraphe 50, par exemple, la Cour suprême a approuvé une modification à une plainte qui « a simplement rendu la plainte conforme aux procédures ». Je pense que la situation qui m’est soumise est similaire. Il s’agit simplement de s’assurer que la forme de la plainte reflète avec précision le fond des allégations qui ont été renvoyées au Tribunal.

[13] La Cour fédérale a également souscrit à cette démarche. Dans la décision La Commission canadienne des droits de la personne et al. c. Bell Canada, 2002 CFPI 776, au paragraphe 31, M. le juge Kelen suggère que la règle devant le Tribunal et la Cour fédérale devrait être la même. La jurisprudence en matière des droits de la personne :

[...] est reprise dans les décisions de la Cour fédérale quant aux modifications de plaidoirie selon la règle 75 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je fais référence à l’arrêt Rolls Royce plc c. Fitzwilliam (2000), 10 C.P.R. (4th) 1 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Blanchard a établi, en tant que règle générale, que les modifications proposées soient autorisées lorsque la partie adverse ne subit aucun préjudice [...]

Le juge Kelen cite ensuite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10, au même effet. Dans la mesure où elles peuvent se retrouver dans les allégations et les faits soumis à la Commission et où elles ne portent pas préjudice à l’intimée, les modifications devraient être autorisées. Cela aide toutes les parties à déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties.

[60] Compte tenu de ce qui précède, j’ai examiné la plainte ainsi que les paragraphes et renvois contestés figurant actuellement dans l’exposé des précisions et dans la réplique pour établir s’il existe le lien requis entre la plainte et l’exposé des précisions justifiant leur inclusion. J’explique le résultat de cet examen aux paragraphes 61 à 71 ci-après. J’ai aussi examiné la demande d’instruction de la Commission pour établir si le Tribunal est dûment saisi des paragraphes et renvois contestés, et je décris cet examen aux paragraphes 72 à 75 ci-après.

[61] En ce qui concerne l’examen de la plainte et des paragraphes et renvois contestés de l’exposé des précisions et de la réplique, je suis d’avis qu’il existe suffisamment de liens justifiant leur maintien dans ces documents.

[62] La partie importante de la plainte n’occupe que trois pages, puisqu’il ne s’agit que d’un résumé préliminaire. Toutefois, dès la troisième phrase du premier paragraphe de la plainte, AA déclare qu’il a reçu un diagnostic de [traduction] « dépression modérée et anxiété » et [traduction] « [d’]arthrite modérée dans ma hanche droite », les deux étant [traduction] « des traumatismes […] attribuables à mon service militaire ». Plus loin, il déclare que : [traduction] « […] Le 23 juillet 2013, j’ai reçu un diagnostic de dépression modérée avec anxiété découlant de ma récente expérience de travail durant mon déploiement en Afghanistan en 2012 […] auprès des FAC ». Plus loin encore, en réponse à un avertissement écrit qu’il a reçu, après avoir déposé un grief interne pendant qu’il était en congé de maladie et dans laquelle on disait en partie que : [traduction] « […] votre tentative d’utiliser les RME qui vous ont été prescrites récemment ainsi que votre congé de maladie comme écran de protection […] démontre votre empressement à profiter du système pour arriver à une fin », il précise que [traduction] « […] le 4 mars, j’ai révélé aux FAC que j’avais reçu un diagnostic de dépression modérée avec anxiété. J’avais décidé de le révéler, parce que les FAC n’avaient pas réagi à ma demande de consultation d’un conseiller en harcèlement (présentée sept mois plus tôt) ». Plus loin encore, il déclare que, à cause de ce qu’il considérait comme étant du harcèlement, il a [traduction] « […] eu une dépression nerveuse et, quelques jours plus tard, a dû […] recevoir des soins psychiatriques ». Enfin, il déclare que : [traduction] « […] le 28 avril 2014, j’ai reçu une missive du col. P.S. Dawe dans laquelle il qualifie “d’étrange” le moment où mes problèmes de santé mentale se sont manifestés, et poursuit en disant que j’aurais dû informer ma chaîne de commandement pour recevoir l’aide appropriée. Je ne souscris pas à cette déclaration. À titre de membre des FAC, je ne devrais pas avoir à donner à mes supérieurs des précisions sur mon état de santé personnel pour obtenir un soutien ou des soins médicaux ».

[63] Les citations susmentionnées tirées de la plainte, conjuguées aux renvois à l’annexe 1, ne sont pas, à mon avis [traduction] « très sélectives » ou [traduction] « non liées », comme le déclarent les FAC. Il s’agit de véritables renvois à des problèmes de santé mentale figurant dans la plainte. Quel que soit le moment où AA a révélé ses problèmes de santé mentale aux FAC, ils constituent un fondement suffisamment du lien requis avec les actes de procédure mentionnés aux paragraphes qui précèdent. Ils ne constituent pas une nouvelle plainte à mon avis. Cela étant dit, ma décision en l’espèce de maintenir la présence des paragraphes et des renvois contestés ne signifie pas qu’une allégation de discrimination ou d’ommission de prendre en compte une déficience a été prouvée, ce qui ne pourra se faire que sur preuve à l’audience. Comme il en est fait mention dans la décision Saviye c. Afroglobal Network Inc. et Michael Daramola, 2016 TCDP 18, au paragraphe 18 :

[18] Lorsqu’il décide s’il doit autoriser la requête en modification de la plainte, le Tribunal ne devrait pas s’engager dans un examen approfondi du bien-fondé de la modification (voir le paragraphe 6 de la décision Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2 (Bressette)). Le bien-fondé des allégations devrait être examiné à l’audience, lorsque les parties ont eu la possibilité pleine et entière de produire leurs éléments de preuve.

[64] De plus, je conviens que, dans la mesure où AA a ajouté des faits et des précisions concernant la discrimination pour motifs de santé mentale qui n’avaient pas été expressément mentionnés dans la plainte, ils ont un lien avec les problèmes liés à la santé mentale qu’il a soulevés dans sa plainte et s’inscrivent donc, à mon sens, dans la portée de l’instruction. Comme cela est précisé dans la décision Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, au paragraphe 36 :

[36] La plaignante effectue également d’autres modifications dans son exposé des faits. À mon avis, ces modifications relèvent généralement du contexte factuel déjà établi initialement. La plaignante précise certaines situations ou corrige certaines erreurs comme l’année 2014 au lieu de 2013. Comme l’indiquent les arrêts Gaucher et Casler, précités, la plainte déposée à la Commission n’est que sommaire : elle se précise nécessairement en cours de processus. C’est dans l’exposé des faits que les conditions de l’audience se précisent. Comme les modifications ne changent pas substantiellement l’essence du dossier et comme j’ai déjà déterminé que le préjudice pour l’intimée est inexistant, j’autoriserai les diverses modifications. La plaignante a le fardeau de prouver ses allégations à l’audience.

[65] Les problèmes continus liés aux mesures d’adaptation, y compris la libération en fin de compte d’AA des FAC, relèvent aussi à mon avis de cette catégorie et sont liés à la plainte comme faisant « partie intrinsèque de l’exposé de tous les faits », pour reprendre les termes de la décision Blodgett, au paragraphe 57 :

[57] Que le critère pour faire droit aux modifications contestées ait trait au fait que celles-ci fassent partie de la [traduction] « situation essentielle » de la plainte initiale ou que le critère ait trait au fait qu’elles soient liées aux éléments figurant dans la plainte initiale, si une série d’actes discriminatoires persistants est allégué, j’estime que les modifications contestées satisfont à ces critères. Le type de discrimination présumée dans les modifications contestées – à savoir, en fonction de l’âge – ne diffère pas de la plainte initiale; le personnel de gestion concerné est le même; le groupe d’employés faisant partie du groupe du plaignant n’est pas modifié de façon importante; les incidents allégués résultent toujours du même type de situation en milieu de travail : le refus d’offrir au plaignant des possibilités d’affectation et de formation, prétendument en raison d’actes discriminatoires fondés sur l’âge. Les représailles et le harcèlement allégués résultent du même motif de discrimination, sauf que les circonstances de certains des incidents constituent également du harcèlement et des représailles, selon le plaignant. Les modifications contestées semblent faire partie intrinsèque de l’exposé de tous les faits et, si elles étaient exclues, le Tribunal ne pourrait pas évaluer entièrement la preuve des parties ou obtenir un exposé complet des plaintes.

[66] À mon avis, les allégations de discrimination systémique devraient être permises lorsqu’il existe un lien suffisant avec le fond de la plainte, ce qui est le cas en l’espèce.Comme cela est précisé dans la décision Itty c. Agence des services frontaliers, 2013 TCDP 33, aux paragraphes 23 à 25 :

[23] La modification proposée a trait à l’objet et au fond de la plainte originale parce que les faits qui étayent les allégations du plaignant au titre de l’article 7 sont les mêmes faits que ceux qui étayent ses allégations au titre de l’article 10. La modification proposée fait simplement en sorte que la plainte soit conforme aux faits déjà allégués.

[24] Les allégations de discrimination systémique (en contravention de l’article 10) découlent des allégations de discrimination en matière d’emploi et de différence préjudiciable de traitement dont le plaignant prétend avoir été victime.

[25] Du fait qu’elle a enquêté sur les faits de la plainte qui étayent les allégations au titre de l’article 7 et qu’elle les a examinés, la Commission a également enquêté sur les faits justifiant l’ajout à la plainte d’allégations au titre de l’article 10 et les a examinés, parce qu’il s’agit des mêmes faits. La Commission a renvoyé l’ensemble de la plainte au Tribunal, et la plainte comprend également les faits relatifs à l’article 10. Par conséquent, le Tribunal a la compétence voulue pour accorder la modification.

[67] Par conséquent, je refuse d’ordonner que soient radiés de l’exposé des précisions de AA les renvois à d’autres dispositions de la LCDP (alinéas 5a), 10a) et 8b), aux pages 19 à 21), car ces allégations découlent des mêmes faits que ceux allégués dans la plainte relativement aux articles 7 et 10 de la LCDP.

[68] De plus, j’ai pris en compte les diverses demandes présentées par les FAC en vue de radier les paragraphes et renvois précisés aux alinéas 1a) et b) de la présente décision. À cet égard, je suis d’accord avec la Commission pour les raisons résumées aux paragraphes 41, 42 et 43 de la présente décision.

[69] En ce qui concerne le paragraphe 43 de la présente décision qui porte sur les larges pouvoirs de réparation du Tribunal, il convient de souligner les observations suivantes formulées dans la décision Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au paragraphe 50 :

[50] « La Cour suprême du Canada a donné aux tribunaux des droits de la personne une certaine latitude dans la prise d’ordonnances de redressement. Cela correspond aux objectifs et aux buts des lois interdisant la discrimination. Bien entendu, les ordonnances de redressement doivent être liées au litige ou au sujet de la plainte qui a été jugée fondée : le « cadre de la plainte » ou le « sujet réel ». Le redressement doit être égal à l’acte discriminatoire. Les ordonnances doivent aussi être raisonnables et le pouvoir discrétionnaire en matière de redressement doit être exercé en fonction de la preuve présentée ».

[70] En outre, en ce qui concerne le cadre dans lequel le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire en matière d’indemnisation, l’on a fait observer ce qui suit dans l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, aux paragraphes 35 et 37 :

En matière d’indemnisation pour pertes subies à la suite d’un acte discriminatoire, la question de la prévisibilité ne se pose pas pour la simple raison que le législateur a défini le genre de pertes pouvant être recouvrées. L’alinéa 53(2)c) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à l’auteur du tort d’indemniser la victime pour les pertes de salaire et les dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

Le fait que la prévisibilité ne constitue pas un facteur approprié de limitation des pertes dont un plaignant peut être dédommagé ne signifie pas qu’il ne devrait y avoir aucune limite à la responsabilité d’indemniser. La première limite a été reconnue unanimement par les membres formant la Cour dans Morgan : il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et la perte alléguée. La deuxième limite, consacrée par la Loi même, consiste dans le pouvoir discrétionnaire conféré au Tribunal d’ordonner l’indemnisation de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire entraînées par l’acte discriminatoire. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit obéir à des principes.

[Non souligné dans l’original.]

[71] Je ne suis pas disposé à restreindre la portée des réparations qui peuvent être accordées, à ce stade préliminaire de l’instruction, d’une façon qui limiterait ou éliminerait la possibilité de recouvrer les pertes de salaire dans l’éventualité d’une conclusion de responsabilité à l’issue de l’audition de la preuve. Cet aspect et la question de l’atténuation des dommages seront déterminés après la présentation de la preuve à l’audience.

[72] Pour ce qui est de la demande d’instruction de la Commission et de la question de savoir si, en vertu de cette demande, le Tribunal a compétence pour instruire les questions contestées, je suis d’avis qu’une question soulevée dans la plainte n’échappe pas à la portée de l’instruction par le Tribunal pour la simple raison que la Commission ne l’a pas traitée dans son enquête. Voici la teneur des observations formulées dans la décision Connors, aux paragraphes 39 à 43 :

[39] Ainsi, le rapport d’évaluation sert à justifier ou supporter une décision de procéder à l’instruction de l’affaire devant le Tribunal et non pas à encadrer la portée de l’instruction du Tribunal.

[40] Au surplus, le Tribunal rappelle que la Commission n’a pas l’obligation absolue de procéder par enquête avant de déférer une plainte au Tribunal en application de l’article 49 (1) de la Loi. En effet, la disposition prévoit que la Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au Tribunal d’instruire une plainte. L’enquête de la Commission n’est donc pas un préalable obligatoire à l’instruction de la plainte par le Tribunal. Ainsi, le fait que l’évaluateur n’ait pas examiné les allégations d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle, n’exclut pas automatiquement que le Tribunal s’y penche d’autant que la plaignante y fait spécifiquement référence dans sa plainte initiale.

[41] En l’espèce, cette façon de procéder de l’enquêteur ne peut déterminer en soi la teneur de la plainte ou la portée de l’instruction.

[42] De plus, la Commission n’a rendu aucune décision en ce sens. En effet, dans sa décision de demander au président du Tribunal d’instruire la plainte, la Commission ne spécifie pas si des événements doivent être inclus ou exclus de l’instruction du Tribunal. La Commission ne fait que déférer la plainte sans autre précision. Elle écrit :

The Commission has decided, pursuant to section 49(1) of the Canadian Human Rights Act, to request that you institute an inquiry into the complaint as it is satisfied that, having regard to all the circumstances, an inquiry is warranted.

[43] En outre, le dossier ne comporte aucune autre décision de la Commission suivant laquelle elle aurait restreint la plainte à certains événements allégués. Certes, tel que vu précédemment, l’évaluateur lui‑même a restreint son évaluation, mais la Commission, pour sa part, a déféré la plainte sans autre précision. Le Tribunal en conclut qu’il est saisi de la plainte dans sa totalité.

[73] Bien qu’il semble que l’agent des droits de la personne ait concentré son attention sur les allégations concernant l’omission de prendre des mesures d’adaptation relativement à la blessure à la hanche, comme cela est mentionné au paragraphe 18 de la présente décision, le rapport daté du 18 août 2016 établi au titre des articles 40 et 41 de la LCDP et cité au paragraphe 17 de la présente décision fait manifestement état de la question de la santé mentale. En outre, au paragraphe 49 du rapport de renvoi de la plainte au Tribunal, l’agent des droits de la personne a expliqué ce qui suit :

[traduction]
Comme je l’ai précisé plus tôt, le présent rapport ne porte que sur la question de savoir si l’intimée a tenu compte des RME du plaignant relativement à son emploi. L’agent n’a pas examiné les autres allégations du plaignant dans son rapport, car l’article 49 de la Loi dispose que « [l]a Commission peut à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au Président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’instruction est justifiée ». Compte tenu de l’analyse qui suit de la question des RME du plaignant, il ressort de la preuve qu’une instruction est justifiée.

[74] La Commission a saisi le Tribunal de la plainte d’AA sans restreindre la portée de la plainte ou de l’instruction dans sa lettre de décision datée du 11 avril 2018 et adressée au Président du Tribunal ainsi que dans dans sa lettre de renvoi dans laquelle elle donne les précisions suivantes :

[traduction]
Après avoir examiné les renseignements, la Commission a décidé, conformément à l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander au Président du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte, car l’enquêteur n’a pas pu concilier les renseignements divergents présentés par les parties. Une instruction par le Tribunal permettrait d’interroger et de contre-interroger les témoins, au besoin, ainsi que d’examiner la preuve d’un témoin expert afin que la crédibilité puisse être appréciée en profondeur.

[75] Cela étant, le Tribunal est dûment saisi de la totalité de la plainte, y compris des paragraphes et renvois de l’exposé des précisions et de la réplique d’AA dont les FAC demandent la radiation.

[76] Bien que j’accepte le principe dont il est question dans les décisions susmentionnées, à savoir que les actes de procédure ne devraient pas être modifiés si la modification risque de causer un préjudice réel et important qui ne peut pas être réparé, je suis d’avis que les FAC ne subiront pas un tel préjudice si les paragraphes et renvois contestés sont maintenus en place à ce stade-ci. Les FAC auront, durant l’audience, la possibilité et le temps de défendre toutes les allégations faites par AA, y compris les questions de santé mentale. Pour avoir gain de cause, AA devra, entre autres, prouver qu’il avait un problème de santé mentale pour lequel les FAC auraient pu mettre en place des mesures d’adaptation et ont illégalement omis de le faire. C’est ce que je déterminerai en fonction de la preuve présentée durant l’audience, sans égard à la réponse à la présente requête, et indépendamment de ce que la Commission a fait dans son enquête.

[77] Enfin, les demandes des FAC décrites aux alinéas 1c) et d) de la présente décision concernant les déclarations de revenus d’AA et un résumé des témoignages prévus ne semblent pas maintenant contestées et j’y fais droit pour les motifs présentés par les FAC, sauf en ce qui concerne la déclaration de revenus pour 2019 qui ne sera disponible que durant l’année 2020.

VI. Ordonnances

[78] Pour les motifs qui précèdent :

  • a) la requête présentée par les FAC en vue d’obtenir la radiation, de l’exposé des précisions et de la réplique d’AA, des paragraphes et renvois à la LCDP, décrite aux alinéas 1a) et b) de la présente décision, est rejetée.

  • b) la requête présentée par les FAC en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à AA de communiquer ses déclarations de revenus, sauf celle pour 2019, et un résumé des témoignages prévus, décrite aux alinéas 1c) et d) de la présente décision, est accueillie et il est ordonné à AA de fournir les documents et le sommaire dans les 30 jours suivant le prononcé de la présente décision.

VII. Annexe 1

[traduction]

 

Allégations figurant dans l’exposé des précisions (auxquelles l’intimée s’oppose)

Allégations figurant dans la plainte initiale

Par.

12

« Quand j’ai présenté mon grief le 29 août 2013, j’avais demandé à voir un conseiller en harcèlement (CH) ».

« Le 29 août, j’ai déposé un grief concernant les problèmes que j’ai décrits plus haut. De plus, j’ai demandé à voir un conseiller en harcèlement ».

« Six mois plus tard, je n’avais pas été contacté par un CH […] Quand j’ai écrit pour demander une décision de l’ADI, le 4 mars 2014, j’ai précisé par écrit que je n’avais pas eu accès à un CH, et j’ai parlé des problèmes de santé mentale que j’avais (j’avais reçu un diagnostic de dépression avecanxiété après avoir été retiré des RCD). Je voulais que l’ADI soit au courant de mon environnement de travail, en particulier du fait que la discrimination et le harcèlement aggravaient mes problèmes de santé mentale, et que je n’avais pas eu accès à un CH. J’espérais qu’en dévoilant cette situation, cela mettrait en évidence mon besoin d’aide. »

« Le 4 mars 2014, j’ai répondu à une missive du lcol Atherton. Dans cette réponse, j’ai révélé aux FAC que j’avais reçu un diagnostic de dépression modérée avec anxiété. J’ai décidé de faire cette révélation, parce que les FAC n’avaient pas donné suite à ma demande de voir un conseiller en harcèlement (présentée plus de six mois plus tôt). J’avais espéré que cette révélation donnerait lieu à des mesures justes ».

Par.

13

« En réponse à cela, le col Dawe, en sa qualité d’AI, a retenu ma demande visant à obtenir une décision de l’ADI jusqu’au 29 avril 2014 (presque deux mois) tandis qu’il rédigeait une lettre supplémentaire à l’ADI. Dans sa lettre, le col Dawe m’a accusé de plusieurs choses; par conséquent, je vais préciser certaines des questions clés. Premièrement, tout en affirmant ne pas mettre en doute mon diagnostic de problème de santé mentale, le col Dawe a fait la déclaration suivante : “Je trouve étrange qu’après avoir reçu ma lettre de décision rejetant sa demande et son utilisation inappropriée du système de griefs, il décide maintenant qu’il est nécessaire pour lui de déclarer qu’il a des problèmes de santé mentale”. Mon diagnostic existait avant la décision du col Dawe et cette décision n’avait rien à voir avec ma divulgation. Celle-ci était motivée par la discrimination et le harcèlement dont je faisais l’objet et par le fait que je voulais parler de ces problèmes avec un CH.

« Le 28 avril 2014. J’ai reçu une missive de l’autorité initiale (AI), le col P.S. Dawe, dans laquelle il mettait en doute le moment où mes problèmes de santé mentale avaient eu lieu, disant qu’il était “étrange” […] ».

Le col Dawe a poursuivi en disant ceci : “ Si le plaignant estimait que ses problèmes de santé mentale pouvaient nuire à sa capacité de travailler ou risquaient de s’aggraver, il aurait dû en informer sa chaîne de commandement pour qu’ils soient correctement traités par les services de santé mentale des FAC”. Mon dossier médical pourra confirmer le fait que je recevais des soins médicaux appropriés sans que ma chaîne de commandement (C de C) ou mes supérieurs aient à intervenir dans mon traitement ou mon diagnostic. Les déclarations du col Dawe contreviennent aux directives CANfORGEN128/03 (ADMHRMIL 061 241 824Z OCT 03); je ne suis pas tenu de passer par mes supérieurs pour recevoir des soins ou traitements médicaux. La déclaration du col Dawe signifie que [sic] je dois me mettre à nu devant son personnel avant de recevoir un soutien de l’administration; c’est purement et simplement du contrôle manipulateur, et c’est injuste. J’ai le droit de protéger mon intimité et de travailler dans un environnement exempt de tout jugement; j’ai choisi de révéler des détails sur mes problèmes de santé mentale après avoir fait l’objet d’une discrimination soutenue et continue, et après avoir été privé du droit de consulter un CH pendant des mois. Je précise que, quand j’ai révélé que j’avais des problèmes de santé mentale, j’ai demandé expressément que ce renseignement soit protégé et ne soit pas accessible à mes supérieurs (parce qu’ils avaient manifesté de l’hostilité à mon égard); cette demande a été ignorée. L’administration des FAC a failli à son obligation de protéger la confidentialité de mes renseignements médicaux et, comme je l’ai mentionné plus haut, le col Dawe a eu accès illégalement à mes renseignements médicaux et s’en est servi pour me dénigrer.

« […] et il a poursuivi en disant que j’aurais dû informer ma chaîne de commandement plus tôt pour avoir accès à l’aide adéquatement. Je ne souscris pas à cette déclaration : à titre de membre des FAC, je ne devrais pas être tenu de révéler mes renseignements médicaux personnels à mon superviseur pour recevoir des soins ou un soutien médical ».

Par.

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Le contrôle décrit ci‑dessus n’est pas unique. De fait, mes supérieurs et superviseurs au 2 GBMC sont encouragés à faire preuve de scepticisme face aux questions de santé mentale. Par exemple, le 7 avril 2014, l’adjudant-chef (adjuc) K. Olstad, le bras droit du col Dawe, a fait circuler un courriel dans lequel il est question des membres des FAC qui ont des problèmes de santé mentale. L’adjuc Olstad a déclaré que : Nous devons veiller à appuyer nos soldats qui sont blessés et nous débarrasser de ceux qui profitent du système”. Ce courriel a été envoyé peu après que j’ai révélé le fait que j’avais des problèmes de santé mentale. Je rappelle à l’examinateur que les déclarations du col Dawe et du lcol Atherton mettent en doute la légitimité de mes traumatismes psychologiques. À mon avis, les faits démontrent que j’étais ciblé en raison de mes problèmes de santé; plus précisément, j’étais ciblé, parce que les dirigeants de mon organisation croyaient que je feignais la maladie. Pour reprendre les mots de l’adjuc Olstad, j’étais considéré comme étant quelqu’un qui profite du système. Ce n’est pas vrai. En tout temps, mes problèmes de santé ont été traités dans le système médical des FAC et ce sont leurs propres professionnels de la santé qui m’ont prescrit des RME. Le fait que mes supérieurs se soient comportés de façon cynique et injuste révèle que les FAC ont failli à leur obligation de fournir aux employés un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination. En termes simples, si mes supérieurs avaient besoin ou pensaient avoir besoin de renseignements supplémentaires, ils auraient dû les obtenir en passant par les voies médicales appropriées; cependant, ils ont plutôt utilisé à mauvais escient le système administratif pour me cibler injustement, me retirer de mon poste et m’adresser un avertissement écrit.

« Le 28 mars 2014, j’ai rencontré un conseiller en harcèlement des FAC – les résultats étaient mitigés. Le 8 avril 2014, le sergent-major du 2 GBMC a envoyé un courriel au sujet de la santé mentale dans lequel il disait : Nous devons veiller à appuyer nos soldats qui sont blessés et nous débarrasser de ceux qui profitent du système. Compte tenu de ce que j’ai vécu et des déclarations et des mesures dont j’ai fait l’objet, il est clair que j’ai été désigné comme étant quelqu’un dont il faut se débarrasser (courriel daté du 8 avril 2014) ».

 

Signé par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 13 août 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du tribunal : T2274/2918

Intitulé de la cause : AA c. Forces armées canadiennes

Date de la décision sur requête du tribunal : 13 août 2019

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

AA , pour son propre compte

Daphne Fedoruk , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kathryn Hucal , pour l’intimée

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