Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 24

Date : le 4 juin 2019

Numéro du dossier : T2214/3617

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Allan Shaw

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Bell Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 


 

 

Table des matières

I. Contexte  1

II. Historique  3

III. Question à trancher  6

IV. Thèses des parties  6

V. Cadre juridique  15

VI. Analyse  19

VII. Ordonnances  21

 


I.  Contexte

[1]  Le Tribunal est saisi d’une requête que la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a présentée en vertu de l’article 3 des Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne pour obtenir une ordonnance enjoignant à Bell Canada (Bell), l’intimée, de divulguer tous les documents potentiellement pertinents se trouvant en sa possession et/ou sous son contrôle, et se rapportant aux questions soulevées dans la présente plainte. La Commission demande en particulier à ce que tous les documents concernant l’accessibilité des services de facturation en ligne de Bell et la défense de contrainte excessive avancée par cette dernière soient divulgués.

[2]  La Commission sollicite en particulier une ordonnance de divulgation des documents suivants :

  1. Tous les documents faisant état des efforts que Bell a déployés pour améliorer l’accessibilité du service MonBell et de la Facture unique, de 2014 à aujourd’hui (tels que décrits au paragraphe 36 et à l’alinéa 37a) de l’exposé des précisions de Bell) y compris les plans de projet, les notes de service et tout autre document donnant un aperçu des mesures concrètes que Bell dit avoir prises en la matière.
  2. Tous les documents contenant des précisions relatives à la mise à jour du portail MonBell et de la page Facture unique effectuée en juillet 2015 ou vers cette date, y compris les plans de projet et notes de service y afférents.
  3. Tous les documents ayant trait à la contrainte excessive que lui imposerait, selon Bell, la mise en conformité de son site aux WCAG 2.0, au niveau AA, y compris :
    1. Tous les documents sur lesquels Bell s’appuie pour estimer le temps nécessaire pour rendre MonBell et la Facture unique conformes aux WCAG 2.0, niveau AA (selon la description faite à l’alinéa 37a) de l’exposé des précisions de Bell).
    2. Tous les documents sur lesquels Bell s’appuie pour estimer les coûts à supporter pour rendre MonBell et la Facture unique conformes aux WCAG 2.0, niveau AA (selon la description faite à l’alinéa 37b) de l’exposé des précisions de Bell);
    3. Toutes les évaluations effectuées par Bell concernant l’incidence des coûts susmentionnés sur la viabilité de son entreprise, en particulier à la lumière de ses importants revenus et de sa rentabilité actuels.
  4. Tous les documents décrivant les difficultés que peut poser l’intégration des caractéristiques d’accessibilité propres au Web en raison des restrictions inhérentes à la plateforme d’élaboration « .Net » utilisée par Bell.
  5. Tous les documents ayant trait à l’assertion de Bell suivant laquelle [traduction] « au printemps 2017, Bell a fait d’importants investissements afin d’améliorer ses sites Web sans fil et de les rendre au moins conformes aux WCAG 2.0, niveau A » et que Bell a rendu ses [traduction] « sites Web sans fil conformes aux WCAG 2.0 au niveau A et, dans certains cas, à des niveaux supérieurs » (paragraphes 14 et alinéa 38c) de l’exposé des précisions de Bell). Il s’agit notamment des documents en la possession de Bell qui concernent les sites ayant été rendus conformes au niveau A, les sites rendus conformes à un niveau supérieur au niveau A (c.‑à‑d., les niveaux AA ou AAA), les mesures prises pour assurer cette conformité, et les dépenses engagées par Bell pour cette mise en conformité.
  6. Toutes les plaintes reçues de la part de personnes atteintes de déficiences visuelles concernant l’accessibilité de MonBell, de la Facture unique et des documents de facturation électronique de Bell, de la date du déploiement du site Web mis à jour en juillet 2015 à aujourd’hui. Cela comprend la plainte interne que M. Shaw a présentée à Bell le 4 août 2015 ou vers cette date, ainsi que les transcriptions, enregistrements et/ou les documents écrits se rapportant à d’autres plaintes reçues par téléphone ou par écrit.
  7. Les documents, s’ils existent, qui concernent la nature des systèmes existants/de la plateforme existante de Bell, et qui déterminent les limites que ces systèmes existants peuvent imposer à la mise en conformité au niveau AA des WCAG. Cela comprendrait les documents qui expliquent : i) le type de systèmes existants/plateforme existante utilisés par Bell; ii) la nature et le type de méthode de stockage de données utilisée et iii) les méthodes d’accès et de récupération utilisées.
  8. Les documents relatifs aux formations offertes aux développeurs Web de Bell sur la question de l’accessibilité et des normes des WCAG (de 2014 à aujourd’hui).

[3]  La Commission sollicite aussi une ordonnance enjoignant à Bell de fournir les détails suivants relativement à la liste des documents de l’annexe B pour lesquels un privilège de non‑divulgation est invoqué : la date, le titre, le nom de l’auteur ou des auteurs ainsi que du ou des destinataires à l’égard duquel un privilège de non‑divulgation est invoqué.

II.  Historique

[4]  Le plaignant (M. Shaw) est aveugle au sens de la loi. C’est un client de Bell. Il allègue que, pendant les périodes pertinentes de sa plainte, Bell Canada (Bell) a modifié le format de ses factures électroniques et que le nouveau format en ligne est inutilisable par des personnes aveugles qui doivent se doter d’un logiciel de lecture à l’écran pour accéder aux documents en ligne à l’aide d’un ordinateur personnel. Il allègue que la conduite de Bell constitue un acte discriminatoire fondé sur la déficience, une contravention à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Le 25 septembre 2015, il a déposé une plainte auprès de la Commission dans laquelle il affirme qu’en se connectant à son compte MonBell le 31 juillet 2015 pour consulter son rapport de facturation électronique sur sa Facture unique, il s’est rendu compte que Bell avait introduit un nouveau format en ligne. Il soutient que ce nouveau format pose de nombreux problèmes d’accessibilité. Par exemple, il ne pouvait plus lire le solde exact qui était dû et avait eu d’autres difficultés à consulter les documents de facturation qui pouvaient être téléchargés.

[5]  M. Shaw affirme dans sa plainte qu’à la suite de cette expérience liée à son compte en ligne, il a déposé une plainte formelle au moyen de la procédure de recours hiérarchique du service à la clientèle en ligne de Bell. Il affirme qu’un superviseur du service à la clientèle de Bell l’a rappelé et ils ont eu une longue conversation sur les problèmes d’accessibilité qu’il éprouvait au sujet de la facturation électronique de Bell. Il prétend que Bell n’a proposé aucune solution à l’égard des questions qu’il a soulevées et que le superviseur lui a recommandé de déposer une plainte en matière de droits de la personne.

[6]  Le 29 juin 2017, la Commission a renvoyé la présente plainte au Tribunal pour instruction.

[7]  Les Règles pour l’accessibilité des contenus Web (WCAG) établissent les normes techniques les plus largement reconnues qui doivent être respectées pour assurer l’accessibilité du Web aux personnes atteintes de déficiences. Les normes des WCAG sont élaborées par le groupe de travail sur les règles pour l’accessibilité, qui fait partie de l’Initiative pour l’accessibilité du Web (IAW) du Consortium World Wide Web (W3C). M. Shaw allègue que les factures électroniques de Bell ne sont pas conformes aux normes des WCAG.

[8]  Le 1er mai 2018, la Commission a déposé auprès du Tribunal son exposé des précisions dans lequel elle sollicite la divulgation de tous les documents potentiellement pertinents, y compris [traduction] « tous les documents se rapportant à l’accessibilité des factures électroniques et du site Web de Bell depuis la date des faits soulevés dans la plainte jusqu’à aujourd’hui; tous les rapports de vérification sur l’accessibilité effectués par Bell Canada au sujet de son site Web depuis la date des faits soulevés dans la plainte jusqu’à aujourd’hui et les documents se rapportant aux coûts supportés pour rendre le site Web de Bell et ses factures électroniques totalement conformes aux WCAG 2.0 ».

[9]  Dans son exposé des précisions déposé le 4 juin 2018, Bell nie avoir fait preuve de discrimination. Elle ne conteste pas que la page de sa Facture unique n’est pas encore totalement conforme au niveau AA des WCAG 2.0, mais elle prétend qu’elle le sera bientôt. Bell fait plutôt valoir que la conception et le format actuels de la page en question ne sont pas discriminatoires, étant donné que M. Shaw peut encore avoir accès aux renseignements de facturation pertinents sur cette page ou, subsidiairement, obtenir ces renseignements dans un autre format (tels que CD audio, « e-test » et braille). Bell est déjà soumise à des exigences réglementaires (qu’elle respecte) afin de fournir des renseignements de facturation accessibles. En outre, Bell soutient que l’exigence de rendre tout le portail MonBell conforme au niveau AA en l’espace d’un an constituerait pour elle une contrainte excessive.

[10]  Dans son exposé des précisions, Bell soutient entre autres choses qu’elle respecte les normes d’accessibilité du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), et que les mesures requises pour rendre son site totalement accessible lui imposeraient une contrainte excessive quant aux coûts. En réponse à la demande de divulgation de la Commission, elle a fourni à l’annexe A une liste de 11 documents (dont 10 sont accessibles au public).

[11]  Le 11 juin 2018, la Commission a répliqué à l’exposé des précisions de l’intimée et demandé à nouveau la divulgation de tous les documents potentiellement pertinents. Voici la teneur de la réplique de la Commission :

[traduction]
Bell était tenue de divulguer tous les documents potentiellement pertinents au moment du dépôt de son exposé des précisions, et il conviendrait de porter cette obligation à son attention. Jusqu’à présent, Bell n’a divulgué que 11 documents, dont 10 sont accessibles au public via Internet. La Commission s’attend à ce que Bell divulgue sous peu d’autres documents, particulièrement en ce qui a trait aux paragraphes 32 à 38 de son exposé des précisions concernant sa défense fondée sur un motif justifiable.

[12]  La correspondance entre Bell et la Commission s’est poursuivie par la suite à l’égard des demandes de divulgation de la Commission. Bell a fourni des documents supplémentaires en réponse aux demandes. Cependant, elle fait valoir que les demandes sont d’une portée trop étendue, qu’elles entraîneraient un retard, et que certaines d’entre elles concernent des documents visés par des litiges et/ou le secret professionnel de l’avocat. Aussi, Bell affirme qu’un grand nombre des documents demandés ne sont pas potentiellement pertinents. Enfin, elle précise qu’elle n’est pas en mesure d’établir l’existence de certains des documents demandés.

[13]  En plus des demandes de divulgation susmentionnées, la Commission a demandé tous les documents se rapportant aux vérifications sur l’accessibilité effectuées sur le portail MonBell, la page Web de la Facture unique et le site Web bell.ca de 2014 à aujourd’hui. Dans sa réponse, Bell mentionne deux de ces vérifications à l’égard desquelles elle invoque le secret professionnel de l’avocat et/ou le privilège relatif au litige. À cette fin, la Commission demande que Bell fournisse davantage de précisions relativement à la liste de documents de l’annexe B, en particulier la date, le nom de l’auteur et des destinataires, le titre de ces vérifications ainsi que tous les autres documents à l’égard desquels un privilège est invoqué.

III.  Question à trancher

[14]  La question soulevée dans la requête présentée est de savoir si les documents demandés sont potentiellement pertinents par rapport aux faits ou aux questions soulevés ou aux formes de redressement demandées dans la présente plainte.

IV.  Thèses des parties

[15]  Les thèses des parties, telles qu’elles sont présentées dans leurs observations, y compris dans la réplique de la Commission, sont résumées ci‑après. Il convient toutefois de noter que la Commission précise dans sa réplique qu’elle ne demande plus les documents visés aux alinéas 2d) et g) susmentionnés, étant donné que Bell a indiqué qu’elle n’est en mesure de trouver aucun document qui corresponde à ces demandes. Par conséquent, je ne me pencherai pas davantage sur les demandes en question en l’espèce.

[16]  Il convient aussi de noter que la Commission signale dans sa réplique que l’observation de Bell selon laquelle elle accepte de fournir une annexe B révisée dressant la liste des vérifications sur l’accessibilité effectuées depuis le dépôt de la plainte et à l’égard desquelles elle invoque un privilège, répond à la demande de la Commission figurant au paragraphe 3 susmentionné et visant à obtenir une annexe B plus détaillée. À ce titre, j’intégrerai simplement la mesure consentie par Bell à l’ordonnance rendue en l’espèce.

[17]  La Commission présente aussi dans ses observations un aperçu des dispositions pertinentes de la LCDP et des Règles de procédure du TCDP. À cet égard, elle cite et reproduit le paragraphe 50(1) de la LCDP et l’article 6 des Règles de procédure du TCDP.

[18]  La Commission cite aussi la décision Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, aux paragraphes 6 et 7 (Warman), à l’appui du principe fondamental voulant que les parties sont tenues de divulguer tous les documents qui sont en leur possession et/ou sous leur contrôle et qui pourraient s’avérer potentiellement pertinents au regard des questions à trancher, des faits ou des formes de redressement demandées, tels que les parties les ont exposés. La Commission cite également la décision Brickner c. GRC, 2017 TCDP 28, qui donne selon elle un aperçu des principes clés concernant le critère applicable aux fins de la divulgation dans le cadre d’instances instruites par le Tribunal. Un extrait de cette décision est reproduit plus loin.

[19]  La Commission cite aussi dans sa réplique la décision Syndicat des communications de Radio-Canada c. Société Radio-Canada, 2017 TCDP 5, au paragraphe 36, pour étayer sa déclaration voulant que le Tribunal a conclu, aux fins de l’analyse de la pertinence potentielle, que la plainte, la théorie de la cause décrite dans l’exposé des précisions de chacune des parties ainsi que l’ensemble des exposés en question, servent tous de guides.

[20]  L’argument principal de la Commission revient essentiellement à dire que les documents qu’elle demande sont potentiellement pertinents quant à l’instruction de la plainte devant le Tribunal. Comme cela est expliqué plus en détail ci‑après, la Commission affirme que chacune de ses demandes porte sur un fait, une question à trancher, un argument de défense et/ou un redressement invoqué par une partie à l’instance.

[21]  Dans les observations qu’elle a présentées en réponse, Bell soutient que certains des documents demandés par la Commission n’ont aucune pertinence potentielle quant à l’instruction de la plainte (comme cela est expliqué en détail ci‑après), alors que d’autres documents n’existent pas ou qu’ils sont introuvables. Elle ajoute par ailleurs que la demande de la Commission est de portée excessive et qu’elle vise notamment des renseignements de nature délicate sur le plan commercial qu’elle ne devrait pas être tenue de divulguer.

[22]  Pour Bell, il incombe à la Commission, en tant que partie qui demande une divulgation, d’établir qu’il existe un lien entre les renseignements ou les documents demandés et les questions en litige (Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 42). La Commission doit établir que la divulgation des documents sera utile et qu’elle est susceptible de faire progresser le débat (Ledoux c. Première Nation de Gambler, 2017 TCDP 13, au paragraphe 5). La Commission doit identifier les documents demandés avec une précision raisonnable, et ses demandes ne doivent pas être spéculatives ni équivaloir à une partie de pêche (Guay, au paragraphe 43).

[23]  Bell affirme à plusieurs reprises dans sa réponse que les demandes de la Commission pourraient concerner des milliers de documents qui ne sont pas conservés dans un dépôt central. Elle ajoute que la recherche et l’examen des documents demanderaient énormément de temps, et que ceux-ci peuvent contenir des renseignements confidentiels et exclusifs non pertinents quant à la plainte. Bell soutient que le poids de la valeur probante de ces éléments de preuve n’excède pas celui de leur effet préjudiciable sur l’instance.

[24]  Dans sa réplique, la Commission fait observer qu’elle ne demande pas des milliers de documents, et qu’elle a tenté de fournir des précisions supplémentaires pour permettre à Bell d’effectuer une recherche ciblée et lui éviter de devoir produire des documents superflus.

[25]  La Commission a aussi demandé à plusieurs reprises des renseignements concernant MonBell et la Facture unique. Bell conteste la portée de cette demande et affirme que les questions soulevées par le plaignant se limitent à la Facture unique, soit son système de facturation en ligne. MonBell désigne par contre tout le portail en ligne de Bell qui englobe des fonctionnalités allant au‑delà de la Facture unique. Bell soutient que les documents se rapportant à MonBell, en dehors de ceux qui touchent à la Facture unique, ne sont pas pertinents.

[26]  Dans sa réplique, la Commission considère que l’approche de Bell est [traduction] « étroite ». Elle affirme que MonBell et la Facture unique sont interconnectés et qu’il faut d’abord accéder à MonBell pour pouvoir ensuite consulter la Facture unique. Les deux fonctionnalités sont donc potentiellement pertinentes, à son avis, et permettront d’acquérir une [traduction] « compréhension globale » des difficultés d’accessibilité du service de facturation en ligne de Bell.

[27]  Bell s’oppose à la production de certains documents au motif qu’ils sont confidentiels et de nature délicate sur le plan commercial ou qu’ils contiennent des renseignements exclusifs ou personnels. La Commission soutient que Bell n’a cité aucune jurisprudence ni aucun texte législatif à l’appui de ses objections et que les préoccupations liées à la protection de la vie privée et à la confidentialité ne l’emportent pas sur l’intérêt public de s’assurer que toute la preuve pertinente à une instance soit divulguée (citant Malenfant c. Videotron S.E.N.C., 2017 TCDP 11, et Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500 et al., 2012 TCDP 11.

[28]  La Commission fait observer qu’aux termes de la LCDP et des Règles de procédure du Tribunal, les seules exceptions à la divulgation visent des renseignements qui ne sont pas potentiellement pertinents ou qui sont protégés. Elle ajoute que tous les documents divulgués seraient assujettis à la règle tacite de non‑divulgation aux tierces parties. Par ailleurs, Bell peut demander au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité en application de l’article 52 de la LCDP. La Commission souligne que les ordonnances de confidentialité peuvent permettre de trouver un équilibre entre la divulgation de documents potentiellement pertinents et la protection de renseignements de nature délicate, et qu’elle serait prête à envisager une telle ordonnance en fonction de sa formulation.

[29]  M. Shaw a souscrit aux observations initiales de la Commission. Dans sa réplique ultérieure à la réponse de Bell, il revient sur la pertinence potentielle des demandes de la Commission et fournit des exemples de types de documents qui lui sembleraient adéquats : exigences d’affaires, plans de projet, orientations de projet fournies aux développeurs et aux entrepreneurs quant aux exigences d’accessibilité des WCAG, plans d’action, procédures de contrôle de la qualité, plans et méthodes de mises à l’essai ainsi que critères, scripts, outils et résultats des mises à l’essai (y compris les mises à l’essai effectuées par les utilisateurs de technologies d’assistance).

[30]  En plus de ces points, les parties ont avancé les arguments suivants se rapportant précisément à chacune des demandes de la Commission, telles qu’elles figurent au paragraphe 2 susmentionné.

[31]  a)  Tous les documents faisant état des efforts que Bell a déployés pour améliorer l’accessibilité du service MonBell et de la Facture unique, de 2014 à aujourd’hui (tels que décrits au paragraphe 36 et à l’alinéa 37a) de l’exposé des précisions de Bell) y compris les plans de projet, les notes de service et tout autre document donnant un aperçu des mesures concrètes que Bell dit avoir prises en la matière.

[32]  La Commission affirme que Bell a divulgué des documents concernant la mise à l’essai de l’accessibilité qu’elle a effectuée, mais pas les mesures qu’elle aurait prises par la suite.

[33]  Bell fait valoir qu’elle a déjà partiellement répondu à cette demande, mais elle remet en cause la période visée, puisque ce n’est qu’en juillet 2015 que M. Shaw a éprouvé des problèmes d’accessibilité. Bell soutient que la Commission n’a pas expliqué pourquoi la période visée par sa demande remonte jusqu’à 2014, et que la pertinence de cette période est contestable. La Commission affirme en réplique que la période visée par la demande ne devrait pas être strictement limitée à juillet 2015, et que la faire reculer d’un an permettra au Tribunal de bien saisir la chronologie et le contexte dont émergent les difficultés d’accessibilité éprouvées par M. Shaw.

[34]  En outre, Bell soutient que la plainte de M. Shaw est liée à sa déficience visuelle. Cependant, la Commission a demandé des documents portant sur toutes les améliorations apportées en matière d’accessibilité. Pour Bell, les améliorations autres que celles qui se rapportent aux déficiences visuelles ne sont pas pertinentes. Enfin, comme je l’ai déjà souligné, Bell affirme en l’espèce que la demande de la Commission pourrait viser des milliers de documents.

[35]  La Commission note en réplique que cette demande découle de l’exposé des précisions de Bell dans lequel elle affirme avoir apporté des améliorations en matière d’accessibilité. La Commission précise qu’elle ne demande pas la divulgation de chaque document, mais plutôt uniquement de ceux qui décrivent les mesures concrètes qu’a prises Bell pour améliorer l’accessibilité de MonBell et de la Facture unique, ainsi que les problèmes relevés lors de la mise à l’essai du lecteur d’écran. Afin d’aider Bell à restreindre la portée de ses recherches, la Commission a avancé que les documents contenant le type de renseignements qu’elle cherche à obtenir pourraient être appelés « stratégie d’accessibilité », « plan de projet d’accessibilité final/approuvé » ou « compte rendu de résultats » de ces projets, tout en précisant que Bell est mieux placée pour savoir quels titres porteraient les documents de ce type. La Commission a également fait observer qu’elle cherche principalement à obtenir des documents concernant les améliorations en matière d’accessibilité qui ont une incidence sur les personnes ayant des déficiences visuelles.

[36]  Par ailleurs, la Commission précise que l’affidavit soumis dans le cadre du dossier de requête de Bell indique que cette dernière s’efforce de rendre la Facture unique conforme au niveau AA des WCAG 2.0, ce qui devrait être le cas d’ici mars 2019. Pour la Commission, les documents se rapportant à ces travaux, tels qu’un plan de projet final/approuvé, sont potentiellement pertinents.

[37]  b)  Tous les documents contenant des précisions relatives à la mise à jour du portail MonBell et de la page de la Facture unique effectuée en juillet 2015 ou vers cette date, y compris les plans de projet et notes de service y afférents.

[38]  La Commission est d’avis que ces renseignements sont pertinents, parce que M. Shaw affirme qu’il a commencé à avoir des problèmes d’accessibilité à la suite de cette mise à jour.

[39]  Bell fait valoir de son côté que cette demande n’est pas raisonnablement liée à la plainte, que la plupart des mises à jour apportées à la page de la Facture unique et au portail MonBell n’étaient pas liées à l’accessibilité et que les documents pertinents à la plainte seraient visés par la demande susmentionnée (demande a)).

[40]  Bell affirme en outre, comme cela a déjà été indiqué, que les documents se rapportant à MonBell ne sont pas pertinents au regard de la plainte, hormis ceux qui concernent la Facture unique. Elle ajoute que cette demande est trop générale et imprécise. Elle l’obligerait à consacrer des ressources importantes au rassemblement éventuel de milliers de documents.

[41]  Dans sa réplique, la Commission soutient qu’il existe peut-être un plan de projet ou un document de stratégie expliquant la mise à jour effectuée, et que cela lui suffirait d’obtenir ce seul document, s’il existe.

[42]  c)  Tous les documents ayant trait à la contrainte excessive que lui imposerait, selon Bell, la mise en conformité de son site aux WCAG 2.0, au niveau AA, y compris :

  1. Tous les documents sur lesquels Bell s’appuie pour estimer le temps nécessaire pour rendre MonBell et la Facture unique conformes aux WCAG 2.0, niveau AA (selon la description faite à l’alinéa 37a) de l’exposé des précisions de Bell);
  2. Tous les documents sur lesquels Bell s’appuie pour estimer les coûts à supporter pour rendre MonBell et la Facture unique conformes aux WCAG 2.0, niveau AA (selon la description faite à l’alinéa 37b) de l’exposé des précisions de Bell);
  3. Toutes les évaluations effectuées par Bell concernant l’incidence des coûts susmentionnés sur la viabilité de son entreprise, en particulier à la lumière de ses importants revenus et de sa rentabilité actuels.

[43]  En ce qui concerne le temps et les coûts à supporter pour rendre MonBell et la Facture unique conformes au niveau AA des WCAG 2.0, la Commission cite les paragraphes de l’exposé des précisions de Bell dans lesquels ce point est soulevé.

[44]  Bell affirme toutefois qu’elle ne possède aucun document présentant le détail des coûts qu’elle devra assumer, et qu’elle a plutôt [traduction] « fait une estimation ». Elle ajoute qu’elle [traduction] « s’est déjà engagée à fournir plus de précisions […] ayant trait à la contrainte excessive […], quand elles seront prêtes ».

[45]  Dans sa réplique, la Commission affirme qu’elle demande simplement à obtenir tous les documents ayant trait à la défense de contrainte excessive de Bell, telle qu’elle est décrite dans son exposé des précisions. M. Shaw et la Commission ont le droit d’analyser cette défense avec l’aide d’un expert, si nécessaire. Par ailleurs, Bell n’a pas expliqué ce qu’elle entend par [traduction] « quand elles seront prêtes » ni fourni de documents sur lesquels elle a pu s’appuyer pour parvenir à ses estimations de coûts.

[46]  e)  Tous les documents ayant trait à l’assertion de Bell suivant laquelle [traduction] « au printemps 2017, Bell a fait d’importants investissements afin d’améliorer ses sites Web sans fil et de les rendre au moins conformes aux WCAG 2.0, niveau A » et que Bell a rendu ses [traduction] « sites Web sans fil conformes aux WCAG 2.0 au niveau A et, dans certains cas, à des niveaux supérieurs » (paragraphes 14 et alinéa 38c) de l’exposé des précisions de Bell). Il s’agit notamment des documents en la possession de Bell qui concernent les sites ayant été rendus conformes au niveau A, les sites rendus conformes à un niveau supérieur au niveau A (c.‑à‑d., les niveaux AA ou AAA), les mesures prises pour assurer cette conformité, et les dépenses engagées par Bell pour réaliser cette mise en conformité.

[47]  Bell affirme que la Facture unique et MonBell n’ont pas été mis à jour dans le cadre de ce processus et qu’en tout état de cause, elle n’a pas réussi à trouver les documents demandés.

[48]  Pour la Commission, cette demande est directement liée à la déclaration de Bell contenue dans son exposé des précisions et selon laquelle certains de ses sites ont été rendus conformes au niveau AA des WCAG 2.0. La Commission estime que les renseignements concernant la mise en conformité d’autres sites permettront de comprendre les coûts liés à la mise en conformité de MonBell et de la Facture unique au niveau AA des WCAG 2.0. Ceci est potentiellement pertinent au regard de la défense de contrainte excessive avancée par Bell. La Commission est disposée à restreindre cette demande aux plans de projet finaux/approuvés, afin d’expliquer ce qui a été fait pour rendre ces sites conformes au niveau AA des WCAG 2.0, ainsi qu’aux budgets afférents.

[49]  f)  Toutes les plaintes reçues de la part de personnes atteintes de déficiences visuelles concernant l’accessibilité de MonBell, de la Facture unique et des documents de facturation électronique de Bell, de la date du déploiement du site Web mis à jour en juillet 2015 à aujourd’hui. Cela comprend la plainte interne que M. Shaw a présentée à Bell le 4 août 2015 ou vers cette date, ainsi que les transcriptions, enregistrements, et/ou les documents écrits se rapportant à d’autres plaintes reçues par téléphone ou par écrit.

[50]  Bell affirme qu’elle a déjà remis à la Commission des transcriptions, des enregistrements et/ou des documents écrits se rapportant à la plainte du 4 août 2015 de M. Shaw et qu’elle lui a aussi fourni des renseignements sur les plaintes déposées par des personnes atteintes de déficiences visuelles. Toutefois, Bell fait valoir que la demande de la Commission a une portée excessive, étant donné qu’elle va au‑delà de la Facture unique et de MonBell et qu’elle vise par conséquent des documents qui ne sont pas pertinents quant à la plainte. Elle soutient par ailleurs que la plainte de M. Shaw est liée à la nature de son propre lecteur d’écran, et que la prise en compte des plaintes liées à l’utilisation d’autres types de lecteurs d’écran modifiera la portée de la plainte.

[51]  Bell qualifie en outre la demande de la Commission de partie de pêche et affirme qu’il n’est pas nécessaire de faire intervenir d’autres personnes que M. Shaw pour étayer sa plainte ou pour montrer que le problème est systémique. De plus, la communication de ces renseignements supposerait que l’on divulgue les renseignements personnels des clients de Bell, ce qui, à son avis, est non seulement inutile, mais contraire à ses obligations légales d’assurer la confidentialité des renseignements de ses clients.

[52]  Dans sa réplique, la Commission affirme que cette plainte présente une composante systémique. Elle cite des passages précis de la plainte de M. Shaw et de son propre exposé des précisions qui démontrent, à son avis, l’existence d’une composante à la fois individuelle et systémique de la plainte. À ce titre, ces renseignements sont potentiellement pertinents, car ils pourraient aider le Tribunal à comprendre la nature systémique de la plainte et à élaborer possiblement des mesures de redressement systémiques. Selon la Commission, ces renseignements permettraient de fournir des éléments de preuve à l’appui des allégations de M. Shaw.

[53]  h)  Les documents relatifs aux formations offertes aux développeurs Web de Bell sur la question de l’accessibilité et des normes des WCAG (de 2014 à aujourd’hui).

[54]  La Commission affirme que sa demande est potentiellement pertinente au regard de la mesure de redressement que M. Shaw demande dans son exposé des précisions.

[55]  Bell s’oppose à cette demande et soutient que l’Université de l’EADO, la tierce partie qui lui a fourni les documents de formation en question, a précisé que les renseignements qu’ils contiennent sont exclusifs et lui a demandé de ne pas les divulguer. Bell n’a pas réussi à trouver d’autres documents adéquats.

[56]  Dans sa réplique, la Commission fait valoir que les préoccupations soulevées par Bell à l’égard de la confidentialité et du caractère exclusif des renseignements ne sont pas valides.

V.  Cadre juridique

[57]  Le paragraphe 50(1) de la LCDP accorde à toutes les parties « la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter […], des éléments de preuve ainsi que leurs observations ». L’article 6 des Règles de procédure du TCDP stipule ce qui suit :

6 EXPOSÉ DES PRÉCISIONS, DIVULGATION, PRODUCTION

Exposé des précisions

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

[…]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

[…]

Production de documents

6(4) Si une partie a fait mention d’un document conformément à l’alinéa 6(1)d), elle doit en fournir une copie à toutes les autres parties. Elle ne dépose pas le document au greffe.

[58]  La divulgation de documents a pour objet de permettre aux parties, y compris la Commission lorsqu’elle représente l’intérêt public aux termes de l’article 51 de la LCDP, de définir les questions en jeu et de se préparer adéquatement. La divulgation est liée au droit des parties d’avoir la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments devant le Tribunal.

[59]  La décision Brickner c. GRC, 2017 TCDP 28, citée par la Commission, énonce en ces termes les principes clés relatifs au critère appelé à régir la divulgation lors d’instances instruites par le Tribunal :

II.  Principes applicables en matière de divulgation

[4] Selon l’article 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (Loi), les parties qui se présentent devant le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments. Pour avoir cette possibilité, les parties doivent obtenir, entre autres choses, la divulgation de renseignements potentiellement pertinents et qui sont en la possession ou sous les soins de la partie adverse avant l’audition de l’affaire. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de renseignements permet à chaque partie de savoir ce qui lui est reproché et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audition.

[5] Pour décider de la divulgation des renseignements, le Tribunal doit déterminer la pertinence des éléments d’information en cause (voir Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6). Cette norme vise à « empêcher qu’on se lance dans des demandes de production “qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires” » (voir Day c. Ministère de la Défense nationale et Hortie, décision no 3, 2002/12/06). Cela garantit également le caractère probant des éléments de preuve.

[6] Il ne s’agit pas d’une norme particulièrement élevée à satisfaire pour la partie requérante. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués conformément aux articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04) (Règles) (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 (Guay)Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 28; et Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, au paragraphe 6 (Seeley)).

[7] Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (voir Guay, au paragraphe 43). Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise. Le Tribunal est d’avis que dans la recherche de la vérité, et malgré la pertinence probable des éléments de preuve, le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de divulgation, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte (voir Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8407 (CF), au paragraphe 13; voir également l’article 48.9(1) de la Loi).

[8] Le Tribunal a déjà reconnu dans ses décisions antérieures qu’il peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence avant d’ordonner une perquisition lorsque cela obligerait une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, surtout lorsque le fait d’ordonner la divulgation risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (voir Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 4; Seeley, au paragraphe 7; voir aussi R. c. Seaboyer 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, aux pages 609 à 611).

[9] Il convient également de souligner que la divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve lors de l’audition de l’affaire ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

[10] De plus, étant donné que l’obligation de divulgation d’une partie se limite aux documents « qu’elle a en sa possession » selon l’article 6 des Règles, le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer de nouveaux documents aux fins de la divulgation (voir Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au paragraphe 17).

[60]  Dans Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, j’ai formulé les directives suivantes relativement à la divulgation :

[40] Comme il a été mentionné précédemment, la jurisprudence servant à statuer sur les demandes de divulgation se fonde habituellement sur les critères suivants :

Aux termes de l’article 50(1) de la Loi, les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve.

À cette fin, chaque partie a besoin, notamment, que les documents potentiellement pertinents qui se trouvent en la possession ou sous la garde de la partie adverse lui soient divulgués avant l’instruction de l’affaire.

Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation des documents permet à chacune des parties de connaître la preuve qu’elle doit réfuter et, ainsi, de se préparer adéquatement pour l’audience.

Pour cette raison, s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, questions ou formes de redressement demandées par les parties dans l’affaire, le document doit être divulgué aux termes des articles 6(1)d) et 6(1)e) des Règles.

La partie qui sollicite la divulgation doit démontrer qu’il existe un lien et qu’il s’agit de documents probants et potentiellement pertinents à l’égard d’une question soulevée à l’audience, ce qui ne constitue pas une norme particulièrement élevée.

La demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents doivent être décrits de manière suffisamment précise.

La divulgation de documents potentiellement pertinents ne signifie pas qu’ils seront admis en preuve à l’audience ou qu’on leur accordera une importance significative dans le processus décisionnel.

VI.  Analyse

[61]  Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la requête, en partie, et j’ordonnerai la divulgation des documents demandés par la Commission aux alinéas 2a), 2b), 2c), 2e), 2f) et 2h) de la présente décision (les documents), sous réserve des clarifications que la Commission a proposées dans sa réplique du 27 mars 2019 pour les demandes des documents visés :

  1. à l’alinéa 2a), telles qu’elles sont soulignées au paragraphe 35;
  2. à l’alinéa 2b), telles qu’elles sont soulignées au paragraphe 41;
  3. à l’alinéa 2c), telles qu’elles sont soulignées au paragraphe 45;
  4. à l’alinéa 2e), telles qu’elles sont soulignées au paragraphe 48.

[62]  Après avoir examiné les observations des parties et appliqué les principes juridiques énoncés à la partie V de la présente décision aux faits de l’affaire dont je suis saisi, tels qu’ils ont été décrits précédemment, je suis convaincu que la Commission s’est acquittée de son fardeau d’établir que les documents demandés sont potentiellement pertinents par rapport à la présente affaire, étant donné qu’il existe, à mon avis, un lien rationnel entre les documents demandés et les faits, les questions ou les formes de redressement exposés par les parties.

[63]  Comme je l’ai souligné dans la partie V de la présente décision, la norme relative à la divulgation de renseignements potentiellement pertinents est peu exigeante, et pour éviter les surprises injustes, la tendance actuelle consiste à divulguer plus que moins, d’autant que l’admission finale de documents à une audience et la pertinence et le poids à accorder aux éléments de preuve à cette étape sont des questions distinctes qu’il reste à trancher.

[64]  Concernant la question de la pertinence potentielle des documents à ce stade, j’ai examiné les exposés de précisions des parties, qui orientent l’analyse en cette matière, étant donné que la présente affaire porte sur une plainte dans laquelle M. Shaw allègue que Bell a fait preuve de discrimination en modifiant le format en ligne de son système de facturation électronique, ce qui lui aurait causé des problèmes d’accessibilité pour se connecter à son compte MonBell afin de lire sa Facture unique.

[65]  De ce point de vue, je conviens avec la Commission que MonBell et la Facture unique sont interconnectés et qu’ils sont donc tous deux potentiellement pertinents et permettront d’avoir une [traduction] « compréhension globale » des difficultés d’accessibilité au système de facturation en ligne de Bell.

[66]  À mon avis, la preuve dont je dispose ou la jurisprudence citée est insuffisante pour conclure que certains documents sont confidentiels, de nature délicate sur le plan commercial, ou qu’ils contiennent des renseignements exclusifs ou personnels qui ne devraient pas être divulgués. En tout état de cause, je conviens avec la Commission que les préoccupations liées à la protection de la vie privée et à la confidentialité ne l’emportent pas sur l’intérêt public de veiller à ce que toute la preuve pertinente soit divulguée dans une affaire comme en l’espèce où les documents demandés semblent avoir une valeur probante. Par ailleurs, des ordonnances de confidentialité peuvent, si nécessaire, être demandées.

[67]  À mon avis, les clarifications que la Commission a proposées dans sa réplique aux demandes, telles qu’elles sont soulignées aux paragraphes 35, 41, 45 et 48 de la présente décision, sont raisonnables et dissipent adéquatement les préoccupations de Bell quant à la portée excessive des demandes et au temps qu’il lui faudra pour trouver les documents et y répondre. J’estime que les demandes de documents sont nécessaires et n’équivalent pas à une [traduction] « partie de pêche », que la Commission a identifié les documents avec suffisamment de précision, compte tenu en particulier des clarifications apportées qui permettront à Bell de réduire le temps de réponse nécessaire et de cibler ses recherches. Dans la mesure où les documents ne peuvent pas être localisés ou n’existent pas, ils ne pourront, bien entendu, être divulgués.

[68]  À mon avis, l’analyse de la Commission voulant que la plainte présente une composante systémique pour les motifs énoncés au paragraphe 52 de la décision est correcte.

[69]  À ce titre, Bell devra divulguer et produire les documents, sous réserve des clarifications proposées, de manière à ce que la Commission puisse connaître les arguments qu’elle doit réfuter et se préparer adéquatement à l’audience. C’est là tout l’objet de la divulgation et c’est ce qui garantira en fin de compte l’équité procédurale aux parties et permettra de plaider l’affaire sur le fond de la manière la plus efficace et rapide possible.

VII.  Ordonnances

[70]  Le Tribunal ordonne à Bell de divulguer les documents demandés par la Commission :

  1. à l’alinéa 2a) sous réserve des clarifications qu’elle a proposées et qui sont soulignées au paragraphe 35 de la présente décision;
  2. à l’alinéa 2b) sous réserve des clarifications qu’elle a proposées et qui sont soulignées au paragraphe 41 de la présente décision;
  3. à l’alinéa 2c) sous réserve des clarifications qu’elle a proposées et qui sont soulignées au paragraphe 45 de la présente décision;
  4. à l’alinéa 2e) sous réserve des clarifications qu’elle a proposées et qui sont soulignées au paragraphe 48 de la présente décision;
  5. à l’alinéa 2f) de la présente décision;
  6. à l’alinéa 2h) de la présente décision.

[71]  Il est ordonné à Bell de fournir une annexe B révisée qui précise les vérifications sur l’accessibilité qu’elle a effectuées depuis le dépôt de la plainte dans la présente affaire et à l’égard desquelles elle invoque un privilège.

Signé par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 4 juin 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2214/3617

Intitulé de la cause : Allan Shaw c. Bell Canada

Date de la décision du Tribunal : le 4 juin  2019

Requête instruite par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Allan Shaw , pour son propre compte

Sasha Hart et Giacomo Vigna, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sacha Liben et Lisa Alleyne , pour l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.